ODE À LA MORT DE Jean-Baptiste ROUSSEAU (poète et dramaturge français)
Quand le premier chantre du monde Expira sur les bords glacés, Où l’Ebre effrayé dans son onde Reçut ses membres dispersés, Le Thrace errant sur les montagnes, Remplit les bois et les campagnes Du cri perçant de ses douleurs : Les champs de l’air en retentirent, Et dans les antres qui gémirent, Le lion répandit des pleurs.
La France a perdu son Orphée ; Muses, dans ces moments de deuil, Elevez le pompeux trophée Que vous demande son cercueil : Laissez par de nouveaux prodiges, D’éclatants et dignes vestiges D’un jour marqué par vos regrets. Ainsi le tombeau de Virgile Est couvert du laurier fertile Qui par vos soins ne meurt jamais.
D’une brillante et triste vie Rousseau quitte aujourd’hui les fers, Et loin du ciel de sa patrie, La mort termine ses revers. D’où ses maux ont-ils pris leur source ? Quelles épines dans sa course Etouffaient les fleurs sous ses pas ? Quels ennuis ! Quelle vie errante, Et quelle foule renaissante D’adversaires et de combats !
Vous, dont l’inimitié durable L’accusa de ces chants affreux, Qui méritaient, s’il fût coupable, Un châtiment plus rigoureux ; Dans le sanctuaire suprême, Grâce à vos soins, par Thémis même Son honneur est encore terni. J’abandonne son innocence ; Que veut de plus votre vengeance ? Il fut malheureux et puni.
Jusques à quand, mortels farouches, Vivrons-nous de haine et d’aigreur ? Prêterons-nous toujours nos bouches Au langage de la fureur ? Implacable dans ma colère, Je m’applaudis de la misère De mon ennemi terrassé ; Il se relève, je succombe, Et moi-même à ses pieds je tombe Frappé du trait que j’ai lancé.
Songeons que l’imposture habite Parmi le peuple et chez les grands ; Qu’il n’est dignité ni mérite A l’abri de ses traits errants ; Que la calomnie écoutée, A la vertu persécutée Porte souvent un coup mortel, Et poursuit sans que rien l’étonne, Le monarque sous la couronne, Et le pontife sur l’autel.
Du sein des ombres éternelles S’élevant au trône des dieux, L’envie offusque de ses aîles Tout éclat qui frappe ses yeux. Quel ministre, quel capitaine, Quel monarque vaincra sa haine, Et les injustices du sort ! Le temps à peine les consomme ; Et jamais le prix du grand homme N’est bien connu qu’après sa mort.
Oui, la mort seule nous délivre Des ennemis de nos vertus, Et notre gloire ne peut vivre Que lorsque nous ne vivons plus. Le chantre d’Ulysse et d’Achille Sans protecteur et sans asile, Fut ignoré jusqu’au tombeau : Il expire, le charme cesse, Et tous les peuples de la Grèce Entr’eux disputent son berceau.
Le Nil a vu sur ses rivages De noirs habitants des déserts, Insulter par leurs cris sauvages L’astre éclatant de l’univers. Crimes impuissants ! Fureurs bizarres ! Tandis que ces monstres barbares Poussaient d’insolentes clameurs, Le dieu poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs.
Souveraine des chants lyriques, Toi que Rousseau dans nos climats Appela des jeux olympiques, Qui semblaient seuls fixer tes pas ; Par qui ta trompette éclatante Secondant ta voix triomphante, Formera-t-elle des concerts ? Des héros, Muse magnanime, Par quel organe assez sublime Vas-tu parler à l’univers ?
Favoris, élèves dociles De ce ministre d’Apollon, Vous à qui ses conseils utiles Ont ouvert le sacré vallon ; Accourez, troupe désolée, Déposez sur son mausolée Votre lyre qu’il inspirait ; La mort a frappé votre maître, Et d’un souffle a fait disparaître Le flambeau qui vous éclairait.
Et vous dont sa fière harmonie Egala les superbes sons, Qui reviviez dans ce génie Formé par vos seules leçons ; Mânes d’Alcé et de Pindare, Que votre suffrage répare La rigueur de son sort fatal. Dans la nuit du séjour funèbre, Consolez son ombre célèbre, Et couronnez votre rival.
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JEAN-JACQUES LEFRANC DE POMPIGNAN Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
O femme, tu naquis d’une famille impure, D’infidèles parents qui trahissaient mes lois. L’art d’une habile main n’aida point la nature, Lorsque tu vis le jour pour la première fois.
