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O PENÚLTIMO POEMA PESSOA ALBERTO CAEIRO L’AVANT DERNIER POEME

Poème de Fernando Pessoa
Alberto Caeiro
O PENÚLTIMO POEMA
L’AVANT DERNIER POEME





Traduction – Texte Bilingue
tradução – texto bilíngüe

Traduction Jacky Lavauzelle


LITTERATURE PORTUGAISE
POESIE PORTUGAISE

Literatura Português

FERNANDO PESSOA
1888-1935
Fernando Pesso Literatura Português Poesia e Prosa Poésie et Prose Artgitato

 





Poema de Fernando Pessoa
por Alberto Caeiro

Poème de Fernando Pessoa
Alberto Caeiro
1922

****

 

O PENÚLTIMO POEMA
L’AVANT DERNIER POEME

1ª publ. in Presença, nº 31-32, Jun. 1931
Coimbra

****

L’atelier de l’artiste
O Ateliê do Artista
José Malhoa

***

Também sei fazer conjecturas.
Je sais aussi faire des conjectures.
Há em cada coisa aquilo que ela é que a anima.
Il y a dans chaque chose tout ce qu’elle est et qui l’anime.
Na planta está por fora e é uma ninfa pequena.
Dans la plante, cela se trouve au dehors et c’est une petite nymphe…

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PASTOR O PENÚLTIMO POEMA PESSOA
 AVANT DERNIER POEME

GERMAIN NOUVEAU VILAIN (Poème)

 VILAIN GERMAIN NOUVEAU
LITTERATURE FRANCAISE
SYMBOLISME

germain-nouveau-poemes-poesie-artgitato

Germain Nouveau

31 juillet 1851 Pourrières (Var) – 4 avril 1920 Pourrières

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POEMES
VALENTINES ET AUTRES VERS

LA POESIE DE
GERMAIN NOUVEAU
VILAIN

Valentines et autres vers

Texte établi par Ernest Delahaye
Albert Messein, 1922
*
germain-nouveau-vilain-artgitato-jean-auguste-dominique-ingres-comtesse-dhaussonville Jean-Auguste-Dominique Ingres
Louise de Broglie, Comtesse d’Haussonville
1845
The Frick Collection – New York
*

GERMAIN NOUVEAU
VILAIN

J’ai connu, Madame, une Dame,
Moi vilain petit paysan,
Aussi grande de cœur et d’âme
Que… la plus grande et… fine lame
Et… pleine d’esprit… jugez-en.

Un soir, mon âme était complète,
Comme dit, après avoir bu,
Le jeune homme qui fait la fête ;
De vrai, je n’avais plus ma tête,
J’étais totalement fourbu.

J’avais l’esprit un peu morose ;
Je ne sais ce qui traversa
Ma cervelle, pour quelle cause…
« Comment, perdîtes vous… ta rose ?
Oui, Madame, contez-nous ça »

Ah ! que notre bêtise est grande !
Doux Jésus ! Amour de Sion !
Ma langue à vous se recommande…
Oui… car… pourquoi cette demande,
Ou plutôt… cette question ?…

Comment perdîtes-vous… Ta rose ?
Et j’attendais, me tenant coi.
Alors, tout doucement, sans pose,
Comme on dit, hélas ! quelque chose
En songeant à n’importe quoi.

« Bien simplement. » répondit-elle.
N’est-ce pas céleste et charmant ?
Cette réponse est immortelle.
Je voudrais d’un flot de dentelle
Encadrer ce : Bien simplement !

******

VILAIN
Germain Nouveau

LA MAXIME GERMAIN NOUVEAU POEME

LA MAXIME GERMAIN NOUVEAU
LITTERATURE FRANCAISE
SYMBOLISME

germain-nouveau-poemes-poesie-artgitato

Germain Nouveau

31 juillet 1851 Pourrières (Var) – 4 avril 1920 Pourrières

——–


POEMES
VALENTINES ET AUTRES VERS

LA POESIE DE
GERMAIN NOUVEAU
LA MAXIME

Valentines et autres vers

Texte établi par Ernest Delahaye
Albert Messein, 1922
*

LA MAXIME

La Rochefoucauld dit, Madame,
Qu’on ne doit pas parler de soi,
Ni ?… ni ?… de ?… de ?… sa ?… sa ?… sa femme.
Alors, ma conduite est infâme,
Voyez, je ne fais que ça, moi.

Je me moque de sa maxime.
Comme un fœtus dans un bocal,
J’enferme mon « moi » dans ma rime,
Ce bon « moi » dont me fait un crime
Le sévère Blaise Pascal.

Or, ce ne serait rien encore,
On excuse un… maudit travers ;
Mais j’enferme Toi que j’adore
Sur l’autel que mon souffle dore
Au Temple bâti par mes vers ;

Sous les plafonds de mon Poëme,
Sur mes tapis égyptiens,
Dans des flots d’encens, moi qui T’aime,
Je me couche auprès de Toi-même
Comme auprès du Sphinx des Anciens ;

Tel qu’un Faust prenant pour fétiche
L’un des coins brodés de tes bas,
Je Te suis dans chaque hémistiche
Où Tu bondis comme une biche,
La Biche-Femme des Sabbats ;

Comme pour la Sibylle à Cumes,
Mon quatrain Te sert de trépied,
Où, dans un vacarme d’enclumes,
Je m’abattrai, couvert d’écumes,
Pour baiser le bout de ton pied ;

À chaque endroit de la césure,
D’un bout de rythme à l’autre bout,
Tu règnes avec grâce et sûre
De remplir toute la mesure,
Assise, couchée, ou debout.

Eh, bien ! j’ai tort, je le confesse :
On doit, jaloux de sa maison,
N’en parler pas plus qu’à la messe ;
Maxime pleine de sagesse !
J’ai tort, sans doute… et j’ai raison.

Si ma raison est peu touchante,
C’est que mon tort n’est qu’apparent :
Je ne parle pas, moi, je chante ;
Comme aux jours d’Orphée ou du Dante,
Je chante, c’est bien différent.

Je ne parle pas, moi, Madame.
Vous voyez que je n’ai pas tort,
Je ne parle pas de ma femme,
Je la chante et je clame, clame,
Je clame haut, sans crier fort.

Je clame et vous chante à voix haute.
Qu’il plaise aux cœurs de m’épier,
Lequel pourra me prendre en faute ?
Je ne compte pas sans mon hôte,
J’écris « ne vends » sur ce papier.

J’écris à peine, je crayonne.
Je le répète encor plus haut,
Je chante et votre Ame rayonne.
Comme les lyres, je résonne,
Oui… d’après La Rochefoucauld.

Ah ! Monsieur !… le duc que vous êtes,
Dont la France peut se vanter,
Fait très bien tout ce que vous faites ;
Il dit aux femmes des poëtes :
« Libre aux vôtres de vous chanter !

Dès qu’il ne s’agit plus de prose,
Qu’il ne s’agit plus des humains,
Au Mont où croît le Laurier-Rose,
Qu’on chante l’une ou l’autre chose,
Pour moi, je m’en lave les mains. »

Donc, sans épater les usages,
Je ferai, Madame, sur Vous
Dix volumes de six cents pages,
Que je destine… pas aux sages,
Tous moins amoureux que les fous.

Pour terminer, une remarque,
(Si j’ose descendre à ce ton,
Madame), après, je me rembarque,
Et je vais relire Plutarque
Dans le quartier du Panthéon :

Sans la poésie et sa flamme,
(Que Vous avez, bien entendu)
Aucun mortel, je le proclame,
N’aurait jamais connu votre âme,
Rose du Paradis Perdu ;

Oui, personne, dans les Deux-Mondes,
N’aurait jamais rien su de Toi,
Sans ces… marionnettes rondes,
Les Vers bruns et les Rimes blondes,
Mais, oui, Madame, excepté moi.

*

LA MAXIME GERMAIN NOUVEAU

LA POESIE DE GERMAIN NOUVEAU

GERMAIN NOUVEAU
LITTERATURE FRANCAISE
SYMBOLISME

germain-nouveau-poemes-poesie-artgitato

Germain Nouveau

31 juillet 1851 Pourrières (Var) – 4 avril 1920 Pourrières

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POEMES

LA POESIE DE
GERMAIN NOUVEAU

 

Valentines et autres vers

Texte établi par Ernest Delahaye
Albert Messein, 1922
LA RENCONTRE
la-rencontre-germain-nouveau-artgitato-joaquin-sorolla-promenade-au-bord-de-mer-1909
*
LA MAXIME

La Rochefoucauld dit, Madame,
Qu’on ne doit pas parler de soi,

 *
LE PORTRAIT
*
LA STATUE
*
LA FEE
la-fee-germain-nouveau-artgitato-joao-marques-de-oliveira-artgitato-porto-19
*
LE NOM
*
LE TEINT
le-teint-germain-nouveau-artgitato-jean-auguste-dominique-ingres-la-grande-odalisque-1814
*

LA DEVISE

*

LE DIEU

le-dieu-germain-nouveau-artgitato-desnudo-de-mujer-1902-joaquin-sorolla
*
LA DEESSE
*

L’IDEAL

*

DANGEREUSE

Vous dangereuse ? mais sans doute !
Très dangereuse, c’est certain ;
Comme la peur que l’on écoute,

dangereuse-germain-nouveau-artgitato-jean-baptiste-greuze-le-chapeau-blanc-1780-boston
*

SPHINX

sphinx-germain-nouveau-sphinx-non-renove-1867
*

SUPÉRIEURE

*

VILAIN

 germain-nouveau-vilain-artgitato-jean-auguste-dominique-ingres-comtesse-dhaussonville
*

TOUTE NUE

Or, je suppose que nous sommes,
Madame, dans votre salon :
On parle chiffres, rentes, sommes :

toute-nue-germain-nouveau-artgitato-la-grande-odalisque-ingres-le-louvre-1814

——–


***

Germain Nouveau et les Valentines
par Louise Denise

Du recueil de madrigaux que Germain Nouveau a si joliment baptisés « Valentines », nous avons entre les mains seize pièces. L’éditeur Vanier a chez lui, paraît-il, le volume depuis longtemps composé et corrigé même sur première épreuve de la main de l’auteur. Nous ne savons trop pour quelle raison la publication en fut arrêtée.

A son retour de la Palestine, où il avait passé quelques années, Nouveau fut accueilli à Paris par un amour que le long isolement subi lui fit accepter avec une joie enfantine, une adorable reconnaissance. Les Valentines furent composées à cette époque.

Ecrits pour une femme, ces vers ne s’adressent en réalité qu’à elle seule. Elle en est le sujet et l’objet. Toutes ses grâces, toutes ses Vertus, toutes ses perfections y sont détaillées et célébrées par une imagination jamais à court, avec une merveilleuse abondance et une infinie variété. Soit qu’il évoque une à une les beautés plastiques ou morales de l’adorée, soit que, pour la mieux faire valoir, il se pare lui-même avec humilité des pires vices — et Dieu sait la fière intégrité de sa vie pauvre et retirée ! — le poète a su, avec quelle délicatesse, quel tact, quels spirituels artifices de gaieté évitant la monotonie et l’emphase, diviniser la créature humaine sans attentat sacrilège et sans blasphème. Amour sincère et profond, certes, mais dont la sincérité n’a rien de tragique, la profondeur rien de prétentieux.

Dans ces poèmes de nerveuse allure, de rare saveur et de clair style, il nous a semblé retrouver la politesse exquise, la courtoisie aisée du grand siècle, plutôt que la galanterie mignarde et effrontée du règne de Louis XV, bien que surgisse à la lecture quelque petit abbé érudit et musqué. Une ironie aimable et bienveillante, dont la noblesse est de porter sur les sentiments, plutôt que sur les personnes, y siffle à chaque phrase, merle moqueur dans une tempête d’opéra. Parfois même — et de quel imprévu ! — au milieu d’une phrase la plus artistement correcte, hardi comme un page, un gros mot, terme d’argot ou juron, se dresse, impertinent et délibéré comme un petit coq sur ses ergots.

La dernière fois que nous rencontrâmes Germain Nouveau, ce fut par hasard, avenue de l’Opéra, une après-midi de ce printemps : il remontait de son pas lent de rêveur, sa petite taille cambrée un peu, les yeux clignotants, comme d’un peintre qui cherche à localiser les grandes masses d’ombre et de lumière d’un paysage, intéressé candidement… peut-être aux foules vives évoluant dans le soleil. Nous l’accompagnâmes un instant. De l’École des Beaux-Arts, où il avait passé sa journée à feuilleter les grands albums d’architecture, il emportait un enchantement. Avec son enthousiasme autoritaire et serré comme de la belle logique, de forme gracieuse néanmoins et singulièrement pénétrant, dont il mesure discrètement les doses selon le plaisir qu’il vous devine à le partager, revivant sa joie profonde de tout à l’heure à interroger ces grandes feuilles où s’analysent et s’ordonnancent les plus glorieuses conceptions architecturales, il nous dit son admiration pour cet art où l’harmonie règne sous son expression la plus rigoureuse, le Chiffre, où l’unité s’impose, immédiate et impérieuse, par la grâce de la Perspective, théologienne incomparable qui s’efforce à ramener au point idéal les brisures des profils et les accidents des reliefs. Surtout en ce spécial dessin des architectes, en ces traits calligraphiés, limpides, mécaniques, que le compas détermine et que la règle conduit, il exaltait la Ligne.

Or, les Valentines, en leur savante ordonnance de motifs décoratifs, avec, au lieu des calligraphies dont nous parlions, leur langue quasi classique, amoureuse de pure syntaxe, d’ingénieuse élégance et de géométrique précision, ne témoigneraient-elles pas d’un effort à rechercher, au dessin tout linéaire de l’architecte et de l’ornemaniste, à cet art dont la rigueur et la probité dédaignent l’inutile secours du clair-obscur et de la couleur, une sorte d’équivalent littéraire ?

Pour nous, la lecture encore une fois achevée, il nous en reste comme la vision d’un meuble de Boule, d’une aiguière ou d’un coffret de Benvenuto Cellini. Et nous nous imaginons aussi que venant au milieu de notre littérature trouble et capiteuse, les Valentines y feront l’effet d’un diamant de belle eau tombé dans un bouquet de fleurs rares fanées un peu.

Louis Denise
Germain Nouveau et les Valentines
Mercure de France
 3, 1891
pp. 131-133

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LA RENCONTRE GERMAIN NOUVEAU POEME

LA RENCONTRE GERMAIN NOUVEAU
LITTERATURE FRANCAISE
SYMBOLISME

germain-nouveau-poemes-poesie-artgitato

Germain Nouveau

31 juillet 1851 Pourrières (Var) – 4 avril 1920 Pourrières

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POEMES
VALENTINES ET AUTRES VERS

LA POESIE DE
GERMAIN NOUVEAU
LA RENCONTRE

Valentines et autres vers

Texte établi par Ernest Delahaye
Albert Messein, 1922
*

la-rencontre-germain-nouveau-artgitato-joaquin-sorolla-promenade-au-bord-de-mer-1909Joaquin Sorolla
Promenade au bord de la mer
Paseo a orillas del mar
1909
*

LA RENCONTRE

Vous mîtes votre bras adroit,
Un soir d’été, sur mon bras… gauche.
J’aimerai toujours cet endroit,
Un café de la Rive-Gauche ;

Au bord de la Seine, à Paris :
Un homme y chante la Romance
Comme au temps… des lansquenets gris ;
Vous aviez emmené Clémence.

Vous portiez un chapeau très frais
Sous des nœuds vaguement orange,
Une robe à fleurs… sans apprêts,
Sans rien d’affecté ni d’étrange ;

Vous aviez un noir mantelet,
Une pèlerine, il me semble,
Vous étiez belle, et… s’il vous plaît,
Comment nous trouvions-nous ensemble ?

J’avais l’air, moi, d’un étranger,
Je venais de la Palestine
À votre suite me ranger,
Pèlerin de ta Pèlerine.

Je m’en revenais de Sion,
Pour baiser sa frange en dentelle,
Et mettre ma dévotion
Entière à vos pieds d’Immortelle.

Nous causions, je voyais ta voix
Dorer ta lèvre avec sa crasse,
Tes coudes sur la table en bois,
Et ta taille pleine de grâce ;

J’admirais ta petite main
Semblable à quelque serre vague,
Et tes jolis doigts de gamin,
Si chics ! qu’ils se passent de bague ;

J’aimais vos yeux, où sans effroi
Battent les ailes de votre Âme,
Qui font se baisser ceux du roi
Mieux que les siens ceux d’une femme ;

Vos yeux splendidement ouverts
Dans leur majesté coutumière…
Étaient-ils bleus ? Étaient-ils verts ?
Ils m’aveuglaient de ta lumière.

Je cherchais votre soulier fin,
Mais vous rameniez votre robe
Sur ce miracle féminin,
Ton pied, ce Dieu, qui se dérobe !

Tu parlais d’un ton triomphant,
Prenant aux feintes mignardises
De tes lèvres d’amour Enfant
Les cœurs, comme des friandises.

La rue où rit ce cabaret,
Sur laquelle a pu flotter l’Arche,
Sachant que l’Ange y descendrait,
Porte le nom d’un patriarche.

Charmant cabaret de l’Amour !
Je veux un jour y peindre à fresque
Le Verre auquel je fis ma cour.
Juin, quatre-vingt-cinq, minuit… presque.

*********

LA RENCONTRE GERMAIN NOUVEAU

Discours de la Servitude Volontaire Etienne de La Boétie 1549

Littérature Française
Introduction au Discours de la Servitude Volontaire

Étienne de La Boétie
1530-1563




Edition Bossard
1922

discours-de-la-servitude-volontaire-etienne-de-la-boetie-artgitatoSisyphe Franz von Stuck 1920

 

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE
1549
Étienne de la Boétie
Edition 1922

INTRODUCTION
DE PAUL BONNEFON
 1922

*

etienne-de-la-boetie

LE DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE
1549


D’avoir plusieurs seigneurs aucun bien je n’y voi :
Qu’un, sans plus, soit le maître et qu’un seul soit le roi,

ce disait Ulysse en Homère, parlant en public. S’il n’eût rien plus dit, sinon

D’avoir plusieurs seigneurs aucun bien je n’y voi…

c’était autant bien dit que rien plus ; mais, au lieu que, pour le raisonner, il fallait dire que la domination de plusieurs ne pouvait être bonne, puisque la puissance d’un seul, dès lors qu’il prend ce titre de maître, est dure et déraisonnable, il est allé ajouter, tout au rebours.

Qu’un, sans plus, soit le maître, et qu’un seul soit le roi.

