Archives par mot-clé : tombeau

ODE à la mort de Jean-Baptiste Rousseau (1670-1741)- Lefranc de Pompignan

Jean-Jacques Lefranc de Pompignan
(1709 à Montauban – 1784 à Pompignan)


ODE À
LA MORT DE
Jean-Baptiste ROUSSEAU
(poète et dramaturge français)

Portrait de Jean-Baptiste Rousseau
par Nicolas de Largillière

 
Quand le premier chantre du monde
Expira sur les bords glacés,
Où l’Ebre effrayé dans son onde
Reçut ses membres dispersés,
Le Thrace errant sur les montagnes,
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs :
Les champs de l’air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent,
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée ;
Muses, dans ces moments de deuil,
Elevez le pompeux trophée
Que vous demande son cercueil :
Laissez par de nouveaux prodiges,
D’éclatants et dignes vestiges
D’un jour marqué par vos regrets.
Ainsi le tombeau de Virgile
Est couvert du laurier fertile
Qui par vos soins ne meurt jamais.

D’une brillante et triste vie
Rousseau quitte aujourd’hui les fers,
Et loin du ciel de sa patrie,
La mort termine ses revers.
D’où ses maux ont-ils pris leur source ?
Quelles épines dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas ?
Quels ennuis ! Quelle vie errante,
Et quelle foule renaissante
D’adversaires et de combats !

Vous, dont l’inimitié durable
L’accusa de ces chants affreux,
Qui méritaient, s’il fût coupable,
Un châtiment plus rigoureux ;
Dans le sanctuaire suprême,
Grâce à vos soins, par Thémis même
Son honneur est encore terni.
J’abandonne son innocence ;
Que veut de plus votre vengeance ?
Il fut malheureux et puni.

Jusques à quand, mortels farouches,
Vivrons-nous de haine et d’aigreur ?
Prêterons-nous toujours nos bouches
Au langage de la fureur ?
Implacable dans ma colère,
Je m’applaudis de la misère
De mon ennemi terrassé ;
Il se relève, je succombe,
Et moi-même à ses pieds je tombe
Frappé du trait que j’ai lancé.

Songeons que l’imposture habite
Parmi le peuple et chez les grands ;
Qu’il n’est dignité ni mérite
A l’abri de ses traits errants ;
Que la calomnie écoutée,
A la vertu persécutée
Porte souvent un coup mortel,
Et poursuit sans que rien l’étonne,
Le monarque sous la couronne,
Et le pontife sur l’autel.

Du sein des ombres éternelles
S’élevant au trône des dieux,
L’envie offusque de ses aîles
Tout éclat qui frappe ses yeux.
Quel ministre, quel capitaine,
Quel monarque vaincra sa haine,
Et les injustices du sort !
Le temps à peine les consomme ;
Et jamais le prix du grand homme
N’est bien connu qu’après sa mort.

Oui, la mort seule nous délivre
Des ennemis de nos vertus,
Et notre gloire ne peut vivre
Que lorsque nous ne vivons plus.
Le chantre d’Ulysse et d’Achille
Sans protecteur et sans asile,
Fut ignoré jusqu’au tombeau :
Il expire, le charme cesse,
Et tous les peuples de la Grèce
Entr’eux disputent son berceau.

Le Nil a vu sur ses rivages
De noirs habitants des déserts,
Insulter par leurs cris sauvages
L’astre éclatant de l’univers.
Crimes impuissants ! Fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d’insolentes clameurs,
Le dieu poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ses obscurs blasphémateurs.

Souveraine des chants lyriques,
Toi que Rousseau dans nos climats
Appela des jeux olympiques,
Qui semblaient seuls fixer tes pas ;
Par qui ta trompette éclatante
Secondant ta voix triomphante,
Formera-t-elle des concerts ?
Des héros, Muse magnanime,
Par quel organe assez sublime
Vas-tu parler à l’univers ?