Ni les eaux, ni le sel ne t’ont purifiée ; Ta mère avec regret te porta dans son flanc ; On te mit sur la terre, où tu fus oubliée ; J’approchai : tu pleurais, tu nageais dans ton sang.
J’en arrêtai le cours ; je l’essuyai moi-même ; Mon cœur fut attendri de ta misère extrême, Et je te dis : Vivez, vivez, trop faible enfant ; Sous l’aile du Seigneur dont le bras vous défend, Croissez et méritez qu’un tendre époux vous aime.
J’ai depuis ce moment veillé sur tes destins. Objet de mes désirs, sous mes yeux élevée, Mes regards paternels, mes soins t’ont cultivée Comme une jeune fleur qui croît dans les jardins.
Ton corps, fortifié par les progrès de l’âge, Atteignit ces beaux jours où ton sexe volage De ses charmes naissants connaît trop le pouvoir. Que les tiens étaient doux ! que j’aimais à les voir !
Nul mortel cependant ne cherchait à te plaire. Rebut de l’univers, tu ne trouvas que moi Qui vis avec pitié ta douleur solitaire. Ton maître, ton seigneur se déclara pour toi : Tu reçus mes serments, et j’acceptai ta foi.
Oh ! qu’alors avec complaisance Je te prodiguai mes bienfaits ! Qu’avec pompe et magnificence Je pris soin d’orner tes attraits ! J’instruisis ta faible jeunesse ; Des gages purs de ma tendresse Je t’embellissais chaque jour ; Je te donnai mon héritage, Et tu possédas sans partage Mes richesses et mon amour.
L’éclat célèbre de tes charmes Amena la terre à tes pieds. À ton char, vaincus par tes armes, De puissants rois furent liés. Tu mis alors ta confiance Dans les appas et la puissance Que tu devais à ma bonté. Tu conçus une folle joie, Et l’orgueil dont tu fus la proie Surpassa même ta beauté.
Cet orgueil engendra tes vices, Il alluma tes passions, Tu recherchas dans tes caprices Les esclaves des nations. Dans tes honteuses perfidies, Sur les femmes les plus hardies Tu l’emportas par ta noirceur ; Et les excès les plus coupables De tes amours abominables N’égaleront jamais l’horreur.
Tu dressas de superbes tentes Dans les bois et sur les hauts lieux. Là par des fêtes éclatantes Tu rendis hommage aux faux dieux. Leurs autels, que tes mains ornèrent, De mon or qu’elles profanèrent Impunément furent couverts. Pour leur consacrer des prémices, Tu dépouillais mes sacrifices Des tributs qui m’étaient offerts.
Mais d’offrandes plus criminelles Ces premiers dons furent suivis. Tes mains, oui, tes mains maternelles Ont immolé tes propres fils. Sans toi, sans pitié, sans tendresse, De Baal sanglante prêtresse, Tu déshonorais nos liens. O coups réservés à tes crimes ! Ces enfants choisis pour victime, Barbare, étaient aussi les miens.
Ma sévérité toujours lente N’a point éveillé tes remords. Tu quittes, transfuge insolente, Le Dieu vivant pour des dieux morts. Quoi donc ! oublieras-tu, perfide, Femme ingrate, mère homicide, Que je t’arrachai du tombeau, Et te sauvai par ma puissance Des opprobres de mon enfance, Et des douleurs de ton berceau ?
Malheur à toi, qui faisais gloire De ces attentats furieux, Dont tu conserves la mémoire, Dans des monuments odieux, Sur les marbres des portiques De tes iniquités publiques J’ai vu les symboles impurs : Et les nations étrangères Ont lu dans ces vils caractères Ta honte écrite sur tes murs.
Mais le jour luit où ma vengeance Ne suspendra plus son transport. Je t’abandonne à l’indigence, À l’ignominie, à la mort. Je susciterait, pour ta peine, Ces femmes, objets de ta haine, Les épouses des Philistins, Qui moins que toi licencieuses, De tes amours audacieuses Rougissaient avec tes voisins.
Dans l’art de plaire et de séduire, Tu vantais tes lâches succès. Ton cœur, que je n’ai pu réduire, Inventait de nouveaux excès. Tu rassemblais les Ammonites, Les Chaldéens, les Moabites, Les voluptueux Syriens ; Et toujours plus insatiable, Tu fis un commerce effroyable De tes plaisirs et de tes biens.
D’autres reçoivent des largesses Pour prix de leurs égarements, Mais toi, tu livras tes richesses Pour récompenser les amants. Tu laissais aux femmes vulgaires L’honneur d’obtenir des salaires Qui d’opprobre couvraient leur front. Pour mieux surpasser tes rivales, Tes tendresses plus libérales Achetaient le crime et l’affront.