Il en faudrait, d’aventure, excuser Ulysse, auquel, possible, lors était besoin d’user de ce langage pour apaiser la révolte de l’armée ; conformant, je crois, son propos plus au temps qu’à la vérité. Mais, à parler à bon escient, c’est un extrême malheur d’être sujet à un maître, duquel on ne se peut jamais assurer qu’il soit bon, puisqu’il est toujours en sa puissance d’être mauvais quand il voudra ; et d’avoir plusieurs maîtres, c’est, autant qu’on en a, autant de fois être extrêmement malheureux. Si ne veux-je pas, pour cette heure, débattre cette question tant pourmenée, si les autres façons de république sont meilleures que la monarchie, encore voudrais-je savoir, avant que mettre en doute quel rang la monarchie doit avoir entre les républiques, si elle en y doit avoir aucun, pour ce qu’il est malaisé de croire qu’il y ait rien de public en ce gouvernement, où tout est à un. Mais cette question est réservée pour un autre temps, et demanderait bien son traité à part, ou plutôt amènerait quant et soi toutes les disputes politiques.

Pour ce coup, je ne voudrais sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’a pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer ; qui ne saurait leur faire mal aucun, sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire. Grand’chose certes, et toutefois si commune qu’il s’en faut de tant plus douloir et moins s’ébahir voir un million de millions d’hommes servir misérablement, ayant le col sous le joug, non pas contraints par une plus grande force, mais aucunement (ce semble) enchantés et charmés par le nom seul d’un, duquel ils ne doivent ni craindre la puissance, puisqu’il est seul, ni aimer les qualités, puisqu’il est en leur endroit inhumain et sauvage. La faiblesse d’entre nous hommes est telle, [qu’]il faut souvent que nous obéissions à la force, il est besoin de temporiser, nous ne pouvons pas toujours être les plus forts. Donc, si une nation est contrainte par la force de la guerre de servir à un, comme la cité d’Athènes aux trente tyrans, il ne se faut pas ébahir qu’elle serve, mais se plaindre de l’accident ; ou bien plutôt ne s’ébahir ni ne s’en plaindre, mais porter le mal patiemment et se réserver à l’avenir à meilleure fortune.

Notre nature est ainsi, que les communs devoirs de l’amitié l’emportent une bonne partie du cours de notre vie ; il est raisonnable d’aimer la vertu, d’estimer les beaux faits, de reconnaître le bien d’où l’on l’a reçu, et diminuer souvent de notre aise pour augmenter l’honneur et avantage de celui qu’on aime et qui le mérite. Ainsi donc, si les habitants d’un pays ont trouvé quelque grand personnage qui leur ait montré par épreuve une grande prévoyance pour les garder, une grande hardiesse pour les défendre, un grand soin pour les gouverner ; si, de là en avant, ils s’apprivoisent de lui obéir et s’en fier tant que de lui donner quelques avantages, je ne sais si ce serait sagesse, de tant qu’on l’ôte de là où il faisait bien, pour l’avancer en lieu où il pourra mal faire ; mais certes, si ne pourrait-il faillir d’y avoir de la bonté, de ne craindre point mal de celui duquel on n’a reçu que bien.

Mais, ô bon Dieu ! que peut être cela ? comment dirons-nous que cela s’appelle ? quel malheur est celui-là ? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernés, mais tyrannisés ; n’ayant ni biens ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ! souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d’un seul ; non pas d’un Hercule ni d’un Samson, mais d’un seul hommeau, et le plus souvent le plus lâche et femelin de la nation ; non pas accoutumé à la poudre des batailles, mais encore à grand peine au sable des tournois ; non pas qui puisse par force commander aux hommes, mais tout empêché de servir vilement à la moindre femmelette ! Appellerons-nous cela lâcheté ? dirons-nous que ceux qui servent soient couards et recrus ? Si deux, si trois, si quatre ne se défendent d’un, cela est étrange, mais toutefois possible ; bien pourra-l’on dire, à bon droit, que c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille endurent d’un seul, ne dira-l’on pas qu’ils ne veulent point, non qu’ils n’osent pas se prendre à lui, et que c’est non couardise, mais plutôt mépris ou dédain ? Si l’on voit, non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes, n’assaillir pas un seul, duquel le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela ? est-ce lâcheté ? Or, il y a en tous vices naturellement quelque borne, outre laquelle ils ne peuvent passer : deux peuvent craindre un, et possible dix ; mais mille, mais un million, mais mille villes, si elles ne se défendent d’un, cela n’est pas couardise, elle ne va point jusque-là ; non plus que la vaillance ne s’étend pas qu’un seul échelle une forteresse, qu’il assaille une armée, qu’il conquête un royaume. Donc quel monstre de vice est ceci qui ne mérite pas encore le titre de couardise, qui ne trouve point de nom assez vilain, que la nature désavoue avoir fait et la langue refuse de nommer ?

Qu’on mette d’un côté cinquante mille hommes en armes, d’un autre autant ; qu’on les range en bataille ; qu’ils viennent à se joindre, les uns libres, combattant pour leur franchise, les autres pour la leur ôter : auxquels promettra-l’on par conjecture la victoire ? Lesquels pensera-l’on qui plus gaillardement iront au combat, ou ceux qui espèrent pour guerdon de leurs peines l’entretènement de leur liberté, ou ceux qui ne peuvent attendre autre loyer des coups qu’ils donnent ou qu’ils reçoivent que la servitude d’autrui ? Les uns ont toujours devant les yeux le bonheur de la vie passée, l’attente de pareil aise à l’avenir ; il ne leur souvient pas tant de ce qu’ils endurent, le temps que dure une bataille, comme de ce qu’il leur conviendra à jamais endurer, à eux, à leurs enfants et à toute la postérité. Les autres n’ont rien qui les enhardie qu’une petite pointe de convoitise qui se rebouche soudain contre le danger et qui ne peut être si ardente qu’elle ne se doive, ce semble, éteindre par la moindre goutte de sang qui sorte de leurs plaies. Aux batailles tant renommées de Miltiade, de Léonide, de Thémistocle, qui ont été données deux mille ans y a et qui sont encore aujourd’hui aussi fraîches en la mémoire des livres et des hommes comme si c’eût été l’autre hier, qui furent données en Grèce pour le bien des Grecs et pour l’exemple de tout le monde, qu’est-ce qu’on pense qui donna à si petit nombre de gens comme étaient les Grecs, non le pouvoir, mais le cœur de soutenir la force de navires que la mer même en était chargée, de défaire tant de nations, qui étaient en si grand nombre que l’escadron des Grecs n’eût pas fourni, s’il eût fallu, des capitaines aux armées des ennemis, sinon qu’il semble qu’à ces glorieux jours-là ce n’était pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, comme la victoire de la liberté sur la domination, de la franchise sur la convoitise ?

C’est chose étrange d’ouïr parler de la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la défendent ; mais ce qui se fait en tous pays, par tous les hommes, tous les jours, qu’un homme mâtine cent mille et les prive de leur liberté, qui le croirait, s’il ne faisait que l’ouïr dire et non le voir ? Et, s’il ne se faisait qu’en pays étranges et lointaines terres, et qu’on le dit, qui ne penserait que cela fut plutôt feint et trouvé que non pas véritable ? Encore ce seul tyran, il n’est pas besoin de le combattre, il n’est pas besoin de le défaire, il est de soi-même défait, mais que le pays ne consente à sa servitude ; il ne faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner rien ; il n’est pas besoin que le pays se mette en peine de faire rien pour soi, pourvu qu’il ne fasse rien contre soi. Ce sont donc les peuples mêmes qui se laissent ou plutôt se font gourmander, puisqu’en cessant de servir ils en seraient quittes ; c’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse. S’il lui coûtait quelque chose à recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais point, combien qu’est-ce que l’homme doit avoir plus cher que de se remettre en son droit naturel, et, par manière de dire, de bête revenir homme ; mais encore je ne désire pas en lui si grande hardiesse ; je lui permets qu’il aime mieux je ne sais quelle sûreté de vivre misérablement qu’une douteuse espérance de vivre à son aise. Quoi ? si pour avoir liberté il ne faut que la désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il nation au monde qui l’estime encore trop chère, la pouvant gagner d’un seul souhait, et qui plaigne la volonté à recouvrer le bien lequel il devrait racheter au prix de son sang, et lequel perdu, tous les gens d’honneur doivent estimer la vie déplaisante et la mort salutaire ? Certes, comme le feu d’une petite étincelle devient grand et toujours se renforce, et plus il trouve de bois, plus il est prêt d’en brûler, et, sans qu’on y mette de l’eau pour l’éteindre, seulement en n’y mettant plus de bois, n’ayant plus que consommer, il se consomme soi-même et vient sans force aucune et non plus feu : pareillement les tyrans, plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur baille, plus on les sert, de tant plus ils se fortifient et deviennent toujours plus forts et plus frais pour anéantir et détruire tout ; et si on ne leur baille rien, si on ne leur obéit point, sans combattre, sans frapper, ils demeurent nus et défaits et ne sont plus rien, sinon que comme la racine, n’ayant plus d’humeur ou aliment, la branche devient sèche et morte.

Les hardis, pour acquérir le bien qu’ils demandent, ne craignent point le danger ; les avisés ne refusent point la peine : les lâches et engourdis ne savent ni endurer le mal, ni recouvrer le bien ; ils s’arrêtent en cela de le souhaiter, et la vertu d’y prétendre leur est ôtée par leur lâcheté ; le désir de l’avoir leur demeure par la nature. Ce désir, cette volonté est commune aux sages et aux indiscrets, aux courageux et aux couards, pour souhaiter toutes choses qui, étant acquises, les rendraient heureux et contents : une seule chose est à dire, en laquelle je ne sais comment nature défaut aux hommes pour la désirer ; c’est la liberté, qui est toutefois un bien si grand et si plaisant, qu’elle perdue, tous les maux viennent à la file, et les biens même qui demeurent après elle perdent entièrement leur goût et saveur, corrompus par la servitude : la seule liberté, les hommes ne la désirent point, non pour autre raison, ce semble, sinon que s’ils la désiraient, ils l’auraient, comme s’ils refusaient de faire ce bel acquêt, seulement parce qu’il est trop aisé.

Pauvres et misérables peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez emporter devant vous le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, voler vos maisons et les dépouiller des meubles anciens et paternels ! Vous vivez de sorte que vous ne vous pouvez vanter que rien soit à vous ; et semblerait que meshui ce vous serait grand heur de tenir à ferme vos biens, vos familles et vos vies ; et tout ce dégât, ce malheur, cette ruine, vous vient, non pas des ennemis, mais certes oui bien de l’ennemi, et de celui que vous faites si grand qu’il est, pour lequel vous allez si courageusement à la guerre, pour la grandeur duquel vous ne refusez point de présenter à la mort vos personnes. Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, et n’a autre chose que ce qu’a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux, dont il vous épie, si vous ne les lui baillez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il, s’ils ne sont des vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous ? Comment vous oserait-il courir sus, s’il n’avait intelligence avec vous ? Que vous pourrait-il faire, si vous n’étiez recéleurs du larron qui vous pille, complices du meurtrier qui vous tue et traîtres à vous-mêmes ? Vous semez vos fruits, afin qu’il en fasse le dégât ; vous meublez et remplissez vos maisons, afin de fournir à ses pilleries ; vous nourrissez vos filles, afin qu’il ait de quoi soûler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, afin que, pour le mieux qu’il leur saurait faire, il les mène en ses guerres, qu’il les conduise à la boucherie, qu’il les fasse les ministres de ses convoitises, et les exécuteurs de ses vengeances ; vous rompez à la peine vos personnes, afin qu’il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs ; vous vous affaiblissez, afin de le rendre plus fort et roide à vous tenir plus courte la bride ; et de tant d’indignités, que les bêtes mêmes ou ne les sentiraient point, ou ne l’endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous l’essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre.

Mais certes les médecins conseillent bien de ne mettre pas la main aux plaies incurables, et je ne fais pas sagement de vouloir prêcher en ceci le peuple qui perdu, longtemps a, toute connaissance, et duquel, puisqu’il ne sent plus son mal, cela montre assez que sa maladie est mortelle. Cherchons donc par conjecture, si nous en pouvons trouver, comment s’est ainsi si avant enracinée cette opiniâtre volonté de servir, qu’il semble maintenant que l’amour même de la liberté ne soit pas si naturelle.

Premièrement, cela est, comme je crois, hors de doute que, si nous vivions avec les droits que la nature nous a donnés et avec les enseignements qu’elle nous apprend, nous serions naturellement obéissants aux parents, sujets à la raison, et serfs de personne. De l’obéissance que chacun, sans autre avertissement que de son naturel, porte à ses père et mère, tous les hommes s’en sont témoins, chacun pour soi ; de la raison, si elle naît avec nous, ou non, qui est une question débattue à fond par les académiques et touchée par toute l’école des philosophes. Pour cette heure je ne penserai point faillir en disant cela, qu’il y a en notre âme quelque naturelle semence de raison, laquelle, entretenue par bon conseil et coutume, florit en vertu, et, au contraire, souvent ne pouvant durer contre les vices survenus, étouffée, s’avorte. Mais certes, s’il y a rien de clair ni d’apparent en la nature et où il ne soit pas permis de faire l’aveugle, c’est cela que la nature, le ministre de Dieu, la gouvernante des hommes, nous a tous faits de même forme, et, comme il semble, à même moule, afin de nous entreconnaître tous pour compagnons ou plutôt pour frères ; et si, faisant les partages des présents qu’elle nous faisait, elle a fait quelque avantage de son bien, soit au corps ou en l’esprit, aux uns plus qu’aux autres, si n’a-t-elle pourtant entendu nous mettre en ce monde comme dans un camp clos, et n’a pas envoyé ici-bas les plus forts ni les plus avisés, comme des brigands armés dans une forêt, pour y gourmander les plus faibles ; mais plutôt faut-il croire que, faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle voulait faire place à la fraternelle affection, afin qu’elle eût où s’employer, ayant les uns puissance de donner aide, les autres besoin d’en recevoir. Puis donc que cette bonne mère nous a donné à tous toute la terre pour demeure, nous a tous logés aucunement en même maison, nous a tous figurés à même patron, afin que chacun se put mirer et quasi reconnaître l’un dans l’autre ; si elle nous a donné à tous ce grand présent de la voix et de la parole pour nous accointer et fraterniser davantage, et faire, par la commune et mutuelle déclaration de nos pensées, une communion de nos volontés ; et si elle a tâché par tous moyens de serrer et étreindre si fort le nœud de notre alliance et société ; si elle a montré, en toutes choses, qu’elle ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns, il ne faut pas faire doute que nous ne soyons naturellement libres, puisque nous sommes tous compagnons, et ne peut tomber en l’entendement de personne que nature ait mis aucun en servitude, nous ayant tous mis en compagnie.

Mais, à la vérité, c’est bien pour néant de débattre si la liberté est naturelle, puisqu’on ne peut tenir aucun en servitude sans lui faire tort, et qu’il n’y a rien si contraire au monde à la nature, étant toute raisonnable, que l’injure. Reste donc la liberté être naturelle, et par même moyen, à mon avis, que nous ne sommes pas nés seulement en possession de notre franchise, mais aussi avec affectation de la défendre. Or, si d’aventure nous nous faisons quelque doute en cela, et sommes tant abâtardis que ne puissions reconnaître nos biens ni semblablement nos naïves affections, il faudra que je vous fasse l’honneur qui vous appartient, et que je monte, par manière de dire, les bêtes brutes en chaire, pour vous enseigner votre nature et condition. Les bêtes, ce maid’ Dieu ! si les hommes ne font trop les sourds, leur crient : Vive liberté ! Plusieurs en y a d’entre elles qui meurent aussitôt qu’elles sont prises : comme le poisson quitte la vie aussitôt que l’eau, pareillement celles-là quittent la lumière et ne veulent point survivre à leur naturelle franchise. Si les animaux avaient entre eux quelques prééminences, ils feraient de celles-là leur noblesse. Les autres, des plus grandes jusqu’aux plus petites, lorsqu’on les prend, font si grande résistance d’ongles, de cornes, de bec et de pieds, qu’elles déclarent assez combien elles tiennent cher ce qu’elles perdent ; puis, étant prises, elles nous donnent tant de signes apparents de la connaissance qu’elles ont de leur malheur, qu’il est bel à voir que ce leur est plus languir que vivre, et qu’elles continuent leur vie plus pour plaindre leur aise perdue que pour se plaire en servitude. Que veut dire autre chose l’éléphant qui, s’étant défendu jusqu’à n’en pouvoir plus, n’y voyant plus d’ordre, étant sur le point d’être pris, il enfonce ses mâchoires et casse ses dents contre les arbres, sinon que le grand désir qu’il a de demeurer libre, ainsi qu’il est, lui fait de l’esprit et l’avise de marchander avec les chasseurs si, pour le prix de ses dents, il en sera quitte, et s’il sera reçu de bailler son ivoire et payer cette rançon pour sa liberté ? Nous appâtons le cheval dès lors qu’il est né pour l’apprivoiser à servir ; et si ne le savons-nous si bien flatter que, quand ce vient à le dompter, il ne morde le frein, qu’il ne rue contre l’éperon, comme (ce semble) pour montrer à la nature et témoigner au moins par là que, s’il sert, ce n’est pas de son gré, ainsi par notre contrainte. Que faut-il donc dire ?

Même les bœufs sous le poids du joug geignent,
Et les oiseaux dans la cage se plaignent,

comme j’ai dit autrefois, passant le temps à nos rimes françaises ; car je ne craindrai point, écrivant à toi, ô Longa, mêler de mes vers, desquels je ne lis jamais que, pour le semblant que tu fais de t’en contenter, tu ne m’en fasses tout glorieux. Ainsi donc, puisque toutes choses qui ont sentiment, dès lors qu’elles l’ont, sentent le mal de la sujétion et courent après la liberté, puisque les bêtes, qui encore sont faites pour le service de l’homme, ne se peuvent accoutumer à servir qu’avec protestation d’un désir contraire, quel malencontre a été cela qui a pu tant dénaturer l’homme, seul né, de vrai, pour vivre franchement, et lui faire perdre la souvenance de son premier être et le désir de le reprendre ?