Favoris, élèves dociles
De ce ministre d’Apollon,
Vous à qui ses conseils utiles
Ont ouvert le sacré vallon ;
Accourez, troupe désolée,
Déposez sur son mausolée
Votre lyre qu’il inspirait ;
La mort a frappé votre maître,
Et d’un souffle a fait disparaître
Le flambeau qui vous éclairait.

Et vous dont sa fière harmonie
Egala les superbes sons,
Qui reviviez dans ce génie
Formé par vos seules leçons ;
Mânes d’Alcé et de Pindare,
Que votre suffrage répare
La rigueur de son sort fatal.
Dans la nuit du séjour funèbre,
Consolez son ombre célèbre,
Et couronnez votre rival.

*****

JEAN-JACQUES LEFRANC DE POMPIGNAN
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.


« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)

Prophétie d’Ezéchiel (Chapitre XVI, v. 3) – JEAN-JACQUES LEFRANC DE POMPIGNAN

Jean-Jacques Lefranc de Pompignan
(1709 à Montauban – 1784 à Pompignan)

ŒUVRE DE LEFRANC DE POMPIGNAN

***

Chapitre XVI, v. 3

O femme, tu naquis d’une famille impure,
D’infidèles parents qui trahissaient mes lois.
L’art d’une habile main n’aida point la nature,
Lorsque tu vis le jour pour la première fois.

Ni les eaux, ni le sel ne t’ont purifiée ;
Ta mère avec regret te porta dans son flanc ;
On te mit sur la terre, où tu fus oubliée ;
J’approchai : tu pleurais, tu nageais dans ton sang.

J’en arrêtai le cours ; je l’essuyai moi-même ;
Mon cœur fut attendri de ta misère extrême,
Et je te dis : Vivez, vivez, trop faible enfant ;
Sous l’aile du Seigneur dont le bras vous défend,
Croissez et méritez qu’un tendre époux vous aime.

J’ai depuis ce moment veillé sur tes destins.
Objet de mes désirs, sous mes yeux élevée,
Mes regards paternels, mes soins t’ont cultivée
Comme une jeune fleur qui croît dans les jardins.

Ton corps, fortifié par les progrès de l’âge,
Atteignit ces beaux jours où ton sexe volage
De ses charmes naissants connaît trop le pouvoir.
Que les tiens étaient doux ! que j’aimais à les voir !

Nul mortel cependant ne cherchait à te plaire.
Rebut de l’univers, tu ne trouvas que moi
Qui vis avec pitié ta douleur solitaire.
Ton maître, ton seigneur se déclara pour toi :
Tu reçus mes serments, et j’acceptai ta foi.

Oh ! qu’alors avec complaisance
Je te prodiguai mes bienfaits !
Qu’avec pompe et magnificence
Je pris soin d’orner tes attraits !
J’instruisis ta faible jeunesse ;
Des gages purs de ma tendresse
Je t’embellissais chaque jour ;
Je te donnai mon héritage,
Et tu possédas sans partage
Mes richesses et mon amour.

L’éclat célèbre de tes charmes
Amena la terre à tes pieds.
À ton char, vaincus par tes armes,
De puissants rois furent liés.
Tu mis alors ta confiance
Dans les appas et la puissance
Que tu devais à ma bonté.
Tu conçus une folle joie,
Et l’orgueil dont tu fus la proie
Surpassa même ta beauté.

Cet orgueil engendra tes vices,
Il alluma tes passions,
Tu recherchas dans tes caprices
Les esclaves des nations.
Dans tes honteuses perfidies,
Sur les femmes les plus hardies
Tu l’emportas par ta noirceur ;
Et les excès les plus coupables
De tes amours abominables
N’égaleront jamais l’horreur.

