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VITTORIO MONTI – VICTOR MONTI – LES BUSTES DE LA VILLA BORGHESE – i busti della Villa Borghese

ROME – ROMA
LA VILLA BORGHESE

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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Les Bustes de la Villa Borghèse
I busti della villa Borghese

VICTOR MONTI
Vittorio Monti
Naples 1868-1922 Naples
Arrive à Paris en 1886 joue avec Camillo Sivori
Vers 1900 il devient le chef d’orchestre de l’Orchestre Lamoureux (Paris) – écriture de ballets et d’opérettes.
Orchestre Lamoureux – Fondation en 1881 par Charles Lamoureux

Vittorio Monti Villa Borghese artgitato

Chef d’orchestre – Musicien

Composition la plus connue est la Czardas – csardas
Sua composizione più famosa è la csardas
Ecrite par Victor Monti en 1904
Scritta nel 1904
Pour Violon et Orchestre
per Violino e Orchestra

 

Czardas, pour violon et orchestre
(1904)

« Mais jamais certes la qualité exceptionnelle, souventefois la perfection de ce qu’il nous avait accoutumé d’écouter, n’apparut aussi évidente que depuis qu’il n’est plus là. Privé de lui, l’orchestre Lamoureux ressemble à un esquif sans pilote, flottant au petit bonheur des marées, ballotté au caprice de houles éventuelles et ne retrouvant guère son équilibre qu’au hasard de tangages et de roulis contradictoires. On aperçoit quel danger peut s’ensuivre, pour un remarquable ensemble même, à changer constamment de chef. Ce caméléonisme spécial n’a malheureusement pas entraîné un adéquat imprévu des programmes, et s’attesta plutôt au détriment des « quatre heures de musique française inédite » imposées. Une grippe malencontreuse m’empêcha d’assister à la séance où un kapellmeister étranger, dont le nom m’échappe, fit ouïr, avec les Variations de M. Max Reger, la Symphonie en Do majeur de Schubert.  »
JEAN MARNOLD
LA SYMPHONIE EN DO DE FRANCOIS SCHUBERT
MERCURE DE FRANCE ANNEE 19
1908
Tome 72

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« Le meilleur interprète de Lohengrin à l’Opéra, c’est l’orchestre. M. Lamoureux lui donne la précision, la clarté, la souplesse et, dans l’accompagnement des voix, une exquise et constante douceur. Il ne saurait lui donner, parce qu’il ne les possède pas lui-même, la poésie, la grâce, le sourire et la flamme. Quant à la puissance, elle manque là où nous l’attendions le plus, notamment à l’arrivée du cygne. Peut-être est-ce la faute de cette salle maudite. Quelques mouvemens aussi nous ont paru trop lents. »
CAMILLE BELLAIGUE
REVUE MUSICALE
31 octobre 1891
REVUE DES DEUX MONDES
Tome 108 – 1891

ENRICO TOTI – VILLA BORGHESE – MONUMENTO A ENRICO TOTI

ROME – ROMA
LA VILLA BORGHESE

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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MONUMENTO A ENRICO TOTI
1922

(1882-1916)

Monumento realizzato da Arturo Dazzi (1922)
Monument réalisé en 1922 par Arturo Dazzi
ARTURO DAZZI
scultore e pittore
sculpteur & peintre
(1881-1966)

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Enrico Toti
Eroi d’Italia

Héros d’Italie

Romain, homme du peuple
un Romano – uomo del popolo
Il symbolise l’abnégation et le patriotisme
Simbolo del patriottismo

Amputé de la jambe gauche (accident du travail)
Amputata la gamba sinistra (incidente sul lavoro)

Avant la Grande Guerre, fait un Tour d’Europe avec sa seule jambe valide.
Giro d’Europa in bicicletta (con una gamba sola)

Se fait mobiliser à la Guerre grâce à de faux papiers
(fece carte false )

«Gli eroi muoiono tutti, e per una causa provvidenziale questi eroi non soffrono»
« Les héros meurent tous, et pour une cause providentielle quels héros ne souffrent pas. »

 

Enrico Toti in trincea nel 1916 dans les tranchées Villa Borghese 1916

Prima puntata de « I GRANDI ITALIANI di RADIO ARTOM », programma ideato e condotto da Manfredi Beninati e Vincenzo Profeta che quì parlano di Enrico Toti, l’eroe della Grande Guerra con una sola gamba.
Premier épisode de programme « LES GRANDS ITALIENS » créé et dirigé par Manfredi Beninati et Vincenzo Prophète qui parle ici de Enrico Toti, le héros de la Grande Guerre avec une jambe.

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« Bella non piangere » – 1954
Film

un film di Davide Carbonari girato nel 1954 ed ispirato alla vicenda di Enrico Toti, uno degli eroi della prima guerra mondiale
Un film de David Carbonari (1954) inspiré de la vie d’Enrico TOTI

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 Villa Borghese EnricoToti artgitato 1 Villa Borghese EnricoToti artgitato 2 Villa Borghese EnricoToti artgitato 3 Villa Borghese EnricoToti artgitato 4 Villa Borghese EnricoToti artgitato 5 Villa Borghese EnricoToti artgitato 6 Villa Borghese EnricoToti artgitato 7

 

La morte di Enrico Toti nella copertina della Domenica del Corriere Villa Borghese artgitato

L’INSTANT Poème Hongrois d’Attila Jozsef PERC

Hongrie- Magyarországon
Szöveggyûjtemény
A magyar irodalom
Attila Jozsef

Traduction – Texte Bilingue
Fordítás –  Kétnyelvű szöveget

Traduction Jacky Lavauzelle


LITTERATURE HONGROISE
POESIE HONGROISE

A Magyar Irodalom
Magyar Költészet

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Attila József
1905-1937

Magyar Költő
Poète Hongrois

L’Instant

Perc

1922

Dalol a madársereg,
Elle chante, cette compagnie d‘oiseau,
Hogy az erdő zeng belé,
Qui résonne dans la forêt,
Maszatos parasztgyerek
L’enfant paysan maculé
Inal a folyó felé.
Court vers la rivière.

*

A Nap is süt melegen,
Le soleil brille chaudement,
Tüzesíti a leget,
L’air s’embrase,
Nem is látni az égen,
Dans le ciel ne se voit
Pici keskeny felleget.
Aucun nuage en mouvement.

*

A parasztgyerek hevül,
L’enfant paysan se chauffe,
A folyóparton ledül,
Au bord de la rivière,
Homokon gurul tovább,
Puis dans le sable passe,

*

Kavicsot fog, jó lapost,
Un gravier bien plat
A folyóba dobja most
Dans la rivière maintenant le jette
S fütyörészve áll odább.
Puis siffle un peu plus loin.

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Traduction Jacky Lavauzelle
Artgitato
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Hongrie- Magyarországon
A magyar irodalom
Attila Jozsef
1905-1937

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Le Brave soldat Chvéïk Chapitre I Traduction Française Jaroslav Hašek Dobrý voják Švejk

LITTERATURE TCHEQUE
Česká literatura

Jaroslav Hašek
1883-1923

Dobrý voják Švejk
Le Brave Soldat Chvéïk
1921-1923

Jaroslav Hašek Dobrý voják Švejk Le Brave Soldat Chvéïk Chapitre 1Traduction Artgitato

Osudy dobrého vojáka
Švejka za světové války
Jaroslava Haška

 

1. kapitola
Chapitre 1
Zasáhnutí dobrého vojáka ŠŠvejka do světové války
Intervention du Brave Soldat Chvéïk dans la Grande Guerre

„ »Tak nám zabili Ferdinanda, »“ řekla posluhovaèka panu ŠŠvejkovi, který opustiv před léty vojenskou služžbu, kdyžž byl definitivně prohlᚹen vojenskou lékařskou komisí za blba, žživil se prodejem psů, oššklivých nečistokrevných oblud, kterým padělal rodokmeny.
« Ils ont tué notre Ferdinand ! »  déclara  la logeuse de Chvéïk, qui, il y a des années, avait arrêté son service militaire, après avoir été
déclaré profondément demeuré par la commission médicale, et qui, désormais, gagnait sa vie en vendant des chiens,  bâtards monstrueux, dont il en sortait des pedigrees.

 Kromě tohoto zaměstnání byl stižžen revmatismem a mazal si právě kolena opodeldokem.
En dehors de cette occupation, il soignait aussi les rhumatismes et, justement, à ce moment-là, il massait les genoux avec du baume d’opodeldoch [à base de savon, d’ammoniaque, de camphre et d’alcool].

„Kterýho Ferdinanda, paní Müllerová?“ otázal se ŠŠvejk,nepřestávaje si masírovat kolena, « „já znám dva Ferdinandy.
« Quels Ferdinand, Mme Müller ? » demanda  Chveïk, en massant ses genoux, « J’en connais deux Ferdinand ! »
Jednoho, ten je sluhou u drogisty Průšši a vypil mu tam jednou omylem láhev nějakého mazání na vlasy, a potom znám ješště Ferdinanda Kokoššku, co sbírá ty psí hovínka.  »
L’un est le commis du droguiste Prousha chimiste, c’est celui qui a bu par erreur une lotion capillaire. Et puis il y a l’autre, le Ferdinand Kokoska, celui qui enlève les crottes de chien.
Vobou není žžádná šškoda.“
Si c’est l’un de ces deux gars-là, il n’y a pas grand dommage ! »

« Ale, milostpane, pana arcivévodu Ferdinanda, toho z Konopišště, toho tlustýho, nábožžnýho. »
« Oh non, monsieur ! C’est Ferdinand, l’archiduc , celui du château de Konopiště [à Benešov, à quelques kilomètres au sud-est de Prague] Vous voyez bien ! »

« „Ježžíššmarjá,“ vykřikl ŠŠvejk, „to je dobrý. A kde se mu to, panu arcivévodovi, stalo?“ »
« Jésus Marie ! » s’écria Chvéïk, « mais où est-ce donc arrivé à l’archiduc ?« 

 « Práskli ho v Sarajevu, milostpane, z revolveru, vědí. Jel tam s tou svou arcikněžnou v automobilu » 
«Ils l’ont assassiné à Sarajevo, monsieur, avec un revolver, vous voyez ! Il y était avec son archiduchesse en voiture »
« Tak se podívejme, paní Müllerová, v automobilu.  »
« 
Voyons, Mme Müller, dans une voiture ? »
Jó, takovej pán si to mùže dovolit, a ani si nepomyslí, jak taková jízda automobilem mùže nešt’astně skončit.
Ouais, un monsieur comme lui peut se le permettre, mais il n’a jamais imaginé qu’il pouvait finir ainsi.
A v Sarajevu k tomu, to je v Bosně, paní Müllerová.
Et à Sarajevo, par dessus le marché. C’est en Bosnie, Madame Müller !

To udìlali asi Turci.
C’est probablement un fait des Turcs.
My holt jsme jim tu Bosnu a Hercegovinu neměli brát.
Vous savez, nous avons pris la Bosnie et l’Herzégovine. Nous aurions dû  nous abstenir de les prendre.
Tak vida, paní Müllerová.

Vous voyez, madame Müller.
On je tedy pan arcivévoda už na pravdì boží.
 L’archiduc est donc déjà en route vers la vérité de Dieu.
Trápil se dlouho? »
A-t-il souffert longtemps ? « 

« Pan arcivévoda byl hned hotovej, milostpane.
«Monsieur l’archiduc est maintenant mort, monsieur.
To vědí, že s revolverem nejsou žádný hračky.

Vous voyez, les revolvers ne sont pas seulement des jouets.
Nedávno taky si hrál jeden pán u nás v Nuslích s revolverem a postřílel celou rodinu i domovníka, kterej se šel podívat, kdo to tam střílí ve třetím poschodí »
Récemment,  un monsieur jouait ici à Nusle avec un revolver et a liquidé toute la famille, avec le gardien, qui venait voir ce qui provoquait ce boucan au troisième étage « 

  « Někerej revolver, paní Müllerová, vám nedá ránu, kdybyste se zbláznili. 
J’ai vu des revolvers, Mme Müller, qui ne partent pas.
Takovejch systémù je moc.
Le système s’est enraillé.

Ale na pana arcivévodu si koupili jisté nìco lepšího, a taky bych se chtěl vsadit, paní Müllerová, že ten člověk, co mu to udělal, se na to pěkně voblík.
Mais pour Son Altesse Impériale il faut acheter certainement  quelque chose de mieux, et je pourrais parier, Mme Müller, que l’homme qui lui a fait ça, s’est habillé en conséquence.
To vědí, střílet pana arcivévodu, to je moc těžká práce.
Vous savez, tirez sur l’archiduc, c’est un travail très dur.
To není, jako když pytlák střílí hajnýho.

