OS LUSIADAS CAMOES CANTO VI CANTO SEXTO Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS VI-93 LES LUSIADES VI-93
* LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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« Esta é por certo a terra que buscais « C’est certainement la terre que vous recherchez, Da verdadeira Índia, que aparece; La terre de la véritable Inde qui apparaît ici ;…
Nikolaï Kassatkine, Николай Алексеевич Касаткин, La Chakhtiorka,la mineure, Шахтерка, Galerie Tretiakov, Moscou, Государственная Третьяковская галерея
LITTÉRATURE FRANÇAISE
JULES LEMAÎTRE
né le à Vennecy et mort le à Tavers
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LES ROMANS DE JULES LEMAÎTRE
MÉLIE
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Jules Lemaître
Parution LISEZ-MOI N°46 du 25 juillet 1907
-Adorée ? dit la comtesse Christiane, je suis sûre de l’avoir été une fois dans ma vie. Non pas par vous, messieurs, quoique plusieurs me l’aient dit : car je sais que c’est une façon de parler et que c’est déjà fort joli d’être aimée. Mais, étant tout enfant, j’ai été adorée par une petite fille de mon âge, qui était bien la plus misérable petite fille, la plus mal lavée et la plus souillon qu’on pût voir, et qui s’appelait Mélie.
Oui, adorée ; et je vous prie de donner au mot tout son sens. Il n’y en a pas d’autre pour exprimer le sentiment que j’inspirais à Mélie. Je comprends maintenant que j’étais sa seule pensée, sa seule joie au monde, sa seule raison de vivre ; que rien n’existait pour elle en dehors de moi ; qu’elle était réellement ma chose et qu’elle m’appartenait absolument…
Où cela se passait ? Là-bas, dans la vieille maison de province où je suis née. Une rue, déserte et claire, pavés pointus, bordée de façades grises et de longs murs de couvents. Une grande maison sonore à hautes fenêtres et à boiseries, avec un vaste jardin, traversé dans toute sa longueur par une tonnelle tapissée de vignes, où il faisait sombre et frais comme dans une église, et qui donnait chaque année trois ou quatre pièces de vin blanc. De chaque côté de la tonnelle, de grands carrés plantés d’arbres fruitiers, très vieux. Au bout du jardin, une porte de bois à claire-voie s’ouvrait sur la campagne. De là, on voyait le soleil se coucher, et en se retournant, on apercevait le chevet de la cathédrale et ses derniers contreforts, tout dorés par le soir. L’humble image de Mélié est liée pour moi au souvenir de ce coin de terre, d’une paix profonde et presque solennelle.
Illustration Charles Atamian
Toutes les fois que je songe à Mélie, je revois une fillette de dix à douze ans, laide, assez grande, très maigre, criblée de taches de son, les yeux luisants à travers des cheveux en broussailles ; les pieds dans de vieilles bottines à élastiques, éculées et crevées ; des haillons sans couleur, un corsage boutonné de travers, et toujours quelque pli de chemise passant par la fente de la jupe. Bref, un parfait guenillon. Ce qu’elle avait de mieux, c’était une grande bouche avec des dents de jeune chien, qu’elle montrait continuellement, à moi du moins, car elle ne pouvait me regarder sans rire de béatitude.
Moi, il paraît que j’étais une fille assez jolie, mais surtout très blanche, très délicate, avec de longs cheveux couleur de marron d’Inde. Mon frère, un peu plus âgé que moi et très taquin, appelait cela des cheveux carotte pour me faire enrager. Ou bien il les comparait à la queue du Petit-Blond (le Petit-Blond était un petit Percheron rougeaud, solide et entêté, un compagnon d’enfance, qui nous promenait dans la belle saison et qui prenait visiblement plaisir à nous secouer le plus possible dans sa charrette). Enfin, et qu’elle qu’en fût la nuance, c’étaient des cheveux que mon père aimait beaucoup et dont on avait grand soin. Avec cela des yeux verts très singuliers et, dans toute ma personne, quelque chose de maladif et d’exalté. J’avais l’air d’une petite fille un peu irréelle. Je rapporte ce qu’on me dit. Il est évident que, pour Mélie tout au moins, j’appartenais à un monde supérieur, au même monde que les figures diaphane d’anges et de saints qu’elle voyait dans les vitraux d’église.
Comment avais-je fait la connaissance de Mélie ? Je ne sais plus. Ses parents étaient des pauvres gens du voisinage. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne s’occupaient guère de leur fille, que je m’étais accoutumée à la voir partout sur mon chemin, et qu’elle vivait dans mon ombre.
