Archives par mot-clé : 1845

LA VALLEE DES TROUBLES – Poème d’EDGAR ALLAN POE -The Valley of Unrest

The Valley of Unrest
POEME D’EDGAR POE
LITTERATURE AMERICAINE

Edgar Allan Poe Traduction Jacky Lavauzelle*******

Edgar Poe Poésie Traduction Jacky Lavauzelle Montage

EDGAR ALLAN POE
1809-1849




Traduction – Translation

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English text
texte bilingue français-anglais


****

*********




The Valley of Unrest
LA VALLEE DES TROUBLES

Published in American Review in April 1845
Publié en avril 1845

*

Edgar Allan Poe The Valley of Unrest Trad Jacky Lavauzelle************

Once it smiled a silent dell
Jadis un val silencieux souriait
Where the people did not dwell;
Que les gens avaient déserté ;
They had gone unto the wars,
Ils étaient partis à la guerre,
 Trusting to the mild-eyed stars,
Confiant aux doux yeux des étoiles,
Nightly, from their azure towers,
La nuit tombée, de leurs tours d’azur,
 To keep watch above the flowers,
De surveiller les fleurs,
In the midst of which all day
Au milieu desquelles toute la journée
The red sun-light lazily lay.
Le soleil rouge s’allongeait paresseusement.
Now each visitor shall confess
Maintenant, chaque visiteur avouera
The sad valley’s restlessness.
L’agitation de la triste vallée.
Nothing there is motionless —
Rien n’y est immobile –
Nothing save the airs that brood
Rien ! Rien excepté les airs qui nichent
Over the magic solitude.
Dans la solitude magique.
Ah, by no wind are stirred those trees
Ah ! par aucun vent ces arbres ne sont agités
That palpitate like the chill seas
Qui palpitent comme les mers froides
Around the misty Hebrides!
Autour des Hébrides brumeuses !
Ah, by no wind those clouds are driven
Ah ! par aucun vent ces nuages ne sont conduits
That rustle through the unquiet Heaven
Qui bruissent à travers le paradis inquiet
Uneasily, from morn till even,
Mal à l’aise, du matin jusqu’au soir,
Over the violets there that lie
Sur les violettes là-bas, qui reposent
In myriad types of the human eye —
Dans une myriade de types de l’œil humain
Over three lilies there that wave
Au-dessus de trois lis là-bas qui ondulent
And weep above a nameless grave!
Et pleurent au-dessus d’une tombe sans nom !
They wave: — from out their fragrant tops
Ils ondulent : – de leurs sommets parfumés
Eternal dews come down in drops.
Les rosées éternelles tombent en gouttes.
They weep: — from off their delicate stems
Ils pleurent : – de leurs tiges délicates
Perennial tears descend in gems.
Les larmes éternelles descendent en pierres.

***************

LES PERSONNAGES DE POE
PAR
CHARLES BAUDELAIRE

Les personnages de Poe, ou plutôt le personnage de Poe, l’homme aux facultés suraiguës, l’homme aux nerfs relâchés, l’homme dont la volonté ardente et patiente jette un défi aux difficultés, celui dont le regard est tendu avec la roideur d’une épée sur des objets qui grandissent à mesure qu’il les regarde, — c’est Poe lui-même. — Et ses femmes, toutes lumineuses et malades, mourant de maux bizarres et parlant avec une voix qui ressemble à une musique, c’est encore lui ; ou du moins, par leurs aspirations étranges, par leur savoir, par leur mélancolie inguérissable, elles participent fortement de la nature de leur créateur. Quant à sa femme idéale, à sa Titanide, elle se révèle sous différents portraits éparpillés dans ses poésies trop peu nombreuses, portraits, ou plutôt manières de sentir la beauté, que le tempérament de l’auteur rapproche et confond dans une unité vague mais sensible, et où vit plus délicatement peut-être qu’ailleurs cet amour insatiable du Beau, qui est son grand titre, c’est-à-dire le résumé de ses titres à l’affection et au respect des poëtes.

Charles Baudelaire
Edgar Poe, sa vie et ses œuvres
1856
Histoires extraordinaires
Michel Lévy fr.
*********************************

The Valley of Unrest
POEME D’EDGAR POE

Poésie Traduction Jacky Lavauzelle Edgar Allan Poe

EULALIE Poème d’EDGAR POE (1845)

POEME D’EDGAR POE
LITTERATURE AMERICAINE

Edgar Allan Poe Traduction Jacky Lavauzelle*******

Edgar Poe Poésie Traduction Jacky Lavauzelle Montage

EDGAR ALLAN POE
1809-1849




Traduction – Translation

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English text
texte bilingue français-anglais


****

*********




EULALIE
1845
*

Edgar Allan Poe Van Gogh Trad Jacky Lavauzelle
Van Gogh – Route avec un cyprès et une étoile, 1890 musée Kröller-Müller (Otterlo) – Détail

*****

I dwelt alone
Je demeurais seul
In a world of moan,
Dans un monde de gémissements,
  And my soul was a stagnant tide,
Et mon âme n’était plus qu’une mare stagnante,
Till the fair and gentle Eulalie became my blushing bride-
Jusqu’à ce que la belle et douce Eulalie devienne ma fiancée
   Till the yellow-haired young Eulalie became my smiling bride.
Jusqu’à ce qu’Eulalie, la jeune fille aux cheveux dorés, devienne ma souriante femme.

*

 Ah, less- less bright
Ah ! Elles n’étaient pas moins brillantes
The stars of the night
Les étoiles de la nuit
 Than the eyes of the radiant girl!
Que les yeux de la fille radieuse !
That the vapor can make
Ce que la vapeur peut faire
  With the moon-tints of purple and pearl,
Avec les teintes de lune, de pourpre et de perle,
Can vie with the modest Eulalie’s most unregarded curl-
Ne peut rivaliser avec la plus négligeable tresse d’Eulalie
Can compare with the bright-eyed Eulalie’s most humble and careless curl.
Ne peuvent se comparer en Eulalie les yeux brillants et la plus humble et indifférente de ses tresses.

*

 Now Doubt- now Pain
Maintenant le Doute-maintenant la Douleur
 Come never again,
Ne viennent plus jamais,
For her soul gives me sigh for sigh,
Car son âme me pousse à soupirer,
And all day long
Et toute la journée
     Shines, bright and strong,
Brille et luit intensément
  Astarte within the sky,
Astarté dans le ciel,
While ever to her dear Eulalie upturns her matron eye-
Pendant que la chère Eulalie lève pour toujours son œil vers elle
 While ever to her young Eulalie upturns her violet eye.
Pendant que la jeune Eulalie lève pour toujours son œil pourpre vers elle.

EULALIE

***************

LES PERSONNAGES DE POE
PAR
CHARLES BAUDELAIRE

Les personnages de Poe, ou plutôt le personnage de Poe, l’homme aux facultés suraiguës, l’homme aux nerfs relâchés, l’homme dont la volonté ardente et patiente jette un défi aux difficultés, celui dont le regard est tendu avec la roideur d’une épée sur des objets qui grandissent à mesure qu’il les regarde, — c’est Poe lui-même. — Et ses femmes, toutes lumineuses et malades, mourant de maux bizarres et parlant avec une voix qui ressemble à une musique, c’est encore lui ; ou du moins, par leurs aspirations étranges, par leur savoir, par leur mélancolie inguérissable, elles participent fortement de la nature de leur créateur. Quant à sa femme idéale, à sa Titanide, elle se révèle sous différents portraits éparpillés dans ses poésies trop peu nombreuses, portraits, ou plutôt manières de sentir la beauté, que le tempérament de l’auteur rapproche et confond dans une unité vague mais sensible, et où vit plus délicatement peut-être qu’ailleurs cet amour insatiable du Beau, qui est son grand titre, c’est-à-dire le résumé de ses titres à l’affection et au respect des poëtes.

