ODE À LA MORT DE Jean-Baptiste ROUSSEAU (poète et dramaturge français)
Quand le premier chantre du monde Expira sur les bords glacés, Où l’Ebre effrayé dans son onde Reçut ses membres dispersés, Le Thrace errant sur les montagnes, Remplit les bois et les campagnes Du cri perçant de ses douleurs : Les champs de l’air en retentirent, Et dans les antres qui gémirent, Le lion répandit des pleurs.
La France a perdu son Orphée ; Muses, dans ces moments de deuil, Elevez le pompeux trophée Que vous demande son cercueil : Laissez par de nouveaux prodiges, D’éclatants et dignes vestiges D’un jour marqué par vos regrets. Ainsi le tombeau de Virgile Est couvert du laurier fertile Qui par vos soins ne meurt jamais.
D’une brillante et triste vie Rousseau quitte aujourd’hui les fers, Et loin du ciel de sa patrie, La mort termine ses revers. D’où ses maux ont-ils pris leur source ? Quelles épines dans sa course Etouffaient les fleurs sous ses pas ? Quels ennuis ! Quelle vie errante, Et quelle foule renaissante D’adversaires et de combats !
Vous, dont l’inimitié durable L’accusa de ces chants affreux, Qui méritaient, s’il fût coupable, Un châtiment plus rigoureux ; Dans le sanctuaire suprême, Grâce à vos soins, par Thémis même Son honneur est encore terni. J’abandonne son innocence ; Que veut de plus votre vengeance ? Il fut malheureux et puni.
Jusques à quand, mortels farouches, Vivrons-nous de haine et d’aigreur ? Prêterons-nous toujours nos bouches Au langage de la fureur ? Implacable dans ma colère, Je m’applaudis de la misère De mon ennemi terrassé ; Il se relève, je succombe, Et moi-même à ses pieds je tombe Frappé du trait que j’ai lancé.
Songeons que l’imposture habite Parmi le peuple et chez les grands ; Qu’il n’est dignité ni mérite A l’abri de ses traits errants ; Que la calomnie écoutée, A la vertu persécutée Porte souvent un coup mortel, Et poursuit sans que rien l’étonne, Le monarque sous la couronne, Et le pontife sur l’autel.
Du sein des ombres éternelles S’élevant au trône des dieux, L’envie offusque de ses aîles Tout éclat qui frappe ses yeux. Quel ministre, quel capitaine, Quel monarque vaincra sa haine, Et les injustices du sort ! Le temps à peine les consomme ; Et jamais le prix du grand homme N’est bien connu qu’après sa mort.
Oui, la mort seule nous délivre Des ennemis de nos vertus, Et notre gloire ne peut vivre Que lorsque nous ne vivons plus. Le chantre d’Ulysse et d’Achille Sans protecteur et sans asile, Fut ignoré jusqu’au tombeau : Il expire, le charme cesse, Et tous les peuples de la Grèce Entr’eux disputent son berceau.
Le Nil a vu sur ses rivages De noirs habitants des déserts, Insulter par leurs cris sauvages L’astre éclatant de l’univers. Crimes impuissants ! Fureurs bizarres ! Tandis que ces monstres barbares Poussaient d’insolentes clameurs, Le dieu poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs.
Souveraine des chants lyriques, Toi que Rousseau dans nos climats Appela des jeux olympiques, Qui semblaient seuls fixer tes pas ; Par qui ta trompette éclatante Secondant ta voix triomphante, Formera-t-elle des concerts ? Des héros, Muse magnanime, Par quel organe assez sublime Vas-tu parler à l’univers ?
Favoris, élèves dociles De ce ministre d’Apollon, Vous à qui ses conseils utiles Ont ouvert le sacré vallon ; Accourez, troupe désolée, Déposez sur son mausolée Votre lyre qu’il inspirait ; La mort a frappé votre maître, Et d’un souffle a fait disparaître Le flambeau qui vous éclairait.