Ce n’est pas comme un braconnier qui tire sur un garde-chasse.
Tady jde vo to, jak se k němu dostat, na takovýho pána nesmíte jít v nìjakých hadrech.

La question est de savoir comment l’atteindre comme ça,  monsieur ne doit pas se promener comme n’importe qui.
To musíte jít v cylindru, aby vás nesebral dřív policajt. »   
Il faut se mettre le cylindre, sinon la police ne tarde pas à vous mettre le grappin dessus. »

« Vono prej jich bylo víc, milostpane » 
« Pensez ! monsieur ! Ils se sont mis à plusieurs. »

« To se samo sebou rozumí, paní Müllerová, » řekl Švejk, konče masírování kolen, « kdybyste chtěla zabít pana arcivévodu, nebo císaře pána, tak byste se jistě s někým poradila.
« C’est tout à fait raisonnable, Mme Müller« , dit Chvéïk, finissant de masser ses genoux,  » Si vous voulez tuer l’archiduc ou sa Majesté l’Empereur, vous auriez certainement besoin de conseils. »
Víc lidí má víc rozumu.
Plus on est nombreux plus on réfléchit.
Ten poradí to, ten vono, a pak se dílo podaří, jak je to v tej naší hymně.
Celui-ci vous conseille ceci, cet autre cela et ainsi l’ouvrage se fait comme le chante notre hymne national.
Hlavní věcí je vyčíhat na ten moment, až takovej pán jede kolem.
La principale chose dans cette affaire est de choisir le moment opportun.
Jako, jestli se pamatujou na toho pana Lucheniho, co probod naši nebožku Alžbětu tím pilníkem.
Voyez, vous vous rappelez de ce monsieur Luigi Lucheni l’assassin de notre impératrice Sissi.

***
TRADUCTION Jacky Lavauzelle
ARTGITATO

 

Le Brave Soldat Chvéïk – Avant-Propos -Traduction Française (Dobrý voják Švejk) de Jaroslav Hašek

LITTERATURE TCHEQUE
Česká literatura

Jaroslav Hašek
1883-1923

Dobrý voják Švejk
Le Brave Soldat Chvéïk
1921-1923

Osudy dobrého vojáka
Švejka za světové války
Jaroslava Haška

ÚVOD Jaroslav Hašek Le Brave Soldat Chvéïk Avant-Propos Traduction Artgitato

 

ÚVOD
AVANT-PROPOS

Veliká doba žžádá velké lidi.
Les grands moments exigent des gens formidables.
Jsou nepoznaní hrdinové, skromní,bez slávy a historie Napoleona.
Il y a ces inconnus, des héros sans prétention, sans la notoriété et l’histoire de Napoléon.
Rozbor jejich povahy zastínil by i slávu Alexandra Macedonského.
Pourtant, l’analyse de leur caractère pourrait occulter la gloire-même d’Alexandre.
Dnes můžžete potkat v pražžských ulicích oššumělého mužže, který sám ani neví, co vlastně znamená v historii nové velké doby. Aujourd’hui, vous pouvez rencontrer dans les rues de Prague un homme débraillé qui ne sait même pas lui-même ce qu’il signifie dans l’histoire de la grande époque nouvelle.
Jde skromné svou cestou, neobtěžuje nikoho, a není t龞 obt잾o ván žžurnalisty kteří by ho prosili o interview.
Il suit son chemin humblement, sans déranger personne, sans que ses œuvres ne soient mentionnées par les journalistes qui ne  lui demandent aucune interview.
Kdybyste se ho otázali, jak se jmenuje, odpověděl by vám prostince a skromně: „Já jsem ŠŠvejk . . .“
Si vous lui demandiez quel était son nom, il vous répondait avec simplicité enfantine et avec modestie  : « Je suis Chvéïk … »

A tento tichý skromný oššumělý mužž jest opravdu ten starý dobrý voják ŠŠvejk, hrdinný, statečný, který kdysi za Rakouska
byl v ústech vššech občanů Českého království a jehožž sláva
nezapadne ani v republice.
Et cet homme tranquille et sans prétention n’est en effet que le vieux brave soldat Chvéïk,  héroïque, courageux ; homme dont le nom, sous l’Autriche, était dans toutes les bouches des citoyens du royaume de Bohème et dont la célébrité ne se faiblira pas non plus dans notre nouvelle République.

Mám velice rád toho dobrého vojáka sŠvejka, a podávaje jeho osudy za světové války jsem přesvìdčen, žže vy vššichni budete
sympatizovat s tím skromným, nepoznaným hrdinou.
J’aime vraiment beaucoup ce bon soldat Chvéïk, et en vous contant son sort pendant la Grande Guerreje sais que toutes les sympathies seront avec ce modeste héros méconnu. 
On nezapálil chrám bohyně v Efesu, jako to udělal ten hlupák Hérostrates, aby se dostal do novin a šškolních čítanek.
Il n’a pas, lui, avec sa torche, mis le feu au Temple de la Déesse Artémis à Ephèse, comme l’a fait Erostrate, cet idiot, pour entrer dans les journaux et la postérité.

A to stačí.
Et cela suffit.

AUTOR
L’AUTEUR

1923

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Francouzský Překlad
TRADUCTION Française Jacky Lavauzelle
ARTGITATO

Soneto Já Antigo Fernando Pessoa Traduction Française Sonnet déjà ancien

LITTERATURE PORTUGAISE
Literatura Português
Poésie Portugaise- poesia português
FERNANDO PESSOA
1888-1935

Soneto Já Antigo Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française Sonnet déjà antique

Álvaro de Campos
(Heterónimo de Fernando Pessoa
Hétéronyme de Pessoa)

**

Soneto Já Antigo
Sonnet déjà ancien

1922

**
Olha, Daisy: quando eu morrer tu hás de 
Regarde, Daisy: quand je mourrai, tu
    dizer aos meus amigos aí de Londres, 
 diras à mes amis de Londres,
 embora não o sintas, que tu escondes 
    même si tu ne le sens pas, que tu caches…
https://www.amazon.fr/dp/B08HJ5HKPL/ref=sr_1_2?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=po%C3%A9sie+et+Prose+Fernando+Pessoa&qid=1599389453&sr=8-2

Eugène BRIEUX (L’Avocat 1922) PLAIDOYER POUR UN AMOUR CONDAMNE

EUGÈNE  BRIEUX 
(1858-1932)

L’Avocat
(1922 – Théâtre du Vaudeville)Eugene_Brieux 1901 Fig contemporaines alb Mariani

Plaidoyer pour un amour
condamné 
  

George Bernard Shaw  a dit d’Eugène Brieux, académicien depuis 1909,  qu’il était «incomparablement le plus grand écrivain que la France ait produit depuis Molière ». La deuxième pièce présentée par la célèbre Illustration en 1898, sera Le Berceau, une de ses pièces. L’auteur est alors classé comme un « dramaturge puissant », un auteur incontournable. Un auteur qui écrit contre et qui compte. Mais, depuis les années vingt, sa popularité s’est bien émoussée pour n’être plus, aujourd’hui, qu’une vieille relique littéraire des années folles.

TALIS VITA EST

La première de l’Avocat eu lieu 22 septembre 1922 au Théâtre du Vaudeville, qui n’existe plus aujourd’hui, après avoir connu de multiples adresses parisiennes. De sa dernière adresse, Boulevard des Capucines, il sera enfin transformé, cinq ans plus tard, en cinéma. Comme notre auteur, qui après avoir connu la gloire des critiques, du Tout-Paris et de l’Académie française, n’existe plus aujourd’hui. Il est désormais mort. Il n’existe plus. Dans les rééditions comme dans les mémoires. Pire, les informations données sont fantaisistes.  Il n’existe plus qu’une ligne sur Wikipédia : «Eugène Brieux mit en scène en comédie les petites gens, socialement défavorisées, de France ».  Une phrase avec deux erreurs. Brieux parle de son époque, des nobles, des bourgeois, autant que des ouvriers. La comédie n’est vraiment pas son mode théâtral préféré.  L’époque enterre vite ceux qu’elle a élevés très haut sur un piédestal, alors que, quelques années auparavant, il était de bon ton d’avoir vu la dernière de ses pièces. Les feux se sont éteints. Le rideau est tombé. La dernière séance a eu lieu il y a bien longtemps et plus aucun théâtre ne se risquerait à le représenter. Ainsi va la vie. talis vita est. Ne reste-t-il pas une lumière, une seule,  là-bas, au fond, qui brille encore un peu. Le voile qui vient de tomber est-il si lourd ? Que lui reproche-t-on, pour l’avoir ainsi enseveli ?

Eugène Brieux L'avocat 1922

DONNEZ-MOI DES DETAILS…

Ses pièces ont, toutes, une limpide efficacité et une évidente progression. Elles sont fortes, sans temps mort ou des à-côtés, aucune digression inutile. Le sujet avant tout. Rien ne sert de tourner autour du pot. Dans l’Avocat, après l’arrivée de Me Martigny, sa mère lui demande s’il a passé un bon voyage, il répond : « -Excellent…Eh bien ! en voilà une aventure ! Donnez-moi des détails. M Lemercier (Joué par Arvel)  n’a pas su très bien se faire comprendre au téléphone. – Tu as le dossier ? »  Nous sommes à la sixième réplique. Cette densité dure toute la pièce.

L’EMOTION NAÎT DE LA SEULE THÈSE

Densité, mais simplicité aussi. Aucun terme compliqué ou ésotérique. La pièce, en étant exigeante, se comprend dans une immédiateté..« On retrouve ces mêmes qualités de franchise et de simplicité d’indépendante honnêteté et de force parfois un peu rude qui constitue la savoureuse originalité de ce maître contemporain…Monsieur Brieux estime qu’un auteur insuffisamment compris ne doit s’en prendre qu’à lui-même d’une insuffisance de précision ou de clarté de son ouvrage. » (Gaston Sorbets, La Petite Illustration n°118 d’octobre 1922) Brieux refuse l’esbroufe, son style est clair et limpide ; « On y retrouve cette probité et ce sérieux de la pensée, ce fond de générosité de ceux de ses ouvrages dramatiques qui ont eu la plus longue carrière. La forme en est claire, l’expression des idées y est vigoureuse…L’émotion naît de la seule thèse présentée, du moins jusqu’à la dernière scène, où intervient un élément romanesque traité d’ailleurs sobrement.» (Paul Ginisty, Le Petit Parisien, dans La Petite Illustration)

 

Eugène Brieux Couverture de la Pte Illustration n°118

 

UNE EPOQUE EN ATTENTE D’IDEAL

Son œuvre, à part de la création classique, du théâtre de boulevard ou de la tragédie, a pris l’étiquette de pièces à thèse. C’est le terme, la thèse, qui revient toujours. Aujourd’hui, pour en critiquer le fond, à son époque pour en souligner une certaine aridité. Dans les années vingt, pourtant, l’époque était dans l’attente d’un moralisme, voire d’un idéal. Aujourd’hui, les travers, la perversion, les failles et les cassures sont plus dans l’air du temps.