Il y a trois sortes de tyrans : les uns ont le royaume par élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par succession de leur race. Ceux qui les ont acquis par le droit de la guerre, ils s’y portent ainsi qu’on connaît bien qu’ils sont (comme l’on dit) en terre de conquête. Ceux-là qui naissent rois ne sont pas communément guère meilleurs, ainsi étant nés et nourris dans le sein de la tyrannie, tirent avec le lait la nature du tyran, et font état des peuples qui sont sous eux comme de leurs serfs héréditaires ; et, selon la complexion de laquelle ils sont plus enclins, avares ou prodigues, tels qu’ils sont, ils font du royaume comme de leur héritage. Celui à qui le peuple a donné l’état devrait être, ce me semble, plus insupportable, et le serait, comme je crois, n’était que dès lors qu’il se voit élevé par-dessus les autres, flatté par je ne sais quoi qu’on appelle la grandeur, il délibère de n’en bouger point ; communément celui-là fait état de rendre à ses enfants la puissance que le peuple lui a laissée : et dès lors que ceux-là ont pris cette opinion, c’est chose étrange de combien ils passent en toutes sortes de vices et même en la cruauté, les autres tyrans, ne voyant autres moyens pour assurer la nouvelle tyrannie que d’étreindre si fort la servitude et étranger tant leurs sujets de la liberté, qu’encore que la mémoire en soit fraîche, ils la leur puissent faire perdre. Ainsi, pour en dire la vérité, je vois bien qu’il y a entre eux quelque différence, mais de choix, je n’y en vois point ; et étant les moyens de venir aux règnes divers, toujours la façon de régner est quasi semblable : les élus, comme s’ils avaient pris des taureaux à dompter, ainsi les traitent-ils ; les conquérants en font comme de leur proie ; les successeurs pensent d’en faire ainsi que de leurs naturels esclaves.

Mais à propos, si d’aventure il naissait aujourd’hui quelques gens tout neufs, ni accoutumés à la sujétion, ni affriandés à la liberté, et qu’ils ne sussent que c’est ni de l’un ni de l’autre, ni à grand peine des noms ; si on leur présentait ou d’être serfs, ou vivre francs, selon les lois desquelles ils ne s’accorderaient : il ne faut pas faire doute qu’ils n’aimassent trop mieux obéir à la raison seulement que servir à un homme ; sinon, possible, que ce fussent ceux d’Israël, qui, sans contrainte ni aucun besoin, se firent un tyran : duquel peuple je ne lis jamais l’histoire que je n’en aie trop grand dépit, et quasi jusqu’à en devenir inhumain pour me réjouir de tant de maux qui leur en advinrent. Mais certes tous les hommes, tant qu’ils ont quelque chose d’homme, devant qu’ils se laissent assujétir, il faut l’un des deux, qu’ils soient contraints ou déçus : contraints par des armes étrangères, comme Sparte ou Athènes par les forces d’Alexandre, ou par les factions, ainsi que la seigneurie d’Athènes était devant venue entre les mains de Pisistrate. Par tromperie perdent-ils souvent la liberté, et, en ce, ils ne sont pas si souvent séduits par autrui comme ils sont trompés par eux-mêmes : ainsi le peuple de Syracuse, la maîtresse ville de Sicile (on me dit qu’elle s’appelle aujourd’hui Saragousse), étant pressé par les guerres, inconsidérément ne mettant ordre qu’au danger présent, éleva Denis, le premier tyran, et lui donna la charge de la conduite de l’armée, et ne se donna garde qu’il l’eût fait si grand que cette bonne pièce-là, revenant victorieux, comme s’il n’eût pas vaincu ses ennemis mais ses citoyens, se fit de capitaine roi, et de roi tyran. Il n’est pas croyable comme le peuple, dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la franchise, qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir, servant si franchement et tant volontiers qu’on dirait, à le voir, qu’il a non pas perdu sa liberté, mais gagné sa servitude. Il est vrai qu’au commencement on sert contraint et vaincu par la force ; mais ceux qui viennent après servent sans regret et font volontiers ce que leurs devanciers avaient fait par contrainte. C’est cela, que les hommes naissant sous le joug, et puis nourris et élevés dans le servage, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés, et ne pensent point avoir autre bien ni autre droit que ce qu’ils ont trouvé, ils prennent pour leur naturel l’état de leur naissance. Et toutefois il n’est point d’héritier si prodigue et nonchalant que quelquefois ne passe les yeux sur les registres de son père, pour voir s’il jouit de tous les droits de sa succession, ou si l’on n’a rien entrepris sur lui ou son prédécesseur. Mais certes la coutume, qui a en toutes choses grand pouvoir sur nous, n’a en aucun endroit si grande vertu qu’en ceci, de nous enseigner à servir et, comme l’on dit de Mithridate qui se fit ordinaire à boire le poison, pour nous apprendre à avaler et ne trouver point amer le venin de la servitude. L’on ne peut pas nier que la nature n’ait en nous bonne part, pour nous tirer là où elle veut et nous faire dire bien ou mal nés ; mais si faut il confesser qu’elle a en nous moins de pouvoir que la coutume : pour ce que le naturel, pour bon qu’il soit, se perd s’il n’est entretenu ; et la nourriture nous fait toujours de sa façon, comment que ce soit, maugré la nature. Les semences de bien que la nature met en nous sont si menues et glissantes qu’elles ne peuvent endurer le moindre heurt de la nourriture contraire ; elles ne s’entretiennent pas si aisément comme elles s’abâtardissent, se fondent et viennent à rien : ni plus ni moins que les arbres fruitiers, qui ont bien tous quelque naturel à part, lequel ils gardent bien si on les laisse venir, mais ils le laissent aussitôt pour porter d’autres fruits étrangers et non les leurs, selon qu’on les tente. Les herbes ont chacune leur propriété, leur naturel et singularité ; mais toutefois le gel, le temps, le terroir ou la main du jardinier y ajoutent ou diminuent beaucoup de leur vertu : la plante qu’on a vue en un endroit, on est ailleurs empêché de la reconnaître. Qui verrait les Vénitiens, une poignée de gens vivant si librement que le plus méchant d’entre eux ne voudrait pas être le roi de tous, ainsi nés et nourris qu’ils ne reconnaissent point d’autre ambition sinon à qui mieux avisera et plus soigneusement prendra garde à entretenir la liberté, ainsi appris et faits dès le berceau qu’ils ne prendraient point tout le reste des félicités de la terre pour perdre le moindre de leur franchise ; qui aura vu, dis-je, ces personnages-là, et au partir de là s’en ira aux terres de celui que nous appellons Grand Seigneur, voyant là des gens qui ne veulent être nés que pour le servir, et qui pour maintenir sa puissance abandonnent leur vie, penserait-il que ceux-là et les autres eussent un même naturel, ou plutôt s’il n’estimerait pas que, sortant d’une cité d’hommes, il était entré dans un parc de bêtes ? Lycurgue, le policier de Sparte, avait nourri, ce dit-on, deux chiens, tous deux frères, tous deux allaités de même lait, l’un engraissé en la cuisine, l’autre accoutumé par les champs au son de la trompe et du huchet, voulant montrer au peuple lacédémonien que les hommes sont tels que la nourriture les fait, mit les deux chiens en plein marché, et entre eux une soupe et un lièvre : l’un courut au plat et l’autre au lièvre. « Toutefois, dit-il, si sont-ils frères ». Donc celui-là, avec ses lois et sa police, nourrit et fit si bien les Lacédémoniens, que chacun d’eux eut plus cher de mourir de mille morts que de reconnaître autre seigneur que le roi et la raison.

Je prends plaisir de ramentevoir un propos que tinrent jadis un des favoris de Xerxès, le grand roi des Persans, et deux Lacédémoniens. Quand Xerxès faisait les appareils de sa grande armée pour conquérir la Grèce, il envoya ses ambassadeurs par les cités grégeoises demander de l’eau et de la terre : c’était la façon que les Persans avaient de sommer les villes de se rendre à eux. À Athènes ni à Sparte n’envoya-t-il point, pour ce que ceux que Daire, son père, y avait envoyés, les Athéniens et les Spartiens en avaient jeté les uns dedans les fosses, les autres dans les puits, leur disant qu’ils prinsent hardiment de là de l’eau et de la terre pour porter à leur prince : ces gens ne pouvaient souffrir que, de la moindre parole seulement, on touchât à leur liberté. Pour en avoir ainsi usé, les Spartains connurent qu’ils avaient encouru la haine des dieux, même de Talthybie, le dieu des hérauts : ils s’avisèrent d’envoyer à Xerxès, pour les apaiser, deux de leurs citoyens, pour se présenter à lui, qu’il fît d’eux à sa guise, et se payât de là pour les ambassadeurs qu’ils avaient tués à son père. Deux Spartains, l’un nommé Sperte et l’autre Bulis, s’offrirent à leur gré pour aller faire ce paiement. De fait ils y allèrent, et en chemin ils arrivèrent au palais d’un Persan qu’on nommait Indarne, qui était lieutenant du roi en toutes les villes d’Asie qui sont sur les côtes de la mer. Il les accueillit fort honorablement et leur fit grande chère, et, après plusieurs propos tombant de l’un de l’autre, il leur demanda pourquoi ils refusaient tant l’amitié du roi. « Voyez, dit-il, Spartains, et connaissez par moi comment le roi sait honorer ceux qui le valent, et pensez que si vous étiez à lui, il vous ferait de même : si vous étiez à lui et qu’il vous eût connu, il n’y a celui d’entre vous qui ne fût seigneur d’une ville de Grèce. — En ceci, Indarne, tu ne nous saurais donner bon conseil, dirent les Lacédémoniens, pour ce que le bien que tu nous promets, tu l’as essayé, mais celui dont nous jouissons, tu ne sais que c’est : tu as éprouvé la faveur du roi ; mais de la liberté, quel goût elle a, combien elle est douce, tu n’en sais rien. Or, si tu en avais tâté, toi-même nous conseillerais-tu la défendre, non pas avec la lance et l’écu, mais avec les dents et les ongles. » Le seul Spartain disait ce qu’il fallait dire, mais certes et l’un et l’autre parlait comme il avait été nourri ; car il ne se pouvait faire que le Persan eût regret à la liberté, ne l’ayant jamais eue, ni que le Lacédémonien endurât la sujétion, ayant goûté la franchise.

Caton l’Uticain, étant encore enfant et sous la verge, allait et venait souvent chez Sylla le dictateur, tant pour ce qu’à raison du lieu et maison dont il était, on ne lui refusait jamais la porte, qu’aussi ils étaient proches parents. Il avait toujours son maître quand il y allait, comme ont accoutumé les enfants de bonne maison. Il s’aperçut que, dans l’hôtel de Sylla, en sa présence ou par son consentement, on emprisonnait les uns, on condamnait les autres ; l’un était banni, l’autre étranglé ; l’un demandait la confiscation d’un citoyen, l’autre la tête ; en somme, tout y allait non comme chez un officier de ville, mais comme chez un tyran de peuple, et c’était non pas un parquet de justice, mais un ouvroir de tyrannie. Si dit lors à son maître ce jeune gars : « Que ne me donnez-vous un poignard ? Je le cacherai sous ma robe : j’entre souvent dans la chambre de Sylla avant qu’il soit levé, j’ai le bras assez fort pour en dépêcher la ville. » Voilà certes une parole vraiment appartenant à Caton : c’était un commencement de ce personnage, digne de sa mort. Et néanmoins qu’on ne die ni son nom ni son pays, qu’on conte seulement le fait tel qu’il est, la chose même parlera et jugera l’on, à belle aventure, qu’il était Romain et né dedans Rome, et lors qu’elle était libre. À quel propos tout ceci ? Non pas certes que j’estime que le pays ni le terroir y fassent rien, car en toutes contrées, en tout air, est amère la sujétion et plaisant d’être libre ; mais parce que je suis d’avis qu’on ait pitié de ceux qui, en naissant, se sont trouvés le joug sous le col, ou bien que si on les excuse, ou bien qu’on leur pardonne, si, n’ayant vu seulement l’ombre de la liberté et n’en étant point avertis, ils ne s’aperçoivent point du mal que ce leur est d’être esclaves. S’il y avait quelque pays, comme dit Homère des Cimmériens, où le soleil se montre autrement qu’à nous, et après leur avoir éclairé six mois continuels, il les laisse sommeillants dans l’obscurité sans les venir revoir de l’autre demie année, ceux qui naîtraient pendant cette longue nuit, s’ils n’avaient pas ouï parler de la clarté, s’ébahiraient ou si, n’ayant point vu de jour, ils s’accoutumaient aux ténèbres où ils sont nés, sans désirer la lumière ? On ne plaint jamais ce que l’on n’a jamais eu, et le regret ne vient point sinon qu’après le plaisir, et toujours est, avec la connaissance du mal, la souvenance de la joie passée. La nature de l’homme est bien d’être franc et de le vouloir être, mais aussi sa nature est telle que naturellement il tient le pli que la nourriture lui donne.

Disons donc ainsi, qu’à l’homme toutes choses lui sont comme naturelles, à quoi il se nourrit et accoutume ; mais cela seulement lui est naïf, à quoi la nature simple et non altérée l’appelle : ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est la coutume : comme des plus braves courtauds, qui au commencement mordent le frein et puis s’en jouent, et là où naguères ruaient contre la selle, ils se parent maintenant dans les harnais et tout fiers se gorgiassent sous la barde. Ils disent qu’ils ont été toujours sujets, que leurs pères ont ainsi vécu ; ils pensent qu’ils sont tenus d’endurer le mal et se font accroire par exemple, et fondent eux-mêmes sous la longueur du temps la possession de ceux qui les tyrannisent ; mais pour vrai, les ans ne donnent jamais droit de mal faire, ainsi agrandissent l’injure. Toujours s’en trouve il quelques-uns, mieux nés que les autres, qui sentent le poids du joug et ne se peuvent tenir de le secouer ; qui ne s’apprivoisent jamais de la sujétion et qui toujours, comme Ulysse, qui par mer et par terre cherchait toujours de voir de la fumée de sa case, ne se peuvent tenir d’aviser à leurs naturels privilèges et de se souvenir de leurs prédécesseurs et de leur premier être ; ceux sont volontiers ceux-là qui, ayant l’entendement net et l’esprit clairvoyant, ne se contentent pas comme le gros populas, de regarder ce qui est devant leurs pieds s’ils n’avisent et derrière et devant et ne remémorent encore les choses passées pour juger de celles du temps à venir et pour mesurer les présentes ; ce sont ceux qui, ayant la tête d’eux-mêmes bien faite, l’ont encore polie par l’étude et le savoir. Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et toute hors du monde, l’imaginent et la sentent en leur esprit, et encore la savourent, et la servitude ne leur est de goût, pour tant bien qu’on l’accoutre.

Le grand Turc s’est bien avisé de cela, que les livres et la doctrine donnent, plus que toute autre chose, aux hommes le sens et l’entendement de se reconnaître et d’haïr la tyrannie ; j’entends qu’il n’a en ses terres guère de gens savants ni n’en demande. Or, communément, le bon zéle et affection de ceux qui ont gardé malgré le temps la dévotion à la franchise, pour si grand nombre qu’il y en ait, demeure sans effet pour ne s’entreconnaître point : la liberté leur est toute ôtée, sous le tyran, de faire, de parler et quasi de penser ; ils deviennent tous singuliers en leurs fantaisies. Donc, Momes, le dieu moqueur, ne se moqua pas trop quand il trouva cela à redire en l’homme que Vulcain avait fait, de quoi il ne lui avait mis une petite fenêtre au cœur, afin que par là on put voir ses pensées. L’on voulsit bien dire que Brute et Casse, lorsqu’ils entreprindrent la délivrance de Rome, ou plutôt de tout le monde, ne voulurent pas que Cicéron, ce grand zélateur du bien public s’il en fut jamais, fut de la partie, et estimèrent son cœur trop faible pour un fait si haut : ils se fiaient bien de sa volonté, mais ils ne s’assuraient point de son courage. Et toutefois, qui voudra discourir les faits du temps passé et les annales anciennes, il s’en trouvera peu ou point de ceux qui voyant leur pays mal mené et en mauvaises mains, aient entrepris d’une intention bonne, entière et non feinte, de le délivrer, qui n’en soient venus à bout, et que la liberté, pour se faire paraître, ne se soit elle-même fait épaule. Harmode, Aristogiton, Thrasybule, Brute le vieux, Valère et Dion, comme ils l’ont vertueusement pensé, l’exécutèrent heureusement ; en tel cas, quasi jamais à bon vouloir ne défend la fortune. Brute le jeune et Casse ôtèrent bien heureusement la servitude, mais en ramenant la liberté ils moururent : non pas misérablement (car quel blasphème serait-ce de dire qu’il y ait eu rien de misérable en ces gens-là, ni en leur mort, ni en leur vie ?) mais certes au grand dommage, perpétuel malheur et entière ruine de la république, laquelle fut, comme il semble, enterrée avec eux. Les autres entreprises qui ont été faites depuis contre les empereurs romains n’étaient que conjurations de gens ambitieux, lesquels ne sont pas à plaindre des inconvénients qui leur en sont advenus, étant bel à voir qu’ils désiraient, non pas ôter, mais remuer la couronne, prétendant chasser le tyran et retenir la tyrannie. À ceux-ci je ne voudrais pas moi-même qu’il leur en fut bien succédé, et suis content qu’ils aient montré, par leur exemple, qu’il ne faut pas abuser du saint nom de liberté pour faire mauvaise entreprise.

Mais pour revenir à notre propos, duquel je m’étais quasi perdu, la première raison pourquoi les hommes servent volontiers, est pour ce qu’ils naissent serfs et sont nourris tels. De celle-ci en vient une autre, qu’aisément les gens deviennent, sous les tyrans, lâches et efféminés : dont je sais merveilleusement bon gré à Hyppocras, le grand-père de la médecine, qui s’en est pris garde, et l’a ainsi dit en l’un de ses livres qu’il institue Des maladies. Ce personnage avait certes en tout le cœur en bon lieu, et le montra bien lorsque le Grand Roi le voulut attirer près de lui à force d’offres et grands présents, il lui répondit franchement qu’il ferait grand conscience de se mêler de guérir les Barbares qui voulaient tuer les Grecs, et de bien servir, par son art à lui, qui entreprenait d’asservir la Grèce. La lettre qu’il lui envoya se voit encore aujourd’hui parmi ses autres œuvres, et témoignera pour jamais de son bon cœur et de sa noble nature. Or, est-il donc certain qu’avec la liberté se perd tout en un coup la vaillance. Les gens sujets n’ont point d’allégresse au combat ni d’âpreté : ils vont au danger quasi comme attachés et tous engourdis, par manière d’acquit, et ne sentent point bouillir dans leur cœur l’ardeur de la franchise qui fait mépriser le péril et donne envie d’achapter, par une belle mort entre ses compagnons, l’honneur et la gloire. Entre les gens libres, c’est à l’envi à qui mieux mieux, chacun pour le bien commun, chacun pour soi, ils s’attardent d’avoir tous leur part au mal de la défaite ou au bien de la victoire ; mais les gens asservis, outre ce courage guerrier, ils perdent aussi en toutes autres choses la vivacité, et ont le cœur bas et mol et incapable de toutes choses grandes. Les tyrans connaissent bien cela, et, voyant qu’ils prennent ce pli, pour les faire mieux avachir, encore ils aident-ils.

