Représentée pour la première fois par les comédiens français le 2 février 1694.
PRÉFACE
Les comédies d’un acte sont aussi anciennes que le théâtre. Celles des Grecs se représentaient tout de suite ; et la méthode de les partager en cinq actes est une pratique ingénieuse, inconnue aux premiers poètes, et dont l’honneur n’est proprement dû qu’à leurs scholiastes. Le chant des chœurs, dont les derniers se sont servis pour marquer le repos de l’action, et qui faisaient une des plus grandes beautés de l’ancienne comédie, n’y fut d’abord conservé que par respect pour l’origine du poème dramatique, qui, comme tout le monde sait, n’était autre chose, dans ses commencements, qu’une ou plusieurs chansons rustiques à l’honneur de Bacchus, auxquelles on joignit avec le temps des épisodes, qui, en se perfectionnant peu à peu, y introduisirent l’action qui y manquait. Nos petites comédies ont commencé en France à peu près de la même manière. Ce n’était d’abord qu’une chanson grossière, dont quelque acteur enfariné venait régaler le peuple après la représentation d’une pièce sérieuse. Les Gros-Guillaume, les Jodelet, les Guillot-Gorjus y mêlèrent leurs bouffonneries et il se trouva des auteurs complaisants qui voulurent bien y mettre la main, en les liant par une espèce d’action exprimée le plus souvent en petits vers. C’est ce qu’on appelait la farce. L’impression en conserve encore quelques-unes qui, à dire le vrai, méritaient fort peu de nous être conservées. Molière, que nous pouvons regarder comme le créateur de la comédie moderne, s’avisa le premier de faire de ces petites pièces un spectacle digne des honnêtes gens, et le grand succès des comédies qu’il fit, en un acte et en trois actes, justifia bientôt qu’il ne manquait à celles qu’on avait faites avant lui, que de la noblesse et de la régularité, pour être d’excellentes pièces de théâtre. Car c’est une pure imagination de croire que le temps d’une comédie doive être déterminé par autre chose que par le temps de son action ; et si on regarde comme une faute de donner vingt quatre heures de durée à une action qui se représente en deux heures et demie, c’en serait une bien plus grande de donner deux heures et demie de représentation à une action qui ne doit durer qu’une demi-heure. Il n’est donc pas question de savoir si une comédie d’un acte peut être parfaite ; il ne s’agit que de distraire celles qui sont parfaites, d’avec celles qui ne le sont pas ; et comme ce qui constitue le poème n’est autre chose que l’instruction qui en est la fin, et le plaisir qui en est le moyen, on peut dire que ceux en qui ces deux conditions se rencontrent sont des poèmes parfaits, et que ceux à qui l’une des deux manque, ne le sont point car il est inutile de parler des poèmes à qui elles manquent toutes deux, puisqu’ils ne peuvent jamais rien valoir. Or, il est certain que l’imitation vive et naturelle d’une chose qui mérite d’être imitée, ne saurait manquer de plaire et d’instruire ; et sur ce principe, je ne craindrai point de dire que de petites comédies, comme les Précieuses ou la Comtesse de d’Escarbagnas, et quelques autres qui représentent dans un tableau achevé des ridicules dignes de correction, méritent autant de louanges que les plus grandes pièces du même genre, quoiqu’il y ait peut-être plus de travail dans celles-ci que dans les premières. J’ai cru devoir cet éclaircissement au public, en faveur de plusieurs pièces auxquelles quelques savants semblent ne refuser la justice qui leur est due, que parce qu’elles n’ont point leurs cinq actes bien comptés. Je n’ai point eu d’autre vue en écrivant ces réflexions ; et, bien loin d’en vouloir tirer quelque avantage pour moi même, j’avouerai de bonne foi que si j’avais été capable de les faire dans l’âge où j’ai composé la petite comédie suivante, j’aurais choisi un sujet plus digne, de l’attention du public. Car quoiqu’elle représente assez naturellement les personnages qui hantaient les cafés de ce temps-là, il est toujours vrai qu’elle peint une chose qui ne mérite pas d’être peinte ; et que quand même elle n’aurait d’autre défaut, on ne pourrait la ranger tout au plus que dans la seconde classe des petites pièces, puisqu’il ne suffit pas, dans la comédie, de faire rire le public, mais qu’il faut encore, si on peut, le faire rire utilement. C’est tout ce que j’ai à dire de ce petit ouvrage. J’ajouterai seulement qu’en établissant ici des règles qui sont plus anciennes que moi, je n’ai pas prétendu ôter à toutes les pièces qui n’instruisent point le mérite de leur agrément et de leur vivacité. Ce serait faire un trop grand tort à quantité de bonnes comédies anciennes et modernes. Ce que je veux dire, c’est que pour les rendre absolument parfaites il serait à souhaiter qu’elles fussent aussi utiles qu’agréables ; et qu’en faisant rire leurs lecteurs, elles eussent encore l’avantage de leur apprendre quelque chose qui fût digne de leur être appris. Ergo, non satis est diducere rictum Auditoris ; et est in hoc quoedam quoque virtus.
LES PERSONNAGES
MADAME JÉROME, marchande de café.
LOUISON, sa fille.
DORANTE, amant de Louison.
MONSIEUR JOBELIN, notaire.
LA SOURDIÈRE, ami de Monsieur Jobelin.
LE CHEVALIER, ami de Dorante.
CORONIS, gascon, ami de Dorante.
L’ABBÉ, ami de Dorante.
CARONDAS, poète.
LA FLÈCHE, valet de Dorante.
PREMIER JOUEUR de dames.
SECOND JOUEUR de dames.
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Scène I
La Sourdière, Coronis, Carondas, L’Abbé, Deux joueurs.
Le théâtre représente une salle de café, meublée de plusieurs tables. Le Poète paraît rêvant d’un côté auprès de deux joueurs de dames. L’Abbé dort dans le fond ; et de l’autre côté, Coronis et La Sourdière disputent ensemble assis, en prenant leur café.
LA SOURDIÈRE Oh parbleu ! Je vous soutiens que si.
CORONIS Et moi, mordi, je vous soutiens que non et je mets cent pistoles que nous n’aurons rien cette année en Hongrie.
LA SOURDIÈRE Vous me feriez enrager, monsieur Coronis. Vous voulez savoir cela mieux que moi qui vois tous les jours aux Tuileries un homme qui reçoit toutes les semaines la gazette de Constantinople.
CORONIS Quand ce serait celle de Babylone.
LA SOURDIÈRE C’est être bien têtu. Et moi, je vous dis que je vis hier, entre ses mains, une lettre de l’aumônier d’un des principaux bâchas, qui marque expressément que le grand vizir est en marche avec deux cent mille hommes, et qu’il va droit à Belgrade, pour l’assiéger par terre et par mer.
CORONIS Belgrade par mer et par terre ! Où avez-vous appris la géographie, s’il vous plaît ?
LA SOURDIÈRE Comment, Belgrade n’est pas un port de mer ?
CORONIS Non pas, que je sache ou bien c’est depuis fort peu de temps.
LA SOURDIÈRE Morbleu, je sais la carte, et j’ai voyagé. Je parie que monsieur Carondas sera de mon avis. Monsieur, holà ! Monsieur Carondas, réveillez-vous.
CARONDAS Ah morbleu ! Que la peste soit de votre babil ! Est-il possible qu’on ne puisse faire ici quatre vers en repos, et que les plus belles pensées du monde y soient sans cesse immolées à la pétulante loquacité du premier importun !
CORONIS Quoi ! Vous faites des vers au café ? Voilà un plaisant Parnasse !
CARONDAS Je revois a l’épithalame (1) de monsieur Jobelin le notaire et de la fille du logis. Ils attendent qu’elle soit faite pour se marier ; et j’ai bien voulu y donner un de ces quarts d’heure précieux que j’emploie à chanter les louanges des dieux et des héros.
CORONIS Comment ! La petite Louison se marie ! Et que deviendra le pauvre Dorante ?
LA SOURDIÈRE Il prendra la peine de s’en passer. Monsieur Jobelin est mon ancien ami, et je dois prendre part à tout ce qui regarde ce mariage. Monsieur Carondas, peut-on voir votre épithalame ?
CARONDAS. Je n’en ai fait encore que la première strophe. La voici : Hymen ïo, ô Hyménée ! Célébrons la douce journée, Où deux amants heureux s’unissent pour toujours. Venez, tendres Amours, combler la destinée De cette épouse fortunée. Que de ses flancs féconds, puisse dans peu de jours Sortir une heureuse lignée Hymen ïo, ô Hyménée !
LA SOURDIÈRE Diable, voilà du sublime, et cela s’appelle un début magnifique.
CORONIS Et très avantageux pour le futur époux.
CARONDAS Vous verrez bien autre chose, si je puis obtenir des libraires qu’ils impriment mon incomparable traduction de la Batrachomyomachie (2) d’Homère, car j’excelle dans les traductions des anciens auteurs, et je travaille actuellement à mettre en vers grecs l’Énéide de Virgile, pour la commodité de ceux qui n’entendent point la langue latine. Mais laissez-moi songer à ma seconde strophe.
LA SOURDIÈRE C’est bien dit ; aussi bien notre café refroidit.
CARONDAS Du flambeau de l’hymen.
LE SECOND JOUEUR Attendez, monsieur, ce n’est pas cela ; vous dérangez le jeu.
LE PREMIER JOUEUR Pardonnez-moi. J’ai joué là vous avez jouez ici ; je vous ai donné à prendre ; vous avez mis dans le coin ; et je vous souffle.
LE SECOND JOUEUR Ah ventrebleu ! On n’a jamais joué du malheur dont je joue.
CARONDAS. Eh quoi toujours du bruit ?
Scène II
Le Chevalier, Coronis, La Sourdière, L’Abbé, Carodas, Les Joueurs.
LE CHEVALIER entre en chantant et dansant. La, la, la, la, ra, ré. Allons hé du café.
CARONDAS Encore, de tous côtés ?
LE CHEVALIER chante. Que chacun me suive. Trinquons hardiment, Point de ménagement ; Je ne bois jamais autrement. Je hais un convive Qui dans un repas Ne boit que par compas, Et craindrait de faire un faux pas. Que chacun me suive. Trinquons hardiment, Point de ménagement ; Je ne bois jamais autrement.
CARONDAS. Ah ! Je n’y puis plus tenir. Sortons, fuyons : ultra sauromatas hinc libet (3).