Tu dressas de superbes tentes
Dans les bois et sur les hauts lieux.
Là par des fêtes éclatantes
Tu rendis hommage aux faux dieux.
Leurs autels, que tes mains ornèrent,
De mon or qu’elles profanèrent
Impunément furent couverts.
Pour leur consacrer des prémices,
Tu dépouillais mes sacrifices
Des tributs qui m’étaient offerts.

Mais d’offrandes plus criminelles
Ces premiers dons furent suivis.
Tes mains, oui, tes mains maternelles
Ont immolé tes propres fils.
Sans toi, sans pitié, sans tendresse,
De Baal sanglante prêtresse,
Tu déshonorais nos liens.
O coups réservés à tes crimes !
Ces enfants choisis pour victime,
Barbare, étaient aussi les miens.

Ma sévérité toujours lente
N’a point éveillé tes remords.
Tu quittes, transfuge insolente,
Le Dieu vivant pour des dieux morts.
Quoi donc ! oublieras-tu, perfide,
Femme ingrate, mère homicide,
Que je t’arrachai du tombeau,
Et te sauvai par ma puissance
Des opprobres de mon enfance,
Et des douleurs de ton berceau ?

Malheur à toi, qui faisais gloire
De ces attentats furieux,
Dont tu conserves la mémoire,
Dans des monuments odieux,
Sur les marbres des portiques
De tes iniquités publiques
J’ai vu les symboles impurs :
Et les nations étrangères
Ont lu dans ces vils caractères
Ta honte écrite sur tes murs.

Mais le jour luit où ma vengeance
Ne suspendra plus son transport.
Je t’abandonne à l’indigence,
À l’ignominie, à la mort.
Je susciterait, pour ta peine,
Ces femmes, objets de ta haine,
Les épouses des Philistins,
Qui moins que toi licencieuses,
De tes amours audacieuses
Rougissaient avec tes voisins.

Dans l’art de plaire et de séduire,
Tu vantais tes lâches succès.
Ton cœur, que je n’ai pu réduire,
Inventait de nouveaux excès.
Tu rassemblais les Ammonites,
Les Chaldéens, les Moabites,
Les voluptueux Syriens ;
Et toujours plus insatiable,
Tu fis un commerce effroyable
De tes plaisirs et de tes biens.

D’autres reçoivent des largesses
Pour prix de leurs égarements,
Mais toi, tu livras tes richesses
Pour récompenser les amants.
Tu laissais aux femmes vulgaires
L’honneur d’obtenir des salaires
Qui d’opprobre couvraient leur front.
Pour mieux surpasser tes rivales,
Tes tendresses plus libérales
Achetaient le crime et l’affront.

Voici donc ton arrêt, femme parjure, écoute :
Pour suivre des méchants la détestable route,
Tu quittas les sentiers que j’avais faits pour toi,
Ton audace adultère et ton idolâtrie
Ont souillé mon autel, corrompu ta patrie,
Égorgé tes enfants et renversé ma loi.

Tu vécus sans remords dans tes mœurs dépravées ;
Mes rigueurs, que ton âme a si longtemps bravées,
À tes forfaits sans nombre égaleront tes maux,
Pour épuiser sur toi les plus cruels supplices,
Tes propres alliés, tes amants, tes complices,
Deviendront mes vengeurs et seront tes bourreaux.

Les peuples apprendront cet exemple sévère.
Alors j’apaiserai ma trop juste colère,
Ta mort rendra le calme au cœur de ton époux.
Il aura satisfait sa vengeance et sa gloire,
Et tes crime éteints, ainsi que ta mémoire,
Ne seront plus l’objet de ses regards jaloux.

Tu n’as point démenti l’horreur de ta naissance ;
Tes vices ont paru dès ta plus tendre enfance ;
La fille suit les pas que la mère a tracés.
Tu fus sœurs de tes sœurs, impudiques comme elles ;
Et des femmes d’Ammon, au vrai Dieu tant rebelles,
Leurs crimes par les tien ont été surpassés.