Xénophon, historien grave et du premier rang entre les Grecs, a fait un livre auquel il fait parler Simonide avec Hiéron, tyran de Syracuse, des misères du tyran. Ce livre est plein de bonnes et graves remontrances, et qui ont aussi bonne grâce, à mon avis, qu’il est possible. Que plût à Dieu que les tyrans qui ont jamais été l’eussent mis devant les yeux et s’en fussent servi de miroir ! Je ne puis pas croire qu’ils n’eussent reconnu leurs verrues et eu quelque honte de leurs taches. En ce traité il conte la peine en quoi sont les tyrans, qui sont contraints, faisant mal à tous, se craindre de tous. Entre autres choses, il dit cela, que les mauvais rois se servent d’étrangers à la guerre et les soudoient, ne s’osant fier de mettre à leurs gens, à qui ils ont fait tort, les armes en main. (Il y a bien eu de bons rois qui ont eu à leur solde des nations étrangères, comme les Français mêmes, et plus encore d’autrefois qu’aujourd’hui, mais à une autre intention, pour garder des leurs, n’estimant rien le dommage de l’argent pour épargner les hommes. C’est ce que disait Scipion, ce crois-je, le grand Africain, qu’il aimerait mieux avoir sauvé un citoyen que défait cent ennemis.) Mais, certes, cela est bien assuré, que le tyran ne pense jamais que la puissance lui soit assurée, sinon quand il est venu à ce point qu’il n’a sous lui homme qui vaille : donc à bon droit lui dire on cela, que Thrason en Térence se vante avoir reproché au maître des éléphants :

Pour cela si brave vous êtes
Que vous avez charge des bêtes.

Mais cette ruse de tyrans d’abêtir leurs sujets ne se peut pas connaître plus clairement que Cyrus fit envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de Sardis, la maîtresse ville de Lydie, et qu’il eut pris à merci Crésus, ce tant riche roi, et l’eut amené quand et soi:on lui apporta nouvelles que les Sardains s’étaient révoltés ; il les eut bientôt réduits sous sa main; mais, ne voulant pas ni mettre à sac une tant belle ville, ni être toujours en peine d’y tenir une armée pour la garder, il s’avisa d’un grand expédient pour s’en assurer : il y établit des bordeaux, des tavernes et jeux publics, et fit publier une ordonnance que les habitants eussent à en faire état. Il se trouva si bien de cette garnison que jamais depuis contre les Lydiens il ne fallut tirer un coup d’épée. Ces pauvres et misérables gens s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux, si bien que les Latins en ont tiré leur mot, et ce que nous appelons passe-temps, ils l’appellent ludi, comme s’ils voulaient dire Lydi. Tous les tyrans n’ont pas ainsi déclarés exprès qu’ils voulsissent efféminer leurs gens ; mais, pour vrai, ce que celui ordonna formellement et en effet, sous main ils l’ont pourchassé la plupart. À la vérité, c’est le naturel du mérite populaire, duquel le nombre est toujours plus grand dedans les villes, qu’il est soupçonneux à l’endroit de celui qui l’aime, et simple envers celui qui le trompe. Ne pensez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni poisson aucun qui, pour la friandise du ver, s’accroche plus tôt dans le haim que tous les peuples s’allèchent vitement à la servitude, par la moindre plume qu’on leur passe, comme l’on dit, devant la bouche ; et c’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller ainsi tôt, mais seulement qu’on les chatouille. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres telles drogueries, c’étaient aux peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces alléchements avaient les anciens tyrans, pour endormir leurs sujets sous le joug. Ainsi les peuples, assotis, trouvent beaux ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir, qui leur passait devant les yeux, s’accoutumaient à servir aussi niaisement, mais plus mal, que les petits enfants qui, pour voir les luisantes images des livres enluminés, apprennent à lire. Les Romains tyrans s’avisèrent encore d’un autre point : de festoyer souvent les dizaines publiques, abusant cette canaille comme il fallait, qui se laisse aller, plus qu’à toute autre chose, au plaisir de la bouche : le plus avisé et entendu d’entre eux n’eut pas quitté son esculée de soupe pour recouvrer la liberté de la république de Platon. Les tyrans faisaient largesse d’un quart de blé, d’un sestier de vin et d’un sesterce ; et lors c’était pitié d’ouïr crier : Vive le roi ! Les lourdauds ne s’avisaient pas qu’ils ne faisaient que recouvrer une partie du leur, et que cela même qu’ils recouvraient, le tyran ne leur eut pu donner, si devant il ne l’avait ôté à eux-mêmes. Tel eut amassé aujourd’hui le sesterce, et se fut gorgé au festin public, bénissant Tibère et Néron, et leur belle libéralité qui, le lendemain, étant contraint d’abandonner ses biens à leur avarice, ses enfants à la luxure, son sang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, ne disait mot, non plus qu’une pierre, ne remuait non plus qu’une souche. Toujours le populaire a eu cela : il est, au plaisir qu’il ne peut honnêtement recevoir, tout ouvert et dissolu, et, au tort et à la douleur qu’il ne peut honnêtement souffrir, insensible. Je ne vois pas maintenant personne qui, oyant parler de Néron, ne tremble même au surnom de ce vilain monstre, de cette orde et sale peste du monde ; et toutefois, de celui-là, de ce boutefeu, de ce bourreau, de cette bête sauvage, on peut bien dire qu’après sa mort, aussi vilaine que sa vie, le noble peuple romain en reçut tel déplaisir, se souvenant de ses jeux et de ses festins, qu’il fut sur le point d’en porter le deuil ; ainsi l’a écrit Corneille Tacite, auteur bon et grave, et l’un des plus certains. Ce qu’on ne trouvera pas étrange, vu que ce peuple là même avait fait auparavant à la mort de Jules César, qui donna congé aux lois et à la liberté, auquel personnage il n’y eut, ce me semble, rien qui vaille, car son humanité même, que l’on prêche tant, fut plus dommageable que la cruauté du plus sauvage tyran qui fut oncques, pour ce qu’à la vérité ce fut cette sienne venimeuse douceur qui, envers le peuple romain, sucra la servitude ; mais, après sa mort, ce peuple-là, qui avait encore en la bouche ses banquets et en l’esprit la souvenance de ses prodigalités, pour lui faire ses honneurs et le mettre en cendre, amoncelait à l’envi les bancs de la place, et puis lui éleva une colonne, comme au Père du peuple (ainsi le portait le chapiteau), et lui fit plus d’honneur, tout mort qu’il était, qu’il n’en devait faire par droit à homme du monde, si ce n’était par aventure à ceux qui l’avaient tué. Ils n’oublièrent pas aussi cela, les empereurs romains, de prendre communément le titre de tribun du peuple, tant pour que ce que cet office était tenu pour saint et sacré qu’aussi il était établi pour la défense et protection du peuple, et sous la faveur de l’État. Par ce moyen, ils s’assuraient que le peuple se fierait plus d’eux, comme s’il devait en ouïr le nom, et non pas sentir les effets au contraire. Aujourd’hui ne font pas beaucoup mieux ceux qui ne font guère mal aucun, même de conséquence, qu’ils ne passent devant quelque joli propos du bien public et soulagement commun : car tu sais bien, ô Longa, le formulaire, duquel en quelques endroits ils pourraient user assez finement ; mais, à la plupart, certes, il n’y peut avoir de finesse là où il y a tant d’impudence. Les rois d’Assyrie, et encore après eux ceux de Méde, ne se présentaient en public que le plus tard qu’ils pouvaient, pour mettre en doute ce populas s’ils étaient en quelque chose plus qu’hommes, et laisser en cette rêverie les gens qui font volontiers les imaginatifs aux choses desquelles ils ne peuvent juger de vue. Ainsi tant de nations, qui furent assez longtemps sous cet empire assyrien, avec ce mystère s’accoutumaient à servir et servaient plus volontiers, pour ne savoir pas quel maître ils avaient, ni à grand’peine s’ils en avaient, et craignaient tous, à crédit, un que personne jamais n’avait vu. Les premiers rois d’Égypte ne se montraient guère, qu’ils ne portassent tantôt un chat, tantôt une branche, tantôt du feu sur la tête ; et, ce faisant, par l’étrangeté de la chose ils donnaient à leurs sujets quelque révérence et admiration, où, aux gens qui n’eussent été trop sots ou trop asservis, ils n’eussent apprêté, ce m’est avis, sinon passe-temps et risée. C’est pitié d’ouïr parler de combien de choses les tyrans du temps passé faisaient leur profit pour fonder leur tyrannie ; de combien de petits moyens ils se servaient, ayant de tout temps trouvé ce populas fait à leur poste, auquel il ne savait si mal tendre filet qu’ils n’y vinssent prendre lequel ils ont toujours trompé à si bon marché qu’ils ne l’assujettissaient jamais tant que lorsqu’ils s’en moquaient le plus.

Que dirai-je d’une autre belle bourde que les peuples anciens prindrent pour argent comptant ? Ils crurent fermement que le gros doigt de Pyrrhe, roi des Épirotes, faisait miracles et guérissait les malades de la rate ; ils enrichirent encore mieux le conte, que ce doigt, après qu’on eut brûlé tout le corps mort, s’était trouvé entre les cendres, s’étant sauvé, malgré le feu. Toutefois ainsi le peuple sot fait lui-même les mensonges, pour puis après les croire. Prou de gens l’ont ainsi écrit, mais de façon qu’il est bel à voir qu’ils ont amassé cela des bruits de ville et du vain parler du populas. Vespasien, revenant d’Assyrie et passant à Alexandrie pour aller à Rome, s’emparer de l’empire, fit merveilles : il addressait les boiteux, il rendait clairvoyants les aveugles, et tout plein d’autres belles choses auxquelles qui ne pouvait voir la faute qu’il y avait, il était à mon avis plus aveugle que ceux qu’il guérissait. Les tyrans même trouvaient bien étrange que les hommes pussent endurer un homme leur faisant mal ; ils voulaient fort se mettre la religion devant pour gardecorps, et, s’il était possible, emprunter quelque échantillon de la divinité pour le maintien de leur méchante vie. Donc Salmonée, si l’on croit à la sibylle de Virgile en son enfer, pour s’être ainsi moquée des gens et avoir voulu faire du Jupiter, en rend maintenant compte, et elle le vit en l’arrière-enfer,

Souffrant cruels tourments, pour vouloir imiter
Les tonnerres du ciel, et feux de Jupiter,
Dessus quatre coursiers, celui allait, branlant,
Haut monté, dans son poing un grand flambeau brillant.
Par les peuples grégeois et dans le plein marché,

Dans la ville d’Élide haut il avait marché
Et faisant sa bravade ainsi entreprenait
Sur l’honneur qui, sans plus, aux dieux appartenait.
L’insensé, qui l’orage et foudre inimitable
Contrefaisait, d’airain, et d’un cours effroyable
De chevaux cornepieds, le Père tout puissant ;
Lequel, bientôt après, ce grand mal punissant,
Lança, non un flambeau, non pas une lumière
D’une torche de cire, avecque sa fumière,
Et de ce rude coup d’une horrible tempête,
Il le porta à bas, les pieds par-dessus tête.

Si celui qui ne faisait que le sot est à cette heure bien traité là-bas, je crois que ceux qui ont abusé de la religion, pour être méchants, s’y trouvent encore à meilleures enseignes.

Les nôtres semèrent en France je ne sais quoi de tel, des crapauds, des fleurs de lis, l’ampoule et l’oriflamme. Ce que de ma part, comment qu’il en soit, je ne veux pas mécroire, puisque nous ni nos ancêtres n’avons eu jusqu’ici aucune occasion de l’avoir mécru, ayant toujours eu des rois si bons en la paix et si vaillants en la guerre, qu’encore qu’ils naissent rois, il semble qu’ils ont été non pas faits comme les autres par la nature, mais choisis par le Dieu tout-puissant, avant que naître, pour le gouvernement et la conservation de ce royaume ; et encore, quand cela n’y serait pas, si ne voudrais-je pas pour cela entrer en lice pour débattre la vérité de nos histoires, ni les éplucher si privément, pour ne tollir ce bel ébat, où se pourra fort escrimer notre poésie française, maintenant non pas accoutrée, mais, comme il semble, faite toute à neuf par notre Ronsard, notre Baïf, notre du Bellay, qui en cela avancent bien tant notre langue, que j’ose espérer que bientôt les Grecs ni les Latins n’auront guère, pour ce regard, devant nous, sinon, possible, le droit d’aînesse. Et certes je ferais grand tort à notre rime, car j’use volontiers de ce mot, et il ne me déplaît point pour ce qu’encore que plusieurs l’eussent rendue mécanique, toutefois je vois assez de gens qui sont à même pour la rennoblir et lui rendre son premier honneur ; mais je lui ferais, dis-je, grand tort de lui ôter maintenant ces beaux contes du roi Clovis, auxquels déjà je vois, ce me semble, combien plaisamment, combien à son aise s’y égayera la veine de notre Ronsard, en sa Franciade. J’entends la portée, je connais l’esprit aigu, je sais la grâce de l’homme : il fera ses besognes de l’oriflamb aussi bien que les Romains de leurs ancilles

et les boucliers du ciel en bas jettés,

ce dit Virgile ; il ménagera notre ampoule aussi bien que les Athéniens le panier d’Erichtone ; il fera parler de nos armes aussi bien qu’eux de leur olive qu’ils maintiennent être encore en la tour de Minerve. Certes je serais outrageux de vouloir démentir nos livres et de courir ainsi sur les erres de nos poètes. Mais pour retourner d’où, je ne sais comment, j’avais détourné le fil de mon propos, il n’a jamais été que les tyrans, pour s’assurer, ne se soient efforcés d’accoutumer le peuple envers eux, non seulement à obéissance et servitude, mais encore à dévotion. Donc ce que j’ai dit jusques ici, qui apprend les gens à servir plus volontiers, ne sert guère aux tyrans que pour le menu et grossier peuple.

Mais maintenant je viens à un point, lequel est à mon avis le ressort et le secret de la domination, le soutien et fondement de la tyrannie. Qui pense que les hallebardes, les gardes et l’assiette du guet garde les tyrans, à mon jugement se trompe fort ; et s’en aident-ils, comme je crois, plus pour la formalité et épouvantail que pour fiance qu’ils y aient. Les archers gardent d’entrer au palais les mal habillés qui n’ont nul moyen, non pas les bien armés qui peuvent faire quelque entreprise. Certes, des empereurs romains il est aisé à compter qu’il n’y en a pas eu tant qui aient échappé quelque danger par le secours de leurs gardes, comme de ceux qui ont été tués par leurs archers mêmes. Ce ne sont pas les bandes des gens à cheval, ce ne sont pas les compagnies des gens de pied, ce ne sont pas les armes qui défendent le tyran. On ne le croira pas du premier coup, mais certes il est vrai : ce sont toujours quatre ou cinq qui maintiennent le tyran, quatre ou cinq qui tiennent tout le pays en servage. Toujours il a été que cinq ou six ont eu l’oreille du tyran, et s’y sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ont été appelés par lui, pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés, et communs aux biens de ses pilleries. Ces six adressent si bien leur chef, qu’il faut, pour la société, qu’il soit méchant, non pas seulement par ses méchancetés, mais encore des leurs. Ces six ont six cents qui profitent sous eux, et font de leurs six cents ce que les six font au tyran. Ces six cents en tiennent sous eux six mille, qu’ils ont élevé en état, auxquels ils font donner ou le gouvernement des provinces, ou le maniement des deniers, afin qu’ils tiennent la main à leur avarice et cruauté et qu’ils l’exécutent quand il sera temps, et fassent tant de maux d’ailleurs qu’ils ne puissent durer que sous leur ombre, ni s’exempter que par leur moyen des lois et de la peine. Grande est la suite qui vient après cela, et qui voudra s’amuser à dévider ce filet, il verra que, non pas les six mille, mais les cent mille, mais les millions, par cette corde, se tiennent au tyran, s’aident d’icelle comme, en Homère, Jupiter qui se vante, s’il tire la chaîne, d’emmener vers soi tous les dieux. De là venait la crue du Sénat sous Jules, l’établissement de nouveaux États, érection d’offices ; non pas certes à le bien prendre, réformation de la justice, mais nouveaux soutiens de la tyrannie. En somme que l’on en vient là, par les faveurs ou sous-faveurs, les gains ou regains qu’on a avec les tyrans, qu’il se trouve enfin quasi autant de gens auxquels la tyrannie semble être profitable, comme de ceux à qui la liberté serait agréable. Tout ainsi que les médecins disent qu’en notre corps, s’il y a quelque chose de gâté, dès lors qu’en autre endroit il s’y bouge rien, il se vient aussitôt rendre vers cette partie véreuse : pareillement, dès lors qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de larroneaux et essorillés, qui ne peuvent guère en une république faire mal ni bien, mais ceux qui sont tâchés d’une ardente ambition et d’une notable avarice, s’amassent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin, et être, sous le grand tyran, tyranneaux eux-mêmes. Ainsi font les grands voleurs et les fameux corsaires : les uns découvrent le pays, les autres chevalent les voyageurs ; les uns sont en embûche, les autres au guet ; les autres massacrent, les autres dépouillent, et encore qu’il y ait entre eux des prééminences, et que les uns ne soient que valets, les autres chefs de l’assemblée, si n’y en a-il à la fin pas un qui ne se sente sinon du principal butin, au moins de la recherche. On dit bien que les pirates siciliens ne s’assemblèrent pas seulement en si grand nombre, qu’il fallut envoyer contre eux Pompée le grand ; mais encore tirèrent à leur alliance plusieurs belles villes et grandes cités aux hâvres desquelles ils se mettaient en sûreté, revenant des courses, et pour récompense, leur baillaient quelque profit du recélement de leur pillage.

