Archives par mot-clé : art

Canzoniere Poet – LE CHANSONNIER Pétrarque Sonnet 74-CANZONIERE PETRARCA Sonetto 74

CANZONIERE POET
TRECENTO
dolce stil novo
Traduction – Texte Bilingue
Le Chansonnier PETRARQUE 74
LITTERATURE ITALIENNE

Dante Boccace Petrarque Guido Cavalvanti Cino da Pistoia Guittone dArezzo Trecento Italien 1544 Giorgio Vasari

Letteratura Italiana

PETRARQUE

Francesco PETRARCA
1304 – 1374

Traduction Jacky Lavauzelle

——–


Canzoniere Petrarca  Sonetto 74

LE CHANSONNIER PETRARQUE Sonnet 74

Rerum vulgarium fragmenta

Fragments composés en vulgaire

Rime In vita di Madonna Laura

PRIMA PARTE
Première Partie

74/366

Io son già stanco di pensar sí come
Je suis déjà fatigué de penser comment
i miei pensier’ in voi stanchi non sono,
mes pensées en vous se trouvent sans en être las,
 et come vita anchor non abbandono
et comment la vie encore ne m’abandonne…

********************
Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
*********************

Ritratto_di_francesco_petrarca,_altichiero,_1376_circa,_padova

canzoniere Petrarca 74
le chansonnier Pétrarque 74
canzoniere poet

DESCAMINADO ENFERMO PEREGRINO de GONGORA Texte & Traduction Epuisé et malade, pèlerin

BILINGUE ESPAGNOL-FRANCAIS – TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE- ARTGITAO

Luis de Góngora y Argote
Literatura
española – Littérature Espagnole
Siècle d’or espagnol -Siglo de Oro 

 

Luis de Góngora y Argote
1561-1627

Sonetos – Sonnets

DESCAMINADO ENFERMO PEREGRINO …
1594

Descaminado enfermo péregrinoLuis de Góngora y Argote Artgitato Soneto Sonnet

 

Descaminado Enfermo Péregrino

Epuisé et malade, pèlerin

 

Descaminado, enfermo, péregrino
Epuisé et malade, pèlerin
en tenebrosa noche, con pie incierto
dans la nuit sombre, incertaine à pied
la confusion pisando del desertio,
déambulant dans la confusion désertique,
voces en vano dio, pasos sin tino.
il appelait en vain mais marchait sans fin.

**

Repetido latir, si no vecino,
Il entendit des jappements répétés, rapprochés,
Distincto oyo de can simpre despierto,
Et puis, plus distinctement, les yeux d’un chien grands ouverts,
Y en pastoral albergue mal cubierto
Et dans une auberge mal couverte
Piedad hallo, si no hallo camino.
Ne trouvant pas sa route, il trouva du réconfort.

**

Salio el sol, y entre arminos escondida,
Le soleil se leva, et cachée d’hermine,
 sonolienta beldad con dulce sana
une beauté endormie avec une saine douceur
 salteo al no bien sano pasajero.
se jeta sur le passager engourdi.

**

Pagara et hospedaje con la vida,
Et il paya l’hébergement de sa vie,
 mas le valiera errar en la montana,
il lui eût été préférable encore d’errer dans la montagne,
   que morir de la suerte que yo muero.
que de mourir de la sorte !
 

***************
Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
***************

INSCRIPCION PARA EL SEPULCRO DE DOMINICO GRECO de LUIS DE GONGORA Texte & Traduction

Luis de Góngora y Argote
Literatura
española – Littérature Espagnole
Siècle d’or espagnol -Siglo de Oro 

 

Luis de Góngora y Argote
1561-1627

Sonetos – Sonnets

Esta en forma elegante, oh peregrino…
Vers 1614

Inscripción para el sepulcro de Dominico Greco Luis de Góngora y Argote Artgitato Soneto Sonnet

 

Inscripción para el sepulcro de Dominico Greco
Inscription pour le sépulcre du Gréco

Esta en forma elegante, oh peregrino,
C’est dans cette forme élégante, Ô pèlerin,
de pórfido luciente dura llave,
brille la clef du dur porphyre,
el pincel niega al mundo más süave, 
que se niche le pinceau au monde le plus doux
que dio espíritu a leño, vida a lino.
qui au bois donna de l’esprit et de la vie à la toile

Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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THINGS MEN HAVE MADE DH Lawrence Traduction Française

LITTERATURE ANGLAISE -English Littérature
THINGS MEN HAVE MADE DH LAWRENCE
David Herbert Lawrence
1885-1930 

Things men have made DH Lawrence Poem Traduction Argtitato Les Choses que les Hommes ont faites


THINGS MEN HAVE MADE
LES CHOSES QUE LES HOMMES ONT FAITES

Things men have made with wakened hands, and put soft life into
are awake through years with transferred touch, and go on glowing for long years.
Les choses que les hommes ont faites avec leurs mains éveillées, où s’est immiscée la vie en douce, sont éveillées pour des années avec ce transfert du toucher, et rayonnent pendant de longues années.
And for this reason, some old things are lovely
Et pour cette raison, certaines choses anciennes sont belles
warm still with the life of forgotten men who made them.
réchauffées  encore avec la vie des hommes oubliés qui les ont faites.