Ton sang a réuni les plus indignes races,
Pères, mères, aïeux, qui bravaient mes menaces,
Et dont tu vois encor les durables malheurs,
Contre toi jusqu’au ciel leur voix s’élève et crie ;
Pour tout dire, en un mot, Sodome et Samarie,
Trouvent dans tes forfaits une excuse des leurs.

De Sodome si détestée
Tu n’osais proférer le nom.
Sais-tu quels fléaux l’ont jetée
Dans ce déplorable abandon ?
De l’orgueil l’insultante ivresse,
L’intempérance, la mollesse,
Le luxe et la cupidité,
Le dur mépris qu’à l’indulgence
Oppose l’altière opulence
Qu’accompagne l’oisiveté.

Triste esclave des mêmes vices,
Tu connais d’autres attentats,
Des cruautés, des injustices
Que Sodome ne connut pas.
Et toutefois je l’ai détruite ;
Comme elle tu seras réduite
Aux dernières calamités.
C’est toi qui m’outrages, me blesses ;
Tu n’as pas gardé tes promesses,
Et j’ai rompu tous nos traités.

Mais que dis-je ! Un sentiment tendre
Me parle encor en ta faveur.
Ah ! que ne dois-tu pas attendre
De la pitié d’un Dieu sauveur !
Dans leurs demeures fortunées
Tes sœurs, tes filles ramenées
Couleront des jours triomphants.
Je te rendrai ma confiance,
Et dans ma nouvelle alliance,
Vous serez toutes mes enfants.

(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)






PASCAL – Poème de JULES LEMAÎTRE

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.
LITTÉRATURE FRANÇAISE

 

JULES LEMAÎTRE

 né le  à Vennecy et mort le  à Tavers

 

_______________

 

LES POÈMES
DE
JULES LEMAÎTRE

 

RECUEIL 
LES MÉDAILLONS

PASCAL

Alphonse Lemerre, éditeur
 

________________

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Jules_Lemaître_-_Project_Gutenberg_eText_17662.jpg.
Jules Lemaître

*******************


Tu voyais sous tes pas un gouffre se creuser
Qu’élargissaient sans fin le doute et l’ironie. . .
Et, penché sur cette ombre, en ta longue insomnie,
Tu sentais un frisson mortel te traverser.

À l’abîme vorace, alors, sans balancer,
Tu jetas ton grand cœur brisé, ta chair punie,
Tu jetas ta raison, ta gloire et ton génie,
Et la douceur de vivre et l’orgueil de penser.

Ayant de tes débris comblé le précipice,
Ivre de ton sublime et sanglant sacrifice,
Tu plantas une croix sur ce vaste tombeau.

Mais, sous l’entassement des ruines vivantes,
L’abîme se rouvrait, et, prise d’épouvantes,
La croix du Rédempteur tremblait comme un roseau.


*******************

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.

SHAKESPEARE SONNET 3 Look in thy glass REGARDE TON MIROIR

WILLIAM SHAKESPEARE
THE SONNETS – LES SONNETS


WILLIAM SHAKESPEARE
[1564 – 1616]

Traduction JACKY LAVAUZELLE

**

SONNET 3

The Sonnets
Les Sonnets

1609 

**

La Femme au miroir
Titien
1515
Musée du Louvre

**

Look in thy glass, and tell the face thou viewest
Regarde ton miroir, et dis au visage que tu regardes
Now is the time that face should form another;
Qu’il est venu le temps où ce visage doit devenir autre ;…

**

SONNET 3
Look in thy glass
REGARDE TON MIROIR

WILLIAM SHAKESPEARE

Shakespeare
The Droeshout portrait
1623

**

SHAKESPEARE SONNET 3 Look in thy glass
REGARDE TON MIROIR

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE Poèmes de Rainer Maria Rilke

Rainer Maria Rilke
Tendres impôts à la France 

Tendres impôts à la France 

Ecrits en Français

signature 2


LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*








 

Tendres impôts à la France
de Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

Tendres impôts à la France Rainer Maria Rilke Artgitato Le Cirque ambulant 1940 Musée d'Art de São Paulo
Paul Klee
Le Cirque ambulant
vers 1940
Musée d’Art de São Paulo

*

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE

LE DORMEUR

Laissez-moi dormir, encore…C’est la trêve
pendant de longs combats promise au dormeur;
je guette dans mon coeur la lune qui se lève,
bientôt il ne fera plus si sombre dans mon coeur.

