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NON ! JE NE SUIS PAS BYRON !- POÉSIE DE MIKHAÏL LERMONTOV – 1832 – Поэзия Михаила Лермонтова – Нет, я не Байрон

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LITTÉRATURE RUSSE
POÉSIE RUSSE
Русская литература
Русская поэзия
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Poésie de Mikhaïl Lermontov
Поэзия Михаила Лермонтова
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MIKHAÏL IOURIEVITCH LERMONTOV
Михаи́л Ю́рьевич Ле́рмонтов
3 octobre 1814 Moscou – 15 juillet 1841 Piatigorsk
3 октября 1814 г. Москва – 15 июля 1841 г. Пятигорск

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TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE
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NON ! JE NE SUIS PAS BYRON !
1832
Нет, я не Байрон

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Нет, я не Байрон, я другой,
Non, je ne suis pas Byron, je suis différent,
Ещё неведомый избранник,
Un autre élu encore inconnu,
Как он, гонимый миром странник,
Comme lui, un vagabond entraîné dans le monde,
Но только с русскою душой.
Mais seulement avec une âme russe.



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1832

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La Poésie de WALTER SCOTT

LITTÉRATURE ANGLAISE

*******

 

Sir Walter Scott
Édimbourg – Abbotsford.

Traduction – Translation

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English text
texte bilingue français-anglais


LES POÈMES
DE SIR WALTER SCOTT

Walter Scott’s poems

*

THE BRIDE OF LAMMERMOOR
LA FIANCÉE DE LAMMERMOOR
Lucy Ashton’s Song
La Chanson de Lucy Ashton

Look not thou on beauty’s charming,
Ne regarde pas la charmante beauté,
Sit thou still when kings are arming,
Reste apaisé quand les rois préparent leurs armées,

*

THE DREARY CHANGE
LE TRISTE CHANGEMENT

The sun upon the Weirdlaw Hill,
Le soleil sur la colline Weirdlaw,
 In Ettrick’s vale, is sinking sweet;
    Dans la vallée d’Ettrick, coule paisiblement ;

*

THE HEART OF MIDLOTHIAN
LE CŒUR DU MIDLOTHIAN

Chap. XVI
Proud Maisie is in the wood

Proud Maisie is in the wood,
La fière Maisie est dans les bois,
Walking so early;
Dès potron-minet marchant ;

*

ROKEBY
CANTO I

1
The Moon is in her summer glow,
La lune est là dans sa lumière d’été,
But hoarse and high the breezes blow,
Mais rauques et forts soufflent les brises,

2
Those towers, which in the shif’tin gleam
Ces tours, sur les mouvants flots scintillants,
Throw murky shadows on the stream,
Jettent d’obscures ombres,


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WALTER SCOTT
vu par
VICTOR HUGO

Walter Scott a su puiser aux sources de la nature et de la vérité un genre inconnu, qui est nouveau parce qu’il se fait aussi ancien qu’il le veut. Walter Scott allie à la minutieuse exactitude des chroniques la majestueuse grandeur de l’histoire et l’intérêt pressant du roman ; génie puissant et curieux qui devine le passé ; pinceau vrai qui trace un portrait fidèle d’après une ombre confuse, et nous force à reconnaître même ce que nous n’avons pas vu ; esprit flexible et solide qui s’empreint du cachet particulier de chaque siècle et de chaque pays, comme une cire molle, et conserve cette empreinte pour la postérité comme un bronze indélébile.
Peu d’écrivains ont aussi bien rempli que Walter Scott les devoirs du romancier relativement à son art et à son siècle ; car ce serait une erreur presque coupable dans l’homme de lettres que de se croire au-dessus de l’intérêt général et des besoins nationaux, d’exempter son esprit de toute action sur les contemporains, et d’isoler sa vie égoïste de la grande vie du corps social. Et qui donc se dévouera, si ce n’est le poète ? Quelle voix s’élèvera dans l’orage, si ce n’est celle de la lyre qui peut le calmer ? Et qui bravera les haines de l’anarchie et les dédains du despotisme, sinon celui auquel la sagesse antique attribuait le pouvoir de réconcilier les peuples et les rois, et auquel la sagesse moderne a donné celui de les diviser ?
Ce n’est donc point à de doucereuses galanteries, à de mesquines intrigues, à de sales aventures, que Walter Scott voue son talent. Averti par l’instinct de sa gloire, il a senti qu’il fallait quelque chose de plus à une génération qui vient d’écrire de son sang et de ses larmes la page la plus extraordinaire de toutes les histoires humaines. Les temps qui ont immédiatement précédé et immédiatement suivi notre convulsive révolution étaient de ces époques d’affaissement que le fiévreux éprouve avant et après ses accès. Alors les livres les plus platement atroces, les plus stupidement impies, les plus monstrueusement obscènes, étaient avidement dévorés par une société malade ; dont les goûts dépravés et les facultés engourdies eussent rejeté tout aliment savoureux ou salutaire. C’est ce qui explique ces triomphes scandaleux, décernés alors par les plébéiens des salons et les patriciens des échoppes à des écrivains ineptes ou graveleux, que nous dédaignerons de nommer, lesquels en sont réduits aujourd’hui à mendier l’applaudissement des laquais et le rire des prostituées. Maintenant la popularité n’est plus distribuée par la populace, elle vient de la seule source qui puisse lui imprimer un caractère d’immortalité ainsi que d’universalité, du suffrage de ce petit nombre d’esprits délicats, d’âmes exaltées et de têtes sérieuses qui représentent moralement les peuples civilisés. C’est celle-là que Scott a obtenue en empruntant aux annales des nations des compositions faites pour toutes les nations, en puisant dans les fastes des siècles des livres écrits pour tous les siècles. Nul romancier n’a caché plus d’enseignement sous plus de charme, plus de vérité sous la fiction. Il y a une alliance visible entre la forme qui lui est propre et toutes les formes littéraires du passé et de l’avenir, et l’on pourrait considérer les romans épiques de Scott comme une transition de la littérature actuelle aux romans grandioses, aux grandes épopées en vers ou en prose que notre ère poétique nous promet et nous donnera.

Victor Hugo
Œuvres complètes de Victor Hugo
A PROPOS DE QUENTIN DURWARD
Juin 1823
Littérature et philosophie mêlées
Texte établi par Cécile Daubray
Imprimerie Nationale, Ollendorff
Editions Albin Michel
1934 – Hors séries – Philosophie I

*********

 

LE CŒUR DU MIDLOTHIAN Poème de Sir Walter Scott – Chap. XVI – THE HEART OF MIDLOTHIAN

LITTÉRATURE ANGLAISE
WALTER SCOTT POÈME


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Sir Walter Scott
Édimbourg – Abbotsford.

Traduction – Translation

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English text
texte bilingue français-anglais

 


LES POÈMES
DE SIR WALTER SCOTT

Walter Scott’s poems

THE HEART OF MIDOLTHIAN
*
LE CŒUR DE MIDLOTHIAN

[Midlothian -Meadhan Lodainn – est un des 32 council areas d’Écosse – Le Midlothian jouxte la ville d’Édimbourg ]

Chapter XVI Chapitre
Proud Maisie is in the wood


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Proud Maisie is in the wood,
La fière Maisie est dans les bois,
Walking so early;
Dès potron-minet marchant ;
Sweet Robin sits on the bush,    
Le doux Rouge-gorge sur un buisson attend,
Singing so rarely.
Chantant à pleine voix.

*

‘Tell me, thou bonny bird,    
«Dis-moi, mon bel oiseau,
 When shall I marry me?’-
Quand dois-je me marier tout de bon ? »-
 
‘When six braw gentlemen
«Quand six beaux damoiseaux
Kirkward shall carry ye.’
Vers l’église te porteront. »

*

Who makes the bridal bed,
«Qui fait le lit de mariée,
Birdie, say truly?’-
Mon bel Oiseau, parle franchement ? « –
‘The grey-headed sexton    
«Le sacristain à la tête cendrée
That delves the grave duly.
Qui creuse la tombe proprement.

*

‘The glow-worm o’er grave and stone
«Le ver luisant sur la tombe et la dalle
Shall light thee steady;
Consciencieusement, t’éclairera ;
The owl from the steeple sing,
Le chouette du clocher chantera :
« 
Welcome, proud lady! »’
‘Bienvenue, fière dame !’ « 

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WALTER SCOTT
vu par
VICTOR HUGO

Walter Scott a su puiser aux sources de la nature et de la vérité un genre inconnu, qui est nouveau parce qu’il se fait aussi ancien qu’il le veut. Walter Scott allie à la minutieuse exactitude des chroniques la majestueuse grandeur de l’histoire et l’intérêt pressant du roman ; génie puissant et curieux qui devine le passé ; pinceau vrai qui trace un portrait fidèle d’après une ombre confuse, et nous force à reconnaître même ce que nous n’avons pas vu ; esprit flexible et solide qui s’empreint du cachet particulier de chaque siècle et de chaque pays, comme une cire molle, et conserve cette empreinte pour la postérité comme un bronze indélébile.
Peu d’écrivains ont aussi bien rempli que Walter Scott les devoirs du romancier relativement à son art et à son siècle ; car ce serait une erreur presque coupable dans l’homme de lettres que de se croire au-dessus de l’intérêt général et des besoins nationaux, d’exempter son esprit de toute action sur les contemporains, et d’isoler sa vie égoïste de la grande vie du corps social. Et qui donc se dévouera, si ce n’est le poète ? Quelle voix s’élèvera dans l’orage, si ce n’est celle de la lyre qui peut le calmer ? Et qui bravera les haines de l’anarchie et les dédains du despotisme, sinon celui auquel la sagesse antique attribuait le pouvoir de réconcilier les peuples et les rois, et auquel la sagesse moderne a donné celui de les diviser ?
Ce n’est donc point à de doucereuses galanteries, à de mesquines intrigues, à de sales aventures, que Walter Scott voue son talent. Averti par l’instinct de sa gloire, il a senti qu’il fallait quelque chose de plus à une génération qui vient d’écrire de son sang et de ses larmes la page la plus extraordinaire de toutes les histoires humaines. Les temps qui ont immédiatement précédé et immédiatement suivi notre convulsive révolution étaient de ces époques d’affaissement que le fiévreux éprouve avant et après ses accès. Alors les livres les plus platement atroces, les plus stupidement impies, les plus monstrueusement obscènes, étaient avidement dévorés par une société malade ; dont les goûts dépravés et les facultés engourdies eussent rejeté tout aliment savoureux ou salutaire. C’est ce qui explique ces triomphes scandaleux, décernés alors par les plébéiens des salons et les patriciens des échoppes à des écrivains ineptes ou graveleux, que nous dédaignerons de nommer, lesquels en sont réduits aujourd’hui à mendier l’applaudissement des laquais et le rire des prostituées. Maintenant la popularité n’est plus distribuée par la populace, elle vient de la seule source qui puisse lui imprimer un caractère d’immortalité ainsi que d’universalité, du suffrage de ce petit nombre d’esprits délicats, d’âmes exaltées et de têtes sérieuses qui représentent moralement les peuples civilisés. C’est celle-là que Scott a obtenue en empruntant aux annales des nations des compositions faites pour toutes les nations, en puisant dans les fastes des siècles des livres écrits pour tous les siècles. Nul romancier n’a caché plus d’enseignement sous plus de charme, plus de vérité sous la fiction. Il y a une alliance visible entre la forme qui lui est propre et toutes les formes littéraires du passé et de l’avenir, et l’on pourrait considérer les romans épiques de Scott comme une transition de la littérature actuelle aux romans grandioses, aux grandes épopées en vers ou en prose que notre ère poétique nous promet et nous donnera.

Victor Hugo
Œuvres complètes de Victor Hugo
A PROPOS DE QUENTIN DURWARD
Juin 1823
Littérature et philosophie mêlées
Texte établi par Cécile Daubray
Imprimerie Nationale, Ollendorff
Editions Albin Michel
1934 – Hors séries – Philosophie I

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SIR WALTER SCOTT POÈME

PAUL ADAM – PREMIERE LETTRE DE MALAISIE

MALAISIE – MALAYSIA


D’après une photo de Nadar et du portrait de Félix Valloton




PAUL ADAM
1862 – 1920

LETTRES DE MALAISIE
1896
PREMIERE LETTRE

Texte paru dans La Revue Blanche
Paris
1898 

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Portrait de Paul Adam
Félix Vallotton paru
Le Livre des masques de Remy de Gourmont
1896

***

Lettre de Malaisie

Un diplomate espagnol avec qui j’eus l’honneur de me lier, naguère, en août, aux environs de Biarritz, m’écrit, des Philippines, une lettre. Elle révèle un curieux accident historique et social. Je transmets à La revue blanche cette missive curieuse, espérant que d’autres me parviendront bientôt. Peut-être ne rappellerai-je pas inutilement, pour l’explication du phénomène relaté plus bas, le succès dévolu en 1842, à la publication du Voyage en Icarie, par Cabet. Des personnes entièrement saisies par la lecture de cette utopie communiste, le suivirent au Texas, puis dans l’Illinois où fût tentée, sous ses auspices, la réalisation de théories économiques. Nul n’ignore le pénible résultat. Donc un émule dissident de Cabet aurait, dans la Malaisie, essayé de même cette réalisation. Il siérait peu de s’en déclarer surpris. L’époque comprise entre 1830 et le 2 décembre 1854 restera marquée par l’effervescence du socialisme. Né en 1772, Fourier, ayant connu la Révolution française, la jugea comme il convient : mal. Henri de Saint-Simon, son contemporain, établit également que l’œuvre jacobine valait peu, si l’on ne voulait adjoindre à son programme la suppression de l’héritage et l’égalité civile des sexes. Il instruisit Auguste Comte et Blanqui, qui magnifièrent l’un sa pensée, l’autre son action. Lors de 1840, ces ferments de socialisme agitaient fort les esprits, non moins qu’au temps actuel. En 1832, Fourier avait fondé son journal Le Phalanstère ; en 1840 Proudhon crie : « La propriété c’est le vol. » On transfère les cendres de Napoléon aux Invalides ; on élève à Boulogne la colonne de la Grande Armée. L’Attila de la Révolution est reconnu officiellement héros. Vers 1841 Proudhon lance son Avertissement aux propriétaires ; presque en même temps est promulguée la loi sur les expropriations. Reclus, depuis 1839, pour l’échauffourée de Boulogne, au fort de Ham, le futur Napoléon III écrit son Extinction du paupérisme. 1842 voit paraître la loi sur le travail des enfants dans les manufactures. Pour la première fois, le Pouvoir tente d’enrayer l’exploitation capitaliste et de protéger les vies laborieuses. Un décret royal autorise la construction des grandes lignes ferrées. L’évolution économique accomplit une étape considérable.

On lit le Voyage en Icarie de Cabet, et on se passionne pour son communisme, parmi cette ferveur réformiste qui devait aboutir à la révolution de février 1848, aux Ateliers Nationaux, à l’idéal du Droit au travail noyé par le général Cavaignac dans le sang de 12 000 prolétaires, la bourgeoisie préparant ainsi le suffrage du peuple à préférer, comme président de la République, Louis Bonaparte au massacreur de juin.

La relation du diplomate espagnol ne saurait donc nous étonner beaucoup. Un émule de Cabet entraîna dans les îles de l’Océan Indien quelques simples gens enthousiasmés par l’utopie à la mode. Rival et ennemi personnel de l’Icarien, il dirigea son expédition vers l’Extrême-Orient, puisque l’autre menait la sienne à l’Occident.

Voilà tout ce qu’il semble indispensable de rappeler, avant la lecture de ce qui suit.
Paul Adam

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Mer des Célèbes, à bord du Novio,
en rade de la ville d’Amphitrite,
le 20 septembre 1896
Mon cher ami,

Vous me pardonnerez sans doute de vous avoir laissé brusquement à Saint-Sébastien, si je vous représente qu’un ordre venu du ministère me contraignit à partir sur l’heure pour les Philippines, où l’insurrection prenait tout à coup cette importance déplorable, cause de nouvelles calamités abattues sur la malheureuse Espagne. Réveillé en pleine nuit par un agent et cela, non sans épouvante pour la Basquina (dont la sœur dut vous satisfaire, j’imagine), je m’embarquai, deux heures plus tard sur le Novio, ce blanc croiseur tout gentil que balançait rudement l’eau dans la cuvette du port. Vous aviez tant maudit le mugissement de la sirène. Mon télégramme ne dut pas moins vous ahurir que sa voix, au réveil.

Traversée abominable. J’ai peu quitté la cabine. La mer s’écroulait sur le pont. Moi je rendis compte de mon estomac aux ustensiles indispensables. Joies de la Carrière !

D’abord il faut vous dire que l’agent m’avait remis une enveloppe contenant des ordres. Ceux-ci me confèrent la mission d’apprendre, quelles idées étrangères et puissantes troublent dans la colonie, le loyalisme de nos planteurs, de nos commerçants, la placidité des indigènes.

Certes ils n’agissent, ni les uns ni les autres, en confiance dans leurs seules forces. Pour s’attaquer au gouvernement de la métropole, il faut qu’ils se croient soutenus. Les Cubains le sont par les États-Unis. Parvenu à Manille, je commençai l’enquête. J’eus lieu de penser tout d’abord que la politique mégalomane du Japon ne s’abstenait pas d’encouragements en faveur des insurgés.

Mais je me convainquis que cette influence n’était pas la principale ; car, si le Japon pense à conquérir les grandes îles des deux Océans indien et pacifique, et à y créer une puissance insulaire analogue à celle des pays britanniques, ses diplomates n’ignorent point les difficultés d’une semblable tâche. Spolier aujourd’hui l’Espagne et la Hollande de leurs possessions malaises serait peu commode. L’Europe, dont les nouveaux événements scellent l’union fédérative, se lèverait contre la jeune Asie. Bref, il importait de découvrir une autre cause efficiente. Je vous épargne le sommaire de mes démarches.

Plusieurs d’entre les hauts fonctionnaires de Manille m’entretinrent, au débarqué, d’une fable fort en crédit chez ceux du peuple. Depuis quelque dix ans, il serait venu, du ciel, dans les bourgs intérieurs de la colonie, des aéronautes européens. À maintes reprises, ces voyageurs auraient noué des relations avec nos indigènes, certains colons.

Ils échangeraient des montres, des outils, de l’or en lingots contre plusieurs sortes de semences, des porcs et des moutons. On me montra l’un de ces lingots, petit rectangle parfait portant le timbre d’un écusson héraldique, dont l’origine est certainement byzantine. En filant le long des côtes, sur le Novio, le pilote malais me fit apercevoir, loin dans les terres de l’île de Mindoro, une saillie du plateau central, puis, là-dessus, une sorte de colonne à claire-voie, très semblable à votre Tour Eiffel, et qui, construite par ces mystérieux explorateurs, servirait de débarcadère à leurs nefs aériennes. On m’en indiqua d’autres, perceptibles de la côte, sur les pics du massif central, dans la grande île Mindanao, dans l’île Iebu, dans l’île Négros. Toutes ces stations se trouvent situées au faîte de sommets rendus inaccessibles par la nature montueuse du sol, l’impénétrabilité des forêts vierges, la pestilence des marécages, et notre ignorance générale de la topographie de ces régions. Vous le savez : de Bornéo, des Célèbes, des Philippines, les Européens occupent quelques provinces côtières, et affirment un protectorat nominal sur les populations de l’intérieur à peu près inconnues.

Or, Bornéo a deux cents kilomètres carrés de plus que la France, et les autres groupes d’îles en comprennent d’immenses, comme Luçon, Mindanao, Sumatra, Java. Mes compatriotes de Manille supposent qu’au centre de ces petits continents, d’énergiques occidentaux avaient pu établir une civilisation secrète, attestée par le passage de ces nefs aériennes gardant la forme de grands oiseaux, aux ailes infinies et arborant une voilure analogue à celle de nos sloops.