***************
Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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Poemes de DH Lawrence DH Lawrence's poems Artgitato

FERNANDO PESSOA – QU’EST-CE QUE LA MÉTAPHYSIQUE ? – O QUE É A METAFÍSICA? Fernando Pessoa Traduction Française

O que é a Metafisica ?
LITTERATURE PORTUGAISE
Literatura Português
Poésie Portugaise- poesia português
FERNANDO PESSOA
1888-1935
 

Álvaro de Campos
(Heterónimo de Fernando Pessoa
Hétéronyme de Pessoa)

**

O QUE É A METAFÍSICA Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française


 O QUE É A METAFÍSICA?
Qu’est-ce que la métaphysique ?

1924

 

Na opinião de Fernando Pessoa, expressa no ensaio «Athena», a filosofia — isto é, a metafísica — não é uma ciência, mas uma arte. Não creio que assim seja. Parece‑me que Fernando Pessoa confunde o que a arte é com o que a ciência não é. Ora o que não é ciência, nem por isso é necessariamente arte: é simplesmente não‑ciência. Pensa Fernando Pessoa, naturalmente, que como a metafísica não chega, nem aparentemente pode chegar, a uma conclusão verificável, não é uma ciência. Esquece que o que define uma actividade é o seu fim; e o fim da metafísica é idêntico ao da ciência — conhecer factos, e não ao da arte — substituir factos. As ciências realizam esse fim de conhecer factos — realizam‑no umas mais, outras menos — porque os factos que pretendem conhecer são definidos. Mas, antes de conhecidos, todos os factos são in‑definidos; e toda a ciência, em relação a eles, está no estado da metafísica. Por isso chamarei à metafísica, não uma arte, mas uma ciência virtual, pois que tende para conhecer e ainda não conhece. Se ficará sempre virtual, se o não ficará; se há outro «plano» ou vida em que deixe de ser virtual — são coisas que nem eu nem Fernando Pessoa sabemos, porque verdadeiramente não sabemos nada.
De l’avis de Fernando Pessoa, exprimé dans l’essai «Athena», la philosophie – autrement-dit la métaphysique – n’est pas une science, mais un art. Je ne le pense pas. Il semble que Fernando Pessoa confonde ce que l’art est avec ce que la science n’est pas. Maintenant, ce qui n’est pas de la science, n’est pas forcément de l’art : c’est tout simplement de la non-science. Fernando Pessoa pense, bien sûr, que la métaphysique ne pouvant apparemment se rendre à une conclusion vérifiable, ne peut donc pas être une science. Il en oublie que ce qui définit une activité : c’est sa fin ; et la fin de la métaphysique est identique à la fin de la science – la connaissance des faits, et non à fin de l’art – qui remplace les faits…

 

SONGRIT MUAIPROM : L’ETERNITE DE LA LUMIERE DE L’ISAN








ศิลปิน
Songrit Muaiprom

Songrit Muaiprom Portrait Artiste Artgitato

ทรงฤทธิ์ เหมือยพรม
Exposition Bangkok Novembre 2014
BACC : Bangkok Art and Culture Centre
หอศิลปวัฒนธรรมแห่งกรุงเทพมหานคร
ถนน พระราม 1 แขวง วังใหม่ เขต ปทุมวัน
Bangkok 10500, Thaïlande

 L’ETERNITE DE
LA LUMIERE
DE L’ISAN

Des couleurs et de l’éclat, de la joie et de la fête. Et du sacré.

Des couleurs pures et éveillées, sans errances ni vicissitudes. Les peintures sont faites « à la manière de » et garde une signature personnelle d’une évidence naturelle. L’ensemble se compose sur des thèmes joyeux et festifs de chants et de danses qui illuminent les soirées des fêtes en Isan (อีสาน) comme au Laos

Songrit Muaiprom artgitato 2014Songrit Muaiprom peint le mouvement dans l’acte de foi. Il transcende ainsi le cours ordinaire de la vie et sublime ainsi la représentation. Dans sa palette pointe toujours une modernité retenue dans le contexte traditionnel de l’imagerie bouddhiste au travers d’un animal ou d’un trait parcourant l’espace de l’œuvre. Nous vagabondons entre les personnages imaginaires de Joan Miró, les couleurs de Klein ou de Malevitch.

