PEINTURE UKRAINIENNE
Arkhip Kouïndji
Куїнджі Архип Іванович
Архип Иванович Куинджи
1842-1910
LA PEINTURE D’ARKHIP KOUÏNDJI
LA SENTINELLE DES RÊVES
poème de Jacky Lavauzelle
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Эльбрус. Лунная ночь L’Elbrouz
(1890—1895)
La mort a fait son lit
Ce matin
Sans lumières
J’ai vu l’Elbrouz apparaître
disparaître
Le mont comme un baiser recevait la mort
Il est temps de partir
A la recherche des neiges
En quête de couleurs et de rien
Une ombre m’a suivi ce matin
Je ne lui demandais rien
Un matin
Dans la ville
Frappé dans un cœur vide
Au seuil de la ville
Je quittais à galop
Les bruits sourds de ces pâles couleurs
Qui partout nous frappent
Un matin
La valise à la main
Jeté dans le silence des routes
Tristement je vais
ARKHIP KOUÏNDJI
Vue sur le pont de la Moskova (Moskvoretsky) (1882)
Une voix inconnue et paisible vide les rêves
A la sortie de la ville
Le pont de la Moskova si fin
On entend et les vagues et les vies
Des deux rives de la ville
En attendant l’orage du monde
En attendant la lune n’est plus
Sans lutte dans le bas du ciel aux portes du cœur
Elle est partie
Moscou au loin brillait
Un nouveau désert dans le monde
Moscou résigné s’effaçait
A chaque seconde une éternité de plus
Moscou vue depuis les monts des moineaux
Le ciel est devenu noir
jusqu’aux os
Le vert saisit son moment de grâce
Les muses en cercle s’affairent
L’enfer dans l’attente ne se voit plus
La lune a-t-elle été ?
ARKHIP KOUÏNDJI Після дощу – После дождя
Après la pluie
1879
Une corde se tend dans la chair du ciel
Des tonnes de cantiques
Et le mal se dénoue sur les lacs et les êtres
Les choses sont dans l’ordre
Et la maison et le ciel et les arbres
Le noir encore dévore
Un soleil s’étend et la clairière s’enchante
Au bord des morts
Qui s’aiment encore
Comme ces bleus sont trompeurs
Pourquoi la terre ne gronde-t-elle plus
ARKHIP KOUÏNDJI Дарьяльська ущелина. Місячна ніч
Дарьяльское ущелье. Лунная ночь
Nuit de pleine lune
(1890—1895)
Le blanc et le noir s’affrontent
ça se sent
Le vent balaye les premiers réveils et le premier bruit
ça s’entend
La visite des anges et le retour du jour
La planète semble avoir changé de mains
vraiment
La lune signe encore sa place éternelle
Sur le monde en béquilles
Qui prend l’eau
vainement
Лунная ночь на Днепре
Nuit de lune sur le Dniepr
(1880)
Le noir est au-dessus et en-dedans
Une vague rivière semble serpenter
Et la lune…
Elle souffle siffle ou se sauve
La noir ou la folie
Tout s’éteint
Une ombre encore se promène
Derrière la mort
Et la lune
Вечір на Україні
Вечер на Украине
Nuit en Ukraine
1878
S’aspergent les feux et les fleuves de feuilles
Pas une couleur ne s’étale et toutes glissent
Le point du temps se met à table et s’endort
La nature a vécu
En oubliant ses luttes
Plus de vœux de salut plus de vie en attente
Se délasse et se traîne un rêve
Puis un autre
Puis un autre
Encore
Le noir est superflu
Une chose simple
Indivisible
Le noir s’est pendu
Les couleurs ne peuvent plus partir
Derrière le soleil
Au loin
On l’a jeté à la mer
Avec le noir avec la nuit
Avec les faubourgs et les passants
Le noir n’est plus
«Осінь», до
Automne
1890
L’infini s’est montré pour se faire oublier
Et des pages et des clartés se sont perdues
Sans bruit
Un drame a marché
Ne l’entendez-vous bramer
Là le troupeau des hivers a bousculé la paix
Et du gris au noir c’est le noir qui dévore
Tout étouffe sans un bruit sans un seul
Et des peuples et des vies à jamais disparus
Le noir en force
Revient
Плями місячного сяйва у лісі. Зима
Пятна лунного света в лесу. Зима
Clair de lune dans une forêt, en hiver
Du gris du blanc au blanc du bleu
Se donne et se jette du haut des falaises
Qui s’arrêtent dans la fuite
J’entends un cri qui monte du rivage
Dans le blanc qui s’efface
Le ciel n’est jamais si tendre
Les dieux se jouent de nous
Sur l’instant
ARKHIP KOUÏNDJI Reflets de soleil sur givre (1876-1890) мороз
Dans le blanc qui revient
Un salut nous répond
Sur la pierre qui se casse
Une réponse se livre
Des pas dans la neige
Une femme une flamme
Un duvet sur le cœur des neiges
Un duvet sourd
Avide
Le bleu semble vaincre
Les vieillards sont couchés
Le jour a faim
Du haut de la falaise
Le jour dévore tout
стрімчак – утес
Falaise
1898-1908
Au-delà
Une route se dessine
Sans rien
Sans appel
Une ombre nous prend la main
Pour une visite lascive
Des rois sont passés par ici
Je crois
La Volga [Musée national de l’Azerbaïdjan à Bakou]
Волга [Национальный музей искусств Азербайджана, Баку]
Une voie
Une autre encore
Au bout
Nous commande de marcher
Et nous marchons
Mon ombre
Et moi
Днепр утром (1881 г.) Дніпро вранці
Le Dniepr au petit matin
La route s’achève
Affamés debout
Encore
Un sentiment rêvé
Est-ce la lueur au loin
Près du but
Au-dessus des taches de fleurs
Le point entre et ne veut plus sortir
J’ai perdu mon ombre
Je crois
ліс – Forêt – лес
1887
Le bleu
Plus menaçant encore
Un bateau nous attend
Qui répond à nos premiers désirs
C’est là que les âmes s’échangent
Venues du fond de la mer
La mer est dans le ciel
C’est là qu’elles se vengent aussi
Et la terre s’est oubliée
Le bleu nage
Dans des restes d’Enfer
Le bleu se noie
Nous ne le reverrons plus
Исаакиевский собор
Ісаакіївський собор
La Cathédrale Saint-Isaac
1869
La terre ne nous fait plus peur
Le regard se promène
Dans l’ordre des lumières
Les couleurs n’en peuvent plus
De tant toucher de ténèbres
Les odeurs sont de retour
Pleines de moisis et de pourritures passagères
La terre ne nous fait plus peur
Dans le vert éternel
Tout s’est arrêté
Tombe une écorce des peupliers en ligne
Tombe un cri Tombe un instant
Que personne ne peut entendre
Les peupliers – Берёзовая роща -1901 – Березовий гай
Des pierres comme des os
Nul ici n’échappe
Les rêves sont trop fins et nous pensons courir
Qu’importe le temps
Qu’importe l’océan
Qu’importe le désir
Les nuages sont trop grands
Des lames dans le ciel
Nous tailladerons en pièces
Des flammes et des orages
Se sont-ils perdus
Au loin
Qui y a-t-il
Au loin
Un point plus loin que l’horizon
парусник в море- Voilier en mer – парусник в море
(1876-1890)
Il n’y a que l’horizon
Sans ombre