Devant moi on interrogea plusieurs prisonniers de l’insurrection. On leur demanda la provenance d’imprimés saisis sur eux. Ces pièces constataient leur présence sous les drapeaux de la révolte. Elles semblaient être la formule en espagnol d’un diplôme de révolutionnaire. Chose qui me frappa, l’exergue représentait un coq chantant et perché sur un faisceau de licteur muni de sa hache. Je me souvins avoir vu, sur les estampes françaises éditées en 1848, des emblèmes identiques, à Paris. Oserai-je croire, cher ami, que l’on commence à excuser la longueur de la missive ? Cela vous intéresse-t-il, terrible anarchiste français ? Ce sont vos frères qui excitent contre la vieille monarchie des Castilles nos sujets de Malaisie. Je continue ; car voici qui vous réjouira. Depuis dix ans, tous les gouverneurs des Philippines adressèrent à Madrid des rapports sur ces indices.

Ils y joignirent l’hypothèse logique d’un centre de « pirates aériens » français, se développant sur les hauts plateaux inaccessibles des grandes îles. L’ineffable assurance de nos ministres blâma ces rapports. On enjoignit à leurs auteurs de cesser une moquerie peu compatible avec le caractère de leurs fonctions. Un obstiné subit la disgrâce. Ses successeurs gardèrent un silence favorable à la gloire de leur avenir.

L’un cependant, voulut, sans l’autorisation métropolitaine, tirer la chose au clair. Un détachement de marins envoyé dans l’île de Mindanao tenta l’approche d’une des hautes colonnes à claire-voie. Il fallut défricher la brousse, tailler une sente, faire sauter des rocs, fusiller des tigres et des crocodiles. De toute l’expédition il revint trois hommes. Ils contèrent que, près d’atteindre le faîte de la montagne, d’épouvantables explosions avaient anéanti le détachement. La tour était défendue par un circuit de torpilles dissimulées sous le sol. Comme bien vous pensez, le gouverneur ne souffla mot de son audace. Il déclara les marins massacrés dans une embuscade de naturels ; puis, désigna les trois survivants pour un poste malsain, où la fièvre et le décès scellèrent leurs bouches.

Malgré des objections du gouvernement central, je résolus de poursuivre l’enquête. Mon premier rapport télégraphique mentionna seulement les manigances japonaises. Mais il advint qu’un jeune insurgé de race batave trahit l’aventure afin de se soustraire à la peine de mort prononcée contre lui par la cour martiale. Les armes, les munitions, l’argent venaient de Bornéo ; il l’avoua. Des Malais habiles à se glisser dans la brousse et connaissant des sentes secrètes, gagnaient la base des colonnes, où l’un de ces forbans leur donnait les indications nécessaires ; de l’or. Des jonques allaient ensuite, la nuit, quérir dans tel îlot au large les caisses, déposées là, par les nefs aériennes, un peu avant l’heure prescrite dans les lettres. Poussé à bout, soumis même à un genre d’instruction que nos ancêtres les inquisiteurs excellaient à rendre utile, mon batave finit par avouer l’existence d’un petit port dans une crique de l’île de Bornéo que dissimulent les récifs. Très étroite, la passe ne tenta jamais les capitaines de navires européens, mal impressionnés d’ailleurs devant l’apparence abrupte et déserte de la falaise qu’on distingue par delà les lignes de brisants, et une mer toute blanchie par le ressac sur des rocs noyés.

Pour obtenir que le batave désignât un pilote indigène capable de conduire le Novio dans la passe, il fallut employer tous les genres de coercition.

Vous, français et humanitaire, vous attachez à l’existence humaine, un prix excessif. Moi, je pense que les intérêts d’une nation totale valent bien quelques vies d’imbéciles. Mon batave, espèce de mercanti qui empoisonne les indigènes au moyen d’ignobles alcools, qui leur vend des caresses de filles syphilitiques, nous intéressait peu. Il s’était joint à la révolte depuis que la police avait fermé son bouge à la suite d’un assassinat commis sous ses yeux. Je tirai de cette matière vile, par les moyens de force, de profitables renseignements. J’appris qu’à deux ou trois reprises les jonques de l’insurrection avaient reçu, dans le petit port d’une ville cachée au giron des falaises, leurs chargements de carabines, de rifles, plusieurs pièces d’artillerie. Il fallut bien m’y conduire.

Sans perdre de temps, un pilote fut découvert, arrêté, et habilement interviewé dans la prison par un traître de nos serviteurs qui lui demanda la relève de la passe, voulant, dit-il, remplir à la place du détenu son dangereux devoir insurrectionnel, pendant l’incarcération. Lui, assura-t-il, devait être mis en liberté, le soir même, faute de preuves. Il le fut. Le Novio gagna la haute mer aussitôt, sous le double panache de ses fumées.

Fort difficilement nous reconnûmes la passe, sur la côte S-E de Bornéo. Plusieurs fois, dans la nuit, nous vîmes au-dessus de nos têtes, à d’incalculables hauteurs, planer des ombres immenses, tandis que le jet d’un fanal électrique éclairait soudain le pont du navire, les eaux furieuses et blanches, la baleinière des sondeurs devançant avec prudence, parmi les récifs, notre proue. Je craignis la chute d’une torpille qui eût mis en miettes le bâtiment. Le capitaine du Novio partagea cette appréhension. Je vous assure que nous passâmes vingt-quatre heures sans joie, dans ces parages sinistres. À plusieurs reprises, il tomba sur le pont une grêle de pois secs, comme si les aériens eussent voulu nous avertir de la précision de leur œil, et nous inviter ainsi à la retraite. Moi, je descends des conquistadors. Cette bravade me mit en fureur, simplement ; et je bousculai jusque la mer un nègre chauffeur qui trop manifestement s’épouvantait. On le repêcha.

Avant-hier à l’aube, nous franchîmes enfin la dernière parallèle de brisants, et pénétrâmes dans des eaux plus paisibles.

Immédiatement, par dessus la crête des falaises, et entre les pointes des sommets, parurent cinq aérostats. Nous pûmes les observer à l’aise, car ils tournoyèrent lentement, à une bonne hauteur, vers un centre qui était le zénith du Novio.

Deux ailes de cent cinquante ou deux cents mètres soutiennent chacun dans l’espace. Elles semblent épaisses. Nous pensâmes qu’elles forment deux enveloppes plates contenant du gaz ; et qu’elles aident surtout à planer. Il est rare qu’un mouvement les agite. Aux extrémités d’un axe sous-jacent à la nef, deux énormes hélices, l’une en proue, l’autre en poupe, se vissent horizontales, dans l’air. Entre elles est une dunette ou se meuvent des mécaniciens, des observateurs. Nous suivions leurs gestes. Ils photographièrent le Novio. Né de la giration des hélices, un vent fripait leurs hardes. Ils s’agriffaient aux rampes de la passerelle. Au-dessus d’eux, à trois mètres, la charpente d’une terrasse oblongue se trouait d’une trappe recevant un minuscule escalier. Cette terrasse semble sans autre épaisseur que celle d’une planche solide. Elle supporte une mature et une voilure de sloop, servant à gouverner la course de la nef. À ses flancs aussi s’attachent et s’articulent les immenses ailes épaisses. Nous parvînmes à distinguer sur l’ovale de cette terrasse, des machines légères, subtiles, un volant de dynamo, une tente, et l’équipage comportant une huitaine d’hommes au plus.

Nous vîmes encore que la mâture était maintenue par des étais compliqués et nombreux s’appuyant aux bordages. Le vol de la nef ne diffère point de celui des milans, des grands-ducs, et autres oiseaux de proie. Toute la journée l’escadre plana en décrivant des cercles autour de notre centre. À certaines minutes, nous percevions le bruit des hélices, un froufrou formidable, si l’un de ces bâtiments s’inclinait vers nous. Les matelots présentent la voile aux courants d’air, et dirigent ainsi. Ils semblent d’admirables gabiers.

Au milieu de leurs cercles, nous étions comme une pauvre perdrix que guette un vol d’éperviers voraces. Il me fallut remonter le courage de nos hommes. Sans cesse l’ombre du passage des nefs glissait sur notre pont. Nous ne laissâmes pas de nous engager dans la crique. Elle commence une sorte de fjord peu profond, creusé entre deux pans abrupts de montagnes rocheuses où des sapins et la brousse se hérissent. Vers midi nous aperçûmes, après avoir doublé un petit cap intérieur, les blancheurs de la ville qui se nomme Amphitrite.

Le sémaphore nous fit signe de stopper, annonçant une embarcation et un message. Nous obéîmes.

La ville est joliment installée, en gradins, sur le flanc de la montagne. Les quais bas ne semblent point destinés à l’accueil de grands navires. Cela s’explique, les aérostats remplaçant la marine. Des fanaux électriques bordent un boulevart. Les maisons basses ont des arcades de pierre, sous lesquelles circule une foule en habits à la française du dix-septième siècle. Elle nous examina de loin, sans dépasser une sorte de limite idéale, bien que nul agent de police ne parût la retenir. Nous vîmes plusieurs grandes voitures automobiles. Un carillon délicieux précéda la sonnerie de l’heure. Du soleil qui survint révéla les façades dorées ou argentées des maisons, des portiques en faïence bleue, sous lesquels dansent des gerbes d’eau jaillies d’une vasque. Les arbres et les végétations dissimulent beaucoup les perspectives.

Un canot sortit d’un bassin. Il avança mû par une force cachée, mais puissante ; son étonnante rapidité nous surprit. À l’avant, une figure de chimère poussait l’eau de sa poitrine à écailles de faïence verte. Nous eûmes à peine le temps de hisser le pavillon espagnol. Une grande ombre voila le ciel, au-dessus de nos têtes ; et nous vîmes un aérostat descendre entre les parois du fjord que frôlaient ses énormes ailes. De la dunette inférieure, pendait sur nous, au bout d’une chaîne, une torpille monstrueuse. Le cuivre pointu du détonateur luisait.

Ce fut sous cette autre épée de Damoclès que je reçus, à la coupée, le magistrat du canot.

Il gravit l’escalier lestement malgré les soixante-dix ou quatre-vingts hivers qui avaient blanchi ses courts favoris ras. Maigre petit vieillard, à la lèvre nue, il me salua de son feutre mousquetaire assez impertinemment, laissa voir une seconde un toupet de neige surmontant une soyeuse chevelure ramenée aux tempes, et se recouvrit. Derrière lui cinq hommes surgirent, en habit bleu de roi, et haussant plusieurs enseignes dont l’une était un coq d’or aux ailes étendues, l’autre les armoiries byzantines inscrites déjà sur les lingots rectangulaires de leur monnaie, la troisième deux mains, l’une d’or, l’une de fer, enlacées entre deux palmes. Cela au bout de hampes écarlates. Je considérai mon minuscule interlocuteur, son ample habit Louis XIV en soie grise, ses culottes larges disparues sous la veste de piqué blanc, ses petites jambes impatientes dans des guêtres de maroquin fauve boutonnées jusqu’aux genoux.

« — Monsieur, me dit-il, en français, vous ignorez sans doute chez qui vous êtes. Depuis cinquante-trois ans, nul Européen ne fut admis dans la baie. Pour vous, les torpilles qui renforcent la ligne de brisants furent neutralisées. Le temps nous a semblé venu de laisser connaître à quelques-uns les agencements de notre colonie. Ce petit livre que je vous remets vous instruira sur les origines de notre œuvre. Nous sommes des français qui s’expatrièrent pour fuir un régime d’iniquité et de bon plaisir. Disciples de Fourier, de Saint-Simon, amis de Proudhon et de Cabet, — j’espère que ces noms illustres ne vous sont pas inconnus, — nous avons voulu réaliser ici une existence conforme à la saine logique phalanstérienne. Ce que Cabet tenta en Icarie, nous l’essayons en cette contrée fertile. Monsieur, le doux Virgile a dit :

O fortunatos nimiam sua si bona norint
Agricolas !

« Nous avons donc résolu de connaître notre bonheur. Assez et trop longtemps nous avions pu expérimenter le sic vos, non vobis, du cygne de Mantoue ; et nous murmurions avec le Latin : quandoque, o rus, te aspiciam ! … Ici nous jouissons enfin de la nature. Soyez le bienvenu sur cette terre de fraternité ; Monsieur. Vous pourrez, sans doute, bientôt en énumérer les félicités à vos compatriotes, lorsque vous serez revenu auprès des lares de vos ancêtres. Et peut-être direz-vous alors, comme l’éloquent Chrysostôme, Mataïotès, mataïotétôn, kaï, panta mataïotès ; vanité des vanités, tout n’est que vanité, lorsque le véritable amour civique ne préside pas aux destinées des grands peuples.

« Sous ce pli, Monsieur, vous lirez les conditions que notre gouvernement impose au cas où le désir de visiter nos villes et nos champs, vous solliciterait. Pour l’affaire diplomatique dont vous agiterez le grave problème, c’est seulement à notre capitale, et devant le conseil de Dictature, que vous pourrez obtenir une solution. Pour moi, Monsieur, je ne suis qu’un humble serviteur de notre peuple, le sénéchal de cette province. Mais je suis heureux, Monsieur, d’avoir été le premier de la nation à saluer ici l’envoyé d’un noble pays. »

Je voulus répondre, mais le sec petit vieillard me tourna le dos et descendit précipitamment dans le canot, avec ses porte-enseignes. Aussi vite qu’elle était venue, l’embarcation repartit.

J’ai lu l’opuscule et les papiers remis par le sénéchal d’Amphitrite. Ils confirment l’hypothèse des gouverneurs de Manille. Une colonie de Saint-Simoniens et de fouriéristes, débarquée ici vers 1843, a prospéré clandestinement sur les hautes cimes de l’intérieur où il fallut d’abord se réfugier, par précaution contre la férocité des peuplades autochtones. Peu à peu, le territoire s’étendit, après une longue et dure période de guerres. Maintenant il occupe, à l’intérieur de Bornéo, un espace grand comme les deux tiers de la France. Malgré les conditions singulières imposées au voyageur par le communiqué officiel du Conseil de Dictature, je pénétrerai dans le pays. Ma mission diplomatique, au reste, m’y contraint.

J’ai pensé, mon cher ami, obtenir en vous écrivant ces motifs curieux, le pardon de l’incartade qui me fit vous quitter si brusquement à Saint-Sébastien. M’excusez-vous.

Je suis votre bien dévoué…
Lopez Tossio de Beobia.

LA POÉSIE D’ALEXANDRE POUCHKINE – поэзия Александра Пушкина

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Алекса́ндр Серге́евич Пу́шкин
Alexandre Pouchkine
русский поэт- Poète Russe
русская литература
Littérature Russe

poemes-de-alexandre-pouchkine-artgitatopushkin-alexander

ALEXANDRE POUCHKINE
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стихотворение  – Poésie
*******************

 

 

POUCHKINE – Пу́шкин
Алекса́ндр Серге́евич Пу́шкин
1799-1837

[создатель современного русского литературного языка]

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

LA POESIE D’ALEXANDRE POUCHKINE

СТИХИ АЛЕКСАНДРА СЕРГЕЕВИЧА ПУШКИНА 

Pouchkine en 1810, alors âgé de 11 ans.
Aquarelle de Serguei Gavrilovich Tchirikoff
Сергей Гаврилович Чириков
(1776—1853)

1811
Pouchkine s’inscrit au lycée Tsarskoïe Selo
(25 km de Saint-Pétersbourg).
Царское Село
Porte le nom de Pouchkine

****

1814
La famille Pouchkine emménage à Saint-Pétersbourg après la fin des Guerres napoléoniennes, en 1814.
Pouchkine a consacré son temps libre à la littérature et, en 1814, à quinze ans, il a déjà publié pour la première fois son poème « À un ami poète » dans la revue « Le Messager de l’Europe ». Ces vers, déclamés lors d’un examen de passage, lui valent l’admiration du poète Gavrila Derjavine.

****

1811-1817
Amitié avec les futurs décembristes. L’Insurrection décabriste, ou insurrection décembriste, prendra la forme, une dizaine d’années plus tard environ, d’une tentative de coup d’État militaire (Saint-Pétersbourg, en décembre 1825) afin d’obtenir une constitution du Tsar Nicolas Ier.

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Любопытный
CURIEUX
1814

— Что ж нового? «Ей-богу, ничего».
  – Quoi de neuf ? « Par Dieu, rien. »
— Эй, не хитри: ты верно что-то знаешь.
  « Hé, quoi ! tu sais que quelque chose ! »

**

К НАТАШЕ
A NATACHA 
1814

Вянет, вянет лето красно;
L’été écarlate se flétrit ;
Улетают ясны дни;
Les beaux jours désormais s’envolent ;

**

РОЗА
UNE ROSE
1815

Где наша роза?
Où est notre rose ?
Друзья мои!
Mes amis!

une-rose-pouchkine-poeme-artgitato-the-roses-of-heliogabalus-les-roses-dheliogabale

*

ИСТИННА
La Vérité
1816

Издавна мудрые искали
Les sages depuis longtemps recherchent
Забытых Истинны следов
 Les pistes de la vérité oubliée

la-verite-pouchkine-artgitato-la-verite-jules-joseph_lefebvre

*

Екатерина Пучкова
SUR CATHERINE POUTCHKOVA
1816

Зачем кричишь ты, что ты дева,
Pourquoi criez-vous que vous êtes vierge,
На каждом девственном стихе?
A chaque verset virginal ?

*

LE RÉVEIL
Пробуждение
1816

Мечты, мечты,
Rêves ! Ô mes rêves !
Где ваша сладость?
Où sont tes douceurs ?

*

В альбом
L’Album
1817

Пройдет любовь, умрут желанья;
Passe l’amour, meurt le désir ;
Разлучит нас холодный свет;
La lumière froide nous sépare ;

*

К НЕЙ
Pour Elle
1817

В печальной праздности я лиру забывал,
Dans ma triste oisiveté, j’en ai oublié ma lyre,
Воображение в мечтах не разгоралось,
L’imagination dans mes rêves s’est éteinte,

К Чаадаеву
Pour Tchaadaïev
1818

Любви, надежды, тихой славы
Amour, espoir, majestueuse gloire
Недолго нежил нас обман,
Un court instant vous nous avez trompé,

pour-tchaadaiev-pouchkine-1818-artgitato-2

*

Мечтателю
LE RÊVEUR
1818

Ты в страсти горестной находишь наслажденье;
Tu trouves du plaisir dans une triste passion,
Тебе приятно слезы лить,
Tu te montres joyeux en versant des larmes,

*

Выздоровление
GUÉRISON
1818 

Тебя ль я видел, милый друг?
Est-ce toi que j’ai vue, tendre amie ?
Или неверное то было сновиденье,
Ou n’était-ce qu’un faux rêve

*

 Уединение
Intimité
1819

Блажен, кто в отдаленной сени,
Béni soit celui qui, sous l’ombre d’un porche,
Вдали взыскательных невежд,
Loin des sagaces ignorants,

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*

Веселый пир
Soirées Festives
1819

Я люблю вечерний пир,
J’adore la fête le soir,
 Где веселье председатель,
Lorsque préside les lieux

soirees-festives-pouchkine-artgitato-jacob-jordaens-le-roi-boit-vers-1640-bruxelles-musees-royaux-des-beaux-arts-de-belgique*

Возрождение
LA RENAISSANCE DU GÉNIE
1819

Художник-варвар кистью сонной
Un artiste barbare brosse, lime
Картину гения чернит
Et détruit l’image laissée par un génie

*

TIEN & MIEN
1818 – 1819

«Твой и мой, — говорит Лафонтен —
« Tien et mien, — dit La fontaine —
Расторгло узы всего мира». —
Du monde a rompu le lien. » —
Что до меня, я этому отнюдь не верю.
Quant à moi, je n’en crois rien.
Что было бы, моя Климена,
Que serait ce, ma Climène,
Если бы ты больше не была моей,
Si tu n’étais plus la mienne,
Если б я больше не был твоим?
Si je n’étais plus le tien ?