Songrit Muaiprom artgitato

Songrit Muaiprom garde l’étincelle des couleurs qui couvrent les temples en les marquant un peu plus du sceau du religieux : le bleu méditatif, la pensée juste du jaune, l’énergie spirituelle du rouge, et la sérénité de la foi dans le blanc. Mais aussi le vert pour la force, l’énergie de vie, le dépassement de l’envie.Songrit Muaiprom artgitato 2014 2

Drapeau du BouddhismeNous retrouvons quatre des cinq couleurs qui émanent de l’Eveil du Bouddha. Ce sont les couleurs des rayons, de la Budu Res, qui se forment autour de sa tête. Il ne manque que le vert, que Songrit Maiprom garde souvent pour ses représentations de Garuda et de Naga. Ce sont les couleurs que l’on retrouvera sur le drapeau du bouddhisme.

Songrit Muaiprom artgitato 2

Songrit joue particulièrement avec le bleu et le rouge. Deux couleurs que l’on retrouve sur le drapeau de la Thaïlande. Le rouge de la Nation et le bleu de la Royauté. Mais aussi le bleu que l’on retrouve sur de nombreuses toitures de bâtiments de l’Isan et du Laos. Et le rouge, la couleur de la profondeur, de la vie, la couleur de la terre d’Isan.

Songrit Muaiprom Indiginousthai dancing and singing 2014 artgitato

Le côté décoratif reste aussi ancré dans la culture Thaïlandaise. L’œuvre se doit d’être agréable et de ne pas heurter l’œil. Mais plus encore, elle devient porteuse d’une proposition inventrice. La fougue des corps et le balancement des êtres renouvellent alors la lecture classique des œuvres traditionnelles. Songrit relie le spirituel de l’œuvre à la réalité du monde en marquant les thèmes populaires de la rencontre et de la fête sans pour autant heurter le sacré.Songrit Muaiprom Indiginousthai dancing and singing 2 2014 artgitato

Songrit montre des empreintes de vie dans cette nécessaire esthétisation du sacré. Il y place la lumière et alors les humains et les animaux sacrés échangent et communient.

Il y a aussi cette opposition entre la matière épaisse et plâtrée de l’œuvre et la transparence des formes. La première favorisant l’envol et la légèreté de la seconde. Comme cette matière blanche nous semble lourde et sculpturale quand les couleurs viennent soulever l’ensemble. Comme un arbre épais avec la légèreté de son feuillage. L’épaisseur disparaît pour ne laisser que la lumière.

Songrit Muaiprom Indiginousthai dancing and singing 1 2014 artgitatoC’est le corps qui est en fête dans une vision commune entre passé et futur, entre tradition et modernité. Dans sa force du trait et des monochromes, Songrit se place en garant et en défenseur de l’identité d’Isan, bien loin des visions globalisantes et mondialistes. Il ancre la mémoire en libérant les formes dans une danse éternellement lumineuse.

Jacky Lavauzelle

 

 

 

Songrit Muaiprom BACC 2014 2

 

Songrit Muaiprom BACC 2014 3

 

Songrit Muaiprom BACC 2014 4

 

Songrit Muaiprom BACC 2014 5

 

Songrit Muaiprom BACC 2014

 

JEAN DUBUFFET : DE L’ART BRUT AU BRUT DE L’ART TOTEMIQUE (L’ARBRE BIPLAN)

JEAN DUBUFFET
L’ARBRE BIPLAN 1968
résine de polyester
 Museu Colecção Berardo
(Lisbonne)
 DE BELEM A BETHLEEM
de La Terre à la Transcendance

 Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (3)Passent les œuvres glanées par le monde au rythme des deux saisons portugaises, l’été et ce qui précède l’été. Passent les toiles dans le ciel chaud lisboète de l’art mondial. Filent les sculptures torsadées. Passent les œuvres entre les visiteurs fatigués portant encore dans leur chair le poids de la chaleur, de cette chaleur qui enveloppe Berardo ; des visiteurs lourds du poids de la fatigue de cette marche harassante qu’il a fallu faire en partant du Bairro Alto, de l’Alfama ou de la Praça do Comércio ; longue traversée initiatique où l’on croise encore comme par magie les pas de Vasco de Gama ; interminable tapis où se tiennent entremêlés ces millions de pavés blancs glissants et aveuglants. 

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (7)

 

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (6)Coulent les lignes entre le gothique flamboyant, les courbes mauresques, les façades de béton brut, les azulejos usés et de multiples tags politiques et engagés, plus insistants les uns que les autres. Craquent  les milliards de José Berardo qui reviennent en créations multiples, changeantes et multicolores. Suivent  les incontournables d’une visite, la Tour de Belém, les meilleurs pastéis de la pastéléria de Bélem bondée comme toujours par des flots de touristes armés de tongs et de bermudas, le monastère Mosteiro  dos Jerónimos, le Padrão dos Descobrimentos et encore un pastel pour la route longue où nos pieds s’enflamment. Passent les styles, du manuélin baroque au mauresque éclatant. Passent  les siècles, les époques de Manuel 1er, Afonso de Albuquerque au style post-colonial. Passent les grands mouvements dans les murs du Musée Berardo, Constructivisme, Abstraction, Digitale, Cubisme, Pop Art, Minimaliste, Art Brut, Surréalisme, les Warhol, Braque, Hamilton, Blake, Malevitch, Tinguely, de Kooning, Rodtchenko, Dalí,  Kline ou Ray…