Ainsi le tyran asservit les sujets les uns par le moyen des autres, et est gardé par ceux desquels, s’ils valaient rien, il se devrait garder ; et, comme on dit, pour fendre du bois il fait des coins du bois même. Voilà ses archers, voilà ses gardes, voilà ses hallebardiers ; non pas qu’eux-mêmes ne souffrent quelquefois de lui, mais ces perdus et abandonnés de Dieu et des hommes sont contents d’endurer du mal pour en faire, non pas à celui qui leur en fait, mais à ceux qui en endurent comme eux, et qui n’en peuvent mais. Toutefois, voyant ces gens-là, qui nacquetent le tyran pour faire leurs besognes de sa tyrannie et de la servitude du peuple, il me prend souvent ébahissement de leur méchanceté, et quelquefois pitié de leur sottise : car, à dire vrai, qu’est-ce autre chose de s’approcher du tyran que se tirer plus arrière de sa liberté, et par manière de dire serrer à deux mains et embrasser la servitude ? Qu’ils mettent un petit à part leur ambition et qu’ils se déchargent un peu de leur avarice, et puis qu’ils se regardent eux-mêmes et qu’ils se reconnaissent, et ils verront clairement que les villageois, les paysans, lesquels tant qu’ils peuvent ils foulent aux pieds, et en font pis que de forçats ou esclaves, ils verront, dis-je, que ceux-là, ainsi malmenés, sont toutefois, au prix d’eux, fortunés et aucunement libres. Le laboureur et l’artisan, pour tant qu’ils soient asservis, en sont quittes en faisant ce qu’ils ont dit ; mais le tyran voit les autres qui sont près de lui, coquinant et mendiant sa faveur : il ne faut pas seulement qu’ils fassent ce qu’il dit, mais qu’ils pensent ce qu’il veut, et souvent, pour lui satisfaire, qu’ils préviennent encore ses pensées. Ce n’est pas tout à eux que de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’ils se rompent, qu’ils se tourmentent, qu’ils se tuent à travailler en ses affaires et puis qu’ils se plaisent de son plaisir, qu’ils laissent leur goût pour le sien, qu’ils forcent leur complexion, qu’ils dépouillent leur naturel ; il faut qu’ils se prennent garde à ses paroles, à sa voix, à ses signes et à ses yeux ; qu’ils n’aient ni œil, ni pied, ni main, que tout ne soit au guet pour épier ses volontés et pour découvrir ses pensées. Cela est-ce vivre heureusement ? cela s’appelle-il vivre ? est-il au monde rien moins supportable que cela, je ne dis pas à un homme de cœur, je ne dis pas à un bien né, mais seulement à un qui ait le sens commun, ou, sans plus, la face d’homme ? Quelle condition est plus misérable que de vivre ainsi, qu’on n’aie rien à soi, tenant d’autrui son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?

Mais ils veulent servir pour avoir des biens : comme s’ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu’ils ne peuvent pas dire de soi qu’ils soient à eux-mêmes ; et comme si aucun pouvait avoir rien de propre sous un tyran, ils veulent faire que les biens soient à eux, et ne se souviennent pas que ce sont eux qui lui donnent la force pour ôter tout à tous, et ne laisser rien qu’on puisse dire être à personne. Ils voient que rien ne rend les hommes sujets à sa cruauté que les biens ; qu’il n’y a aucun crime envers lui digne de mort que le dequoi ; qu’il n’aime que les richesses et ne défait que les riches, et ils se viennent présenter, comme devant le boucher, pour s’y offrir ainsi pleins et refaits et lui en faire envie. Ses favoris ne se doivent pas tant souvenir de ceux qui ont gagné autour des tyrans beaucoup de biens comme de ceux qui, ayant quelque temps amassé, puis après y ont perdu et les biens et les vies ; il ne leur doit pas tant venir en l’esprit combien d’autres y ont gagné de richesses, mais combien peu de ceux-là les ont gardées. Qu’on découvre toutes les anciennes histoires, qu’on regarde celles de notre souvenance, et on verra tout à plein combien est grand le nombre de ceux qui, ayant gagné par mauvais moyens l’oreille des princes, ayant ou employé leur mauvaistié ou abusé de leur simplesse, à la fin par ceux-là mêmes ont été anéantis et autant qu’ils y avaient trouvé de facilité pour les élever, autant y ont-ils connu puis après d’inconstance pour les abattre. Certainement en si grand nombre de gens qui se sont trouvés jamais près de tant de mauvais rois, il en a été peu, ou comme point, qui n’aient essayé quelquefois en eux-mêmes la cruauté du tyran qu’ils avaient devant attisée contre les autres : le plus souvent s’étant enrichis, sous l’ombre de sa faveur, des dépouilles d’autrui, ils l’ont à la fin eux-mêmes enrichi de leurs dépouilles.

Les gens de bien mêmes, si toutefois il s’en trouve quelqu’un aimé du tyran, tant soient-ils avant en sa grâce, tant reluise en eux la vertu et intégrité, qui voire aux plus méchants donne quelque révérence de soi quand on la voit de près, mais les gens de bien, dis-je, n’y sauraient durer, et faut qu’ils se sentent du mal commun, et qu’à leurs dépens ils éprouvent la tyrannie. Un Sénèque, un Burre, un Trasée, cette terne de gens de bien, desquels même les deux leur mâle fortune approcha du tyran et leur mit en main le maniement de ses affaires, tous deux estimés de lui, tous deux chéris, et encore l’un l’avait nourri et avait pour gages de son amitié la nourriture de son enfance ; mais ces trois-là sont suffisants témoins par leur cruelle mort, combien il y a peu d’assurance en la faveur d’un mauvais maître ; et, à la vérité, quelle amitié peut-on espérer de celui qui a bien le cœur si dur que d’haïr son royaume, qui ne fait que lui obéir, et lequel, pour ne se savoir pas encore aimer, s’appauvrit lui-même et détruit son empire ?

Or, si l’on veut dire que ceux-là pour avoir bien vécu sont tombés en ces inconvénients, qu’on regarde hardiment autour de celui-là même, et on verra que ceux qui vindrent en sa grâce et s’y maintindrent par mauvais moyens ne furent pas de plus longue durée. Qui a ouï parler d’amour si abandonnée, d’affection si opiniâtre ? qui a jamais lu d’homme si obstinément acharné envers femme que celui-là envers Popée ? Or, fut-elle après empoisonnée par lui-même. Agrippine, sa mère, avait tué son mari Claude, pour lui faire place à l’empire ; pour l’obliger, elle n’avait jamais fait difficulté de rien faire ni de souffrir : donc son fils même, son nourrisson, son empereur fait de sa main, après l’avoir souvent faillie, enfin lui ôta la vie ; il n’y eut lors personne qui ne dit qu’elle avait trop bien mérité cette punition, si ç’eut été par les mains de tout autre que de celui à qui elle l’avait baillée. Qui fut onc plus aisé à manier, plus simple, pour le dire mieux, plus vrai niais que Claude l’empereur ? Qui fut onc plus coiffé que femme que lui de Messaline ? Il la mit enfin entre les mains du bourreau. La simplesse demeure toujours aux tyrans, s’ils en ont, à ne savoir bien faire, mais je ne sais comment à la fin, pour user de cruauté, même envers ceux qui leur sont près, si peu qu’ils ont d’esprit, cela même s’éveille. Assez commun est le beau mot de cet autre qui, voyant la gorge de sa femme découverte, laquelle il aimait le plus, et sans laquelle il semblait qu’il n’eut su vivre, il la caressa de cette belle parole : « Ce beau col sera tantôt coupé, si je le commande. » Voilà pourquoi la plupart des tyrans anciens étaient communément tués par leurs plus favoris, qui, ayant connu la nature de la tyrannie, ne se pouvaient tant assurer de la volonté du tyran comme ils se défiaient de sa puissance. Ainsi fut tué Domitien par Étienne, Commode par une de ses amies mêmes, Antonin par Macrin, et de même quasi tous les autres.

C’est cela que certainement le tyran n’est jamais aimé ni n’aime. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte ; elle ne se met jamais qu’entre gens de bien, et ne se prend que par une mutuelle estime ; elle s’entretient non tant par bienfaits que par la bonne vie. Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance qu’il a de son intégrité : les répondants qu’il en a, c’est son bon naturel, la foi et la constance. Il n’y peut avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloyauté, là où est l’injustice ; et entre les méchants, quand ils s’assemblent, c’est un complot, non pas une compagnie ; ils ne s’entraiment pas, mais ils s’entrecraignent ; ils ne sont pas amis, mais ils sont complices.

Or, quand bien cela n’empêcherait point, encore serait-il malaisé de trouver en un tyran un amour assuré, parce qu’étant au-dessus de tous, et n’ayant point de compagnon, il est déjà au delà des bornes de l’amitié, qui a son vrai gibier en l’équalité, qui ne veut jamais clocher, ainsi est toujours égale. Voilà pourquoi il y a bien entre les voleurs (ce dit-on) quelque foi au partage du butin, pour ce qu’ils sont pairs et compagnons, et s’ils ne s’entraiment, au moins ils s’entrecraignent et ne veulent pas, en se désunissant, rendre leur force moindre ; mais du tyran, ceux qui sont ses favoris n’en peuvent avoir jamais aucune assurance, de tant qu’il a appris d’eux-mêmes qu’il peut tout, et qu’il n’y a droit ni devoir aucun qui l’oblige, faisant son état de compter sa volonté pour raison, et n’avoir compagnon aucun, mais d’être de tous maître. Donc n’est-ce pas grande pitié que, voyant tant d’exemples apparents, voyant le danger si présent, personne ne se veuille faire sage aux dépens d’autrui, et que, de tant de gens s’approchant si volontiers des tyrans, qu’il n’y pas un qui ait l’avisement et la hardiesse de leur dire ce que dit, comme porte le conte, le renard au lion qui faisait le malade : « Je t’irais voir en ta tanière ; mais je vois bien assez de traces de bêtes qui vont en avant vers toi, mais qui reviennent en arrière je n’en vois pas une. »

Ces misérables voient reluire les trésors du tyran et regardent tout ébahis les rayons de sa braveté ; et, alléchés de cette clarté, ils s’approchent, et ne voient pas qu’ils se mettent dans la flamme qui ne peut faillir de les consommer : ainsi le satyre indiscret (comme disent les fables anciennes), voyant éclairer le feu trouvé par Prométhée, le trouva si beau qu’il l’alla baiser et se brûla ; ainsi le papillon qui, espérant jouir de quelque plaisir, se met dans le feu, pour ce qu’il reluit, il éprouve l’autre vertu, celle qui brûle, comme dit le poète toscan. Mais encore, mettons que ces mignons échappent les mains de celui qu’ils servent, ils ne se sauvent jamais du roi qui vient après : s’il est bon, il faut rendre compte et reconnaître au moins lors la raison ; s’il est mauvais et pareil à leur maître, il ne sera pas qu’il n’ait aussi bien ses favoris, lesquels aucunement ne sont pas contents d’avoir à leur tour la place des autres, s’ils n’ont encore le plus souvent et les biens et les vies. Se peut-il donc faire qu’il se trouve aucun qui, en si grand péril et avec si peu d’assurance, veuille prendre cette malheureuse place, de servir en si grande peine un si dangereux maître ? Quelle peine, quel martyre est-ce, vrai Dieu ? Être nuit et jour après pour songer de plaire à un, et néanmoins se craindre de lui plus que d’homme du monde ; avoir toujours l’œil au guet, l’oreille aux écoutes, pour épier d’où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour sentir la ruine de ses compagnons, pour aviser qui le trahit, rire à chacun et néanmoins se craindre de tous, n’avoir aucun ni ennemi ouvert ni ami assuré ; ayant toujours le visage riant et le cœur transi, ne pouvoir être joyeux, et n’oser être triste !

Mais c’est plaisir de considérer qu’est-ce qui leur revient de ce grand tourment, et le bien qu’ils peuvent attendre de leur peine de leur misérable vie. Volontiers le peuple, du mal qu’il souffre, n’en accuse point le tyran, mais ceux qui le gouvernent : ceux-là, les peuples, les nations, tout le monde à l’envi, jusqu’aux paysans, jusqu’aux laboureurs, ils savent leur nom, ils déchiffrent leurs vices, ils amassent sur eux mille outrages, mille vilenies, mille maudissons ; toutes leurs oraisons, tous leurs vœux sont contre ceux-là ; tous les malheurs, toutes les pestes, toutes leurs famines, ils les leur reprochent ; et si quelquefois ils leur font par apparence quelque honneur lors même qu’ils les maugréent en leur cœur, et les ont en horreur plus étrange que les bêtes sauvages. Voilà la gloire, voilà l’honneur qu’ils reçoivent de leur service envers les gens, desquels, quand chacun aurait une pièce de leur corps, ils ne seraient pas encore, ce leur semble, assez satisfaits ni à-demi saoûlés de leur peine ; mais certes, encore après qu’ils sont morts, ceux qui viennent après ne sont jamais si paresseux que le nom de ces mange-peuples ne soit noirci de l’encre de mille plumes, et leur réputation déchirée dans mille livres, et les os mêmes, par manière de dire, traînés par la postérité, les punissant, encore après leur mort, de leur méchante vie.

Apprenons donc quelquefois, apprenons à bien faire ; levons les yeux vers le ciel, ou pour notre honneur, ou pour l’amour même de la vertu, ou certes, à parler à bon escient, pour l’amour et honneur de Dieu tout-puissant, qui est assuré témoin de nos faits et juste juge de nos fautes. De ma part, je pense bien, et ne suis pas trompé, puisqu’il n’est rien si contraire à Dieu, tout libéral et débonnaire, que la tyrannie, qu’il réserve là-bas à part pour les tyrans et leurs complices quelque peine particulière.

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DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

 

INTRODUCTION au Discours de la Servitude Volontaire d’Étienne de la Boétie par Paul Bonnefon

Littérature Française
Introduction au Discours de la Servitude Volontaire

Étienne de La Boétie
1530-1563




Edition Bossard
1922

discours-de-la-servitude-volontaire-etienne-de-la-boetie-artgitatoSisyphe Franz von Stuck 1920

 

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE
Étienne de la Boétie
Edition 1922

INTRODUCTION
DE PAUL BONNEFON
1861 – 1922

INTRODUCTION


DANS sa brève existence de trente-deux ans, si La Boétie eut le temps de composer plusieurs opuscules, fort divers d’allure et de ton, il ne put en publier aucun. Montaigne lui-même, héritier des papiers de son ami disparu, imprima, dès 1571, les vers latins ou français de La Boétie et ses traductions de Xénophon et de Plutarque, mais il ne jugea pas à propos de divulguer ni le Discours de la Servitude volontaire, ni les Mémoires de nos troubles sur l’édit de janvier 1562, dont Montaigne confesse formellement la paternité à La Boétie, mais à qui il trouvait « la façon trop délicate et mignarde pour les abandonner au grossier et pesant air d’une si malplaisante saison ».

Ainsi, l’histoire de l’œuvre de La Boétie débutait sur une double obscurité : Montaigne, qui imprimait les ouvrages de son ami ne pouvant soulever aucune difficulté, se taisait au contraire délibérément, sur tous ceux qui pouvaient prêter à controverse ; et ce silence offrait de la sorte, au contraire, matière à commentaires dont on ne devait pas se priver. Essayons d’expliquer ce que Montaigne a fait et comment il a compris son devoir : le commentaire de l’œuvre même de La Boétie s’ensuivra naturellement.

LE DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

Étienne de La Boétie naquit à Sarlat, le mardi 1er novembre 1530. Son père, lieutenant particulier du sénéchal de Périgord, mourut prématurément. Il fut élevé par son oncle, curé de Bouillonnas : c’est à celui-ci « qu’il doit son institution et tout ce qu’il est et pouvait être », comme il le rappelle plus tard, à son lit de mort. Où cette institution eut-elle lieu ? Probablement dans la famille même, à Sarlat, où le souffle de la Renaissance se faisait sentir, à l’instigation de l’évêque, le cardinal Nicolas Gaddi, parent des Médicis et véritable humaniste, dont le logis était voisin de celui de La Boétie. On ignore également où ces études se firent, peut-être à Bordeaux ou à Bourges. En tout cas, elles s’achevèrent à Orléans, où La Boétie prit son grade de licencié en droit civil, le 23 septembre 1553, et acquit dans un milieu aussi docte que généreux l’information juridique nécessaire à un futur magistrat.

Son précoce mérite ouvrit avant l’âge à La Boétie les portes du Parlement de Bordeaux. Le 20 janvier 1553, des lettres-patentes du roi Henri II autorisaient Guillaume de Lur, conseiller, à résigner « son état et office en ladite cour », en faveur de Maître Étienne de La Boétie, qui n’avait alors que vingt-deux ans et quelques mois. L’âge requis était vingt-cinq ans. Aussi, le 13 octobre suivant, quelques jours seulement après la délivrance du diplôme de licencié, le roi octroyait de nouvelles lettres-patentes, pour pourvoir La Boétie à l’office de conseiller et y joignait des lettres de dispense, permettant au jeune homme d’occuper sa charge. Le postulant était admis à l’exercice de sa fonction et prêtait serment le 17 mai 1554, toutes chambres assemblées. Il n’avait alors que vingt-trois ans et demi, et l’exception, flatteuse assurément, n’était pas exceptionnelle. Elle rapprochait ainsi, dès l’origine de leurs relations, deux noms qui devaient se joindre davantage : Guillaume de Lur, sieur de Longa, docte humaniste qui allait venir au Parlement de Paris, et Étienne de La Boétie, humaniste lui aussi non moins fervent et qu’agitaient déjà, si l’on en croit Montaigne, de nobles ambitions.

« C’est, dit celui-ci, au chapitre XXVIII du livre I de ses Essais, à l’endroit où il parle pour la première fois de l’opuscule de La Boétie, dix-huit ans après sa perte, c’est un discours auquel il donna le nom : De la Servitude volontaire ; mais ceux qui l’ont ignoré l’ont bien proprement depuis rebaptisé : Le contre un. Il l’écrivit par manière d’essai, en sa première jeunesse, n’ayant pas atteint le dix-huitième an de son âge, à l’honneur de la liberté contre les tyrans. Il court piéçà ès mains des gens d’entendement, non sans bien grande et méritée recommandation : car il est gentil et plein tout ce qu’il est possible. Si y a il rien à dire que ce ne soit le mieux qu’il pût faire, et si, en l’âge que je l’ai connu plus avancé, il eût pris un tel dessein que le mien, de mettre par écrit ses fantaisies, nous verrions plusieurs choses rares et qui nous approcheraient bien près de l’honneur de l’antiquité. Car, notamment en cette partie des dons de nature, je n’en connais nul qui lui soit comparable. Mais il n’est demeuré de lui que ce discours, encore par rencontre, et crois qu’il ne le vit onques puis qu’il lui échappa, et quelques mémoires sur cet Édit de janvier, fameux par nos guerres civiles, qui trouveront encore ailleurs leur place. C’est ce que j’ai pu recouvrer de ses reliques, outre le livret de ses œuvres, que j’ai fait mettre en lumière ; et si suis obligé particulièrement à cette pièce, d’autant qu’elle a servi de moyen à notre première accointance car elle me fut montrée avant que je l’eusse vu, et me donna la première connaissance de son nom, acheminant ainsi cette amitié que nous avons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, si entière et si parfaite, que certainement il ne s’en lit guère de pareille. »

Ainsi s’exprime Montaigne dans la première édition de son œuvre : il maintient et confirme tout ce qu’il a dit du caractère de La Boétie et de son œuvre, et se corrige pourtant sur un point, mettant seize au lieu de dix-huit quand il déclare : « Mais oyons un peu parler ce garçon de dix-huit ans. » Il est manifeste que Montaigne rajeunit La Boétie, pour donner moins de portée à son œuvre, que les événements ont singulièrement accentuée, et pour qu’on ne s’y méprenne point, il se dédit d’imprimer la Servitude volontaire, qui commençait à être connue.