Voici donc ton arrêt, femme parjure, écoute : Pour suivre des méchants la détestable route, Tu quittas les sentiers que j’avais faits pour toi, Ton audace adultère et ton idolâtrie Ont souillé mon autel, corrompu ta patrie, Égorgé tes enfants et renversé ma loi.
Tu vécus sans remords dans tes mœurs dépravées ; Mes rigueurs, que ton âme a si longtemps bravées, À tes forfaits sans nombre égaleront tes maux, Pour épuiser sur toi les plus cruels supplices, Tes propres alliés, tes amants, tes complices, Deviendront mes vengeurs et seront tes bourreaux.
Les peuples apprendront cet exemple sévère. Alors j’apaiserai ma trop juste colère, Ta mort rendra le calme au cœur de ton époux. Il aura satisfait sa vengeance et sa gloire, Et tes crime éteints, ainsi que ta mémoire, Ne seront plus l’objet de ses regards jaloux.
Tu n’as point démenti l’horreur de ta naissance ; Tes vices ont paru dès ta plus tendre enfance ; La fille suit les pas que la mère a tracés. Tu fus sœurs de tes sœurs, impudiques comme elles ; Et des femmes d’Ammon, au vrai Dieu tant rebelles, Leurs crimes par les tien ont été surpassés.
Ton sang a réuni les plus indignes races, Pères, mères, aïeux, qui bravaient mes menaces, Et dont tu vois encor les durables malheurs, Contre toi jusqu’au ciel leur voix s’élève et crie ; Pour tout dire, en un mot, Sodome et Samarie, Trouvent dans tes forfaits une excuse des leurs.
De Sodome si détestée Tu n’osais proférer le nom. Sais-tu quels fléaux l’ont jetée Dans ce déplorable abandon ? De l’orgueil l’insultante ivresse, L’intempérance, la mollesse, Le luxe et la cupidité, Le dur mépris qu’à l’indulgence Oppose l’altière opulence Qu’accompagne l’oisiveté.
Triste esclave des mêmes vices, Tu connais d’autres attentats, Des cruautés, des injustices Que Sodome ne connut pas. Et toutefois je l’ai détruite ; Comme elle tu seras réduite Aux dernières calamités. C’est toi qui m’outrages, me blesses ; Tu n’as pas gardé tes promesses, Et j’ai rompu tous nos traités.
Mais que dis-je ! Un sentiment tendre Me parle encor en ta faveur. Ah ! que ne dois-tu pas attendre De la pitié d’un Dieu sauveur ! Dans leurs demeures fortunées Tes sœurs, tes filles ramenées Couleront des jours triomphants. Je te rendrai ma confiance, Et dans ma nouvelle alliance, Vous serez toutes mes enfants.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
OS LUSIADAS CAMOES CANTO VI CANTO SEXTO Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS VI-46 LES LUSIADES VI-46
* LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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« Mas como fossem grandes e possantes « Mais comme ils étaient grands et puissants, No reino os inimigos, não se atrevem Dans le royaume, leurs ennemis, que n’osèrent,…
OS LUSIADAS CAMOES CANTO VI CANTO SEXTO Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS VI-32 LES LUSIADES VI-32
* LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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« E não consinto, Deuses, que cuideis « Et je ne croyez pas, ô Dieux, Que por amor de vós do céu desci, Que je sois descendu du ciel par amour pour vous,…
OS LUSIADAS CAMOES CANTO VI CANTO SEXTO Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS VI-23 LES LUSIADES VI-23
* LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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Aquela que das fúrias de Atamante Ino, celle qui avait fui les furies d’Athamas, Roi de Thèbes, Fugindo, veio a ter divino estado, Arriva avec son statut divin,….
OS LUSIADAS CAMOES CANTO VI CANTO SEXTO Os Lusiadas Les Lusiades OS LUSIADAS VI-19 LES LUSIADES VI-19
* LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português Luis de Camões [1525-1580] Tradução – Traduction Jacky Lavauzelle texto bilingue
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Na mão a grande concha retorcida Dans sa main,une grande conque torsadée Que trazia, com força, já tocava; Il portait, et, avec force, il souffla ; A voz grande canora foi ouvida Une forte voix fut entendue Por todo o mar, que longe retumbava. Aux confins de la mer et retentit au loin. Já toda a companhia apercebida Déjà toute la compagnie Dos Deuses para os paços caminhava Des Dieux se dirigeaient aux palais Do Deus, que fez os muros de Dardânia, Du Dieu Neptune, qui a fait les murs de Troie, la Dardanienne, Destruídos depois da Grega insânia. Détruit par la rage des Grecs.