Mais reste l’arbre posé devant l’entrée. Face aux éléments et aux turbulences des époques. Reste là, posé sur son tronc blanc, bigarré comme un platane, tagué lui-aussi, mais tagué  par des lianes noires et épaisses le fixant pour toujours dans la terre de Belém. Dubuffet trône là, dans sa blancheur éclatante. L’arbre, dans le bleu intense du ciel, brille. Et si, comme le souligne Bachelard, « tout ce qui brille voit », alors, nous sommes regardés de toutes parts, transpercés.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (8)

 C’est l’arbre biplan. L’arbre-avion, l’arbre qui plane. Un arbre qui devrait plutôt se nommer arbre sesquiplan au vu des deux parties inégales du branchage supérieur ; les deux hélices semblant se ramasser tel un ressort félicitant l’envol. Mais la terre résiste. L’arbre en fait ne semble pas vraiment vouloir décoler. Les lignes se multiplient sans savoir si elles viennent de l’arbre lui-même ou de la terre. Si la terre a engendré l’arbre ou si l’arbre lui-même n’est autre que le créateur de notre lieu.

Pour l’heure, c’est l’arbre qui trône entre le charme des lieux et les beautés du ventre du Musée. Eclats et beautés à ce point rassemblés. Pour Platon, la beauté est ce qui est le plus éclatant, de plus aimable, aimable parce qu’éclatant.

L’arbre Biplan en est l’Eclat.

Mais revenons à nos torsions et nos lignes, car, pour autant, la torsion s’arrête nette prise dans un espace-temps indéfini. Si en 1966, Jean Dubuffet s’engage dans des réalisations en volume, il passe rapidement au monumental. Les deux monuments, l’arbre et le musée, se regardent, se posent et s’opposent, l’un dans un mouvement figé dans l’élan et l’autre posé dans le gris de la masse. Nous voudrions pouvoir monter sur ses ailes improbables et découvrir le Tage lové dans la frondaison imaginaire.

Dans la cour chaude que frappent les vents venus de l’Atlantique ou du Tage, en fonction des heures de la journée, l’arbre se pose, mais sans offrir l’espace d’un repos, la quiétude de l’ombre dans la douceur de la sieste. Le repos et la fraîcheur sont à l’intérieur, notamment dans le hall large et serein.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (9)

Quand Dubuffet abandonne l’huile pour le marker, il découvre la force et les possibilités du polyester. Et cette force se place en toute modernité acceptée dans l’ouverture ou la clôture d’une visite qui ne sera jamais la dernière.

L’arbre donne une note finale à un parcours devenu initiatique. Une cerise sur le pastel de nata. L’arbre est l’entrée ou la sortie. L’alpha et l’oméga du Musée. Il est l’arbre au bout du champ sous lequel le paysan se repose et examine son travail accompli. Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (10)Il est la vraisemblance de la nature devenue polyester, une vraisemblance qui ouvre sa ramure sur l’entrée. Il est ce temps différent ; celui de la lenteur ; une lenteur qui se répand dans l’être et chasse la chaleur pour en créer une autre, plus douce et intense ; la chaleur d’une pensée au monde. Celle de l’attente et de l’ouverture. Celle de la lumière des pavés à notre éclairage intérieur.

Ce nouveau rayonnement, cette diffusion douce de chaleur se concentre à partir de L’Arbre biplan et se diffusera tout au long de la visite, comme le sachet au fond de la théière. C’est le parfum de l’arbre qui permettra le visible. Même si la visite se termine par la cour intérieure où l’arbre vous attend. Surtout si la visite se termine par là. Le visible rendu possible par l’invisible. La découverte se fera alors brusquement dans l’instantanéité. Alors et dans ce sens seulement, la visite prendra un autre sens. L’arbre permettra alors le dévoilement d’un mystère. Un mystère différent pour chacun.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (11)

Dans l’instant de la rencontre dans le mouvement entre ce blanc et ce noir de la ligne. Conforme au modèle sans modèle. Qui attend le spectateur et lui demande des comptes, dans le silence des quelques tongs qui frappent le pavé là-bas, au fond, au niveau des boutiques où trônent les reproductions indéfinies.

