Archives par mot-clé : Giosuè Carducci

LE PARLEMENT – I – DELLA «CANZONE DI LEGNANO» de GIOSUÈ CARDUCCI

Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE – letteratura italiana
TRADUCTION Jacky LAVAUZELLE

Giosuè Carducci
1835- 1907
Prix Nobel de Littérature 1906

IL PARLAMENTO
LE PARLEMENT
I

L’empereur Frédéric Barberousse, au milieu, aux côtés de ses deux fils, le roi Henri VI (à gauche) et le duc Frédéric VI (à droite).

DELLA «CANZONE DI LEGNANO»
DE LA « CANZONE DI LEGNANANO
PARTE I

[1879]

Sta Federico imperatore in Como.
Frédéric, empereur, séjourne à Côme.
ecco un messaggero entra in Milano
Et voici qu’un messager entre à Milan
Da Porta Nova a briglie abbandonate.
par la Porta Nuova à bride abattue.
“Popolo di Milano,„ ei passa e chiede,
« Peuple de Milan« , clama-t-il en passant,
“Fatemi scorta al console Gherardo„.
« Conduisez-moi vers le consul Gherardo ».
Il consolo era in mezzo de la piazza,
La consul se trouvait au milieu de la place,
E il messagger piegato in su l’arcione
Et le messager, courbé sur sa selle,
Parlò brevi parole e spronò via.
dit quelques mots et repartit.
Allor fe’ cenno il console Gherardo,
Alors le consul Gherardo fit un signe,
E squillaron le trombe a parlamento.
Et les trompettes sonnèrent devant le parlement.


*******************************


Frédéric Premier de Hohenstaufen
Frédéric Barberousse 
Friedrich I. – Barbarossa, 
1122 – 10 juin 1190
Empereur romain germanique
Roi des Romains
Roi d’Italie
Duc de Souabe
Duc d’Alsace,

********

Carducci

HENRI HAUVETTE
Littérature Italienne
CINQUIÈME PARTIE
L’ITALIE RÉGÉNÉRÉE

L’influence exercée par G. Carducci sur le mouvement intellectuel de son temps a été considérable, et on a remarqué que son exemple avait suscité un nombre inusite de professeurs-poetes. Parmi ceux—ci, Giuseppe Chiarini, d’Arezzo ({8334908) fut lié au maitre par une étroite amitié, qui ne se démentit pas un seul jour. Théoricien et imitateur de la métrique a barbare », traducteur de H. Heine, poéte délicat lui-méme, notamment dans un volume intitulé Lacrymae ({880), il s’est fait le biographe de Carducci (Memorie della vim di G. Carducci, Florence, {903), comme il fut celui d’autres grande poétes, de Foscolo ({892) et de Leopardi (I 905).