LE THÉÂTRE d’EURIPIDE * L’ION D’EURIPIDE & L’APOLLONIDE DE LECONTE DE LISLE
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Parution IMPRESSIONS DE THÉÂTRE NOUVELLE BIBLIOTHÈQUE LITTÉRAIRE PARIS SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’IMPRIMERIE ET DE LIBRAIRIE Ancienne Librairie Lecêne, Oudin et Cie 15 Rue de Cluny Paris XVe
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L’ION D’EURIPIDE, et L’APOLLONIDE DE LECONTE DE LISLE
… Je fouille mélancoliquement dans le tas des livres que j’ai mis à part comme se rapportant au théâtre. J’en ramène l’Apollonide de Leconte de Lisle, « drame lyrique en trois parties et cinq tableaux ». Je vous cite le titre complet. Le poète n’a pas cru devoir ajouter, fût-ce en petits caractères : « d’après Euripide » ; et cette omission m’étonne un peu. Car enfin l’Apollonide n’est point, comme l’Andromaque ou la Phèdre de Racine, une pièce nouvelle sur un sujet ancien : c’est, bien réellement, une « adaptation », comme on dit aujourd’hui, ou, si vous voulez, une traduction libre et abrégée. Pas une scène de l’Apollonide qui ne soit dans l’Ion ; et l’ordre des choses est le même dans les deux ouvrages. Leconte de Lisle n’a procédé que par retranchement… Je le sais ; mais pour en être sûr, je vais relire la tragédie d’Euripide. …Eh bien, Ion m’a fort réjoui. Au surplus, Euripide, est depuis longtemps, entre tous les Grecs anciens, celui que j’aime le mieux. Je consens qu’il soit inférieur, comme dramaturge, à l’auteur d’Œdipe-Roi. Mais qu’il est original et singulier ! C’est un philosophe et un humoriste délicieux. Il met de l’ironie dans le mélodrame, ce qui est bien imprudent, mais ce qui fait un mélange bien savoureux. Il passe du plus brutal réalisme psychologique (ses personnages expriment leurs plus affreux sentiments avec la même ingénuité que les personnages du Théâtre-Libre) au lyrisme le plus somptueux et au pathétique le plus tendre. Il est impie et religieux. Presque dans le même moment, il nie les Dieux et les aime ; il les raille dans les puérilités de leur légende, mais il les adore dans leur beauté et dans l’image épurée qu’il se forme d’eux. Il a, -déjà, – la piété sans la foi. Que n’a-t-il pas ?
Dans Ion, comme dans toutes ses tragédies, Euripide commence par nous faire un petit résumé de sa pièce, dénouement y compris ; car c’est une invention française que d’avoir fait de l’intérêt de curiosité l’essentiel du théâtre. Donc, Mercure nous raconte que Créuse, reine d’Athènes et fille d’Erechthée, a été séduite par Apollon, dont elle a eu un fils. Elle a exposé l’enfant, que le dieu a pris soin d’enlever et de faire secrètement nourrir à Delphes, dans son temple. Après quoi elle a épousé Xuthus, un étranger, d’ailleurs fils de Jupiter. Or, Xuthus vient tout justement consulter l’oracle de Delphes, « dans l’espoir d’obtenir une postérité qui lui manque. » Et Mercure, qui n’a pour nous rien de caché, ajoute : « Quand Xuthus sera entré dans ce temple, Apollon lui donnera son propre fils et dira qu’il est né de ce prince ; l’enfant, rentré ainsi dans le giron maternel, sera reconnu par Créuse, aura une existence assurée ; et la paternité d’Apollon demeurera secrète. » La situation d’Apollon sera donc un peu celle de Monsieur Alphonse dans le ménage du commandant Montaiglin.
Vous entrevoyez pourtant comment on a pris l’habitude de rapprocher plutôt Ion d’Athalie. Ion est, par un côté, un drame national : le dénouement écarte de la royauté athénienne une race étrangère, et restitue l’Attique au sang d’Apollon et d’Erechthée. Et de même qu’Athalie nous ouvre une glorieuse perspective sur la « Jérusalem nouvelle », ainsi l’Athènes de Périclès est à l’horizon de la tragédie d’Euripide.