Montaigne s’en explique et dit clairement comment les choses se passèrent. « Parce que j’ai trouvé que cet ouvrage a été depuis mis en lumière, et à mauvaise fin, par ceux qui cherchent à troubler et à changer l’état de notre police, sans se soucier s’ils l’amenderont, qu’ils ont mêlé à d’autres écrits de leur farine, je me suis dédit de le loger ici. Et afin que la mémoire de l’auteur n’en soit intéressée en l’endroit de ceux qui n’ont pu connaître de près ses opinions et ses actions, je les avise que le sujet fut traité par lui en son enfance, par manière d’exercitation seulement, comme sujet vulgaire et tracassé en mille endroits des livres. Je ne fais nul doute qu’il ne crût ce qu’il écrivait, car il était assez consciencieux pour ne mentir pas même en se jouant, et sais davantage que, s’il eût à choisir, il eût mieux aimé être né à Venise qu’à Sarlat ; mais il avait une autre maxime souverainement empreinte en son âme, d’obéir et de se soumettre très religieusement aux lois sous lesquelles il était né. Il ne fut jamais un meilleur citoyen, ni plus affectionné au repos de sa patrie, ni plus ennemi des remuements et nouvelletés de son temps : il eût bien plutôt employé sa suffisance à les éteindre qu’à leur fournir de quoi les émouvoir davantage ; il avait son esprit moulé au patron d’autres siècles que ceux-ci. »

Ainsi s’exprime Montaigne et les faits viennent confirmer ce qu’il en dit. Comme on le voit, c’est contre son gré et sans son assentiment que l’œuvre de La Boétie vit le jour. Bientôt elle fut publiée. Dix ans après la mort de La Boétie, en 1574, un long fragment était inséré, sans commentaire, d’abord en latin (Dialogi ab Eusebio Philadelpho cosmopolita, 2e dialogue, p. 128-134 et peu après en français (Le réveille matin des Français, 2e dialogue, p. 182-190), un recueil dans lequel il n’était pas malaisé de reconnaître la main de François Hotman. L’esprit de polémique était plus manifeste encore dans les Mémoires de l’Estat de France, rassemblés en 1574 par Simon Goulard, un pamphlétaire huguenot qui insérait le texte entier de l’œuvre de La Boétie, discrètement accommodé à l’usage qu’on en prétendait faire.

La curiosité du lecteur était désormais attirée sur cette œuvre. Maintes fois elle fut réimprimée dans le recueil de Simon Goulard, Mémoires de l’Estat de France, qui reparut plusieurs fois sous des formes diverses, mais toujours avec le même titre, qui donnait un texte accommodé, par endroits, aux aspirations de l’heure présente, et qui a subsisté jusqu’au XIXe siècle. Les contemporains n’en ignoraient pas moins, encore, l’œuvre précise de La Boétie, et les esprits curieux se préoccupaient toujours d’en posséder quelque copie exacte. C’est ainsi qu’Henri de Mesme et Claude Dupuy, qui tous les deux furent des amis de Montaigne, avaient fait transcrire et possédaient dans leurs papiers une copie de la Servitude volontaire. Un troisième érudit, Jacopo Corbinelli, vit un de ces manuscrits en 1570, le lut avec grand plaisir et le trouva écrit « in francese elegantissimo », ce qui donne une date certaine et apporte un renseignement précieux (Rita Calderini dei-Marchi, Jacopo Corbinelli et les érudits de son temps, d’après la correspondance inédite Corbinelli-Pinelli (1566-1587), Milan, 1914, p. 191).

Ce témoignage de Corbinelli sert à prouver que l’œuvre de La Boétie est bien de lui, qu’elle fut composée à l’époque et dans les circonstances qu’on lui attribue et il n’y est point fait d’allusion à Henri III, mais à Charles IX, qui régna pendant quatorze ans, alors que les troubles ensanglantaient chaque jour davantage la France et fournissaient des occasions naturelles à des interprétations erronées.

Un peu plus tard, les copies de La Boétie se multiplièrent, reproduisant toujours le texte de Claude Dupuy ou d’Henri de Mesme, qu’on trouve notamment dans les manuscrits français 17, 298 (Séguier) et 20, 157 (Sainte-Marthe). À mesure qu’il se répand, le Discours de la Servitude est mieux connu et mieux apprécié. Dans son Histoire universelle (édition de Ruble, t. IV, p. 189), Agrippa d’Aubigné cite nommément La Boétie parmi « les esprits irrités qui avec merveilleuse hardiesse faisaient imprimer livres portant ce qu’en d’autres saisons on n’eût pas voulu dire à l’oreille ». Et le même Agrippa d’Aubigné, dissertant de nouveau Du devoir naturel des rois et des sujets, montrerait s’il l’eût fallu, « par le menu, comment la vengeance de cette foi violée les a poussés à remettre en lumière le livre de La Boétie touchant la Servitude volontaire. » (Œuvres de d’Aubigné, éd. Réaume et de Caussade, t. II, p. 36 et 39.)

Et ce témoignage est confirmé par un autre contemporain, Pierre de L’Estoile : « Pour la dernière batterie furent publiés en ce temps (1574) les Mémoires de l’estat de France, imprimés in-8, en trois volumes, à Genève, en Allemagne et ailleurs, qui est un fagotage et ramas de toutes les pièces qu’on y a pu coudre pour rendre cette journée odieuse … avec tout plein de notables traités, comme celui de la Servitude volontaire, qui, n’ayant été imprimé, y tient un des premiers lieux pour être bien fait, pour être faits, car, quant à la vérité de l’histoire,… on n’en peut faire aucun état, ce qui était toutefois le plus recherchable. Mais ayant été lesdits Mémoires trop précipitamment mis sur la presse n’ont pu éviter le nom de fables à l’endroit de beaucoup, au lieu de celui d’histoire. » (Registre journal de Pierre de L’Esloile (1574-1589), publié par H. Omont. Mémoires de la Société de l’Histoire de Paris, 1900, p. 6).

Tel est le témoignage d’un contemporain sur ce « fagotage » sincère mais sans critique qui tendrait, si on s’en tenait là, à faire de La Boétie un pamphlétaire et un polémiste, écrivant sous l’inspiration du moment et mettant au jour ce qui était composé depuis longtemps, et publié avec l’intention de troubler davantage les esprits. La vérité est tout autre, est-il besoin de le dire ? Écrit en pleine jeunesse, à une date qu’on ne saurait préciser, par suite d’une correction malencontreuse de Montaigne, mais qui ne peut osciller qu’entre la seizième et la dix-huitième année de son âge, c’est-à-dire vers 1548, remanié sans doute et complété vers 1550 ou 1551, alors âgé de vingt ans environ, dans toute l’ardeur d’un esprit généreux et convaincu, La Boétie ne pouvait qu’exhaler la sincérité de ses aspirations. Faut-il s’étonner qu’elles fussent à la fois doctes et libérales, ce qu’elles étaient, alors que La Boétie put retoucher son œuvre et se mêler pour un temps au savant milieu de Ronsard, de Du Bellay, de Baïf ? S’il était moins réputé, l’entourage ordinaire de La Boétie n’en était pas moins remarquable, dans une famille essentiellement de judicature, — sa mère était une Calvimont et sa femme une de Carie, — également réputée dans la jurisprudence et dans les lettres. Ainsi encadré, dans cet entourage savant, La Boétie, vaquant d’abord avec réserve aux obligations de sa charge, ne pouvait que s’abandonner à son penchant naturel d’humaniste ardent et généreux.

C’est ainsi que se formait cet esprit spontané, concentré dans ses aspirations, qui éclatait dans ses élans, avec la vivacité d’un cœur franc et noble. Il s’abandonnait à son inspiration, lui donnant la vivacité, la netteté de l’expression, la laissant, comme elle d’origine, généreuse et décousue. Pour y trouver un ordre naturel et logique, il suffit d’y suivre, sans esprit préconçu, l’argumentation de La Boétie. Bien entendu, il y mêle sans cesse des réminiscences classiques, surtout dans la pensée, car, s’il s’en imprègne, il sait lui donner le tour de la pensée antique, se l’assimile, la traduit avec un réel sentiment de l’humanisme qui soutient la générosité de son œuvre.

Bien des fois on a étudié dans le détail l’esprit qui inspire la Servitude volontaire. Nul ne l’a fait par le menu, ni avec plus de méthode, que M. Louis Delaruelle dans son étude sur l’Inspiration antique dans le « Discours de la Servitude volontaire » (Revue d’histoire littéraire de la France, 1910, p. 34-52). Tout y est antique en effet, l’inspiration comme le forme : sobre, nette et ferme, que l’idée suscite et pare de son goût. « Mais, comme l’a dit fort ingénieusement Prévost-Paradol, malgré ce commun éloignement, — de Montaigne et de La Boétie, — pour toutes les apparences d’excès, il y avait en La Boétie une certaine ardeur d’ambition et un penchant à intervenir dans les affaires humaines, qui manquaient à Montaigne. Il avait plus de confiance, ou, si l’on veut, il se faisait plus d’illusion sur la possibilité de donner à l’intelligence et à l’honnêteté un rôle utile dans les divers mouvements de ce monde. Montaigne nous avoue que son ami eût mieux aimé être né à Venise qu’à Sarlat ; plus explicite encore dans une lettre au chancelier de L’Hospital, il regrette que La Boétie ait croupi « ès cendres de son foyer domestique, au grand dommage du bien commun. Ainsi, ajoute-t-il, sont demeurées oisives en lui beaucoup de grandes parties desquelles la chose publique eût pu tirer du service et lui de la gloire ». On croirait volontiers entendre dans ce regret le murmure de La Boétie s’exhalant après sa mort par cette bouche fraternelle : mais lui-même enlevé, comme Vauvenargues devait l’être un jour, à la fleur de l’âge, a laissé échapper en mourant ce que Vauvenargues avait répété toute sa vie : « Par aventure, dit-il à Montaigne, n’étais-je point né si inutile que je n’eusse moyen de faire service à la chose publique ? Quoi qu’il en soit, je suis prêt à partir quand il plaira à Dieu. »

Entre cet espoir et ce regret, c’est toute la distance qui sépare la Servitude volontaire des Essais. Jeune et ardent, La Boétie croyait l’avenir ouvert devant lui et voulait surtout servir le bien commun, tandis que Montaigne, en se sentant instruit par l’expérience, n’avait pas gardé son illusion sur l’humanité. Devant la leçon des faits, La Boétie avait perdu sa confiance généreuse : il croyait moins spontanément à la franchise naturelle du genre humain et servait moins volontairement son utopie. La vie et le contact des hommes eussent fait leur œuvre naturelle et attiédi son ardeur comme elles eussent tempéré son impulsion. C’est pour cela que Montaigne, modéré et assagi par l’âge, s’essaie à rajeunir La Boétie pour prêter moins d’importance à son action. Loin de la surfaire, il l’atténue, adoucissant son acte, préférant laisser son langage sans écho plutôt que de lui prêter une portée excessive et injuste. Là est l’unique raison de son attitude : c’est pourquoi il a préféré se taire que livrer à des commentaires injustifiés et excessifs la Servitude volontaire d’abord, et ensuite le Mémoire sur l’Édit de janvier 1562. Malgré les risques auxquels l’exposait le silence de La Boétie, il aime mieux laisser sa pensée inconnue que permettre qu’on la travestisse : il savait que le temps finirait par la mettre au jour sous son véritable aspect. Et on ne saurait dire que ce calcul ait été trompé, puisque l’œuvre entière de La Boétie a été imprimée sans que Montaigne l’ait laissé fausser.

C’est pourquoi Montaigne laissa le langage de La Boétie ce qu’il était à l’origine : hardi et vigoureux, peu porté vers les innovations de tout genre, comme devait l’être celui d’un futur magistrat, sans sympathie pour les téméraires, même généreux. Déjà on connaissait depuis quelque temps, plus ou moins ouvertement, ce fier langage tout plein du culte de la liberté et de l’exécration de la tyrannie. Ce qui en était le danger, c’était le souffle loyaliste et spontané qui mettait en belle place l’éloge du monarque parmi les récriminations contre la tyrannie, et le récit des méfaits du tyran. Il s’agissait d’ailleurs, sous la plume de La Boétie, d’un personnage abstrait, réminiscence antique qui ne comportait nulle allusion directe, parce que les rapprochements qui pouvaient y être faits ne concordaient ni dans l’esprit ni dans l’application immédiate et prochaine.

Malgré l’apparence, cette inspiration loyaliste persistera dans le langage de La Boétie et on retrouvera ce sentiment, ce langage même, quand il reprendra la plume pour parler plus posément et d’un sens plus rassis. L’élan de sa nature libérale l’entraîna jusqu’à pousser spontanément ces accents éloquents qui se prolongent ainsi, après quatre siècles, avec une conviction si forte. Il donna de lui-même et sans préméditation cette forme noble et entraînante à des pensées que d’autres avant lui avaient envisagées, que d’autres avaient exprimées, avec moins d’enthousiasme sans doute, mais avec une logique suffisante, de Philippe Pot à Michel Geissmayer, apôtres l’un et l’autre de la liberté humaine et de l’égalité religieuse. Ces sentiments, d’autres auraient pu les manifester, mais il leur aurait manqué assurément l’entraînement, sinon la conviction. Poussé par la générosité de sa nature, gagné par son cœur ardent et mobile, La Boétie se laisse aller à ce mouvement magnanime et noble qu’il eût exprimé sans doute d’original dans des vers latins serrés et concis, s’il avait voulu exprimer des sentiments plus précis et moins déclamatoires. Mais, dans la fougue de son zèle et de son caractère, il laisse parler sa langue naturelle et pousse sans effort un cri d’indignation éloquente qui résumait tout un passé d’enthousiasme et de conviction.

MÉMOIRE TOUCHANT L’ÉDIT DE JANVIER 1562

Pour être complet, le recueil des opuscules de La Boétie publié par Montaigne, en 1571, manquait donc de deux ouvrages dont la paternité ne saurait faire de doute : le Discours de la Servitude volontaire, et le Mémoire touchant l’Édit de janvier 1562. On a déjà vu comment la Servitude volontaire fut divulguée ; on va savoir pourquoi nous pensons avoir découvert le Mémoire sur l’Édit de janvier et quelles raisons nous déterminent à le lui attribuer formellement.

Montaigne confesse avec netteté avoir eu en mains, après la mort de La Boétie, la Servitude volontaire, dont nous savons en détail le sort, et aussi « quelques Mémoires de nos troubles sur l’Édit de janvier 1562 ». Ce sont les termes mêmes de Montaigne, et il ajoute : « Mais quant à ces deux dernières pièces, je leur trouve la façon trop délicate et mignarde pour les abandonner au grossier et pesant air d’une si malplaisante saison ». Ceci était écrit le 10 août 1570, à une heure où les Réformés s’étaient déjà maintes fois soulevés et se montraient particulièrement turbulents, à la veille de la paix de Saint Germain qui les ménageait beaucoup.

Par scrupule, Montaigne laissa donc inédits les deux opuscules de son ami, mais tandis que la Servitude volontaire voyait le jour, les Mémoires sur l’Édit de janvier demeurèrent inédits : Montaigne les signala sans que les contemporains semblent s’être préoccupés de leur existence. Il est vrai que cet ouvrage n’agitait pas une question toujours brûlante comme le précédent, et que, traité d’une plume moins juvénile, il devait être de sens plus rassis. De sorte que, si on ne pouvait ignorer que ces Mémoires avaient été composés, on ne savait jusqu’à ce jour quel sort ils avaient eu. Les publicistes du temps ayant dédaigné cette œuvre, il fallait la rechercher dans les manuscrits inexplorés et tâcher de l’y découvrir. C’est ainsi que nous avons procédé. Après quelques incertitudes, le manuscrit n° 410 de la bibliothèque Mejane, à Aix-en-Provence, nous a paru pouvoir contenir la solution de la question posée. C’est un recueil factice relié en parchemin, de trente-six pièces, les unes originales, les autres en copie du temps, presque toutes concernant des événements du xvie siècle antérieurs à 1575. L’une d’elles, f° 131-164, porte le titre : Mémoire touchant l’Édit de janvier 1562. C’est, comme on le voit, à une très légère différence près, le titre même indiqué par Montaigne, et encore convient-il de remarquer que le mot troubles, dont s’est servi Montaigne, s’il ne se trouve pas dans le titre même du manuscrit, y est employé dès la première ligne. Cette coïncidence, déjà forte en elle-même, méritait qu’on s’y arrêtât et qu’on essayât de la confirmer.

L’examen y réussit assez vite. À lire ces pages serrées et pressantes, bien que le copiste trop souvent inintelligent ou inattentif ne nous ait pas conservé le texte dans sa pureté originelle, on se convaincra aisément qu’elles émanent d’un humaniste maître de sa pensée et de sa langue, habile à développer l’une comme à écrire l’autre. Dans l’argumentation et dans le style, on retrouve, quoique avec moins d’éclat, les procédés déjà employés dans la Servitude volontaire : énumérations destinées à convaincre ; raisons éloquentes dont l’exposé est souligné par la force de l’expression ; sobre emploi des figures qui éclaire la démonstration sans l’affaiblir. Ne sont-ce pas des traits de ressemblance avec le Contr’un, plus nerveux, sans doute, et plus généreux dans la forme que les Mémoires sur l’Édit de janvier, inspirés par le même amour de la liberté et de la justice, prêchant le respect de la tolérance avec une conviction plus contenue, mais non moins profonde ?