LE CHEVALIER Adieu donc, monsieur Carondas. À Coronis. Bonjour, mon ami. À la Sourdière. Eh, te voilà, vieux pécheur !
L’ABBÉ se réveillant et bâillant tout haut. Ahi ! Ouf !
LE CHEVALIER Ah parbleu ! Petit Abbé, mon mignon, je ne vous voyais pas. Comment te portes-tu ?
L’ABBÉ Quelle heure est-il ?
LE CHEVALIER brouillant le jeu. Ah ! Ah ! Messieurs, vous jouez aux dames.
LE PREMIER JOUEUR Morbleu, monsieur, cela ne se fait point ; vous avez tort. Attendez, Monsieur, j’avais gagné. Vous me devez une tasse de café au moins.
LE SECOND JOUEUR Oui ! Tarare.
Scène III
L’Abbé, Le Chevalier, Coronis, La Sourdière.
L’ABBÉ Dites-moi un peu, jeunes gens, Dorante n’est-il point venu ici pendant que je dormais ? En cas qu’il vienne, je vous prie monsieur Coronis, de lui dire que je me suis informé de son monsieur Jobelin, et que je suis instruit à fond de tout ce qui regarde cet homme-là.
LA SOURDIÈRE à part. Oh, oh ! voici bien d’autres affaires. Malepeste ! Ceci ne vaut pas le diable. Allons l’avertir de ce qui se passe.
Il s’en va.
L’ABBÉ Pour moi j’ai rendez-vous chez Forel. Il est tard, et j’ai peur qu’on ne soupe sans moi. Je n’ai point dîné.
CORONIS Comment, monsieur l’Abbé, à dix heures du soir n’avoir point dîné, et être ivre ! Quelle bénédiction !
L’ABBÉ Je me suis mis à table ce matin entre sept et huit, et nous avons déjeuné jusqu’à l’heure qu’il est.
LE CHEVALIER Voilà un pauvre garçon qui me fait pitié.
L’ABBÉ Nous n’avons bu qu’environ vingt-cinq bouteilles de vin à quatre. J’ai fait un petit somme ; me voilà prêt à recommencer.
CORONIS Quel heureux naturel ! Quel tempérament !
L’ABBÉ Pour vingt-cinq bouteilles s’enivrer ! Quelle honte est-ce là ? Il n’y a plus d’hommes, mes amis, et le monde va toujours en déclinant. Je soutiens encore un peu noblesse ; mais je m’en irai comme les autres. Bonsoir, messieurs, je m’en vais boire à votre santé.
Scène IV
Coronis, Le Chevalier, Dorante.
LE CHEVALIER Où diable trouverons-nous Dorante ?
CORONIS Eh donc ! Le voici, Dieu me damne ! D’où viens tu, grand bélître (4) ? L’Abbé te cherchait tout à l’heure ; il a des nouvelles à t’apprendre.
DORANTE Où est-il allé ?
CORONIS Il vient de sortir. Tu le trouveras chez Forel.
DORANTE Il faut nécessairement que je lui parle ce soir.
LE CHEVALIER Qu’est-ce, mon ami ; on dit que tu n’épouses plus en ce pays-ci ?
DORANTE Ma foi, cela m’intrigue un peu, franchement.
CORONIS Comment tu serais amoureux ? Oh le fat !
DORANTE Amoureux ou non, je t’assure que la petite personne est fort aimable ; et, sa beauté à part, elle a vingt mille écus. Cela ne messiérait point à un cadet qui n’a que la cape et l’épée.
LE CHEVALIER Tu n’es pas riche, nous le savons ; mais un gentilhomme se noyer dans une chocolatière ! Il y a de la folie, ma foi ; il y a de la folie.
DORANTE De la folie ! Va, va, mon pauvre Chevalier, l’intérêt a rapproché les conditions, et nous voyons bien des gentilshommes qui vivraient en roturiers, s’ils n’avaient épousé des roturières.
CORONIS Sans doute ; et la délicatesse sur les mésalliances ne subsiste plus que chez les Allemands.
DORANTE Au bout du compte, qu’est-ce que je risque ? Je suis gentilhomme et gueux : elle est roturière et riche ; j’aurai de l’argent pour ma noblesse la compensation ne m’est pas désavantageuse ; Vous êtes tous deux mes amis. Je ne désespère pas encore, et si vous voulez me seconder, avant qu’il soit peu nous ferons bien tourner la chance.
LE CHEVALIER Oui-da ! De quoi s’agit-il ? Tu sais que je suis à toi, à vendre et à engager.
CORONIS Tu sais combien je t’aime, et avec quelle fidélité nous avons toujours partagé les émoluments du lansquenet (5).
DORANTE Voici ce que je veux faire. Vous savez que notre notaire est joueur, et que la confiance qu’il a en son habileté, fait qu’il s’embarque le plus aisément du monde. Or, j’ai un valet, qui assurément est un des plus adroits fripons qu’il y ait à vingt lieues à la ronde. J’ai concerté avec lui qu’il engagerait mon homme au jeu, et que pendant que vous amuseriez ce vieux renard de La Sourdière qui ne le quitte jamais. Mais voici mon valet.
Scène V
La Flèche, Dorante, Le Chevalier, Coronis.
LA FLÈCHE Monsieur, je n’ai pu trouver votre gros Abbé ; et si, j’ai été dans tous les cabarets de la ville.
DORANTE Je sais où il est ; il suffit. Va-t’en étudier ton personnage, et reviens quand il sera temps.
LA FLÈCHE Étudier, dites-vous ? Vraiment, voilà bien de quoi, et j’en ai bien fait d’autres il n’y a que huit jours que j’ai l’honneur de vous servir ; mais quand nous nous connaîtrons mieux, vous verrez qu’en fait de fourberie, personne, Dieu merci, n’est capable de me faire la leçon. S’agit-il de déniaiser quelque étranger nouvellement débarqué de faire mordre un jeune homme à l’hameçon d’une coquette, ou de maquignonner un mariage impromptu c’est moi qu’on vient chercher, j’excelle, je triomphe. Mais surtout pour enfiler une dupe à quelque jeu que ce soit, et lui, tirer par cent moyens ingénieux tout l’argent de sa bourse, je suis le garçon de France le plus en réputation.
LE CHEVALIER Vertubleu voilà un joli garçon.
DORANTE Dis-moi ! N’es-tu jamais venu ici ?
LA FLÈCHE Oh vraiment, monsieur, pardonnez-moi. J’ai été autrefois un des principaux marguilliers du café et j’avais droit de séance à ce banc redoutable, d’où il part tous les jours tant d’arrêts contre la réputation des femmes ; où les mystères du gouvernement sont si bien développés et les intérêts des princes de l’Europe si savamment approfondis. Vous moquez-vous ? Je suis plus connu dans les cafés que Pilot-Bouffi dans les cabarets.
CORONIS Je gagerais, à l’entendre, qu’il est de quelque province au-delà de la Loire. Il n’est pas permis d’avoir tant d’esprit autrement.
LA FLÈCHE Je suis de Dauphiné, à vous rendre mes services.
CORONIS Malepeste ! Joli pays. De l’argent peu, à la vérité mais de l’esprit, beaucoup. C’est l’apanage de la nation.
DORANTE Mais on te reconnaîtra.
LA FLÈCHE Point du tout, monsieur ; c’est mon fort que le déguisement, et je suis un petit Protée. Est-il question de représenter un partisan par exemple ; j’ai des secrets pour me noircir la barbe, épaissir ma taille, me rendre l’œil hagard et grossir mon ton de voix. Faut-il faire un jeune abbé ; qui sait mieux que moi rapetisser sa bouche, rire des épaules, marmoter (6) une chanson, faire la main potelée, prendre un visage gai et un ton radouci ? Par cent petites métamorphoses de cette nature, j’avais amassé quelque argent, et je serais à mon aise, sans un revers de fortune qui m’a coulé a fond.
DORANTE Comment, un revers de fortune ?
LA FLÈCHE Oui : un fils de famille, à qui j’avais gagné un soir mille écus au jeu s’avisa d éplucher ma conduite dans un procès qu’il me fit ; la justice donna une mauvaise tournure à la chose, et cela m’a ruiné. J’ai été oblige de revenir à la livrée.
DORANTE Fort bien. Mais voici monsieur Jobelin ; retire-toi, et va te préparer.
Scène VI
Monsieur Jobelin, Le Chevalier, Coronis, Dorante.
JOBELIN à part. Il me semble que je suis assez propre, et qu’en cet état je puis aller faire le galant auprès d’une maîtresse.
LE CHEVALIER à Dorante. Comme le voilà beau ! Il vient ici pour coqueter. Oh parbleu, il faut que je dérange l’économie de sa parure. Bonsoir, monsieur Jobelin. Vous ne faites pas semblant de nous voir !
JOBELIN Serviteur, je n’ai pas le temps de m’amuser.
LE CHEVALIER en l’amusant de son galimatias, lui chiffonne son rabat, le déboutonne, et le met en désordre. Eh que diable ! Ne saurait-on vous dire un mot ? Je suis bien aise de vous faire compliment sur vos noces ; car enfin il serait fort extraordinaire que dans un café il ne se trouvât pas une fille dont l’esprit pût entrer en concurrence, pour la préférence… de votre indifférence. Vous me direz que quand il s’agit de se marier, il y a peu de conformité entre le douaire de votre affection et le préciput de vos sentiments ; mais aussi vous m’avouerez que quand on veut se retirer dans son ménage, la comédie, le bal et les promenades sont des choses qui divertissent beaucoup. Pour ce qui est de l’opéra, comme je vous dis, je n’aime guère à aller aux Tuileries mais à cela près, je trouve, tout compté, tout rabattu, que c’est fort bien fait à vous de vous marier.
JOBELIN Que diantre me dit-il là ? J’écoute de toutes mes oreilles, et je n’y comprends rien.
LE CHEVALIER Mais, à propos de tapisserie, on est quelquefois bien aise de se mettre dans ses meubles. Par exemple, voilà une tabatière qui est assez jolie mais si vous aviez vu les brocatelles de Venise, c’est tout autre chose. Je ne dis pas que Launay ne soit le premier homme que nous ayons en fait de vaisselle ; quoiqu’à le bien prendre, la manufacture des Gobelins ne laisse pas d’avoir son mérite. Mais après tout, depuis que les toiles des Indes sont défendues, je suis pour les bureaux de la Chine.
JOBELIN Quel coq-à-l’âne est ceci ? Mais à quoi est-ce que je m’amuse ?