*********************

Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

Dans un temps où la littérature devient de plus en plus internationale, où les auteurs du monde entier sont traduits dans toutes les langues, Giosuè Carducci offre l’exemple exceptionnel d’un grand écrivain dont l’œuvre s’est fort peu répandue à l’étranger. Son nom, à vrai dire, était depuis longtemps célèbre. Tout le monde savait que Giosuè Carducci enseignait à Bologne la littérature italienne. On connaissait son Hymne à Satan ; on n’ignorait pas non plus que ce poète, naguère républicain farouche, s’était converti à la monarchie par admiration, par vénération pour la reine douairière d’Italie, Marguerite de Savoie. Lorsque, au mois de décembre 1906, le prix Nobel pour la poésie fut attribué, après plusieurs années d’hésitation, à Giosuè Carducci, journaux et revues lui consacrèrent des études un peu plus substantielles. La mort du poète, enfin, survenue le 16 février dernier, donna lieu hors d’Italie à toute une série nouvelle d’articles nécrologiques, mais cet événement provoqua en Europe des regrets beaucoup moins sentis et beaucoup moins éloquents que la mort d’Henrik Ibsen, par exemple. L’Italie fit à son enfant des obsèques dignes de son génie, mais les autres nations, insuffisamment renseignées, restèrent plutôt indifférentes au deuil pompeux de nos voisins d’outre-monts.
Hâtons-nous de dire qu’il n’y eut, dans cette indifférence de l’étranger, aucune ingratitude. L’œuvre de Carducci ne pouvait raisonnablement prétendre à la grande célébrité internationale. Giosuè Carducci doit à la poésie le meilleur de sa gloire. Or c’est par le roman, c’est par le théâtre, c’est par la littérature d’idées que se créent les célébrités universelles. Traduite dans une langue étrangère, une œuvre lyrique perd le principal de son charme, a l’instar de ces vins généreux dont l’arôme s’évanouit en passant à travers un filtre. On traduit parfois, par curiosité ou pour l’instruction des lettrés, les poèmes lyriques d’un auteur illustre parvenu à la renommée internationale par le roman ou le théâtre. On a traduit récemment les poésies d’Henrik Ibsen, on traduira quelque jour les Laudi de M. Gabriele d’Annunzio, mais la réputation d’un auteur ne saurait se fonder sur une traduction, si bonne fût-elle, de ses ouvrages en vers. Aussi la splendeur de Giosuè Carducci, poète uniquement lyrique, était-elle et reste-t-elle condamnée à n’être jamais pleinement goûtée de quiconque ignore la langue italienne.
Une autre raison de l’obscurité relative où demeura l’œuvre de Carducci tient à son caractère rigoureusement national. Exception faite d’une série de sonnets consacrés à la Révolution française, c’est l’histoire italienne uniquement qui l’inspira, pendant toute sa vie. L’Italie a traversé de 1821 à 1870 une époque de troubles, de succès politiques mêlés de revers, de vastes espoirs suivis de mornes découragements qui aboutirent enfin à la reconstitution de l’unité et dont l’ensemble constitue la période du Risorgimento. Un poète, mort cinquante ans exactement avant Carducci, Giacomo Léopardi, avait exprimé les aspirations nationales dans la première phase de cette lutte glorieuse. Giosuè Carducci les a traduites, presque au jour le jour peut-on dire, dans la deuxième phase, la plus heureuse : celle qui devait se terminer par l’entrée des Italiens dans Rome et l’installation de la monarchie au Quirinal. Les péripéties de cet âge héroïque, Carducci les a retracées d’un point de vue assez spécial, mais avec une telle ferveur patriotique qu’il finit par incarner, aux yeux des Italiens de ce temps, non point le sentiment d’un parti, mais l’idée nationale elle-même, si bien qu’en 1891, lorsque le barde mazzinien et garibaldien inclina son front naguère indocile devant la majesté de la reine Marguerite, on salua dans cette conversion le couronnement de son œuvre de poète et de citoyen. Le nom de Carducci avait pris dans les dernières années de sa vie un sens en quelque sorte symbolique. Il représentait les idées désormais inséparables de patrie et d’unité. Après lui avoir tenu longtemps rigueur, les catholiques d’outre-monts avaient généreusement rapporté la sentence naguère prononcée contre le poète révolutionnaire. Lors d’un jubilé professoral de Carducci, le marquis Filippo Crispolti, le plus connu des publicistes catholiques de la péninsule, tint même à honneur de joindre aux hommages spontanés de l’Italie libérale l’hommage réfléchi de l’Italie catholique. Et il loua en termes parfaits tout ce qui, dans l’œuvre de Carducci, pouvait être loué par un esprit religieux. Cette unanimité dans l’admiration et la reconnaissance se retrouva lorsqu’il s’agit de rendre à la dépouille mortelle du poète les honneurs suprêmes. Le 16 février 1907 plongea dans le deuil l’Italie entière. Jour néfaste pour la Nation ! Jour de larmes pour la Poésie ! La scène funèbre décrite dans l’ode barbare Aux sources du Clitumne dut se répéter sur toutes les rives italiques :
Les nymphes allèrent en pleurant se cacher dans les fleuves, rentrèrent dans le sein maternel, ou, poussant de longs cris, se dispersèrent ainsi que des nuages au-dessus des montagnes…
Et la voix mystérieuse qui jadis, tandis que se mouraient le monde romain, ses dieux et ses héros, s’écria au large de la Méditerranée : « Le grand Pan est mort ! » dut exhaler de nouveau sa plainte en ce triste jour où descendait dans la tombe le plus antique, le plus latin, le plus romain des poètes modernes.