LA FIDELITE A UN IDEAL

Regardons les débats sur ce théâtre à thèse de l’époque : « le théâtre de M. Brieux occupe une place très particulière dans notre histoire dramatique ; comme il ne s’apparente à aucun répertoire contemporain, on peut dire qu’il n’a pas bénéficié de la tradition ni de la mode. La place qu’il tient, il ne la doit qu’à lui-même ; et c’est le premier, le grand mérite d’une œuvre qui est celle d’un autodidacte. L’ensemble des pièces est d’une telle unité que l’auteur a pu commencer son « Théâtre complet » sachant où il allait par une route dont rien, pas même la faveur du public, n’a pu le faire dévier ; cette fidélité à un idéal est un des traits dominants d’une physionomie littéraire que l’on peut discuter mais qui impose le respect…Brieux a autant de partisans que de détracteurs, et ce n’est pas le fait d’un génie médiocre. Il n’a jamais connu un indifférent, et je ne crois pas qu’il y ait un répertoire plus renommé que le sien dans le monde entier. Enfin, Brieux partage avec de Curel, cette gloire fort rare chez un auteur dramatique, de n’avoir jamais parlé pour ne rien dire : au fallacieux ‘Théâtre d’Idées’ à la soi-disant ‘Pièce à thèse », il a opposé, si on peut dire, ‘le Théâtre de réalisation’. On l’a raillé, mais on l’a écouté tout de même et c’était tout ce que voulait ce grand gaillard normand, souriant, obstiné et sans rancune. » (Pierre Veber, Le Petit Journal, in La Petite illustration n°118)

UNE PIÈCE QUI VEUT DIRE QUELQUE CHOSE

La pièce a du contenu. Elle expose des points de vue. Les critiques reviennent très souvent sur ce constat. Ce n’est pas le cas des nombreuses pièces jouées à cette époque. « En un temps où tant de gens – surtout au théâtre – écrivent pour ne rien dire, il faut marquer d’une pierre blanche le jour où, sur le boulevard, on joue une pièce qui veut dire quelque chose. » (Charles Méré, Excelsior, in La Petite illustration n°118)

Eugène Brieux L'Avocat au Th du Vaudeville

COMME DANS HORACE…COMME DANS CINNA

Les contemporains de Brieux retrouvent une grandeur, une profondeur que l’on avait dans les grands tragédiens : « Il n’est pas jusqu’aux maximes sur le rôle de l’avocat, débitées par le président, qui ne soient dans le goût de la tragédie cornélienne ; cette scène finale, entre le président et l’avocat c’est une délibération, comme dans Horace, comme dans Cinna. M. Brieux n’est pas sans en avoir conscience et il a rappelé lui-même le ‘laissez faire aux dieux’… Que M Brieux…vienne tout naturellement à composer une pure tragédie classique, c’est de quoi faire réfléchir sur cette forte continuité qui est dans l’art français » (Henry Bidou, Le Journal des Débats)

Eugène Brieux a ce sentiment de finitude. Il a donné tout ce qu’il pouvait. Ces pièces essaient de faire le tour d’une question et d’une seule. Il le reconnait lui-même. Nous reprenons une grande partie de la préface à son Théâtre complet, intéressant sur le regard très critique qu’il porte sur son œuvre et ses capacités théâtrales, ainsi que sur l’évolution du théâtre dans l’histoire : « j’ai l’impression d’avoir donné à peu près tout ce que j’avais en moi, de m’être réalisé. La mort peut venir… J’ai donné ce que j’avais en moi. Sans doute, ce fut peu, mais j’ai l’excuse d’avoir donné tout, et si la mode en était encore aux épitaphes, j’accepterais volontiers celle-ci : « il a fait de son mieux »… J’ai donc passé ma vie à écrire ce qu’on appelle des pièces à thèse. J’ai toujours envisagé le théâtre non comme un but, mais comme un moyen. J’ai voulu par lui, non seulement provoquer des réflexions, modifier des habitudes et des actes… je sais que deux de mes pièces : Les Remplaçantes et Les Avariés, ont contribué à sauver des existences humaines, et à en rendre d’autres moins douloureuses…

J’ETAIS NE AVEC UNE ÂME D’APÔTRE

…J’étais né avec une âme d’apôtre…la vue de la souffrance des autres m’a toujours été insupportable… Et on l’a dit avec raison, je n’ai souvent fait qu’enfoncer les portes ouvertes. Ces portes ouvertes, beaucoup les croyaient fermées, et à ceux-là, j’ai montré qu’elles ne l’étaient pas, en y passant. Dans ce porte-voix, je n’ai crié rien de nouveau, je le sais bien. J’y ai répété, dans un langage que la masse de mes contemporains pouvaient mieux comprendre, des vérités que des philosophes et des savants avaient découvertes, eux, et renfermées dans des livres que les habitués du théâtre n’avaient pas la tentation d’ouvrir…

JE N’AI PAS SU ENROBER ASSEZ LA PILULE

… Voilà pourquoi j’ai été un auteur dramatique. Un auteur dramatique un peu agaçant, je le reconnais. Mais cela lorsque je n’ai pas su assez enrober la pilule pour qu’elle pût passer sans déceler son amertume…Je n’accepte pas sans réserve, d’ailleurs, et bien que je m’en serve, cette étiquette de pièce à thèse. Si l’on veut bien y réfléchir, il est peu de pièces qui ne soient des pièces à thèse. Toutes celles de Molière en sont, et aussi celles d’Augier…

QU’ALLONS-NOUS CHERCHER AU THEÂTRE ?

…Mon théâtre est surtout un essai de théâtre social. Sur les planches où d’ordinaire se trémoussent les jocrisses de l’amour, sur ces tréteaux où le vaudeville montre des déshabillages, des gambades et des folies, est-il possible que des questions graves soient exposées, agitées, sinon résolues ? En d’autres, l’auteur dramatique a-t-il le droit de s’occuper d’autres choses que de l’amour ? Alors que le livre s’attribue toutes les libertés de traiter tous les sujets, la scène est-elle condamnée par je ne sais quel despotisme à n’en traiter qu’un ? … Qu’allons-nous chercher au théâtre ? Nous allons nous y chercher nous-mêmes. Nous allons voir l’imitation de  la vie, de notre vie. L’art n’est qu’une sympathie.  C’est une sympathie dans le sens étymologique du mot. Nous voulons, avec d’autres êtres, sentir, souffrir, aimer, et nous allons au théâtre pour trouver, par ce moyen, l’exaltation de notre personnalité. La représentation des actes d’autrui évoque en nous, par la joie et la peine, une vie plus intense dans un plaisir d’orgueil…

QU’EST-ELLE NOTRE VIE ?

…Or, qu’est-elle, notre vie ? Elle est toute entière occupée par deux luttes, – l’une que nous livrons inconsciemment dans l’intérêt de la perpétuité de l’espèce – et son expression scénique constitue le théâtre d’amour ; l’autre dont le but est la conservation de l’individu – et son expression scénique constitue le théâtre social… A chaque temps sa fatalité et son théâtre. La première époque a été l’épouvantable domination des dieux, et la scène d’alors a été remplie par le spectacle de leurs vengeances et de leur férocité. Il a fallu ensuite passer la période de la domination des tyrans et des grands. Les planches de la scène n’ont alors fléchi que sous le poids des porte-couronnes et des porte-blasons…

ENTENDRE ENFIN DES CRIS DE DOULEUR NOUVEAUX

…Aujourd’hui la masse tyrannise la masse, les hommes se débattent dans la concurrence vitale, dans la lutte entre leurs appétits et leur puissance de production : et il ne faut pas s’étonner si les coulisses entendent enfin des cris de douleur nouveaux. Pour se conserver, l’individu doit s’adapter au milieu, subir certaines influences, se soumettre les autres. Nous n’avons plus à montrer la révolte des humains contre l’anankè païenne, mais nous pouvons évoquer sur la scène ses efforts pour combattre par exemple l’hérédité, cette forme moderne de la fatalité. Les Atrides sont à refaire. Nous gonflerons d’émotion les cœurs de nos contemporains en les rendant témoins de la lutte des hommes contre les tyrans d’aujourd’hui, contre le despotisme de l’argent, en leur montrant les combats livrés aux puissances néfastes issues du nouvel état de civilisation et  que la civilisation vaincra après les avoir créés. Nous vivons dans une effervescence que ne connut aucun des siècles passés. Le monde est  en état de continuelle et tumultueuse transformation. Les phénomènes sociaux s’accomplissent avec une rapidité jusqu’ici inconnue, dans une incessante et laborieuse ascension des êtres. Nous sommes maintenant impressionnés par des événements qui se produisent à l’autre bout de la terre, comme si les cordons blancs de nos nerfs s’étaient, eux aussi, indéfiniment allongés. .. Il peut y avoir à conter d’autres histoires que des histoires d’amour. » (Préface, Théâtre complet de Brieux, 1929, Paris librairie Stock, Delamain et Boutelleau)

Mlle Falconetti et Louis Gauthier La Pte Illust

FAIRE OEUVRE DE VULGARISATEUR

Les propos sur la rapidité des changements, l’effervescence, la mondialisation des problèmes et des événements ne sont pas si loin de nous. Bien au contraire. Il a une clairvoyance que de nombreux écrivains de théâtre n’ont peut-être jamais eue. Il se sent une obligation d’évoquer, de traiter et de raconter. Plus qu’un théâtre à thèse, Eugène Brieux pense un théâtre pédagogique. Le public qui vient au théâtre ne connait pas les œuvres des philosophes, il veut faire œuvre de vulgarisateur, sans vulgarité.

Nous sommes à moins de quatre ans de l’armistice du 11 novembre. Le monde vient de connaître une des pires déflagrations de tous les temps. La France a besoin de rires et de fonds.  Eugène Brieux est alors une bouée de sauvetage. Il contribue avec ses moyens à faire réfléchir et penser la France de l’époque aux problèmes et aux injustices de son temps.

TU N’AS JAMAIS PLAIDE SANS CONVICTION

Dans l’Avocat, il est question de probité, de règles, de droiture, de convictions. Les réflexions entre Me Martigny (Joué par Louis Gauthier lors de la première) et son grand-père, le Président Martigny (Armand Bour) occupent toute la pièce. Le cas de conscience est permanent. Mais ce sont, tous les deux, des incorruptibles. Le grand-père reste le plus lucide, puisqu’il n’est pas aveuglé par les feux de la passion. L’opinion ou les gens de justice, ceux de la basoche, sont du même avis : « – On te croira parce qu’on sait que tu n’as jamais plaidé sans conviction. Il est bon d’avoir été un honnête homme, et si parfois tes intérêts matériels en ont souffert, tu seras largement payé en jetant efficacement dans la balance le respect et la confiance attachés à ta parole.. Mentir ? Toi ! …Tu ne peux faire, honnêtement qu’une chose : montrer que l’accusation n’apporte pas de preuves. Rien de plus. Voilà ton devoir. ». » (Le Président Martigny – Acte II, sc. 4 & sc. 6)

 

L'Enfant Pièce d'Eugène Brieux 1923 La Pte Illustration n°165

IL N’Y A PAS DE COMPLAISANCES NI DE MARCHANDAGES POSSIBLES

Dans cette scène 6 du second acte, le Président Martigny déclame une longue tirade sur ces avocats indignes, prêts à défendre n’importe quelle cause, même la moins morale. « – Oui, chaque jour, il y a des avocats qui avilissent leur profession. Il est d’autant plus nécessaire qu’elle soit honorée par d’autres. Le public, écœuré, déçu, désemparé, ne trouvant parfois qu’un exploiteur alors qu’il attendait un conseil, étourdi par les éclats d’une éloquence dont le vide et la puérilité lui apparaissent bientôt, en arrive à dire avec dédain : «  C’est un avocat ! pour la même somme d’argent il plaidera avec une égale conviction le pour et le contre. » Ne laissons pas s’installer cette position qui n’est justifiée que par un petit nombre d’entre nous. Ne méritez pas l’insulte qu’on vous fait en vous appelant « marchand de paroles ». Votre contact quotidien avec la souffrance humaine vous crée des devoirs plus hauts. Elle vous grandit en vous implorant. Mon enfant, tu dois être de ceux-là dont l’Ordre est fier. Il n’y a pas de complaisances, ni de marchandages possibles, ni de subtilités défendables lorsqu’il s’agit du devoir professionnel. »   

Eugène Brieux La Pte illustration n°118

UNE AFFAIRE MALPROPRE

L’affaire que l’on doit plaider est-elle moralement acceptable ? L’affaire correspond-elle à notre éthique, nos principes ?  « –L’excuse est toute trouvée. D’ailleurs, je n’aurais pas plaidé. L’affaire est malpropre…Je me fais de notre profession une idée plus haute, voilà tout. Il y a des plaidoiries qui en arrivent à frôler la complicité. Les fasse qui veut. Pas moi… »  affirme Me Martigny (Acte I, sc. 2). Quand Pauline (Mady Berry), au service de Madame du Coudrais (Mademoiselle Falconetti) qui est accusée de meurtre,  souhaite arranger sa version, la modifier en déclarant le contraire de ce qu’elle a vu, « –vous n’avez qu’à m’expliquer ce que je dois dire, je le dirai, je le jurerai. » (Acte I, sc.8), elle offusque Me Martigny. Il est au-delà de ça. Il est reconnu pour sa probité et il ne peut s’en servir pour faire pencher la balance dans son camp. Madame du Courdais, Louise, cache un secret terrible qu’elle ne peut avouer, même à son avocat. Celui-ci enrage, éructe contre elle, mais rien n’y fait. Elle s’emmure dans un silence de mort.

PARCE QUE TU L’AIMES ?

Me Martigny est loin d’être insensible à la beauté de Louise. L’acte II révèle un peu plus cette passion de longue date, puisqu’il était ami,  bien avant l’assassinat du mari, avec le couple de Coudrais. Sa mère n’est plus dupe qui en découvre l’étendue : « – Mon enfant, depuis un moment, je te regarde, je t’écoute … Je crois décidément qu’il y a dans ta colère et tes injustices autre chose que le dépit d’un avocat…Parce que tu l’aimes ? » (Acte II, sc. 3)

CE SERAIT VIOLER SON ÂME !