(Texte en français par Pouchkine et publié en 1884)

**********

Rouslan et Ludmila
Parution en 1820
écrit à la façon d’un conte de fées épique
Par
Prosper Mérimée
« cet essai frisait la témérité« 

« Il obtint un succès plus légitime et dont il n’avait pas à rougir, en publiant vers 1820 le poème de Rousslan et Lioudmila. C’est encore une imitation, mais plus habile et d’après un original d’une autorité moins contestable. Il s’inspira de l’Arioste et surtout de Voltaire, dont la langue et l’esprit lui étaient plus familiers. Comme ses maîtres, il est gai, gracieux, élégamment ironique. En faveur de l’imitation, les Aristarques du temps lui montrèrent quelque indulgence ; ils y virent une preuve de modestie digne d’encouragement ; ils eussent été impitoyables peut-être pour une œuvre originale. À Rome autrefois, on n’aurait osé écrire en latin qu’en s’abritant sous l’autorité d’un Grec. À Saint-Pétersbourg, les lettrés exigeaient qu’on copiât un type français ou allemand. Aujourd’hui ce qui nous paraît le plus à remarquer dans Rousslan et Lioudmila, c’est un essai d’emprunter aux croyances populaires de la Russie des ressorts moins usés que ceux de la mythologie grecque, hors lesquels en 1820 il n’y avait pas de salut. Alors cet essai frisait la témérité, tant était grande l’intolérance classique. »

Prosper Mérimée
Portraits historiques et littéraires
Michel Lévy frères
1874

*********

Редеет облаков летучая гряда
ASTRE TRISTE, ASTRE DU SOIR !
1820

Редеет облаков летучая гряда.
En file, les nuages s’évadent vers les sommets.
Звезда печальная, вечерняя звезда!

Astre triste, astre du soir !

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Astre-triste.jpg.

**

Мне бой знаком
J’aime la bataille
Avril 1820 –  Апрель 1820

Мне бой знаком — люблю я звук мечей;
J’aime la bataille et le bruit des épées ;
От первых лет поклонник бранной славы,
Dès mes premières années, fasciné par les gloires guerrières,







*

Зачем безвременную скуку
Pourquoi cet ennui ?
1820

Зачем безвременную скуку
Pourquoi cet ennui prématuré
 Зловещей думою питать,
Qui attise de si noires pensées,

*****

1820
Ses poèmes sont jugés séditieux.
Pouchkine est condamné à l’exil en Ukraine à Iekaterinoslav
par Alexandre Ier.

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на гр. Ф. И. Толстого
Sur Fiodor Tolstoï
1820

В жизни мрачной и презренной
Dans sa vie, noire et méprisable
Был он долго погружен,
Il a longtemps sombré,

sur-fiodor-tolstoi-pouchkine-artgitato-poeme-de-1820

**

Pour la fille de Karađorđe
ou
Pour la fille de Karageorges 
Дочери Карагеоргия
1820

Гроза луны, свободы воин,
Guerrier de la liberté, foudroyant la lune des Turcs,
Покрытый кровию святой,
Couvert du sang d’un saint,

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 – Мой друг –
LES TRACES DES ANNÉES PASSÉES
(Les Muses)
1821

‎Мой друг, забыты мной следы минувших лет
Mon amie, j’ai oublié les traces des années passées
И младости моей мятежное теченье.
Et le parcours rebelle de ma jeunesse.

**

Я пережил свои желанья
J’AI SURVÉCU A MES DÉSIRS
1821

Я пережил свои желанья,
J’ai survécu à mes désirs,
Я разлюбил свои мечты;
J’ai cessé d’aimer mes rêves ;

**

Муза
La Muse
1821

В младенчестве моем она меня любила
Dès mon enfance, elle m’a aimé,
И семиствольную цевницу мне вручила.
Et la cithare à sept cordes me tendit.
la-muse-pouchkine-artgitato-nicolas-poussin-linspiration-du-poete-niedersachsisches-landesmuseum

*

ДРУЗЬЯМ
A des Amis
1822

Вчера был день разлуки шумной,
Hier fut le jour d’une bruyante séparation,
Вчера был Вакха буйный пир,
Hier fut le lieu d’une exubérante bacchanale,
a-nos-amis-1822-poeme-de-pouchkine-la-jeunesse-de-bacchus-william-bouguereau-1884

*****

1823
Pouchkine commence son roman en vers
« Eugène Onéguine« ,
achevé en octobre 1831

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сеятель
Le Semeur
1823

Свободы сеятель пустынный,
Semeur de liberté dans le désert,
Я вышел рано, до звезды;
Je suis sorti tôt à la belle étoile ;

le-semeur-poeme-de-pouchkine-jean-francois-millet-1850-vincent-van-gogh-1889

*

Телега жизни
LE CHAR DE LA VIE
1823

Хоть тяжело подчас в ней бремя,
Bien que son fardeau soit lourd,
Телега на ходу легка;
La manœuvre reste toujours aisée ;

*

ВИНОГРАД
LE RAISIN
1824

Не стану я жалеть о розах,
Je ne me sens pas triste pour les roses,
Увядших с лёгкою весной;
 Qui flétrissent à la lumière printanière ;
le-raisin-pouchkine-artgitato-jean-baptiste-simeon-chardin-raisins-et-grenade-1763-le-louvre

*

АКВИЛОН
L’AQUILON
1824

Зачем ты, грозный аквилон,
Pourquoi, aquilon menaçant,
Тростник прибрежный долу клонишь?
Fouetter les roseaux de la terre ?

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Les Adieux de Pouchkine à la mer
Toile de Ilia Répine et Ivan Aïvazovski
(1887)

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К морю
A la mer
1824

Прощай, свободная стихия!
Adieu, élément libre !
В последний раз передо мной
Pour la dernière fois devant moi

*

ЗИМНИЙ ВЕЧЕР 
Soirée d’hiver
1825

Буря мглою небо кроеть,
La tempête fracasse le ciel couvert,
Вихри снежные крутя ;
Tourbillonne la neige en torsion ;

*

 ЖЕЛАНИЕ СЛАВЫ
Le Désir de Gloire
1825

Когда, любовию и негой упоенный,
Quand, enivré d’amour et de bonheur,
Безмолвно пред тобой коленопреклоненный,
À genoux devant toi, silencieux,

*

СОЖЖЕННОЕ ПИСЬМО
La Lettre brûlée
1825

Прощай, письмо любви! прощай: она велела.
Adieu, lettre d’amour ! adieu : elle le veut ainsi.
Как долго медлил я! как долго не хотела
J’ai tant attendu ! tout ce temps, ma main

*

В крови горит огонь желанья
Le Feu du désir

В крови горит огонь желанья,
Le feu du désir brûle mon sang consumé,
Душа тобой уязвлена,
Et laisse mon âme épuisée 

*

Я помню чудное мгновенье
LA VIE ET LES LARMES ET L’AMOUR
1825

Я помню чудное мгновенье:
Je me souviens de ce moment merveilleux :
Передо мной явилась ты,
Tu étais devant moi

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Aivazovsky_-_Portret_of_wife_Anna_Burnazyan-Sarkisova.jpg.*

poésie de Pouchkine

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1826
UN HOMME DANGEREUX
AUX POÈMES SÉDITIEUX

« Nous en trouvons l’explication dans une lettre que Joukowsky lui adressait, à Michailowskoïe, en 1826 : « Tu n’es mêlé à aucune affaire, cela est vrai, mais on a trouvé tes poèmes dans les papiers de tous ceux qui ont agi ; c’est un mauvais moyen de rester en bons termes avec le gouvernement. » Ainsi, pour ne jamais avoir déserté le terrain littéraire et s’être tenu à l’écart de la politique proprement dite, Pouchkine n’en était pas moins un homme dangereux. Il l’était peut-être plus que ceux que l’on avait emprisonnés et envoyés en Sibérie, car son influence était occulte, impalpable et fuyante. S’il n’existait aucune preuve tangible de sa culpabilité, son nom se rattachait cependant indiscutablement au parti libéral et, par-là même, au parti révolutionnaire. Ses poèmes séditieux, souvent mordants et satiriques, passaient sous forme de manuscrits de mains en mains, beaucoup d’inculpés politiques, parmi lesquels se comptaient les plus grands noms de la Russie, avouaient aux juges avoir été fortement influencés par les œuvres de Pouchkine. Nicolas Ier s’en souvint toute sa vie. Il ne cessa d’exercer une surveillance étroite sur le poète et sur ses œuvres. Trop intelligent pour ne point reconnaître la valeur réelle de Pouchkine, il y mit assez de formes pour ne point frapper le s poète, tout en se méfiant de l’homme. Il ne l’exila point comme avait fait son père ; au contraire, il exigea sa présence constante dans la capitale d’où Pouchkine ne put que rarement s’échapper. De cette manière, aucun de ses faits et gestes ne restait inconnu à la police. D’autre part, l’Empereur le délivra dès 1826 du joug officiel de la censure et se constitua son seul et unique censeur. Cette décision, qui avait les apparences d’une grâce » exceptionnelle, n’était, au fond, qu’un suprême moyen de contrôle. »
Le duel et la mort de Pouchkine
Hélène Iswolsky
Revue des Deux Mondes
Tome 56
1920

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8 septembre 1826
Pouchkine rentre d’exil par ordre de Nicolas Ier
Il sera reçu par Nicolas Ier.

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ПРОРОК
Le Prophète
1826

Духовной жаждою томим,
Tourmenté par la soif spirituelle,
В пустыне мрачной я влачился, —
Dans un sombre désert je me traînais-

Le Prophète Alexandre Pouchkine Peinture de Sokolov Traduction Artgitato

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LE PROPHÈTE
PAR
PROSPER MÉRIMÉE

« Je terminerai par une pièce d’un tout autre caractère qui, de même que l’Antchar, a eu le malheur d’être prise par la censure pour un dithyrambe révolutionnaire. Aujourd’hui l’une et l’autre sont imprimées dans toutes les éditions récentes de Pouchkine. Elle est intitulée le Prophète.  « Tourmenté d’une soif spirituelle, j’allais errant dans un sombre désert, et un séraphin à six ailes m’apparut à la croisée d’un sentier. De ses doigts légers comme un songe, il toucha mes prunelles ; mes prunelles s’ouvrirent voyantes comme celles d’un aiglon effarouché ; il toucha mes oreilles, elles se remplirent de bruits et de rumeurs, et je compris l’architecture des cieux et le vol des anges au-dessus des monts, et la voie des essaims d’animaux marins sous les ondes, et le travail souterrain de la plante qui germe. Et l’ange, se penchant vers ma bouche, m’arracha ma langue pécheresse, la diseuse de frivolités et de mensonges, et entre mes lèvres glacées sa main sanglante mit le dard du sage serpent. D’un glaive il fendit ma poitrine et en arracha mon cœur palpitant, et dans ma poitrine entrouverte il enfonça une braise ardente. Tel qu’un cadavre, j’étais gisant dans le désert, et la voix de Dieu m’appela : Lève-toi, prophète, vois, écoute, et parcourant et les mers et les terres, brûle par la Parole les cœurs des humains. »

Prosper Mérimée
Portraits historiques et littéraires
Michel Lévy frères
1874

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A MA NOURRICE
Няне 
1826

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Pouchkine en 1827
peinture d’Oreste Kiprensky
Орест Адамович Кипренский
Galerie Tretiakov
Государственная Третьяковская галерея
Moscou

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27 janvier 1827
Interrogatoire de Pouchkine
par le chef de la police de Moscou
pour son poème
« André Chénier ».

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В степи мирской
LES TROIS SOURCES
1827

В степи мирской, печальной и безбрежной,
Dans les steppes de ce monde banal, triste et sans bornes,
Таинственно пробились три ключа:
Mystérieusement trois sources ont apparu :

*

QUE DIEU VOUS AIDE
19 октября 1827

19 octobre 1827

Бог помочь вам, друзья мои,
Que Dieu vous aide, mes amis,
В заботах жизни, царской службы,
Dans les soucis de la vie,

19-octobre-1827-pouchkine-20-octobre-1827-bataille-de-navarin

*

Во глубине сибирских руд
BAGNARDS DE SIBÉRIE
1827

Во глубине сибирских руд
Dans les profondeurs des mines de Sibérie
Храните гордое терпенье,
Restez fier, soyez patient,

*

Aнчар
L’ANTCHAR
1828

В пустыне чахлой и скупой,
Dans le désert, désolé et aride,
На почве, зноем раскаленной,
Un terrain, une chaleur torride,

*

Друзьям
A MES AMIS
1828

Нет, я не льстец, когда царю
Non, je ne suis pas du tsar un adulateur
Хвалу свободную слагаю:
Quand je le loue librement,

*

Réponse à Pavel Katenine
Ответ Катенину
1828

Напрасно, пламенный поэт,
En vain, ô fougueux poète,
Свой чудный кубок мне подносишь
Tu m’apportes ta merveilleuse coupe

*************

1829
1er mai 1829  départ pour l’armée active dans le Caucase
Juin 1829 – Pouchkine à Tiflis – Tbilissi (actuellement capitale de la Géorgie)
27 juin 1829 – Pouchkine lors de la prise d’Erzurum.
En 1829, la ville d’Erzurum (aujourd’hui située en Turquie) tombe aux mains des russes qui l’abandonnèrent aussitôt.

*********

Я вас любил
Je vous aimais
1829

Я вас любил : любовь еще, быть может,
Je vous aimais : cet amour, peut-être,
В душе моей угасла не совсем;
Dans mon cœur, n’est pas tout à fait encore éteint ;

*




Дон
LE DON
1829

Блеща средь полей широких,
 Il s’étale sur les larges prairies,
Вон он льётся!.. Здравствуй, Дон!
Là, il coule ! .. Bonjour à toi, Don !

le-don-pouchkine-poeme-de-1829-artgitato-cosaques-du-don-timbre-russe-2010

*

Приметы
PRESAGES
1829

Я ехал к вам: живые сны
Je suis allé à vous : des rêves vifs
 
За мной вились толпой игривой,
 Espiègles, m’envahissaient,

*

Когда твои младые лета
1829
UN VÉRITABLE AMI

Когда твои младые лета
Lorsque tu es malade
Позорит шумная молва,
De la honteuse rumeur

*

ЭЛЕГИЯ 
ELEGIE
1830

Безумных лет угасшее веселье
Les joies passées de ma jeunesse débridée
Мне тяжело, как смутное похмелье.
Me sont aujourd’hui pénibles, telle une gueule de bois.

*




poésie de pouchkine

*

1830
SONNET
L’austère Dante ne méprisait pas le sonnet
Суровый Дант не презирал сонета

Суровый Дант не презирал сонета;
L’austère Dante ne méprisait pas le sonnet ;
 
В нем жар любви Петрарка изливал;
Pétrarque y versait ses éclairs d’amour ;

*

Что в имени тебе моём?
MON NOM
1830

Что в имени тебе моём?
Qu’est-ce que mon nom pour toi ?
Оно умрёт, как шум печальный
Ce nom va mourir, comme le triste bruit

*

 Поэту
AU POETE
1830

Поэт! не дорожи любовию народной.
Poète ! Détache-toi de l’amour d’autrui
Восторженных похвал пройдет минутный шум;
Les louanges ne sont qu’un bruit que la minute efface

*

1830
карантин
Quarantaine
La Russie subit une épidémie de choléra pendant l’automne 1830
(3 mois d’isolement pour Pouchkine du 3 septembre 1830 et le 5 décembre 1830 à Boldino)
Il arrive dans sa propriété pour organiser les affaires immobilières, puis il reste par obligation de quarantaine imposée par les autorités.
Cette période correspond à ce que l’on a appelé l’Automne de Boldino, une propriété familiale, (Бо́лдинская о́сень).
Cette période fut très intense pour le poète. Il y terminera Eugène Onéguine.
Boldino se trouve à environ 600 kilomètres à l’est de Moscou, aujourd’hui dans l’oblast de Nijni Novgorod (Нижний Новгород).
Il écrira notamment le poème ci-dessous Румяный критик мой, librement renommé ici LA QUARANTAINE AU TEMPS DU CHOLÉRA.

*

 Румяный критик мой
LA QUARANTAINE AU TEMPS DU CHOLÉRA
1830

Румяный критик мой, насмешник толстопузый,
Mon critique aux joues vermeilles, moqueur au ventre repu,
Готовый век трунить над нашей томной музой,
Toujours prêt à taquiner notre muse langoureuse,

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Choléra.jpg.
Illustration « Le Petit Journal »
 supplément illustré du 1er décembre 1912.
Le choléra en Russie

*

Бесы
DÉMONS
1830

Мчатся тучи, вьются тучи;
Les nuages se précipitent, les nuages planent ;
Невидимкою луна
Sous l’invisible lune

*

ДОМИК В КОЛОМНЕ
La Petite Maison de Kolomna
1830

I L’OCTAVE & L’OCTOSYLLABE II LA RIME VERBALE III LES SYLLABES SOLDATES IV Syllabes féminines et masculines V TAMERLAN & NAPOLÉON

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LA PETITE MAISON DE KOLOMNA
(La Petite Maison dans la Kolomna)
Par Prosper Mérimée

« La Petite Maison dans la Kolomna et le Comte Nouline sont deux charmants petits tableaux du même genre, non moins gracieux que leur devancier. Sauf la forme des vers et le ton général de la composition, Pouchkine n’a rien dérobé à lord Byron. Ses caractères sont bien russes et pris sur la nature. La Petite Maison dans la Kolomna chante les tribulations d’une bonne veuve, mère d’une jolie fille, en quête d’une servante à tout faire. Il s’en présente une, grande, robuste, un peu gauche et maladroite, mais qui prend les gages qu’on lui offre. La fille de la maison est d’ailleurs fort empressée à la mettre au fait et l’aide de son mieux. Un jour, la veuve est prise, pendant la messe, d’un pressentiment que sa bonne fait quelque sottise dans le ménage : elle rentre en hâte, et la trouve devant un miroir en train de se raser. »

Prosper Mérimée
Portraits historiques et littéraires
Michel Lévy frères, 1874

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18 février 1831
mariage avec Natalia Gontcharova
Natalia Nikolaïevna Gontcharova
Наталья Николаевна Гончарова
( – )


Natalia Gontcharova par Alexandre Brioullov
Алекса́ндр Па́влович Брюлло́в
En 1831

Le 25 mai 1831, ils déménagement à Tsarskoïe Selo.
En octobre 1831, ils s’installent à Saint-Pétersbourg

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LE MARIAGE DE POUCHKINE
AVEC NATALIA

…Telle était la situation de Pouchkine à l’époque de son mariage, qui fut célébré à Moscou le 18 février 1831. Il avait trente-deux ans. Sa fiancée, Nathalie Nicolaievna Goncharowa, en avait dix-huit. Très épris de cette belle et jeune personne, Pouchkine ne restait pas moins sceptique au sujet de son bonheur. Ses fiançailles furent longues et pénibles et la famille Goncharoff ne témoignait que peu d’empressement pour le projet de cette union. Mme Goncharowa, mère, occupée surtout de la dot de sa fille, cherchait sans cesse querelle à son futur gendre. Quant à la jeune fille, elle se montrait aussi passive, aussi indifférente que Pouchkine était ardent et impatient.
« Quel cœur doit-elle donc avoir ? s’écriait Pouchkine ; il est armé d’une écorce plus dure que celle du chêne. » Jamais, dès ses premières rencontres avec Nathalie, Pouchkine ne se sentit aimé ou même apprécié par cette énigmatique et froide fiancée qui, en réponse à ses plus tendres épîtres, lui écrivait des lettres « grandes comme une carte de visite
Le duel et la mort de Pouchkine
Hélène Iswolsky
Revue des Deux Mondes
Tome 56
1920

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Эхо
L’ECHO
1831

Ревёт ли зверь в лесу глухом,
Que ce soit à travers le rugissement de la forêt,
Трубит ли рог, гремит ли гром,
Du son du cor ou du tonnerre,
lecho-pouchkine-artgitato-arkhip-kouindji-clair-de-lune-dans-une-foret-en-hiver

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Красавица
Une Beauté
1832
Елены Завадовской – Elena Zavadovskaya

Всё в ней гармония, всё диво,
Tout en elle est harmonie, tout est miracle,
Всё выше мира и страстей;
Au-dessus de toutes les passions, elle trône ;poeme-de-pouchkine-1832-elena-mikhailovna-zavadovskaya

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poésie de Pouchkine

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LE CAVALIER DE BRONZE
МЕДНЫЙ ВСАДНИК
1833

Vas.Surikov. Bronze Horseman on the Senate Square. Rusian Museum

ПРЕДИСЛОВИЕ
L’avant propos

Происшествие, описанное в сей повести, основано на истине.
L’incident décrit dans cette histoire est basé sur des faits réels.