Je ne pense point qu’au commencement mon père n’eût essayé d’éloigner de moi cette petite sorcière. Car vraiment ce n’était pas une compagnie pour une petite fille de riche bourgeoisie, comme j’étais. J’imaginai qu’elle avait été vaincu par la persévérance de Mélie, par sa souplesse de couleuvre à se glisser, paraître et disparaître, et peut-être aussi par mes prières. Je sentais bien, en effet, que j’étais bien pour Mélie une espèce de petite madone ; et une madone ne s’irrite point que les gueux lui fassent leurs dévotion, du fond de la chapelle.
Illustration Charles Atamian
Elle était si peu gênante, la pauvre Mélie ! Elle ne me demandait que de la supporter, non pas même à côté de moi, mais derrière. Le matin, quand la bonneme conduisait au couvent, Mélie, embusquée au coin de la porte, guettait ma sortie. Elle prenait le cartable où étaient mes livres et nous suivait à quelques pas de distance. Je lui disais : « Merci, Mélie ! » Cela lui suffisait. Elle savait bien que mon père n’eût pas souffert qu’elle marchât à mes côtés, et qu’il n’eût pas trouvé convenable que je fisse la conversation avec elle dans la rue, et elle était elle-même tout à fait de cet avis.
Elle avait d’ailleurs de la dignité, celle que conserve, sans le savoir et sans y tâcher, tout amour désintéressé et profond. Ainsi, quoiqu’elle fût bien pauvre, je ne lui donnais jamais de sous. Une fois que j’avais voulu lui en donner, elle avait refusé en secouant énergiquement sa tête de loup. Seulement, quand j’avais quelque friandise, des crottes de chocolat ou des macarons, je lui en offrais derrière mon dos tout en trottinant près de ma bonne, et elle venait les prendre. Les bonbons, cela s’accepte.
Je me demande quelquefois pourquoi Mélie était si loqueteuse, car certainement on devait lui donner, à la maison, de vieille hardes et de quoi se vêtir plus proprement…Je lui faisais honte, quelquefois, de ses cheveux jamais peignés, de ses boutons arrachés, de ses taches et de ses accrocs… Alors elle baissait la tête, très confuse, et ne disait rien. Et elle reparaissait le lendemain aussi minable que devant. C’était sans doute plus fort qu’elle.
Il faut dire qu’avec la vie qu’elle menait il lui eût été difficile d’être tirée à quatre épingles. Tout le temps qu’elle n’était pas avec moi, elle le passait soit à se battre dans la rue avec des galopins, soit à courir les champs, à grimper aux arbres, à cueillir des fleurs, à dormir dans les foins. Une vraie petite faunesse ! Elle ne savait pas lire, n’étant jamais allée à l’école, mais elle connaissait très bien les herbes, celles qui sont bonnes pour les rhumes, celles qui sont rafraîchissantes, celles qui guérissent les douleurs, celles qui cicatrisent les plaies… Elle en apportait souvent à la cuisine, et aussi des mâches, du cresson, des pissenlits, et d’énormes bouquets de violettes, de perce-neige, de coucous, de marguerites, de coquelicots, de bleuets.
Autant de prétextes pour se glisser dans la maison. Ou bien, elle rôdait autour de la cuisine, épiant l’aubaine d’une commission à faire : le pain qui manquait au moment du déjeuner, le boucher qui n’envoyait pas la viande. Mélie courait, était de retour en un clin d’œil, et alors elle ne s’en allait plus, se dissimulait dans les coins, passait par les portes entrebâillées, me cherchait, et finissait par me retrouver. C’était le plus souvent au jardin. Elle se montrait d’abord de loin, timidement. Je lui faisait signe de s’approcher. Et elle accourait, une joie de paradis dans ses yeux.
-Oh ! mademoiselle, mademoiselle !