MAURICE MURET

——–

UNE NOUVELLE HISTOIRE – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET XII – Marciate, o de la patria incliti tìgli

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
XII

*********

 


*
UNE NOUVELLE HISTOIRE
*

 

Marciate, o de la patria incliti tìgli,
Marchez, ô enfants glorieux de la patrie,
De i caimoni e de’ canti a l’armonia:
Des canonnades et des chants en harmonie :
Il giorno de la gloria oggi i vermigli
Le jour de gloire aujourd’hui avec ses rouges
Vanni e la danza del valore apria.
Ailes plane et danse.

*

Ingombra di paura e di scompigli
Plein de peur et de confusion,
 Al re di Prussia è del tornar la via:
Le roi de Prusse s’en retourne,
Kicaccia gli emigrati a i vili esigli
Suivi d’émigrés dans de vils exils
La fame il freddo e la dissenteria.
Au milieu de la faim, au milieu du froid et la dysenterie.

*

Livido su qnel gran lago di fango
Livide sur un grand lac de boue
Gnizza il tramonto, i colli d’un modesto
Frissonne le crépuscule, les collines d’un modeste
Kiso di sole attingono la gloria.
Baiser ensoleillé tirent la gloire.

*

E da un gruppo d’oscuri esce Volfango
Et d’un groupe obscur, avance Wolfgang
Goethe dicendo: Al mondo oggi da qnesto
Goethe disant : « Dans le monde d’aujourd’hui,
 Luogo incomincia la novella storia.
En ce lieu, commence une nouvelle histoire. »

*

*****

Louis XVI en habit de sacre
Joseph-Siffrein Duplessis
1777
Musée Carnavalet Paris 

********

ÇA IRA
XII

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

ET AU-DESSUS, LA MARSEILLAISE – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET XI – Su ì colli de le Argonne alza il mattino

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
XI

*********

 


*
ET AU-DESSUS, LA MARSEILLAISE
*

 

Su ì colli de le Argonne alza il mattino
Se lève sur les hauteurs de l’Argonne, un matin
Brumoso, accidioso e lutolento.
Brumeux, boueux, indolent.
Il tricolor bagnato in su’l mulino
Le drapeau tricolore humide, sur les hauteur d’un moulin
Di Valmy chiede in vano il sole e il vento.
De Valmy demande le soleil et le vent en vain.

*

Sta, sta, bianco mugnaio. Oggi il destino
Arrête, arrête, blanc meunier. Aujourd’hui, le destin,
  Per l’avvenire macina l’evento,
Pour l’avenir, moud les évènements
 E l’esercito scalzo cittadino
Et cette armée de pieds nus,
Dà col sangue a la ruota il movimento.
Par son sang, met la roue en mouvement.

*

— Viva la patria — Kellermann, levata
Vive la Patrie !  Kellermann, lève
La spada in fra i cannoni, urla, serrate
Son épée au-dessus des canons, hurlant,
De’ sanculotti l’epiche colonne.
Quand furent regroupés les épiques sans-culottes.

*

La marsigliese tra la cannonata
La Marseillaise entre la canonnade
Sorvola, arcangel de la nova etate,
Monte en flèche, archange du nouvel âge,
Le profonde foreste de le Argonne.
Au-dessus des profondes forêts de l’Argonne.

*

 

*****

Louis XVI en habit de sacre
Joseph-Siffrein Duplessis
1777
Musée Carnavalet Paris 

********

ÇA IRA
XI

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LE RETOUR DES HÉROS NATIONAUX – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET X – Al calpestio de’ barbari cavalli

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
X

*********

 


* LE RETOUR DES HÉROS NATIONAUX *


Al calpestio de’ barbari cavalli
Les piaffements des barbares chevaux
  Ne l’avel si svegliò dunque Baiardo?
Ont-ils réveillé Bayard du tombeau ?
E su le dolci orleanesi valli
Et sur les douces vallées orléanaises
La Pulcella rileva il suo stendardo?
La Pucelle a-t-elle relevé sa bannière ?