Dans le désordre des lignes du tronc et des branches, ni mélancolie, ni angoisse. De la sérénité d’abord. De la respiration aussi. Quand les yeux suivent les méandres et que le corps tourne autour de l’arbre, la chaleur extérieure aidant, le mouvement peut devenir hypnotique. Quand l’arbre termine la visite, le mouvement peut devenir, s’il n’y prête garde, extatique.Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (12)

L’arbre, devenu Totem, nous entraîne alors dans sa dimension propre. A ce moment seulement, le spectateur se rend compte que c’est l’arbre qui couvre le Musée. Que c’est l’arbre qui envahit la forêt des œuvres. Que c’est l’arbre qui compte et que le Musée n’est plus que ce presque-rien. Que l’Arbre est devenu l’œuvre, complète, totale. Une œuvre de foi.

Jean DUBUFFET Museu Berardo Portugal Lisboa (13)Bélem redevenu Bethléem.

Si la réduction est le « commencement » de la phénoménologie chez Husserl, entendu comme science des phénomènes purs. Nous entrons avec Dubuffet dans l’augmentation, la foi des phénomènes totémiques.

De la terre à la transcendance. Nouvelle célébration.

Comme le soulignait Jean-Louis Chrétien, dans l’Effroi du beau :  » A rester sans célébration, que manquerait-il à la beauté ? …Nul compliment n’est requis à cette plénitude et il n’y a pas de réponse à ce qui ne fait pas question. A la beauté notre chant est superflu. Mais il est de cette beauté le propre superflu et seul l’aveugle qui l’ignore pourrait consoler le muet.« 

Jacky Lavauzelle

MICHEL BOUVET : L’ART DUPLICITAIRE

Michel BOUVET
Affichiste

Michel Bouvet Portrait

L’ART DUPLICITAIRE

ou la Question
du Vide & du Plein

 L’affiche familière est là, face à nous, en pulsion.

Elle est toujours familière, passionnément. Elle doit se montrer. C’est sa raison d’être.

« L’homme y passe à travers des forêts de symboles Qui l’observent avec des regards familiers. » (Baudelaire, Correspondances).  Elle glisse autour de nous pour mieux se montrer, pour mieux agripper, comme une liane sur son arbre. Elle nous guette, tel un fauve sur son territoire, La ville, La route, Le carrefour. Elle n’attend que le moment pour nous flécher, nous pénétrer. Elle sait capter toujours l’inconscient et l’esprit parfois. Attirer un instant de notre temps. Elle ne prétend pas  fleureter avec le familier, elle est Le familier. Quoi de plus proche qu’une affiche. C’est notre décor. Notre pollution, même.

Elle devient ce familier décalé, un ailleurs qui nous attrape le regard.

Nous rentrons dans le règne des paradoxes. Le proche et le lointain. Le familier et l’étrange. L’affiche est là qui nous saute à la figure. Nous tort et nous essore. Nos yeux y portent souvent une attention particulière. L’affiche qui semble inoffensive veut faire vibrer en nous plus d’une corde. Du vertige à la panique des silhouettes insondables hantent alors nos lieux. Et le familier s’évapore. Définitivement.

Le dessin d’abord. Il est l’essentiel, la forme première des grottes aux murs de nos cités. D’une autre manière, l’image est vocale et olfactive. Elle s’offre comme la sensation pure, passive et offerte. Posée contre un mur ou un panneau. Elle ne survivra ni aux intempéries ni aux autres spectacles. Papillon qui se pose sur les parpaings et le gris des villes. Hegel parlait de la « supériorité » de l’art vis-à-vis de la nature. Par la nature-même de cet art, l’affiche rend l’art naturel, tellement présent.

Pour autant, cet art se doit d’être autre, différent ; l’affiche doit par nature se faire remarquer, sinon elle n’a plus lieu d’être. Faire tendre l’affiche vers ce naturel qui n’en n’est pas un. Faire tendre le cœur de l’affiche vers la question,  c’est la tendre vers l’infini. L’infini des possibles. Rendre visible les possibles du questionnement ; entr’apercevoir un début de réponse. Car l’affiche en un sens répond. A une question par des multiples questions. Et attirer le voyeur vers la salle où l’imperceptible de l’interrogation pourra prendre forme.

L’affiche à la différence du tag est commanditée par un tiers. Elle est l’œuvre d’un compromis entre l’artiste et la salle de spectacle. Entre l’esprit et le périssable. Entre l’éternité et la poubelle. L’affiche finira en bouillie mais avant elle a fait vivre une idée et l’a enracinée du macadam à notre cerveau.

Alors que le mythe dévoile et que le rite voile, l’art balance entre ce que je vois et ce qui se cache. L’affiche dans la rue paraît évidente.

Elle pourrait être dévoilement. Mais son cœur ne se montre jamais.

C’est quand l’œil s’approche de l’intérieur qu’il n’a jamais été aussi loin, qu’il se retrouve si loin, dans le temps et dans l’espace.  Plus l’œil se perd dans l’affiche, plus il s’éloigne et s’approche du spectacle vivant.

L’affiche nous montre ce qu’elle veut bien montrer. Uniquement. Pas plus et beaucoup plus que ça.