Nous nous installions sur un banc, sous la tonnelle, et là, bien cachées, nous causions à l’aise. Ce que nous disions, je l’ai oublié ; mais je me rappelle très bien ce que nous faisions. Mélie était très ingénieuse. Elle m’apprenait à faire des sifflets avec des branches de saule, des canons avec du sureau, des balles avec des coucous, des couronnes avec toutes sortes de fleurs, et des pompes avec des pailles enfoncées dans les trous d’un noyau d’abricot (mon Dieu ! c’est bien simple : on fait les trous en usant le noyau contre du grès, et, par ces trous, on retire l’amande avec une épingle). Quand elle avait reçu quelques sous pour ses commissions, elle achetait, chez une couturière de la villes, des fouffes, c’est-à-dire des rognures d’étoffes et des bouts de ruban, et, roulant et cousant ensemble ces chiffons multicolores autour d’une poignée de foin et de quatre bâtonnets, elle en fabriquait des poupées qui me semblaient superbes, des poupées éclatantes, fantastiques, avec des têtes en satin rose et des gestes imprévus, des poupées bien plus vivantes – Bourget n’hésiterait pas à dire : plus suggestives – que celles qu’on achète chez les marchands.
Mélie était aussi généreuse. Un jour, en sortant, je la vis qui m’attendait accotée contre une borne et tenant une longue tartine sur laquelle fumait une couche de pommes de terre écrasées et assaisonnées de ciboules et d’autres herbes. Il y avait beaucoup plus épais de pommes de terre que de pain, et cela sentait bon, mais bon ! Je n’y pus tenir :
–Ça ne doit pas être mauvais, ça, Mélie ?
Tout de suite, elle me tendait la tartine, où ses dents de loup avaient découpé des demi-cercles comme à l’emporte pièce. Et moi, si chétive et l’on grondait toujours parce que je ne mangeais point, je dévorai la tartine en le barbouillant de pommes de terre jusqu’au bout du nez. Et Mélie me regardait d’un air drôle, où il y avait du ravissement, de la fierté de voir que j’appréciais si fort sa cuisine, et aussi, tout au fond, un peu de regret…. A partir de ce jour-là, toutes les fois qu’on faisait quelque fricot chez elle, elle m’en apportait dans du papier. Elle tirait cela de sa poche avec des mines mystérieuses…Mais ce n’était plus la tartine de pommes de terre ! C’étaient des mangeailles de pauvre qui sentaient décidément trop fort. J’essayais d’y goûter ; mais cela ne passait pas, je lui disais que je n’avais plus faim, et elle en était toute triste.
En somme, Mélie m’inspirait, par certains côtés, une sorte de considération. Sa force, son agilité, sa hardiesse, étonnait ma timidité de fillette frêle, recluse et surveillée. Je l’enviais de pouvoir courir partout et de ne rien craindre. Parfois elle sentait le foin où elle s’était roulée, et elle en avait encore des brins dans les cheveux. Elle me faisait rêver de vie libre à travers champs, à la Robinson. Quand nous étions bien sûres d’être seules, elle grimpait aux arbres du verger, secouait les branches, faisait pleuvoir les fruits mûrs, arrachait les autres à poignées. Elle aimait beaucoup les pommes vertes, et surtout les abricots verts, durs comme des balles. Elle m’affirmait, en les croquant, que c’était très bon, et j’en croquais aussi, par amour-propre, et pour faire comme elle. Mais, tout de même, j’aimais mieux les fruits un peu plus mûrs…Nous n’avions que des cerisiers très tardifs. Je lui dis une fois que c’était très ennuyeux de n’avoir pas encore de cerises. Le lendemain, elle m’en rapporta plein sa jupe. Elle les avait pillées dans quelque jardin. Elle volait pour moi, pour moi elle aurait tué. Et, dès qu’elle voyait quelqu’un de la maison venir de notre côté, -à moins que ce ne fût ma bonne ou la cuisinière, qui étaient assez de ses amies, – elle disparaissait je ne sais comment, par quelque trou de haie.
Les plus mauvais jours pour Mélie, c’étaient ceux où de petites amies venaient me voir. Mélie continuait à tourner autour de moi, mais je passais devant elle sans lui parler, sans avoir l’air de la connaître. Et alors elle se reculait, s’effaçait, se faisait petite. Elle ne m’en voulait point, elle comprenait que ces belles petites filles élégantes devaient ignorer qu’elle était mon amie. Elle ne se disait pas que je rougissais d’elle, ou, si elle se le disait, elle trouvait cela tout naturel : mais je sentais que tout de même cela lui faisait gros cœur.
Un autre chagrin pour elle, c’était quand mon père m’emmenait avec mon frère à une maison de campagne, très rustique et flanquée d’une fermette, qu’il possédait à une petite lieue de la ville.
Elle essayait bien de nous suivre de loin, mais mon père ne le souffrait pas, la renvoyait avec sa grosse voix. un jour, comme nous approchions de la ferme, je vis Mélie, toute empoussiérée, surgir d’un fossé où elle s’était tapie pour me voir passer. Elle restait là, tremblante, prête à s’enfuir au moindre mouvement hostile de mon père. J’en fus attendrie :
–Père, dis-je, bien doucement, laissez-la marcher derrière nous. Qu’est-ce que cela nous fait ?