ВСТУПЛЕНИЕ
PROLOGUE

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Стою печален на кладбище
AU CIMETIERE
1834

Стою печален на кладбище.
Debout, je suis triste, là dans le cimetière.
Гляжу кругом — обнажено
Je regarde tout autour de moi – nue

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Пора, мой друг, пора! покоя сердце просит
IL EST TEMPS, MON AMIE, IL EST TEMPS !
1834

Пора, мой друг, пора! покоя сердце просит —
Il est temps, mon amie, il est temps ! Le cœur désire la paix-
Летят за днями дни, и каждый час уносит
Les jours s’envolent et chaque heure prend

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Пред мощной властью красоты
Par la forte puissance de la beauté
1835

Я думал, сердце позабыло
Je pensais :  mon cœur a oublié
Способность лёгкую страдать,
La facile capacité de souffrir,

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Пир Петра Первого
Fête de Pierre Premier
1835

Над Невою резво вьются
Au-dessus de la Néva espiègle, se tordent
 Флаги пёстрые судов;
Les drapeaux de navires bariolés ;

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1835
ПЕСНИ ЗАПАДНЫХ СЛАВЯН
LES CHANSONS DES SLAVES DE L’OUEST

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17 poèmes

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7
Похоронная песня Иакинфа Маглановича

CHANT DE MORT

С Богом, в дальнюю дорогу!
Que Dieu t’accompagne dans ce voyage !
А Путь найдешь ты, слава Богу.
Et que tu trouves ta voie, par la grâce de Dieu

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10
СОЛОВЕЙ
LE ROSSIGNOL

Соловей мой, соловейко,
Mon rossignol, mon petit rossignol
Птица малая лесная!
Petit oiseau forestier !

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13
Вурдалак

LE MORT-VIVANT

Трусоват был Ваня бедный:
Vanya était un pauvre lâche:
Раз он позднею порой,
Une nuit, très tard,

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16
КОНЬ
LE CHEVAL

«Что ты ржешь, мой конь ретивый,
«Pourquoi hennis-tu, mon beau cheval zélé ?
Что ты шею опустил,
Pourquoi baisses-tu ainsi ton encolure ?

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29 mars 1836
décès de la mère de Pouchkine, Nadejda Pouchkina
Надежда Осиповна Пушкина
( — 

Deuil éprouvant pour Pouchkine qui venait juste de se réconcilier avec sa mère.

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1836

 Денис Васильевич Давыдов
A DENIS DAVYDOV

  Тебе, певцу, тебе, герою!
Toi, le chanteur, toi, le héros!
Не удалось мне за тобою
Je n’aurais pas pu te suivre

a-denis-davydov-poesie-de-pouchkine-artgitato

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Georges-Charles de Heeckeren d’Anthès
Beau-frère de Pouchkine
(mariage le 10 janvier 1837 avec la sœur de Natalia, Ekaterina Nikolaïevna Gontcharova  Екатерина Николаевна Гончарова (1809 -1843)


Duel le 8 février 1837
Mort le 10 février 1837 à 37 ans

Le duel Pouchkine – d’Anthès
le 8 février au soir
par Alexey Avvakumovich Naumov

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LE DUEL ET LA MORT DE POUCHKINE
par
Hélène Iswolsky

Mais il y eut aussi un autre Pouchkine, celui des dernières années, un Pouchkine sombre et triste, déchiré par la vie. Bien avant de recevoir la blessure qui devait l’emporter, il avait été meurtri, frappé mortellement au point le plus sensible de sa libre conscience de poète ; le drame intime de Pouchkine, et c’est ici qu’il s’éloigne de Lensky, ne fut pas essentiellement un drame d’amour ; le mal était plus grave et plus cruel et se rattachait à toutes les fibres de son âme. Son génie, sa fière indépendance, étaient touchés autant et plus peut-être que son cœur. Cette histoire complexe et douloureuse des dernières années du grand poète ne fut jamais complètement déchiffrée ; ses biographes récents s’y sont attachés avec un intérêt croissant. M. Stchegoleff, qui a consacré à Pouchkine plusieurs volumes d’une grande probité historique et de la plus haute valeur, a étudié minutieusement les faits et les documents se rattachant à cette époque. Il a eu, notamment, le privilège de puiser dans les archives d’un Français, le très distingué conservateur du Musée des Arts décoratifs de Paris ; M. Louis Metmann est en effet l’arrière-petit-fils du gentilhomme alsacien, le baron Georges d’Anthès Heckeren, dont la main porta le coup meurtrier à Alexandre Pouchkine….
Le duel et la mort de Pouchkine
Hélène Iswolsky
Revue des Deux Mondes
Tome 56
1920

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Natalia Gontcharova par Ivan Makarov
Ива́н Кузьми́ч Мака́ров
en 1849

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Georges de Heeckeren d’Anthès
Vers 1878
Peint par Carolus-Duran
D’Anthès prit le nom de Georges-Charles de Heeckeren, après accord du roi des Pays-Bas par lettre du 

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Depuis le 6 février 1837
La tombe de Pouchkine se trouve dans le Monastère Sviatogorski ou
Monastère Sviatogorski de la Dormition de la Vierge Marie
Святогорский Свято-Успенский монастырь
Oblast de Pskov – Пско́вская о́бласть
(Proche de la Lettonie, de l’Estonie et de la Biélorussie.)
Le monastère a été fondé en 1569, sous ordre d’Ivan le Terrible.
 

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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VILLA BORGHESE – ROME
Вилла Боргезе в Риме
Monumento a Alexander Pushkin
MONUMENT A ALEXANDRE POUCHKINE
Памятник А.С.Пушкину

Monumento a Alexander Pushkin - MONUMENT A ALEXANDRE POUCHKINE-artgitato Villa borghese Rome Roma 2

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PUSHKIN POEMS
LA POESIE DE POUCHKINE

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POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS (I)
par Charles de Saint-Julien

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poésie de pouchkine

POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS (II)

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poésie de pouchkine

POUCHKINE ET LE MOUVEMENT LITTERAIRE EN RUSSIE DEPUIS QUARANTE ANS (III)

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LA POESIE DE POUCHKINE

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LES JUGEMENTS DE Tolstoï
SUR LES POEMES DE POUCHKINE

Ayons donc pleine confiance dans le jugement du comte Tolstoï sur les poèmes de Pouchkine, son compatriote ! Croyons-le, encore, quand il nous parle d’écrivains allemands, anglais, et scandinaves : il a les mêmes droits que nous à se tromper sur eux. Mais ne nous trompons pas avec lui sur des œuvres françaises dont le vrai sens, forcément, lui échappe, comme il échappera toujours à quiconque n’a pas, dès l’enfance, l’habitude de penser et de sentir en français ! Je ne connais rien de plus ridicule que l’admiration des jeunes esthètes anglais ou allemands pour tel poète français. Verlaine, par exemple, ou Villiers de l’Isle-Adam. Ces poètes ne peuvent être compris qu’en France, et ceux qui les admirent à l’étranger les admirent sans pouvoir les comprendre. Mais il ne résulte pas de là, comme le croit le comte Tolstoï, qu’ils soient absolument incompréhensibles. Ils ne le sont que pour lui, comme pour nous Lermontof et Pouchkine. Ce sont des artistes : la valeur artistique de leurs œuvres résulte de l’harmonie de la forme et du fond : et si lettré que soit un lecteur russe, si parfaite que soit sa connaissance de la langue française, la forme de cette langue lui échappe toujours.

Léon Tolstoï
Qu’est-ce que l’art ?
Traduction par T. de Wyzewa.
 Perrin, 1918
pp. i-XII

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poésie de Pouchkine

Monumento a José María de Pereda – Lorenzo Coullaut Valera

Monumento a José María de Pereda
Lorenzo Coullaut Valera
Espagne – España – 西班牙 -Испания – スペイン
communauté autonome de Cantabrie
Cantabria

SANTANDER
桑坦德
サンタンデル
Сантандер

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Photos Jacky Lavauzelle

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SANTANDER
Paseo y jardines de Pereda
Paseo y jardines de Pereda
Monumento a José María de Pereda
Realizada por Lorenzo Coullaut Valera

Monumento a José María de Pereda
José María de Pereda y Sánchez Porrúa
6 février 1833 Polanco, Cantabrie -1er mars 1906 Santander
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Monumento a José María de Pereda

Autor costumbrista, critico y desmitificador de la vida campesina y marinera de la región
Critique des vies campagnardes et maritimes de la région
En la parte baja, y rodeando la roca, se recogen cinco altorelieves en bronce inspirados es sus novelas mas destacadas :
Sur la partie basse  et la roche environnante, cinq haut-relief en bronze inspirés de ses romans les plus remarquables:
Sotileza (vida y costumbres de los pescadores)
La Leva (las penalidades del reclutamiento forzoso)
El sabor de la tierruca (deliciosamente costumbrista)
La Puchera (las duras condiciones en el medio rural)
Peñas Arriba (obra cumbre donde el verdadero protagonista es el abrupto paisage de « La Montana »

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Sólo las mujeres saben amar.
Seules les femmes savent aimer.
La gramática del amor
La grammaire de l’amour

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José María de Pereda
Œuvre
Obra

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El amor florece en todas las estaciones, en los más diversos climas y en casi todos los corazones.
L’amour fleurit en toutes saisons, dans divers climats et dans presque tous les cœurs.

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Lorenzo Coullaut Valera
Sculpeur espagnol
Escultor español
Marchena 1876 – Madrid 1932
:
Monumento a Miguel de Cervantes
(plaza de España Madrid)

 

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GOOD AND EVIL KHALIL GIBRAN LE BIEN ET LE MAL -THE PROPHET XXII

Good and Evil Khalil Gibran The Prophet
Sur Le Bien & Le Mal

The Prophet XXII
GOOD AND EVIL KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898



جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

Traduction Jacky Lavauzelle

 

THE PROPHET XXII
 GOOD and EVIL
Le Bien & Le Mal
1923


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Le Bien et le Mal good-and-evil-khalil-gibran-artgitato-le-bien-et-le-mal-victor-orselVictor Orsel 1832
Musée des beaux-arts de Lyon

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And one of the elders of the city said, « Speak to us of Good and Evil. »
Et l’un des anciens de la ville demanda : «Parle-nous du Bien et du Mal. »

And he answered:
Et il répondit :

Of the good in you I can speak, but not of the evil.
Du bien en vous je peux parler, mais pas du mal.

For what is evil but good tortured by its own hunger and thirst?
Car qu’est-ce que le mal, si ce n’est le bien torturé par sa faim et sa soif ?

Verily when good is hungry it seeks food even in dark caves, and when it thirsts, it drinks even of dead waters.
En vérité, quand le bien a faim, il cherche de la nourriture jusque dans les cavernes sombres, et quand il a soif, il boit même des eaux mortes.

You are good when you are one with yourself.
Vous êtes bon quand vous ne faites qu’un avec vous-même.

Yet when you are not one with yourself you are not evil.
Pourtant, quand vous n’êtes pas uni avec vous-même, vous n’êtes pas mauvais.

For a divided house is not a den of thieves; it is only a divided house.
Car une maison divisée n’est pas un repaire de voleurs ; ce n’est qu’une maison divisée.

And a ship without rudder may wander aimlessly among perilous isles yet sink not to the bottom.
Et un navire sans gouvernail peut errer sans but entre les îles périlleuses, mais pas pour autant couler au fond.

You are good when you strive to give of yourself.
Vous êtes bon quand vous vous efforcez de donner de vous-même.

Yet you are not evil when you seek gain for yourself.
Pourtant vous n’êtes pas mauvais quand vous cherchez le gain pour vous-même.

For when you strive for gain you are but a root that clings to the earth and sucks at her breast.
Car quand vous rechercher le gain, vous n’êtes qu’une racine qui s’accroche à la terre et suce son sein.

Surely the fruit cannot say to the root, « Be like me, ripe and full and ever giving of your abundance. »
Certes, le fruit ne peut pas dire à la racine : « Soi comme moi, mûr et plein et toujours donnant par son abondance. »

For to the fruit giving is a need, as receiving is a need to the root.
Car le don pour le fruit est une nécessité, comme recevoir est une nécessité pour la racine.

You are good when you are fully awake in your speech,
Vous êtes bon quand vous êtes complètement éveillé dans votre parole,

Yet you are not evil when you sleep while your tongue staggers without purpose.
Pourtant vous n’êtes pas mauvais quand vous dormez alors que votre langue s’agite sans but.

And even stumbling speech may strengthen a weak tongue.
Et même une parole hésitante peut renforcer une langue faible.

You are good when you walk to your goal firmly and with bold steps.
Vous êtes bon quand vous marchez vers votre but fermement et avec des pas audacieux.

Yet you are not evil when you go thither limping.
Pourtant vous n’êtes pas mauvais quand vous marchez boitant.

Even those who limp go not backward.
Même ceux qui boitent ne vont pas à reculons.

But you who are strong and swift, see that you do not limp before the lame, deeming it kindness.
Mais vous qui êtes fort et rapide, ne boitez pas devant les boiteux, par bonté.

You are good in countless ways, and you are not evil when you are not good,
Vous êtes bon d’innombrables manières, et vous n’êtes pas mauvais quand vous n’êtes pas bon,

You are only loitering and sluggard.
Vous ne faites que flâner et paresser.

Pity that the stags cannot teach swiftness to the turtles.
Dommage que les cerfs ne puissent pas enseigner la rapidité aux tortues.

In your longing for your giant self lies your goodness: and that longing is in all of you.
Dans votre désir de votre moi-géant se trouve votre bonté : et ce désir est en vous tous.

But in some of you that longing is a torrent rushing with might to the sea, carrying the secrets of the hillsides and the songs of the forest.
Mais en certains d’entre vous ce désir est un torrent qui se précipite avec force vers la mer, portant les secrets des coteaux et les chants de la forêt.

And in others it is a flat stream that loses itself in angles and bends and lingers before it reaches the shore.
Et en d’autres, c’est un torrent plat qui se perd en méandres et se courbe et s’attarde avant d’atteindre le rivage.

But let not him who longs much say to him who longs little, « Wherefore are you slow and halting? »
Mais ne laissez pas celui qui a beaucoup d’aspiration dire à celui qui en a moins : « Pourquoi es-tu lent et hésitant ? »

For the truly good ask not the naked, « Where is your garment? » nor the houseless, « What has befallen your house? »
Car les vrais bons ne demandent pas à ceux qui sont nus : « Où est ton vêtement ? » Ni aux sans-abris: «Qu’est-ce qui est arrivée à ta maison? »

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GOOD AND EVIL
LE BIEN ET LE MAL

Œuvre de BARBEY D’AUREVILLY

Littérature Française

 

BARBEY D’AUREVILLY
1808 – 1889
barbey-daurevilly-oeuvre-artgitato




 

Œuvre de Barbey d’Aurevilly

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Amaïdée
Poème en Prose
1889
Préface de Paul Bourget

UN soir, le poète Somegod était assis à sa porte sur la pierre qu’il avait roulée près du seuil. Le soleil, comme un guerrier antique dont on verrait briller l’armure d’or à travers sa tente, le soleil lançait plus d’un oblique rayon de son pavillon de carmin, avant de se coucher dans l’Océan semé d’îles, ce magnifique lit de repos que Dieu fit pour lui d’un élément, et étendit au bout du ciel comme une gigantesque peau de tigre à l’usage de ses flancs lassés.

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1833
Fragment

DANS une petite ville de province, par une après-midi de décembre, deux jeunes filles venaient de s’habiller pour le bal. C’étaient deux amies de pension, — deux contrastes ou deux harmonies

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L’Amour Impossible
1841

Un soir, la marquise de Gesvres sortit des Italiens, où elle n’avait fait qu’apparaître, et, contre ses habitudes tardives, rentra presque aussitôt chez elle.

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Léa
1832

UN cabriolet roulait sur la route de Neuilly. Deux jeunes hommes, en habit de voyage, en occupaient le fond, et semblaient s’abandonner au nonchaloir, d’une de ces conversations molles et mille fois brisées, imprégnées du charme de l’habitude et de l’intimité.

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LE CACHET D’ONYX
1830

OTHELLO vous paraît donc bien horrible, douce Maria ? Hier votre front si blanc, si limpide, se crispait rien qu’à le voir, ce diable noir, comme l’appelle Émilia.

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LES DIABOLIQUES
1874
Le Rideau cramoisi
Le Plus Bel Amour de Don Juan (1867)
Le Bonheur dans le crime (1871)
Le Dessous de cartes d’une partie de whist (1850)
À un dîner d’athées
La Vengeance d’une femme

les-diaboliques-barbey-daurevilly

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UNE PAGE D’HISTOIRE
1882

De toutes les impressions que je vais chercher, tous les ans, dans ma terre natale de Normandie, je n’en ai trouvé qu’une seule, cette année, qui, par sa profondeur, pût s’ajouter à des souvenirs personnels dont j’aurai dit la force — peut-être insensée — quand j’aurai écrit qu’ils ont réellement force de spectres.