*

Da l’Alta Sona e dal ventoso Gardo
De la Haute-Saône et Gard venteux
 Ohi vien cantando a i mal costrutti valli
On vient chantant de grossières fortifications
  Sbarrati di tronchi alberi! È il gagliardo
D’épais troncs d’arbres ! C’est le valeureux
Vercingetorix co’ suoi rossi Galli!
Vercingétorix avec ses rouges Gaulois !

*

*

No: Dumouriez, la spia, nel cor riscuote
Non: Dumouriez, l’espion, dans le cœur recueille
Il genio di Condé: sopra la carta
Le génie de Condé ; sur la carte
 Militare uno sguardo acceso lancia,
Militaire, il lance un regard pétillant,

*

Ed una fila di colline ignote
Et sur une rangée de collines inconnues
Additando — Ecco — dice — , o nuova Sparta,
Il pointe le doigt  : « Ici – dit-il – ô nouvelle Sparte,
Le felici Termopile di Francia.
Les heureuses Thermopyles de France. »

*****

Louis XVI en habit de sacre
Joseph-Siffrein Duplessis
1777
Musée Carnavalet Paris 

********

ÇA IRA
X

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LA PRIÈRE DE LOUIS XVI – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET IX – Oh non mai re di Francia al suo levare

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
IX

*********

 


* LA PRIÈRE DE LOUIS XVI *

 

 

Oh non mai re di Francia al suo levare
Oh ! jamais roi de France à son lever
 Tali di salutanti ebbe un drappello!
Ne fut salué par une telle armée !
 La fósca torre in quel tumulto pare
L’inquiétante tour semble dans cette frénésie
Sperso nel mezzodí notturno uccello.
Un oiseau de nuit éperdu en plein midi.

*

Ivi su ’l medio evo il secolare
Ici, au Moyen Age, le séculier
Braccio discese di Filippo il Bello,
Bras de Philippe le Bel avait frappé,
Ivi scende de l’ultimo Templare
Ici, descend du dernier des Templiers
 Sul’ultimo Capeto oggi l’appello.
L‘appel aujourd’hui  sur le dernier Capet.

*

 

Ecco, mugge l’orribile corteo:
Voilà, le bruit horrible du défilé ;
La fiera testa in su la picca ondeggia,
La tête repoussante sur une pique flottait,
E batte a le finestre. Ed il re prono
Et frappait aux fenêtres. Et le roi, penché

*

Da le finestre de la trista reggia
Depuis les fenêtres du lugubre palais
Guarda il popolo, e a Dio chiede perdono
Regarde le peuple, et à Dieu demande pardon
 De la notte di San Bartolommeo.
Pour la nuit de Saint-Barthélemy.

*****

Louis XVI en habit de sacre
Joseph-Siffrein Duplessis
1777
Musée Carnavalet Paris 

********

ÇA IRA
IX

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LA MORT DE MADAME DE LAMBALLE GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET VIII – Gemono i rivi e mormorano i venti

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
VIII

*********

 


 ******
LA MORT DE MADAME DE LAMBALLE

*

Gemono i rivi e mormorano i venti
Gémissent les rivières et murmurent les vents
 Freschi a la savoiarda alpe natia.
Frais sur les Alpes savoyardes.
Qui suon di ferro, e di furore accenti.
Voici des sons de fer, et des accents de fureur.
Signora di Lamballe, a l’Abbadia.
C’est Madame de Lamballe, à l’Abbaye.

*

E giacque, tra i capelli aurei fluenti,
Elle gît, au milieu de ses cheveux d’or flottants
Ignudo corpo in mezzo de la via;
Corps nu au milieu de la rue ;
E un parrucchier le membra anco tepenti
Et un perruquier examine ses membres encore tièdes
Con sanguinose mani allarga e spia.
Et fouille avec ses mains ensanglantées.