Mais le secret que garde Louise est insondable. Me Martigny veut, contre sa proposition en mariage, qu’elle lui avoue son lourd fardeau. Le Président Martigny est  totalement opposé à cette démarche, ce marchandage : « – Madame du Coudrais est libre de son attitude. Celle qu’elle entend conserver l’expose à des dangers qu’elle n’ignore pas, et qu’elle accepte. Elle est maîtresse d’elle-même. Tu n’as pas le droit de la troubler par l’aveu dont tu nous parles et de profiter de son trouble pour lui arracher son secret. Ce serait violer une âme. Tu obtiendrais ainsi, par une sorte d’intimidation, le don involontaire de la partie la plus sacrée d’un être humain. Me comprends-tu ? » (Acte II, sc. 3)

UN DEDOUBLEMENT MYSTERIEUX

Entre l’acte II et l’acte III se déroule le procès et nous découvrons les Martigny, la mère et le fils, consternés chez eux. « Une sorte de dédoublement mystérieux » (Me Martigny, Acte III, sc. 1) s’est produit pendant celui-ci  qui l’a entraîné dans une défense aveugle, passionnée et éperdue, comme s’il se trouvait sous l’emprise de stupéfiant. La parole a précédé sa pensée. Il n’a pas argumenté avec la raison, mais son cœur a parlé ainsi que sa passion. Il s’agissait plus d’un combat de boxe que d’une plaidoirie honnête et raisonnée. « La résistance du jury, celle de l’accusée m’ont exaspéré. Tout m’était ennemi. J’ai voulu l’acquittement. Je n’ai plus eu que ce but. Tout ce qui pouvait me gêner pour l’atteindre n’existait plus. Je ne sais quels mystérieux effluves venaient du jury à moi et m’indiquaient que je ne lui avais pas encore imposé ma volonté… J’aurais piétiné toute l’humanité pour arriver à mes fins … Je ne connais pas les émotions du joueur, mais je les sens bien pauvres à côté de celles que l’on éprouve au cours d’un tel combat…Assis à mon banc, épuisé, baigné de sueur et d’orgueil, je regardais d’un œil torve cette assemblée que j’avais fascinée, j’étais dans l’épuisement de la volupté, dans la torpeur de l’assouvissement. » (Me Martigny, Acte III, sc. 2)

Me Martigny ne veut plus revoir Louise. Mais sa mère et son grand-père, « la bonté est la forme supérieure de la justice » (Acte III, sc. 4) finiront par avoir raison de sa détermination. Viendront les explications et enfin la révélation du secret qui mine leur relation depuis le début.  

« La justice est l’amour guidé par la lumière » (Sully Prudhomme). Une lumière se dessine doucement, timidement, tout au fond, vers la sortie.

Jacky Lavauzelle

Henry BERNSTEIN : JUDITH ou LA SOURDE MUSIQUE DE L’ÂME

Henry BERNSTEIN
JUDITH
(1922 – Théâtre du Gymnase)

 Henry Bernstein ou la sourde musique de l'âme tab de GENTILESCHI Artemisia

  Le Monologue
d’une âme
tourmentée



 En 1922, en ce début d’année, le bourreau coupe la tête de Landru. Les spectateurs de la nouvelle pièce de Bernstein, montée au Théâtre du Gymnase, quelques mois plus tard, la même année, devait avoir l’image du Barbe-Bleue de Gambais en tête, en regardant une autre tête tomber des mains de la belle Judith, d’un Barbe-Bleue de Béthulie, le général Holopherne.

Giulia Lama Judith et Holoferne

QUAND EROS REJOINT THANATOS

Dans les crimes de Landru, la mort s’associait à l’intérêt. « Oui, je pleure mes fautes, je me repens… j’ai des remords… je pleure parce que je pense qu’avec tout le scandale fait autour de mon nom, on a appris à ma pauvre femme que je l’avais trompée». Dans Judith, la mort s’associe à l’amour, l’Eros à Thanatos, ce qui unit avec ce qui sépare. Judith est déchirée, entre son devoir et sa passion.

Les âmes parleront, s’affronteront, s’aimeront et se tueront. Les âmes s’envoleront vers la gloire ou vers l’oubli. Vous irez enfin, dans un orage apocalyptique, jusqu’à l’évanouissement des âmes…

TU ES ETRANGERE A L’AMOUR

Notre Judith recherche et la gloire et l’amour. Mais ne sait ni comment atteindre l’absolu de la lumière éternelle, ni s’oublier dans le frisson et les bras de son amant. Holopherne, son ennemi, l’a bien compris : «  Tu es étrangère à l’amour, Judith, mais l’idée de l’amour te torture ! Tu en formes dans ta tête mille images somptueuses, absurdes. Tu épies l’amour des autres et tu le railles férocement. Puis, te tournant vers ta beauté, ô stérile, tu invoques avec désespoir l’amour ! » (Holopherne, Acte II, tab. II, sc V).

FRAPPE FORT…MAIS FRAPPE LE PREMIER !

Le colosse devient la fragilité personnifiée et rend notre Judith presqu’inhumaine. Elle donne de l’humanité à la férocité bestiale du guerrier. Le colosse devient rosée. La montagne se remplit de fleurs. Holopherne lui offre tout, à ses côtés, la gloire, l’amour, sa vie, sa mort. Son amour est bien trop vaste, trop grand. La montagne se fragilise, se fend et s’envole, en s’émiettant au souffle de la belle : « Je t’aime sans illusions, c’est-à-dire sans bornes. Ah ! Que ne t’ai-je supprimée le premier jour ! ‘Frappe fort si tu peux, mais frappe le premier ! » (Holopherne, Acte II, Tab. II, sc V).

France Ellys (Ada) JUDITH La Pte Illustration 124

 

 

 

 

QU’AI-JE FAIT PAR LE SABRE ?

Mais accepter la vie avec Holopherne, c’est s’unir, c’est se fondre avec l’autre, et donc ne plus exister comme symbole et gloire de son pays. Unir les contraires, pour cette âme dévastée, relève de l’impossible. La vie n’est que par l’autre, dans l’autre. Il faut pénétrer l’autre dans son âme et son corps. Seul le couteau pénétrera la chair. Il faut désunir ce qui peut l’être, même et surtout quand le doute l’assaille. « Toute peine est supportable, auprès de mon effroi, auprès de mon incertitude. (De terribles pensées) Qu’ai-je fait par le sabre ? Par le sabre, ne me suis-je pas retranchée du bonheur ?…N’ai-je pas fermé la seule bouche, chassé l’unique chaleur, assassiné la caresse, le souffle ? » (Acte III, sc. 2)

Judith décapitant Holopherne, par le Caravage
ELLE EST AU CENTRE DU FRACAS

Le Ciel, lui-même, ne s’y trompe pas, lors de la montée de Judith dans la montagne afin de retrouver la tête tranchée d’Holopherne, en envoyant des éclairs dans la nuit. Plus elle se rapproche de son ex-amant, plus la pluie devient torrentielle. La foudre finira par ponctuer chaque phrase de Judith. La foudre…la foudre… et même en repartant, les éléments déchaînés ne lâchent rien : «  les éléments la poursuivent, l’enveloppent. Elle est au centre du fracas. Le tonnerre emplit la vallée. » (Acte III, sc. 4) Judith est célèbre, célébrée mais seule, à jamais. Ce n’est plus une humaine, mais une icône. Elle n’appartient plus à Holopherne, encore moins à Saaph…Elle ne s’appartient même plus.

Gabrio (Sisarioch) JUDITH La Petite Illustration 124

ON MEURT DE SOIF A TON CÔTE !

L’élément de passion que semblait porterJudith n’est qu’un élément mort, abattu. La vie est en Holopherne. Il est la passion véritable. Il est acteur de son destin. « Tu es l’arbre calciné, tu es la citerne pleine de sable ! On meurt de soif à ton côté. » (Holopherne, Acte II, Tab. II, sc. V).

Henri Rollan (Saaph) JUDITH La Petite Illustration 124

 

 

 

 

 

CONTRACTE TON ÂME !

L’amour inatteignable laisse la voie à la gloire. L’âme de Judith est ailleurs, dans un au-delà, dans l’Histoire. Il faut revenir sur terre, revenir à Béthulie et rentrer dans la tente. L’âme doit devenir humaine, enfin… « Contracte ton âme pour m’écouter ! Judith, tu as besoin de la gloire. Tu ne la chéris pas, quoi que tu t’imagines, tu en as besoin ! Ma Judith, tu ne trouveras l’étreinte que dans cet élan de la multitude vers toi, dans l’encerclement de toi par tous. Oh ! Rien ne te consolera du baiser…Que veux-tu ! Chacun de nous se heurte aux limites de son être, chacun porte le désespoir de n’être que soi. » (Holopherne, Acte II, tab. II, sc V).

Avant de reprendre la trame de la pièce, quelques, quatre, chiffres importants dans la Judith de Bernstein : un, deux, trois et cinq.

UN DIEU QUI PULLULE

Jacques Grétillat (Holopherne) Judith La Petite Illustration n124

Le Un, comme le personnage centrale de la pièce Judith, le commencement et la fin. Judith est le Tout de l’histoire, la première comme la dernière réplique. Il est la somme des combats intérieurs. La seule qui peut sauver sa ville, mais aussi tout son pays. Elle est ce qui entraîne. Elle est l’action. C’est l’Aleph (א), la première lettre de l’alphabet qui correspond au premier chiffre, celui qui règne sur la volonté et les esprits. C’est aussi  le Un du Dieu unique face au polythéisme des assyriens, où le dieu « pullule…il se promène par les rues, il se cache dans la plus humble bourgade » (Acte II, tab II, sc. V) .

Le Deux, comme la confrontation de deux mondes, celui de Judith et celui d’Holopherne, entre l’esprit et la bestialité, entre la fixité de Béthulie, vissée sur son rocher, «j’ai vécu sur le rocher de Béthulie. Je suis attachée à ma terre natale » (Acte II, Tab. II, sc V)  et la mobilité des troupes de Nabuchodonosor, comme la séparation de l’esprit et du corps avec la décapitation d’Holopherne, comme la dualité entre le désir de la chair et la volonté de gloire. Et de cette confrontation naîtra la légende, mais avant la gloire, l’action. Ce sont les forces contraires qui engendreront le mouvement. Contraires, mais indissociables. Judith n’existe que par Holopherne.

Le Trois, une pièce en trois actes ; c’est la manifestation de la création. Mais dans ce trois se mélangent les tableaux de manières irrégulières et inégales. Le Cinq domine le Trois. Le Trois apparaît dans la pièce de manière formelle. La seule scène VII du premier tableau de l’Acte II est deux fois plus longue que l’Acte III. La création a manifestement besoin d’équilibre. Le Cinq, comme les cinq tableaux qui ponctuent et alimentent l’action ou cinq comme les cinq jours que demande Judith à Holopherne avant de prendre sa décision finale.

JUDITH Décor de Béthulie par M Soudeïkine

L’absence du Quatre n’est pas neutre. Il est la stabilité et le lien entre le spirituel et le matériel. Pas de paix possible dans ce chaos des corps mais de la douleur et des larmes. La stabilité ne se trouve ici que dans la mort. Et encore…

UN STYLE TISSE DE METAPHORE

La « sourde musique » de l’âme vient de l’article de Lucien Dubech parut dans L’Action Française où celui-ci, en parlant de la Judith d’Henry Bernstein dit : « le style de Judith est tout tissé de métaphore. On pourrait contester parfois leur propriété. Mais parfois aussi elles sont d’une vraie beauté sensuelle…Ces sourdes musiques rappellent les chants de flûte et les frissons de soie dont parlait Heredia. Judith en est toute pleine, comme un jardin d’Orient chargé de lourdes roses. Et, de tout temps, nos âmes d’Occidentaux ont redouté la séduction de l’exaltation intellectuelle parmi ces parfums, ces musiques, ces splendeurs enivrantes. » (Le Petit Illustration, N°124 du 9 décembre 1922)

QUELLE ÂME ETRANGE !