Charles Baudelaire
Edgar Poe, sa vie et ses œuvres
1856
Histoires extraordinaires
Michel Lévy fr.
*********************************

POEME D’EDGAR POE

Poésie Traduction Jacky Lavauzelle Edgar Allan Poe

Louise Labé Les Sonnets – Die Sonette der Louise Labé (RILKE)

Louise Labé
POESIE FRANCAISE
LOUISE LABE LES SONNETS




LOUISE LABE
« La Belle Cordière »

1524-1566

Sonnets Louise Labé par Pierre Woeiriot Artgitato
Louise Labé par Pierre Woeiriot

 Traduction française
Jacky Lavauzelle
Übersetzt von Rainer Maria Rilke

*

Œuvres de Louise Labé
EVVRES DE LOVÏSE LABE LIONNOIZE
 


LES SONNETS
Die Sonette der Louise Labé

Louise Labé Les Sonnets Giovanni Bellini Jeune Femme à sa toilette 1515 Musée d'histoire de l'Art de VienneGiovanni Bellini
Jeune Femme à sa toilette
1515
Musée d’histoire de l’Art de Vienne

**********



Louise Labé

SONNET I
Das erste Sonett

Non havria Ulysse o qualunqu’altro mai
Ni Ulysse ni aucun autre
Hat keiner je, Odysseus oder wer

Piu accorto fù, da quel divino aspetto
Plus astucieux encore, de par ce divin aspect
sonst findig war, von diesem anmutvollen

*

SONNET  II
Das zweite Sonett

Ô beaus yeus bruns, ô regards destournez,
Ô beaux yeux bruns, ô regards détournés,
O braune Augen, Blicke weggekehrt,

 Ô chaus soupirs, ô larmes espandues,
Ô chauds soupirs, ô larmes répandues,
verseufzte Luft, o Tränen hingegossen,

*

SONNET III
Das dritte Sonett

Ô longs desirs, ô esperances vaines,
Ô longs désirs, ô espérances vaines,
Langes Verlangen, Hoffnung ohne Sinn,

Tristes soupirs et larmes coutumieres
Tristes soupirs et larmes coutumières
Geseufz und Tränen so gewohnt zu fließen,

*

SONNET IV
Das vierte Sonett

Depuis qu’Amour cruel empoisonna
Depuis qu’Amour cruel empoisonna
 Seitdem der Gott zuerst das ungeheuer
Premierement de son feu ma poitrine,
La première fois de son feu ma poitrine,
 glühende Gift in meine Brust mir sandte,

*

SONNET V
Das fünfte Sonett

Clere Venus, qui erres par les Cieus,
Clairvoyante Vénus, qui erre dans les Cieux,
O Venus in den Himmeln, klare du,

 Entens ma voix qui en pleins chantera,
Entends ma voix qui ouvertement chantera
hör meine Stimme; denn solang du dort

*

SONNET VI
Das sechste Sonett 

Deus ou trois fois bienheureus le retour
Deux ou trois fois, bienheureux fut le retour
Zwei-dreimal selig jenes Wiederkehren
 De ce cler Astre, et plus heureus encore
De ce clair Astre, mais plus heureux encore
 des starken Sterns. Und seliger noch das,

Louise Labé Sonnet VI Rilke Artgitato Flore -la Primavera de Sandro Botticelli

*

LOUISE LABE
SONNET VII
Das siebente Sonett

On voit mourir toute chose animee,
On voit mourir toute chose animée,
Man sieht vergehen die belebten Dinge,
 Lors que du corps l’ame sutile part :
Lorsque du corps part l’âme subtile :
sowie die Seele nicht mehr bleiben mag.

*

SONNET VIII
Das achte Sonett

Ie vis, ie meurs : ie me brule et me noye.
Je vis, je meurs : je me brûle, je me noie.
Ich leb, ich sterb: ich brenn und ich ertrinke,

I’ay chaut estreme en endurant froidure :
J’ai très chaud et j’endure le froid :
ich dulde Glut und bin doch wie im Eise;

*

SONNET IX
Das neunte Sonett

Tout aussi tot que ie commence à prendre
 Dès que je commence à prendre
Gleich wenn ich endlich abends so weit bin,
Dens le mol lit le repos désiré,
Dans  le lit indolent le repos désiré,
daß ich im weichen Bett des Ruhns beginne,

*

SONNET X
Das zehnte Sonett

Quand i’aperçoy ton blond chef couronné
Quand j’aperçois ta tête blonde couronnée
Seh ich dein Haupt, das blonde, schöngekrönt,
D’un laurier verd, faire un Lut si bien pleindre,
D’un vert laurier, faire si bien plaindre le luth,
 und deiner Laute Klagen, so beflissen,

*

SONNET XI
Das elfte Sonett

Ô dous regars, ô yeus pleins de beauté,
Ô doux regards, ô yeux pleins de beauté,
O Blicke, Augen aller Schönheit voll,
 Petis iardins, pleins de fleurs amoureuses
Petits jardins, débordants de fleurs amoureuses
wie kleine Gärten, die in Liebe stehen:

*

SONNET  XII
Das zwölfte Sonett

 Lut, compagnon de ma calamité,
Luth, compagnon de mon infortune,
Laute, Genossin meiner Kümmernis,
De mes soupirs témoin irreprochable,
De mes soupirs, témoin irréprochable,
 die du ihr beiwohnst innig und bescheiden,

*

SONNET XIII
Das dreizehnte Sonett

Oh si i’estois en ce beau sein rauie
Oh si j’étais ravie du beau cœur
O wär ich doch entrückt an ihn, gepreßt 

De celui là pour lequel vois mourant :
De celui pour qui je meure :
an seine Brust, für den ich mich verzehre.

*

SONNET XIV
Das vierzehnte Sonett

Tant que mes yeus pourront larmes espandre,
Tant que mes yeux  pourront répandre des larmes,
Solange meine Augen Tränen geben,

 À leur passé auec toy regretter ;
Et regretter avec toi leur passé ;
dem nachzuweinen, was mit dir entschwand;

*

SONNET XV
Das fünfzehnte Sonett

Pour le retour du Soleil honorer,
Pour glorifier le retour du Soleil,
Der Sonne, eh sie wiederkommt, zu Ehren
Le Zéphir, l’air serein lui apareille :
Le Zéphyr, l’air serein, à lui s’unit :

Louise Labé Sonnet xv artgitato Zéphyr et Flore Jean-François de Troy collection Martha ed Snider Philadelphie

*

SONNET XVI
Das sechzehnte Sonett

Apres qu’un tems la gresle et le tonnerre
Apres que la grêle et le tonnerre
Wenn Wetter eine Zeit und Hagelschauer
 Ont le haut mont de Caucase batu,
Aient battu les monts du Caucase,
oben den hohen Kaukasus umfing,

*

SONNET XVII
Das siebzehnte Sonett

Ie fuis la vile, et temples et tous lieus,
Je fuis la ville, et les temples et tous les lieux,
Ich flieh die Stadt, die Kirchen, jeden Ort,
Esquels prenant plaisir à t’ouir pleindre,
Dans lesquels prenant plaisir à t’entendre plaindre,
 wo ich dich sehe, wo du dich beklagst