Si « la sonorité d’une phrase non prononcée emplit toute la scène » (Paul Claudel), c’est le non-dit de l’affiche qui emplit toute sa représentation. « Alors que la peinture est un art d’expression, l’affiche est un art de communication, mais dont la qualité réside dans sa capacité artistique le simple fait de communiquer. » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet) Une communication entre le mur et soi, entre l’Idée et une conscience.

Cassandre, le créateur d’affiche, a souligné que « la communication est un but en soi, l’affiche n’est qu’un moyen de communication entre le commerçant et le public, quelque chose comme le télégraphiste : il n’émet pas de messages, il les transmet ; on ne lui demande pas son avis, on lui demande simplement d’établir une communication claire, nette, puissante, précise. » C’est vrai de nombreux affichistes. Mais il y a les Mucha, les Koloman-Moser, Cassandre lui-même, Alain Weill, Kauffer ou Kirchner. Il y a plus près de chez nous, plus proche de nous, Michel Bouvet. L’homme qui illumine les affiches des théâtres depuis quelques décennies déjà. Un regard qui transparaît au-delà des commandes, des discussions et des choix du donneur d’ordres. Les artistes sont entrés dans l’affiche. Il faudrait donc distinguer les artistes publicitaires des artistes duplicitaires. Les premiers répondant à une commande et remplissant consciencieusement le cahier des charges. Les seconds, plutôt travaillant pour l’art et spectacle, et apportant une touche personnelle, à l’image de Michel Bouvet. La duplicité, entendue dans le sens de dédoublement ;  le double de l’artiste répondant d’un côté à la raison de la commande et à l’irrationnel non de la séduction, mais d’une accroche, et de l’autre à l’histoire personnelle de l’artiste, sa formation, ses goûts.

Michel Bouvet a découvert sa vocation lors d’un voyage de l’autre côté du Mur, à Prague. Il a gardé de cette époque, les couleurs et les motifs. Comme il a su les emprunter à Mai 68, aux mouvements féministes,  écologiques, des droits de l’homme, etc. Michel Bouvet est un affichiste totalement engagé. Il récupère de ces décennies d’art de propagande les outils et les traits pop art d’un Rauschenberg qu’il admire, voire plus près de nous des dessinateurs de Fluide Glacial. Les marteaux, les poings fermés, les yeux bandés, les sexes cloutés, une arme avec un svastika, etc. Michel Bouvet concentre sa création avec les festivals et les théâtres, lieux où sa voix peut-être vue. 

Il prend de ces mouvements l’urgence d’une action et la lucidité du symbole. Il trouve l’évidence qui au préalable se refuse. L’évidence ne nie pas la complexité. Elle la dévie. Ainsi la complexité du regard qui peut nous aveugler est cachée. Les affiches de Bouvet ne scintillent pas, ne brillent pas, elles pourraient paraître ternes. « Pour moi, l’objectif d’une affiche ne doit pas être de séduire. La séduction d’une image apparaît lorsque le créateur commence à édulcorer, voire appauvrir le message d’une affiche au profit d’un aspect formel plus conforme à la bienséance, au goût commun de ses contemporains. Il n’y a pas de traces d’audace, d’irrespect ou de détournement dans une image séduisante parce que la démagogie ou l’intérêt commercial poussent à réduire les champs d’investigation de l’artiste et son esprit critique. L’affiche doit être le terrain de la remise en question des valeurs esthétiques dominantes, du questionnement de l’artiste face à la société et contribuer à la réflexion et à la curiosité des autres. » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet) Ces regards de l’affiche sont le plus souvent aveugles. Les yeux sont rares. Ils existent pourtant, francs comme ceux de l’homme enturbanné dans Djebels de Daniel Lemahieu, dans 1794 avec un portrait franc et droit de l’Abbé Grégoire (exposition Musée National des Techniques), Marylin pour la Saison 89/90 du Théâtre de Longjumeau. Mais ce sont des icônes à part entière. Le regard ne rajoute rien et n’enlève rien. Ce sont des mythes. Les expressions sont sans cela absentes. Dans le portrait de Monsieur Vitrac quand l’ombre mange les ¾ du visage. Dans les Yeux d’Encre  (Spectacle d’Arlette Mamiand) l’homme à gauche, en négatif, a des yeux bleutés, aveugles. La femme à droite, les yeux bandés d’un rectangle bleu. Ni l’un, ni l’autre ne voient. Mais l’absence de leurs regards nous fait sentir le nôtre plus fort encore.