Et vous dont sa fière harmonie Egala les superbes sons, Qui reviviez dans ce génie Formé par vos seules leçons ; Mânes d’Alcé et de Pindare, Que votre suffrage répare La rigueur de son sort fatal. Dans la nuit du séjour funèbre, Consolez son ombre célèbre, Et couronnez votre rival.
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JEAN-JACQUES LEFRANC DE POMPIGNAN Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
RELATION DU VOYAGE DE M. LE MARQUIS LEFRANC DE POMPIGNAN DEPUIS POMPIGNAN JUSQU’À FONTAINEBLEAU ADRESSÉE AU PROCUREUR FISCAL DU VILLAGE DE POMPIGNAN
Vous fûtes témoin de ma gloire, mon cher ami ; vous étiez à côté de moi dans cette superbe procession, lorsque j’étais derrière un jeune jésuite. Tous les bourdons du pays se faisaient entendre, tous les paysans étaient mes gardes. Vous entendîtes ce sermon, dans lequel il est dit que j’ai la jeunesse de l’aigle, et que je suis assis près des astres, tandis que l’envie gémit sous mes pieds. Vous savez combien ce sermon me coûta de soins ; je le refis jusqu’à trois fois, à l’aide de celui qui le prononça : car on ne parvient à la postérité qu’en corrigeant ses ouvrages dans le temps présent. Vous assistâtes à ce splendide repas de vingt-six couverts, dont il sera parlé à jamais. Vous savez que je me dérobai quelques jours après aux acclamations de la province ; je pris la poste pour la cour ; ma réputation me précédait partout. Je trouvai à Cahors mon portrait en taille-douce dans le cabaret : il y avait au bas cinq petits vers qui faisaient une belle allusion aux astres, auprès desquels je suis assis : Lefranc plane sur l’horizon : Le ciel en rit, l’enfer en pleure. L’Empyrée était le beau nom Que lui donna l’ami Piron ; Et c’est à présent sa demeure. Dès que j’arrivai à Limoges, je rencontrai le petit-fils de M. de Pourceaugnac ; il était instruit de ma fête ; il me dit qu’elle ressemblait parfaitement au repas bien troussé que M. son grand-père avait donné. Nous nous séparâmes à regret l’un de l’autre. Quand j’arrivai à Orléans, je trouvai que la plupart des chanoines savaient déjà par cœur les endroits les plus remarquables de mon discours. Je me hâtai d’arriver à Fontainebleau, et j’allai le lendemain au lever du roi, accompagné de M. Fréron, que j’avais mandé exprès. Dès que le roi nous vit, il nous adressa gracieusement la parole à l’un et à l’autre. « Monsieur le marquis, me dit Sa Majesté, je sais que vous avez à Pompignan autant de réputation qu’en avait à Cahors votre grand-père le professeur. N’auriez-vous point sur vous ce beau sermon de votre façon qui a fait tant de bruit ? » J’en présentai alors des exemplaires au roi, à la reine, à M. le dauphin. Le roi se fit lire à haute voix, par son lecteur ordinaire, les endroits les plus remarquables. On voyait la joie répandue sur tous les visages ; tout le monde me regardait en rétrécissant les yeux, en retirant doucement vers les joues les deux coins de la bouche, et en mettant les mains sur les côtés, ce qui est le signe pathologique de la joie. « En vérité, dit M. le dauphin, nous n’avons en France que M. le marquis de Pompignan qui écrive de ce style. Allez-vous souvent à l’Académie ? me dit le roi. — Non, sire, lui répondis-je. — L’Académie va donc chez vous ? » reprit le roi (c’était précisément le même discours que Louis XIV avait tenu à Despréaux). Je répondis que l’Académie n’est composée que de libertins et de gens de mauvais goût, qui rendent rarement justice au mérite. « Et vous, dit le roi à M. Fréron, n’êtes-vous pas de l’Académie ? — Pas encore », répondit M. Fréron. Il eut alors l’honneur de présenter ses feuilles à la famille royale, et je restai à causer avec le roi, « Sire, lui dis-je, vous connaissez ma bibliothèque ? — Oh tant ! dit le roi, vous m’en avez tant parlé dans un de vos beaux mémoires… » Comme nous en étions là, le roi et moi, la reine s’approcha, et me demanda si je n’avais pas fait quelque nouveau psaume judaïque. J’eus l’honneur de lui réciter sur-le-champ le dernier que j’ai composé, dont voici la plus belle strophe : Quand les fiers Israélites, Des rochers de Beth-Phégor, Dans les plaines moabites, S’avancèrent vers Achor ; Galgala, saisi de crainte, Abandonna son enceinte, Fuyant vers Samaraïm ; Et dans leurs rocs se cachèrent Les peuples qui trébuchèrent De Béthel à Séboïm.