Évidemment, toutes ces analogies n’ont qu’une valeur relative : on les souhaiterait plus directes, plus probantes. Mais d’autres constatations viennent souligner ces traits, les accentuer. On constate encore, à la lecture, que ces pages sont d’un magistrat du sud-ouest, évidemment d’un conseiller au Parlement de Bordeaux. Il parle maintes fois de la Guyenne, de notre Guyenne, de ce qui s’y fait, de ce qu’on y pense, et les rares exemples qu’il invoque sont tirés de cette région, qu’il plaint et dont il s’occupe avec une sympathie manifeste. Si ces cas sont trop rares, à notre gré, ils n’en sont pas moins caractéristiques. Magistrat, l’auteur penche pour l’exercice de la justice : c’est à elle qu’il veut qu’on fasse appel, il demande qu’elle décide et que le pouvoir administratif exécute. Il sait que, malgré ses écarts, malgré l’intolérance de nombre de ses membres, l’équité des Parlements offre plus de garanties que celle des officiers administratifs : avec elle la répression est plus mesurée, d’ordinaire, plus égale et moins sujette à écarts. Déjà, La Boétie en avait fait l’expérience quand il accompagna, en octobre 1561, Burie, lieutenant du roi à Bordeaux, quand celui-ci vint en Agenais, pour calmer les passions religieuses trop excitées. La Boétie avait essayé alors de faire triompher le bon sens et il est naturel que plus tard, préconisant une mesure générale, pour établir la concorde dans le pays, il ait songé au moyen expérimenté par lui-même.

C’est apparemment dans les derniers jours de cette année 1561, que La Boétie rédigea son mémoire. Elle avait été, cette année, pleine d’événements. À la mort de François II (5 décembre 1560), Catherine de Médicis avait pris en main le pouvoir, comme régente de son fils mineur Charles IX, et se sentant trop faible entre les partis en présence, elle essayait aussitôt de louvoyer, ménageant tantôt Condé et Antoine de Navarre, tantôt supportant les Guise et Montmorency. Cette indécision de la reine se fait sentir sur toute l’administration du royaume. Les États généraux, convoqués à Orléans quand François II trépassa, deviennent aussitôt plus pressants. Le Tiers-État revendique nettement, par la voix de l’avocat bordelais Jean Lange, des réformes politiques et religieuses. Il s’entend avec la Noblesse pour attaquer le Clergé, qui, lui, maladroitement se défend par la violence. Les trois ordres avaient été réunis pour faire face au déficit du trésor royal ; mais la question religieuse s’impose à eux, et désormais c’est elle qui primera les autres.

Ce n’est pas ce qu’eût souhaité la Régente, qui manifestement reléguait alors la question religieuse à la suite de la question dynastique et s’efforçait de maintenir la tranquillité, pour tirer les finances de la royauté et la royauté elle-même du grand embarras où elles se débattaient. Une première fois, le 19 avril 1561, un édit de tolérance vint donner à chacun la liberté des prêches privés et libérer les détenus pour cause de religion ; et ce premier pas dans la voie d’une indulgence intéressée mécontente les catholiques, sans satisfaire les réformés. Les prêches se multiplièrent, les auditeurs devinrent turbulents, Paris se troubla et il en fut de même de bien des provinces du royaume. L’audace des réformés, leur esprit de suite alarmèrent les hommes judicieux qui jusque-là s’étaient montrés sans prévention contre le culte nouveau. La reine s’en émut à son tour, et, d’elle-même, par un coup d’autorité plus affecté que réel, elle promulgua, le 11 juillet, un édit qui défendait les prêches et revint brusquement un an en arrière, à François II, et aux prescriptions de l’ordonnance de Romorantin.

Les réformés ne se méprirent pas sur cette mesure et sentirent tout ce qu’elle avait de précaire. Ils agirent avec la même constance, agitant chaque jour davantage les provinces, tandis qu’à la cour la royauté se débattait dans les mêmes difficultés. En se séparant, les États généraux d’Orléans s’étaient ajournés au 1er mai 1561. Ils ne purent se réunir à Pontoise que le 1er août suivant, et là, le Tiers-État et la Noblesse, marchandant avec le prince, cherchent à obtenir quelque chose de son autorité, en échange des sacrifices qu’ils consentent pour sauver les finances. Le Clergé, lui, est occupé aux vaines discussions théologico-ergoteuses du colloque de Poissy, car on s’est avisé, après une séance générale à Saint-Germain (27 août), pour essayer de rapprocher momentanément les adversaires religieux, de rassembler dans une réunion théologique des prélats catholiques et des pasteurs protestants. Dans ce synode, on discute pendant tout le mois de septembre ; on ergote de plus en plus âprement, à mesure que disparait l’espoir de voir l’Église catholique se réformer elle-même pour se rapprocher de ses ennemis.

On s’étonne maintenant d’une confiance si naïve ; mais il ne faut pas oublier que le dogme catholique n’était pas fixé alors comme il l’a été depuis. Le concile de Trente, qui devait le formuler, convoqué en décembre 1545, subit tant d’interruptions et d’arrêts, qu’en 1561 les mesures qu’on attendait de lui n’avaient pas encore été prises. Dans ces conjonctures, tous se croyaient permis de chercher les moyens de calmer les troubles et chacun en proposait. Naturellement le colloque de Poissy n’avait abouti à aucune solution doctrinale et l’entente avait été si mal établie que parfois les réformés se gourmèrent entre eux aussi vivement qu’ils combattaient les catholiques. Le seul résultat pratique, encore fort incertain, fut la déclaration du Roi du 18 septembre, « sur le fait de la police et réglement qu’il veut être tenu entre ses sujets », et qui, en interdisant le port des armes, donna quelque calme, mais, d’autre part, enhardit les réformés, en suspendant quelques pénalités édictées à leur endroit.

La Guyenne se ressentait naturellement de toutes ces irrésolutions. Déjà, en mai 1560, la publication de l’édit de Romorantin, qui remettait aux évêques la connaissance du crime d’hérésie, avait amené de grands troubles, surtout au pays d’Agenois. Il en fut de même dans toutes les circonstances qui touchaient à ces questions irritantes. Cependant, à la mort de François II, la Guyenne et Bordeaux étaient relativement calmes. On se réunissait un peu partout, avec ou sans armes ; les calvinistes se tenaient cois et bon nombre d’entre eux avaient fait profession de fidélité au nouveau roi. Dès le 18 janvier 1561, le Parlement de Bordeaux avait écrit à la Régente pour lui signaler la multiplication des hérétiques dans son ressort et se plaindre de leurs excès, surtout en Saintonge et dans l’Agenois. Pour veiller sur ces derniers, qui semblaient les plus graves, le lieutenant du Roi Burie avait eu ordre de se rendre à Agen, et Monluc vint l’y rejoindre. Mais les réformés se continrent, sentant que la violence n’était pas de saison et pouvait nuire à leur cause. D’ailleurs, ils pouvaient se répandre en manifestations moins tumultueuses, et, soit au second synode des églises réformées, à Poitiers le 10 mars 1561, soit à l’assemblée des trois états de la province de Guyenne, le 25 mars, il leur avait été loisible de manifester leurs aspirations autrement qu’en troublant le pays.

Les troubles éclatèrent surtout vers la fin de septembre, quand des raisons plus immédiates vinrent s’ajouter aux préoccupations confessionnelles. Des lettres patentes du 22 septembre établirent une imposition extraordinaire de 5 sols par muid de vin, exigée pendant dix ans, et dont le produit était destiné au paiement des dettes de la couronne et au rachat du domaine royal aliéné. Cette mesure fiscale fut surtout ressentie en Guyenne, province viticole, et qui faisait un commerce important de ses produits. On s’efforça de transiger, on réussit à racheter la taxe, mais cette préoccupation avait accru le mécontentement des esprits. C’était précisément l’heure où l’on essayait d’appliquer les mesures indulgentes de la déclaration royale du 18 septembre, consécutive au colloque de Poissy et aux États généraux de Pontoise. Un souffle de libéralisme et de tolérance se faisait sentir à travers les esprits ; les plus sensés songèrent à s’accommoder de cette situation, quitte à l’améliorer ensuite. C’est à bon droit que, pour cette politique, on avait choisi Burie qui n’était pas fanatique et savait juger par lui-même, sans parti pris, du mal et du remède. Suspect aux énergumènes des deux camps, sa loyauté n’en était pas moins foncière, et il voulait la faire prévaloir.

Pourtant, pour cette mission conciliante, Burie voulut emmener La Boétie avec lui et il en demanda l’autorisation au Parlement, le 21 septembre. Tous deux s’en allèrent de conserve à Langon, à Bazas, à Marmande, mais c’est à Agen surtout que leur habileté eut l’occasion de s’exercer. Les réformés s’y étaient emparés du couvent des Jacobins, et n’en voulaient pas déloger. Burie les y contraignit, poussé à cela par La Boétie, « combien qu’il ne se souciât pas beaucoup de la religion romaine », ainsi que le remarque Théodore de Bèze, qui a rapporté le fait.

Mais c’était là pure question d’équité, d’autant qu’en même temps, Burie accordait aux calvinistes l’église Sainte-Foix de la même ville, pour y célébrer leur culte. Il leur défendait non moins formellement de s’emparer désormais de tout autre édifice catholique, et ce sous peine de la mort, et décidait que, partout où il y aurait deux églises, la principale resterait aux mains des catholiques, et que l’autre serait remise aux protestants, mais que là où il n’y en aurait qu’une seule, les deux cultes s’y célébreraient tour à tour, sans se combattre. C’était, par avance, comme un essai d’une des principales dispositions que l’Édit de janvier allait bientôt proclamer.

La Boétie eut-il part à la détermination de Burie, que Théodore de Bèze rapporte ? Après avoir lu le mémoire qui suit, on n’en doutera assurément pas. Ce sont les mêmes sentiments qui inspirent celui qui a écrit et celui qui aurait agi de la sorte. Mais cette tolérance exceptionnelle n’était pas pour se faire admettre des contemporains. Dans la pratique, trop de motifs devaient venir la traverser. Devant cette condescendance, la Réforme prenait de l’audace, soit à la cour, soit dans le pays, et, là où ses adeptes étaient en nombre, ils résistaient ouvertement aux magistrats, d’autant mieux que la régente semblait pencher en leur faveur. Ils s’organisaient militairement et chassaient un peu partout, dans le sud-ouest, les moines de leurs couvents, comme à Agen, à Condom, à Marmande ou à Bazas, brisant les statues et renversant les tabernacles. Ils assassinaient aussi les gentilshommes soupçonnés de leur vouloir du mal, tels que le baron de Fumel. Il est vrai que, là où les catholiques étaient demeurés en force, comme à Cahors, le dimanche 16 novembre 1561, les huguenots furent traqués et massacrés sans merci. Il est fait allusion à cette tragédie, dans le Mémoire, preuve qu’il est postérieur à l’événement. Mais quelle en fut l’occasion précise ? S’il est aisé de le situer après décembre 1561, il l’est beaucoup moins d’en marquer positivement la date.

Le Parlement de Bordeaux était fort excité contre les fauteurs de désordre et les circonstances ne lui manquaient pas de sévir contre eux, malgré Burie qui paraît mieux garder son sang-froid. Est-ce à propos de quelque incident de ce genre que le Mémoire fut présenté au Parlement ? Il se peut ; il se peut aussi que l’occasion de sa composition fut, lorsque la cour de justice eut à désigner quelques-uns de ses membres, pour venir à Saint-Germain examiner, avec le conseil privé, quelle conduite devait être tenue à l’endroit des réformés. L’ inquiétude des catholiques était manifeste devant l’attitude de la régente, qui ménageait chaque jour davantage les dissidents, et l’Espagne entretenait ouvertement, contre Catherine de Médicis, l’opposition de ses sujets. Celle-ci, pour mieux se défendre à l’occasion, parut faire alliance avec les religionnaires, dont les églises étaient bien organisées, et qui lui avaient promis, dit-on, au besoin, un secours de 50.000 hommes. C’est alors que la Reine reprit l’idée d’un nouveau colloque pareil à celui de Poissy, à cette différence près que les gens de robe s’y trouvaient mêlés aux théologiens, dont l’intransigeance avait fait échouer le premier.

Les Parlements durent désigner chacun deux membres, — Bordeaux choisit le premier président de Lagebaston, le conseiller Arnaud de Ferron et l’avocat général de Lescure, — pour se réunir dès le 3 janvier 1562, au château de Saint-Germain. Les membres de l’assemblée étaient au nombre d’une vingtaine, en outre du conseil privé, et on y délibéra aussitôt, non pas sur le point de savoir « laquelle des deux religions était la meilleure, mais si les assemblées devaient être permises ». C’est bien la question qu’examine l’auteur du Mémoire ci-dessous. Comme L’Hospital, il voulait plus de liberté aux prêches, mais à condition que les réformés se montrassent soucieux de la loi et rendissent les églises prises par eux. On discuta beaucoup encore. Les parlementaires se seraient montrés assez volontiers tolérants ; mais les membres du conseil privé n’étaient pas disposés à entrer dans cette voie, et, stimulés par les résistances catholiques, s’opposaient aux mesures trop libérales. Enfin, le 17 janvier, la Reine promulgua l’Édit de janvier, qui refusait l’autorisation d’élever des temples, mais suspendait les mesures pénales contre les novateurs et leur concédait la liberté des prêches et du culte, seulement de jour et hors des villes, à la condition de ne prêcher que « la pure parole de Dieu ».

Pour assurer désormais l’exécution du nouvel édit, il ne lui manquait plus que l’enregistrement des Parlements. Au lieu de le présenter au seul Parlement de Paris, comme c’était la coutume, le Chancelier présenta en même temps l’Édit de janvier à toutes les autres cours du royaume, qui s’empressèrent de l’accueillir, sauf le Parlement de Dijon qui s’y refusa. Plus sage le Parlement de Bordeaux l’enregistra sans retard, et dès la fin de janvier, l’édit y était publié officiellement, tandis que le Parlement de Paris résista jusqu’au 5 mars. Pendant ce temps, Catherine de Médicis, tout en pressant les magistrats, avait essayé de remettre en présence les théologiens et réuni à Saint-Germain, le 27 janvier, une autre conférence de prêtres catholiques et de pasteurs protestants destinés à discuter, en présence des membres du conseil privé, de quelques points controversés, tels que le culte des images, celui des saints et le symbole de la croix. Pas plus que le colloque de Poissy, celui-ci n’aboutit : pendant une quinzaine de jours on argumenta inutilement, moins pour se convaincre que pour ne pas se laisser entamer. Certes, il était naturel qu’il en fût ainsi et cette tentative montra, une fois de plus, la vanité d’un pareil dessein. Mais elle montra aussi combien d’esprits sagaces et positifs venaient aisément à de semblables illusions et s’y tenaient accrochés. On ne saurait s’étonner, après cela, qu’un magistrat comme La Boétie, humaniste et libéral, ait essayé lui aussi de ce moyen inattendu et en ait pesé si attentivement les inconvénients et les avantages.

Après l’enregistrement de l’édit à Bordeaux, le Parlement continua à montrer ses sympathies catholiques, soit en condamnant sévèrement les réformés qui lui étaient livrés, soit en éludant les prescriptions de l’édit nouveau. Il est vrai que la turbulence des religionnaires a augmenté, et, croyant le succès possible, ils se contraignent moins dans leurs prétentions. La Guyenne entière est troublée. Burie lui-même, si pondéré par nature, sent seul le danger et y fait face. Pour y parer, il est aidé de Blaise de Monluc, dont la personnalité vigoureuse commence à s’imposer partout. Tous deux, Burie et Monluc, ensemble ou séparément, opèrent dans tout le pays en faveur de l’autorité royale, et si l’un se montre impitoyable, l’autre fait preuve d’une énergie inaccoutumée. D’abord, le meurtre du baron de Fumel est vengé ; Cahors apaisé ; le Quercy, le Rouergue, l’Agenois visités. Tout y est à feu et à sang et la situation presque sans issue si Monluc n’eût été sans faiblesse. Il bat les huguenots à Targon, prend Monségur, Duras, Agen et Penne, complète ses avantages par des exécutions impitoyables et achève son succès par le combat de Vergt (9 octobre 1562), qui, en ruinant les troupes huguenotes en Guyenne, permet de mieux protéger cette province et améliore singulièrement l’autorité royale.

C’est sans doute peu avant cette issue, en juillet ou en août précédent, que le Mémoire suivant a été composé. Le Parlement sait ces événements si graves et y cherche des remèdes. Parfois, il tient des séances à ce destinées, par exemple une réunion solennelle le 13 juillet, en présence de Burie et de Monluc, pour examiner la situation et en dégager les conséquences. Serait-ce en pareille occurrence que l’auteur du Mémoire communique son œuvre ? Les renseignements sont trop rares pour qu’on puisse répondre avec précision. Mais si les circonstances de la composition sont mal définies, la date ne saurait l’être, car le Mémoire contient à cet égard des indications qu’on trouve plus loin. Il faut le dater du milieu de 1562. Un an plus tard, La Boétie trépassait en pleine force, et ces derniers mois semblent n’avoir été employés par lui qu’à des besognes professionnelles, à l’exercice de son office de magistrat. — Du 26 juin 1557 au 21 mai 1563, on a trouvé et publié vingt-deux arrêts du Parlement de Bordeaux, au rapport d’Étienne de La Boétie. Deux seulement sont de 1563, du 7 et du 21 mai.

Ce qui nous surprend le plus aujourd’hui, en lisant le Mémoire, c’est de voir qu’on ait pu croire à des procédés si chimériques. Depuis plus de trois siècles que l’Église catholique a fixé le dogme et établi la discipline, nous acceptons ou nous refusons cette limite, mais nous ne la discutons pas, parce qu’elle ne saurait être affaire du moment et des circonstances. Il n’en était pas de même alors, et des gens sensés purent croire faire œuvre méritoire en essayant d’accommoder les desseins permanents de la religion aux intérêts transitoires de la politique. On va voir comment l’auteur du Mémoire l’a pensé faire. À coup sûr, sa bonne foi était d’autre espèce que celle de la Régente, qui commençait à appliquer cette maxime de diviser pour mieux régner, et essayait de s’appuyer alternativement sur l’un des deux cultes, jusqu’à ce qu’elle fût assez forte pour les dominer tous les deux. Ce calcul, d’ailleurs, ne fut de mise que peu de temps, car, au moment où l’Édit de janvier était promulgué, le concile de Trente reprenait ses séances, le 18 janvier 1562, avec la ferme intention de pousser à bout la besogne dont il était investi. Il s’y donna avec ardeur, si bien qu’en dépit des obstacles, deux ans plus tard, le 26 janvier 1564, le pape Pie IV confirmait par une bulle les décrets du concile et attribuait exclusivement au Saint-Siège l’interprétation de ces décisions théologiques. Rome parlait et sur ce point il n’y avait qu’à la suivre, sous peine d’hérésie, tandis que toutes les discussions avaient pu se produire jusque-là en pleine liberté.