Dans Fragment (Mise en espace de Catherine Diverrès), l’affiche est aussi coupée en deux verticalement. A gauche, un regard serein, méditant, de femme, les yeux baissés ; à droite les yeux d’une sculpture de femme identique. La similitude dans la différence nous interpelle. Dans Danae Marguerite (Chorégraphie d’Hervé Jourdet) nous nous retrouvons avec deux personnes en chapeau et anorak. L’une nous tourne le dos quand l’autre semble nous regarder. Mais, en fait, elle se cache. Et le seul fait qu’elle ne souhaite pas être reconnue, nous attire encore plus. Dans Les Saisons de l’Europe, un arbre nous regarde au travers d’un masque. Un regard absent plus expressif encore. Dans La Dupe de Georges Ancey, les lunettes de la femme qui nous fait face sont rayées de sparadrap. Un jeu de dupe qui nous entraîne à savoir ce qu’il y a à penser. A connaître ce qui se cache derrière. A lever le doute en levant le voile. Dans le Don Juan de la Comédie de Genève, les yeux du séducteur sont devenus des bouches pulpeuses et langoureuses. Dans l’attente de ces désirs à voir, nous sommes là dans l’attente.
En fait l’affiche ne brille pas, elle réfléchit.

L’affiche de Michel Bouvet ne cherche pas l’individu mais le groupe. L’affiche n’a pas de voix à entendre, mais une musique ; elle doit donc nous couper le souffle. Un sexe de femme en pointe, un point d’interrogation pris dans le bois de l’instrument (Comment jouer ensemble ? Centre de Pratique Instrumentale des Musiciens Amateurs d’Île de France), une blanche alouette tranquille et blanche sur son feu de bois (L’Alouette d’Anouilh, aux Tréteaux de France) L’affiche de Bouvet met en question, elle cristallise. Moins qu’un résumé de l’œuvre, l’affiche pose la question que l’affichiste, fin lecteur, après deux à trois lectures du texte, se pose. Elle vient souvent d’une incompréhension ou d’une trop grande compréhension, ce qui revient au même.

Le dépouillement, la simplicité – revenir à l’objet, au concept.

Dans simplicité nous trouvons la vérité. Une pensée, attribuée à Lao Tseu, dit que : « Je n’ai que trois choses à enseigner: la simplicité, la patience, la compassion. Ces trois sont vos plus grands trésors. » Pour cela, il faut encore et encore élaguer. Sans pour autant devenir simpliste. Sans pour autant enlever du mystère. Comme l’artisan enlevant par couche fine le bois de la statue afin de lui donner l’expression juste. Une couche de trop et l’œuvre est dévoyée, trahie. Quoi de plus simple qu’un trait, qu’une ligne. Quoi de plus évident qu’un dessin. Plus direct. « Le dessin me paraît le point de départ nécessaire, inévitable. Car le dessin c’est avant tout : le vide et le plein, l’ombre et la lumière qui nous rendent intelligibles les formes. Le dessin est l’expression la plus remarquable de la simplicité, de l’unicité par le dépouillement de ses moyens et le caractère immédiat de sa forme (Matisse, par exemple). » (Michel Bouvet, Affiches Culturelles de Michel Bouvet)

Jacky Lavauzelle

CASPAR DAVID FRIEDRICH : LES PORTES DE L’INFINI

Artgitato Friedhof im Schnee Cimetière sous la neige Caspar David Friedrich 1826 Leipzig

 

 CASPAR DAVID FRIEDRICH
(1774-1840)

 LES PORTES DE L’INFINI

L’œuvre de Caspar David Friedrich n’est pas une œuvre de peintre. Friedrich n’est pas un peintre, c’est un marabout, un mage, un illusionniste. C’est une souffrance et une délivrance. Ce n’est pas une œuvre, c’est une nécessité.

En se postant devant une de ses toiles, nous ne voyons rien.

LE SON DES VIVANTS DE L’AU-DELA et DES MORTS D’ICI BAS
D’emblée, nous ne voyons rien. D’abord, parce qu’il y a trop à voir, d’un voir qui n’est pas d’ici, d’un voir qui dépasse notre être-là devant ce bout de toile. Ensuite, et plus, de prime abord, parce que nous entendons. Avant même d’arriver à la toile. Les tableaux de Friedrich sont une musique, un son. Le son des vivants de l’au-delà et des morts d’ici-bas.

Le son se déplace à la vitesse des vagues sur les rochers, d’un nuage, du tonnerre au-dessus de l’arc-en-ciel. Un son aussi du silence, du bruit infernal de la brume et tempétueux de l’aurore.

LE SON DU MONDE
L’œuvre est le son. Le son insondable qui bat de nos cœurs à la chaloupe en détresse, de ces pierres qui tiennent encore et encore, prêtes à se déverser dans le fossé en contrebas. Un son lancinant, rapide, étouffant et libérateur. Le son du monde et des mondes qui nous arrivent de bien plus loin.

Friedrich nous pose à chaque fois devant un dilemme à nous, spectateur, qui arpentons, devant ses toiles, les couleurs abandonnées par un ailleurs, au seuil d’une compréhension immédiate et pourtant étrangère ; mais sans tension, sans effort. Presqu’avec délectation.