Ce ne fut qu’un cri autour de moi, et je fus reconduit avec des acclamations universelles, qui ressemblaient à celles de Nicole dans le Bourgeois gentilhomme.
Le temps et la gloire me pressent ; vous aurez le reste par la première poste.
(Œuvres complètes de Voltaire, Garnier, 1879, tome 24 (p. 461-463)).
O femme, tu naquis d’une famille impure, D’infidèles parents qui trahissaient mes lois. L’art d’une habile main n’aida point la nature, Lorsque tu vis le jour pour la première fois.
Ni les eaux, ni le sel ne t’ont purifiée ; Ta mère avec regret te porta dans son flanc ; On te mit sur la terre, où tu fus oubliée ; J’approchai : tu pleurais, tu nageais dans ton sang.
J’en arrêtai le cours ; je l’essuyai moi-même ; Mon cœur fut attendri de ta misère extrême, Et je te dis : Vivez, vivez, trop faible enfant ; Sous l’aile du Seigneur dont le bras vous défend, Croissez et méritez qu’un tendre époux vous aime.
J’ai depuis ce moment veillé sur tes destins. Objet de mes désirs, sous mes yeux élevée, Mes regards paternels, mes soins t’ont cultivée Comme une jeune fleur qui croît dans les jardins.
Ton corps, fortifié par les progrès de l’âge, Atteignit ces beaux jours où ton sexe volage De ses charmes naissants connaît trop le pouvoir. Que les tiens étaient doux ! que j’aimais à les voir !
Nul mortel cependant ne cherchait à te plaire. Rebut de l’univers, tu ne trouvas que moi Qui vis avec pitié ta douleur solitaire. Ton maître, ton seigneur se déclara pour toi : Tu reçus mes serments, et j’acceptai ta foi.
Oh ! qu’alors avec complaisance Je te prodiguai mes bienfaits ! Qu’avec pompe et magnificence Je pris soin d’orner tes attraits ! J’instruisis ta faible jeunesse ; Des gages purs de ma tendresse Je t’embellissais chaque jour ; Je te donnai mon héritage, Et tu possédas sans partage Mes richesses et mon amour.
L’éclat célèbre de tes charmes Amena la terre à tes pieds. À ton char, vaincus par tes armes, De puissants rois furent liés. Tu mis alors ta confiance Dans les appas et la puissance Que tu devais à ma bonté. Tu conçus une folle joie, Et l’orgueil dont tu fus la proie Surpassa même ta beauté.
Cet orgueil engendra tes vices, Il alluma tes passions, Tu recherchas dans tes caprices Les esclaves des nations. Dans tes honteuses perfidies, Sur les femmes les plus hardies Tu l’emportas par ta noirceur ; Et les excès les plus coupables De tes amours abominables N’égaleront jamais l’horreur.
Tu dressas de superbes tentes Dans les bois et sur les hauts lieux. Là par des fêtes éclatantes Tu rendis hommage aux faux dieux. Leurs autels, que tes mains ornèrent, De mon or qu’elles profanèrent Impunément furent couverts. Pour leur consacrer des prémices, Tu dépouillais mes sacrifices Des tributs qui m’étaient offerts.
Mais d’offrandes plus criminelles Ces premiers dons furent suivis. Tes mains, oui, tes mains maternelles Ont immolé tes propres fils. Sans toi, sans pitié, sans tendresse, De Baal sanglante prêtresse, Tu déshonorais nos liens. O coups réservés à tes crimes ! Ces enfants choisis pour victime, Barbare, étaient aussi les miens.