*

SONNET XVIII
Das achtzehnte Sonett

Baise m’encor, rebaise moy et baise :
Baise-moi, rebaise-moi et baise :
Küss mich noch einmal, küß mich wieder, küsse

 Donne m’en un de tes plus sauoureus,
Donne m’en un de tes plus savoureux,
mich ohne Ende. Diesen will ich schmecken,

*

SONNET XIX
Das neunzehnte Sonett

Diane estant en l’espesseur d’un bois,
Diane étant dans l’épaisseur d’un bois,
Diana, atemlos von manchem Tier,
 Apres avoir mainte beste assenee,
Apres avoir maintes bêtes chassées,
stand weit im Wald in einer stillen Lichtung,

*

SONNET XX
Das zwanzigste Sonett

Prédit me fut, que deuois fermement
Il me fut prédit que je devais fermement
Mir ward gewahrsagt, daß ich einmal sicher
Un iour aymer celui dont la figure
Un jour aimer celui dont la figure
den lieben werde, den man mir beschrieb.

*

LOUISE LABE
SONNET XXI
Das einundzwanzigste Sonett

Quelle grandeur rend l’homme venerable ?
Quelle grandeur rend l’homme vénérable ?
Wie muß der Mann sein, Farbe, Haar und Wuchs,
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ?
Quelle grosseur ? quel poil ? quelle couleur ?
damit er ganz gefalle? Welche Blicke

*

SONNET XXII
Das zweiundzwanzigste Sonett

Luisant Soleil, que tu es bien heureus,
Brillant Soleil, que tu es bienheureux,
Was bist du glücklich, Sonnengott, du hast

 De voir tousiours de t’Amie la face :
De voir toujours de ton Amie la face :
die liebste Freundin stets in Sicht, und deine

Sonnet XXII de Louise Labé Le sommeil d'Endymion par Girodet musée du Louvre*

SONNET XXIII
Das dreiundzwanzigste Sonett

Las ! que me sert, que si parfaitement
Las ! que me sert, que si parfaitement
Was hilft es mir, daß du so meisterhaft
Louas iadis et ma tresse doree,
Tu louas jadis ma tresse dorée,
 mein Haar besangst und sein gesträhntes Gold,

*

SONNET XXIV
DERNIER SONNET
Das vierundzwanzigste Sonett

Ne reprenez, Dames, si i’ay aymé :
Ne me jugez pas, Mesdames, si j’ai aimé :
Ach, meine Liebe, werft sie mir nicht vor,

 Si i’ay senti mile torches ardantes,
Si j’ai ressenti mille torches ardentes,
 ihr Damen: daß mich tausend Brände brannten

***********

Louise Labé par Sainte-Beuve

Cette célèbre Lyonnaise a obtenu un honneur que n’ont pas eu bien des noms littéraires plus fastueux, on n’a pas cessé de la réimprimer : l’édition de ses œuvres, publiée en 1824, avec notes, commentaires et glossaire, était la sixième au dire des éditeurs, ou plutôt la septième, comme l’a prouvé M. Brunet ; et voilà qu’un imprimeur de Lyon, connaisseur et littérateur distingué lui-même, M. Léon Boitel, vient de faire pour sa tendre compatriote, la Sapho du XVIe siècle, ce que M. Victor Pavie faisait, il y a peu d’années, à Angers, pour Joachim Du Bellay : il vient d’en publier une charmante édition de luxe, tirée à 200 exemplaires, avec notice de M. Collombet, mais débarrassée d’ailleurs de toute cette surcharge de notes qui ne sont bonnes qu’une fois, et qu’il faut laisser en leur lieu à l’usage des érudits. En ne craignant pas de s’occuper à son tour des œuvres de l’aimable élégiaque, M. Collombet, le sérieux traducteur de Salvien et de saint Jérôme, a fait preuve de patriotisme et de bon esprit ; il n’a pas eu plus de faux scrupule que n’en eurent en de telles matières ces érudits du bon temps, l’abbé Goujet, Niceron et autres ; les vrais catholiques, à bien des égards, sont les plus tolérants. Pour nous, cette publication nouvelle nous est une occasion heureuse, que nous ne laisserons pas échapper, de réparer, envers Louise Labé, un oubli, une légèreté involontaire qu’un critique ami, M. Patin, nous reprochait dernièrement avec grâce. Il est toujours très doux de pouvoir réparer envers un poète, surtout quand ce poète est une femme.

Nous avions beaucoup trop négligé Louise Labé, parce qu’en étudiant au XVIe siècle le mouvement et la succession des écoles, on la rencontre très peu. C’est une gloire, un charme de plus pour une muse de femme de ne pas avoir rang dans la mêlée et de ne pas intervenir dans ces luttes raisonneuses. Louise Labé fut un peu en son temps comme Mme Tastu, comme Mme Valmore du nôtre : sont-elles classiques, sont-elles romantiques ? elles ne le savent pas bien ; elles ont senti, elles ont chanté, elles ont fleuri à leur jour ; on ne les trouve que dans leur sentier et sur leur tige. A d’autres la discussion et les théories ! à d’autres l’arène !

Les œuvres de Louise Labé parurent pour la première fois en l’année 1555, c’est-à-dire au moment où toute la génération éveillée par Du Bellay et Ronsard prenait son essor, où la jeune école de droit de Poitiers, Vauquelin et ses amis, se produisaient dans leur ferveur de prosélytes, et où, sur toutes les rives du Clain et de la Loire, retentissaient, comme des chants d’oiseaux, des milliers de sonnets, quelques-uns charmants déjà, quelques autres un peu rauques encore ; mais Louise Labé, précédemment louée par Marot, n’eut pas besoin, elle, pour s’élancer à son tour, de rompre avec le passé et de s’éprendre de cette ardeur rivale. Si elle dut en partie ce rôle d’exception au caractère tout intime et passionné de ses vers, elle ne le dut pas moins à la position littéraire qu’occupait alors en France la cité lyonnaise. Lyon, en effet, était un centre plus à portée de l’Italie et qui gagnait à ce voisinage quelques rayons plus hâtifs de cette docte et bénigne influence ; Lyon avançait, on peut le dire, sur le reste de nos provinces, et peut-être, à certains égards, sur la capitale. Des Florentins en grand nombre, à chaque trouble survenu dans la république des Médicis, avaient émigré sur ce point et y avaient fondé une espèce de colonie qui continuait d’associer, comme dans la patrie première, l’instinct et le génie du négoce au noble goût des arts et des lettres. De telle sorte, la renaissance à Lyon s’était faite insensiblement par voie d’infusion successive, et il y eut bien moins lieu que partout ailleurs au coup de tocsin de 1550, qui ressemblait à une révolution. Les preuves de ce fait général seraient abondantes, et le Père de Colonia, sans en tirer toutes les conséquences, a pris soin d’en rassembler un grand nombre dans l’histoire littéraire qu’il a tracée de sa cité adoptive. L’Académie de Fourvière, espèce de société de gens doctes et considérables, d’érudits et même d’artistes, dans le goût des académies d’Italie, et qui devançait la plupart des fondations de ce genre, date du commencement du XVIe siècle. Lorsqu’au début de son règne Henri II, avec Catherine de Médicis, fit sa première entrée solennelle à Lyon en septembre 1545, la petite colonie des Florentins voulut donner à la reine le régal de la Calandra, représentée par des comédiens qu’on avait mandés exprès d’au-delà des monts. La fête même de cette réception était dirigée dans son ensemble par Maurice Sève, ancien conseiller-échevin et poète distingué du temps : les Sève tiraient leur origine d’une ancienne famille piémontaise. Ce Maurice Sève, qui célébra en quatre cent cinquante-huit dizains une maîtresse poétique sous le nom de Délie, s’acquit l’estime des deux écoles ; les novateurs, qui aspiraient à introduire une poésie plus savante et plus relevée que celle de leurs devanciers, ne manquent jamais, dans leurs préfaces et manifestes, d’admettre une exception expresse en faveur de Maurice Sève. Celui-ci faisait en quelque sorte école, une école intermédiaire, et lorsque Pontus de Thiard qui écrivait dans le Mâconnais, c’est-à-dire dans le rayon ou ressort poétique de Lyon, publiait en 1548 ses Erreurs amoureuses, qui devançaient les débuts de la Pléïade à laquelle il allait appartenir, c’est à Maurice Sève qu’il adressait le premier sonnet. On le voit donc, la réforme poétique, tentée ailleurs avec éclat et rupture, s’entamait à Lyon sans qu’il y eût, à proprement parler, de solution de continuité ; mais il n’en faudrait pas conclure qu’elle s’y produisît plus coulamment ni d’une veine plus ménagée. L’érudition de Maurice Sève et de Pontus de Thiard, leur quintessence platonique et scientifique ne laisse rien à désirer aux obscurités premières de Ronsard et de ses amis, et ils n’ont pas l’avantage de se dégager par moments, comme ceux-ci, avec netteté, avec un jet de talent proportionné à l’effort ; ils ne se débrouillent jamais. Louise Labé était disciple de Maurice Sève, et elle lui dut assurément beaucoup pour les études et les doctes conseils ; mais, si elle atteignit dans l’expression à quelques accents heureux, à quelques traits durables, elle ne les puisa que dans sa propre passion et en elle-même.