A cela, vraiment, se bornent les ressemblances. A part sa naissance mystérieuse et ses occupations, Ion n’a rien de commun avec le petit Joas. Ce n’est point un enfant, ni même un adolescent. Les esclaves de Créuse disent quelque part : « Le fils qu’Appolon a donné à Xuthus est un jeune homme dans la force de l’âge. » Aussi bien a-t-il une âme fort différente de celle d’un enfant de chœur. Hormis quelques rares instants d’attendrissement et de colère, Ion est un jeune sacristain narquois, un extraordinaire pince-sans-rire, chargé par Euripide de railler la partie mélodramatique de l’ouvrage et de signaler l’immortalité de la légende populaire qui en est le sujet, et ainsi de faire à la fois la critique des dieux qui mènent l’action, -et la critique de la pièce.
Ecoutez, dès la première scène, sa réplique à Créuse, qui vient de lui conter son histoire en l’attribuant à une amie. (Je me permets de traduire moi-même, car aucune des traductions qu’on a tentées d’Euripide ne me satisfait.) « Voyez-vous, Madame, il y a, dans votre histoire, un détail bien fâcheux pour vous. Comment voulez-vous que le dieu vous réponde sur un fait qu’il veut précisément tenir caché ? Et croyez bien que personne n’osera vous répondre pour lui. Apollon, convaincu d’un crime dans son propre temple, châtierait celui qui s’aviserait de rendre un oracle en son nom. Et, franchement, Apollon n’aurait pas tort. De bonne foi, on ne peut pas demander à un dieu des oracles qui lui sont contraires. Ce serait le comble de la naïveté. Retirez-vous, Madame… »
Et un peu plus loin : » …Qu’ai-je à m’inquiéter de la fille d’Erechthée, puisqu’elle ne m’est rien ? Allons plutôt arroser mes fleurs… C’est égal, abandonner une jeune fille après l’avoir prise de force, puis laisser mourir l’enfant qu’on lui a fait, cela n’est pas très joli pour un dieu. Quand on est tout-puissant, on doit être bon. Les dieux punissent les hommes méchants. Au moins ne devraient-ils pas violer les lois qu’ils nous ont données. Si, par impossible, vous comparaissez devant un tribunal humain, Neptune, Jupiter, roi du Ciel, et toi, Apollon, vous n’auriez pas assez d’argent dans vos temples pour payer la rançon de vos gaietés. »
Cependant la Pythie, consultée par Xuthus, lui a répondu : « Le premier que tu verras, en sortantd’ici, sera ton fils. » Il sort, aperçoit Ion : « Dans mes bras !…Je suis ton père. -Vous voulez rire ? » dit tranquillement le jeune sacristain. Mais Xuthus affirme qu’il est sérieux, et rapporte le mot de la Pythie. « C’est étrange ! dit Ion. – A qui le dîtes-vous ? dit Xuthus.
Vous voyez la situation. C’est un garçon de vingt ans qui retrouve son père, et un père qui lui ouvre les bras tout grands. Vous devinez ce qui serait le dialogue chez M. d’Ennery, -ou simplement chez Sophocle, qui est aussi « un homme de théâtre« . Ici, le « fils naturel » ne bronche pas ; et voici le dialogue étonnant qui s’engage entre son père et lui (je crois traduire très exactement et conformément à l’esprit du poète) :
Ion. Mais alors qui est ma mère ?
Xuthus. ça, je ne sais pas.
Ion. Appolon ne vous l’a pas dit ?
Xuthus. J’étais si content que j’ai oublié de lui demander.
Ion. Je ne suis pourtant pas né sous un chou ?
Xuthus. C’est probable.
Ion. N’avez-vous jamais eu de maîtresse ?
Xuthus. Mon Dieu…quand j’étais jeune…
Ion. Avant votre mariage ?
Xuthus. Oh ! bien étendu.
Ion. Alors, c’est dans ce temps-là que vous m’auriez eu ?
Xuthus. C’est bien possible.
Ion. Oui, mais comment suis-je venu ici ?
Xuthus. Je ne sais pas.
Ion. D’Athènes ici, il y a un bout de chemin.
Xuthus. ….
Ion. Mais, dites-moi, êtes-vous déjà venu à Delphes ?
Xuthus. Oui, une fois, aux fêtes de Bacchus.
Ion. A quel hôtel êtes-vous descendu ?
Xuthus. Chez un digne homme qui…enfin qui me présenta à de petites Delphiennes…
Ion. Et vous étiez gris ?
Xuthus. Dame !
Ion. Et voilà comment je vins au monde !
Xuthus. C’est que ça devait arriver, mon enfant !
Ion. Mais enfin, comment me trouvé-je dans ce temple ?
Xuthus. Ta mère t’aura exposé.
Ion. Bah ! Je ne lui en veux pas.
Xuthus. Allons ! reconnais ton père.
Ion. Je veux bien. Après tout que puis-je souhaiter de mieux que d’être le petit fils de Jupiter ? C’est une situation, cela.