Ma sévérité toujours lente N’a point éveillé tes remords. Tu quittes, transfuge insolente, Le Dieu vivant pour des dieux morts. Quoi donc ! oublieras-tu, perfide, Femme ingrate, mère homicide, Que je t’arrachai du tombeau, Et te sauvai par ma puissance Des opprobres de mon enfance, Et des douleurs de ton berceau ?
Malheur à toi, qui faisais gloire De ces attentats furieux, Dont tu conserves la mémoire, Dans des monuments odieux, Sur les marbres des portiques De tes iniquités publiques J’ai vu les symboles impurs : Et les nations étrangères Ont lu dans ces vils caractères Ta honte écrite sur tes murs.
Mais le jour luit où ma vengeance Ne suspendra plus son transport. Je t’abandonne à l’indigence, À l’ignominie, à la mort. Je susciterait, pour ta peine, Ces femmes, objets de ta haine, Les épouses des Philistins, Qui moins que toi licencieuses, De tes amours audacieuses Rougissaient avec tes voisins.
Dans l’art de plaire et de séduire, Tu vantais tes lâches succès. Ton cœur, que je n’ai pu réduire, Inventait de nouveaux excès. Tu rassemblais les Ammonites, Les Chaldéens, les Moabites, Les voluptueux Syriens ; Et toujours plus insatiable, Tu fis un commerce effroyable De tes plaisirs et de tes biens.
D’autres reçoivent des largesses Pour prix de leurs égarements, Mais toi, tu livras tes richesses Pour récompenser les amants. Tu laissais aux femmes vulgaires L’honneur d’obtenir des salaires Qui d’opprobre couvraient leur front. Pour mieux surpasser tes rivales, Tes tendresses plus libérales Achetaient le crime et l’affront.
Voici donc ton arrêt, femme parjure, écoute : Pour suivre des méchants la détestable route, Tu quittas les sentiers que j’avais faits pour toi, Ton audace adultère et ton idolâtrie Ont souillé mon autel, corrompu ta patrie, Égorgé tes enfants et renversé ma loi.
Tu vécus sans remords dans tes mœurs dépravées ; Mes rigueurs, que ton âme a si longtemps bravées, À tes forfaits sans nombre égaleront tes maux, Pour épuiser sur toi les plus cruels supplices, Tes propres alliés, tes amants, tes complices, Deviendront mes vengeurs et seront tes bourreaux.
Les peuples apprendront cet exemple sévère. Alors j’apaiserai ma trop juste colère, Ta mort rendra le calme au cœur de ton époux. Il aura satisfait sa vengeance et sa gloire, Et tes crime éteints, ainsi que ta mémoire, Ne seront plus l’objet de ses regards jaloux.
Tu n’as point démenti l’horreur de ta naissance ; Tes vices ont paru dès ta plus tendre enfance ; La fille suit les pas que la mère a tracés. Tu fus sœurs de tes sœurs, impudiques comme elles ; Et des femmes d’Ammon, au vrai Dieu tant rebelles, Leurs crimes par les tien ont été surpassés.
Ton sang a réuni les plus indignes races, Pères, mères, aïeux, qui bravaient mes menaces, Et dont tu vois encor les durables malheurs, Contre toi jusqu’au ciel leur voix s’élève et crie ; Pour tout dire, en un mot, Sodome et Samarie, Trouvent dans tes forfaits une excuse des leurs.
De Sodome si détestée Tu n’osais proférer le nom. Sais-tu quels fléaux l’ont jetée Dans ce déplorable abandon ? De l’orgueil l’insultante ivresse, L’intempérance, la mollesse, Le luxe et la cupidité, Le dur mépris qu’à l’indulgence Oppose l’altière opulence Qu’accompagne l’oisiveté.
Triste esclave des mêmes vices, Tu connais d’autres attentats, Des cruautés, des injustices Que Sodome ne connut pas. Et toutefois je l’ai détruite ; Comme elle tu seras réduite Aux dernières calamités. C’est toi qui m’outrages, me blesses ; Tu n’as pas gardé tes promesses, Et j’ai rompu tous nos traités.