Sa vie est restée très peu éclaircie, malgré la célébrité dont elle jouit de son vivant, malgré les mille témoignages poétiques qui l’entourèrent et dont on a conservé le recueil comme une guirlande. Cette célébrité même et le caractère passionné de ses poésies furent cause qu’après sa mort il se forma insensiblement sur elle une légende qui, accueillie et propagée sans beaucoup d’examen par des critiques d’ordinaire plus circonspects, par Antoine Du Verdier et Bayle, recouvrit bientôt le vrai et finit par rendre l’intéressante figure tout-à-fait méconnaissable. Les consciencieux éditeurs de 1824, sont heureusement venus remettre en lumière quelques points authentiques, et ils se sont appliqués surtout (tâche assez difficile et méritoire) à restituer à Louise Labé son honneur comme femme, en même temps qu’à lui maintenir sa gloire comme poète. Ouvrez, en effet, la Bibliothèqueff’rançoise de Du Verdier et le Dictionnaire de Bayle, vous y voyez Louise Labé désignée tout crûment par la qualification de courtisane lyonnoise. Bayle, qui n’a pour autorité que Du Verdier, se donne le plaisir de broder là-dessus et d’accorder à sa plume, en cet endroit, tout le libertinage qui fait comme le grain de poivre de son érudition. La Monnoye, dans ses notes sur La Croix du Maine, en a usé à son exemple ; il cite sur Louise Labé un petit distique et un quatrain qu’on ne trouve point, dit-il, dans la guirlande de vers à sa louange ; je le crois bien, car ces petits vers salaces ont tout l’air d’être de la façon du malin commentateur lui-même. Nous pourrions faire comme lui et nous égayer sans peine aux dépens de la belle Louise ; nous croyons même savoir une petite épigramme qui ne se trouve pas non plus dans le recueil des vers imprimés en son honneur, et que La Monnoye, qui donnait dans l’inédit, a, je ne sais pourquoi, négligée. La voici :

N’admirez tant que la belle Cordière
D’Amour en elle ait conçu tout le feu :
Son bon mari qui n’entendoit le jeu
Chez lui tenoit fabrique journalière,
Grand magazin de cibles et d’agrès,
Croyant le tout étranger à la Dame ;
Mais Amour vint, la malice dans l’âme,
Choisit la corde et n’y mit que les traits.

Que si l’on examine de plus près les témoignages des contemporains de Louise Labé, les indications et inductions qui ressortent de ses vers mêmes, on n’atteint pas à la certitude (où est la certitude en un sujet si délicat ?), on arrive toutefois à la mieux voir, à la voir tout autre qu’à travers les badineries des commentateurs érudits, lesquels ont fait ici, en sens inverse, ce que tant de bons légendaires ont fait pour leurs saints et saintes ; je veux dire qu’ils n’ont apporté aucune critique en leur récit, et qu’ils se sont tout simplement délectés à médire, comme les autres à glorifier. Ce qui d’ailleurs a le plus nui à Louise Labé, je m’empresse de le reconnaître, et ce qui a pu induire en erreur, ce sont les pièces mêmes de vers à sa louange attachées à ses œuvres. Chaque siècle a son ton de galanterie et d’enjouement. Au XVIe siècle, les honnêtes femmes écrivaient et lisaient l’Heptameron, et le grave parlement, dans les Grands-Jours de Poitiers, célébrait sur tous les tons la Puce de Mlle Des Roches. Les sonnets amoureux de Louise Labé mirent en veine bien des beaux-esprits du temps, et ils commencèrent à lui parler en français, en latin, en grec, en toutes langues, de ses gracieusetés et de ses baisers (de Aloysiœ Laboeoe osculis), comme des gens qui avaient le droit d’exprimer un avis là-dessus. Les malins ou les indifférents ont pu prendre ensuite ces jeux d’imagination au pied de la lettre. Je ne prétendrai jamais faire de Louise Labé une Julie d’Angennes, mais en bonne critique il faut grandement rabattre de tous ces madrigaux. De ce qu’une foule de poètes se déclarèrent bien haut ses amoureux, doit-on en conclure qu’ils furent ses amans, et faut-il prendre au positif les vivacités lyriques d’Olivier de Magny plus qu’on ne ferait les familiarités galantes de Benserade ? Je dis cela sans dissimuler qu’il y a, dans les témoignages cités, deux ou trois endroits embarrassants, incommodes ; on aimerait autant qu’ils fussent restés inconnus. Et puis elle ne recevait pas seulement dans sa maison des poètes, mais aussi de braves capitaines, gens qui se repaissent moins de fumée. On est donc fort entrepris, selon l’expression prudente de Dugas-Montbel, pour rien asseoir de certain ; il y a du pour, il y a du contre. Je ferai valoir le pour de mon mieux.

