LES DIABOLIQUES BARBEY D’AUREVILLY 1874

LES DIABOLIQUES Barbey d’Aurevilly
Littérature Française




BARBEY D’AUREVILLY
1808 – 1889
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Œuvre de Barbey d’Aurevilly
LES DIABOLIQUES
1874

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LES DIABOLIQUES
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Les Diaboliques
Edition A. Lemerre
1883
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Avertissement

Les Diaboliques ne pouvant être réimprimées dans une édition isolée et spéciale, nous remercions M. E. Dentu, leur premier éditeur, de la bonne grâce avec laquelle il nous a autorisé à faire entrer cet ouvrage dans les Œuvres complètes de M. J. Barbey d’Aurevilly.

L’Éditeur,
A. L.

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Dédicace

À qui dédier cela ?…
J. B. d’A.

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Préface
DE LA
PREMIÈRE ÉDITION DES DIABOLIQUES

VOICI les six premières !

Si le public y mord, et les trouve à son goût, on publiera prochainement les six autres ; car elles sont douze, comme une douzaine de pêches, — ces pécheresses !

Bien entendu qu’avec leur titre de Diaboliques, elles n’ont pas la prétention d’être un livre de prières ou d’Imitation chrétienne… Elles ont pourtant été écrites par un moraliste chrétien, mais qui se pique d’observation vraie, quoique très hardie, et qui croit — c’est sa poétique, à lui — que les peintres puissants peuvent tout peindre et que leur peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu’elle donne l’horreur des choses qu’elle retrace. Il n’y a d’immoral que les Impassibles et les Ricaneurs. Or, l’auteur de ceci, qui croit au Diable et à ses influences dans le monde, n’en rit pas, et il ne les raconte aux âmes pures que pour les en épouvanter.

Quand on aura lu ces Diaboliques, je ne crois pas qu’il y ait personne en disposition de les recommencer en fait, et toute la moralité d’un livre est là…

Cela dit pour l’honneur de la chose, une autre question. Pourquoi l’auteur a-t-il donné à ces petites tragédies de plain-pied ce nom bien sonore — peut-être trop — de Diaboliques ?… Est-ce pour les histoires elles-mêmes qui sont ici ? ou pour les femmes de ces histoires ?…

Ces histoires sont malheureusement vraies. Rien n’en a été inventé. On n’en a pas nommé les personnages : voilà tout ! On les a masqués, et on a démarqué leur linge… « L’alphabet m’appartient », disait Casanova, quand on lui reprochait de ne pas porter son nom. L’alphabet des romanciers, c’est la vie de tous ceux qui eurent des passions et des aventures, et il ne s’agit que de combiner, avec la discrétion d’un art profond, les lettres de cet alphabet-là. D’ailleurs, malgré le vif de ces histoires à précautions nécessaires, il y aura certainement des têtes vives, montées par ce titre de Diaboliques, qui ne les trouveront pas aussi diaboliques qu’elles ont l’air de s’en vanter. Elles s’attendront à des inventions, à des complications, à des recherches, à des raffinements, à tout le tremblement du mélodrame moderne, qui se fourre partout, même dans le roman. Elles se tromperont, ces âmes charmantes !… Les Diaboliques ne sont pas des diableries : ce sont des Diaboliques, — des histoires réelles de ce temps de progrès et d’une civilisation si délicieuse et si divine, que, quand on s’avise de les écrire, il semble toujours que ce soit le Diable qui ait dicté !… Le Diable est comme Dieu. Le Manichéisme, qui fut la source des grandes hérésies du Moyen Âge, le Manichéisme n’est pas si bête. Malebranche disait que Dieu se reconnaissait, à l’emploi des moyens les plus simples. Le Diable aussi.

Quant aux femmes de ces histoires, pourquoi ne seraient-elles pas les Diaboliques ? N’ont-elles pas assez de diabolisme en leur personne pour mériter ce doux nom ? Diaboliques ! il n’y en a pas une seule ici qui ne le soit à quelque degré. Il n’y en a pas une seule à qui on puisse dire sérieusement le mot de « Mon ange ! » sans exagérer. Comme le Diable, qui était un ange aussi, mais qui a culbuté, — si elles sont des anges, c’est comme lui, — la tête en bas, le… reste en haut ! Pas une ici qui soit pure, vertueuse, innocente. Monstres même à part, elles présentent un effectif de bons sentiments et de moralité bien peu considérable. Elles pourraient donc s’appeler aussi « les Diaboliques », sans l’avoir volé… On a voulu faire un petit musée de ces dames, — en attendant qu’on fasse le musée, encore plus petit, des dames qui leur font pendant et contraste dans la société, car toutes choses sont doubles ! L’art a deux lobes, comme le cerveau. La nature ressemble à ces femmes qui ont un œil bleu et un œil noir. Voici l’œil noir dessiné à l’encre — à l’encre de la petite vertu.

On donnera peut-être l’œil bleu plus tard.

Après les Diaboliques, les Célestes… si on trouve du bleu assez pur…

Mais y en a-t-il ?

Jules BARBEY D’AUREVILLY.

Paris, 1er mai 1874.

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Le Rideau cramoisi

Il y a terriblement d’années, je m’en allais chasser le gibier d’eau dans les marais de l’Ouest, — et comme il n’y avait pas alors de chemins de fer dans le pays où il me fallait voyager, je prenais la diligence de *** qui passait à la patte d’oie du château de Rueil et qui, pour le moment, n’avait dans son coupé qu’une seule personne…

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Le plus bel amour de don Juan…

Il vit donc toujours, ce vieux mauvais sujet ?
— Par Dieu ! s’il vit ! — et par l’ordre de Dieu, Madame, fis-je en me reprenant, car je me souvins qu’elle était dévote, — et de la paroisse de Sainte-Clotilde encore, la paroisse des ducs ! — Le roi est mort ! Vive le roi ! Disait-on sous l’ancienne monarchie avant qu’elle fût cassée, cette vieille porcelaine de Sèvres. Don Juan, lui, malgré toutes les démocraties, est un monarque qu’on ne cassera pas…

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Le Bonheur dans le crime

J’étais un des matins de l’automne dernier à me promener au jardin des Plantes, en compagnie du docteur Torty, certainement une de mes plus vieilles connaissances…

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Le Dessous de cartes d’une partie de whist
1850

J’étais, un soir de l’été dernier, chez la baronne de Mascranny, une des femmes de Paris qui aiment le plus l’esprit comme on en avait autrefois, et qui ouvre les deux battants de son salon — un seul suffirait — au peu qui en reste parmi nous…

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À un Dîner d’athées

Le jour tombait depuis quelques instants dans les rues de la ville de ***. Mais, dans l’église de cette petite et expressive ville de l’Ouest, la nuit était tout à fait venue. La nuit avance presque toujours dans les églises. Elle y descend plus vite que partout ailleurs, soit à cause des reflets sombres des vitraux, quand il y a des vitraux, soit à cause de l’entrecroisement des piliers, si souvent comparés aux arbres des forêts, et aux ombres portées par les voûtes…

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La Vengeance d’une femme

J’ai souvent entendu parler de la hardiesse de la littérature moderne ; mais je n’ai, pour mon compte, jamais cru à cette hardiesse-là. Ce reproche n’est qu’une forfanterie… de moralité. La littérature, qu’on a dit si longtemps l’expression de la société, ne l’exprime pas du tout, — au contraire ; et, quand quelqu’un de plus crâne que les autres a tenté d’être plus hardi, Dieu sait quels cris il a fait pousser ! …

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Les Diaboliques Barbey d’Aurevilly