Vous voyez que nous sommes extrêmement loin de Jacques Vignot demandant des comptes à Charles Sternay. Il est vrai que, un moment après, nous nous en approchons imperceptiblement. Xuthus propose au jeune homme de l’emmener à Athènes, de le reconnaître publiquement pour son fils, et de lui faire part de sa puissance et de ses richesses. Mais Ion : « Les choses, de près, ne sont plus du tout ce qu’elles apparaissent de loin… Je suis content d’avoir retrouvé un père ; mais qu’irais-je faire à Athènes ? J’y serais mal vu, et comme bâtard, et comme étranger. Je mettrais le trouble dans votre maison. Je serais odieux à votre femme ; et, si vous aviez l’air de m’aimer trop… elle ne serait pas la première qui eût avancé, en douceur, la fin d’un mari… Oh ! j’ai très peu d’illusions… Ici, je suis bien tranquille. Je ne vois les hommes qu’en passant, et quand ils ont besoin de moi, ce qui fait qu’ils sont toujours fort aimables… Décidément, je reste ici, mon père...Laissez-moi vivre pour moi-même… »
Xuthus insiste : « Il y a un moyen de tout arranger. Je t’emmènerai à Athènes comme si tu n’étais que mon hôte… Au surplus, je ne veux pas attrister Créuse, qui n’a pas d’enfant, en étalant mon bonheur… Plus tard, nous verrons… Allons, c’est convenu, je t’emmène. Donne, ce soir, un souper d’adieu à tes amis. »
… Après ces scènes de comédie railleuse, tout à coup éclate un drame violent, brutal, -et aussi, par endroits, d’un arrangement ingénieux.
Lorsque Créuse apprend que son mari a retrouvé un fils né hors du mariage, elle gémit de douleur, de jalousie et de haine ; d’autant plus torturée par le souvenir de son enfant, à elle, de l’enfant qu’elle eut d’un dieu et que son lâche père (elle le croit du moins) abandonna à la dent des bêtes. Et ce sont les plus beaux cris de désespoir et de colère, une furieuse et splendide imprécation contre l’Alphonse divin. (J’aurais grande joie à vous citer le morceau, si mon dessein n’était de m’attacher principalement aux parties ironiques de ce mélodrame.)
Donc, conseillée par un vieil intendant, patriote fanatique qui ne peut souffrir la pensée de voir peut-être un jour un étranger sur le trône d’Athènes, Créuse résout de supprimer le bâtard de son mari, l’odieux intrus. Pour cela, elle remet au vieil homme un petit flacon qui contient une goutte du sang de la Gorgone, -un poison de famille.
Le vieil homme se rend au souper que le bâtard offre à ses camarades (la description du festin est un excellent morceau de poésie parnassienne) ; il verse, sans être vu, dans la coupe d’Ion, le poison gorgonien…
Admirons ici l’imagination charmante d’Euripide, et comme il sait répandre un sourire et une grâce sur des noirceurs à la Pixerécourt. Au moment où Ion va boire, « un des serviteurs prononce une parole de mauvais augure« . Superstitieux, bien que narquois, je jeune ex-sacristain jette le contenu de sa coupe. Cela fait par terre une flaque où vient boire une des colombes familières du temple d’Apollon. L’oiseau tombe, empoisonné, « et meurt en allongeant ses pattes purpurines« . On soupçonne le vieillard ; on le presse de questions ; il avoue le crime de sa maîtresse. Et les magistrats de Delphes condamnent Créuse à mort, pour tentative de meurtre sur un homme d’église.