Mais que dis-je ! Un sentiment tendre Me parle encor en ta faveur. Ah ! que ne dois-tu pas attendre De la pitié d’un Dieu sauveur ! Dans leurs demeures fortunées Tes sœurs, tes filles ramenées Couleront des jours triomphants. Je te rendrai ma confiance, Et dans ma nouvelle alliance, Vous serez toutes mes enfants.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
L’autre jour sans inquiétude Respirant la fraîcheur de l’air, J’errais dans une solitude Sur le rivage de la mer.
J’aperçus de loin des statues, De vieux débris d’arcs triomphaux, Et des colonnes abattues ; J’approchai : je vis des tombeaux.
C’était d’abord le mausolée D’un de ces conquérants vantés, Par qui la terre désolée Vit détruire champs et cités.
On y voyait trente batailles, Des rois, des peuples mis aux fers, Des triomphes, des funérailles, Et les tribus de l’univers.
Au pied de deux cyprès antiques, Un monument plus gracieux, Par ses ornements symboliques, Attirait l’œil du curieux.
C’était la tombe d’un poète Admiré dans le monde entier. Le luth, la lyre et la trompette Pendaient aux branches d’un laurier.
Tout auprès en humble posture Un pécheur était enterré ; Un filet pour toute parure Couvrait son cercueil délabré.
Ah ! dis-je, quel art déplorable ! Cet objet aux passants offert Leur apprend que ce misérable A moins vécu qu’il n’a souffert.
Et pourquoi ? reprit en colère Un voyageur qui m’entendit. La pêche avait l’art de lui plaire : C’était son métier, il le fit.
Tu vois par là ce que nous sommes ; Le poète fait des chansons, Le guerrier massacre des hommes, Et le pêcheur prend des poissons.
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
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« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
Grâce, grâce, suspends l’arrêt de tes vengeances, Et détourne un moment tes regards irrités. J’ai péché, mais je pleure : oppose mes offenses, Oppose à leur grandeur celle de tes bontés.
Je sais tous mes forfaits, j’en connais l’étendue : En tous lieux, à toute heure ils parlent comme moi ; Par tant d’accusateurs mon âme confondue Ne prétend pas contre eux disputer devant toi.
Tu m’avais par la main conduit dès ma naissance ; Sur ma faiblesse en vain je voudrais m’excuser : Tu m’avais fait, Seigneur, goûter ta connaissance Mais, hélas ! de tes dons je n’ai fait qu’abuser.
De tant d’iniquités la foule m’environne ; Fils ingrat, cœur perfide, en proie à mes remords, La terreur me saisit ; je frémis, je frissonne ; Pâle et les yeux éteints, je descends chez les morts.
Ma voix sort du tombeau ; c’est du fond de l’abîme Que j’élève vers toi mes douloureux accents : Fais monter jusqu’aux pieds de ton trône sublime Cette mourante voix et ces cris languissants.
O mon Dieu… Quoi ! ce nom, je le prononce encore ? Non, non, je t’ai perdu, j’ai cessé de t’aimer, O juge qu’en tremblant je supplie et j’adore ! Grand Dieu, d’un nom plus doux j’ose le nommer.
Dans le gémissement, l’amertume et les larmes, Je repasse des jours perdus dans les plaisirs ; Et voilà tout le fruit de ces jours pleins de charmes : Un souvenir affreux, la honte et les soupirs.
Ces soupirs devant toi sont ma seule défense : Par eux un criminel espère t’attendrir ; N’as-tu pas en effet un trésor de clémence ? Dieu de miséricorde, il est temps de l’ouvrir.
Où fuir, où me cacher, tremblante créature, Si tu viens en courroux pour compter avec moi ? Que dis-je ? Être infini, ta grandeur me rassure, Trop heureux de n’avoir qu’à compter qu’avec toi !
Près d’une majesté si terrible et si sainte, Que suis-je ? Un vil roseau : voudrais tu le briser ? Hélas ! si du flambeau la clarté s’est éteinte, La mèche fume encore, voudrais tu l’écraser ?