Scène VII
Louison, Dorante, Le Chevalier, Coronis, Jobelin.
JOBELIN Voici ma maîtresse ; il faut la saluer. Mademoiselle…
LOUISON et les autres. Ah, ah, ah, ah, ah, ah !
JOBELIN Qu’est-ce donc que vous avez à rire ? Mais que vois-je ? Comme me voilà débraillé ! Ah ! J’enrage de paraître comme cela. Morbleu, messieurs, je vous enverrai au diable avec vos sottises.
DORANTE Laissez-moi seul, mes amis. Je vais vous joindre chez Principe et nous achèverons là de régler nos affaires.
Scène VIII
Dorante, Louison.
DORANTE Hé bien, Louison, vous allez être mariée ; je perds toute espérance d’être à vous et vous avez consenti à un mariage qui me fera mourir.
LOUISON Mon Dieu ! Pourquoi-me querellez-vous est-ce ma faute à moi ? Ma mère m’a menacée de me renvoyer dans le couvent, si je n’épousais monsieur Jobelin. Je serais bien aise d’être mariée avec vous ; mais je ne veux point retourner au couvent.
DORANTE Quoi ! Vous verrez vos attraits en proie à un homme haïssable, et qui n’en connaîtra jamais le prix ; et moi, il faudra me résoudre à vous perdre, à ne vous jamais voir ? Ah Louison, je le vois bien, vous ne m’aimez plus.
LOUISON Allez, allez, laissez faire ma mère, puisqu’elle veut que je me marie. Quand je ne serai plus sous sa conduite, nous nous verrons, et nous nous aimerons tant qu’il vous plaira.
DORANTE Non, ce n’est pas là de quoi me contenter : et je ne saurais souffrir que votre personne et votre cœur soient partagés. Consentiriez-vous que je fisse en sorte d’empêcher votre mariage ?
LOUISON Oui, pourvu que ma mère ne sût pas que je vous l’ai conseillé, car elle me querellerait bien fort.
DORANTE Elle n’en saura rien. Aimez-moi toujours ; c’est tout ce que ma tendresse exige de vous.
LOUISON Voyez-vous, elle m’a toujours tenue dans la dépendance, et elle ne veut pas seulement que je parle aux messieurs qui viennent ici, parce qu’elle dit que leurs discours font venir l’esprit aux filles. Elle ne veut pas que j’en aie.
DORANTE Mais, Louison, si ce que je médite allait manquer, que feriez-vous ?
LOUISON Ce que je ferais ? Dame, je vous l’ai déjà dit ; je ne veux point retourner au couvent. Ah, voilà ma mère. Ne lui dites pas que je vous aime, au moins !
DORANTE Je vais rassembler les gens dont j’ai besoin pour mon entreprise.
Scène IX
Madame Jérôme, Louison.
MADAME JÉRÔME Qu’est-ce donc, petite fille, vous parlez à des hommes quand je n’y suis pas ?
LOUISON Je vous demande pardon, ma mère ; c’est lui qui me parlait.
MADAME JÉRÔME Monsieur Jobelin est-il ici ?
LOUISON Oui. Il m’a pensé faire mourir de rire, de la figure dont il était bâti. Apparemment, il est allé se raccommoder et, Dieu merci, il ne m’a point parlé.
MADAME JÉRÔME Qu’est-ce à dire ? Est-ce ainsi qu’il faut parler d’un homme que vous allez épouser ? Il faut dire Ma mère il ne m’a point parlé j’en suis bien fâchée.
LOUISON Moi, fâchée de cela ? Je n’aime point à mentir.
MADAME JÉRÔME Ouais ! Qu’est-ce que tout ceci ? Vous ne l’aimez donc pas, à ce que je vois ?
LOUISON Moi ma mère ? Hélas ! Non.
MADAME JÉRÔME Non ?
LOUISON Non. Vous m’avez dit qu’il ne fallait point qu’une fille aimât les hommes ; je fais ce que vous m’avez dit.
MADAME JÉRÔME Mais il faut aimer celui-là, puisqu’il sera votre mari.
LOUISON C’est donc une nécessité qu’il faille aimer son mari ? Si cela est, donnez-m’en un autre, je vous prie.
MADAME JÉRÔME Comment dites-vous ? Ah, ah ! Petite impertinente, vous êtes entêtée, à ce que je vois ; et quelque colifichet blondin vous aura donné dans la vue. N’est-ce point Narcisse, ce petit fat, qui depuis le matin jusqu’au soir se fait l’amour à lui-même ; qui passe toute la journée à se mirer dans sa perruque, ajuster sa steinkerque, et se faire les yeux doux dans un miroir ?
LOUISON Oh si ! Ma mère, j’aimerais autant aimer une femme.
MADAME JÉRÔME Je parie que c’est ce jeune conseiller qui vient ici tous les soirs en épée et en chapeau bordé ?
LOUISON Qui ? Ce bourgeois qui se croit de qualité, parce qu’il s’enivre avec ceux qui en sont ? Mon Dieu ! Il a mille défauts que je ne saurais souffrir.
MADAME JÉRÔME Si bien donc que c’est Dorante qui vous tient au cœur ?
LOUISON Dorante ?
MADAME JÉRÔME Eh bien Dorante ? Vous ne lui trouvez point de défaut à celui-là ?
LOUISON Hélas ! Pourquoi lui en trouverais-je ?
MADAME JÉRÔME Je ne m’embarrasse pas que vous lui en trouviez. Je sais qu’il est assez honnête homme ; mais Monsieur Jobelin a une bonne charge par devers lui, et c’est mieux votre fait qu’un jeune homme qui n’a rien que son esprit et sa bonne mine. En un mot, c’est lui que je veux qui soit votre époux. Le voici qu’on lui fasse civilité, et qu’on réponde comme il faut à tout ce qu’il dira.
Scène X
Monsieur Jobelin, Madame Jérôme, Louison.
MADAME JÉRÔME Monsieur, voilà ma fille, qui est ravie de vous voir, et qui se dispose le plus agréablement du monde à vous épouser.
LOUISON Oui, voilà un beau magot, pour être ravie de l’épouser !
JOBELIN. Mademoiselle, tout ainsi qu’ès-pays coutumiers, le vassal est tenu de prêter serment de foi et d’hommage-lige entre les mains de son seigneur féodal, avant qu’entrer en possession des terres acquises dans sa mouvance ; de même viens-je en qualité de votre vassal indigne, vous promettre foi et loyauté perpétuelle, avant qu’entrer en possession du fief seigneurial de vos beautés, à moi acquis par la cession de madame votre mère, et le contrat qui sera incessamment passé par-devant les notaires au Châtelet de Paris.
MADAME JÉRÔME Allons, petite fille, répondez.
LOUISON Moi, je ne sais ce qu’il me veut dire ; qu’il se réponde lui-même, s’il s’entend.
MADAME JÉRÔME Impertinente ! Elle dit, monsieur, qu’elle vous est fort obligée, et que le don de votre cœur lui est extrêmement cher.
JOBELIN Mon cœur, mademoiselle, est un immeuble qui vous appartient, et sur lequel vous avez hypothèque, depuis que j’ai eu l’honneur de vous voir.
MADAME JÉRÔME Eh bien vous voilà muette ?
LOUISON J’ai bien affaire à son hypothèque ! Je n’en bois jamais.
MADAME JÉRÔME Ah ! monsieur, il faut l’excuser si elle ne répond pas aux choses que vous dites ; elle est un peu honteuse. Le mariage l’enhardira ; et demain à l’heure qu’il vous plaira nous ferons dresser le contrat. Allons, petite fille. Monsieur, je vous donne le bonsoir.
JOBELIN après avoir salué Louison, qui détourne la tête. Voilà ! Les affaires en bon train. La mère prévenue, la fille charmée de moi, le mariage prêt à se conclure, et vingt mille écus qui vont me sauter au collet. Oh parbleu je ne craindrai plus la persécution de mes créanciers, et j’aurai enfin de quoi payer ma charge. Ma foi, les habiles gens se tirent toujours d’intrigue, et l’esprit est le vrai passe-partout de la fortune.
Scène XI
La Sourdière, Jobelin.
LA SOURDIÈRE Ah ! Vous voilà, à la fin ; il y a deux heures que je vous cherche.
JOBELIN Ah ! Serviteur je suis bien aise de vous rencontrer.
LA SOURDIÈRE J’ai bien des choses à vous dire.
JOBELIN J’ai de bonnes nouvelles à vous apprendre.
LA SOURDIÈRE La mine est éventée, et Dorante est instruit de toutes vos affaires.
JOBELIN La bécasse est bridée, et demain le mariage doit être conclu.
LA SOURDIÈRE Je vous dis encore une fois de prendre garde à vous, et qu’on songe à vous jouer un mauvais tour.
JOBELIN Un mauvais tour, a moi ? Et qui cela, s’il vous plaît ?
LA SOURDIÈRE Dorante.
JOBELIN Dorante ? Ah parbleu c’est bien d’un novice comme lui que je m’embarrasse. Allez, allez, Monsieur de La Sourdière, nous sommes un peu Grecs ; et on ne prend pas des chats comme nous sans mitaines. J’ai mis ordre à tout ; ayez l’esprit en repos.
LA SOURDIÈRE Vous me faites mourir, avec votre confiance imprudente, et… Mais quelle figure est ceci ?
Scène XII
Jobelin, La Sourdière, La Flèche.
LA FLÈCHE à part. Voici mes gens. Jouons bien notre rôle, et faisons les donner dans le panneau. Ah ! Messieurs, serviteur. J’interromps votre conversation, peut-être : mais tout coup vaille. On m’a dit que vous étiez Monsieur Jobelin. Est-il vrai ?
JOBELIN Oui, c’est moi. Que me veut cet ivrogne-là ?
LA FLÈCHE Je vous en sais bon gré car j’ai besoin de vous. Je vous ai tantôt été chercher dans votre étude ; mais comme vous n’y étiez pas, je ne vous y ai point trouvé, et je suis allé de là à l’Alliance, prendre un peu de nourriture, modérément pourtant.
JOBELIN Je le vois bien.
LA FLÈCHE La modération est une belle chose !
JOBELIN De quoi s’agit-il ?
LA FLÈCHE Attendez, que je rappelle mes idées. Ah ! m’y voici. Je voudrais que vous me fissiez un petit plaisir. Je vous demande pardon monsieur, si je parle de mes affaires devant vous. Vous le voulez bien ?
LA SOURDIÈRE Ah ! Monsieur, de tout mon cœur.