Le « monologue d’une âme tourmentée », vient, lui de l’article de M.G. de Pawlowski, dans Le Journal en parlant de «l’homme (Henry Bernstein) qui, durant les sept tableaux d’un spectacle presque en continu, sut empoigner toute une salle par le simple monologue d’une âme en délire. » Mais Judith n’est jamais dans le délire. Mais plutôt dans l’affection, le tourment. Holopherne, lui-même, le voit bien dans la scène IV du second tableau de l’Acte II : « C’est un être tourmenté…tourmenté et merveilleux ! Elle embellit les heures de sa présence…Quelle âme étrange ! »

Le sujet de la pièce est simple, en trois actes. Le premier, « la prière », se situe dans l’oratoire de Judith (jouée par Madame Simone) dans la ville assiégée de Béthulie par les fantassins et les cavaliers d’Holopherne (joué par Jacques Grétillat en 1922), général en chef du grand Nabuchodonosor II. L’acte II, « L’île des Bienheureux », se situe dans le camp assyrien, sous la tente d’Holopherne et se terminera par sa décapitation. Le dernier acte, « le désir », le plus court, entre les remparts de Béthulie, la maison de Judith et la montagne, sera la glorification de l’acte de Judith, plongée dans l’incertitude et le doute, noircie par la mort de Saaph, « homme d’aimable apparence, au visage fin et sensible », jeune guerrier éperdument amoureux de Judith.

A la différence du récit biblique, notre Judith va tomber éperdument amoureuse de notre tortionnaire. Une sorte de syndrome de Stockholm. Son destin est de tuer l’ennemi. Les tourments de l’âme ajoutent à l’action des prises de consciences et des ressentiments. Les deux hommes amoureux de Judith trouveront la mort, ne laissant que la gloire sur sa route.

NOTRE CHANT VAUDRA BIEN UNE PRIERE

La Chambre d'Holopherne JUDITH

Le tout premier acte, celui du recueillement et de l’attente, met en scène la ville inquiète, assiégée, prête à se rendre aux assyriens. L’eau manque et il ne reste que les larmes et la prière. « Je vous accompagnerai sur la harpe. Notre chant vaudra bien une prière » (Abigaïl, Acte I, sc 1). Judith reçoit quatre personnes, une dans chacune des premières scènes.

N’ABIMEZ PAS CES BEAUX YEUX !

A la première correspond l’entrée en scène d’Abigaïl (jouée par Paulette Noizeux lors de la première). C’est le monde des arts, la poétesse, « une femme plus élégamment vêtue que Judith ». C’est l’émotion contre la raison de Judith. Elle n’analyse pas, elle ressent. « Il est si majestueux, si poétique ! …je ne possède pas votre puissant cerveau…Ma tête est trop petite pour contenir le malheur immense que vous prévoyez…Adieu, ma chérie. N’abimez pas ces beaux yeux ! » .

 

Judith Ecole de Guido Reni 1575 1642

FAIRE LA FEMELLE ? JE NE SAURAIS PAS !

La seconde scène voit l’entrée d’Ada (jouée par France Ellys), au ordre de Judith sa maîtresse, fille d’esclave mais affranchie, et par une scène d’explication violente. Elle a reçu la visite d’un homme. Elle nie cette visite. Elle finit par reconnaître la vérité et évite le châtiment. « Je pense que tu as répondu avec sincérité…et j’ai pris en compassion ton triste sort. » Judith cherche avant tout à savoir ce que recherche Ada et ce qu’elle ressent, elle veut connaître les raisons de l’amour, ce qui constitue et fonde l’acte amoureux : « tu l’as aimé charnellement ? …Pour la joie de tes sens ?…J’exige des souvenirs…de vrais souvenirs…dépouillés de tout ce qu’y attachent le rêve et le regret. As-tu connu la volupté dans les bras de cet homme ? …Mais quelle force t’y a jetée antre ses bras ? Pourquoi t’es-tu prêtée avec celui-ci au geste que tu abhorrais ? Qu’est-ce qui t’a fait aimer Melchias ?…Parle ! …Il était si beau ? …Qu’a-t-il dit ? » Judith a prévu que si la ville se rendait, elle se donnerait la mort. Elle refuse cette hypothèse. La mort plutôt que le déshonneur : « justement ma pauvre Ada, moi, je ne suis pas sortie d’une esclave ! Faire la femelle ? Mais je ne saurais pas. Tiens, j’ai choisi la lame qui me préservera de ces hommages ! »  Mais déjà les pas de Saaph résonne, et les propos sur l’amour ont échauffé les sens de la belle Judith, « oui, vraiment, il n’est pas mal ! Tu le penses aussi ?…Je crois que tu m’as rendue un peu folle, toi, avec tes récits de la montagne…Laisse-moi…Laisse-moi avec le beau Saaph. »

TOUT NOUVEAU PARTAGE FAIT BOUILLONNER ATROCEMENT

Judith tenant la tête d’Holopherne, Cristofano Allori, 1613 (Royal Collection, Londres)

Dans la troisième, la beauté, la jeunesse, la fraicheur, la vigueur, l’envie se retrouvent en Saaph (joué par Henri Rollan), le guerrier valeureux. Il annonce son souhait de tuer de ses mains le général Holopherne. Sans lui, son armée, composée de plusieurs peuples, et ses généraux se diviseront. « En chacun de ceux-là est une ferveur folle, que tout nouveau partage fait bouillonner atrocement. » Le volcan est à deux doigts de se réveiller. Saaph veut mettre l’étincelle et profiter d’un interrogatoire par le général lui-même afin de lui porter un coup fatal.

BETHULIE REMISE AUX ASSYRIENS ?

A la quatrième scène, c’est la sagesse et la noblesse d’esprit qui parle dans la bouche de Charmi (joué par Numès), « un homme fort vieux…très grand, d’allure noble et distinguée, avec un beau visage plein d’énergie. Sa barbe est longue et toute blanche. » Les nouvelles sont mauvaises et la foule réclame la reddition de la ville, derrière un certain Ruben, ivre de revanche et de gloire, « l’approche du malheur l’a toujours enivré, inspiré ». Mais la chose est simple, la ville, fragilisée, ne tiendra plus longtemps, ils le savent car « la fontaine d’Enoch a été empoisonnée… ». Il faut donc utiliser un stratagème et gagner du temps, dans l’espoir d’une « délivrance miraculeuse ». « Mais si, les cinq jours étant écoulés, il ne nous est point venu de secours, je comprendrai que Dieu, dans sa colère, nous destine le châtiment suprême, et, en marque d’humilité, la ville de Béthulie sera remise aux Assyriens ? »

TU REPANDS LA TERREUR AVEC UNE ÂME RIDICULE !

Madame Simone (JUDITH) Photo G L Manuel Frères

A la cinquième scène, Judith, de sa terrasse, s’adresse à Holopherne. La « pauvre petite Béthulie » devant les crocs acérés de la bête assyrienne ;  «  je vois d’ici ta vulgarité. Tu convoites des choses. Tu répands la terreur, tu ensanglantes le monde, avec une âme ridicule ! Il est très cruel…Le camp lui-même a l’air d’une bête indolente couchée sur le côté…Pauvre petite Béthulie ramassée sous sa carapace rose. Je suis Yaoudith et j’ai du génie ! J’ai du génie, j’ai du génie ! …Ada, vite, vite, vite ! …Ada…Suis-je belle ? »

Saaph qui arrive dans la sixième scène annonce directement son pardon puis son amour pour Judith, « amie, chérie ». Le temps est compté. « Pourquoi ne m’as-tu pas dit plutôt que tu m’aimais ? » Mais Judith, cartes sur table, prévient que s’il persévère dans son souhait de tuer lui-même Holopherne, elle se tuera. « – Je le jure par… – Non ! – Jures-tu, par le Nom, qu’avant cinq jours entiers tu ne franchiras pas le rempart de Béthulie ?… – Je le jure sur Iahvé !»

J’ECHAPPE A LA MORT DU RAT !

J’ECHAPPE AU DRAME DE L’OUBLI !

La scène VII, Judith se dit prête pour sa mission, même si elle n’avait pas prévu  « que l’enjeu monterait si haut ! » Mais elle donne aussi le vrai sens de son opération kamikaze : « j’échappe à la mort du rat ! J’échappe au drame de l’oubli ! »

Madame Simone dans Judith La Pte Illustration n124

JE VEUX LA GLOIRE.
TU COMPRENDS ?

La dernière scène du premier acte. Judith retrouve la dévouée Ada. Elle a besoin d’elle pour se calmer. « Le tumulte de mon âme m’épouvante. Ta prière vigoureuse et naïve portera ma prière. » Et elle répète l’injonction de la scène précédente : « Je veux la gloire. Tu comprends ? La gloire…La gloire…Prions l’Eternel ! »

L’acte II se passe intégralement dans le camp assyrien, et commence dans la salle du conseil. Tout le gotha des généraux et des personnages importants est rassemblé autour d’Holopherne : Vagaoo (joué par Alcover), le chef des eunuques et proche d’Holopherne, Berose (joué par Montclair), « un homme d’administration qui ne porte pas l’uniforme », et des généraux Astoubar (joué par Jean Dulac), Hasphenor (joué par Louis Rouyer), Sisarioch (joué par Gabrio) et Issarakin (joué par Clarins).

Cet acte est lui-même découpé en trois tableaux. Le premier représente la salle du Conseil d’Holopherne. Le second, une pièce à côté de la chambre d’Holopherne. Et le troisième et dernier tableau, la chambre elle-même. Nous rentrerons petit à petit dans l’intimité du chef des armées assyriennes. Jusqu’à l’intimité de la chair avec la pénétration du cimeterre dans sa gorge.

Judith et Ada sont au milieu de ces hommes dans cette salle où trône le portrait de Nabuchodonosor, le roi de Babylone. Judith a déjà fait don de sa vie. Son stratagème n’est pas sûr de réussir. D’où le nom donné à cet acte : « L’île des Bienheureux », appelé aussi île Fortunée, qui fait référence à ce lieu des Enfers où les âmes vertueuses, comme Achille, Médée ou Pénélope, se reposent. Les deux femmes se retrouvent au cœur de l’Enfer, entourées de leurs plus grands ennemis.

 

Mme Simone & Jacques Grétillat JUDITH La Petite Illustration 124

LA MAMELLE NI LA FESSE NE PARAISSENT AVACHIES !

Dans la première scène de ce premier tableau, Judith, transfuge, fait allégeance aux assyriens et essaie de les convaincre du bien-fondé de sa démarche. Elle explique sa désertion par une révélation divine : « L’éternel Sabaoth s’est penché à mon oreille et il a commandé : ‘Va vers le prince des Victoires, car je l’ai choisi pour être le Ministre de ma furerur. Instruis-le de toutes les choses secrètes et qu’il fasse éclater sur la nation perdue d’ingratitude mes terribles merveilles !’ Telle est la parole du Dieu vivant. » Mais les généraux moins bouleversés par les propos et l’intelligence de Judith que par son extrême beauté : « Quel visage !…En elle s’unissent l’élégance et la majesté !… » Sisarioch et Hasphénor, sont, eux,  intéressés par Ada, dans des termes plus triviaux, comme s’il s’agissait d’une vente de bestiaux : « Fais quelques pas ! Oui, marche ! …La mamelle ni la fesse ne paraissent avachies ! …Et ces dents brillantes entre les fortes lèvres rouges et roulées !…La bougresse se vendrait son prix sur le marché de Babylone !… » Et la scène continue avec des hommes surchauffés et excités, entre propos sur le plaisir, et comparaison de cicatrices.

MON OREILLE SE REFERME !

Judith et Ada sortent dans la seconde scène et laissent les hommes entre eux. Holopherne souhaite connaître les impressions de ses généraux et collaborateurs. Où se trouve la vérité ? Astoubar propose une petite séance de torture, afin « d’en tirer quelque chose de plus ! ». Les autres réagissent promptement : « –Mutiler cette merveille ! – Vieux sépulcre ! » Mais ils se disputent encore afin de connaître les butins et les répartitions à venir. Holopherne clôt la discussion : «  Au nom de Nabuchodonosor, votre roi, roi du Ninoud, Maître du Monde, je parle. Mon oreille s’est refermée. Vive Nabuchodonosor, roi de la Terre ! »

C’EST UNE FEMME CELLE-LA !

Mme Simone (Judith) & Jacques Grétillat (Holopherne) JUDITH La Petite Illustration 124

Dans la troisième scène, Holopherne ne peut attendre et livre à Vagaoo son impression première : « Elle doit être tendre et perverse… C’est une femme celle-là !…Une femme ! La première que mes yeux contemplent depuis les jours divins ! … Du parfum, encore ! … Judith…» L’animal est affamé. Il a déjà mordu à l’hameçon.

La quatrième scène le sort de sa torpeur et de ses rêves. L’image de Judith s’évanouit un instant afin d’écouter les supplications et les jalousies du noble Hasphénor. Holopherne écoute mais ne goûte pas le discours, ses oreilles se referment.