UN ATOME DE DIEU
Quand on voit une toile de Friedrich, nous ne voyons pas une toile, ni une nature, ni un paysage, nous voyons un morceau d’infini, un atome de dieu. La couleur n’est pas la couleur et la matière n’est plus solide. Et ce tintamarre est si bruyant que notre cœur s’en trouve apaisé.

UN BEAU TERRIFIANT ET SIDERANT
Comme quand nous lisons une nouvelle de Lovecraft ou de Poe, comme devant une tragédie grecque, nous sommes rassérénés devant le drame qui est là, qui s’est passé ou qui va se passer. Nous savons que ce temps-là, pour l’heure, n’est pas pour nous. Il est pour celui qui, plongé dans la stupéfaction et l’horreur-ravissement, reste scotché devant le spectacle. Comme devant un feu de cheminée où la douce chaleur peut devenir, en se déplaçant quelque peu, inexistante ou insupportable. La dramatisation de la Nature nous fixe sur une terre post ou pré-apocalyptique. Le moment qui nous saisit est un autre moment avec un héritage d’une douleur qui sans cesse veut quitter la toile et bondir ailleurs. Mais que quelque chose retient. Quelque chose résiste de l’ordre du vivant. De l’ordre du sublime. De ce beau terrifiant et sidérant.

Artgitato L'entrée du cimetière Friedhofseingang Caspar David Friedrich 1825 Leipzig

Nous sommes les derniers survivants ou les premiers à voir le désastre arriver.  Juste avant de nous plonger dans la tombe du Cimetière sous la neige (Friedhof im Schnee – 1826)

Il s’agit toujours d’une frontière. Le cadre est notre première frontière, puis souvent une fenêtre, une porte (Cimetière sous la neige), un rocher, un promontoire.  Ils s’ouvrent sur le départ, sur l’infini, sur le divin ou la mort, ou tout ça ensemble.

LE VIDE EST LA
Un pas entre sublime et horreur. Un pas de plus et nous tombons. Le vide est là. L’ailleurs. La mort ou la renaissance. Mais le marqueur se fige pour mieux nous montrer l’importance de ces quelques centimètres qui nous séparent de ce bouleversement. Et, conséquemment, ce pas, si facile à faire, nous fait réfléchir à notre état actuel que nous risquons de perdre si nous nous aventurons dans ce nouvel espace. La porte du Cimetière sous la neige nous éloigne de la tombe fraîchement creusée, donc de la mort ; mais le passage passe aussi par cette tombe qui, comme un puits sans fonds, nous appelle ; et qui nous dit que la solide porte de pierre apportera une autre lumière, un autre espoir ? Les arbres, derrière, sont décharnés par l’hiver, sans savoir s’il s’agit d’arbres morts ou d’arbres endormis dans les torpeur du froid qui n’attendent qu’un rayon de soleil pour reverdir et continuer le cycle de la vie.

QUAND LES MORTS SE LEVENT
Pour cela, ceux qui se cachent devant les immenses piliers dans l’Entrée du cimetière (Friedhofseingang – 1825) attendent ; ils se cachent. Ont-ils peur ? Sont-ils curieux ? Comme si le cimetière dans la brume pouvait bouger, comme si les morts allaient se lever, comme s’ils étaient appelés et espéraient retarder un peu le moment du départ. Ils sont dans la vie ; un pas de plus et où seront-ils ?

CET INFINI QUI S’OFFRE A NOUS
La porte n’est pas nécessairement aussi solide et linéaire. Un arc-en-ciel fera l’affaire. La lumière rayant le tableau marque la séparation du tableau, mais surtout la séparation de deux sphères temporelles. Avant et après la pluie, la tempête, la catastrophe. Dans le Paysage de montagne avec arc-en-ciel (Landschaft mit Regenbogen, vers 1810), l’homme en admiration, stupéfaction, en étonnement ou en sidération, s’accoste au rocher, dépassé par cet infini qui s’offre, l’espace d’un instant, à lui, à nous.

Dans l’œuvre de Friedrich la matière a une double consistance : lourde et massive d’un côté et évanescente, immatérielle, vaporeuse aussi. Les deux états s’interpénètrent constamment, comme la vie et la mort.

Artgitato Landschaft mit Regenbogen Paysage de Montagne avec arc-en-ciel Caspar David Friedrich vers 1810

FRANCHIR LE PALIER
La frontière quand elle se pose, et elle se pose toujours, ne délimite pas les deux états, gazeux et solide, mais se tient dans une limite indéfinie et divine. Les montagnes sortent des nuages et la brume floute notre vision nous empêchant de suivre le chemin qui s’arrête là. Quelque chose se cache en se montrant.

Le tableau n’est plus qu’un prétexte, un rituel devant l’au-delà. Comme une prière. Friedrich ouvre une fenêtre dans un autre temps, une autre dimension dépassant l’infini de l’humain.

Le pas es avancé et le palier franchi. Et le son, toujours lui, nous inonde et nous porte. Loin dans les brumes.

Jacky Lavauzelle