Mon père consentit ; et Mélie, radieuse, me suivait comme un bon chien ; et, de temps en temps, je lui tendais la main par derrière sans rien dire ; elle la prenait dans la sienne et posait dessus, un instant, son autre patte. Rien de plus.
Vers la fin du déjeuner, je trouvai moyen de sortir seule et je portai à Mélie, blottie contre la porte, du pain, un peu de viande, du fromage, ce que j’avais pu prendre.
-Oh ! mademoiselle, mademoiselle !
Puis, je jouai avec mon frère sous les grands arbres qui entouraient la ferme ; et, sans la voir, je devinais que Mélie était dans les environs, cachée par quelque buisson, et qu’elle me regardait, et que cela la rendait contente.
A un moment, me frère me quitta, et bientôt après j’entendis des cris du côté de la ferme. J’y courus et je vis, devant l’écurie, la pauvre Mélie mouillée jusqu’aux genoux, sa robe ruisselante, ses pieds clapotant dans ses savates. Le méchant garçon l’avait empoignée à l’improviste et trempée dans l’auge de pierre, pleine d’eau de pluie, où buvaient les chevaux. Mélie pleurait ; mais dès qu’elle m’aperçut, sachant bien que j’allais gronder mon frère et que cela amènerait une querelle, ne voulant point m’ennuyer, ni m’attrister, ni que je prisse la peine de la plaindre ou que je fisse l’effort de la défendre, elle renfonça subitement ses larmes, et, souriant avec sa grande bouche, elle me dit :
-Ce n’est rien, mademoiselle. C’était pour s’amuser…
Quand vint l’époque de ma première communion, je montrai une piété ardente dont Mélie fut toute impressionnée. Elle voulut faire comme moi, communier le même jour. Elle n’était pas prête du tout, n’ayant jamais suivi le catéchisme. Ce fut moi qui l’introduisis, qui lui parlai de Dieu. Mais, tandis que ma piété était pleine d’amour et d’espérance, il y avait surtout dans la sienne de l’étonnement et de la crainte.
Le jour de la cérémonie, j’avais une telle fièvre que mon cierge tremblait dans ma main et arrosait les voiles de mes voisines. On dut me l’enlever. Au dernier rang, Mélie, presque propre, toute rouge dans sa grosse mousseline bleuie par par le lavage, ne me quittait pas du regard. Elle priait pour sa petite malade ; car elle ne demandait jamais rien pour elle-même, se jugeant tout à fait négligeable aux yeux de Dieu, et ne croyant pas qu’il pût avoir le moindre plaisir à s’occuper d’elle. De moi, à la bonne heure !
L’après-midi, mon parrain le cardinal me confirma la première, et mes parents m’emmenèrent vite à notre maison de campagne… Mélie m’attendait, dans son fossé, au bord d’un champ d’avoine. Mon cœur se fondit, et je lui envoyai un baiser.
On me coucha. J’entendis, de mon lit, le bruit des vois et des rires, car toute la famille était réunie à dîner pour la circonstance. Je ne pensais à rien, envahie seulement par la tristesse de la tombée du jour, de cette heure si mélancolique et si grise dans ces grandes plaines de la Champagne.
Paul Bourget par Charles Gallot Photographe
Je sentis des fleurs fraîches dans mes mains. Mélie était là, agenouillée, le front sur le bord de mon lit. Je voulais parler ; elle me supplia de me taire, de rester calme, de dormir, – pour qu’on ne chassât pas… Mon père vint me voir et me trouva endormie, tenue par elle, son bras sous ma tête. Il n’eût pas le courage de la renvoyer ce jour-là et lui fit porter à manger.
Quelque temps après, ma mère exigea que j’apprisse tout ce que doit savoir une bonne maîtresse de maison. Félicie, une petite ouvrière bossue et très douce, qui venait plusieurs fois par semaine (je vois encore sa silhouette humble et falote sur les rideaux blancs de la fenêtre), eut l’ordre de m’apprendre à coudre. D’autres furent chargées à m’enseigner le soin du linge et un peu de repassage. Je dus aussi ranger moi-même mes affaires dans ma chambre.
