L’Homme aux cent visages
(Il Mattatore – 1960)
A la recherche du monde parfait
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Dino Risi, dans Il Mattatore, Le Protagoniste ou L’Homme aux cent visages, filme la disparition de la vérité ; une vérité qui n’existe pas, nulle part. Il ne dit pas comme Danton, « la vérité, l’âpre vérité », mais le mensonge, le doux et beau mensonge.
LE MAÎTRE DES MENTEURS
Si la vérité effleure les personnages, c’est pour mieux les quitter. Ce qui domine, c’est le mensonge ; mais un mensonge à plusieurs niveaux, avec de multiples caquettes. Qui sera le plus faux, qui jonglera le mieux avec le réel ? Le maître des menteurs, le roi des fariboles et des balivernes se trouve être notre protagoniste, Gerardo Latini (Vittorio Gassman) du début jusqu’à la fin. Il ment à sa femme (Anna Maria Ferrero) comme à ses amis, et les autres ne se privent pas non plus de mentir. Sûrement se ment-il à lui-même ; il en est bien capable, le bougre !
L’ARROSEUR ARROSE
Et à force de mentir et de gruger son monde, Gerardo va se retrouver dupé, roulé dans la farine ; il se fera avoir dans ce qu’il croit être un simulacre de mariage ; sa future femme, à bonne école, va le duper à son tour. Il se mariera pour de bon. « Mariage = prison« .
ATTEINDRE LE MENSONGE SUPRÊME
Dino Risi renvoie la traditionnelle question de la vérité,que vaut notre connaissance des choses et des gens ? Pouvons-nous atteindre la vérité ?, à une question moins traditionnelle : Comment peut-on atteindre le mensonge suprême afin de posséder et de voler un peu plus les gens.
GERARDO TROUVE SON MAÎTRE
Donc Gerardo dans sa quête commence, lourdaud, pataud, avec des petits larcins er des coups de pacotilles. Mais déjà il trouve un maître, en prison, bien sûr. Et déjà il élabore des scénarios de plus en plus perfectionnés et imparables. Commence les premiers déguisements, avec les ajouts qui valorisent le personnage et apportent de la considération et du respect, comme les décorations de guerre et les distinctions aux combats.
CONFONDRE LE REEL
Pour que le mensonge marche, il faut qu’il adopte les pas de la vérité. Veritas adœquatio rei et mentis, la conformité du réel à l’esprit. Il faut donc jouer à être plus vrai que la vérité même, à se plaquer au réel, jusqu’à l’évidence de la réalité. Et cette évidence, elle se sent, elle se renifle. Il faut alors une certaine bestialité, une animalité hors du commun que possède Gerardo. Même les policiers, il les flaire et renifle aussitôt ! « Ils sentent la même odeur pourrie que l’on trouve dans un cachot ! »
GERARDO L’ACTEUR !
Ce flair, Gerardo s’en sert, constamment. Il joue avec cette énergie animale ; Elle déborde sur l’autre, qui se trouve comme noyé dans ce torrent de gestes et de paroles. Il est fondamentalement acteur ; d’ailleurs, c’est son métier. Ses amis le nomment Gérardo l’acteur. Dans la scène de la prison, il éructe, il explose, il est l’attraction qui sublime le lieu. Si Socrate se demandait comment il était possible d’atteindre la vérité, Gerardo, lui, se demande quand et comment il pourra jouer le grand rôle avec un mensonge démesuré, et pourtant, à première vue, si quelconque.
D’où la persévérance dans l’acte, jusqu’à faire pleurer des prisonniers endurcis, à leur faire oublier les visites au parloir.
EN 1953, JE N’AVAIS PAS ENCORE LE FLAIR !
De la persévérance dans son travail ; et cela prend forcément du temps. Mais Gérardo analyse et décortique toutes les évolutions, toutes les acquisitions de compétences. « En 1953, je n’avais pas encore le flair ! »
L’EXPLOSION DU DOUTE
Gerardo n’aurait certainement pas résisté au criticisme kantien. Ce doute remet en cause l’image donnée, celle qui se présente en toute naïveté et innocence devant nos sens ; Gerardo fait exploser le doute dans tous ces coups fourrés. Il les conduit de mains de maître ; des coups parfois énormes ; des opérations qui vont crescendo de plus en plus grosses, jusqu’à la scène finale sur le vol des joyaux de la couronne britannique.
L’ERREUR IMPLIQUE DE LA CONNAISSANCE ET DE L’AFFIRMATION
Et l’erreur, comme le signalait Victor Brochard (De l’erreur, 1879) n’est pas quelque chose de simplement, de purement négatif. L’erreur, dans sa nature, dans son sens le plus précis, implique de la connaissance et de l’affirmation. Et Gerardo apprend et affirme toujours. Il sait tout et ne perd jamais le contrôle, même quand il se fait prendre, il ne cherche pas à fuir.
TOUJOURS MODESTE !
Pour cela, il suffit de cacher son jeu, jouer le benêt, le poli, l’aimable ou le maladroit, comme dans le premier plan du film, où il descend du bus après les autres et fait tomber dans la rue les pommes qu’il tenait dans une poche. Les passants honnêtes viennent l’aider et les lui ramassent. « Toujours modeste ! » dira un de ses acolytes.
TU N’AS PAS DE METIER, L’AMI !
Il a fait un pacte avec son épouse. Il ne doit plus voler, « tu dois oublier tout ça ! », lui qui, donnait en un seul pourboire, à l’Excelsior, quinze mille lires, le voilà obligé de prendre le bus aux heures de pointe. « Qu’ai-je fait au bon dieu pour trouver une femme pareille ? » Ce pacte tiendra-t-il longtemps ? L’homme qui sonne à son domicile, veut vendre un candélabre en argent massif. Est-ce un voleur, un policier ? Qui essaie de gruger l’autre ? Pour le moment, nous nous laissons gruger les premiers puisque nous ne connaissons pas encore les talents de notre Gerardo. Mais il décortique les astuces de notre vendeur à la sauvette : «la maman malade, la substitution, de trente mille tu tombes à dix ; tu me prends pour un bambin ? » Puis vient les conseils, « tu n’as pas de métier, l’ami…Tu ignores tout de ce métier, dès que tu bouges on t’attrape. » Ils se sont connus en prison. Gerardo va lui conter depuis le début ses exploits, comme un maître devant son élève.
TOUT EST EN REGLE !
Savoir se comporter, mais surtout savoir parler. Avoir de la tchatche, du bagout. Et pour cela, Gerardo en a à revendre. Parler pendant que les mains attrapent et subtilisent. Être un magicien, un prestidigitateur, être le roi de l’embrouille. Revoir la scène du café où l’argent de la mallette est subtilisé. Action qui entraînera l’emprisonnement de notre Gerardo, roulé lui-même par son « ami ». « Tout est en règle…le devis…le bilan…Les encaissements de l’année dernière…tout est en règle ! » L’acheteur n’a rien vu ; tous les papiers se passent d’une main à l’autre, de Gerardo à son ami. Et le coup est joué. Ni une ni deux, le protagoniste, « Il mattatore » passera par la case prison. Mais là aussi, il fait son trou, trouve de nouveaux partenaires de jeux, de nouveaux coups sont élaborés.
Et c’est partie remise…
Jacky Lavauzelle
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Une réflexion au sujet de « L’HOMME AUX CENT VISAGES (IL MATTATORE de Dino RISI) A LA RECHERCHE DU MENSONGE PARFAIT »
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