Créuse, avertie, se réfugie au pied de l’autel d’Apollon, qui est « lieu d’asile« . Ion demeure narquois ; mais enfin il tient à sa peau et ne saurait vouloir du bien à une personne qui a voulu l’assassiner. Il essaye donc de la déloger du pied de l’autel où elle se cramponne. « Vraiment, dit-il (car ce jeune clerc ne cesse de faire, sur les dieux, des réflexions désobligeantes), les dieux ont des bizarres pensées. Ils accordent le même refuge à l’innocent et au coupable ; et finalement, ils se trouvent protéger surtout les coquins.«
Or, tandis qu’il se dispose à malmener Créuse, la Pythie survient et s’écrie : « Arrête, mon fils. Appolon t’ordonne d’épargner cette femme. Il m’a chargée de t’apporter cette corbeille qui est celle où, tout petit, tu as été exposé dans ce temple. Elle contient tes langes et quelques menus objets. Pars, c’est l’ordre du dieu, et va-t’en à la recherche de ta mère. -Oh ! dit Ion, je ne suis pas si curieux. Je plains ma mère, mais j’aime autant ne pas la connaître. Je n’aurais qu’à découvrir que je suis fils d’une esclave ou d’une gourgandine ! Et je ne veux pas savoir ce qu’il y a dans la corbeille. Je m’en vais l’offrir au dieu sans l’ouvrir, cela est plus prudent. »
Mais cette corbeille, Créuse l’a reconnue : « Dans mes bras, mon fils !… Je suis ta mère ! -Elle est folle ! » dit Ion ; car la « voix du sang » reste, en lui, aussi parfaitement silencieuse devant sa mère retrouvée que naguère en présence de Xuthus. Et, comme Créuse continue à crier sa maternité : « Un instant, Madame ; dites-moi ce qu’il y a dans la corbeille. » Elle le lui dit, dans un grand détail et très exactement. « Eh bien donc, ma mère, je suis enchanté de vous revoir. » Et des baisers, et des effusions, ainsi qu’il convient. Mais Ion ne perd pas la tête : « Et mon père, Madame, qui est mon père ? » Créuse, moitié honteuse, moitié glorieuse, lui conte son aventure avec Apollon. « Ah ! dit Ion, un peu ahuri par tant de coups de théâtre, de reconnaissances et de découvertes, et se débattant au travers,
Comme l’eau qu’il secoue aveugle un chien mouillé,
que d’aventures en une journée ! J’étais sans père ; puis j’ai été le fils de Xuthus, et me voilà fils d’Apollon. Ma mère a voulu me tuer, j’ai voulu tuer ma mère. Bah ! Tout est bien qui finit bien. Je suis content de vous avoir retrouvée, et je n’ai pas trop lieu de me plaindre de ma naissance. »
C’est égal, tout cela est bien extraordinaire… Un soupçon lui traverse l’esprit. Il craint d’être dupe. « Mon Dieu, ma mère, ce que j’ai à vous dire est un peu délicat… Êtes-vous bien sûr que je sois le fils d’Apollon ?… Car enfin on a souvent vu des jeunes filles séduites rejeter leur faute, par vanité, sur un personnage illustre. » Créuse proteste, essaye de donner des preuves ; mais Ion est de ceux « à qui on ne la fait pas. »
Cependant il faut bien conclure. Et, pan ! voici le deus ex machina. Car, dans presque toutes les pièces d’Euripide, l’impertinence des dénouements répond au sans-gêne des prologues. Minerve apparaît, – d’ailleurs ironique, elle aussi : « N’ayez pas peur : je ne suis pas votre ennemie, et je ne vous veux que du bien. Je viens de la part d’Apollon. Il n’a pas voulu paraître lui-même, craignant d’être un peu gêné devant vous deux, et voulant éviter les scènes… Il m’envoie vous dire que Ion est bien son fils et celui de Créuse… Apollon a tout conduit avec beaucoup de sagesse : il t’a fait accoucher sans douleur, Créuse, pour que ta famille ne devinât rien. Quand tu fus mère, il commanda à Mercure de prendre ton enfant et de le transporter ici… Et maintenant, écoute un bon conseil : ne dis à personne que Ion est ton fils. Laisse à Xuthus sa douce illusion…«
Je ne vous ai point rapporté tout ce qu’il y a dans cette pièce singulière ; mais tout ce que je vous ai rapporté s’y trouve réellement. Le personnage d’Ion est bien, dans son fond, ce que je vous ai dit : un philosophe gouailleur, de très libre esprit et d’imperturbable sang-froid, fourvoyé dans un conte populaire et empêtré par surcroît dans une trame mélodramatique dont il conçoit et constate à mesure l’extravagance, et qui s’étonne, flegmatiquement, d’être là. Et cela n’empêche point le rôle de devenir touchant et pathétique, quand la situation l’exige absolument. Ion, et surtout Créuse, ont, à l’occasion, des accents d’une tendresse délicieuse. C’est ainsi. Euripide méprise Scribe vingt-quatre siècles d’avance, ce qui est prodigieux. Il commence toujours par railler l’enfantillage des histoires qu’il raconte, la conception religieuse impliquée par le rôle qu’y jouent les dieux, et l’absurdité des moyens qui amènent les situations ; mais ces situations une fois produites, il cesse de railler, il exprime avec la plus émouvante vérité les sentiments des personnages qu’elles étreignent ; et, pareillement, ces dieux dont il bafouait tout à l’heure la figure populaire, il leur restitue, avec la beauté plastique, la beauté morale, conformément aux théories de ses amis Anaxagore et Socrate. Et il est bien certain que ce mélange, j’allais dire de « blague » et de pathétique, d’irrévérence et de piété, devait avoir quelque chose de déconcertant, même pour les subtils Athéniens, et que, « au point de vue du théâtre« , l’Euripide ironique fait tort à l’Euripide tragique. Et pourtant, je serais bien fâché que l’un des deux manquât. Il y a, dans le critique-poète dramaturge Euripide, du Voltaire, du Heine, du Racine, du Musset, du Dumas fils, -et d’Hennery. Je l’aime, malgré cela ou pour cela, selon que je suis raisonnable ou non ; mais je l’aime.