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Œuvre de Barbey d’Aurevilly

barbey-daurevilly-par-martinez

LA VIE DE LUIS DE CAMOES par CHARLES MAGNIN en 1832

LA VIE DE LUIS DE CAMOES PAR CHARLES MAGNIN
LITTERATURE PORTUGAISE

Luis de Camoes Oeuvres obras Artgitato

literatura português
Luis de Camões
[1525-1580]

Luis de Camoes Les Lusiades
 
LA VIE DE LUIS DE CAMOES
Charles Magnin
la Revue des Deux Mondes
LA VIE DE LUIS DE CAMOES
LUIZ DE CAMOENS
par Charles Magnin
Revue des Deux Mondes
1832
Agora toma a espada, agora a penna.
CAMOENS
sonnet 192

La Vie de Luis de Camoes par CHARLES MAGNIN Artgitato1832
Photo
Jacky Lavauzelle – Cascais – Portugal

 On s’est proposé deux objets en composant cette notice. Le premier est purement biographique. Quoique la vie de Camoens ait été plusieurs fois écrite, elle ne l’a pas encore été d’une manière complètement satisfaisante. Dom José Maria de Souza Botelho et John Adamson ont publié, il y a douze ou quinze ans, l’un en portugais, l’autre en anglais, deux bons ouvrages sur ce grand poète ; mais, depuis cette époque, de nouvelles recherches ont été tentées. Il a paru notamment, dans le recueil de l’académie royale des sciences de Lisbonne, un savant mémoire de M. Fr. Alex. Lobo, qui, bien que composé dans un système évident de malveillance et de réaction contre Camoens, contient néanmoins des aperçus ingénieux, des documents neufs et un certain nombre de faits inédits. On a donc pensé qu’il y avait lieu d’écrire une nouvelle notice sur Camoens, en profitant des travaux récents, en recourant diligemment aux sources anciennes et surtout en interrogeant les œuvres du poète.
Outre ce but de curiosité érudite, on en a eu un autre de pure fantaisie. On a désiré montrer ce qu’était la vie d’un homme de lettres en Portugal pendant le beau siècle de ce royaume.
Rien ne diffère plus d’un siècle à l’autre et de peuple à peuple, que ce qu’on appelle la vie d’homme de lettres. Aujourd’hui, en France, un homme de lettres est un homme de plaisirs ou d’affaires, qui, s’il n’a pas d’ambition, cherche à devenir chef de division dans un ministère, ou directeur de l’imprimerie royale. Le titre d’homme de lettres est un écriteau de disponibilité administrative. Dans le dix-huitième siècle, la vie des gens de lettres était une vie à-la-fois laborieuse et sensuelle: tout son mouvement se passait entre l’académie, l’opéra, les salons ou le café Procope. Dans le siècle précédent, c’était quelque chose de plus à part, de plus rangé, de plus frugal, et qui avait reçu de Port-Royal quelques-unes des habitudes du cloître. Si nous remontons au-delà, l’aspect est encore plus sévère ; l’homme de lettres est un être nécessairement vieux, podagre, portant manteau, calotte et besicles, et toujours cloué dans un grand fauteuil noir.
Un fauteuil, en effet, c’est bien là ce qui s’associe le mieux dans notre esprit à l’idée d’homme de lettres : un fauteuil d’études un fauteuil d’académie, un fauteuil de chef de division. Ce mot dit tout: repos, veilles, vie courbée et inactive, résidence à Paris, que sais-je ? lésion ou suspension des facultés locomotives. Le peuple qui, chez nous, joint toujours l’image à l’idée, a traduit celle-ci par culs de plomb.
Cette définition populaire, généralement assez exacte en France, serait une étrange contre-vérité, si on l’appliquait toujours et partout. Il s’est rencontré en Europe une petite nation chez qui l’idée d’homme de lettres a répondu longtemps à celle de voyages, de guerres, de captivités chez les Maures, de naufrages au Brésil, d’exils aux Moluques. Il n’y eut pas chez elle durant cette période, un poète qui n’eût fait ses mille ou deux mille lieues en mer, combattu en Afrique, en Amérique ou dans l’Inde. Cette nation eut une littérature et pas de littérateurs ; elle eut de beaux ouvrages et pas d’hommes de lettres, de Grands poètes et rien qui ressemblât à une classe à part, sédentaire inactive, payée et patentée pour écrire.
Et cela n’était ainsi ni par choix, ni par système : cela était par nécessité. On n’avait pas alors en Portugal le temps de ne faire qu’une chose, de se renfermer dans une seule besogne. L’état était emporté au-dehors par un mouvement si précipité il était entraîné dans un courant de conquêtes et de grandeur si rapide, que, comme sur le pont d’un vaisseau qui force ses voiles, tous les bras étaient nécessaires à la manœuvre.
Pour nous, grandes nations continentales, sans colonies, sans goût pour la mer, sans amour des contrées lointaines, peuple depuis longtemps assis, puissant par le sol, par la population, par l’industrie, qui vivons clos, chez nous ou dans le voisinage, devers le Rhin ou les Alpes, nous pouvons à peine comprendre ce qu’il a fallu d’efforts, de contention, d’activité, de sacrifices, de dépenses de forces individuelles, pour qu’à un moment donné, un petit peuple de hardis marins, comme celui de Portugal, ait pu fonder des capitales à deux mille lieues de ses foyers, et conserver, pendant près d’un siècle, un empire qui fut un moment plus vaste que l’empire romain. La gloire de ce petit coin de terre, prédestiné par sa position géographique à la découverte de l’Océan et des mers de l’Inde, est de n’avoir pas failli à sa mission ; d’avoir, avec d’aussi faibles ressources que les siennes, changé les voies du commerce, reculé les bornes de la civilisation, projeté l’Europe dans l’Amérique et dans l’Inde : météore de puissance et de gloire aussi merveilleux, aussi brillant, aussi passager que celui qui a tant illustré la Grèce.
Et puis, pour qu’un royaume ait des gens de lettres, il lui faut de l’argent pour les pensionner. Le Portugal, qui épuisait son épargne en flottes, en armées, en constructions de citadelles, ne pouvait avoir dans son budget un chapitre d’encouragements aux lettres et aux arts. Bientôt même l’état ruiné par ses conquêtes, obéré par la victoire, n’eut plus de quoi suffire aux besoins de ses armées : il finit par ne pouvoir plus nourrir ceux qui l’avaient servi. Camoens mourut à l’hôpital, ou à-peu-près ; mais ce ne fut pas comme poète ; ce ne fut pas comme Gilbert et Maifilâtre à côté d’autres écrivains largement rentes: ce fut comme un vétéran dont la solde manque, ou dont la pension de retraite est suspendue.il mourut comme beaucoup de ses compagnons d’armes, comme mouraient les vice-rois eux-mêmes, qui n’avaient pas toujours (témoin dom Joâo de Castro) de quoi acheter une poule dans leur dernière maladie.
Je ne prétends pas que cette vie de privations, de voyages, de périls, soit précisément le régime le plus favorable à la culture poétique de l’esprit et à la production du beau ; je repousse, avec M. de Chateaubriand, le sophisme cruel qui fait du malheur une des conditions du génie ; je n’établis qu’un fait. Le Portugal au milieu de cette tourmente de gloire eut une littérature ; depuis lors il n’en a plus eu, ni n’en aura.
En cherchant à montrer la différence qui sépare la vie aventureuse et active des écrivains portugais, notamment celle de Camoens, de la vie casanière et posée de la plupart de nos gens de lettres, je ne prétends pas élever par-là les œuvres des uns, ni déprimer les productions des autres. Je n’en crois pas les élégies de Camoens plus touchantes parce qu’elles sont datées d’Afrique, de la Chine et de l’Inde ; je n’en estime pas Polyeucte et Cinna moins admirables, parce que le grand Corneille n’a guère fait de plus longues pérégrinations que le voyage de Paris à Rouen. Je ne conseille à personne de louer un cabinet d’étude à Macao ; mais je crois que, généralement, si les ouvrages écrits au milieu des traverses et au feu des périls ne sont pas plus beaux, les vies de leurs auteurs sont plus belles. Indépendamment de la variété des aventures, on y trouve plus d’enseignements. J’admire et j’honore infiniment La Fontaine et Molière, mais j’honore et j’admire encore plus, comme hommes, Cervantès et Camoens. A mérite de rédaction égal, une histoire littéraire du Portugal serait un meilleur et plus beau livre qu’une histoire littéraire de notre dix-septième ou dix-huitième siècle. C’est une chose bonne et sainte que la lecture de ces vies d’épreuves, que ces passions douloureuses des hommes de génie, Je ne sache rien de plus capable de retremper le cœur. C’est pour cela que dans ce temps de souffrances oisives, de désappointements frivoles, de molles contrariétés et de petites douleurs, j’ai cru bon d’écrire l’étude suivante sur la vie de Luiz de Camoens.
Si nous remontons aux temps héroïques et fabuleux de la famille de Camoens, nous trouvons ses ancêtres établis en Galice, où ils possédaient dix-sept paroisses. On fait dériver leur nom patronymique d’un château situé près du cap Finistère, et appelé Caamaños, Camôes ou Cadmon ; château si ancien, qu’il est mentionné dans la chronique de Saint-Maxime. D’autres préfèrent une étymologie plus merveilleuse : ils disent que les Camoens tirent leur nom d’un oiseau nommé Camâo, qui mourait, comme le Porphyrio des anciens, aussitôt qu’il se commettait dans le logis de ses maîtres la plus légère infraction à la fidélité conjugale. Pendant plusieurs siècles, toute maison bien réglée dans la Péninsule eut son Camâo: mais enfin, là comme ailleurs, l’espèce s’en est peu à peu éteinte. Une dame de la maison de Cadmon, en butte aux mauvais propos, en appela à ce singulier juge. L’honneur de la dame fut rétabli : et, par reconnaissance, le mari voulut garder le nom de Camâo. Il y a des redondilhas de Camoens sur cette merveille.
Une querelle qui s’éleva entre les Camoens et les Castera, et qui coûta la vie à un de ceux-ci, contraignit Vasco Pires, trisaïeul de Camoens, d’abandonner la Galice en 1370, et de se retirer en Portugal. Le roi dom Fernando le combla de terres et d’honneurs ; mais, après la mort de ce prince, ayant suivi le parti de la reine doña Léonor, il combattit sous le drapeau de Castille à Aljubarrota, fut fait prisonnier et perdit presque tous ses biens, sauf celui d’Evora, que ses descendants ont érigé depuis en un fief appelé par le peuple Camoeyra.
Sarmiento a découvert que Vasco Pires fut un des poètes les plus renommés de son temps. La famille du marquis de Santillana conservait des vers de lui dans un ancien cancionero dont nous avons encore la table, mais dont le texte ne nous est pas parvenu.
C’est de João Vaz, second fils de Vasco Pires, que descend notre Camoens. Ce João porta le titre, alors très illustre, de vassal de dom Afonso V. Il servit ce prince en Afrique et en Castille. Il a un magnifique mausolée dans le cloître de la cathédrale de Coïmbre ; mais dès longtemps avant 1624, le cintre de cette chapelle était muré, dit Severim, parce qu’il n’y avait plus personne pour en prendre soin.
On ne sait rien d’Antonio Vaz, son fils, si ce n’est qu’il épousa Guiomar da Gama. Il eut pour fils Simâo Vaz, qui épousa Anna de Sà e Macedo, de Santarem, et fut le père du prince des poètes de son temps ; Lisbonne, Coïmbre et Santarem se sont disputé l’honneur de l’avoir vu naître. Les plus fortes présomptions sont pour Lisbonne. Deux des contemporains de Camoens, Pedro de Mariz et Correa, nous apprennent que son père était né dans cette ville, et nous savons qu’il l’habitait encore en 1550. Si nous cherchons des preuves dans les vers du poète, nous trouvons qu’il appelle à tout instant le Tage, meu Tejo ; et ses Nymphes, Nymphas ininhas, expressions caressantes et filiales qu’il n’a jamais employées pour d’autres fleuves, même pour le Mondego. Enfin, quand on l’exila à Santarem, il se compara dans sa troisième élégie, O Sulmonense Ovidio desterrado, à Ovide exilé de sa patrie. Il ne semble pas qu’il pût reconnaître plus formellement Lisbonne pour sa ville natale.
Il ne s’est pas élevé moins de controverses sur l’année de sa naissance. Severim, son plus ancien biographe après Pedro de Mariz,le fait naître en 1517,et Faria e Sousa (dans sa seconde vie) en 1524. La preuve apportée par Faria e Sousa est un extrait des registres de la maison des Indes de Lisbonne, pour l’année 1550, ainsi conçu :
«Luiz de Camoens, fils de Simâo Vaz et de Anna de Sà, demeurant à Lisbonne, en la Mouraria (quartier des Maures), écuyer, âgé de vingt-cinq ans, de barbe rousse, a donné son père pour répondant. Il y a dans le vaisseau le Sào Pedro dos Burgalezes, sur lequel le vice-roi dom Afonso de Noronha passe aux Indes, »
Si, comme le dit cet acte, Camoens était âgé de vingt-cinq ans en 1550, il est né en 1525 ou 1524.
Cependant comme, malgré cette preuve, qui semble péremptoire, l’opinion de Severim a été suivie dans ces derniers temps par plusieurs personnes, et notamment par madame de Staël dans la Biographie universelle, il faut examiner sur quel fondement elle repose. Severim ne cite d’autre autorité que celle de Correa, qui fut l’ami et comme le Brossette de Camoens. Or, Correa, au lieu indiqué, ne parle ni de l’année 1517, ni d’aucune autre date. Loin de là, en y regardant de plus près, on trouve dans Correa l’opinion adverse. Il note sur la stance 9 du ch. X, que Camoens avait quarante ans et plus quand il l’écrivit, et plus loin (stance 119) que le chant fut composé en 1570. Or, si Camoens était né en 1517, il aurait eu non pas quarante ans, mais cinquante ans et plus en 1570. Enfin, pour conclure, Severim lui-même ne persévère pas dans son avis. Il fait mourir Camoens à l’âge de cinquante-cinq ans, ce qui revient à le faire naître en 1524.
Si l’on en croyait une tradition accréditée par Pedro de Mariz, les malheurs de Camoens auraient commencé presque avec sa vie. L’année même de sa naissance, son père Simâo Vaz, capitaine de vaisseau, allant aux Indes, aurait échoué sur des bas-fonds en vue de Goa, et, ayant gagné la terre, serait mort quelque temps après dans cette ville. Ce fait est formellement démenti par l’extrait des registres de la maison des Indes, que nous avons cité plus haut, et dans lequel on voit Simâo Vaz figurer comme répondant de son fils en 1550. Toutefois, comme il arrive rarement à une tradition d’avoir tout-à-fait tort, je pense qu’il faut conserver de celle-ci le plus possible. J’estime donc que ce fut l’aïeul de Camoens, Antonio Vaz, probablement de même profession que son fils, qui a été le héros de cette tragique aventure. Peut-être notre poète fait-il allusion à cette catastrophe, quand il appelle l’Inde « cette terre éloignée, sépulture «de tout pauvre homme d’honneur. »
Nous ne savons rien de Camoens avant son entrée à Coïmbre. Il est probable qu’il perdit sa mère étant encore en bas âge, et que son père, obligé par sa profession à de fréquentes et longues absences, le confia aux soins de quelques personnes étrangères. Camoens n’a pas un seul souvenir de famille ; sa mémoire d’enfant ne remonte pas au-delà de l’université de Coïmbre, et déjà l’adolescence lui ôte une partie de sa pureté sereine et de sa naïve candeur. Il ne connaît rien de plus reposé, de plus calme, de plus pur que les eaux du Mondego qui parlent d’Inez. C’est là qu’il vient chercher de l’ombre et du frais quand le feu de ses passions s’allume et que leur ardeur le dévore. Voyez la Cançâo IV : Vao as serenas agoas.
Vers l’âge de treize ans, on l’envoya achever ses études à l’université qui venait d’être transférée de Lisbonne à Coïmbre. Il y fit toutes ses classes, jusques et y compris la philosophie. J. Adamson a présumé que Govea, Teive et l’illustre poète écossais Buchanan, appelés à professer dans cette ville par dom João III, avaient dû exercer une heureuse influence sur le développement du génie poétique de Camoens, supposition ingénieuse qui n’est pas confirmée par les dates. Cette petite colonie savante n’arriva à Coïmbre qu’en 1547 ; Camoens avait alors vingt-trois ans, et il était déjà depuis deux ans au moins à Lisbonne.
La grande idée de Camoens, comme poète, a été de créer en Portugal la langue épique. L’épopée moderne avec la forme antique, tel fut le monde qu’il chercha, et il ne mourut pas sans l’avoir trouvé. Mais il cultiva, chemin faisant, tous les genres de poésies usités exclusivement jusque-là par ses compatriotes, l’églogue à la manière de Virgile, le sonnet et la cançâo à la mode de Pétrarque et de Bembo. Nous le voyons dès cette époque adresser des sonnets à dom Theodosio, duc de Bragance, à dom Manoel de Portugal, lui-même poète distingué, au vice-roi dom João de Castro, aux mânes de son fils dom Fernando, et dédier deux églogues au duc d’Aveiro. Nous retrouvons parmi ses Rimas des sonnets à l’adresse de doña Francisca de Aragâo et de dona Guiomar de Blasfé. Nous remarquons même qu’il était assez familier avec cette dame pour lui adresser une volta sur une brûlure qu’une bougie lui avait faite au visage. C’est ici le lieu de relever une erreur répétée dans les diverses vies anglaises et françaises de Camoens. Elles nous disent toutes qu’il ne fit qu’un pas de Coïmbre à la cour. Ceux qui ont emprunté les premiers ce fait aux biographies portugaises n’ont pas songé que a corte signifie simplement à Lisbonne. Camoens, issu d’une branche cadettte et non titrée, n’a jamais été à la cour : ao paço.
La multitude de poésie légères et galantes recueillies dans ses œuvres prouve combien il se livrait à la vie du monde, et surtout à la société des femmes. Tantôt c’est une volta en réponse à trois dames qui lui disaient qu’elles l’aimaient ; tantôt ce sont des redondilhas à de jolis yeux qui ne voulaient pas le regarder ; une autre fois ce sont des couplets à une certaine espiègle qui l’avait appelé diable, et à laquelle il propose cavalièrement de se donner à lui. Toutes ces faciles bagatelles prouvent la délicatesse de son esprit, sans accuser l’inconstance de son cœur ; mais, pour ne rien taire, parmi ses sonnets et ses cançoes, il en est de fort tendres à des adresses fort diverses. C’est Violente, puis Natercia, Dinamene, Belisa, Gracia, Beatrix, Inez, Orithya, que sais-je ? nous en pourrions dérouler une liste aussi longue que celle des maîtresses de don Juan. Les commentateurs, qui ont tous la manie des assimilations et qui ont décidé de faire de Camoens le tome second de Pétrarque, homo unius fœminœ, ont trouvé un biais merveilleux pour ramener ces noms divers à l’unité: ils ont découvert un certain jour, en lisant une certaine églogue, que toutes ces appellations s’appliquent à une seule et même personne. Cela est possible ; cependant ils auraient été, suivant moi, plus près de la vérité, s’ils avaient dit que la plupart de ces pièces ont été composées avant que Camoens eût fait la rencontre de celle qui a été depuis l’occupation et la pensée de toute sa vie ; et même encore faut-il avouer que, pendant le cours de ce long et malheureux attachement, il lui est arrivé de tomber dans des distractions bien singulières. Les endechas adressées dans l’Inde à sa jeune esclave noire Barbara, sont un monument bizarre de la fragilité humaine. Au reste, Camoens a tant aimé, il a si bien et si longtemps célébré celle qu’il préféra, que, s’il eût vécu au temps des cours d’amour, il n’aurait pu manquer d’être absous par elles.
On croit que ce fut un vendredi saint et dans une église, comme Pétrarque, qu’il devint amoureux. Lope de Vega, qui ne nomme jamais Camoens que l’excellent, et qui, au dire de Faria e Sousa dont il était l’ami, rafraîchissait souvent sa pensée par la lecture de ce grand poète, appuie cette tradition, fondée sur le soixante-dix-septième sonnet de Camoens. Faria e Sousa, en rapprochant cette pièce d’un passage de la septième cançao, a été jusqu’à vouloir prouver astronomiquement que la première entrevue de Camoens et de sa maîtresse eut lieu le 11 avril 1542, apparemment quand il était encore au collège. Plus tard, dans une note de Cintra, Faria e Sousa se contente d’assurer que la rencontre se fit dans l’église das Chagas de Lisbonne [22]. Quant à moi, j’ai grand’peur que le sonnet LXXVII ne soit tout simplement une traduction des fameux vers de Pétrarque ;
Era ‘l giorno ch’ al sol si scolararo…..
comme il est arrivé à Camoens d’en faire quelques-unes. Il nous serait plus aisé de peindre la maîtresse de notre poète que de dire son nom. Camoens a tracé bien des portraits d’elle et il ne l’a jamais nommée.
Pedro de Mariz nous apprend seulement qu’elle était dame du palais et qu’elle mourut fort jeune. Faria e Sousa s’est signalé dans la recherche de son nom. Les nombreuses variations de cet écrivain sur ce sujet attestent au moins sa bonne foi. Il pensa d’abord, sur l’autorité de J. Pinto Ribeiro, que cette dame était dona Catarina de Almeyda, parente de Camoens. Plus tard il crut découvrir que ce fut dona Catarina de Atayde, fille de dom Antonio de Atayde, favori de dom João III, et cette opinion a prévalu. Ceux qui y ajoutent une foi entière ne savent probablement pas que, dans les notes 7 et 9 de Cintra, Faria e Sousa est venu à penser que ce pourrait bien avoir été une certaine Isabel ; souvent chantée par Camoens sous l’anagramme de Belisa.
On voit que ce mystère est impénétrable. Pour moi, je trouve qu’il y a dans ce secret si bien gardé et qui défie toutes les recherches, quelque chose de délicat et de pudique qu’il faut respecter. Je n’imiterai donc point l’indiscrète curiosité de mes devanciers : j’appellerai tout simplement cette belle inconnue celle qu’il aima.
Les poésies de Camoens qui se rapportent à ces premiers temps d’amour, sont pleines de passion et de délire. En voici un échantillon:
SONNET IX. «Je suis en proie à un état indéfinissable ; je frissonne et je brûle à-la-fois ; je pleure et ris au même instant, sans en savoir la cause. J’embrasse le monde entier et je ne puis rien étreindre. Toutes mes facultés sont bouleversées : mon âme exhale un feu terrible ; des ruisseaux de larmes coulent de mes yeux. Tantôt j’espère, tantôt je me décourage ; quelquefois je délire, d’autres fois ma raison revient. Je suis sur la terre et ma pensée traverse l’espace. En une heure je vis une année ; en mille années je n’en puis trouver une qui me satisfasse. Si quelqu’un me demande pourquoi je suis ainsi, je répondrai que je l’ignore. Je soupçonne cependant, madame, que c’est pour vous avoir vue. »
Une passion si violente et si ingénieuse à-la-fois dut être payée de retour ; mais le rang et la fortune élevaient entre les deux amants une barrière infranchissable. Les parents de sa maîtresse, puissants à la cour, intervinrent, et un ordre d’exil éloigna Camoens de Lisbonne.
La date de ce premier malheur est incertaine. Le poète exhala ses plaintes dans sa troisième élégie :
O sulmonense Ovidio desterrado,
dans laquelle il se représente suivant tristement de l’œil les barques qui sillonnent le Tage. Et, comme ce fleuve, à la hauteur de Santarem, ne peut porter que des bateaux, on en a conclu qu’il fut exilé à Santarem. Cette induction est précipitée. Les vers du poète peuvent désigner une foule d’autres lieux du Ribatejo.
Pendant les deux années que dura son exil, il composa plusieurs sonnets, dont quelques-uns sur les peines de l’absence, et trois comédies, El Rey Seleuco, Filodemo et les Amphitrioes. Il écrivit même dès-lors plusieurs chants des Lusiades, ce poème auquel il rêvait depuis son enfance.