D’autres périls plus naturels l’attendaient, auxquels n’échappent guère ces fières héroïnes, et qu’elles recherchent peut-être en secret sous tout ce bruit. Ce fut à ce siège, selon la vraisemblance, ou dans les rencontres qui suivirent, qu’elle s’éprit d’une passion vive pour l’homme de guerre à qui s’adressent évidemment ses poésies et dont elle regrette plus d’une fois l’absence ou l’infidélité par-delà les monts. La première des pièces consacrées à la louange de Louise, dans l’édition de 1555, est une petite épigramme grecque qui peut jeter quelque jour sur cette situation ; à la faveur et un peu à l’abri du grec, les termes qui expriment son infortune particulière de cœur y sont formels. Voici la traduction :

« Les odes de l’harmonieuse Sapho s’étaient perdues par la violence du temps qui dévore tout : les ayant retrouvées et nourries dans son sein tout plein du miel de Vénus et des Amours, Louise maintenant nous les a rendues. Et si quelqu’un s’étonne comme d’une merveille, et demande d’où vient cette poétesse nouvelle, il saura qu’elle a aussi rencontré, pour son malheur, un Phaon aimé, terrible et inflexible ! Frappée par lui d’abandon, elle s’est mise, la malheureuse, à moduler sur les cordes de sa lyre un chant- pénétrant ; et voilà que, par ses poésies mêmes, elle enfonce vivement aux jeunes cœurs les plus rebelles l’aiguillon qui fait aimer. »

Cette passion qui s’empara de Louise, d’après son propre aveu (Elégie III), avant qu’elle eût vu seize hivers, et qui l’embrasait encore durant le treizième été (treize ans après !), fut-elle antérieure à son mariage avec l’honnête et riche cordier Ennemond Perrin, ou se continua-t-elle jusqu’à travers les lois conjugales ? C’est une question assez piquante et qu’il n’est pas tout-à-fait inutile d’agiter, quoiqu’il semble impossible de la résoudre.

Les poésies de Louise Labé parurent pour la première fois en 1555, c’est-à-dire treize ans après le mémorable siège ; à cette époque, il paraît que Louise était mariée ; on le conjecture du moins d’après plusieurs indices que relève la Notice de l’édition de 1824, et qu’il ne faudrait peut-être pas discuter de trop près. Quoi qu’il en soit, voici ce qui me paraîtrait le plus vraisemblable : Louise Labé, jeune et libre, aurait aimé et chanté ses ardeurs, comme il était permis alors, et sans trop déroger par là aux convenances du siècle. Puis, ces treize années de jeunesse et de passion écoulées, elle se serait laissée épouser par le bon Ennemond Perrin, beaucoup plus âgé qu’elle, qui lui aurait offert sa fortune, son humeur débonnaire et ses complaisances, à défaut de savoir et de poésie ; elle aurait fait en un mot un mariage de raison, un peu comme Ariane désolée (chez Thomas Corneille) si elle avait épousé ce bon roi de Naxe, qui était son pis-aller. Son mariage, qu’il ait eu lieu avant ou après la publication des poésies, n’y aurait apporté aucun obstacle, parce que ces poésies étaient connues depuis longtemps dans le cercle de Louise Labé, que ses amis en avaient soustrait des copies, comme l’allègue le privilège du roi de 1554, qu’ils en avaient même publié plusieurs pièces en divers endroits, et que son mari ne pouvait en apprendre rien qu’il ne sût déjà, ni en recevoir aucun déshonneur. Voilà une explication qui concilierait à merveille la considération dont Louise ne cessa de jouir de son vivant avec la vivacité de certains aveux élégiaques et avec la publication de ce qu’elle appelait ses jeunesses. Cependant l’ode d’Olivier de Magny, publiée en 1559, et dans laquelle le gracieux poète, un des adorateurs de Louise Labé, parle très lestement de ce mari que jusque-là on n’avait vu nommé nulle part ailleurs, donne à soupçonner qu’il n’y a peut-être pas lieu de se mettre tant en frais pour sauver le décorum. Les mœurs de chaque siècle sont si à part et si sujettes à des mesures différentes, qu’il serait, après tout, très possible que Louise, en sa qualité de bel-esprit, se fût permis, jusque dans le sein du mariage, ces chants d’ardeur et de regret, comme une licence poétique qui n’aurait pas trop tiré à conséquence dans la pratique. Nous-même, en notre temps, nous avons eu des exemples assez singuliers de ces aveux poétiques dans la bouche des femmes. J’ai sous les yeux de très agréables poésies publiées avant juillet 1830, et qui n’ont pas fait un pli, je vous assure, de touchantes élégies dans lesquelles une jolie femme du monde écrivait :

… J’étais sans nulle défiance ;
J’avançais en cueillant un gros bouquet de fleurs,
En chantant à mi-voix un air de mon enfance,
Avec lequel toujours on m’endormait sans pleurs.
Tout à coup je le vis au détour d’une allée,
Je le vis, et n’osai m’approcher d’un seul pas ;
Je m’arrêtai confuse, interdite, troublée,
Le regardant sans cesse et ne respirant pas.
Il était jeune et beau ; sa prunelle azurée
Se voilait fréquemment par ses cils abaissés…
Ah ! comme son regard pourtant m’eût rassurée !
En le voyant ainsi, de mes rêves passés
Je croyais ressaisir la fugitive image,
Et retrouver un être aimé depuis longtemps ;
Mon écharpe effleura le mobile feuillage,
Et l’inconnu put voir le trouble de mes sens !…

Et quant à ce qui est des jeunes filles poètes qui parlent aussi tout haut de la beauté des jeunes inconnus, nous aurions à invoquer plus d’un brillant et harmonieux témoignage, que personne n’a oublié, et où l’on n’a pas entendu malice apparemment. Tout ceci soit dit pour montrer que Louise Labé a pu s’émanciper quelque peu dans ses vers sans trop déroger aux convenances d’un siècle infiniment moins difficile que le nôtre.

Il est vrai qu’elle s’émancipe un peu plus qu’on ne le ferait aujourd’hui ; son 18e sonnet est tout aussi brûlant qu’on le peut imaginer, et semble du Jean Second tout pur ; c’était peut-être une gageure pour elle d’imiter le poète latin ce jour-là. Louise était savante, elle lisait les maîtres, elle avait contracté dans le commerce des anciens cette sorte d’audace et de virilité d’esprit qui peut bien n’être pas toujours un charme chez une femme, mais qui n’est pas un vice non plus. Il faut ne pas oublier cette éducation première en la lisant ; mais surtout un trait chez elle absout ou du moins relève la femme, et la venge des inculpations vulgaires : elle eut la passion, l’étincelle sacrée, c’est-à-dire, dans sa position, le préservatif le plus sûr. Il lui échappe en quelques endroits de ces accents du cœur qu’on ne feint pas et qui pénètrent. Bayle et Du Verdier, qui n’entendaient pas finesse au sentimental, ont pu prendre ces élans pour des marques d’un désordre sans frein et continuel : libertinage et passion, c’est tout un pour eux ; et Bayle, sans plus de délicatesse, se retrouve ici d’accord avec Calvin. J’en conclurais plutôt (s’il fallait conclure en telle matière) que Louise Labé, en mettant les choses au plus grave, dut être pendant des années aussi uniquement occupée qu’Héloïse.

Les œuvres de Louise Labé se composent en tout, d’un dialogue en prose intitulé : Débat de Folie et d’Amour, de trois élégies et de vingt-quatre sonnets. Une sérieuse et charmante épître dédicatoire à Mademoiselle Clémence de Bourges, lionnoise, prouve mieux que toutes les dissertations à quel point de vue studieux, relevé et, pour tout dire, décent, Louise envisageait ces nobles délassements des muses : « Quant à moi, dit-elle, tant en escrivant premièrement ces jeunesses que en les revoyant depuis, je n’y cherchois autre chose qu’un honneste passe-temps et moyen de fuir oisiveté, et n’avois point intention que personne que moi les dust jamais voir. Mais depuis que quelcuns de mes amis ont trouvé moyen de les lire sans que j’en susse rien, et que (ainsi comme aisément nous croyons ceux qui nous louent) ils m’ont fait à croire que les devois mettre en lumière, je ne les ai osé esconduire, les menaçant cependant de leur faire boire la moitié de la honte qui en proviendroit. Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers en public seules, je vous ai choisie pour me servir de guide, vous dédiant ce petit œuvre… »

Louise Labé se présente donc devant le public en tenant la main de cette demoiselle honorée dont elle se signe l’humble amie. Voilà sa condition vraie et si peu semblable à celle qu’on lui a faite à distance.