Pour le parallèle entre Ion et Apollonide, je vous renvoie à l’un des chapitres du livre très vivant et gesticulant de M. Psichari : Autour de la Grèce. Je dois dire que je préfère Ion aussi délibérément que M. Psichari préfère l’Apollonide ; mais qu’importe ?
Prometheus PROMETHEE Le Titan Προμηθεύς « le Prévoyant » 1772-1774
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Bedecke deinen Himmel, Zeus, Couvre ton ciel, Zeus, Mit Wolkendunst! D’une brume de nuages ! Und übe, Knaben gleich, Et comme les enfants cueillant Der Disteln köpft, Les têtes des chardons, An Eichen dich und Bergeshöh’n! Passe sur les chênes, les sommets ! Mußt mir meine Erde Mais ma terre Doch lassen steh’n, Veille à ne pas toucher, Und meine Hütte, Tout comme ma cabane Die du nicht gebaut, Que tu n’as point construite, Und meinen Herd, Et mon poêle, Um dessen Glut Que ces braises Du mich beneidest. Tu m’envies.
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Ich kenne nichts Ärmeres Je ne connais rien de plus terrible Unter der Sonn’ als euch Götter! Sous le soleil, que vous les dieux ! Ihr nähret kümmerlich Vous nourrissez misérablement Von Opfersteuern De sacrifices Und Gebetshauch Et du souffle des prières Eure Majestät Votre majesté, Und darbtet, wären Mais vous êtes affamés, tels des Nicht Kinder und Bettler Enfants et mendiants Hoffnungsvolle Toren. Remplis de vaines espérances.
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Da ich ein Kind war, Enfant, Nicht wußte, wo aus, wo ein, Ignorant, Kehrt’ ich mein verirrtes Auge Je tournais mon regard perdu Zur Sonne, als wenn drüber wär Vers le soleil, comme s’il existait au loin Ein Ohr zu hören meine Klage, Une oreille pour entendre ma douleur, Ein Herz wie meins, Un cœur comme le mien, Sich des Bedrängten zu erbarmen. S’apitoyant du sort des affligés.
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Wer half mir Qui m’a aidé Wider der Titanen Übermut? Contre la témérité des Titans ? Wer rettete vom Tode mich, Qui m’a sauvé de la mort, Von Sklaverei? De l’esclavage ? Hast du’s nicht alles selbst vollendet, N’as-tu pas tout réalisé toi-même, Heilig glühend Herz? Cœur sacré rougeoyant ? Und glühtest, jung und gut, Et radieux, jeune et bon, Betrogen, Rettungsdank Dans tes erreurs, porté des actions de grâce Dem Schlafenden dadroben? A la personne qui dort tout là-haut ?
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Ich dich ehren? Wofür? Que je t’honore ? Pourquoi ? Hast du die Schmerzen gelindert As-tu soulagé la douleur ? Je des Beladenen? Le fardeau ? Hast du die Tränen gestillet As-tu séché les larmes ? Je des Geängsteten? Atténué la peur ? Hat nicht mich zum Manne geschmiedet Ils m’ont forgé en homme : Die allmächtige Zeit Le Temps tout-puissant Und das ewige Schicksal, Et le Destin éternel, Meine Herren und deine? Mes maîtres à moi comme à toi ?
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Wähntest du etwa, Pensais-tu Ich sollte das Leben hassen, Que j’aurais dû détester la vie, In Wüsten fliehn, Me perdre dans les déserts, Weil nicht alle Knabenmorgen- Car de ces matins d’enfant Blütenträume reiften? Des rêves de fleurs n’ont pas mûris ? Hier sitz’ ich, forme Menschen Ici je suis assis, créant les hommes Nach meinem Bilde, A mon image, Ein Geschlecht, das mir gleich sei, Un genre qui est mon égal à moi, Zu leiden, weinen, Qui souffre et pleure, Genießen und zu freuen sich, Qui vit et se réjouit, Und dein nicht zu achten, Sans te respecter Wie ich! Comme moi !