Tout cela m’ennuyait bien, car j’avais une passion : la lecture. Heureusement, ma mère était souvent absente ; et Mélie avait fini par se faire tolérer dans la maison. Elle assistait aux leçons de Félicie et des autres ouvrières ; et, dans son désir de m’aider, elle apprit beaucoup plus vite que moi. C’était elle, la plupart du temps, qui faisait à ma place les petites besognes dont on me chargeait : ourlets, reprises, linge à plier ; et c’était elle qui mettait ma chambre en ordre.
Pendant qu’elle travaillait, je lisais, assise dans un coin,me bouchant les oreilles avec mes pouces pour n’avoir pas de distraction. Je lisais le Vie des saints, l’Histoire romaine de Rollin, des récits de voyage, et je ne sais quel vieux petit livre à tranches rouges qui contenait des anecdotes sur le XVIIIe siècle. Et, quand Mélie avait fini, je lui racontait mes lectures : c’était là sa récompense.
Roulée à mes pieds, en boule, immobile, les yeux attachés sur moi, elle m’écoutait avec extase, comme on écouterait le bon Dieu. Je racontais très bien paraît-il, avec un grand sérieux, des gestes expressifs, une extrême ardeur de conviction. Je me rappelle qu’une de ces histoires commençait par cette phrase :
–Au temps où Mme de Pompadour régnait sur la France…
Je ne sais trop ce que Mme de Pompadour représentait pour Mélie, ni même pour moi. Mais je me souviens que c’était une bien belle histoire.
Ici, un grand trou dans ma mémoire, une longue maladie, la petite vérole, la fièvre, le délire. De tout cela, une seule vision m’est restée : Mélie à mes côtés, remuant des tisanes ; Mélie accroupie par terre ; Mélie à cheval sur mon petit lit, me tenant les mains doucement, et pourtant de toutes ses forces, et m’empêchant de me gratter la figure.
On lui avait dit que, si je me grattais, je deviendrais laide ; et elle veillait sur ma beauté comme un gnome sur un trésor.
Comment la souffrait-on auprès de moi et l’exposait-on à prendre monmal ? On avait tout fait pour l’empêcher d’entrer ; puis, un matin,on l’avait surprise dans un coin de ma chambre, derrière un fauteuil, où elle avait passée la nuit. Il n’était plus temps de la renvoyer ; au reste, elle aurait bien trouvé moyen de revenir, car les portes n’étaient jamais bien fermées dans cette grande maison de province…
Le jour où je commençai à aller mieux (on était en avril et il y avait du soleil sur mes draps), Mélie m’apporta des brassées de fleurs et des balles de coucous. Nous jouions à nous jeter ces balles ; j’étais si maladroite et si faible encore, que je les laissais souvent tomber. Mélie les ramassait dans les coins, sous les meubles, à quattre pattes, avecune agilité de chat ; et cela m’amusait.
J’avais les enfantillages de la convalescence, des enfantillages plus jeunes que moi, quoique je ne fusse qu’une petite fille. L’intelligence, après une si longue et si rude secousse, ne me revenait que très lentement. Je me retrouvais plus proche de Mélie, presque aussi simple qu’elle ; et, quand je m’efforçais de me rappeler le passé (oh ! comme il me semblait loin !), c’est toujours avec Mélie que je me revoyais, sous le berceau de vigne ou dans le verger. Et, très gravement, nous échangions nos souvenirs :
–Te rappelles-tu, Mélie ?
–Oh ! oui, mademoiselle...
Et maintenant, c’était elle qui se rappelait le mieux les belles histoires que lui avais contées, et c’était moi qui les lui demandais et qui l’écoutais à mon tour.
-Et cette autre, Mélie, tu sais bien ? où ça parlait de Mme de Pompadour…
–Attendez, mademoiselle, je vais la retrouver.
Et Mélie commençait :
–Au temps où Mme Pompadour régnait sur la France…
Un jour, Mélie ne vint pas. C’était le premier jour où l’on m’avait permis de me lever. Je la réclamai avec insistance. Ma mère me dit que Mélie était malade, mais qu’elle viendrait bientôt.
Le lendemain, on me transporta à la campagne. Tout le monde s’empressait autour de moi, cherchait à me distraire, me faisait jouer. Mon père passait avec moi de longues heures et, quand le soleil était chaud, me promenait sous les arbres au feuillage tendre et tout neuf et par des chemins tout neigeux d’aubépine. Cependant, je n’oubliais pas Mélie et, de temps en temps, je demandais à la voir.
–Mélie, me dit mon père, est très malade. Mais sois tranquille, je lui ai envoyé le médecin et tout ce qu’il faut ; elle est très bien soignée. Tu la verras quand elle sera guérie.