Qui a lu et qui sait par cœur la jolie fable de La Fontaine, la Folie et l’Amour, n’est pas dispensé pour cela de lire le dialogue de Louise Labé dont La Fontaine n’a fait que mettre en vers l’argument, en le couronnant d’une affabulation immortelle :

Tout est mystère dans l’Amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance…

Le dialogue de Louise Labé, dans la forme ou dans le goût de ceux de Lucien, de la fable de Psyché par Apulée, de l’Éloge de la Folie d’Érasme et du Cymbalum mundi de Bonaventure Des Periers, est un écrit plein de grace, de finesse, et qui agrée surtout par les détails. Je laisse à de plus érudits à rechercher à qui elle en doit l’idée originale, le sujet, à quelle source de moyen-âge probablement et de gaye science elle l’a puisé, car je ne saurais lui en attribuer l’invention ; mais elle s’est, à coup sûr, approprié le tout par le parfait développement et le tissu ingénieux des analyses. Dès l’abord, dans la dispute qui s’engage entre Amour et Folie au seuil de l’Olympe, chacun voulant arriver avant l’autre au festin des Dieux, Folie, insultée par Amour qu’elle a coudoyé, et après lui avoir arraché les yeux de colère, s’écrie éloquemment : « Tu as offensé la Royne des hommes, celle qui leur gouverne le cerveau, cœur et esprit ; à l’ombre de laquelle tous se retirent une fois en leur vie, et y demeurent les uns plus, les autres moins, selon leur mérite. » Les plaintes d’Amour et son recours à sa mère après le fatal accident, surtout le petit dialogue familier entre Cupidon et Jupiter, dans lequel l’enfant aveugle fait la leçon au roi des Dieux, sont semés de traits Justes et délicats, d’observations senties, qui décèlent un maître dans la science du cœur. Puis l’audience solennelle commence : Apollon a été choisi pour avocat du plaignant par Vénus, « encore que l’on ait, dit-elle, semé par le monde, que la maison d’Apollon et la mienne ne s’accordoient guère bien. » Apollon accepte avec reconnaissance et tient à honneur de démentir ces méchans propos. Mercure, d’autre part, est nommé avocat d’office de Folie, et il fera son devoir en conscience, « bien que ce soit chose bien dure à Mercure, dit-il, de moyenner déplaisir à Vénus.. » Le discours d’Apollon est un discours d’avocat, un peu long, éloquent toutefois ; il peint Amour par tous ses bienfaits et le montre dans le sens le plus noble, le plus social, et comme lien d’harmonie dans l’univers et entre les hommes. Les diverses sortes d’amour et d’amitié, l’amour conjugal, fraternel, y sont célébrés ; Apollon cite Oreste et Pylade, et n’oublie David et Jonathas ; Mercure à son tour citera Salomon. A part ces légères inconvenances, le goût, même aujourd’hui, aurait peu à reprendre en ces deux ingénieuses plaidoiries. Apollon y fait valoir Amour comme le précepteur de la grace et du savoir-vivre dans la société ; la description qu’il trace de la vie sordide du misanthrope et du loup-garou, de celui qui n’aime que soi seul, est énergique, grotesque, et sent son Rabelais : « Ainsi entre les hommes, continue Apollon, Amour cause une connoissance de soi-mesure. Celui qui ne tâche à complaire à personne, quelque perfection qu’il ait, n’en a non plus de plaisir que celui qui porte une fleur dedans sa manche. Mais celui qui désire plaire, incessamment pense à son fait, mire et remire la chose aimée, suit les vertus qu’il voit lui estre agréables et s’adonne aux complexions contraires à soi-mesme, comme celui qui porte le bouquet en main… » Tout ce passage du plaidoyer d’Apollon est comme un traité de la bonne compagnie et du bel usage. Retraçant avec complaisance les artifices divers par lesquels les femmes savent, dans leur toilette, rehausser ou suppléer la beauté et tirer parti de la mode, il ajoute en une image heureuse : « et avec tout cela, l’habit propre comme la feuille autour du fruit. » Amour, au dire d’Apollon, est le mobile et l’auteur de tout ce qu’il y a d’aimable, de galant et d’industrieux dans la société ; il est l’ame des beaux entretiens : « Brief, le plus grand plaisir qui soit après Amour, c’est d’en parler. Ainsi passoit son chemin Apulée, quelque philosophe qu’il fust. Ainsi prennent les plus sévères hommes plaisir d’ouïr parler de ces propos, encore qu’ils ne le veuillent confesser. » Et la poésie, qui donc l’inspire ? « C’est Cupidon qui a gaigné ce point, qu’il faut que chacun chante ou ses passions, ou celles d’autrui, ou couvre ses discours d’Amour, sachant qu’il n’y a rien qui le puisse faire mieux estre reçu. Ovide a toujours dit qu’il aimoit. Pétrarque, en son langage, a fait sa seule affection approcher à la gloire de celui qui a représenté toutes les passions, coutumes, façons et natures de tous les hommes, qui est Homère. » Quel éloge de Pétrarque ! il semblera excessif même à ceux qui savent le mieux l’admirer. Voilà bien le jugement d’une femme, mais d’une femme délicate, éprise des beaux sentimens, non d’une Ninon. En un mot, dans toute sa plaidoirie, Apollon s’attache à représenter Amour dans son excellence et sa clairvoyance, Amour en son âge d’or et avant la chute pour ainsi dire, Amour avant Folie.