Ô mort provisoire, douceur qui nous achève,
mesure de mes cimes, très juste profondeur,
limbes de tout mon sang, et innocence des sèves,
dans toi, à sa racine, ma peur même n’est pas peur.

Mon doux seigneur Sommeil, ne faites pas que je rêve,
et mêlez en moi mes ris avec mes pleurs ;
laissez-moi diffus, pour que l’interne Ève
ne sorte de mon flanc en son hostile ardeur.

*

PEGASE

Cheval ardent et blanc, fier et clair Pégase,
après ta course -, ah! que ton arrête est beau!
Sous toi, cabré soudain, le sol que tu écrases
avale l’étincelle et donne de l’eau !

La source qui jaillit sous ton sabot dompteur,
à nous, qui l’attendons, est d’un secours suprême ;
sens-tu que sa douceur impose à toi-même ?
Car ton cou vigoureux apprend la courbe des fleurs.

*

DEVENIR DIEU

Qu’est-ce que les Rois Mages
ont-ils pu apporter ?
Un petit oiseau dans sa cage,
une énorme Clef

de leur lointain royaume, –
et le troisième du baume
que sa mère avait préparé
d’une étrange lavande

de chez eux.
Faut pas médire de si peu,
puisque ça a suffi à l’enfant
pour devenir Dieu.

*

A UNE AMIE

Combien coeur de Marie est exposé,
non seulement au soleil et à la rosée:
tous les sept glaives l’ont trouvé.
Combien coeur de Marie est exposé.

Ton coeur pourtant me semble plus à l’abri,
malgré le malheur qui en a tant envie,
il est moins exposé que le cœur de Marie.

Le corps de Marie ne fut point une chose;
ta poitrine sur ton cœur est beaucoup plus close,
et même si ta douleur veut qu’il s’expose :
il n’est jamais plus exposé qu’une rose.

*

L’INDIFFERENT

(Watteau)

Ô naître ardent et triste,
mais, à la vie assiste,
tendre et bien habillé,

à la multiple surprise
qui ne vous engage point,
et, bien mis, à la bien mise
sourire de très loin.

*

PRIERE DE LA TROP PEU INDIFFERENTE

Prière de la trop peu indifférente
Aidez les coeurs, si soumis et si tendres, –
tout cela blesse !
Qui saurait bien la tendresse défendre
de la tendresse.

Pourtant la lune, clémente déesse,
ne blesse aucune.
Ah, de nos pleurs où elle tombe sans cesse,
sauvez la lune !

*

L’ANGE A TA TABLE

Reste tranquille, si soudain
l’Ange à ta table se décide;
efface doucement les quelques rides
que fait la nappe sous ton pain.

Tu offriras ta rude nourriture
pour qu’il en goûte à son tour,
et qu’il soulève à sa lèvre pure
un simple verre de tous les jours.

Ingénuement, en ouvrier céleste,
il prête à tout une calme attention ;
il mange bien en imitant ton geste,
pour bien bátir à ta maison.

*

LES CORDES MELODIEUSES

Il faut croire que tout est bien, si tant
de calme suit à tant d’inquiétude ;
la vie, à nous, se passe en prélude,
mais parfois le chant qui nous surprend
nous appartient, comme à son instrument.

Main inconnue …. Au moins est-elle heureuse,
lorsqu’elle parvient à rendre mélodieuses
nos cordes? – Ou l’a-t-on forcée
de mêler même aux sons de la berceuse
tous les adieux inavoués ?