Mes forces revenaient peu à peu. J’avais grand appétit. Je jouissais vivement de toutes choses, du bon air, de la bonne chaleur, des bons petits plats qu’on me faisait, des fleurs, des arbres, des prés, de la promenade, comme quelqu’un qui refait la découverte de la vie. Je m’épanouissais délicieusement dans l’égoïsme de la convalescence. Une fois pourtant j’interrogeai :
–Et Mélie ?
–Elle est morte, répondit tristement ma mère.
–Pauvre Mélie ! fis-je rêveusement et comme songeant à quelque chose de très vague et de très lointain…
Diktsamlingen Fridolins visor och andra dikter karlfeldt dikter Dikter av Erik Axel Karlfeldt
Traduction – Texte Bilingue Erik Axel Karlfeldts dikter Karlfeldt poet Poesi Poésie
LITTERATURE SUEDOISE POESIE SUEDOISE
–
Svensklitteratur svensk poesi –
Traduction Jacky Lavauzelle
Erik Axel Karlfeldt 1864 – 1931
översättning – Traduction
Diktsamlingen Fridolins visor och andra dikter CHANSONS DE FRIDOLIN & AUTRES POEMES 1898
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Soleienatt, Nikolai Astrup
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YTTERSTA DOMEN LE JUGEMENT DERNIER
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RECUEIL Fridolins lustgård och Dalmålningar på rim Le Jardin de Fridolin & Peintures Dalécarliennes en vers Maison d’Edition Wahlström & Widstrands 1901
Diktsamlingen Fridolins visor och andra dikter karlfeldt dikter Dikter av Erik Axel Karlfeldt
Traduction – Texte Bilingue Erik Axel Karlfeldts dikter Karlfeldt poet Poesi Poésie
LITTERATURE SUEDOISE POESIE SUEDOISE
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Svensklitteratur svensk poesi –
Traduction Jacky Lavauzelle
Erik Axel Karlfeldt 1864 – 1931
översättning – Traduction
Diktsamlingen Fridolins visor och andra dikter CHANSONS DE FRIDOLIN & AUTRES POEMES 1898
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Soleienatt, Nikolai Astrup
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Yttersta domen LE JUGEMENT DERNIER
II
LE TEMPS DES SIGNES Tecknens tid
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RECUEIL Fridolins lustgård och Dalmålningar på rim Le Jardin de Fridolin & Peintures Dalécarliennes en vers Maison d’Edition Wahlström & Widstrands 1901
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William Blake, Le grand Dragon rouge et la femme enveloppée de soleil.
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Nu är de stora tecknens tid, C’est maintenant le temps des grands signes, de svåra, de många. sévères et nombreux. Nu svartna knopparna i lid Maintenant, les bourgeons noirs souffrent och sprida rutten ånga. et répandent leur dernière fragrance. Nu vissnar jordens gamla barm Maintenant le vieux sein de la terre se flétrit utsugen, saftlös, platt och arm. vidé, sans jus, plat et abattu.
* Nu dryper blod från månens horn, Maintenant du sang des cornes de la lune coule, o under, o under! ô mystère, ô mystère ! Nu går man ut att skära korn Maintenant, en sortant pour couper l’orge, och finner tistellunder, se croisent les chardons, och hunger, örlig, pestilens la faim, la pauvreté, la peste förhärja land från gräns till gräns. qui ravagent la terre de frontière en frontière. * Nu dansar gravölsfolket vals, Maintenant, dans le salon funéraire se danse la valse, se traven, hör trallen! voyez les passes, écoutez la mélodie ! Nu heter hätskhet arm om hals Maintenant, la haine se tient les bras autour des cous och kärlek dunk i skallen, et l’amour se prend des coups dans le crâne, och Antikrist i biskopsskrud et l’Antéchrist dans une tenue épiscopale går saklöst kring och hädar Gud. fait son tour et blasphème Dieu. * Nu växer lejonskägg på lamm Maintenant, la crinière du lion pousse sur l’agneau och vargungen smiler. et le loup sourit. Ur duvägg krypa drakar fram, Il sort des œufs des pigeons des dragons rampants, ur grodrom krokodiler. des crocodiles des œufs des grenouilles. I rena jungfrurs moderliv Dans la pure vie de la vierge hörs barnagråt och tvillingkiv. l’on peut entendre pleurer les enfants et les jumeaux.
