LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE
Christian Johann Heinrich Heine
*
Mein Herz, mein Herz ist traurig,
Mon coeur, mon coeur est accablé,
Doch lustig leuchtet der Mai;
Mais dehors éclate le mois de mai ;
Ich stehe, gelehnt an der Linde,
Contre le tilleul, je me tiens,
Hoch auf der alten Bastei.
Du haut de ce bastion ancien.
*
Da drunten fließt der blaue
Là-bas, coule bleu
Stadtgraben in stiller Ruh’;
Le flot des fossés silencieux ;
Ein Knabe fährt im Kahne,
Un garçon sur son esquif,
Und angelt und pfeift dazu.
En sifflant pêche, attentif.
*
Jenseits erheben sich Freundlich,
Au-delà, des formes chatoyantes foisonnent,
In winziger, bunter Gestalt,
Minuscules et colorées,
Lusthäuser, und Gärten, und Menschen,
Chaumières et pépinières, et personnes
Und Ochsen, und Wiesen, und Wald.
Bœufs, prairies, et forêts.
*
Die Mädchen bleichen Wäsche,
Les jeunes filles retournent le linge qu’elles étendent,
Und springen im Gras’ herum;
Puis facétieuses dans l’herbe se roulent ;
Das Mühlrad stäubt Diamanten,
La roue de moulin sème sa poussière de diamant
Ich höre sein fernes Gesumm’.
J’entends son lointain bourdonnement.
*
Am alten grauen Thurme
La vieille tour gris anthracite
Ein Schilderhäuschen steht;
Se dresse une guérite ;
Ein rothgeröckter Bursche
Une sentinelle rouge groseille
Dort auf und nieder geht.
Là-bas, dans sa ronde, veille.
*
Er spielt mit seiner Flinte,
Il joue avec son arme,
Die funkelt im Sonnenroth,
Qui au soleil scintille ,
Er präsentirt und schultert –
A l’épaule, il l’arme-
Ich wollt’, er schösse mich todt.
Je veux qu’il me fusille.
*
***
HEINRICH HEINE
*
LE LIVRE DES CHANTS
SES PREMIERS CHANTS D’AMOUR
&
L’ANTISEMITISME DE SON TEMPS
Ce sont les impressions de leur jeunesse qui décident de la destinée des poètes ; Heine en est la preuve. Sa cousine Amélie lui avait inspiré ses premiers chants d’amour ; le malheur d’être né juif dans un pays où le juif était regardé comme une race inférieure lui inspira ses premiers cris de guerre, éveilla en lui l’esprit de rébellion, la haine des bigots, des hypocrites, des teutomanes, et fit de ce lyrique un poète militant, toujours prêt à quitter sa mandoline ou sa harpe pour emboucher la trompette des combats. Ses derniers biographes ont raison d’insister sur les souffrances que causèrent à son orgueil l’insolence du chrétien et l’attitude trop soumise des enfants d’Israël, qui s’abandonnaient à leur sort et consacraient l’injustice par le silence de leur résignation. Il lui en coûtait d’appartenir à un peuple honni, traqué par la police, méprisé des grands de ce monde et des cafards. Il était né sous le régime de la loi française, et la France avait émancipé les juifs de Düsseldorf. Après la guerre d’indépendance, on les fit rentrer dans leur antique servitude. A Francfort, on les parquait dans leur ghetto comme un vil bétail ; en Prusse, on les excluait de toutes les fonctions, de toutes les charges ; sauf la médecine, on leur interdisait l’exercice de toute profession libérale. Il a raconté lui-même ce qui se passa dans son âme d’enfant un jour qu’il baisa sur la bouche la fille d’un bourreau, Josepha ou Sefchen, qui lui avait pris le cœur par ses grâces un peu sauvages : « Je l’embrassai, dit-il, non-seulement pour obéir à un tendre penchant, mais pour jeter un défi à la vieille société et à ses sombres préjugés, et, dans ce moment s’allumèrent en moi les premières flammes des deux passions auxquelles j’ai consacré toute ma vie, l’amour pour les belles femmes et l’amour pour la révolution française, pour le moderne furor francese, dont je fus saisi, moi aussi, en combattant les lansquenets du moyen âge. »
G. Valbert
[Victor Cherbuliez 1829-1899]
Henri Heine – Ses derniers biographes allemands
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 74 – 1886