LA PEUR EST EN TOI

La cinquième scène reprend vite sur les douces fragrances de Judith et Holopherne s’inquiète à nouveau de la belle : « Les parfums ! Qu’a-t-on servi à Judith ? Un faisan rôti et du vin de myrte ? »  Holopherne parle de propos contre le roi. Une menace qui suivra les longues routes du royaume. La peur est toujours présente. « Tu t’imagines habiter au centre de la peur, comme un palmier se dresse dans le désert. Quelques gouttes entre mes lèvres !…Tu te trompes : la peur est en toi, comme elle est dans tout ce qui respire. Notre ennemi a peur, castrat ! »

TU M’AS PRIS PAR LES YEUX ET DEJA JE NE TE VOIS PLUS !

Judith retrouve Holopherne dans la septième scène. La belle et la bête. « Sur l’immense divan, Holopherne se jette à plat ventre, guettant l’entrée de Judith. Elle entre. Elle est vêtue magnifiquement…Elle aperçoit cette panthère. Elle a un frémissement presque imperceptible. Holopherne se lève ; en silence, il va vers Judith et, tournant autour d’elle, il la flaire. » Les propos s’enflamment vite : « Je vous adore, Judith…Je t’adore, je t’aime ! Tu m’as enveloppé, comme le nuage s’empare des cimes. Je suis aveugle … Tu m’as pris par les yeux et déjà je ne te vois plus ! » Eh oui, l’amour rend aveugle …

BETHULIE, PAS UN DE TES MÂLES N’ECHAPPERA !

Judith y gagne en proximité. Holopherne accepte de faire dresser pour sa belle une tente à côté de la sienne, « une haute tente écarlate. Tu la tendras de voile de pourpre et d’argent, et d’autres voiles brodés au fil d’Egypte ! Il faut en accrocher partout…à profusion.» Judith lui demande cinq jours afin de savoir si elle l’aime réellement. Cinq jours ! Si Holopherne s’étonne de cette précision, il est heureux de constater que l’expiration de cette période tombe « le même jour que Zakmoukou…l’orgie sacrée ! La fête de la fécondité …La fête d’Oupa-Napichtim l’Eloigné et de son épouse !…Il habite l’île des Bienheureux…Pour l’atteindre, il faut traverser les Eaux de la Mort ! » Holopherne sait que Judith est amoureuse d’un homme de Béthulie. Il s’en offusque. « Béthulie, vilain nid de corbeaux, pas un de tes mâles n’échappera ! » Judith avoue avoir aimé, une fois, son mari, Manassé. Pour Holopherne, « il n’est que l’amour sur cette terre…Les amants touchent à la seule éternité qui soit, par la chaîne sans fin des baisers ! ». Pour Judith, « la gloire est plus belle que l’amour ! …La gloire défie la mort ! »

VOUS ÊTES LUISANTE DE RUSE ET DE TROMPERIE !

Cette longue scène passe de l’amour fou aux raisons de l’amour, à sa puissance et à sa force. Pour arriver au doute et au stratagème : « Vous mentez ! C’est l’évidence ! Vous êtes toute luisante de ruse et de tromperie ! » Judith affirme qu’elle est sincère, qu’Holopherne interroge les gens de son pays, elle est reconnue pour ses chants, ses poèmes et ses cantiques. Si elle refuse de chanter devant lui, c’est pour mieux lui réserver la primeur d’un chant et d’un cantique : «  je vous promets de chanter pour vous. Et d’une voix que l’on ne m’a pas entendue ! Je vous promets aussi, si Dieu le veut, de composer un cantique…à la louange de l’Eternel ! Mais chaque strophe ramènera votre nom et, si ce n’est pas votre nom, vos gestes…et, à défaut de gestes, votre visage. »

de g à d Vagaoo (Alcover) Holopherne (Jacques Grétillat) Judith (Mme Simone) Ada (France Ellys) La Pte Illustration

TU ES VENUE DANS LE CAMP POUR TUER HOLOPHERNE !

Holopherne entrevoie le futur et certains projets, mais Judith ne le suit pas. Il s’en offusque : « Vous m’écoutez avec vos oreilles, mais non avec vos yeux !…Ton regard refuse de se joindre au mien pour voir ce qui sera, pour s’éblouir de la même vision ! Tu ne veux pas ou tu ne peux pas…me suivre ! Quand j’essaie de fuir avec toi dans le futur, mes paroles reviennent frapper mes oreilles comme des balles lancées contre un mur ! »

Holopherne, en chantant et riant, a lu les intentions de Judith : « Tu es venue dans le camp pour tuer Holopherne ! » Elle tente de l’apitoyer quand elle découvre qu’elle va être torturée.

DES CARESSES ET DES ETREINTES !
ELLE DOIT S’ETEINDRE SOUS LA VOLUPTE !

Holopherne ne reviendra sur la torture qu’à la scène suivante. «- Pas de torture ! …J’y avais pensé…mais non ! C’est une passionnée. Je veux lui ménager une mort convenable à sa brûlante nature. Je veux qu’elle pense en mourant au bien-aimé qui languit sur son rocher. Tu vas prendre dans ma garde de très beaux hommes…d’autres aussi ! J’assisterai à leurs ébats…Mais recommande à mes braves l’extrême galanterie ! Gare à celui qui frapperait. Des caresses et des étreintes ! Elle doit s’éteindre sous la volupté. Va préparer la fête !  – La fête ! La fête d’amour !»

LE MEURTRE N’EST PLUS DANS TES YEUX !

Dans la dernière scène de ce premier tableau, Holopherne veut libérer Judith afin qu’elle rentre dans sa ville. Les yeux, au moment de le quitter, lorsqu’elle tourne la tête, font changer l’opinion Holopherne. « Viens ! Viens ici ! Le meurtre n’est plus dans tes yeux…Mais tes yeux sont pleins de douleur !…Mais tu restes ? » Judith accepte.

J’AIME L’ODEUR DE LA FEMME !

Les cinq jours sont écoulés quand nous passons au tableau suivant. C’est la fameuse nuit du Zakmoukou et la grande fête orgiaque, « la fête de l’Assouvissement »  de nos assyriens. « Tout l’immense camp titube dans une seule ivresse ».  « On entend une musique dissonante et parfois des chants psalmodiés…passent des ombres petites et démesurément grandes : des hommes, des femmes – l’ivresse, le désir. » Arrive Sisarioch, enivré, qui « aime l’odeur de la femme… pourchasse les filles de cuisine » et veut trainer Ada dans son lit. Mais arrive Holopherne et Sisarioch s’éclipse. Ada est aux anges, « n’êtes-vous pas émue, maîtresse ?…Il souffre. Il vous adore…Il a conquis l’univers ». Judith lui demande de reprendre ses esprits.

IL A LE COEUR D’UN HEROS

Ada et Judith discutent sur la beauté d’Holopherne, grand et majestueux. Ada confirme que toutes les femmes sont folles de lui, « Maîtresse, la nuit, j’entends les femmes crier en rêve le nom du Splendide. » En plus de la beauté, il « est généreux ! Il a le cœur d’un héros. »

Dans la scène IV, Holopherne interroge l’eunuque Vagaoo, rendu ivre par les généraux. « Elle ne m’aime pas ? Dis ! » En tout cas, Holopherne est amoureux et Vagaoo, enivré, ose se moquer de lui, « la bonne lamentation ! » Mais quand il sort son cimeterre, il préfère prendre la poudre d’escampette.

TUE-MOI ! JE VEUX ÊTRE L’HOMME DE TA VIE !

A l’entrée de Judith, Holopherne déclame d’emblée haut et fort son amour : « Je t’aime…Je suis triste, ma Judith, et je t’adore !Je veux ton souffle ! Si ! Donne-moi le feu de ton haleine !»  Judith lui reproche son empressement et sa convoitise. Elle lui fait la leçon, « le désir est beau, merveilleusement beau, mais s’il ne règne pas en maître brutal…s’il est craintif, pudique, dominé par le cœur. » Il se donne à elle en lui donnant sa vie. « Tue-moi ! Tue-moi ! Je veux être l’homme de ta vie ! Toute colère m’a laissé… » Il lui reproche sa sécheresse de cœur. Il sait que tout est perdu. Il n’y a plus qu’à se donner totalement. Il se livre et il attend son bourreau. Il lui donne la méthode et aussi lui explique comment opérer sa fuite. Sur la gorge d’Holopherne, la bouche de Judith redevient humaine. Elle chancelle : « Tu es beau ! Mes yeux te voient mon Holopherne. Tu es beau !…Ne détourne pas tes beaux yeux méchants. Qu’ils sont beaux, mon grand barbare !Possède-moi ! Je suis ta barque !…Prends ta proie dans le noir. Et ce n’est plus Yaoudith, tu entends ! Je suis une femme…une femme…une femme… » Et le second tableau de cet acte se termine sur cette union et sur la voix de Judith qui s’étouffe peu à peu.

HOLOPHERNE DECHIRE LE COEUR DE LA FEMME…IL « AIME »

Le troisième tableau va jusqu’à la mort d’Holopherne. Vagaoo se livre à Judith, il a tout entendu. Il est étonné du caractère et de la fragilité de notre généralissime. « La bête qui dort là, je la croyais plus implacable que la maladie. Et pas du tout ! Holopherne déchire le cœur de la femme, il boit ses larmes et sa jeunesse, mais il se torture avec elle. Il ‘aime’ »

J’AI ENFANTE MON DESTIN

La cinquième scène, Judith rejoint sa destinée en tuant Holopherne, en pleine détresse. En plein sommeil, il rêve. « Soudain l’assassinat ». Dans des murmures et des souffles, le général se meurt. Il faut maintenant fuir avec la fidèle Ada. Après le doute, la gloire. Le triomphe apparaît totalement dans la scène VII : « louange à toi, Dieu de mon père, Siméon ! Par le fer, j’ai brisé les cerceaux de fer, celui de la Tentation et celui du Doute !…Le jour qui se lève est le premier de mes jours ! J’ai enfanté mon destin. La joie de mon cœur bouillonne et déborde…Mais je saurai me contenir… »

Et l’acte finit dans la joie et les rires de Vagaoo qui regarde Judith et Ada s’éloigner.

ADIEU, MON AMANT,
QU’AGITE ENCORE UNE FOIS LA TEMPÊTE !
ET PLEURER JUSQU’A L’EVANOUISSEMENT DES ÂMES …

Le dernier acte commence par le glorieux retour de Judith et la complète défaite de l’armée assyrienne. Dans la seconde scène, Saaph devant la pâleur découvre le changement opéré dans le cœur de Judith. Le beau Saaph, impuissant devant la détermination de retrouver les restes d’Holopherne se donne la mort. « Je meurs pour tout ce que j’ai chéri. Ne te désole pas ! En me frappant à mort, je n’ai fait qu’obéir au plus enivrant appel. » (Acte III, sc. 3) Saaph est un homme avant tout, brûlé par le destin de Judith. « J’ai soif » dira-t-il asséché par le feu que porte encore Judith en elle. Mais Saaph a gagné le renoncement de Judith. Il lui ouvre les yeux par son trépas. Même s’il ne restait que quelques mètres. « Ah ! Son geste a décidé de moi. Je renonce à votre lumière, face, là-bas, dans le vent ! …Adieu, mon amant, qu’agite encore une fois la tempête ! Vos lèvres de glace garderont mon secret. Je reste auprès de toi, frère chéri, pour prier et pleurer jusqu’à l’évanouissement de nos âmes. Nous finirons ensemble. » (Acte III, sc. 3)

En 1922, Henry Bernstein présente sa Judith au Théâtre du Gymnase, aujourd’hui théâtre du Gymnase Marie Belle, dirigé par Jacques Bertin. Il en deviendra le directeur jusqu’à l’entrée en guerre avec l’Allemagne et son départ vers les Etats-Unis. Le premier rôle, Judith, a été attribué à Madame Simone, née Pauline Benda. Voilà ce qu’en dit le critique Gaston Sorbets, dans le n°124 de La Petite Illustration : « Dans l’esprit de l’auteur, l’interprétation de Judith resta immuablement attribuée à Madame Simone. Il y avait là une sorte de prédestination naturelle. Ces élans impulsifs et cette volonté raisonnée, cette ardeur et cette sécheresse, cette souplesse d’acier que M Henry Bernstein a donnés à sa Judith se trouvent dans le tempérament et dans le talent de sa glorieuse interprète qui tient, sans donner la moindre sensation d’un effort, ce rôle qui eût été écrasant pour tant d’autres. » 

Jacky Lavauzelle

Henri DUVERNOIS (Seul 1922) TROMPEUSES APPARENCES

HENRI DUVERNOIS

SEUL
(Comédie en un acte)
Première, le 28 octobre 1922
Au Théâtre du Grand Guignol

 Henri Duvernois SEUL Théâtre

TROMPEUSES

APPARENCES

 La publicité ou la réclame, cette forme achevée de la société du spectacle, dirait les situationnistes, n’est pas naît en 1922, mais elle trouve un essor particulier dans ces années après-guerre, comme ensuite avec la naissance de la télévision ou d’internet. Après les années qui suivent la Grande Guerre, les ouvrages se tapissent de réclames pour le corps et la santé. Il faut jouir du monde, il faut plaire. Il faut oublier cette mort qui, pendant quatre années, a occupé les pensées, les journaux, les conversations. L’apparence prend désormais une place primordiale. Il faut sortir et se montrer. Il faut séduire et paraître.