Il obtint en 1549 la liberté de revenir à Lisbonne. Peut-être son éloignement n’était-il plus nécessaire à la tranquillité de sa maîtresse ; nous le croyons, et nous pensons que c’est à cette époque qu’il faut rapporter plusieurs sonnets où il se plaint de l’inconstance et du manque de foi. Il avait vingt-cinq ans ; on se battait en Afrique, au Brésil et dans l’Inde ; il résolut de s’embarquer pour Goa. Le registre de la maison des Indes, que nous avons déjà cité, porte en 1550 son nom parmi ceux des volontaires inscrits pour le départ. Cependant un reste d’espoir lui fit préférer de passer en Afrique, où commandait dom Pedro de Meneses, oncle du jeune dom Antonio son ami. On peut lire ses adieux au Tage dans son cent-huitième sonnet : Brandas agoas de Tejo.
Dès cette première campagne Camoens se conduisit en brave. Aussi a-t-il pu dire plus tard sans qu’on le taxât de forfanterie : « Ma peau a le privilège de celle d’Achille, qui n’était vulnérable que par le talon. Personne n’a vu les miens, et j’ai vu ceux de bien des gens. »
Il se signala particulièrement dans un combat naval où il reçut un coup de feu dont il perdit l’œil droit. Il a fait plusieurs fois allusion à cet accident, notamment dans des vers à une dame qui le raillait de cette infirmité. Il reçut, dit-on, cette blessure en combattant auprès de son père, Simâo Vaz, capitaine du vaisseau sur lequel il servait comme volontaire. C’est la dernière fois qu’il sera question de Simâo Vaz : il est probable qu’il mourut peu après, et que sa mort fut au nombre des causes qui décidèrent notre poète à partir pour l’Inde.
Pendant son séjour en Afrique, la plume de Camoens fut aussi active que son épée. Il y composa sa seconde élégie : Aquelle que de amor, et les tristes et belles stances sur le désordre du monde: Quem pode ser no mundo tâo quieto. On croit qu’il les envoya d’Afrique à son ami dom Antonio de Noronha. C’était un présent bien austère pour un jeune homme de quinze ou seize ans.
Camoens, attiré sans doute par l’espoir, revint à Lisbonne en 1552. L’accueil qu’il y reçut lui prouva qu’il s’était trompé. D’autre part, les fleurs de sa muse, comme dit Severim, ne rapportaient point de fruits ; ses services militaires ne recevaient nulle récompense. De plus, dom Antonio avait quitté Lisbonne. Le père de ce jeune homme, dom Francisco de Noronha, second comte de Linhares, s’étant aperçu de l’amour de son fils pour dona Margarida da Sylva, petite-fille du comte d’Abrantes, l’avait envoyé à Ceuta près de son oncle, pour le distraire de cette passion qu’il désapprouvait. Tout manquait à-la-fois à Camoens. Il résolut de partir et de mettre deux mille lieues entre son amour et lui.
On trouve dans ses Esparsas plusieurs pièces qui expriment les douleurs de l’absence et les tourments de l’amour dédaigné. Nous ne pouvons-nous défendre de citer un sonnet que nous croyons écrit à l’époque où nous sommes arrivés. Il peint bien, ce nous semble, ce que le poète dut souffrir avant de s’expatrier. On comprendra mieux, après l’avoir lu, comment, pour consommer ce sacrifice, il fut obligé de s’y prendre à deux fois.
SONNET XLIII.
« Le cygne, quand il sent approcher l’heure qui met un terme à sa vie, élève sur la rive solitaire une voix plus mélancolique et des chants plus harmonieux. Il voudrait voir son existence se prolonger ; il pleure son pénible départ ; il célèbre douloureusement la fin de son triste voyage. Ainsi, madame, quand je vis la triste fin de mes amours et me sentis arrivé à la dernière crise, je déplorai, avec une plus suave harmonie, vos rigueurs, votre manque de foi et mon amour. »
Le dernier vers de ce sonnet est en espagnol. Camoens marie ainsi souvent les deux langues. Il dit dans sa seconde lettre écrite de l’Inde, à propos de quelques strophes ainsi mélangées, qu’elles ont un pied portugais et un pied castillan. Il a fait plusieurs sonnets tout espagnols et deux en patois galicien. Les motifs du départ de Camoens pour l’Inde ne venaient pas tous de son amour. Les derniers mots qu’il prononça sur le vaisseau qui l’emportait loin de Lisbonne ne s’adressaient pas à sa maîtresse. Il nous apprend lui-même qu’il s’écria comme Scipion : ingrata patria, non ossa mea possidebis. Il est vrai que peu après il se plaint « d’avoir vu son lierre bien-aimé séparé de lui et attaché à un autre mur. » Ce qui pourrait très raisonnablement faire supposer que sa maîtresse était mariée.
Il mit à la voile au mois de mars 1553. On lit dans un état des troupes de la maison des Indes pour cette année : « Fernando Casado, fils de Manoel Casado et de Branca Queymada, demeurant à Lisbonne, écuyer ; Luiz de Camoens, fils de Simâo Vaz et de Anna de Sà, écuyer, partit à sa place ; il a reçu 2,400 reis (environ 15 fr.) comme les autres. »
Camoens s’embarqua sur le Sâo Bento ; l’un des quatre navires que Fernando Alvares Cabrai conduisait dans l’Inde. A la hauteur du cap de Bonne-Espérance, ils furent assaillis d’une si violente tempête, que trois des bâtiments jetés hors de route ne purent arriver à Goa que l’année suivante. Le Sâo Bento y aborda seul en septembre 1553. Ce fut peut-être l’unique occasion où Camoens ait eu à se louer de la fortune.
A son arrivée, il trouva le vice-roi dom Afonso de Noronha occupé de préparer une expédition contre le roi de Pimenta ou de Chembè, qui avait pris plusieurs îles sur ceux de Cochin et de Porca, alliés du Portugal. Il obtint d’être admis sur la flotte, qui mit à la voile en novembre 1553.
Cette campagne, la seconde que faisait Camoens, eut un plein succès. Il y fait modestement allusion dans un passage de sa première élégie: O poeta Simonides. Il était de retour à Goa à la fin de 1554.
Ce ne fut qu’à cette époque qu’il apprit la mort de son ami dom Antonio de Noronha, tué devant Ceuta avec son oncle Pedro de Meneses, le 1 8 avril 1553, dans une expédition mal concertée contre les Maures de Tétuan. Ce jeune ami de Camoens n’avait que dix-sept ans, comme on le peut voir sur son tombeau dans le monastère de Sâo Bento de Xabregas, où il repose avec quatre de ses frères, tués, deux en Afrique, et deux dans l’Inde. Camoens a déploré cette perte d’abord dans la belle églogue de Umbrano e Frondelio et le douzième sonnet, et plus tard dans le deux cent vingt-neuvième et dans la cançâo dix-septième, si toutefois cette dernière pièce est bien de lui.
Dom Afonso, qui avait pu juger de sa bravoure dans la campagne contre le roi de Chembè, fut rappelé et remplacé par dom Pedro Mascarenhas, lequel prit le gouvernement en septembre 1554. A cette époque, Camoens écrivit à Lisbonne une lettre, dont nous avons déjà cité quelques fragments, et dont nous allons extraire de plus longs passages, qui donneront une idée des mœurs de Goa et jetteront lui jour tout nouveau sur l’humeur à-la-fois enjouée et caustique de Camoens.
Il commence par prémunir son correspondant contre les illusions que l’on était porté à se faire en Portugal sur le séjour de l’Inde. Il a éprouvé que là, comme à Lisbonne, on est sous l’empire de méchantes fées : « La ville de Goa est une excellente mère pour les méchantes gens, mais elle est la marâtre des gens « de bien : ceux qui viennent y chercher de l’argent se soutiennent comme des vessies sur l’eau ; les braves seuls sont réduits à sécher sur pied. » Après avoir cité en preuve quelques noms propres, il ajoute : « Quant à Manoel Serrâo, qui, sicut et nos, cloche d’un œil, il s’est assez bien conduit depuis son arrivée. Je puis en parler, car j’ai été pris pour arbitre de certaines paroles sur lesquelles il a fait revenir un militaire qui ne manque pas ici d’autorité. » Ce passage prouve que Camoens joignait à la bravoure du champ de bataille une susceptibilité d’honneur qui ne lui permettait pas, comme il le dit au même endroit, de refuser jamais certaines conversations auxquelles les lâches donnent un mauvais nom, aimant mieux se venger avec la langue qu’avec le bras. « Si vous voulez à présent, continue-t-il, que je vous parle des femmes, sachez que toutes les Portugaises que nous avons ici sont terriblement mûres. » Compliment qu’il fait suivre d’un commentaire encore plus soldatesque. « Et quant aux femmes du pays, outre qu’elles sont de couleur bise, faites-moi la grâce de les courtiser à la manière de Pétrarque ou de Boscan, et elles vous répondent dans un langage mêlé d’ivraie qui s’arrête dans le gosier de l’intelligence et jette de l’eau sur le brasier le plus ardent. Jugez ce que doit éprouver un homme habitué à soutenir les agaceries du petit minois rose et blanc d’une dame de Lisbonne, toujours prête à soupirer comme un pucarinho qui reçoit l’eau pour la première fois. En se voyant au milieu d’objets si peu capables d’inspirer de l’amour, comment ne pleurerait-on pas sur ses souvenirs ? Dites, pour l’amour de moi, aux dames de votre connaissance, que, si elles veulent monter en grade et voir leur entrée annoncée par des fanfares, il leur faut ne pas redouter six mois de traversée un peu pénibles. Nous irons tous au-devant d’elles en procession et la bannière en tête. Nos dames leur porteront les clefs de la ville, comme leur âge les y oblige. Je vous envoie un sonnet sur la mort de dom Antonio de Noronha. Vous y verrez quel chagrin cette perte m’a causé. J’ai fait encore une églogue sur ce sujet, et j’y ai joint quelque chose sur la mort du prince. C’est, à mon avis, la meilleure que j’aie faite. Je voulais vous l’envoyer pour que vous la montrassiez à Miguel Diaz qui, à cause de l’amitié qu’il portait à dom Antonio, aurait été bien aise de la voir ; mais j’ai eu beaucoup de lettres à écrire pour le Portugal et le temps m’a manqué. Je me propose de répondre à Luiz de Lemos. Si ma lettre ne lui parvient pas, qu’il sache que la faute en est à la traversée dans laquelle tout se perd. Vale. »
La première mesure importante que prit le nouveau vice-roi, fut l’armement d’une flotte qui devait aller croiser à l’entrée de la mer Rouge pour fermer ce détroit aux Maures.
Avant que Gama eût découvert la route de l’Inde par l’Océan, le commerce de l’Europe avec les contrées orientales se faisait par la Méditerranée et la mer Rouge. Les Vénitiens, facteurs de l’Europe, allaient prendre à l’entrepôt d’Alexandrie les denrées que les Maures, facteurs du Levant, allaient chercher sur les côtes de Malabar. La découverte de la route de l’Inde par le cap de Bonne-Espérance ruina ce commerce et entraîna la mort de Venise. Aussi quand, de nos jours, Napoléon heurta cette reine de l’Adriatique, il se trouva que ce n’était plus qu’un cadavre.
En 1555, les choses n’en étaient pas arrivées à ce point : les Vénitiens et les Maures cherchaient à soutenir la concurrence des Portugais. L’Egypte envoyait encore tous les ans une flotte dans les mers de l’Inde. Dom Pedro Mascarenhas résolut d’en fermer l’entrée. Le commandement de cette expédition fut confié à dom Manoel de Vasconcellos ; Camoens en fît partie. La flotte appareilla en février 1555.
L’issue n’en fut pas heureuse. Les Portugais ne purent rencontrer les Maures. Après plusieurs mois de croisière inutile il fallut aller passer la mousson d’hiver à Ormuz. Ce fut pendant la durée de cette longue station, en face du cap Guardafu, au milieu d’une mer souvent agitée et à la vue des âpres cimes du mont Félix, que Camoens, reportant ses pensées vers l’Europe, composa son admirable cançao dixième :
Junto de hum secco, dura, esterd monte.
En voici quelques strophes :
« Si du moins de tant de fatigues je retirais seulement l’avantage de savoir avec certitude qu’une heure viendra où les yeux que je voyais se souviendront de moi. Si cette triste voix, en s’exhalant, frappait les oreilles de l’ange en présence de qui je vivais ; si, revenant sur le passé, elle se reportait à ce temps déjà écoulé de mes douces erreurs, de mes maux pleins de charmes et des fureurs que je cherchais, que je souffrais pour elle ; si, quoique bien tard, devenue compatissante, elle éprouvait un peu de regret et s’accusait elle-même de cruauté ; cela seul, si je le savais, pourrait être un repos pour ce qui me reste de vie et adoucirait mes souffrances. Ah ! ma dame, madame, vous êtes donc bien riche, puisque, loin, comme je le suis, de toute joie, votre pensée peut me soutenir »
« Je demande de vos nouvelles, madame, aux vents amoureux qui soufflent de la contrée où vous habitez ; je demande aux oiseaux qui volent au-dessus de moi, s’ils vous ont vue, ce que vous faisiez, ce que vous disiez, où ? comment ? avec qui ? quel jour ? à quelle heure ? Ici ma vie fatiguée s’améliore : elle reprend de nouvelles forces pour vaincre la fortune et les chagrins. »
N’y a-t-il pas dans cet amour d’Europe, dont les blessures se rouvrent et saignent à la vue des rochers sauvages de Bab-el-Mandeb, quelque chose des sentiments que nous retrouvons dans la lettre de saint Preux écrite des rochers de Meillerie ?
Camoens revint à Goa au mois d’octobre 1555. Depuis le 16 juin, le vieux vice-roi dom Pedro Mascarenhas n’existait plus. Francisco Barreto venait de lui succéder avec le titre de gouverneur.
L’installation de ce nouveau dignitaire donna lieu, à ce qu’il paraît, à des fêtes qui ne furent pas du goût de tous les habitants de Goa. Il se répandit, à cette occasion, une satire eu prose mêlée de vers, qui porte, dans les œuvres de Camoens, le titre suivant : Plaisanteries sur quelques hommes qui ne sont pas ennemis du vin. Ce titre est suivi d’une espèce d’argument ainsi conçu : « L’auteur feint qu’à Goa, dans les fêtes données pour l’installation du gouverneur, de certains galants se présentent pour jouer au jeu des cannes ; ils ont sur leurs banderoles des devises et des couplets qui font connaître leur caractère et leurs intentions. » .Cette plaisanterie, attribuée à tort ou à raison à Camoens, lui fit un ennemi mortel du gouverneur.
Camoens composa, vers cette époque, son écrit mémorable intitulé Disparates na India (Sottises dans l’Inde). Il stigmatisa dans cette pièce, avec une vertueuse indignation, la cupidité, la rapine, les mœurs dissolues et tous les vices dans lesquels se plongeaient ses concitoyens dans l’Inde. Cette pièce, écrite avec la verve âpre et sévère qu’il déploie si souvent dans les Lusiades, est le digne pendant des stances sur le Désordre du monde.
Il n’y avait pas dans les Disparates un seul nom propre, pas une personnalité ; mais Francisco Barreto, qui ne cherchait qu’un prétexte, voulut y voir une attaque à son autorité. Camoens fut mis en prison ; et, comme il partit peu après de Goa des vaisseaux pour la Chine, le gouverneur le fit embarquer, avec ordre de rester aux Moluques : c’était mettre douze cents lieues de plus entre Camoens et sa patrie.
Quelques vers du poète nous apprennent combien profondément il ressentit cette injustice. « Puisse, a-t-il dit, le souvenir de cet exil demeurer sculpté sur le fer et sur la pierre ! « Ce vœu fut toute sa vengeance. Soit générosité, soit dédain, il ne nomma pas son persécuteur. Les vaisseaux qui l’emmenèrent vers le sud, mirent à la voile au commencement de 1556.
On n’a que des notions peu précises sur ce que fit Camoens pendant les trois premières années de son exil. On croit qu’il fut déposé à Malaca, d’où il se rendit aux Moluques. Nous avons la preuve qu’il visita l’île de Ternate, dont il a décrit le volcan dans sa sixième cançao. Nous croyons qu’il dut passer la majeure partie de ces trois années dans l’île de Timor ou de Tidor, qui étaient les lieux d’exil ordinaires des Portugais dans l’Inde. Ce fut dans cette pénible situation, à l’extrémité du monde connu, à trois mille lieues de Lisbonne, qu’il reçut la seule nouvelle qui pût aggraver ses peines : celle qu’il aimait n’existait plus.
Nous pouvons juger de la force et de la durée de sa douleur par le nombre des poésies dans lesquelles il a déploré cette perte. Six de ses sonnets, une églogue et deux de ses sixtines nous ont transmis ses regrets. Toutes ces pièces sont empreintes de la douleur la plus vive, de l’abattement le plus profond.
Dom José Maria de Souza, celui des biographes de Camoens qui a le plus attentivement étudié cette partie de l’histoire de notre poète, pense qu’il ne reçut cette nouvelle que longtemps après son départ des Moluques et seulement en 1564 -Voici nos raisons pour la placer ici.
Nous ne savons avec certitude que deux choses sur la maîtresse de Camoens, qu’elle était dame du palais et qu’elle mourut jeune. Cette dernière circonstance a fait penser à plusieurs biographes qu’elle était morte avant le départ du poète pour Goa. On ne peut admettre cette supposition, contredite par plusieurs pièces de vers évidemment composées dans l’Inde, et qui sont toutes pleines d’elle. On doit, pour accorder les faits avec la tradition, n’éloigner sa mort que le moins possible de l’arrivée de Camoens dans l’Inde. La dernière pièce qui lui soit adressée est la cançâo sixième, écrite à Ternate et qui peut être datée de 1557. Nous croyons donc que cette jeune femme mourut vers 1555, car il fallut bien deux ans pour que ce malheur allât trouver Camoens à l’extrémité du monde.
Dans sa résignation douloureuse à ses malheurs passés et dans l’attente de nouvelles peines, Camoens écrivit le sonnet suivant aux Moluques.
SONNET LXXXIX.
« Que pourrais-je donc demander encore au monde, lorsque dans l’objet où j’ai placé un si grand amour je n’ai vu que les rigueurs, l’indifférence et enfin la mort que rien ne peut surpasser ? Puisque je ne suis pas encore rassasié de la vie ; puisque je sais déjà qu’une grande douleur ne tue pas, s’il existe une chose qui cause de plus grandes angoisses, je la verrai ; car je puis tout voir. La mort, pour mon malheur, m’a déjà mis en sûreté contre tous les maux. J’ai déjà perdu ce qui m’avait enseigné à perdre la crainte. Je n’ai vu dans la vie que le manque d’amour ; je n’ai vu dans la mort que la grande douleur qui m’est restée. Il semble que pour cela seul je sois né. »
Ces pressentiments, qui annonçaient à Camoens d’autres infortunes, ne furent pas trompés ; cependant, pour quelque temps, sa position s’améliora. Francisco Barreto fut remplacé, le 3 septembre 1558, par dom Constantin de Bragance, frère de dom Theodosio, qui avait montré à Lisbonne de l’estime pour Camoens. Ce vice-roi se hâta de réparer les torts de son prédécesseur, et nomma Camoens curateur des successions vacantes à Macao. M. Fr. Alex. Lobo, apologiste-juré de tous les ennemis de notre poète, veut qu’il ait dû cette faveur à Barreto ; mais cette supposition est contredite par tous les témoignages. Barreto n’était que gouverneur, et ceux des historiens qui rapportent ce fait sans nommer dom Constantin, attribuent unanimement cet acte de justice au vice-roi.
Camoens se rendit à son poste à Macao en 1559. Cette jolie ville, demi portugaise et demi chinoise, ne faisait que de naître. Notre poète put jouir pendant dix-huit mois, dans ce séjour, d’un de ces intervalles de tranquillité et d’aisance qui ont été si rares dans sa vie. C’est là, dit-on, qu’il termina en partie ses Lusiades.
On montre encore aujourd’hui à Macao une grotte qui a conservé le nom de Camoens. Une tradition reçue dans la ville raconte qu’il se retirait souvent dans cet endroit solitaire pour travailler à son poème. Ce lieu, que les gens du pays nomment aussi la Grotte de Patané, est situé à peu de distance de la ville. Plusieurs voyageurs, notamment Eyles Irwin et plus récemment M. Rienzi, en ont donné des descriptions et des dessins. La grotte proprement dite occupe la partie inférieure d’un roc élevé, qui est aujourd’hui enclavé dans un vaste jardin. On pénètre dans ce réduit par une haute et large ouverture pratiquée entre deux montants de pierre, sur lesquels s’appuie à angles droits un énorme bloc granitique. Une ouverture cintrée, infiniment plus haute et plus étroite que la première, est pratiquée d’un des côtés du roc et permet de monter au sommet. De cette espèce de belvédère naturel, surmonté d’un kiosque et orné de fleurs et d’arbustes, la vue s’étend au loin sur la mer et les îles voisines. M. Rienzi a laissé gravée sur ce rocher une double inscription française et chinoise, destinée à perpétuer dans ces lieux le souvenir de Camoens.
Le vice-roi dom Constantin ne s’arrêta pas à ce premier bienfait. En 1560, il rappela Camoens à Goa ; mais un nouveau malheur l’attendait en route. Sur les côtes de la Cochinchine, dans le voisinage de la baie de Camboge, son vaisseau toucha sur un écueil et fut mis en pièces. Grâce au calme de la mer, Camoens parvint à gagner les bords du fleuve Mécom, ne sauvant de ce naufrage que ses Lusiades. Je lis dans un seul auteur qu’il eut un compagnon de salut : c’était cet esclave de Java qui le servit jusqu’à sa mort. Ce détail est pour moi d’un grand prix. J’aime à voir commencer par cette communauté de périls l’affection si touchante du Javanais et de son maître ; j’aime à penser qu’ils se durent mutuellement la vie, et que c’est peut-être aux efforts de ce pauvre serviteur inconnu, que l’Europe est redevable de la conservation des Lusiades.
Nicéron, ou plutôt l’auteur portugais de l’article inséré dans ses Mémoires, nomme Jean, cet esclave auquel Pedro de Mariz et la commune renommée ont attribué le nom d’Antonio.
Les deux naufragés furent reçus avec hospitalité par les familles chinoises établies au bord du fleuve Mécom. Il paraît que ce fut sur cette rive étrangère que Camoens composa ces Redondilhas merveilleuses, selon l’expression de Lope de Vega, belle et touchante périphrase du psaume 136, Super flumina. Il a fait en outre deux sonnets (les deux cent trente-deuxième et deux cent trente-neuvième) sur le même texte.
Camoens, à peine remis et séché de son naufrage, se confia de nouveau à la mer : il passa d’abord à Malaca, où les occasions pour Goa étaient fréquentes ; enfin il arriva dans cette ville en 1561.
Il s’acquitta généreusement de ce qu’il devait au vice-roi, en lui adressant ces fameuses stances: Como nos vossos hombros, imitées de l’épître d’Horace à Auguste. En louant l’administration de dom Constantin, il trouva moyen de régler ses comptes avec celle de Barreto.
Ce fut dans ce temps de demi-prospérité que Camoens donna l’agréable festin poétique dont le menu nous a été conservé dans ses œuvres. Il invita plusieurs amis, dont nous savons les noms: dom Francisco d’Almeyda, dom Vasco de Atayde, Heitor da Sylveira, surnommé Draco, Joâo Lopes Leytâo et Francisco de Mello. Il les reçut dans une salle disposée avec élégance, et les fit asseoir devant une table bien servie ; puis, quand on découvrit les plats, chaque convive, au lieu de mets, trouva une petite pièce de vers à son adresse. Nous les avons toutes avec les réponses qui leur furent faites.
Le 17 septembre de cette même année, dom Constantin fut rappelé et reçut pour successeur dom Francisco Coutinho, comte de Redondo. La politique de ce nouveau vice-roi rendit de l’influence aux partisans de l’ancien gouverneur, Francisco Barreto. Les ennemis de Camoens se réveillèrent. Ne sachant comment l’attaquer, on l’accusa de malversation dans l’exercice de sa charge à Macao. On l’emprisonna ; mais l’examen de sa conduite ne pouvait qu’apporter la preuve de sa probité. Elle fut reconnue. Alors une des créatures de Barreto, Miguel Rodrigues, surnommé, soit à cause de son avarice, soit à cause de sa dureté, Fois seccos (fils secs), le fît retenir en prison sous prétexte d’une dette de 200 creuzades. Nous trouvons dans Diogo do Couto un fait qui explique, sans l’excuser, la mauvaise humeur de Fios Seccos. Cet homme avait eu, sous l’administration de Barreto, le commandement de dix vaisseaux de guerre, et il était loin de jouir du même crédit auprès du vice-roi.