Come tenera e bianca, e come fina!
Combien elle est tendre et blanche, comme elle est fine !
 Un giglio il collo e tra mughetti pare
Son cou semble un lys et au milieu du muguet
Garofano la bocca piccolina.
Un œillet cette bouche enfantine.

*

Su, co’ begli occhi del color del mare,
Allons, beaux yeux couleur de mer,
Su, ricciutella, al Tempio! A la regina
Allons, ma belle, au Temple! A la reine,
Il buon dí de la morte andiamo a dare.
Le bonjour de la mort, nous allons donner.

******

MADAME DE LAMBALLE
Mademoiselle de Carignan
Marie-Thérèse-Louise de Savoie
Princesse de Lamballe
(Turin le 8 septembre 1749 – 3 septembre 1792 Paris)

Madame de Lamballe pendant la Révolution
Pastel
Attribué à Henri-Pierre Danloux

Peinture de Antoine-François Calle
Vers 1776

 

*****

ÇA IRA
VIII

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

UNE EFFROYABLE GÉNÉRATION DE CRIMES – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET VII


Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
VII

*********

 


 ******
« EFFROYABLE GÉNÉRATION DE CRIMES »
*

Una bieca druidica visione
Une vision sombre druidique
Su gli spiriti cala e gli tormenta:
S’abat sur les esprits et les tourmente :
Da le torri papali d’Avignone
Depuis les tours papales d’Avignon
Turbine di furor torbido venta.
Vente un tourbillon de fureur.

*

O passion de gli Albigesi, o lenta
Ô passion des Albigeois*, ô lente
De gii Ugonotti nobil passione,
Passion noble des Huguenots**,
 Il vostro sangue bulica e fermenta
Votre sang fusionne et fermente
 E i cuori inebria di perdizione.
Et enivre les cœurs de perdition.

 

Ecco la pena e il tribunale orrendo
Voici la peine, voici le tribunal qui marquent
Ohe d’ombra immane il secol novo impronta!
D’ombre gigantesque le nouveau siècle  !
Oh, sei la Francia tu, bianca ragazza.
Ô es-tu la France toi, jeune fille blanche.

*

Ohe sul tremulo padre alta sorgendo
Qui sur ton père frémissant te jette
A espiare e salvar bevi con pronta
Et qui pour l’expier et le sauver bois avidement
Mano il sangue de’ tuoi da piena tazza?
A pleine tasse le sang des tiens ?

*******

« Effroyable génération de crimes, des Albigeois* à la Saint-Barthélemy**, et de là aux dragonnades, aux carnages des Cévennes. Nîmes se souvint des dragonnades. Avignon imita Paris. Paris imita Avignon.
Rien de plus imitateur, rien de moins original, on peut l’observer, que le crime
Jules Michelet
[21 août 1798 – 9 février 1874]
Histoire de la Révolution française
Volume II
Chapitre III

*****

ÇA IRA
VII

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LES MASSACRES DE SEPTEMBRE 1792- GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET VI – Su l’ostel di città stendardo nero

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
VI

*********

 


 ******
LES MASSACRES DE SEPTEMBRE
2 au 7 septembre 1792

*

Su l’ostel di città stendardo nero
La bannière noire sur l’Hôtel de Ville,
— Indietro! — dice al sole ed a l’amore:
Dit : Reculez! au soleil et à l’amour :
 Romba il cannone, nel silenzio fiero,
Le vrombissement du canon, dans un fier silence,
Di minnto in minuto ammonitore.
Avertit minute après minute.

*

Gruppo d’antiche statue severo
Les groupes semblent de sévères statues antiques
  Sotto i nunzi incalzantisi con l’ore
Sous les appels croissant avec les heures,
Sembra il popolo: in tutti uno il pensiero
Une unique pensée pour chacun :
— Perché viva la patria, oggi si muore. —
– La mort aujourd’hui pour que vive la Patrie ! –

In conspetto a Danton pallido enorme
A côté de l’énorme et pâle Danton
Furie di donne sfilano, cacciando
Défilent des furies de femmes, marchant
Gli scalzi fiorii sol di rabbia armati.
Les pieds nus armés par la seule rage.