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Nu skiftar solen sin gestalt, Maintenant, le soleil change de forme, o fasa, o fasa, ô horreur, ô horreur, och ligger som en möglig palt et ment comme un caillot moisi i molnets tiggartrasa. au cœur de nuages en haillons. Nu är det skymning dagen om, Maintenant le crépuscule recouvre la journée, och natten växer småningom. et la nuit se développe progressivement. * Nu komma alla stygga djur, Maintenant, viennent tous les cruels animaux, se ulvar, hör uvar! voyez les loups, entendez les hiboux ! Nu rasslar tidens nötta ur Maintenant, les hochets du temps claquent med sina hjul och skruvar; avec ses rouages et ses poids ; dess lod stå nära världens golv, qui s’approchent du sol du monde, dess visare stå nära tolv. ses aiguilles se tiennent près du chiffre douze.
* Då syns ett starkt och fjärran sken, Ensuite, voyez cette lumière forte et distante, nej skåda, nej skåda! non, non, regardez-là ! Ur molnen sträcks ett mäktigt ben, Des nuages s’étend une puissante jambe, som drivor skina båda; brillante et glaciale à la fois ; och väldigt gapar lurens tratt et s’ouvre le pavillon de la trompette, med guldmun över jordens natt. une bouche d’or sur la nuit de la terre. * Blås, Gabriel, i din basun, Souffle, Gabriel, dans ta trompette, tra rara, tra rara! taratata, taratata ! Blås hop all världens folk som dun Regroupe tous les gens du monde att stå till doms och svara, pour les juger et qu’ils répondent de leurs actes, tills rymden ligger öde kvar, jusqu’à ce que l’espace soit désert, ett sprucket, skakat bolstervar. comme un traversin fissuré et vidé.
OS LUSIADAS CAMOES CANTO V Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS V-45 LES LUSIADES V-45 * LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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Kilwa Kisiwani – Kilwa – Quiloa en 1572 (actuelle district de Kilwa en Tanzanie) (http://commons.wikimedia.org/wiki/File:City_of_Kilwa,_1572.jpg)
Francisco de Almeida (1540-1510) Militaire et explorateur portugais vice-roi des Indes portugaises chargé de l’expansion du commerce dans l’océan Indien
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-« É do primeiro Ilustre, que a ventura – « Et de Francisco de Almeida, premier Illustre, Com fama alta fizer tocar os Céus, Qui par sa grande renommée atteindra les cieux,…
18 avril 1842 – Ponta Delgada (Les Açores)- 11 septembre 1891 Ponta Delgada 18 de abril de 1842 – Ponta Delgada, 11 de setembro de 1891
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Traduction Jacky Lavauzelle
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L’INCONSCIENT O INCONSCIENTE _______________________________________
Arkhip Kouïndji, Архип Іванович Куїнджі,Архип Иванович Куинджи, La Cathédrale Saint-Isaac,1869
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O Espectro familiar que anda comigo, Le Spectre familier qui m’accompagne, Sem que pudesse ainda ver-lhe o rosto, Sans que je puisse voir son visage, Que umas vezes encaro com desgosto Parfois, je le considère avec répulsion E outras muitas ansioso espreito e sigo. Et souvent, impatient, je le guette et je le suis. * É um espectro mudo, grave, antigo, C’est un spectre silencieux, grave et ancien, Que parece a conversas mal disposto… Qui semble fuir les conversations … Ante esse vulto, ascético e composto Devant cette figure, ascétique et réservée Mil vezes abro a boca… e nada digo. Mille fois j’ouvre la bouche … mais je reste muet. * Só uma vez ousei interrogá-lo: Une seule fois j’ai osé le questionner : Quem és (lhe perguntei com grande abalo) Qui es-tu (ai-je demandé avec effroi), Fantasma a quem odeio e a quem amo? Fantôme que je déteste et que j’aime ?