Que l’homme soit pour l’homme un juge inexorable ; Où l’esclave aurait-il appris à pardonner ? C’est la gloire du maître : absoudre le coupable N’appartient qu’à celui qui peut le condamner.
Tu le peux ; mais souvent tu veux qu’il te désarme ; Il te fait violence ; il devient ton vainqueur. Le combat n’est pas long : il ne faut qu’une larme : Que de crimes efface une larme du cœur !
Jamais de toi, Grand Dieu, tu nous l’as dit toi-même, Un cœur humble et contrit ne sera méprisé. Voilà le mien : regarde, et reconnais qu’il t’aime ; Il est digne de toi : la douleur l’a brisé.
Si tu le ranimais de sa première flamme, Qu’il reprendrait bientôt sa joie et sa vigueur ! Mais non, fais plus pour moi : renouvelle mon âme, Et daigne dans mon sein créer un nouveau cœur.
De mes forfaits alors je te ferai justice, Et ma reconnaissance armera ma rigueur. Tu peux me confier le soin de mon supplice : Je serai contre moi mon juge et mon vengeur.
Le châtiment au crime est toujours nécessaire ; Ma grâce est à ce prix, il faut la mériter. Je te dois, je le sais, je te veux satisfaire : Donne moi seulement le temps de m’acquitter.
Ah ! plus heureux celui que tu frappes en père ! Il connaît ton amour par ta sévérité. Ici bas, quels que soient les coups de ta colère, L’enfant que tu punis n’est pas déshérité.
Coupe, brûle ce corps, prends pitié de mon âme ; Frappe, fais moi payer tout ce que je te dois. Arme toi, dans le temps, du fer et de la flamme, Mais dans l’éternité, Seigneur, épargne moi.
Quand j’aurais à tes lois obéi dès l’enfance, Criminel en naissant, je ne dois que pleurer. Pour retourner à toi la route est la souffrance : Loi triste, route affreuse… entrons sans murmurer.
De la main de ton fils je reçois le calice ; Mais je frémis, je sens ma main prête à trembler. De ce trouble honteux mon cœur est-il complice ? Suis-je criminel ? Voudrais je reculer ?
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
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« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
Captifs chez un peuple inhumain, Nous arrosions de pleurs les rives étrangères, Et le souvenir du Jourdain, À l’aspect de l’Euphrate, augmentait nos misères.
Aux arbres qui couvraient les eaux Nos lyres tristement demeuraient suspendues, Tandis que nos maîtres nouveaux Fatiguaient de leurs cris nos tribus éperdues.
Chantes, nous disaient ces tyrans, Les hymnes préparés pour vos fêtes publiques, Chantez, et que vos conquérants Admirent de Sion les sublimes cantiques.
Ah ! Dans ces climats odieux, Arbitre des humains, peut-on chanter ta gloire ! Peut-on, dans ces funestes lieux Des beaux jours de Sion célébrer la mémoire !
De nos aïeux sacré berceau, Sainte Jérusalem, si jamais je t’oublie, Si tu n’es jusqu’au tombeau L’objet de mes désirs, et l’espoir de ma vie :
Rebelle aux efforts de mes doigts, Que ma lyre se taise entre mes mains glacées ! Et que l’organe de ma voix Ne prête plus de son à mes tristes pensées !
Rappelle toi ce jour affreux, Seigneur, où d’Esaü la race criminelle Contre ses frères malheureux Animait du vainqueur la vengeance cruelle,
Egorgez ces peuples épars, Consommez, criaient ils, les vengeances divines ; Brûlez, abattez ces remparts, Et de leurs fondements dispersez les ruines.
Malheur à tes peuples pervers, Reine des nations, fille de Babylone ; La foudre gronde dans les airs, Le Seigneur n’est pas loin ; tremble, descends du trône.
Puissent tes palais embrasés Eclairer de tes rois les tristes funérailles ! Et que sur la pierre, écrasés, Tes enfants de leur sang arrosent les murailles !
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
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« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité. (Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)