Camoens prit cette persécution du côté plaisant : il adressa au comte de Redondo un placet comique où il jouait, à chaque vers, sur le sobriquet de Fios Seccos : c’est, je crois, la seule épigramme nominale qui soit échappée à Camoens. Il terminait ces Trovas en priant le vice-roi, qui était prêt à s’embarquer pour une expédition, de vouloir bien le désembarquer, pour qu’il pût le suivre. Cette plaisanterie eut son effet. Il recouvra sa liberté.
Ou a dit que Camoens ne s’adressa que cette seule fois à la bourse des grands. Je crois que, dans cette occasion même, il s’adressa beaucoup plus à l’autorité qu’à la bourse du vice-roi. Ce qui a causé la méprise de dom José Maria de Souza, c’est qu’une autre requête, écrite par Heitor da Sylveira, a été insérée dans les œuvres de Camoens. Celle-ci s’adresse effectivement à la bourse de Coutinho. Camoens a mis au bas cette apostille amicale :
« De doctes livres nous apprennent que la colère du grand Achille donna la mort à l’Hector troyen. Voilà maintenant que « la faim va tuer notre Hector lusitanien. Il court risque d’être accablé par son adversaire, si votre main secourable ne s’interpose et ne met les combattants hors de lice. »
Il nous reste une autre preuve du noble emploi que Camoens faisait de son crédit. C’est une ode où il réclame l’intérêt de dom Francisco pour un savant peu fortuné, le naturaliste Garcia de Orta, auteur d’un bon ouvrage sur les plantes de l’Inde. En comparant cette ode, imprimée à Goa (1563), avec celle que nous avons dans ses Rimas, on peut juger, par les variantes, du soin que Camoens donnait à la correction de ses ouvrages.
Depuis son retour de la Chine jusqu’à son départ de l’Inde, Camoens, tous les étés, s’embarquait régulièrement sur les flottes de l’état et revenait hiverner à Goa, se reposant, en faisant des vers, de la fatigue de ses expéditions maritimes. On peut rapporter aussi à cette époque ses derniers amours. Il est probable que ce fut alors qu’il adressa à sa belle esclave Barbara les vers où il lui disait que « la douceur de ses yeux calmait ses peines, et qu’il trouvait en elle la lin de tous ses maux. »
Le comte de Redondo, qui aimait assez la poésie pour fournir à Camoens les mates de ses voltas , mourut le 19 février 1564-Son successeur fut dom Antonio de Noronha.
Camoens devait s’attendre à trouver un protecteur dans un homme de ce nom : il ne paraît pas qu’il ait eu à se plaindre de lui ; cependant ce fut la troisième année de son administration, vers la fin de 1567, que notre poète, contre le serment qu’il avait fait à son départ, résolut de retourner à Lisbonne.
Comme il manquait d’argent pour le voyage, un certain Pedro Barreto, qui allait à Sofala prendre le commandement de cette place, charmé de la conversation de Camoens, et désirant passionnément sa compagnie, lui offrit de le conduire jusqu’à cette ville, où il trouverait des occasions faciles de retourner en Portugal. Notre poète le crut ; mais il ne tarda pas à se repentir de son marché. Pedro Barreto se conduisit bientôt envers lui en maître exigeant. Ai-rivé à Sofala, il mit tout en œuvre pour le retenir malgré ses promesses. Je crois que la seconde lettre que nous avons de Camoens peut avoir été écrite à cette époque, ou peut-être dans les derniers temps de son séjour à Goa. On y lit :
« Ceux qui sont princes à-la-fois de condition et de race sont plus à charge que la pauvreté ; ils nous vexent tant avec leur noblesse, que nous finissons par creuser celle de leurs ancêtres, et il n’y a pas de blé si bien vanné où l’on ne rencontre un peu d’ivraie. Vous savez qu’il suffit d’un mauvais moine pour faire parler tout un couvent.
« On ne peut pas avoir de patience avec celui qui veut qu’on lui fasse ce que lui-même ne veut pas faire. Le peu de reconnaissance qu’on montre pour nos services, nous ôte la volonté d’en rendre à des amis qui tiennent plus de compte de leur intérêt que de l’amitié ; riez pour lui, car il est de ceux dont je parle.
« Il est bien pénible de se composer un visage gai quand le cœur est triste : c’est une étoffe qui ne prend jamais bien cette teinture ; car la lune reçoit sa clarté du soleil et le visage reçoit la sienne du cœur. En vérité, ce n’est rien donner que de ne pas mêler l’honneur à ses dons. Il n’est dû de remercîments qu’à ceux qui suivent ce procédé : car c’est une chose trop chèrement payée que celle qu’il faut acheter de son honneur. »
Il y eut bientôt rupture ouverte entre Camoens et Barreto. Abandonné à ses faibles ressources, Camoens tomba dans la pauvreté la plus complète. Manquant de tout, il était, dit Diogo de Couto, réduit à vivre de dons. Serait-ce alors que se composant, comme il dit, un visage gai, il réclama poétiquement de dom Antonio de Cascaes le complément des six poules farcies dont celui-ci ne lui avait envoyé qu’une seule moitié pour à-compte, ou qu’il rappelait par un quatrain la promesse d’une chemise qu’un autre fidalgue lui avait faite ? Il s’offrit enfin à lui une occasion de délivrance. Le Santa Fé et quelques autres navires venant de Goa et allant à Lisbonne, relâchèrent à Sofala. Il se trouvait à leur bord plusieurs amis de Camoens, Duarte de Abreu, Antonio Cabrai, Luiz da Veyga, Antonio Serrâo, Diogo do Couto qui a consigné ces détails dans ses Décades, et Heitor da Sylveira, que nous avons vu figurer au banquet poétique. Camoens se réjouissait de quitter avec eux Mozambique, lorsque l’inique Barreto réclama de lui vingt mille reis pour prix de son passage à Sofala. Comment payer cette somme ? Heitor Sylveira, plus riche apparemment qu’au temps de son placet au comte de Redondo, y pourvut ; ou, selon d’autres, les gentilshommes que nous venons de nommer, remirent à Barreto les vingt mille reis. A ce vil prix, dit Faria e Sousa, furent achetés la liberté de Camoens et l’honneur de Pedro Barreto.
Diogo de Couto fit la connaissance intime de Camoens pendant cette relâche à Sofala. Cet écrivain a consigné dans son histoire un fait bien propre à exciter nos regrets. « Cet excellent poète, dit-il, pendant l’hiver qu’il séjourna à Mozambique, s’occupait de préparer les Lusiades pour l’impression. Je le vis de plus travailler avec ardeur à un livre intitulé le Parnasse de Luiz de Camoens. C’était un ouvrage rempli d’érudition, de savoir et de philosophie ; on le lui vola. »
Je ne sais sur quelle autorité Faria e Sousa pense que c’est lui-même qui l’a détruit.
Ce fut sans doute à cette époque (1568) qu’il composa le sonnet deux cent vingt-huitième, sur la belle défense de Malaca par dom Leoniz Pereira. La nouvelle de ce fait d’armes dut lui être apportée par les vaisseaux venus de Goa.
Camoens s’embarqua sur le Santa Fé ; la flottille fut en vue de Lisbonne à la fin de 1569 ; mais il ne put sitôt prendre terre. Le Portugal, était en proie à une peste si terrible, qu’elle en a conservé le nom de grande. On lit dans la chronique de Sâo Domingos qu’il y eut à Lisbonne six cents morts en un seul jour du mois d’août 1569, et qu’il mourut, en tout, soixante-et-dix mille personnes. Camoens trouva donc les eaux du Tage fermées et défendues avec beaucoup de rigueur. Pendant cette quarantaine qui dura plusieurs mois, il vit son ami Heitor da Sylveira tomber malade et mourir en vue de Cintra. Enfin Diogo do Conto, qui était dans le Santa Clara, parvint à débarquer seul (avril 1570), et obtint de la cour qu’on permît à la flottille l’entrée du port. Ce fut vers le mois de mai 1570, dix-sept ans, deux mois et quelques jours après son départ, que Luiz de Camoens rentra dans Lisbonne. Il avait alors quarante-six ans.
Il trouva cette ville dans un état bien différent de celui dans lequel il l’avait laissée. La peste avait décimé toutes les familles ; les intrigues inséparables d’une régence avaient tout brouillé. Le roi, majeur depuis deux ans, gouverné comme notre Louis XIII par de jeunes favoris et par des prêtres, brave comme lui de sa personne et méditant déjà sa malheureuse expédition d’Afrique, répandait sa tristesse mystique sur sa cour et sur le royaume. Ce n’étaient plus cette joie, cette urbanité, ces fêtes qui prouvaient la vigueur et la santé de l’état ; tout lui parut attristé, rapetissé, penchant vers la tombe: ce fut sans doute à la vue de cette décadence et de ce marasme, que se rappelant le passé, il composa cette magnifique épitaphe pour le tombeau de dom Joao III.
SONNET LXIX.
« Qui gît dans ce grand sépulcre ? Quel est celui que désignent les illustres armoiries de ce massif écusson ? rien ! car c’est à cela qu’arrive toute chose ; mais ce fut autrefois un être qui eut tout et qui put tout.
« Il fut roi et il remplit tous les devoirs d’un roi ; il fit avec un soin égal la paix et la guerre. Que la terre lui soit aussi légère à cette heure qu’il fut autrefois pesant au Maure.
« Serait-ce Alexandre ? personne ne s’y trompe : on estime plus celui qui sait conserver que celui qui n’a su que conquérir. Serait-ce Adrien, ce puissant maître du monde ?
« Il observa mieux les lois d’en haut. C’est donc Numa ? Non ; mais c’est João III de Portugal, et il restera sans second. »
Dès les premiers temps de son retour à Lisbonne, Camoens se lia d’amitié avec un écrivain distingué, le licencié Manoel Correa, curé de Saint-Sébastien, dans la Mouraria, et examinateur synodal de l’archevêché de Lisbonne. C’est à ce savant homme que nous devons de connaître les traits de Camoens : il fit faire un portrait de l’auteur des Lusiades, portrait que Faria e Sousa a fait depuis graver en regard du sien, dans son Commentaire (1639). Déjà Severim avait publié un buste de Camoens dans ses Discursos variio e politicos, en nous apprenant seulement que l’original appartenait à son neveu Gaspard Severim. Ces deux portraits diffèrent assez peu pour qu’on puisse les regarder comme les copies d’un même modèle. Dans l’un et l’autre les traits sont nobles et d’une expression sévère. Nous savons d’ailleurs par Severim que Camoens était de taille moyenne, qu’il avait le visage plein, le front proéminent, le nez fort, la barbe et les cheveux d’un blond qui tirait sur le safran. « Quant à son humeur, dit le même écrivain, elle était gaie et facile ; mais, avec l’âge, il devint un peu mélancolique ». On aurait pu le devenir à moins.
Cependant Camoens était au moment d’avoir achevé son œuvre. Les Lusiades, cette première épopée moderne, allait enfin voir le jour. Camoens l’avait rêvée à Coïmbre, commencée à Santarem, travaillée à Ceuta ; il en avait presque terminé six chants avant son départ pour l’Inde ; il l’avait reprise à Goa, presque achevée à Macao, revue à Sofala. En 1670, il récrivit le dixième chant à Lisbonne et ajouta une dédicace et un épilogue où il adressait au jeune roi de mâles et sévères conseils. Le 24 septembre 1571 (et non le 4, comme le dit M. F. Alex. Lobo), il obtient le real alvara qui lui permettait d’imprimer. Enfin, en 1572, parurent les Lusiades.
Le succès fut très grand, puisque, chose presque inouïe en Portugal, il fut publié une seconde édition dans la même année.
Pedro de Mariz et Diogo Barbosa racontent qu’un certain P. da Costa Perestrello, qui avait composé un poème sur le même sujet, renonça à le faire paraître. De nos jours, M. J. Agost. de Macedo a été moins modeste. Le succès des Lusiades ne se démentit pas : en 1813, il s’en était déjà vendu douze mille exemplaires, et vingt mille en 1624. Le Tasse, qui n’avait pas encore publié la Jérusalem, adressa un beau sonnet à celui qu’il regardait comme son maître et son rival.
La pension que Camoens obtint pour ses seize années de services militaires (car je ne pense pas que son poème ait été porté en ligne de compte) fut de 15,000 reis, 100 fr. environ, ce qui représente à peu-près 500 fr. d’aujourd’hui. Une clause du brevet lui enjoignait de résider à Lisbonne, na corte, et de le faire réviser tous les trois ans. Cette somme, toute modique qu’elle fût, lui était inexactement payée ; aussi disait-il quelquefois eu riant qu’il voulait demander au roi de changer ses quinze mille reis en quinze mille coups de fouet pour ses ministres.
Camoens ne fit plus que très peu de vers après la publication des Lusiades. Peut-être est-ce à cette époque qu’il composa la requête qu’on lui attribue, et dans laquelle il justifie une jeune femme, emprisonnée dans le Limoeiro de Lisbonne, pour avoir été infidèle à son mari qui voyageait dans l’Inde. En 1575, il adressa des stances à dom Sébastien, à l’occasion d’une flèche que le pape lui avait envoyée pour l’exciter contre les Maures. Deux ans après, il fit un sonnet en l’honneur de dom Luiz de Atayde nommé, pour la seconde lois, vice-roi de l’Inde.
Malgré la célébrité que lui avait donnée son poème, il vivait dans la retraite, car sa pauvreté était extrême. Il habitait une petite chambre dans une maison attenant l’église du couvent de Santa Anna des religieuses franciscaines, au bout d’une petite rue qui conduisait à la maison des jésuites.
Sa verve poétique, jusque-là si abondante et si facile, commença à tarir. Pedro de Mariz rapporte qu’un homme riche et de qualité, dom Ruy Dias da Camara (Faria e Sousa l’appelle dom Ruv Gonçales), lui commanda une traduction des psaumes de la pénitence. La besogne n’avançait pas. L’acheteur s’en plaignit durement au poète, qui lui répondit avec douceur : « Quand je faisais des vers, j’étais jeune, bien portant, amoureux, entouré de l’affection de beaucoup d’amis et de la faveur des dames ; cela me réchauffait et animait ma verve. Aujourd’hui je n’ai plus d’esprit, je n’ai plus cœur à rien. Voici mon Javanais qui me demande deux moedas pour avoir du charbon, et je ne puis les lui donner. »
Cependant il trouva encore un chant funèbre pour dona Maria, fille du roi dom Manoel, princesse belle et savante, qui mourut en 1578. Le sonnet quatre-vingt-trois, contient probablement les derniers vers qu’il ait composés. Peut-être perdait-il à la mort de cette dame la dernière de ses protectrices. Bientôt il en fut réduit à vivre d’aumônes. Antonio, le Javanais qu’il avait amené de la Chine, allait la nuit dans les carrefours mendier pour sa nourriture et celle de son maître.
C’est par une exagération qu’il a sans doute crue poétique que le dernier traducteur anglais des Lusiades ; M. Mickle, a supposé que Camoens se plaçait sur le pont d’Alcantara, aussi écarté que notre pont d’Austerlitz, pour demander lui-même l’aumône aux passans. En vérité, les malheurs de Camoens n’ont pas besoin qu’on les exagère.
Faria e Sousa raconte qu’une mulâtresse, nommée Barbara marchande dans les rues de Lisbonne, donnait très souvent à Camoens ou à son Javanais vin plat de ce qu’elle vendait et quelquefois un peu d’argent. La seule consolation qu’il eût alors était d’aller le soir au couvent de Saint-Dominique, dont sa demeure était voisine, et de s’entretenir avec quelques religieux, entre autres, avec les pères Foreiro et Luiz de Granada. Il allait aussi souvent dans ce monastère entendre les leçons du professeur de philosophie morale. Si le Poème de la création de l’homme ne lui était pas, comme je pense, faussement attribué, il faudrait en rapporter la composition à cette époque.
Enfin un cruel, un dernier malheur vint le frapper : il vit mourir son Javanais. Alors tout fut terminé : il ne se pouvait plus, dit Pedro de Mariz, que Camoens vécût après la mort de celui-là seul qui le faisait vivre.
Il tomba gravement malade et fut porté à l’hôpital des pauvres.
Conservant cette résignation demi-sardonique que nous lui avons déjà vue, il écrivit de cet asile une lettre dont il nous est parvenu ce fragment : « Qui pourra jamais dire que, sur un aussi étroit théâtre que ce misérable grabat, la fortune se soit plu à représenter d’aussi grandes infortunes ? Et moi, loin d’accuser la cruauté du sort, je me range de son parti contre moi-même ; car il y aurait une sorte d’impudence à vouloir tenir tête à tant de maux. »
Cette lettre, adressée, selon quelques-uns, à dom Francisco d’Almeyda, ou plutôt, comme je le suppose, au comte de Vimioso, dom Francisco de Portugal, ne le trouva pas sans pitié. Camoens sortit du refuge des pauvres. Je n’ignore pas que, suivant une autre tradition très accréditée, Camoens serait mort à l’hôpital même. Plusieurs raisons peuvent permettre d’en douter. La première, c’est qu’il est prouvé que Camoens ne fut pas enterré dans le cimetière de l’hôpital, mais dans un coin de l’église de Santa Anna, sa paroisse ; la seconde, c’est que dom Francisco de Portugal envoya à son logis un drap pour l’ensevelir. Enfin Manoel Correa, énumérant (ch. X, oct. 23) les hommes recommandables morts dans l’asile de la charité, ne parle pas de Camoens.
L’opinion contraire, appuyée sur l’autorité de Diogo Barbosa, est confirmée par une note écrite de la main d’un pieux missionnaire, José Indio, sur un exemplaire des Lusiades que possède aujourd’hui lord Holland. Cette note est ainsi conçue:
« Qu’y a-t-il de plus déplorable que de voir un si grand génie si mal récompensé ? Je l’ai vu mourir dans un hôpital de Lisbonne, sans avoir un drap pour se couvrir, lui qui avait si bravement combattu dans l’Inde orientale et qui avait fait cinq mille cinq cents lieues en mer. Grande leçon pour ceux qui se fatiguent à travailler nuit et jour et aussi vainement que l’araignée qui ourdit sa toile pour y prendre des mouches. »
Il peut résulter de cette apostille que José Indio a vu Camoens à l’hôpital, sans qu’il faille prendre à la lettre les mots je l’ai vu mourir.
Ce fut dans ces circonstances que le désastre d’AIkacer Kébir (4 août 1578) frappa de mort le Portugal. Il restait encore à Camoens une larme pour sa patrie : Ah ! s’écria-t-il, du moins je meurs avec elle ! Il répéta la même pensée dans la dernière lettre qu’il ait écrite. « Enfin, disait-il, je vais sortir de la vie, et il sera manifeste à tous que j’ai tant aimé ma patrie, que non-seulement je me trouve heureux de mourir dans son sein, mais encore de mourir avec elle. »
Il ne survécut que peu de mois à ce désastre, et mourut au commencement de 1579, à l’âge de cinquante-cinq ans.
Il fut enterré très pauvrement dans l’église de Santa Anna, dit Pedro de Mariz, à gauche en entrant et sans que rien indiquât sa sépulture. Ses malheurs firent une impression si profonde, que personne ne voulut plus occuper la maison qu’il avait habitée. Elle est restée vide depuis sa mort. Les prévisions de Camoens ne tardèrent pas à s’accomplir. Le Portugal, ce royaume né d’une victoire et mort dans une défaite, tomba bientôt sous le joug de Philippe II. Ce monarque visitant ses nouvelles provinces, s’informa du poète, et, en apprenant qu’il n’existait plus, il témoigna un vif regret.
Pedro de Mariz raconte qu’un noble Allemand écrivit à son correspondant de Lisbonne de chercher la place où Camoens était enterré, et, si ce grand poète n’avait pas un tombeau digne de lui, il le chargeait de s’arranger avec la ville pour obtenir la permission de lui envoyer ses os avec toute la décence et le respect qui leur étaient dus. Ce généreux Allemand s’engageait à élever à l’Homère portugais un mausolée comparable à ceux des anciens les plus illustres.
Ce fut peut-être cette démarche faite par un étranger qui rappela aux compatriotes de Camoens que l’auteur des Lusiades n’avait pas de tombe. Seize ans après sa mort, un ami des lettres qui peut-être était absent quand il mourut, dom Gonçalo Coutinho, fit chercher sa sépulture et la rétablit dans un endroit voisin du chœur des religieuses. Il la couvrit d’une simple pierre presque au niveau du sol, sur laquelle il inscrivit cette épitaphe :
Ci gît Luiz de Camoens, le prince des poètes de son temps ; il vécut pauvre et misérablement et mourut de même, l’an 1579.
Et plus bas :
Cette tombe a été construite aux frais de dom Gonçalo Coutinho. Que personne n’y soit plus enterré.
C’est un beau résumé de la vie de Camoens que cette simple ligne :
Il vécut pauvre et misérablement et mourut de même.
On ne pouvait dire moins de celui qui avait souffert tant de traverses, combattu à tant de batailles, et, comme dit Jose Indio, fait cinq mille cinq cents lieues sur mer. Je ne connais pas l’épitaphe de notre bonhomme Chapelain, lequel mourut pour s’être mouillé les jambes dans le ruisseau de la rue Saint-Honoré, de peur de perdre son jeton à l’académie, mais je m’offre à parier qu’elle était plus longue et plus pompeuse.
Relisons celle de Boileau, telle que messieurs de l’académie des inscriptions et belles-lettres l’ont refaite en 1815. La voici ; elle est placée dans la chapelle Saint-Paul, le long du chœur de l’église de Saint-Germain-des-Prés:
Hic. sub. Titulo Fatis. Diu. Jactati  In. omoe. sevum. tandem, compusiti  Jacent. Cineres  Nicolai. Boileau. Despreaux etc.
Vous ne savez pas peut-être ce que Messieurs de l’académie ont voulu dire par cette expression, Cineres fatis diu jactati, qu’on pourrait à peine appliquer aux cendres de Napoléon, si on les rapportait de Sainte-Hélène ? Ils ont voulu dire que les cendres de Nicolas Boileau d’abord placées dans la Sainte-Chapelle au-dessous du Lutrin qu’il a si bien chanté, ont été transférées, en 1793, au musée des Petits-Augustins, puis de là déposées pour l’éternité dans l’église voisine de Saint-Germain-des-Prés. C’est une belle chose que la rhétorique.
Je préfère l’épitaphe de Camoens. — Il est vrai qu’on en a ajouté depuis de bien longues et de bien mauvaises.
Martini Gonsalves da Caméra, qui avait été premier ministre du roi dom Sébastien, et qu’on peut difficilement compter parmi les protecteurs de Camoens, fit composer pour sa tombe, par le jésuite Mattheos Cardoso, professeur à l’université d’Evora, quelques distiques latins d’une emphase et d’une érudition tout-à-fait scolastiques :
Naso elegis, Flaccus lyricis, epigrammate Marcus, etc.
De son côté, dom Gonçalo Coutinho, comme pour expier ce que sa première inscription paraissait avoir de trop simple, en fît faire une autre en vers latins par dom Manoel de Souza Coutinho, depuis Frey Luiz de Souza ; c’est un dialogue entre le tombeau du poète et un passant : Quod Maro sublimi, etc. Elle est imprimée dans la première édition des Rimas (1595) et depuis répétée partout. Cette édition des Poésies diverses de Camoens, alors éparses et inédites, est un monument tout autrement splendide élevé par le même dom Gonçalo Coutinho à la gloire de Camoens.
Ces mots incroyables placés dans l’épitaphe de Boileau, in omne œvum ; vae rappellent la dernière chose qu’il me reste à dire de Camoens.
Comme s’il était dans sa destinée de n’avoir pas même de repos au fond du sépulcre, l’église de Santa Anna fut renversée par le tremblement de terre qui détruisit presque entièrement Lisbonne en 1755.
L’église a été rebâtie ; mais personne, que je sache, n’a cherché à recueillir au milieu des décombres les restes du grand poète et du grand citoyen.