Mercure, au contraire, plaide les avantages et les prérogatives de Folie, cette fille de Jeunesse, et son alliance intime, naturelle et nécessaire avec Amour. Il ne voit dans cette grande querelle qui les met aux prises qu’une bouderie d’un instant. Prenez garde, dit-il en commençant, « si vous ordonnez quelque cas contre Folie, Amour en aura le premier regret. » Il entre insensiblement dans un éloge de Folie qui rappelle celui d’Érasme, et il se tire avec agrément de ce paradoxe, sans Folie, point de grandeur : « Qui fut plus fol qu’Alexandre,… et quel nom est plus célèbre entre les rois ? Quelles gens ont esté, pour un temps, en plus grande réputation que les philosophes ? Si en trouverez-vous peu qui n’ayent esté abruvés de Folie. Combien pensez-vous qu’elle ait de fois remué le cerveau de Chrysippe ? » Il poursuit de ce ton sans trop de difficulté, et de manière à frayer le chemin à Montaigne ; mais c’est quand il en vient aux charmantes analogies de Folie et d’Amour, que Mercure (et Louise Labé avec lui) retrouve son entière originalité. Il soutient plaisamment, et non sans quelque ombre de vraisemblance, que les plus folâtres sont les mieux venus auprès des dames : « Le sage sera laissé sur les livres, ou avec quelques anciennes matrones, à deviser de la dissolution des habits, des maladies qui courent, ou à démesler quelque longue généalogie. Les jeunes Dames ne cesseront qu’elles n’ayent en leur compagnie ce gay et joli cerveau. » Toutes les chimères et les fantaisies creuses dont se repaissent les amoureux au début de leur flamme sont merveilleusement touchées. Puis, à mesure que, dans cette analyse prise sur le fait, il suit plus avant les progrès de la passion, le trait devient plus profond aussi, et le ton s’élève. Il n’est pas possible, à un certain endroit, de méconnaître le rapport de la situation décrite avec ce qu’exprimeront tout à côté les sonnets de Louise « En somme, dit-elle ici par la bouche de Mercure, quand cette affection est imprimée en un cœur généreux d’une Dame, elle y est si forte, qu’à peine se peut-elle effacer ; mais le mal est que le plus souvent elles rencontrent si mal que plus aiment, et moins sont aimées. Il y aura quelqu’un qui sera bien aise leur donner martel en teste, et fera semblant d’aimer ailleurs, et n’en tiendra compte. Alors les pauvrettes entrent en estranges fantaisies, ne peuvent si aisément se défaire des hommes, comme les hommes des femmes, n’ayans la commodité de s’eslongner et commencer autre parti, chassans Amour, avec autre Amour. Elles blâment tous les hommes pour un. Elles appellent folles celles qui aiment, maudissent le jour que premièrement elles aimèrent, protestent de jamais n’aimer ; mais cela ne leur dure guère. Elles remettent incontinent devant les yeux ce qu’elles ont tant aimé. Si elles ont quelque enseigne de lui, elles la baisent, rebaisent, sèment de larmes, s’en font un chevet et oreiller, et s’escontent elles-mêmes plaignantes leurs misérables détresses. Combien en vois-je qui se retirent jusques aux Enfers pour essayer si elles pourront, comme jadis Orphée, révoquer leurs amours perdues ? Et en tous ces actes, quels traits trouvez-vous que de Folie ? avoir le cœur séparé de soi-mesme, estre maintenant en paix, ores en guerre, ores en trêve ; couvrir et cacher sa douleur ; changer visage mille fois le jour ; sentir le sang qui lui rougit la face, y montant, puis soudain s’enfuit, la laissant pâle, ainsi que honte, espérance ou peur, nous gouvernent ; chercher ce qui nous tourmente, feignant le fuir, et néanmoins avoir crainte de le trouver ; n’avoir qu’un petit ris entre mille soupirs ; se tromper soi-mesme ; bruler de loin, geler de près ; un parler interrompu, un silence venant tout à coup, ne sont-ce tous signes d’un homme aliéné de son bon entendement ?… Reconnais donc, ingrat Amour, quel tu es, et de combien de biens je te suis cause !… »

Il règne dans tout ce passage une éloquence vive et comme une expression d’après nature ; le mouvement de comparaison soudaine avec Orphée : « Combien en vois-je…, » est d’une véritable beauté. — Mercure a donc mis dans tout son jour la vieille ligue qui existe entre Folie et Amour, bien que celui-ci n’en ait rien su jusqu’ici. Il conclut d’un ton d’aisance légère en faveur de sa cliente : « Ne laissez perdre cette belle Dame, qui vous a donné tant de contentement avec Génie, Jeunesse, Bacchus, Silène, et ce gentil Gardien des jardins. Ne permettez fâcher celle que vous avez conservée jusques ici sans rides, et sans pas un poil blanc ; et n’ôtez, à l’appétit de quelque colère, le plaisir d’entre les hommes. »




L’arrêt de Jupiter qui remet l’affaire à huitaine, c’est-à-dire à trois fois sept fois neuf siècles, et qui provisoirement commande à Folie de guider Amour, clôt à l’amiable le débat : « Et sur la restitution des yeux, après en avoir parlé aux Parques, en sera ordonné. » Cet excellent dialogue, élégant, spirituel et facile, mis en regard des vers de Louise Labé, est un exemple de plus (cela nous coûte un peu à dire) qu’en français la prose a eu de tout temps une avance marquée sur la poésie.

Les vers de Louise sont en petit nombre. Ses trois élégies coulantes et gracieuses sentent l’école de Marot ; elle y raconte comment Amour l’assaillit en son âge le plus verd et la dégoûta aussitôt des œuvres ingénieuses où elle se plaisait ; elle s’adresse à l’ami absent qu’elle craint de savoir oublieux ou infidèle, et lui dit avec une tendresse naïve :

Goûte le bien que tant d’hommes désirent,
Demeure au but où tant d’autres aspirent,
Et crois qu’ailleurs n’en auras une telle.
Je ne dis pas qu’elle ne soit plus belle,
Mais que jamais femme ne t’aimera
Ne plus que moi d’honneur te portera.
Maints grands Seigneurs à mon amour prétendent,
Et à me plaire et servir prêts se rendent ;
Joûtes et jeux, maintes belles devises,
En ma faveur sont par eux entreprises ;
Et néanmoins tant peu je m’en soucie,
Que seulement ne les en remercie.
Tu es tout seul tout mon mal et mon bien ;
Avec toi tout, et sans toi je n’ai rien.

La situation de Louise, ainsi absente loin de son ami qui porte les armes en Italie, a dû servir à imaginer celle de Clotilde de Surville, qui, par ce coin, semble modelée sur elle. Clotilde bien souvent n’est qu’une Louise aussi vive amante, mais de plus épouse légitime et mère. C’est dans ses sonnets surtout que la passion de Louise éclate et se couronne par instans d’une flamme qui rappelle Sapho et l’amant de Lesbie. Plusieurs des sonnets pourtant sont pénibles, obscurs ; on s’y heurte à des duretés étranges. Ainsi, pour parler du tour du soleil, elle écrira :

Quand Phébus a son cerne fait en terre.

C’est là du Maurice Sève, pour le contourné et le rocailleux ; ce Sève, je l’ai dit, tenait lieu à Louise de Ronsard. Elle n’observe pas toujours l’entrelacement des rimes masculines et féminines, ce qui la rattache encore à l’école antérieure à Du Bellay. Mais toutes ces critiques incontestables se taisent devant de petits tableaux achevés comme celui-ci, où se résument au naturel les mille gracieuses versatilités et contradictions d’amour :

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure ;
La vie m’est et trop molle et trop dure ;
J’ai grands ennuis entremeslés de joye,
Tout à un coup je ris et je larmoye,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoye.
Ainsi Amour inconstamment me mène
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me treuve hors de peine.
Puis quand je crois ma joye estre certaine,
Et estre au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise était évidemment nourrie des anciens : on pourrait indiquer et suivre à la trace un assez grand nombre de ses imitations ; mais elle les fait avec art toujours et en les appropriant à sa situation particulière. Son précédent sonnet et sa manière en général de concevoir la Vénus éternelle, m’ont rappelé un très beau fragment de Sophocle, assez peu connu, que nous a conservé Stohée. Je ne crois pas m’éloigner beaucoup de Louise en le traduisant ; il remplacera le morceau de Sapho, trop répandu pour être cité.