LA FLÈCHE De tout mon cœur fort bien. Vous êtes un brave homme. Or, comme vous savez, ou comme vous ne savez pas, je suis capitaine dans le régiment de Limoges.
JOBELIN Vous êtes capitaine ? Et que faites-vous à Paris, pendant que tout le monde est en campagne ?
LA FLÈCHE J’y suis venu pour faire une recrue ; et en attendant, je passe le temps au cabaret à faire mes observations sur la guerre présente.
JOBELIN Voilà des observations d’un grand secours à la république !
LA FLÈCHE D’un grand secours ? Je me donne au diable, si j’étais général d’armée et qu’on me laissât faire, j’ai un plan dans ma tête pour conquérir toute l’Europe en une campagne. Écoutez bien ce raisonnement-ci. Je voudrais avoir deux armées, l’une au midi, et l’autre au septentrion. Avec celle-ci, je marche en Allemagne et je commence par m’emparer de toutes les vignes qui bordent le Rhin. Les Allemands n’ayant plus de vin. Il faut qu’ils crèvent ; la mortalité se met dans leur armée, et par conséquent, me voilà maître de tout ce pays-là. J’y fais rafraîchir mes troupes, et de là je passe en Hollande. Allons, me voilà en Hollande ; qui m’aime me suive. Je vais d’abord… Attendez je crois que nous ferions mieux de conquérir auparavant la Turquie. Qu’en croyez-vous ? Oui, c’est bien dit. Allons, enfants, ne nous rebutons point nous arriverons bientôt. Nous voici déjà dans la Grèce. Ah, le beau pays ! Dieu sait comme nous allons souffler de ce bon vin grec ! Mais messieurs ne vous enivrez pas, au moins. Tudieu ! nous avons besoin de notre cervelle. Buvons seulement chacun notre bouteille, en chantant une petite chanson. Et brin, bron, brac, donnez-moi du tabac, la relera, etc.
JOBELIN Voilà un pauvre diable qui est bien ivre !
LA SOURDIÈRE Prenez haleine, monsieur, vous avez fait une assez belle campagne.
JOBELIN Oui, mais voilà bien du pays battu et pour faire tout ce chemin-là, il faudrait donner des chevaux de poste à toute votre armée. Revenons à votre affaire s’il vous plaît. Que souhaitez-vous de moi ?
LA FLÈCHE Je m’en vais vous le dire. J’ai quinze hommes à refaire à ma compagnie, avant de retourner à notre garnison ; et comme je n’ai point d’argent, voilà un diamant de cinq cents écus, que je vous prie de me faire mettre en gage pour deux ou trois cents pistoles.
JOBELIN Pour deux ou trois cents pistoles ! Vous voulez dire deux ou trois cents écus ?
LA FLÈCHE Eh oui, quelque chose comme cela.
JOBELIN à part. Peste voilà un fort beau diamant. Ce serait un vrai présent à faire à ma maîtresse. Tâchons d’empaumer cet ivrogne-là. Monsieur, vous ne trouverez guère que quatre cents francs là-dessus.
LA FLÈCHE Quatre cents francs ? J’aimerais mieux que le diamant fût au fin fond de la mer Méditerranée. Allons, je m’en vais te jouer au piquet pour cent pistoles contre le premier venu. Je n’aime point à lanterner, moi.
JOBELIN Parbleu ! Il ne faut point manquer l’occasion ; il est soûl comme une grive, embarquons-le dans le jeu. Monsieur, si vous êtes homme à jouer, je ferai votre affaire.
LA FLÈCHE Oui ? Parbleu ! J’aime les gens d’accommodement ; touchez là. Je veux vous procurer la pratique du régiment, pour tous les contrats de mariage et d’acquisition de rente que feront nos officiers.
JOBELIN Je vous remercie. Je crois que les acquisitions aussi bien que les mariages de ces messieurs-là se font aisément sans contrat.
LA FLÈCHE Allons-nous-en là-dedans boire une bouteille de persicot.
JOBELIN Volontiers. À part. Je tiens l’âne par la bride, et le diamant est bien aventuré.
LA FLÈCHE Le poisson est dans la nasse, et nous allons voir beau jeu. Allons, mon ami lara, lera, lera.
LA SOURDIÈRE Il faut que je conduise ceci de l’œil. Je serai bien aise de lui aider à gagner le diamant, afin d’être de moitié.
Scène XIII
Le Chevalier, Coronis, La Sourdière.
LE CHEVALIER. et CORONIS Ah, ah, ah, ah, ah, ah !
LE CHEVALIER Parbleu, cela est trop plaisant, ah, ah, ah ! Hé, bonsoir, La Sourdière, où vas-tu ?
LA SOURDIÈRE Laisse-moi aller, j’ai affaire.
LE CHEVALIER Je suis ton serviteur. Tu ne t’en iras pas que je ne t’aie conté ce qui vient de nous arriver ; cela mérite bien ton attention. Nous étions chez Principe.
LA SOURDIÈRE Je n’ai pas le temps de t’entendre.
CORONIS Oh ! Cadédis, vous nous écouterez, ou nous aurons du bruit.
LE CHEVALIER Un de nos amis, qui se désennuyait à casser des vitres et des lanternes dans la rue Saint-Honoré, a été poursuivi par une compagnie du guet à pied. Les archers ont passé par devant la boutique. Nous les avons arrêtés en leur présentant du rossolis et de l’eau-de-vie. Ils y ont pris goût ; et pendant qu’ils buvaient, nous leur avons escamoté leurs armes. Ils s’en sont aperçus ; recours à la rasade. Ils ont voulu se fâcher, autre rasade si bien que de rasade en rasade, nous les avons tellement enivrés, qu’ils ont pris querelle ensemble, et se sont donné je ne sais combien de coups de poing. Le sergent, plus ivre qu’eux, les a tous menés au Chatelet, comme perturbateurs du repos public. Ne trouves-tu pas cela plaisant ?
LA SOURDIÈRE Oui, fort plaisant. Vous jouez à vous faire de jolies affaires. Boire le jour, courir la nuit, casser des vitres, arracher des enseignes enivrer le guet : voilà le secret d’attraper un jour quelques bons coups de mousquet sur les oreilles.
LE CHEVALIER Oh ! vous voilà, monsieur le Caton, qui parlez par sentences. Parbleu, vous ne le prenez pas mal. Sais-tu bien qu’il n y a rien de meilleur pour la santé, que de berner de temps en temps les gens qui nous déplaisent ? Demande aux médecins cela éclaircit les humeurs, cela rafraîchit le sang, et cela aide à la digestion.
CORONIS Sans doute. Comment, mordi des coquins s’érigeront en perturbateurs des divertissements de tune, et nous ne réformerions pas cet abus ?
LA SOURDIÈRE Ma foi, ce sont vos affaires. Serviteur.
LE CHEVALIER Que diantre, tu es bien pressé ! Parlons un peu d’affaires. As-tu vu le nouvel opéra ?
LA SOURDIÈRE Non, et n’ai nulle envie de le voir.
LE CHEVALIER Et toi, l’as-tu vu ?
CORONIS Oui, certes, je l’ai vu.
LE CHEVALIER Hé bien ! Dis-nous un peu comment le trouves-tu ?
CORONIS Cadédis ! Comment je le trouve ? Ravissant, merveilleux. Tout ce qui s’appelle opéra, voyez-vous, ne peut être que bon et agréable ; et la raison, la voici c’est que dans un opéra, vous trouvez de tout, vers, musique, ballets, machines, symphonies ; c’est une variété surprenante, il y a de quoi contenter tout le monde. Voulez-vous du grand, du tragique, du pathétique ? Le perfide Renaud me fuit. Tout perfide qu’il est, mon lâche cœur le suit. Aimez-vous le tendre, le doux, le passionné ? Non, je ne voudrais pas encor Quitter mon berger pour Médor. Voulez-vous du burlesque ? Mes pauvres compagnons, hélas ! Le dragon n’en a fait qu’un fort léger repas. Voulez-vous de la morale ? Les dieux punissent la fierté ; Il n’est point de grandeur que le ciel irrité N’abaisse quand il veut, et ne réduise en poudre. Et le reste. On y trouve jusqu’à des vaudevilles et des imitations naïves des airs du Pont-Neuf, si vous voulez. Les rossignols, dès que le jour commence, Chantent l’amour qui les anime tous. En un mot, c’est un enchantement ; et ce serait une chose accomplie, si l’on pouvait faire encore que le chant fût fait pour les vers, et les vers pour le chant.
LE CHEVALIER Pour moi, je ne me divertis point à l’Opéra ; et je n’y vais jamais que pour folâtrer dans les coulisses avec quelque danseuse.
CORONIS Il est vrai que bien des gens y vont présentement pour tout autre plaisir que celui des oreilles.
Scène XIV
Madame Jérome, Le Chevalier, Coronis, La Sourdière.
MADAME JÉRÔME Messieurs, il est minuit sonné ; faites-moi la grâce de vous retirer.
LA SOURDIÈRE Volontiers.
LE CHEVALIER Attends, attends. Et par quelle raison nous retirer, madame Jérôme ?
MADAME JÉRÔME Par la raison, monsieur, que voici l’heure des femmes ; et puisqu’elles ne viennent pas vous incommoder le jour, il est bien juste que vous leur laissiez la nuit chacun le sien n’est pas trop.
LE CHEVALIER Vous êtes pour les récréations nocturnes, madame Jérôme.
MADAME JÉRÔME Oh vraiment, si on n’avait d’autres rentes que la dépense qui se fait ici de jour, et sans le casuel de la nuit, on courrait risque d’avoir les dents bien longues. Vous êtes cinq ou six, qui, pourvu que vous soyez toute une après-dînée ici à chanter des chansons, dire des fadaises, conter une histoire de celui-ci, une aventure de celle-là, et faire la chronique scandaleuse du genre humain, ne vous embarrassez pas du reste. Cependant ce n’est pas là mon compte, et je ne dîne pas de vos conversations. Vous voilà trois, par exemple, qui me devez de l’argent depuis longtemps, et qui ne me parlez non plus de payer, que si vous étiez ici logés par étape.
CORONIS Quant à moi, madame Jérôme, je vous dois, je pense, trois écus mais j’attends ma lettre de change.
LE CHEVALIER Pour moi je suis brouillé avec ma petite marchande de dorure, et je ne saurais vous payer qu’à la paix.
LA SOURDIÈRE Et moi, je vous proteste que le premier argent que je gagnerai à trois dés, sera pour vous.