* Teus irmãos (respondeu) os vãos humanos, Tes frères (répondit-il), les vains humains, Chamam-me Deus, ha mais de dez mil anos… M’appellent Dieu, depuis plus de dix mille ans … Mas eu por mim não sei como me chamo… Mais moi-même, je ne sais quel est mon nom …
18 avril 1842 – Ponta Delgada (Les Açores)- 11 septembre 1891 Ponta Delgada 18 de abril de 1842 – Ponta Delgada, 11 de setembro de 1891
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Traduction Jacky Lavauzelle
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LE CONVERTI O CONVERTIDO _______________________________________
Arkhip Kouïndji, Архип Куинджи, Reflets de soleil sur givre,1876-1890
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Entre os filhos dum século maldito Parmi les enfants d’un siècle maudit Tomei também lugar na ímpia mesa, J’ai aussi pris place à la table des impies, Onde, sob o folgar, geme a tristeza Où, sous le plaisir, la tristesse gémit Duma ânsia impotente de infinito. D’un désir impuissant d’infini. * Como os outros, cuspi no altar avito Comme les autres, j’ai craché sur l’autel Um rir feito de fel e de impureza… Un rire de fiel et d’impureté … Mas um dia abalou-se-me a firmeza, Mais un jour ma rudesse m’a ébranlé, Deu-me um rebate o coração contrito! Le cœur contrit m’a lancé une alarme ! * Erma, cheia de tédio e de quebranto, Aride, pleine d’ennui et brisée, Rompendo os diques ao represo pranto, Rompant les digues à ses larmes retenues, Virou-se para Deus minha alma triste! Ma triste âme s’est tournée vers Dieu ! * Amortalhei na Fé o pensamento, J’ai enveloppé ma pensée dans la Foi, E achei a paz na inércia e esquecimento… Et j’ai trouvé la paix dans l’inertie et l’oubli … Só me falta saber se Deus existe! J’ai juste besoin de savoir si Dieu existe !
Страшно оттого, что не живется – спится… C’est terrible parce que ça ne vit pas – ça dort … И все двоится, все четверится. Et tout double, tout quadruple…
Le Premier Jour de la création, Chronique de Nuremberg, 1493
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TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE
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Iakob Gogebashvili იაკობ გოგებაშვილი 15 octobre 1840 Variani (Gori)– 1er juin 1912 Tbilissi 15 ოქტომბერი 1840, სოფ. ვარიანი, ახლანდელი გორის რაიონი ― 14 ივნისი 1912, თბილისი
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ჩვენ ვიცით, რომ ყველა ადამიანი დედ-მამისაგან იბადება. Nous savons que chaque personne est née d’une mère et d’un père.
აგრეთვე ვხედავთ, რომ ცხოველები ცხოველებისაგან ჩნებიან, მცენარეები მცენარებიიდან მრავლდებიან. Nous voyons également que les animaux sont des dérivés d’autres animaux, les plantes poussent à partir d’autres plantes.
მაგრამ პირველი დედ-მამა როგორღა გაჩნდა? Mais comment sont venus au monde les premiers pères et les premières mères ?
პირველი ცხოველები და მცენარეები როგორღა დაიბადნენ ქვეყანაზედ? Comment sont nés les premiers animaux et les premières plantes sur la terre ?
ისინი შექმნა ღმერთმა. lls ont été créés par Dieu.
ღმერთი არის ყოვლის შემოქმედი, ყველაფრის დამბადებელი. Dieu est le Créateur de toutes choses, le Créateur de toutes choses.
მან გააჩინა ცა, მან შექმნა დედამიწა და მან დაბადა ყველაფერი, რასაც კი ქვეყნიერებაზედ ვხედავთ. Il a créé le ciel, il a créé la terre et il a donné naissance à tout ce que nous voyons dans le monde.
თვითონ ღმერთი კი არავისგან არ შექმნილა და არავისგან არ დაბადებულა. Mais Dieu lui-même n’a été créé par personne et n’est né de personne.
იგი ყოველთვის იყო, არის და იქნება. Il a toujours été, est et sera.
ამიტომ ღმერთს ჩვენ ვუწოდებთ საუკუნო არსებას. Nous appelons donc Dieu : l’Être éternel.
კაცი როცა რაიმე ნივთს აკეთებს, მასალასა ხმარობს. Quand une personne fait quelque chose, elle utilise du matériel.
ღმერთმა კი ქვეყანა არაფრისაგან შექმნა. Mais Dieu a créé la terre à partir de rien.
უფალმა კი მთელი ქვეყანა შექმნა მარტო სიტყვით, ბრძანებით. Et le Seigneur a fait le pays entier par le Verbe.
ამიტომ ღმერთს ვუწოდებთ ყოვლისშემძლებელსა. Par conséquent, nous l’appelons Dieu Tout-Puissant.
უფალს შეეძლო ყველაფერი ერთ წამს გაეჩინა, მაგრამ სხვაფრივ ინება: ცისა და დედამიწის შექმნას ექვსი დღე მოანდომა. Le Seigneur aurait pu tout faire en une seconde, mais il en a décidé autrement : il avait six jours pour créer les cieux et la terre.