Henri Duvernois nous propose plus qu’un portrait d’artiste, il nous livre toute une époque en un acte. Cette volonté de jouissance habite notre artiste et son ami, comme il parfume cette riche bourgeoise. La nôtre est jeune, très jeune « on ne dirait pas qu’elle est naît en 1900…pendant l’Exposition…non, ça paraît trop vieux, trop loin…On ne dirait même pas qu’elle est naît d’hier…On croirait qu’elle est née aujourd’hui, pour la rage des dames et la perdition des messieurs… » L’époque va vite, si vite que le temps s’y perd. Il faut donc manger à la table du soir et manger à se faire exploser la pense. L’amour aussi. Les coups de foudre se succèdent, « Au bout de cinq minutes, j’étais follement épris… »

Eugène Bricot, joué par M Gobet lors de la première au Théâtre du Grand Guignol, en octobre 1922, est un poète à fort potentiel. Sa pauvre chambre, avec un  « ameublement à la fois sordide et prétentieux », un « rideau d’une penderie cache des vêtements », décrite en introduction résume déjà la pièce : cacher sa pauvreté, paraître important, savoir se donner des airs afin de pouvoir parcourir les lieux mondains de la ville.

Madame Frutte, jouée par Mme Hellé, la femme de ménage, s’amuse même à faire le rapide et pauvre descriptif de ce qu’elle trouve dans l’appartement : « dans le buffet ! Il a des inventions. Voyons que je marque…Une chemise…il a l’autre sur lui…Un faux-col… il a l’autre sur lui…Et qu’est-ce que c’est encore. (Elle sort un plastron et une paire de manchettes qui tiennent au bout de ficelles.) Ah ! oui…Je vois ce que c’est…Il sera allé au bal…C’est pour l’habit de soirée…Une drôle de mode…Faudrait pas avoir à se déshabiller…Un mouchoir…il a l’autre sur lui…Un point, c’est tout…La vaisselle, maintenant. (Elle met une fourchette, un couteau et une assiette dans une terrine.)…Je mange mieux que lui ! …(Elle tire le rideau et passe un coup de brosse sur les vêtements qui sont pendus.) Faut pas trop les bousculer, ils ne voudraient plus rien savoir… »

Henri Duvernois SEUL Théâtre du Guignol

Et cet Eugène, le poète, martyrise la poésie de la même manière, « je suis poète, mais je n’aime pas les descriptions. »  Sa prétention s’affiche, « je suis malin ! », « je dis ça parce que j’en suis sûr ! », il est comme son ami, joué par M. Scott, qui lui dit : « je suis comme toi, j’aime mieux parler qu’écouter. » La poésie reste un excellent moyen de rentrer et briller dans les soirées mondaines.

RECLAMES (4)

Et la femme du monde, Eugène l’a trouvée, Suzanne Hellas-Dellesponte, jouée par Madame Daurand. Il a sorti le grand jeu : « je crois que j’ai été très éloquent, très…Une éloquence un peu vieux jeu, une éloquence un peu pompier…Que veux-tu ? On a beau être de son temps, il y a des minutes où il faut sortir les petites fleurs et les petits oiseaux…J’ai  trouvé les phrases qu’il fallait dire…si émues, si poétiques !… »

A force de discours pompeux, il ne sait même plus reconnaître le vrai du faux. Dans l’excitation de la soirée, le vin aidant, il en devient « sincère » : « Et, surtout, j’étais sincère ! J’allais ! J’allais !…Elle était comme grisée. Elle murmurait : « Encore ! C’est si bon ! C’est si beau ! C’est si grand ! Monsieur Bricot, parlez-moi encore des étoiles. Personne n’a parlé des étoiles comme vous…On est comme transportée. »

Le poisson rentre dans le filet, seul et heureux. « Si bien qu’à la fin sa tête est tombée sur mon épaule et qu’elle a promis de venir chez moi…Enfin, je ne sais pas si elle a peur de trop m’aimer, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle m’admire ! »

RECLAMES (2)

Il est tellement certain de l’avoir hypnotisée, qu’il lui a donnée un rendez-vous dans sa chambre loqueteuse. C’est même désormais un atout. Elle est riche, elle veut de la folie, de la poésie, elle veut sublimer cette réalité. Elle ne recherche pas un parti, elle veut du rêve. « Cette grande dame qui a un hôtel rue de la Faisanderie, des automobiles, des larbins, des perles et des zibelines. C’est la Marchesa d’Amaëgui qui vient rendre visite à son poète. »

Entre temps, les deux amis sortent et Suzanne arrive. Le moindre petit écrit qu’elle trouve la transporte. Elle est aux anges. Tous ces mots transforment le réel en quelque chose de magnifique  et de luxuriant : « Exquis ! Quel mystère ! Magnifique ! Splendide ! La mouche en feu…Et je comprends tout ! C’est un cri qui sent le cuir…en y réfléchissant…l’acajou est si bien ciré que les cols de cygne semblent incendiés quand il y a du soleil…Je comprends tout ! C’est merveilleux ! Merveilleux ! »

RECLAMES (3)

Elle se cache derrière un rideau, avec des petits trous, « il y a des trous pour voir, qu’on dirait faits exprès »,  afin de faire une surprise à son poète. Malheureusement, celui-ci, à son retour, montre sa vraie nature, grossière et intéressé. « Le menu de monsieur : Fromage de tête…Roquefort. (Lisant la bouteille) ‘Château des ducs d’Annonay’, poil au nez ! Mazette ! Tu te soignes, Eugène ! Cher monsieur, mettez –vous donc à votre aise…On transpire chez vous, madame la duchesse ! Ah ! qu’on est bien!…Je tombe la veste ! Je la tombe…Une ! Deux ! Le pantalon…Ne vous gênez pas, je t’en prie…Les bretelles…zou ! Trois, les godasses…la gauche…v’lan ! (Il lance une bottine)  La droite…v’lan ! (Il l’autre et considère son orteil qui passe par la chaussette trouée.) Vous avez là, monsieur, un bien joli orteil…Oh ! le petit coquin qui prend l’air ! (Il l’agite dans la direction du rideau.) Bonjour ! Bonjour ! De toute évidence, la mère Frutte est la dernière des vaches. C’est plus sale ici que quand elle est entrée. (Il se campe devant la petite glace) Joli garçon ! Vieille chanson :  « Elle disait Qu’elle venait De la messe et du sermon. C’était pas vrai, Elle venait, De se fair’ chatouiller l’menton !Ton ton taine, ton ton ton »  (Il s’approche de la glace) Ton, ton, taine…un gros bouton ! Mais tu as de l’acné, mon chéri…  « Lacné, ton doux regard se voile » (Il presse sur le bouton.) Envoyé ! A pu d’bouton, le p’tit coco. (Il prend la pose et annonce successivement : les jambes écartées et croisant les bras.) L’Arlequin du Saint Marceaux. (La main sur la garde d’une épée imaginaire.) Le mignon Henri III. (Sombre et le poing au menton.) Charles-Quint devant le tombeau de Charlemagne ! Je vas me foutre à poils, tonnerre de bonsoir ! »

RECLAMES (5)

Il se met à sa table de travail, Suzanne toujours épiant derrière le rideau, de plus en plus étonnée, effrayée. La poésie sera tout autant martyrisée. « Et maintenant, au travail…Qui c’est qui va fumer une bonne pipe ? C’est kiki ! Au travail !…A moi le système breveté !…Le dictionnaire, le coupe-papier. (Il prend le coupe-papier et l’envoie au hasard dans les feuillets d’un dictionnaire.) P. Pouzzolane ! terre volcanique rougeâtre que l’on rencontre près de Pouzzole, en Italie…Bon ! (Il refait la même opération.) T. Thermal… Ah ! Pouzzolane ! Souvenir thermal….Le gaz de ton tonneau thermal, Pouzzolane ! Et puis, crotte…Crotte…et recrotte ! … « 

Henri Duvernois SEUL Théâtre du Guignol 1922

Quand il voit le rideau bougé, comprenant qu’une personne se trouve chez lui, il se montre peureux et lâche : « Sortez d’ici, s’il vous plaît…Halte ! Hand up ! Je me rends ! Prenez tout ce que vous voudrez ! » C’est Suzanne qui se découvre et qui le rassure, « N’ayez pas peur ! …Ce n’est que moi ! »

Suzanne a donc vu le véritable Eugène, faux et lâche. Suzanne  semble perdue pour lui. Pourra-t-il la récupérer ?  C’est l’enjeu de la pièce. Comment, à ce point de déchéance devant l’être convoité, pourra-t-il remonter la pente ? 

D’abord, il fait le point sur lui, ce qu’il est réellement. Il fait le détail de tous ses défauts. Il prend le parti de la transparence. Il va ainsi l’attendrir. « J’aurais voulu paraître devant vous beau, élégant, idyllique…et je vous ai offert ça ! Mes chansons…ce déshabillé de cocu…de cocu de vaudeville…ma pauvre gueule…la pauvre gueule qu’on fait quand on se croit seul et que tout de même on n’est pas expressément heureux…Vous m’avez vu manger avec mes doigts comme un porc, boire à même le litre, comme  un routier…J’ai démonté devant vous le mécanisme de mon petit métier…Oui…je vous ai fait rentrer dans les coulisses du Guignol…Vous avez vu ce que c’était que l’inspiration : un coupe-papier et un dictionnaire…Par les trous de ce rideau, vous avez pu contempler mon orteil qui vous a fait un petit bonjour…J’ai été grotesque…Mais attendez un peu le bouquet ! Pas seulement grotesque…Lâche aussi… »Hands up ! Je me rends ! Prenez ce que vous voulez !… » Donc, grotesque, lâche,…idiot, grossier, écœurant… »

Il lui propose ensuite de tout oublier. Si lui n’est qu’un homme ordinaire, elle doit être une femme exceptionnelle, une grande âme. Elle seule peut dépasser tout ça. Elle a bien voulu dépasser la misère de l’appartement, la pauvreté de l’artiste. Pourquoi ne ferait-elle pas de même avec son âme. Il n’est pas un grand poète, soit ! Mais elle est une grande Dame. «Jje vous demande de faire l’effort le plus énorme, le plus magnifique qu’une femme déçue ait jamais tenté…Je vous demande l’impossible…Ecoutez, madame, écoutez, Suzanne, je vous demande de considérer tout ça comme nul et non avenu ! »

Suzanne accepte tout, toutes les conditions d’Eugène. Il ne lui reste plus qu’à reconstruire autour de Suzanne le monde qu’elle attend. Il faut tuer cette image précédente, « Ah ! Suzanne, vous êtes-vous jamais demandé pourquoi l’on représentait l’amour avec un arc et des flèches ? …C’est parce qu’il tue le ridicule…simplement… »

Et Eugène hypnotise enfin Suzanne, et comme son Ami, au début de la pièce, il devient le serpent devant le petit mulot ou l’oiselet sans réaction : « vous ne connaissez pas…, vous ne m’entendrez plus…vous ne regarderez plus…vous me verrez beau…vous me trouverez drôle…tu gronderas tout à l’heure la mère Frutte…tu te pencheras…tu me traiteras…reste avec moi et tu verras…Dis, tu veux bien rester ? (Suzanne enlève son chapeau.) Ah ! tu veux bien ! tu veux bien !… » Régis Gignoux dans Comœdia soulignait qu’ « après des fouilles précises, il suffit d’un dernier coup de pioche pour qu’une Vénus sorte de terre, nue comme la Vérité. »

Eugène a réussi. Suzanne tombe dans ses bras comme un fruit mûr. Elle ne s’appartient plus. Eugène a réussi son tour de magicien, rattraper une situation qui semblait totalement perdue, se sauver de la situation la plus ridicule et grotesque. Il a utilisé les grands moyens, mais « qu’importe le flacon… »

Jacky Lavauzelle

Henri Duvernois SEUL Théâtre du Guignol Première le 28 10 1922

Les Rôles et les acteurs lors de la première :
Eugène Bricot est joué par M Gobet
L’Ami par M Scott
Madame Hellas-Dellesponte est jouée par Madame Daurand
Madame Frutte est jouée par Mme Hellé

Texte : La Petite Illustration n°140 du 7 avril 1923

MOLIERE & SON OMBRE (Jacques RICHEPIN) : L’HEURE DU BILAN

Jacques RICHEPIN
20 mars 1880 – 2 septembre 1946

 

 

MOLIERE &
son ombre

 Molière et son Ombre Jean Richepin Pièce en un acte ArtgitatoPièce en un acte




1
ère au Théâtre de la Renaissance, le 9 février 1922

A l’occasion du tricentenaire de la mort de Molière
Mise en scène Cora Laparcerie-Richepin




L’Heure du bilan
 Maison de Molière. Nous sommes le 12 février 1673. C’est l’heure du bilan, à cinq jours de sa mort. L’homme est là, immense ; mais la maladie s’immisce dans ce corps et montre son visage. Déjà. La vie paraît-il défile dans les derniers instants.  Jacques Richepin s’y colle et convoque tous ces personnages devenus de véritables  monstres tutélaires incontournables. Molière, cinquante ans, à peine, évoque ses créations, ses manques, ses plaisirs, expliquent ses choix et le sens de son œuvre.