MADAME JÉRÔME Voilà des dettes bien assurées.
Scène XV
Jobelin, La Flèche, Mme Jérôme, Coronis, Le Chevalier, La Sourdière.
CORONIS au chevalier. Voici nos gens. Songeons à ce que nous a recommandé Dorante.
LA FLÈCHE Vous me devez six-vingts pistoles ; payez-moi, je ne joue plus.
JOBELIN Comment vous ne me donnez pas ma revanche ?
LA FLÈCHE De quoi vous plaignez-vous ? Je vous ai gagné au piquet vous me demandez votre revanche à pair et non, je vous la donne ; je ne vous gagne que douze cents livres ; et j’ai hasardé mon diamant, qui en vaut quinze cents c’est cent écus que je perds clairement. Il me semble que je fais assez bien les choses.
JOBELIN Tudieu vous avez la parole bien libre, pour un homme qui était ivre il n’y a qu’un moment.
LA FLÈCHE C’est que je me suis désenivre en gagnant votre argent. Allons, les bons comptes font les bons amis ; payez-moi tout à l’heure ou je vous passe mon épée au travers du corps.
JOBELIN Messieurs séparez-nous, je vous prie.
LE CHEVALIER Comment, morbleu, on insulte monsieur Jobelin.
CORONIS Allons, sandis, coupons les oreilles à ce maraud.
LA SOURDIÈRE Des épées tirées. Allons-nous-en d’ici.
MADAME JÉRÔME Messieurs quel désordre je suis perdue.
LA FLÈCHE Comment, canailles, deux contre un ? Ah, j’ai le corps percé ! Je suis mort ! Un chirurgien !
MADAME JÉRÔME Miséricorde ! Un homme tué dans ma maison. Me voilà ruinée.
CORONIS Sauvons-nous, messieurs.
Scène XVI
Dorante, L’Abbé, Mr Jérôme, Jobelin, La Flèche.
DORANTE Quel bruit ai-je entendu ? Mais que vois-je ? Ah, ciel monsieur de Boisclair, qui vous a mis en cet état ?
LA FLÈCHE Ah, mon cousin je me meurs. Trois coquins viennent de m’assassiner, et c’est ce scélérat de notaire qui les a fait agir. Eh, de grâce, qu’on me fasse venir le suceur du régiment.
Scène XVII
Dorante, Jobelin, L’Abbé, Madame Jérôme.
DORANTE Un de mes parents assassinée. Ah ! Je vous apprendrai à qui vous vous jouez. Holà, laquais, qu’on m’aille quérir le commissaire.
JOBELIN Ah ! Je tremble, et je voudrais être bien loin.
L’ABBÉ Vous voilà dans un vilain cas, madame Jérôme, et j’en suis fâché pour l’amour de vous.
MADAME JÉRÔME Monsieur Dorante, ne me perdez pas, je vous conjure.
DORANTE. Non, non, cela ne passera pas ainsi. C’est mon cousin-germain on l’a assassiné chez vous ; c’est à vous à m’en répondre, et je prétends que justice soit faite.
MADAME JÉRÔME Eh monsieur, voudriez-vous me ruiner ?
DORANTE Vous n’en serez, pas quitte à si bon marché et je veux vous faire punir corporellement.
L’ABBÉ Corporellement cela ne vaut pas le diable madame Jérôme.
Scène XVIII
Dorante, L’Abbé, Madame Jérôme, Jobelin, La Flèche, en commissaire avec un faux nez.
DORANTE Voici, fort à propos, monsieur le commissaire. Monsieur, on vient de tuer ici un officier qui est de mes parents. Je vous prie de faire votre charge.
LA FLÈCHE prenant une voix enrouée. Votre laquais m’a informé de la chose, et j’amène des archers pour conduire les délinquants au Châtelet.
MADAME JÉRÔME Au Chatelet !
JOBELIN Monsieur, je suis notaire royal, et conseiller du roi.
LA FLÈCHE N’importe ; le délit est flagrant il y a mort d’homme et vous viendrez au Châtelet.
MADAME JÉRÔME Ah ! Je suis au désespoir. Monsieur l’Abbé, faites en sorte que je n’aille point au Châtetet.
L’ABBÉ Attendez, je viens de trouver un moyen d’ajuster ceci. Dorante il faut accommoder cette affaire-là mon enfant. Il ne tient qu’à toi de ruiner madame Jérôme, mais en seras-tu mieux ? Elle a une jeune fille il faut qu’elle te la donne en mariage, et qu’il ne soit plus parlé de rien.
DORANTE Non non, madame l’a promise à monsieur Jobelin il faut la laisser faire. Elle le croit riche, et je vois bien.
L’ABBÉ Lui riche ! Il n’a point d’autre patrimoine que son industrie, et il y a actuellement une sentence contre lui pour le paiement de sa charge n’est-il pas vrai, monsieur Jobelin ?
JOBELIN Ah ! Tout est découvert ; j’enrage.
MADAME JÉRÔME Qu’entends-je ? Vous devez votre charge, monsieur ? Vraiment, un jour plus tard j’allais faire un joli marché !
L’ABBÉ Eh bien madame, êtes-vous dans le goût de ma proposition ?
MADAME JÉRÔME Oui, monsieur, puisque je suis détrompée, je serai ravie de donner ma fille à monsieur Dorante, pourvu qu’il apaise l’affaire qui vient d’arriver.
L’ABBÉ Oh, pour cela, madame, il en est le maître, je vous assure. Çà, il n’y a qu’a dresser le contrat tout à l’heure. Monsieur Jobelin se trouve ici fort à propos.
JOBELIN Moi dresser le contrat ?
DORANTE Tout beau, ne vous faites pas tirer l’oreille ou je vais faire entrer les archers.
LA FLÈCHE Et l’on vous mènera au Châtelet.
JOBELIN Quoi j’aurais encore la mortification de faire le contrat de mariage de mon rival ? Ah maudit pair et non.
DORANTE Allons, monsieur l’Abbé, et monsieur le Commissaire, venez servir de témoins et signer au contrat que nous allons passer tout à 1’heure.
LA FLÈCHE Ma foi, voilà une véritable aventure de café.
**
Fin de la pièce.
**
Jean-Baptiste ROUSSEAU : OEUVRES. Nouvelle édition, revuë, corrigée & augmentée sur les manuscrits de l’auteur, & conforme à l’édition in-quarto, donnée par M. SEGUY. Amsterdam, chez Marc-Michel Rey, 1759. Tome 2 : Pièces de théâtre : les ayeux chimériques, le capricieux, le flateur, le caffé, la ceinture magique, la dupe de soi-mesme, la mandragore, Jupiter et Semele, l’héliotrope, Faune et Omphale, Ariane et Bacchus.
***
NOTES
(1) L’épithalame, poème lyrique composé chez les Anciens à l’occasion d’un mariage et à la louange des nouveaux époux. En Grèce antique, il était chanté par un chœur avec accompagnement de danses.
(2) La Batrachomyomachia, épopée comique parodiant l’Iliade, de 303 hexamètres dactyliques. Les vers 9 à 88 présentent des similitudes fortes avec la fable d’Ésope : Le Rat et la grenouille. Elle fut largement attribuée, dans l’Antiquité, à Homère. « En commençant, et avant tout, je supplie le chœur des Muses de descendre du Hélikôn en mon esprit, à cause d’un chant que j’ai mis dans mes tablettes, récemment, sur mes genoux ; guerre immense, œuvre pleine du tumulte guerrier d’Arès, me flattant de faire entrer dans les oreilles de tous les hommes comment les Rats, combattants intrépides, se ruèrent sur les Grenouilles, imitant les travaux des Géants nés de Gaia, ainsi qu’on le rapporte parmi les mortels. Et cette guerre eut cette origine. » (Batrakhomyomakhia – Homère -Traduction Leconte de Lisle)
(3) Début de la seconde satire de Juvénal « Ultra Sauromatas fugere hinc libet, et glacialem Oceanum, quoties aliquid de moribus audent Qui Curios simulant, et Bacchanalia vivent… Je fuirais volontiers dans le fond des déserts, Sur les monts de la Thrace et par delà les mers, Quand j’entends ces Scaurus, effrontés sycophantes, Qui prêchent la pudeur et vivent en bacchantes... » (SATURA II / SATIRE II. (Traduction de L. V. RAOUL, 1812)
(4) Bélître ou bélitre Terme injurieux « C’est un misérable, un homme vil. Ce mot, qu’on croit formé du latin balatro, qui signifie gueux, coquin, parasite, s’employait autrefois pour mendiant, dans une acception qui n’avait rien de reprochable. Les pèlerins de la confrérie de Saint-Jacques, à Pontoise, avaient pris le titre de Bélistres, et les quatre ordres mendiants s’appelaient les quatre ordres de Bélistres. Montaigne a donné un féminin au mot bélître dans cette phrase remarquable (Essais, liv. iii, chap. 10) : « Desdaignons cette faim de renommée et d’honneur, basse et bélistresse, qui nous le fait coquiner de toute sorte de gens par des moyens abjects et à quelque prix que ce soit. C’est déshonneur d’estre ainsi honoré. » Pierre-Marie Quitard, Dictionnaire étymologique, historique et anecdotique des proverbes et des locutions proverbiales de la langue française – P. Bertrand, 1842 (p. 131).
(5) Le Lansquenet « LANSQUENET, (Jeu de hasard.) voici en général comme il se joue. On y donne à chacun une carte, sur laquelle on met ce qu’on veut ; celui qui a la main se donne la sienne. Il tire ensuite les cartes ; s’il amene la sienne, il perd ; s’il amene celles des autres, il gagne. Mais pour concevoir les avantages & desavantages de ce jeu, il faut expliquer quelques regles particulieres que voici. On nomme coupeurs, ceux qui prennent cartes dans le tour, avant que celui qui a la main se donne la sienne. On nomme carabineurs, ceux qui prennent cartes, après que la carte de celui qui a la main est tirée… » (Diderot, L’Encyclopédie, Première édition – 1765 (Tome 9, p. 275-276)).
(6) Marmotter : parler confusément, en parlant entre ses dents.