*

FAIRE CHANTER LES ANGES

Ce soir mon cœur fait chanter
des anges qui se souviennent…
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,

monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s’unir ?

*

LAMPE DU SOIR

Lampe du soir, ma calme confidente,
mon coeur n’est point par toi dévoilé ;
on s’y perdrait peut-être; mais sa pente
du côté sud est doucement éclairée.

C’est encore toi, ô lampe d’étudiant,
qui veut que le liseur de temps en temps
s’arrête étonné et se dérange
sur son bouquin, te regardant.

(Et ta simplicité supprime un Ange.)

*

LES INVISIBLES PERSEVERANCES

Parfois les amants ou ceux qui écrivent
trouvent des mots qui, bien qu’ils s’effacent,
laissent dans un cœur une place heureuse
à jamais pensive…

Car il en naît sous tout ce qui passe
d’invisibles persévérances ;
sans qu’ils creusent aucune trace
quelques-uns restent des pas de la danse.

*

LE RUBAN FLOTTANT

L’aurai-je exprimé, avant de m’en aller,
ce coeur qui, tourmenté, consent à être ?
Étonnement sans fin, qui fus mon maître,
jusqu’à la fin t’aurai-je imité ?

Mais tout surpasse comme un jour d’été
le tendre geste qui trop tard admire ;
dans nos paroles écloses, qui respire
le pur parfum d’identité ?

Et cette belle qui s’en va, comment
la ferait-on passer par une image ?
Son doux ruban flottant vit davantage
que cette ligne qui s’éprend.

*

TOMBEAU

(dans un parc)

Dors au fond de l’allée,
tendre enfant, sous la dalle ;
on fera le chant de l’été
autour de ton intervalle.

Si une blanche colombe
passait au vol là-haut,
je n’offrirais à ton tombeau
que son ombre qui tombe.

*

L’UNIQUE UNIVERSEL

De quelle attente, de quel
regret sommes-nous les victimes,
nous qui cherchons des rimes
à l’unique universel ?

Nous poursuivons notre tort
en obstinés que nous sommes ;
mais entre les torts des hommes
c’est un tort tout en or.

 

Tendres impôts à la France
de Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

THE MOUNTAIN TOMB Yeats Texte & Traduction Le Tombeau de la Montagne

 

William Butler Yeats
English literature
English poetry
Littérature Anglaise – Poésie Anglaise
 

YEATS
1865-1939
Responsibilities [1914]
The Mountain Tomb
Le Tombeau de la Montagne


The Mountain Tomb Yeats Traduction Artgitato & Texte anglais Le Tombeau de la Montagne

 

————————–

 

Pour wine and dance if Manhood still have pride,
Versez le vin et dansez si en l’Homme il reste encore de la fierté,
Bring roses if the rose be yet in bloom;
Apportez des roses si les roses sont encore en fleurs ;
The cataract smokes upon the mountain side,
La cataracte fume sur le flanc de la montagne,
  Our Father Rosicross is in his tomb.
Notre Père Rosicross est dans sa tombe.

Pull down the blinds, bring fiddle and clarionet
Déroulez les stores, apportez violon et clarinette,
That there be no foot silent in the room
Qu’il n’y ait pas un seul pied immobile dans la salle.
 Nor mouth from kissing, nor from wine unwet;
Pas de bouches sans baisers ni sans vin ;
Our Father Rosicross is in his tomb.
Notre Père Rosicross est dans sa tombe.

 In vain, in vain; the cataract still cries
En vain, en vain; la cataracte pleure encore
The everlasting taper lights the gloom;
Le cierge éternel éclaire l’obscurité;
All wisdom shut into his onyx eyes
Toute la sagesse enfermée dans ses yeux d’onyx,
 Our Father Rosicross sleeps in his tomb.
 Notre Père Rosicross dort dans sa tombe.

*****************
Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
****************