C’est ce qu’on ne saurait oublier en lisant les pages suivantes. Généreux et naïf, l’apôtre de l’Édit de janvier eût souhaité que l’accord entre réformés et catholiques eût des bases solides et raisonnables, fondées sur de mutuelles concessions. Il voit les vices du clergé, de l’Église, cherche de bonne foi à les amender, discute des sacrements, des images, de la vénération des saints, avec le désir manifeste de réussir à concilier des antinomies, à les rendre tolérables, sinon à les fondre. Il veut que l’Église ancienne s’améliore et que la nouvelle soit moins ardente à combattre ; que les charges financières se partagent mieux et que les individus se montrent plus modérés ; et, pour dominer les passions, que la justice, avisée mais sans faiblesse, impose à tous le respect de la chose publique. Tel est aussi, à quelques différences près, l’idéal, plus ou moins sincère, qu’on trouve dans le langage de quelques hommes prudents du temps, L’Hospital, du Ferrier, Jean de Monluc par exemple.

En parlant comme eux, avec plus de loyauté, semble-t-il, que quelques-uns, La Boétie montre ses qualités personnelles : une forme plus nette, une argumentation plus pressante, une certaine chaleur d’âme qui anime la pensée sans lui souffler la force de conviction qu’un raisonnement plus serré lui eût sans doute apportée. On jugera à la lecture de ces pages, plus éloquentes que logiques, quels sont leurs mérites et leurs défauts. C’est d’un homme de sens et d’expérience, ce mémoire, d’un esprit qui sait analyser une situation et raisonner une politique ; et si l’écrivain est un peu long par endroits, il a un style net et ferme, et s’entend à concentrer un argument dans une phrase vigoureuse. Il ne devait pas y avoir alors beaucoup d’hommes ainsi maîtres de la langue et capables de la manier avec cette sûreté et cette sobriété dans le ton grave.

Quant au texte, on s’est contenté de suivre le manuscrit, sans en garder l’orthographe et sans prétendre respecter les inadvertances d’un scribe peu intelligent ou inattentif, qui, écrivant sans doute rapidement et sous la dictée, perd souvent le fil de la pensée de son auteur. Ce qu’on a voulu surtout, à présent, c’est donner l’impression d’une œuvre suivie, qui a l’allure, la tenue littéraire, en même temps qu’en fournir un texte acceptable. Pour cela on a essayé de suppléer aux quelques lacunes, peu nombreuses d’ailleurs, par des mots ajoutés entre crochets et qui éclairent, quand on l’a pu, les obscurités de la pensée ou de la langue. On aura ainsi un texte précis où la critique verbale pourra s’exercer utilement et s’employer à l’établir tel qu’il fut composé à l’origine…*

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*[M. Paul Bonnefon, décédé presque subitement, n’a pas eu le loisir de relire l’épreuve en pages de ce volume. On peut dire que sa dernière pensée a été pour La Boétie, puisque la mort l’a surpris, la plume à la main, au moment même où il nous écrivait à ce sujet. Nous avons tâché de suppléer dans la mesure du possible à sa vigilance et nous nous excusons par avance de fautes qu’il n’aurait pas laissé échapper. Peut-être eût-il encore amélioré le texte du Mémoire qu’il avait transcrit en 1913, pour la Revue d’Histoire Littéraire de la France. Qu’il nous soit permis, en passant, d’honorer la mémoire d’un ami à qui la Collection des Chefs-d’œuvre Méconnus et son directeur doivent beaucoup. (G. T.)].

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Ouvrage de Paul Bonnefon sur Etienne de la Boétie :
Sa vie, ses ouvrages et ses relations avec Montaigne, Bordeaux 1888, Genf 1970, 2013

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etienne-de-la-boetieINTRODUCTION AU DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

 

AURELIA DE SOUSA – CASA MUSEU MARTA ORTIGÃO SAMPAIO – EXPOSITION – Exposição celebra 150 anos

PORTUGAL
PORTO

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 Photos Jacky Lavauzelle

AURELIA DE SOUSA

Exposição celebra 150 anos de Aurélia de Sousa


 CASA MUSEU MARTA ORTIGÃO SAMPAIO
Rua de Nossa Senhora de Fátima

Aurélia de Sousa
Valparaíso, 13 de Junho de 1866 — Porto, 26 de Maio de 1922
13 juin 1866 – 26 mai 1922

 

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Affiche de l’exposition qui célèbre les 150 ans d’Aurélia de Sousa à la Casa Museu Marta Ortigao Sampaio
Rua de Nossa Senhora de Fátima – 291
Exposição celebra 150 anos de Aurélia de Sousa

aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-62Cena de Interior com Senhora
Scène d’intérieur avec femme
óleo sobre tela – huile sur toile

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Menina sentada
Jeune fille assise
óleo sobre tela – huile sur toile

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Interior – Senhora à Janela
Intérieur – Femme à la fenêtre
óleo sobre tela – huile sur toile

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Cena da pesca
Scène de Pêche

aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-66Esplanada – Paris
Esplanade
óleo sobre tela – huile sur toile

aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-64A Sopa dos pobres
La Soupe des pauvres
óleo sobre tela – huile sur toile

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Sofia Martins de Sousa
Autorretrato
Autoportrait
Pastel sobre papel – Pastel sur papier

aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-6Filósofo (Diógenes)
Philosophe (Diogène)
crayon e giz sobre papel
crayon et craie sur papier

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Sofia Martins de Sousa
Jarra com Hortênsias
óleo sobre tela – huile sur toile

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Vareira
Painel de azulejo
Panneau d’azulejo

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Cena interior com a mãe do artista
Scène d’intérieur avec la mer de l’artiste
óleo sobre tela – huile sur toile

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Cena Familiar (no trabalho)
Scène de famille (au travail)
1911
óleo sobre tela – huile sur toile

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Vendedeiras de Castanhas
Vendeurs de châtaignes
óleo sobre tela – huile sur toile

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Mulher fiando
Femme filant
óleo sobre tela – huile sur toile

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Sofia M. de Souza Lendo à Mesa
Sofia M. de Souza lecture à table
óleo sobre tela – huile sur toile

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Bretã (autorretrato)
Bretonne (autoportrait)

Cerca 1900
Vers 1900
óleo sobre tela – huile sur toile

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Ávo e neta no jardim
Grand-mère et petite-fille au jardin
óleo sobre tela – huile sur toile

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Á sombra
à l’ombre
óleo sobre tela – huile sur toile

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Sofia Martins de Sousa
óleo sobre tela – huile sur toile

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Retrato de Antonio da Silva Moreira
1909

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Interior (Em familia)
Intérieur (En famille)
óleo sobre tela – huile sur toile

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Interior com figura feminina
Intérieur avec femme
óleo sobre tela – huile sur toile

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Menina num estúdio de pintura 
Fille dans un atelier de peinture
óleo sobre tela – huile sur toile

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La dame à la blouse rouge
óleo sobre tela – huile sur toile

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Retrato do pai de Aurélia de Sousa
Portrait du père de l’artiste

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Retrato da mãe de Aurélia de Sousa
Portrait de la mère d’Aurélia de Sousa

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« cabeça de Velho »
Tête de vieil homme
óleo sobre tela – huile sur toile

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« cabeça de negro « 
Tête d’homme noir
óleo sobre tela – huile sur toile

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Cabeça de menino
Tête d’enfant
óleo sobre tela – huile sur toile

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Retrato
de Mariana
Portrait de Mariane
1895
óleo sobre papel- huile sur papier

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Santo António
Aurélia de Sousa en Saint-Antoine
« Aurélia de Sousa nasceu no dia 13 de junho, dia de Santo António. Terá sido essa e principal razaõ para a escolha deste seu retrato de corpo inteiro ? »
« Aurélia est née un 13 juin, jour de Saint-Antoine. Est-ce là la raison la principale raison de ce portrait ? »

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Bebé e Lilita
Bébé et Lilita
óleo sobre tela – huile sur toile

aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-60Rapariga segurando uma abada
Fille portant un sac
óleo sobre tela – huile sur toile

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D’après Peter Rabbit – Pierre Lapin
-livre pour enfants –
écrit et illustré par l’écrivaine anglaise Beatrix Potter aurelia-de-sousa-casa-museu-marta-ortigao-sampaio-artgitat0-13

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Autoretrato do laço
Autoportrait à la cravate

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Exposição celebra 150 anos de Aurélia de Sousa


 CASA MUSEU MARTA ORTIGÃO SAMPAIO 

 

LU XUN Proses Poèmes & Analyses – 鲁迅 – 散文 诗

LITTERATURE CHINOISE
中国文学

LU XUN
鲁迅
散文 Prose
Poème 诗

1880-1936

 Traduction Jacky Lavauzelle

 Lu Xun Oeuvres Proses et Poésie Artgitato 2



texte bilingue

 

 

LU XUN
Proses et Poèmes
Analyses

Traduction Jacky Lavauzelle

PROSE

**

La Véritable histoire de Ah Q
阿Q正传
1921-1922
 Chapitre I
第一章
Préface
 序
la véritable histoire de Ah Q Lu Xun Artgitato

***
Analyse

*
LU XUN
Chirurgien de l’âme

La médecine et la littérature empreintent parfois des chemins inattendus. En partie par son impuissance, voire par un certain charlatanisme, la médecine a longtemps décu et a poussé à prendre l’encrier. Passer de la plaies à la plume. Toucher les consciences semble plus efficace que de recoudre, de soigner les infections, de recoudre.  « La médecine peut guérir le corps, elle ne peut guérir le cœur » disait  Saint Paul de Tarse.

Lu Xun Chirugien de l'Âme Artgitato

**

LU XUN
AU BANQUET DE LA DYNASTIE MING

Comme en France, cette fin de XVIIème en Chine est fleurissante. Nous sommes à la fin de la dynastie Ming. Même si c’est la technique de la porcelaine qui symbolise le mieux cette période, tous les arts, sans être totalement révolutionnaires, arrivent à une maturité certaine. Nous pensons à l’épopée, au XIVème siècle, des cent huit voleurs de Au bord de l’eau de Shi Nai’an, sortes de Robin des bois révoltés contre le pouvoir en place.

Lu Xun au banquet de la dynastie Ming Portrait de Yongle

***

 SOUS LA VOÛTE GLACEE DE LA MORT

Lu Xun écrit pour le présent. La postérité, il n’y pense pas. Tout au plus  il l’aborde comme quelque chose de tellement  loin. Ce n’est pas son but. Einstein disait que « celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement ni surprise est pour ainsi dire mort : ses yeux sont éteints. »
Lu Xun a les yeux constamment ouverts. Ouverts sur son époque et ses contemporains.

Lu Xun Sous la voûte glacée de la mort Artgitato Le Monde illustré 1858 Supplice du lingtchi

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LuXun1930

Œuvre de FERNANDO PESSOA Poésie & Prose – Poesia e Prosa

Oeuvre de Fernando Pessoa

*

Traduction – Texte Bilingue
tradução – texto bilíngüe

Traduction Jacky Lavauzelle


LITTERATURE PORTUGAISE
POESIE PORTUGAISE

Literatura Português

FERNANDO PESSOA
1888-1935
Fernando Pesso Literatura Português Poesia e Prosa Poésie et Prose Artgitato

 

Œuvre de FERNANDO PESSOA
Poesia e Prosa
***

Poésie & Prose
***

**
A Fernando Pessoa
1915
A Fernando Pessoa Alvaro de Campos 1915 Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française

(Depois de ler seu drama estático « O marinheiro » em « Orfeu I »)
(Après la lecture de votre drame statique « Sailor » dans « Orphée I »)

**

ADIAMENTO
AJOURNEMENT
 (ÁLVARO DE CAMPOS – 1928)

**
Ah, Um Soneto
Ah, un Sonnet
Fernando Pessoa Ah un sonnet Ah um soneto Artgitato Traduction Française

Meu coração é um almirante louco
Mon cœur est un amiral fou

**

Análise
Analyse

analise poema de Fernando Pessoa Analyse Poème de Fernando Pesso Artgitato

Tão ABSTRATA é a idéia do teu ser
Si ABSTRAITE est l’idée de ton être

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Apontamento
Note
1929
Apontamento Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française Note
**

As caricaturas de Almada Negreiros 
Les caricatures d’Almada Negreiros
1932
Les Caricatures d'Almada Negreiros AS CARICATURAS DE ALMADA NEGREIROS Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française

**

Autopsicografia
Autopsychographie

Autopsicografia FERNANDO PESSOA Autopsychographie Artgitato

**
Aviso por causa da moral
Avertissement à cause de la morale
1923
AVISO POR CAUSA DA MORAL Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française
**

Balança de Minerva
LA BALANCE DE MINERVE
1913

Destina-se esta secção à crítica dos maus livros e especialmente à crítica daqueles maus livros que toda a gente considera bons.
Cette section est destinée à la critique des mauvais livres et surtout la critique de ces mauvais livres que tout le monde apprécie.

**

Álvaro de Campos
 Carta dirigida à revista Contemporânea
Lettre à la Revue Contemporânea
17 Outubro 1922
 17 octobre 1922

Venho escrever-lhe para o felicitar pela sua «Contemporânea» para lhe dizer que não tenho escrito nada e para por alguns embargos ao artigo do Fernando Pessoa.
Je vous écris ici pour vous féliciter de votre « Contemporânea », pour vous dire que je ne l’ai pas écrit et pour revenir sur l’article de Fernando Pessoa.

**

Crónicas da Vida Que Passa

Crónica da Vida Que Passa
Chronique de la Vie qui passe
15 de Abril 1915 – 15 avril 1915

Sur la Trahison et le Traître

Na Rússia — ao contrário do que se tem dito — continuam as perseguições políticas.
En Russie – contrairement à ce qui a été dit – les persécutions politiques continuent.
Acaba de ser enforcado, por traidor, o coronel russo Miasoyedoff.
Le colonel russe Miasoyedoff vient d’être pendu pour trahison.

Crónica da Vida Que Passa
Chronique de la Vie qui passe
21 de Abril 1915 – 21 avril 1915

O proletariado organiza-se.
Le prolétariat s’organise.
Inaugurou-se há dias, em Lisboa, a Associação de Classe dos Monárquicos.
Il a inauguré il y a quelques jours, à Lisbonne, l’Association de Classe de Monarchistes.

**
 Escripto num livro abandonado em viagem
Ecrit dans un livre abandonné en voyage
1928
Escripto num livro abandonado em viagem 1928 Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française
**

Álvaro de Campos
Gazetilha
La célébrité des fous
1929

 Dos Lloyd Georges da Babilônia
Des Lloyd George de Babylone
Não reza a história nada…
L’histoire n’a rien conservé

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Lisbon revisited
1923
Lisbon revisited 1923 Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française

**
Mar Português
Mer Portugaise

Mar Português Mer Portugaise Fernando Pessoa Artgitato

Ó mar salgado, quanto do teu sal
Ô mer salée, combien de ton sel

São lágrimas de Portugal!
Vient des larmes du Portugal !








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O Caso mental português 
 Le Cas mental portugais
1932
Le cas mental portugais O CASO MENTAL PORTUGUÊS Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française

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O GUARDADOR DE REBANHOS
LE GARDEUR DE TROUPEAUX
Alberto Caeiro
1925

Fernando Pessoa Poème XXIV -Le Gardien de Troupeaux - O GUARDADOR DE REBANHOS Artgitato

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O Homem de Porlock
L’HOMME DE PORLOCK 
1934

A história marginal da literatura regista, como curiosidade, a maneira como foi composto o escrito o Kubla Kan de Coleridge.
L’histoire marginale de la littérature note comme une curiosité la manière dont fut rédigé le  Kubla Khan de Samuel Taylor Coleridge.

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O Livro do Desassossego
Le Livre de l’intranquillité
IV

E do alto da majestade de todos os sonhos, ajudante de guarda-livros na cidade de Lisboa.
Et du haut de la majesté de tous les rêves, moi, aide-comptable à Lisbonne.

Fernado Pessoa Le Livre de l'Intranquillité Artgitato O Livro do Desassossego

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LETTRE DE FERNANDO PESSOA
A MARIO DE SA-CARNEIRO
CARTA A MÁRIO DE SÁ-CARNEIRO
14 MARS 1916 – 14 DE MARÇO DE 1916

**

O PENÚLTIMO POEMA
L’AVANT DERNIER POEME
ALBERTO CAEIRO
1922

Também sei fazer conjecturas.
Je sais aussi faire des conjectures.
Há em cada coisa aquilo que ela é que a anima.
Il y a dans chaque chose tout ce qu’elle est et qui l’anime.

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Opiário
Fumerie 
1914
Opiário Fumerie Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française
**

O que é a metafisica ?



Qu’est-ce que la métaphysique
1924
O QUE É A METAFÍSICA Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française

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Os dos Castelos
Les Châteaux
1828

os dos castellos poema de fernando pessoa les châteaux poème de Fernando Pessoa Artgitato








A Europa jaz, posta nos cotovelos:
L’Europe a posé ses coudes

De Oriente a Ocidente jaz, fitando,
De l’Est à l’Ouest, elle est là, fixant

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Poemas Inconjuntos
Poèmes Désassemblés
(1913-1915)
Alberto Caeiro

**
Quero acabar entre rosas
Je veux finir entre les roses
1932
Quero acabar entre rosas Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française Je veux finir entre les roses

Quero acabar entre rosas, porque as amei na infância.
Je veux finir entre les roses, parce je les aimais dans mon enfance.

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Soneto Já Antigo
Sonnet déjà ancien
1922
Soneto Já Antigo Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française Sonnet déjà antique

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Tabacaria
La Bureau de tabac
1928
Fernando Pessoa Tabacaria Bureau de Tabac Artgitato Traduction Française
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Tenho Tanto Sentimento
J’ai tant de sentiment
Tenho Tanto Sentimento J'ai tant de sentiment Fernando Pessoa Artgitato

Tenho tanto sentimento
J’ai tant de sentiment

  Que é frequente persuadir-me
Que fréquemment je me persuade
De que sou sentimental,
Que je suis sentimental,




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Trapo
Loque
1931
Trapo Fernando Pessoa Loque Artgitato Traduction Française
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Três Canções Mortas
Trois Chansons Mortes
1923

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Um Grande Português 
Un grand
Portugais
1926
Um grande português Fernando Pessoa Artgitato Traduction Française Un grand Portugais Manuel Peres Vigario




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LE ROI DENIS Ier
D. DINIS

publié dans Mensagem (1934

Na noite escreve um seu Cantar de Amigo
La nuit, il écrivait ses Chansons d’Amis,
O plantador de naus a haver,
Le planteur de navires en devenir,

Cave at evening, Joseph Wright, 1774, Smith College Museum of Art, Northampton, Massachusetts

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Œuvre de Fernando Pessoa