** Traduzione di testi in italiano
Traduction Italien
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Littérature italienne
par Henri Hauvette
1907
AVANT-PROPOS
DE LA PREMIÈRE ÉDITI0N────
Pour présenter en cinq cents pages environ un tableau d’ensemble de la littérature italienne, on pouvait choisir entre deux partis : dresser un répertoire méthodique, aussi complet que possible, des auteurs et des œuvres, en consacrant à chacun une notice biographique et analytique ; ou bien sacrifier résolument les écrivains secondaires, pour s’étendre davantage sur les poètes et les penseurs les plus connus et les plus représentatifs, de façon à caractériser surtout les grandes époques et les principaux courants d’inspiration, qui constituent la véritable originalité de la littérature italienne.
C’est à ce dernier parti que je me suis arrêté sans hésitation : l’étude de Dante, Pétrarque, Boccace, Machiavel, Guichardin, l’Arioste, le Tasse, Métastase, Goldoni, Parini, Alfieri, Monti, Foscolo, Manzoni, Leopardi, G-. Carducci, occupe à peu près la moitié du présent volume. Les auteurs secondaires sont mentionnés, en grand nombre, mais très brièvement, parmi les précurseurs ou les épigones des personnalités les plus saillantes, dans les chapitres consacrés à expliquer l’enchaînement des périodes, les progrès ou les reculs de l’art et du goût.
Pour rendre encore d’un dessin plus facile à saisir dans son ensemble le développement de la littérature si complexe et si variée de l’Italie, l’exposé en a été divisé en quatre parties, correspondant à quatre étapes de la pensée et de la civilisation. La détermination de ces périodes est naturellement sujette à discussion, d’autant plus que je me suis écarté ici de certaines habitudes prises. Mon unique préoccupation a été de mettre en pleine lumière les caractères qui m’ont toujours le plus frappé dans l’évolution de la littérature italienne, depuis le milieu du XIIIe siècle jusqu’au commencement du XXe. Le seul élément personnel que l’on puisse introduire dans un livre très général, comme celui-ci, n’est-il pas justement la façon d’en concevoir le plan ? Sans doute, il faut être Pascal pour oser écrire : « Qu’on ne dise pas que je n’ai rien dit de nouveau : la disposition des matières est nouvelle… » ; cette déclaration orgueilleuse définit pourtant à merveille la seule originalité permise à un ouvrage dont la matière a déjà été traitée, discutée, analysée, retournée en tous sens par d’innombrables critiques.
La littérature moderne et contemporaine a été l’objet de soins particuliers ; non que l’on doive s’attendre à rencontrer dans le chapitre final de longues appréciations sur les œuvres parues en Italie depuis une trentaine d’années ; mais il a semblé utile de donner une nomenclature assez riche des auteurs qui se sont distingués, ou se distinguent actuellement dans les diverses branches de l’activité littéraire, avec quelques renseignements précis sur leur âge, sur la date de leurs publications les plus importantes, sur leurs tendances artistiques, etc.
Quelques lecteurs regretteront peut-être de ne pas trouver à la fin du livre le complément d’une bibliographie, indiquant les ouvrages généraux à consulter, et aussi quelques sources particulières, au moins pour certaines périodes et certaines œuvres. Après y avoir mûrement réfléchi, j’ai cru devoir y renoncer, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les études relatives à la civilisation italienne ont pris une telle extension au xixe siècle, tant en Italie que dans le reste de l’Europe, et même en Amérique, qu’il devient très difficile de distinguer le bon grain de l’ivraie, c’est-à-dire de faire un choix personnel, de dresser une bibliographie originale. J’aurais dû en conscience mentionner tous les ouvrages que j’ai consultés, depuis plus de quinze ans que la langue et la littérature italiennes ont fait l’objet unique de mon enseignement. Mais cet appendice aurait été aussi incomplet (car on ne peut tout lire) que disproportionné. Il ne pouvait me plaire d’abréger, en les démarquant, les résumés bibliographiques que d’autres ont faits, et bien faits. À quoi bon présenter au public un reflet médiocre de ce qu’il peut trouver dans des ouvrages excellents, accessibles à tous ?
Cette dernière considération m’a définitivement arrêté. Depuis quelques années, les histoires générales et les manuels de littérature italienne se sont singulièrement multipliés, et parmi ces publications, plusieurs sont de remarquables mises au point du travail critique actuellement accompli. C’est pour moi une dette de reconnaissance de citer dès ces premières pages les ouvrages que j’ai eus constamment sous la main :
Storia letteraria d’Italia ; 10 volumes par différents auteurs ; Milan, Vallardi ; 1898-1906. Chaque volume est pourvu d’abondantes notes bibliographiques.
A. d’Ancona et O. Bacci, Manuale della letteraturaitaliana ; 5 volumes, Florence, Barbèra ; 2e ed., 1900 et suiv. – Ce Manuel contient des notices très soignées sur près de 400 auteurs, avec de longs extraits de leurs œuvres.
D’autre part, les périodiques ne manquent pas, qui permettent au travailleur de se tenir au courant des publications nouvelles. Je ne citerai que quatre des principales revues spéciales d’histoire littéraire :
Bullettino della Società dantesca italiana, Florence (sur Dante et son temps).
Giornale storico della letteratura italiana, Turin (avec le meilleur dépouillement des périodiques italiens et étrangers).
Rassegna bibliografica della letteratura italiana, Pise ;
Rassegna critica della letteratura italiana, Naples.
Parmi les manuels plus courts, je n’ai garde d’oublier deux publications scolaires d’une haute valeur, toutes deux avec des notes bibliographiques très soignées :
Vittorio Rossi, Storia della letteratura ilaliana ; 3 vol., Milan, Vallardi ; 3° éd., 1905-1906.
Francesco Flamini, Compendio di storia della letteraturaitaliana ; 1 vol., Livourne, Giusti ; 6° éd. 1906.
Le dernier chapitre du présent volume mentionne en outre les ouvrages de critique et d’histoire littéraire les plus remarquables publiés en Italie depuis une trentaine d’années. Ai-je trop présumé des capacités de mes lecteurs, en estimant que l’aide de ces indications, si sommaires qu’elles soient, ils pourraient s’orienter assez vite, et dresser eux-mêmes une bibliographie très suffisante sur un point spécial ? Il ne m’a pas paru que la grande affaire fut d’étaler devant eux une érudition facile, mais bien de leur désigner les guides les plus sûrs.
M. Ferdinando Neri, docteur de l’Université de Turin et lauréat de l’Institut Supérieur de Florence, lecteur de langue ilalienne à l’Université de Grenoble a bien voulu relire sur épreuves la première édition de ce livre. Il sait combien je lui en suis reconnaissant ; mais ce que je tiens à dire publiquement, c’est qu’il a mis au service de cette révision le même souci d’exactitude rigoureuse qui a contribué, avec bien d’autres qualités, à faire si hautement estimer ses premières publications, relatives à la littérature de la Renaissance. Je lui suis redevable, sur beaucoup de points particuliers, de très utiles conseils.
RIDOLFO
Se posso, voglio vedere di far del bene anche a questa povera diavola. Sije peux, j’aideraicette pauvrechose. E nello stesso tempo facendola partire con suo marito, la signora Vittoria non avrà più di lei gelosia. Et en mêmetemps, si elle peut prendre congéavec son mari, Madame Vittoriane sera plusjalouse. Già mi ha detto qualche cosa della pellegrina. Déjà, elle m’a dit des chosessur la pèlerine.
EUGENIO
Voi siete un uomo di buon cuore. Vousêtes unhomme de cœur. In caso di bisogno, troverete cento amici che s’impegneranno per voi. En cas de besoin, vous trouverezune centaine d’amisqui s’engageront àvos côtés.
RIDOLFO Prego il cielo di non aver bisogno di nessuno. Je prie le ciel de n’avoir besoin de personne. In tal caso non so che cosa potessi sperare. Si ça arrivait, jene saispas ce que jepourrais espérer. Al mondo vi è dell’ingratitudine assai. Dans le monde, il y a beaucoup trop d’ingratitude.
EUGENIO
Di me potrete disporre finch’io viva. Moi vivant, je suis à votre disposition.
RIDOLFO
La ringrazio infinitamente. Je vous remercie beaucoup. Ma badiamo a noi. Mais prenonssoin de nous. Che pensa ella di fare? Que pensez-vousfaire d’elle ? Vuol andar in camerino da sua moglie, o vuol farla venire in bottega? Voulez-vousaller dans le salon où se trouve votre femme, ouvoulez-vous la faire venir à la boutique ? Vuol andar solo?
Voulez-vous y allerseul ? Vuole che venga anch’io? Faut-il que jevienne ? Comandi. Commandez.
EUGENIO
In bottega non istà bene; Dans le magasin ? Non, jene trouvepas ça bien ; se venite anche voi, avrà soggezione. si vousvenezaussi,elle ne sera pas à son aise. Se vado solo, mi vorrà cavare gli occhi… Si j’y vaisseul, elle m’arrachera lesyeux… Non importa; Peu importe; ch’ella si sfoghi; Qu’elle s’emporte; che poi la collera passerà. alors la colèrepassera. Anderò solo. Je vaisy aller seul.
RIDOLFO
Vada pure col nome del cielo. Allez-yavec l’aide du ciel.
EUGENIO
Se bisogna, vi chiamerò.
Si besoin, je vous appellerai.
RIDOLFO
Si ricordi che io non servo per testimonio.
Souvenez-vous que je ne souhaite pas servir de témoin.
EUGENIO
Oh, che caro Ridolfo! Vado.
Oh, ce cher Ridolfo ! in atto di incamminarsi
Comme s’il s’éloignait
RIDOLFO
Vai bravo!
Bon courage !
EUGENIO
Che cosa credete che abbia da essere?
Comment pensez-vous que cela se passera ?
RIDOLFO
Bene.
Bien.
EUGENIO
Pianti, o graffiature?
Des pleurs ou bien des griffures ?
RIDOLFO
Un poco di tutto.
Un peu des deux !
EUGENIO
E poi?
Et ensuite ?
RIDOLFO
Ognun dal canto suo cura si prenda. Chacun prendra sa part.
EUGENIO
Se non chiamo, non venite. Si je ne vous appelle pas, ne venez pas.
RIDOLFO
Già ci s’intende.
C’est bien entendu
EUGENIO
Vi racconterò tutto.
Je vous raconterai tout ensuite.
RIDOLFO
Via, andate.
Allez ! Partez !
EUGENIO
Grand’uomo è Ridolfo!
Un grand homme que ce Ridolfo ! Gran buon amico!
Un vrai bon ami !
entra nella bottega interna
il entre à l’intérieur du café
Il garzone del barbiere dalla sua bottega e detti.
Le garçon du barbier de la boutique
GARZONE
Le Garçon Che volete m’esser Ridolfo?