*

Marat vede ne l’aria oscura torme
Marat voit passant dans l’air obscur
 D’uomini con pugnali erti passando,
Des hommes aux poignards brandis :
 E piove sangue donde son passati.
Il a plu du sang sur leur passage !

*****

Le massacre au Châtelet

 


*******

ÇA IRA
VI

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LE SIÈGE DE VERDUN (2 septembre 1792) GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET V

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
V

*********

 


 ******
LA SIÈGE DE VERDUN
(31 août 1792 – 2 septembre 1792)
*

Udite, udite, o cittadini. Ieri
Écoutez, écoutez, ô citoyens. Hier
Verdun a l’inimico apri le porte:
Verdun à l’ennemi a ouvert ses portes :
Le ignobili sue donne a i re stranieri
Ses infâmes femmes aux rois étrangers
Dan fiori, fanno ad Artois la corte,
Livrent des fleurs, et font la cour au comte d’Artois,

*

E propinando i vin bianchi e leggeri
Et buvant de blancs et légers vins
 Ballano con gli ulani e con le scorte:
Ils dansent avec les uhlans et les escortes :
Verdun, vile città di confettieri,
Verdun, ville de confiseurs, ville vile,
Dopo Tonta su te caschi la morte!
Après la honte sur toi, que s’abatte la mort !

Ma Beaurepaire il vivere rifiuta
Mais Beaurepaire refuse cette vie
  Oltre l’onore, e gitta ultima sfida
Sans honneur et lance un ultime défi
L’anima a i fati a l’avvenire e a noi.
Son âme aux destins, à l’avenir et à nous. 

*

La raccolgon dal ciel gli antichi eroi,
Par les héros anciens dans les cieux, il est recueilli,
E la non nata ancor gente ci grida:
Et même les gens qui ne sont pas encore nés nous crient :
O popolo di Francia, aiuta, aiuta!
« Ô  peuple de France, à l’aide, à l’aide!« 

*****

Nicolas-Joseph Beaurepaire
Mort à verdun le 2 septembre 1792

****

Le corps du général Beaurepaire
quittant Verdun après la capitulation de la ville.


*******

ÇA IRA
V

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POÈME

 

LA CHUTE DE LONGWY – GIOSUÈ CARDUCCI Poème – ÇA IRA (1883)- SONNET IV – L’un dopo l’altro i messi di sventura

Traduction – Texte Bilingue
CARDUCCI POÈME


 

Giosuè Carducci
1835- 1907

Prix Nobel de Littérature 1906

Traduction Jacky Lavauzelle

Sélection de poèmes de
Giosuè Carducci
*********

ÇA IRA
IV

*********

 


 ******
LA CHUTE DE LONGWY
*

L’un dopo l’altro i messi di sventura
L’un après l’autre les messagers de malheur
Piovon come dal ciel, Longwy cadea.
Comme du ciel tombent ; Longwy a cédé.
E i fuggitivi da la resa oscura
Et les fugitifs de l’obscure reddition
S’affollan polverosi a l’Assemblea.
S’affolent poussiéreux à l’Assemblée.

*

— Eravamo dispersi in su le mura:
«  Nous étions dispersés sur les murs :
A pena ogni due pezzi un uom s’avea:
A peine deux pièces pour un homme avions-nous ;
 Lavergne disparí ne la paura:
Lavergne ébranlé dans la peur ;
L’armi fallían. Che piú far si potea? —
Les armes manquaient. Que faire alors ? »

[Louis-François Lavergne-Champlorier commandant de Longwy signera la capitulation de la ville le 23 août 1792]

*

— Morir — risponde l’Assemblea seduta.
Mourir !- dit l’Assemblée.
Goccian per que’ riarsi volti strane
De ces faces émaciées et livides coulent d’étranges
 Lacrime: e parton con la fronte bassa.
Larmes, et ils repartent, têtes baissées. 

*

 Grande in ciel l’ora del periglio passa,
Dans le ciel, l’heure du péril passe,
 Batte con l’ala a stormo le campane.
Qui bat avec son aile le tocsin.
O popolo di Francia, aiuta, aiuta!
Ô peuple de France, à l’aide, à l’aide !  