AU VOLEUR ! A L’ASSASSIN ! AU MEURTRIER !

Jacques Richepin, à travers 10 scènes, nous apporte sur la scène une grande partie de ses créatures ou de ses contemporains comme l’acteur Scaramouche. Les fantômes qui défilent devant lui et qui lui font la réplique : Monsieur Jourdain, le vaniteux et capricieux du Bourgeois gentilhomme, Trissotin, le faux savant pédant des Femmes savantes, Vadius, l’autre pédant ami et rival de Trissotin, Diafoirus et son fils, le médecin pédant et son fils que l’on veut marier à Angélique dans Le Malade imaginaire, Arnolphe, ce bourgeois qui garde Agnès ignorante afin de l’épouser dans l’Ecole des femmes, Sganarelle, bourgeois de Paris et cocu imaginaire, George Dandin le paysan ennoblit en George de la Dandinière, Scaramouche, Madame Pernelle, la mère d’Orgon qui, hypnotisée par Tartuffe, le  trouve formidable et évidemment très respectable, Tartuffe lui-même. Et ceux qui ne se déplacent pas, sont évoqués par l’Ombre de Molière : Harpagon, qui cherche encore et encore sa malheureuse cassette dans l’Avare, Au voleur ! Au voleur ! A l’assassin ! Au meurtrier !, Don Juan et Le Commandeur, Henriette, naturelle et enjouée, amoureuse de Clitandre dans les Femmes savantes, Angélique, l’épouse rebelle de George Dandin, Mariane, aimée d’Harpagon, elle qui préfère le fils  Cléante, Élmire, la discrète et intelligente femme du naïf Orgon dans Tartuffe…



LES PERSONNAGES CONVOQUES

Richepin amène au-devant de la scène d’abord les personnages négatifs, immoraux, pédants et fourbes, le plus souvent des hommes, pour nous apporter enfin les personnages plus positifs, entreprenants et intelligents, généralement des femmes. Celle qui lui fait la réplique pour son introspection est une autre femme, une Ombre, toujours présente, évidemment discrète, rapporteur objectif des actes de l’auteur.

La pièce débute par une Epitre dédicatoire, lettre lue par un orateur devant le rideau, au Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts de l’époque, Léon Bérard, l’homme qui rendit obligatoire l’étude du latin dès la sixième, qui répondit même à Edouard Herriot en latin dans l’hémicycle de la Chambre, pourfendeur aussi de l’esperanto. C’est pour cela que Jacques Richepin le titille dans cette Epitre : « On sait que l’éclat de votre mérite n’est point renfermé dans cette direction experte de notre docte Université, et dans cette Défense et Illustration de la langue française, fille du grec et du latin, à quoi vous vous employez avec tant de constante réussite… »

IL COMPTE SUR SON MOIS LE MOUCHEUR DE CHANDELLE



La première scène met en opposition Molière et La Grange. C’est la question de l’argent qui est au coeur, c’est le nerf de la guerre. « Comme on voit aujourd’hui la recette a baissé ! » Pour La Grange, « un grand poète comme vous, un grand esprit doit mépriser la foule ignare », foule que Molière trouve, lui, « souveraine ». L’art doit-il être au service du peuple ou de la création pure ? L’argent est un moyen, non une fin, « hélas ! l’argent, d’abord l’argent. »  Courir après le temps et peu souvent le temps de la réflexion : « Trente ans…depuis trente ans je cours après la chance ! Rêver une œuvre haute, une œuvre de beauté, travailler pour l’honneur, pour la postérité, je n’ai pas pu…Ce sont des plaisirs de gens riches ! Au jeu, Molière, au jeu ! » Une troupe, ce sont d’abord des responsabilités, des obligations qui ne sont pas seulement liées à la création et à l’inventivité, des obligations bassement matérielles, mais incontournables, il faut faire vivre tout ce monde : « des gens vivent de vous, obscurs, humbles, fidèles…Il compte sur son mois, le moucheur de chandelle ! Au travail ! Le roi dans huit jours veut un ballet. Pour le public, c’est une farce qui lui plaît. Au travail ! Les loyers sont en retard : le peintre veut son argent : il faut des cordes pour le cintre ! Ainsi poussé, traqué, torturé, tiraillé, voilà pendant trente ans comment j’ai travaillé ! » L’urgence est dans sa création. Fait partie de l’oeuvre. L’urgence, ce temps qui nous manque et qui apporte parmi les plus belles des créations de la littérature mondiale. Peut-être aussi cgrâce à cette urgence qui donne ce rythme puissant et rapide, cette vie intemporelle aux personnages.

A L’ASSAUT DES MECHANTS ET DES COQUINS

L’Ombre est ce personnage qui  donne ensuite la réplique à notre écrivain. Nous ne sommes plus dans les questions pécuniaires, mais sur la carte des partenaires. Qui sont les amis et les ennemis ? Mentir ou dire vrai ? Qui sont les victimes ? « Je crois avoir choisi justement mes victimes ; je n’ai cherché querelle et n’ai donné l’assaut qu’aux méchants, qu’aux coquins, qu’aux fourbes et aux sots…Oui, c’est un cauchemar parfois qui me poursuit ; j’entends des cris, j’entends des rires dans la nuit, des grincements de dents, des plaintes, des reproches… »

L’AVEUGLEMENT DE LA NATURE HUMAINE

Vient le temps des confrontations à partir de la scène quatre et c’est Monsieur Jourdain qui ouvre le bal. Ces personnages liés à la plume peuvent enfin avoir la réplique et demander des explications. Un Jourdain avec des œillères, et comme dirait l’Ombre : « Tel est l’aveuglement de la nature humaine ! ». Jourdain ne comprend pas ce qu’on lui reproche. La vanité n’a pas changé de rive : « Je danse à ravir ! …Je suis sublime quand je chante…et très fort, oui, très fort à l’escrime ! J’ai de l’esprit et je m’habille galamment ! Je suis un grand seigneur…un héros…un amant. » Jourdain poursuit sa nature un peu plus dans le ridicule qui depuis bien longtemps ne tue plus.




LES FINS DE MOIS DIFFICILES

Au seul nom de paiement, voici Harpagon qui déboule et occupe la quatrième scène. Toujours surexcité et obsédé par la perte de la trop fameuse cassette. « Tu dois connaître le voleur ! Valère…Mariane ou l’infâme Frosine ? Maître Jacque… ? Il boit mon argent dans ma cuisse ! » et que ces problèmes d’argent, Molière, lui aussi, ne les connaît-il pas ? « Tu te souviens des fins de mois où pour ta paye il te manquait quelques pistoles. » Molière aurait bien fait d’être plus économe, sous-entend-il. Mais l’Ombre vient à son secours : « Molière, avoir souffert par l’argent ! Tu verras que l’on n’en rira pas…Molière, on te plaindra. »

LUI, IL A TOUT APPRIS

Scène V. Arrivent, tels des chiens sur un os, Trissotin et Vadius qui veulent en découdre, « Ah ! Puissions-nous l’étrangler ! » Molière ne sait pas écrire, « il écrit comme il parle… », vulgairement. L’académisme ne peut supporter les écarts de langage. L’Ombre qui règle le jeu. Molière connaît la vraie vie, simplement : «  ce qui vous gêne en lui, c’est qu’il ait osé vivre. Car ce n’est qu’en vivant, lui, qu’il a tout appris. Il a cueilli la joie à la bouche qui rit et surpris la douleur dans les yeux pleins de larmes. La vie avec ses deuils, ses plaisirs, ses alarmes, elle est dans les héros faits de chair et de sang. Il écrit ce qu’il voit ; il écrit ce qu’il sent ; et c’est cela, malgré vos rages dérisoires, qui fera vos remords et qui fera sa gloire. »

PAR LES MOTS, AIDER LES GENS A VIVRE

Il ne manquait que les médecins que Molière a souvent bien traités. Et c’est une vision cauchemardesque pour Molière de voir débouler et Diafoirus et son fils, toujours à l’affût de la moindre saignée et du plus satanique lavement. Si Molière vend des illusions, celles-ci, contrairement à leurs médecines, « aident les gens à vivre » sans les précipiter vers l’au-delà. A Diafoirus, l’Ombre réplique : « Ce que vous leur vendez n’a pas le même prix, puisque lui fait mourir et que toi tu guéris ! »

TAIS-TOI, MOLIERE !

Scène VII, la scène des « cocus » qui demandent si Molière, à leur encontre, n’a pas de remords. L’Ombre dans cette affaire demande à Molière de la retenue : «Tu ne fus sûr de rien…Garde-toi d’en parler !…Tais-toi Molière !… Tais-toi, Molière ! » Mais l’amour est un domaine bien particulier où « quand on aime, on supporte tout, sauf l’abandon. »

JE FUS TON PREMIER MAÎTRE EN COMEDIE

La jeunesse et la formation de Molière constitue le cœur de la scène suivante avec son maître Scaramouche et tout ce qu’il lui doit : « c’est moi qui fus ton premier maître en comédie, qui t’appris comment, nez au vent, mine hardie, on marche, on saute, on danse, on couche, on s’assied, on fait le matamore, on fait le grimacier…Plus d’un tour de bâton que tu pris dans mon sac. » Tout le secret des mouvements, de la dynamique propre à la Commedia dell’arte.

DIEU SEUL RECONNAÎT LES SIENS

Madame Pernelle court derrière le fieffé Tartuffe, le faquin et l’imposteur dès l’entrée de la neuvième scène. L’une séduite et l’autre séducteur. L’un et l’autre n’ont rien à être sauvé : « Tout m’indigne en vous deux, et tout me scandalise, votre vertu bourgeoise…et sa vertu d’église.» Car pire que le jugement des hommes, il y a le jugement de Dieu : (L’Ombre) « Pour les croyants, les vrais, l’Eglise ce n’est rien, et c’est Dieu seul, là-haut, qui reconnaît les siens ! »

APAISER ET CONSOLER MOLIERE

Dans cette scène et après avoir déroulé l’ensemble des tares de sa société comme autant de niveaux dignes de la Divine Comédie, Molière et son Ombre crient : « Assez ! Assez de cet horrible cauchemar ! » Assez de ces laideurs et de ces monstres humains. « Non ! Plus ces yeux mauvais… ces visages hideux…Mon Ombre, puisqu’enfin nous voici seuls tous deux, toi qui m’as vu souffrir, qui me plains et qui m’aimes, ne trouveras-tu rien en cette heure suprême, parmi tout ce passé contre moi rassemblé pour apaiser Molière…et pour le consoler… ! » Viendrons les Henriette, Angélique, Mariane, Elise, Dorine, Toinette ou Elmire.

Le « bonheur s’achève » avec la dernière et dixième scène. De retour avec le La Grange de la première scène. Des sanglots et des rêves.

Jacky Lavauzelle

Texte : LA PETITE ILLUSTRATION n°84 du 11 février 1922
Théâtre – Nouvelle Série – N°61
Spectacle monté à l’occasion du tricentenaire de Molière
Molière était joué par Georges Colin lors de la première & l’Ombre par Cora Laparcerie
Mise en scène par Mme Cora Laparcerie-Richepin