Que voulez-vous Messer Ridolfo ?
RIDOLFO Dite al vostro padrone che mi faccia il piacere di tener questa pellegrina in bottega per un poco, fino che venga io a ripigliarla.Dites à votre maître qu’il me fasse le plaisir de prendre cette pèlerine dans son magasin pendant un certain temps, jusqu’à ce que je vienne la reprendre.
GARZONE Volentieri, venga, venga, padrona, che imparerà a fare la barba. Volontiers, venez, venez, madame, je vais vous apprendreà raser. Benché, per pelare, la ne saprà più di noi altri barbieri. Bien que, pour raser, vous en savez plus que nousautresbarbiers.
rientra in bottega
il rentre dans la boutique
PLACIDA Tutto mi convien soffrire per causa di quell’indegno. Tout ce que jedoissouffrir à causede cetindigne. Povere donne! Pauvres femmes ! E’ meglio affogarsi, che maritarsi così. Il est préférablede se noyer que de se marier ainsi
RIDOLFO
Eh via, cosa sono queste difficoltà? Ehlà,quelles sont toutes ces difficultés ? Siamo tutti uomini, tutti soggetti ad errare. Nous sommestous des hommes, tous destinés à errer. Quando l’uomo si pente, la virtù del pentimento cancella tutti il demerito dei mancamenti. Quand l’hommese repent, la vertudu repentireffacetout ledéméritedu manquement.
EUGENIO Tutto va bene, ma mia moglie non mi crederà più. Tout va bien, mais ma femmene me croit plus.
RIDOLFO
Venga con me; Venez avec moi; lasci parlare a me. Laissez-moi lui parler. La signora Vittoria le vuol bene; Madame Vittoria vous aime bien ; tutto si aggiusterà. tout se passera bien.
PLACIDA
Signor Eugenio?
Monsieur Eugenio ?
RIDOLFO
Il signor Eugenio si contenti di lasciarlo stare. MonsieurEugenio, laissez-le tranquille. Ha altro che fare, che badare a lei. Il a une autreaffaire qui l’occupe aisément.
PLACIDA
Io non pretendo di sviarli da’ suoi interessi. Je ne prétends pas qu’il se détourne de ses intérêts. Mi raccomando a tutti nello stato miserabile in cui mi ritrovo. Je me recommande àtous vu l’étatmisérabledans lequelje me trouve.
EUGENIO Credetemi, Ridolfo, che questa povera donna merita compassione; Croyez-moi, Ridolfo, cette pauvrefemme méritela compassion; è onestissima, e suo marito è un briccone. Elle est très honnête, et son mariestun scélérat.
PLACIDA
Egli mi ha abbandonata in Torino. Ilm’a abandonnéeà Turin. Lo ritrovo in Venezia, tenta uccidermi, ed ora è sulle mosse per fuggirmi nuovamente di mano. Je le trouve icià Venise, il essaie deme tuer, et il est maintenantsur le point de fuirà nouveau.
RIDOLFO
Sa ella dove egli sia? Vous savez où il se trouve ?
PLACIDA
E’ qui in casa della ballerina; Il est ici dans la maisonde la danseuse ; mette insieme le sue robe e fra poco se ne andrà. Ilrassembleses affaireset d’ici peu il sortira.
RIDOLFO Se andrà via, lo vedrà. S’il part, vous allez le voir.
PLACIDA
Partirà per la porta di dietro, ed io non lo vedrò, o se sarò scoperta mi ucciderò. Il partira par la porte arrière, etje ne le verrai pas, s’il me découvre, il me tuera.
RIDOLFO Chi ha detto che anderà via per la porta di dietro? Qui a dit qu’il passeraparla porte de derrière ?
PLACIDA
Quel signore che si chiama Don Marzio.
Le monsieur qui s’appelle Don Marzio.
RIDOLFO
La tromba della comunità.
La trompette de la communauté. Faccia così: Ecoutez : si ritiri in bottega qui del barbiere; retirez-vous dansla boutique du barbier ; stando lì si vede la porticina segreta. de là vous verrez la porte secrète. Subito che lo vede uscire, mi avvisi, e lasci operare me. Une foisquevous le verrez sortir, avisez-moi, et laissez-moi opérer.
PLACIDA
In quella bottega non mi vorranno. Dans cemagasin, ils ne voudrons pas de moi.
Placida dalla locanda e detto.
Placida de l’auberge
PLACIDA Sì, nasca quel che può nascere, voglio ritrovare quell’indegno di mio marito. Oui, quoiqu’il en soit,je veux trouvercet homme indigne que j’ai comme mari.
DON MARZIO Pellegrina, come va?
Pèlerine, comment allez-vous ?
PLACIDA Voi, se non m’inganno, siete uno di quelli che erano alla tavola con mio marito? Vous, si jene me trompe, étiez aussi à table avecmon mari ?
DON MARZIO Si, son quello delle castagne secche. Oui, je suis celui qui a deschâtaignes sèches.
PLACIDA Per carità ditemi dove si trova quel traditore. Pourl’amour du ciel, pouvez-vous me dire où se trouve ce traître ?
DON MARZIO Io non lo so, e quand’anche lo sapessi, non ve lo direi. Je ne sais pas, et même sije le savais, je ne dirais rien.
PLACIDA Per che causa?
Pour quelle raison ?
DON MARZIO Perché se lo trovate, farete peggio. Parce que sivous le trouvez,ce sera pire encore. Vi ammazzerà. Il vous tuera.
PLACIDA Pazienza.
Tant pis. Avrò terminato almen di penare. J’en aurai terminé de souffrir.
DON MARZIO Eh, spropositi! Oh, bêtises ! Bestialità! Idiotie ! Ritornate a Torino. Repartez àTurin.
PLACIDA Senza mio marito? Sansmon mari ?
DON MARZIO Sì; senza vostro marito. Oui,sans votremari. Ormai, che volete fare? A présent, que vousvoulez en faire? E’ un briccone. C ‘est uncoquin !
PLACIDA Pazienza!
Tant pis ! almeno vorrei vederlo. au moins, j’aimerais le revoir.
DON MARZIO Oh, non lo vedete più. Oh, vous ne le verrez plus.
PLACIDA Per carità, ditemi, se lo sapete; Pourl’amour du ciel, dites-moi ce que vous savez. è egli forse partito? est-il parti ?
DON MARZIO E’ partito, e non è partito.
Il est parti sans partir.
PLACIDA Per quel che vedo, V. S. sa qualche cosa di mio marito? Ace que je vois, Votre Seigneuriesait quelque choseà propos demon mari ?
DON MARZIO Io?
Moi ? So, e non so, ma non parlo.
Je sais et je ne sais pas, mais je ne parle pas !
PLACIDA Signore, muovetevi a compassione di me. Seigneur,ayez de la compassionpour moi.
DON MARZIO Andate a Torino, e non pensate ad altro. Partez àTurin,et ne pas pensez plus à autre chose. Tenete, vi dono questi due zecchini. Tenez, voici cesdeux sequins.
PLACIDA Il Cielo vi rimeriti la vostra carità; Le Cielremercie votre bienfaisance; ma non volete dirmi nulla di mio marito? mais vousne voulez-vous pasme dire quelque choseà propos demon mari ? Pazienza!
Tant pis ! me ne anderò disperata. Je pars désespérée. in atto di partire piangendo elle mime un départ en pleurant
DON MARZIO Povera donna!
Pauvre femme ! da sé
à part Ehi?
Eh ? la chiama
il l’appelle
PLACIDA Signore!
Monsieur !
DON MARZIO Vostro marito è qui in casa della ballerina, che prende la sua roba, e partirà per la porta di dietro. Votremari estici, dansla maisonde la danseuse, il prendses affaireset va sortir par la portede derrière. parte
il part
PLACIDA E’ in Venezia! Il est à Venise ! Non è partito! Iln’est donc pas parti ! E’ in casa della ballerina! Il est ici dans la maison de la danseuse! Se avessi qualcheduno che mi assistesse, vorrei di bel nuovo azzardarmi. Si j’avais quelqu’unpour m’aider, je tenterais bien autre chose. Ma così sola temo di qualche insulto. Maisseule, je peux craindre quelques insultes.
Don Marzio che osserva coll’occhialetto, e ride fra sé, e detti. DonMarzioqui observe avec son lorgnon, et rit delui-même.
LEANDRO
Non avete meco gittato il tempo. Non, vous n’avez pas perdu de temps.
LISAURA
Sì, sono stata anch’io a parte de’ vostri indegni profitti. Oui, j’ai fait aussi partie de vos profits indignes. Arrossisco in pensarlo; Je rougisrien que d’y penser ; andate al diavolo, e non vi accostate più a questa casa. aller en enfer, etne vous approchez plusdecette maison.
LEANDRO
Ci verrò a prendere la mia roba. Jevais prendremes affaires.
DON MARZIO ride, e burla di nascosto Leandro Qui rit, et plaisante sur Leandro
LISAURA
La vostra roba vi sarà consegnata dalla mia serva. Vos affaires serons livrés par ma femme de chambre. entra, e chiude la porta elle entre et ferme la porte
LEANDRO
A me un insulto di questa sorta? A moi, me faire une insultede ce genre? Me la pagherai. Tu me le paieras !
DON MARZIO ride, e, voltandosi Leandro, si compone in serietà Il rit, et, se tournant vers Leandro, redevient grave
LEANDRO
Amico, avete veduto?
Ami, vous avez vu ?
DON MARZIO Che cosa?
Quoi ? Vengo in questo punto. J’arrive juste à l’instant.
LEANDRO
Non avete veduto la ballerina sulla porta? Vous n’avez pas vu la danseuse à la porte?
DON MARZIO No, certamente, non l’ho veduta. Non, vraiment, je ne l’ai pasvue.
LEANDRO a sé à part Manco male!
C’est le moindre mal !
DON MARZIO Venite qua, parlatemi da galantuomo, confidatevi con me, e state sicuro, che i fatti vostri non si sapranno da chi che sia.
Venez ici, me parler enhomme, mettez votreconfiance en moi, et soyez assuréque voshistoires ne seront connus de personne. Voi siete forestiere, come sono io, ma io ho più pratica del paese di voi. Vous êtesun étranger, comme moi,maisj’ai plus depratique dans ce pays que vous. Se vi occorre protezione, assistenza, consiglio, e sopra tutto segretezza, son qua io. Si vousavez besoin de protection, assistance ou conseil, et surtout de confidentialité, je suis votre homme. Fate pur capitale di me. Faites de moi votre meilleur capital. Di cuore, con premura, da buon amico; Ouvrez votre cœur, comme à un bon ami ; senza che nessuno sappia niente. sansque personne ne sacherien.