*******

ÇA IRA
 IV

******

GIOSUE CARDUCCI

********************

LE « ÇA IRA »
Le poète Giosuè Carducci
Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

…Le sonnet est un moule d’une rare plasticité. Il s’est prêté aux mignardises de Joséphin Soulary comme aux visions grandioses de José Maria de Heredia. Dans leur concision lapidaire, leur âpre et sinistre beauté, les douze sonnets de Ça ira brillent d’un éclat tragique.

C’est au sortir d’une lecture de la Révolution française par Carlyle que Carducci les composa. Sans doute il connaissait aussi Thiers, Louis Blanc et Michelet ; mais la lecture de Carlyle donna l’élan décisif. C’est elle qui força l’inspiration. Comme Carlyle, — et comme Joseph de Maistre, — Carducci voit dans la Révolution française un événement proprement « satanique, » mais le rebelle qu’il est attache à ce terme le sens favorable qui se découvre dans son Hymne à Satan. La Révolution française est pour lui une revanche de la raison, de la liberté, de la justice sur les « tyrannies séculaires » de l’Eglise et de la monarchie. Il a protesté contre les critiques qui dénoncèrent ses sympathies terroristes quelque peu excessives ; il a prétendu s’être borné (ou à peu près) au rôle d historiographe. C’est pur paradoxe ! Ça ira prend énergiquement fait et cause pour la Terreur. Carducci condamne Louis XVI et Marie-Antoinette avec une rigueur inconnue des historiens impartiaux. Le sonnet qui retrace le meurtre de la princesse de Lamballe est une apologie déguisée de ce crime. Louis XVI, enfin, dans la prison où il se recueille en attendant la mort, est montré par le poète italien « demandant pardon au ciel pour la nuit de la Saint-Barthélemy. » Que voilà donc un « état d’Ame » peu historique ! N’y a-t-il pas tout lieu de croire que Louis XVI, à la veille de mourir, était à cent lieues de penser qu’il expiait les méfaits de Charles IX ? C’est l’impitoyable logique jacobine qui établit des rapprochements de cette sorte.

Il faut tenir compte, dans l’appréciation du Ça ira, de la date où fut publié cet ouvrage. Il parut « pour le 77e anniversaire de la République, » à une époque où la France traversait une nouvelle « année terrible. » Bien que le poète n’y fasse aucune allusion formelle, les événements de 1870-1871 restent toujours présents à son esprit. A l’opprobre de Sedan s’oppose dans sa pensée la gloire de Valmy, de Valmy qui fait l’objet de son dernier sonnet. Plutôt que Sedan, la Terreur ; plutôt Danton que Napoléon III ; plutôt Robespierre que Bazaine, voilà ce qu’on peut lire entre les lignes du Ça ira. Un critique italien a parlé des « Grâces pétrolières » qui avaient servi de marraines à cette poésie. Et ce propos irrita l’auteur. Le mot n’en était pas moins exact.

Indépendamment du Ça ira consacré à un sujet français, Carducci mentionne fréquemment la France dans ses ouvrages. Quel autre pays a été plus étroitement mêlé aux destinées du Risorgimento ? Carducci n’est pas gallophobe, tant s’en faut ; mais c’est exclusivement à la France rouge que vont ses sympathies. Les Iambes et épodes traînent aux gémonies ce peuple devenu infidèle à l’idéal révolutionnaire d’autrefois. Le poète maudit la France impériale « brigande au service du Pape » (masnadière papale). Dans les vers Pour Edouard Corazzini, il invective plus sauvagement encore la « grande nation » au nom de ceux qui crurent en elle, de ceux « qui avaient grandi à ta libre splendeur, de ceux qui t’avaient aimée, ô France ! » Même note dans le Sacre d’Henri V, où il s’élève contre les tentatives de restauration monarchique en France après la chute de l’Empire. Mais c’est surtout contre Bonaparte et le bonapartisme que le poète romain brandit ses foudres vengeresses.

Maurice Muret
Revue des Deux Mondes
Tome 40 – 1907

***************************

CARDUCCI POEME