 CHARLES MAGNIN

Revue des Deux Mondes
1832

Tome 6
Littérature étrangère – Luiz de Camoëns

 

Luis de Camões : Vie & Œuvre – Poèmes – Les Lusiades – Os Lusiadas – Traduction Jacky Lavauzelle


LITTERATURE PORTUGAISE

literatura português

Luis de Camões
[1525-1580]
Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle
texto bilingue

Luis de Camoes Les Lusiades

Œuvre de

Luis de Camões
Obras de Luis de Camões

 Luis de Camoes Oeuvres obras Artgitato
Photo
Jacky Lavauzelle
Tableau de Luis de Camoes par François Gérard

********
Poèmes

*

Amor é fogo que arde sem se ver
LAmour, ce feu qui ardemment nous brûle sans aucune flamme

******

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LES SONNETS DE LUIS DE CAMÕES
os sonetos de Luís de Camões

sonnet-ix-luis-de-camoes-soneto-ix-artgitato

**********

OS LUSIADAS
1556

A Epopeia Portuguesa


LES LUSIADES

CHANT I
Canto Primeiro
106 Versets

*

CHANT II
Canto Segundo

113 Versets

*

CHANT III
Canto Terceiro

VERSET 1 à VERSET 94

*

CHANT III
Canto Terceiro

VERSET 95 à VERSET 143

Traduction Jacky Lavauzelle

**

CHANT IV
CANTO IV

VERSET 1 A VERSET 104

**

CHANT V
CANTO V

VERSET 1 A VERSET 100

**

CHANT VI
Canto Sexto

VERSET 1 à VERSET 99

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Sur Luis de Camões

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LA VIE DE LUIS DE CAMÕES
par CHARLES MAGNIN
en 1832

La REVUE DES DEUX MONDES

La Vie de Luis de Camoes par CHARLES MAGNIN Artgitato1832

************

À Camoëns
Poème d’Achille Millien

Tout peuple a ses grands jours que burine l’Histoire,
Soit qu’après la bataille il fête la victoire,

Achille Millien par Paul Adolphe Rajon Artgitato Oeuvres et Poèmes

***********

Luis de Camões
dans la Première Encyclopédie
LE VIRGILE DES PORTUGAIS

Terminons cet article intéressant de Lisbonne par dire un mot d’Abarbanel, de Govea, de Lobo, & sur-tout du Camoens, dont cette ville est la patrie.

Mais le célebre Camoens a fait un honneur immortel à sa patrie, par son poëme épique de la Luziade. On connoît sa vie & ses malheurs. Né à Lisbonne en 1524 ou environ, il prit le parti des armes, & perdit un œil dans un combat contre les Maures. Il passa aux Indes en 1553, déplut au viceroi par ses discours, & fut exilé. Il partit de Goa, & se réfugia dans un coin de terre déserte, sur les frontieres de la Chine. C’est là qu’il composa son poëme ; le sujet est la découverte d’un nouveau pays, dont il avoit été témoin lui-même. Si l’on n’approuve pas l’érudition déplacée qu’il prodigue dans ce poëme vis-à-vis des Sauvages ; si l’on condamne le mélange qu’il y fait des fables du paganisme, avec les vérités du Christianisme, du-moins ne peut-on s’empêcher d’admirer la fécondité de son imagination, la richesse de ses descriptions, la variété & le coloris de ses images.

On dit qu’il pensa perdre ce fruit de son génie en allant à Macao ; son vaisseau fit naufrage pendant le cours de la navigation ; alors le Camoens, à l’imitation de César, eut la présence d’esprit de conserver son manuscrit, en le tenant d’une main au-dessus de l’eau, tandis qu’il nageoit de l’autre. De retour à Lisbonne en 1569, il y passa dix ans malheureux, & finit sa vie dans un hôpital en 1579. Tel a été le sort du Virgile des Portugais. (D. J.)

Jaucourt
L’Encyclopédie
Première Edition de 1751
Tome 9, pp. 572-573

******************

SONNET de Sainte-Beuve

IMITÉ DE WORDSWORTH

Ne ris point des sonnets, ô Critique moqueur !
Par amour autrefois en fit le grand Shakespeare ;
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire,
Et que le Tasse aux fers soulage un peu son cœur ;

Camoens de son exil abrège la longueur,
Car il chante en sonnets l’amour et son empire ;
Dante aime cette fleur de myrte, et la respire,
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur ;

Spenser, s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries ;
Milton, chantant les siens, ranimait son regard :

Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France ;
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.

Charles Augustin Sainte-Beuve
Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
Poésies de Sainte-Beuve
 Michel Lévy frères, 1863
p. 136

**************

LES LUSIADES
dans les
ENFANTS DU CAPITAINE GRANT
de Jules Verne


Ceci dit, Paganel fouilla dans ses nombreuses poches ; après quelques minutes de recherches, il en tira un volume en fort mauvais état, et le présenta d’un air assuré. Le major prit le livre et le regarda :
« Eh bien, quel est cet ouvrage ? demanda-t-il.
—Ce sont les Lusiades, répondit Paganel, une admirable épopée, qui…
— Les Lusiades ! s’écria Glenarvan.
— Oui, mon ami, les Lusiades du grand Camoëns, ni plus ni moins !
— Camoëns, répéta Glenarvan, mais, malheureux ami, Camoëns est un Portugais ! C’est le portugais que vous apprenez depuis six semaines !
— Camoëns ! Lusiades ! portugais !… »
Paganel ne put pas en dire davantage. Ses yeux se troublèrent sous ses lunettes, tandis qu’un éclat de rire homérique éclatait à ses oreilles, car tous ses compagnons étaient là qui l’entouraient.
Le Patagon ne sourcillait pas ; il attendait patiemment l’explication d’un incident absolument incompréhensible pour lui.

Jules Verne
LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT
Chapitre XV
Hetzel, 1868
pp. 106-114

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Vie & Œuvre
de
Luis de Camões

 

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Sur Luis de Camões

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LA VIE DE LUIS DE CAMÕES
par CHARLES MAGNIN
en 1832

La REVUE DES DEUX MONDES

La Vie de Luis de Camoes par CHARLES MAGNIN Artgitato1832

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À Camoëns
Poème d’Achille Millien

Tout peuple a ses grands jours que burine l’Histoire,
Soit qu’après la bataille il fête la victoire,

Achille Millien par Paul Adolphe Rajon Artgitato Oeuvres et Poèmes

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Luis de Camões
dans la Première Encyclopédie
LE VIRGILE DES PORTUGAIS

Terminons cet article intéressant de Lisbonne par dire un mot d’Abarbanel, de Govea, de Lobo, & sur-tout du Camoens, dont cette ville est la patrie.

Mais le célebre Camoens a fait un honneur immortel à sa patrie, par son poëme épique de la Luziade. On connoît sa vie & ses malheurs. Né à Lisbonne en 1524 ou environ, il prit le parti des armes, & perdit un œil dans un combat contre les Maures. Il passa aux Indes en 1553, déplut au viceroi par ses discours, & fut exilé. Il partit de Goa, & se réfugia dans un coin de terre déserte, sur les frontieres de la Chine. C’est là qu’il composa son poëme ; le sujet est la découverte d’un nouveau pays, dont il avoit été témoin lui-même. Si l’on n’approuve pas l’érudition déplacée qu’il prodigue dans ce poëme vis-à-vis des Sauvages ; si l’on condamne le mélange qu’il y fait des fables du paganisme, avec les vérités du Christianisme, du-moins ne peut-on s’empêcher d’admirer la fécondité de son imagination, la richesse de ses descriptions, la variété & le coloris de ses images.

On dit qu’il pensa perdre ce fruit de son génie en allant à Macao ; son vaisseau fit naufrage pendant le cours de la navigation ; alors le Camoens, à l’imitation de César, eut la présence d’esprit de conserver son manuscrit, en le tenant d’une main au-dessus de l’eau, tandis qu’il nageoit de l’autre. De retour à Lisbonne en 1569, il y passa dix ans malheureux, & finit sa vie dans un hôpital en 1579. Tel a été le sort du Virgile des Portugais. (D. J.)

Jaucourt
L’Encyclopédie
Première Edition de 1751
Tome 9, pp. 572-573

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SONNET de Sainte-Beuve

IMITÉ DE WORDSWORTH

Ne ris point des sonnets, ô Critique moqueur !
Par amour autrefois en fit le grand Shakespeare ;
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire,
Et que le Tasse aux fers soulage un peu son cœur ;

Camoens de son exil abrège la longueur,
Car il chante en sonnets l’amour et son empire ;
Dante aime cette fleur de myrte, et la respire,
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur ;

Spenser, s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries ;
Milton, chantant les siens, ranimait son regard :

Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France ;
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.

Charles Augustin Sainte-Beuve
Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme
Poésies de Sainte-Beuve
 Michel Lévy frères, 1863
p. 136

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LES LUSIADES
dans les
ENFANTS DU CAPITAINE GRANT
de Jules Verne


Ceci dit, Paganel fouilla dans ses nombreuses poches ; après quelques minutes de recherches, il en tira un volume en fort mauvais état, et le présenta d’un air assuré. Le major prit le livre et le regarda :
« Eh bien, quel est cet ouvrage ? demanda-t-il.
Ce sont les Lusiades, répondit Paganel, une admirable épopée, qui…
— Les Lusiades ! s’écria Glenarvan.
— Oui, mon ami, les Lusiades du grand Camoëns, ni plus ni moins !
— Camoëns, répéta Glenarvan, mais, malheureux ami, Camoëns est un Portugais ! C’est le portugais que vous apprenez depuis six semaines !
— Camoëns ! Lusiades ! portugais !… »
Paganel ne put pas en dire davantage. Ses yeux se troublèrent sous ses lunettes, tandis qu’un éclat de rire homérique éclatait à ses oreilles, car tous ses compagnons étaient là qui l’entouraient.
Le Patagon ne sourcillait pas ; il attendait patiemment l’explication d’un incident absolument incompréhensible pour lui.

Jules Verne
LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT
Chapitre XV
Hetzel, 1868
pp. 106-114

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Vie & Œuvre de Luis de Camões