LEANDRO
Giacché con tanta bontà vi esibite di favorirmi, aprirò a voi tutto il mio cuore, ma per amor del cielo vi raccomando la segretezza. Puisqu’avectant de bontévous m’offrez votre amitié, je vaisvous ouvrirtout grand mon cœur, mais pourl’amour du ciel, je recommandele secret absolu.
DON MARZIO Andiamo avanti. Allons, je vous écoute.
LEANDRO
Sappiate che la pellegrina è mia moglie.
Sachez que la pèlerine est ma femme !
DON MARZIO Buono!
Bien !
LEANDRO
Che l’ho abbandonata in Torino. Queje l’ai abandonnéeà Turin.
DON MARZIO da sé, guardandolo con l’occhialetto à lui même en regardant avec ses lunettes Oh che briccone!
Oh ! Le coquin !
LEANDRO
Sappiate ch’io non sono altrimenti il conte Leandro. Sachez que je ne suis pas le comteLeandro.
DON MARZIO da sé, come sopra
à part, comme ci-dessus Meglio.
De mieux en mieux
LEANDRO
I miei natali non sono Nobili. Ma naissance n’est pas noble.
DON MARZIO Non sareste già figliuolo di qualche birro? Vous ne seriez pasle fils d’un quelconque sbire, par hasard ?
LEANDRO Mi maraviglio, signore; Je vous demande pardon, monsieur; son nato povero, ma di gente onorata. Je suis népauvre, maisdegens honorables
DON MARZIO Via, via: Bien, bien : tirate avanti. poursuivez.
LEANDRO
Il mio esercizio era di scritturale.. J’étais comptable …
DON MARZIO Troppa fatica, non è egli vero? Trop de problèmes, n’est-ce pas ?
LEANDRO
E desiderando vedere il mondo… Et je désirais tant voir le monde… Son venuto a Venezia… Je suis venu àVenise …
DON MARZIO A fare il birbante. Pour fairele coquin.
LEANDRO
Ma voi mi strapazzate. Maisvous m’insultez ! Questa non è la maniera di trattare. Cela ne se fait pas de traiter les gens de cette manière !
DON MARZIO Sentite: Écoutez ! io ho promesso proteggervi, e lo farò; J’ai promis devous protéger, et jele ferai; ho promesso segretezza, e la osserverò; J’ai promisle secret, etje l’observerai; ma fra voi e me avete da permettermi che possa dirvi qualche cosa amorosamente. maisde vous à moi, vous devez me laisser vous direquelque chose amicalement.
LEANDRO
Vedete il caso in cui mi ritrovo;
Vous voyezoù je suis ; se mia moglie mi scopre, sono esposto a qualche disgrazia. si ma femmeme trouve, je m’expose àun malheur.
DON MARZIO Che pensereste di fare? Que pensez-vousfaire?
LEANDRO
Si potrebbe vedere di far cacciar via di Venezia colei? On pourrait la chasserde Venise?
DON MARZIO
Via, via.
Allez Si vede che siete un briccone. Vous voyez que vous êtesun coquin.
LEANDRO
Come parlate, signore? Comme vous meparlez, monsieur?
DON MARZIO Fra voi e me, amorosamente. Entre vous et moi, amicalement.
LEANDRO
Dunque anderò via io; C’est donc moi qui partirai ; basta che colei non lo sappia. je souhaite seulement qu’ellene le sache pas.
DON MARZIO Da me non lo saprà certamente. De moi, elle ne saura rien, certainement.
LEANDRO
Mi consigliate ch’io parta? Vous me recommandez donc que je parte ?
DON MARZIO Sì, questo è il miglior ripiego. Oui, celasemble la meilleure option. Andate subito: Partez tout de suite: prendete una gondola; Prenezune gondole ; fatevi condurre a Fusina, prendete le poste, e andatevene a Ferrara. que l’on vous conduise àFusina, prenez ensuite la poste, et sortez àFerrare.
LEANDRO
Anderò questa sera; Je m’en irai donc ce soir; già poco manca alla notte.
et c’est déjà la nuit. Voglio prima levar le mie poche robe, che sono qui in casa della ballerina. Je veux récupérer les choses qui sonticidans la maisonde la danseuse.
DON MARZIO Fate presto, e andate via subito. Faites vite et partez immédiatement. Non vi fate vedere. Sans vous faire voir.
LEANDRO
Uscirò per la porta di dietro, per non esser veduto. Jepasserai par la porte arrière, pour ne pas êtrevu.
DON MARZIO da sé à part Lo diceva io;
Je le disais : si serve per la porta di dietro. Il se sert de la porte à l’arrière.
LEANDRO
Sopra tutto vi raccomando la segretezza. Avant tout, je vous recommandele secret.
DON MARZIO Di questa siete sicuro. Vous pouvez être sûr de cela.
LEANDRO
Vi prego d’una grazia, datele questi due zecchini S’il vous plaîtune grâce,donnez-lui ces deux sequins gli dà due zecchini; Il lui donne deux sequins poi mandatela via. puis qu’elle parte. Scrivetemi, e torno subito. Écrivez-moi, et jereviendrai.
DON MARZIO Le darò i due zecchini. Je vais lui donner lesdeux sequins. Andate via. Allez-vous-en.
LEANDRO
Ma assicuratevi che ella parta… Mais assurez-vousqu’elleest partie…
DON MARZIO Andate via, che siate maledetto! Allez-vous, vous êtes maudit !
LEANDRO
Mi scacciate? Vous me chassez ?
DON MARZIO Ve lo dico amorosamente, per vostro bene; Je vous le disamicalement, pour votre bien ; andate, che il diavolo vi porti. allez et quelediable vous emporte.
LEANDRO
Oh che razza d’uomo!
Oh quel genre d’homme! Se strapazza gli amici, che farà poi coi nemici! S’il malmène ses amis, que doit-il faire à ses ennemis ! va in casa di Lisaura
Il entre dans la maison deLisaura
DON MARZIO
Il signor Conte! Briccone! Il signor Conte!
Monsieur le Comte ! Ah, le coquin ! Monsieur le Comte ! Se non si fosse raccomandato a me, gli farei romper l’ossa di bastonate. S’il ne s’était pas recommandé à moi, je lui aurais rompu les ospar une bonne bastonnade.
Leandro scacciato di casa da Lisaura. Leandro est rejeté parLisaura de sa maison
LEANDRO A me un simile trattamento? Pour moi,un tel traitement ?
LISAURA (sulla porta)
(à la porte) Sì, a voi, falsario, impostore! Oui, vous, faussaire,imposteur !
LEANDRO Di che vi potete dolere di me? Que pouvez-vous me reprocher de mal ? D’aver abbandonata mia moglie per causa vostra? D’avoirabandonnéma femmeà cause de vous ?
LISAURA Se avessi saputo, che eravate ammogliato, non vi avrei ricevuto in mia casa. Sij’avais suque vousétiez marié, je ne vous aurais jamais reçudans ma maison.
LEANDRO Non sono stato io il primo a venirvi. Je suis pas le premier ày venir.
LISAURA Siete però stato l’ultimo. Mais vous êtes le dernier.
VITTORIA Questa è l’ultima volta che mi vede piangere.
Et c’est bien la dernière fois qu’il me voit pleurer. O si pente, e sarà il mio caro marito;
Soit il se repend et il redeviendra alors mon cher mari ; o persiste, e non sarò più buona a soffrirlo.
Soit il persiste et je ne pourrais plus le supporter.
RIDOLFO Signora Vittoria, cattive nuove;
Madame Vittoria, les nouvelles ne sont pas bonnes ! non vi è più.
je ne le vois plus. E’ andato via per la porticina.
Il est parti par la petite porte.
VITTORIA Non ve l’ho detto ch’è perfido, ch’è ostinato?
Est-ce que je n’avais pas dit qu’il était perfide et obstiné ?
RIDOLFO Ed io credo che sia andato via per vergogna, pieno di confusione, per non aver coraggio di chiederle scusa, di domandarle perdono. Et je pense qu’ilest parti car trop honteux, plein de confusion, il n’avait pas le courage deprésenter des excuses et demander pardon.
VITTORIA Eh, che da una moglie tenera, come son io, sa egli quanto facilmente può ottenere il perdono. Eh, qu’avec une tendre épouse, comme je suis, il sait bien qu’ilpeutfacilement se faire pardonner.
RIDOLFO Osservi.
Regardez ! E’ andato via senza cappello.
Il est parti sans prendre son chapeau. prende il cappello in terra
il l’attrape au sol
VITTORIA Perché è un pazzo.
Parce que c’est un fou !
RIDOLFO Perché è un confuso;
Parce qu’il est confus ; non sa quel che si faccia.
il ne doit plus savoir ce qu’il fait.
VITTORIA Ma se è pentito, perché non dirmelo?
Mais s’il se repentit, pourquoi alors ne pas me le dire ?
RIDOLFO Non ha coraggio.
Il n’en a peut-être pas le courage.
VITTORIA Ridolfo, voi mi lusingate.
Ridolfo, vous dites ça pour me faire plaisir.
RIDOLFO Faccia così:
Nous allons faire quelque chose ; si ritiri nel mio camerino;
retirez-vous dans le salon ; lasci che io vada a ritrovarlo, e spero di condurglielo qui, come un cagnolino. laissez-moi allerle voir, et j‘espèrevous le rapporter comme un chien.
VITTORIA Quanto sarebbe meglio, che non ci pensassi più! Ce serait tellement mieux si je ne pensais plus à lui !
RIDOLFO Anche per questa volta faccia a modo mio, e spero ch’ella non si pentirà. Cette foisaussi faites à ma façon,etj’espère qu’il se repentira.
VITTORIA Sì, così farò.
Oui, d’accord. Vi aspetterò nel camerino. Je vais attendredansle salon. Voglio poter dire che ho fatto tutto per un marito. Jetiens à dire que je faistout cela pourmon mari. Ma se egli se ne abusa, giuro di cambiare in altrettanto sdegno d’amore. Mais s’il abuse, je jurede changer en mépristout mon amour. entra nella bottega interna
elle entre dans la boutique
RIDOLFO Se fosse un mio figlio non avrei tanta pena. Si c’était mon enfant, je n’aurais pas moins de peine. parte
il part