« 0 jeunes gens ! la Cypris n’est pas seulement Cypris, mais elle est surnommée de tous les noms ; c’est l’Enfer, c’est la violence irrésistible, c’est la rage furieuse, c’est le désir sans mélange, c’est le cri aigu de la douleur ! Avec elle toute chose sérieuse, paisible, tourne à la violence. Car, dans toute poitrine où elle se loge, aussitôt l’ame se fond. Et qui donc n’est point la pâture de cette Déesse ? Elle s’introduit dans la race nageante des poissons, elle est dans l’espèce quadrupède du continent ; son aile s’agite parmi les oiseaux de proie, parmi les bêtes sauvages, chez les humains, chez les Dieux là haut ! Duquel des Dieux cette lutteuse ne vient-elle pas à bout au troisième effort ? S’il m’est permis (et il est certes bien permis de dire la vérité), je dirai qu’elle tyrannise même la poitrine de Jupiter. Sans lance et sans glaive, Cypris met en pièces d’un seul coup tous les desseins des mortels et des Dieux. »

Et puisque j’en suis à ces réminiscences des anciens, à celles qui purent se rencontrer en effet dans l’esprit de Louise ou à celles qu’aussi elle nous suggère, on me permettra une légère digression encore qui, moyennant détour, nous ramènera à elle finalement. Parmi les hymnes attribués à Homère, il en est un très beau adressé à Vénus. Le début ressemble par l’idée au fragment de Sophocle qu’on vient de lire ; le poète chante la déesse qui fait naître le désir au sein des hommes et des Dieux, et chez tout ce qui respire. Mais il n’est que trois cœurs au monde qu’elle ne peut persuader ni abuser, et près desquels elle perd ses sourires : à savoir, « l’auguste Minerve, qui n’aime que les combats, les mêlées, ou les ouvrages brillans des arts, et qui enseigne aux jeunes filles, sous le toit domestique, les adresses de l’aiguille ; puis aussi la pudique Diane aux flèches d’or et au carquois résonnant, qui n’aime que la chasse sur les montagnes, les hurlemens des chiens ou les chœurs de danse et les lyres, et les bois pleins d’ombre, et le voisinage des cités où règne la justice ; et enfin la vénérable Vesta, la fille aînée de l’antique Saturne, restée la plus jeune par le décret de Jupiter, laquelle a fait vœu de virginité éternelle, et qui, à ce prix, est assise au foyer de la maison, à l’endroit le plus honoré, recevant les grasses prémices. » A part ces trois cœurs qui lui échappent, Vénus soumet tout le reste, à commencer par Jupiter, dont on sait les aventures. Or, de peur qu’elle ne se puisse vanter d’être seule à l’abri des mésalliances, Jupiter, un jour, l’enflamme elle-même pour le beau pasteur Anchise, qui fait paître ses bœufs sur l’Ida. La manière dont elle le vient aborder, la coquetterie de sa toilette et l’artifice de discours qu’elle déploie pour le séduire sans l’effrayer, sont d’un grand charme et d’une largeur encore qui ne messied pas à la poésie homérique. Elle a soin de le surprendre à l’heure où les autres pasteurs conduisent leurs troupeaux par les montagnes, un jour qu’il est resté seul, par hasard, à l’entrée de ses étables, jouant de la lyre. Elle se présente à lui comme la fille d’Otrée, roi opulent de toute la Phrygie, et comme une fiancée qui lui est destinée : « C’est une femme troyenne qui a été ma nourrice, lui dit-elle par un ingénieux mensonge, et elle m’a appris, tout enfant, à bien parler ta langue. » Anchise, au premier regard, est pris du désir, et il lui répond : « S’il est bien vrai que tu sois une mortelle, que tu aies une femme pour mère, et qu’Otrée soit ton illustre père, comme tu le dis, si tu viens à moi par ordre de l’immortel messager, Mercure, et si tu dois être à jamais appelée du nom de mon épouse, dans ce cas, nul des mortels ni des Dieux ne saurait m’empêcher ici de te parler d’amour à l’instant même ; non, quand Apollon, le grand archer en personne, au-devant de moi, me lancerait de son arc d’argent ses flèches gémissantes : même â ce prix, je voudrais, ô femme pareille aux déesses, toucher du pied ta couche, dussé-je n’en sortir que pour être plongé dans la demeure sombre de Pluton ! »

Cette naïveté de vœu en rappelle directement un autre bien orageux aussi, bien audacieux, et moins simple dans sa sublimité, celui d’Atala lorsque, découvrant son cœur à Chactas, elle s’écrie : « Quel dessein n’ai-je point rêvé ! quel songe n’est point sorti de ce cœur si triste ! Quelquefois, en attachant mes yeux sur toi, j’allais jusqu’à former des désirs aussi insensés que coupables : tantôt j’aurais voulu être avec toi la seule créature vivante sur la terre ; tantôt, sentant une divinité qui m’arrêtait dans mes horribles transports, j’aurais désiré que cette divinité se fût anéantie pourvu que, serrée dans tes bras, j’eusse roulé d’abîmes en abîmes avec les débris de Dieu et du monde !… »

Or, pour revenir à Louise Labé, qui ne se reprochait point, comme Atala, ses transports, et qui, en fille plutôt payenne de la renaissance, n’a pas craint de s’y livrer, elle se rapproche avec grace de la naïveté du vœu antique dans son sonnet XIII, qui commence par ces mots :

Oh ! si j’estois en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant,
Si avec lui vivre le demeurant
De mes courts jours ne m’empeschoit Envie…
et qui finit par ce vers :
Bien je mourrois, plus que vivante, heureuse !

Je suis obligé, bien qu’à regret, d’y renvoyer le lecteur curieux, pour ne pas trop abonder ici en ces sortes d’images ; mais j’oserai citer au long le sonnet XIV, admirable de sensibilité, et qui fléchirait les plus sévères ; à lui seul, il resterait la couronne immortelle de Louise :

Tant que mes yeux pourront larmes espandre,
A l’heur passé avec toi regretter ;
Et qu’aux sanglots et soupirs résister
Pourra ma voix, et un peu faire entendre ;
Tant que ma main pourra les cordes tendre
Du mignard luth, pour tes graces chanter ;
Tant que l’esprit se voudra contenter
De ne vouloir rien fors que toi comprendre ;
Je ne souhaite encore point mourir.
Mais quand mes yeux je sentirai tarir,
Ma voix cassée et ma main impuissante,
Et mon esprit en ce mortel séjour
Ne pouvant plus montrer signe d’amante,
Prîrai la Mort noircir mon plus clair jour !

Le dernier vers pourra sembler un peu serré, un peu dur ; mais le sentiment général, mais l’expression vive du morceau, ces yeux qui tarissent, montrer signe d’amante, ce sont là des beautés qui percent sous les rides et qui ne vieillissent pas.

Il nous serait possible de glaner encore dans les vingt-quatre sonnets de Louise Labé, de relever quelques traits, quelques vers :

Comme du lierre est l’arbre encercelé…
J’allois resvant comme fais maintefois,
Sans y penser…
Où estes-vous, pleurs de peu de durée ?…

Mais, après ce qu’on a lu, l’impression ne pourrait que s’affaiblir. Louise, en terminant, allait au-devant des objections, et, s’adressant au cœur des personnes de son sexe, elle faisait noblement appel à leur indulgence :

Ne reprenez, Dames, si j’ai aimé,…
Et gardez-vous d’estre plus malheureuses.

Il ne paraît pas, en effet, que cette publication de ses vers ait rien diminué de la considération autour d’elle, car je ne tiens pas compte des propos grossiers et des couplets satiriques, comme il est à peu près inévitable qu’il en circule sur toute femme célèbre. Elle avait environ vingt-neuf ans à la date de cette publication ; elle vécut jusqu’en 1566, et mourut à l’âge où les cœurs passionnés n’ont plus rien à faire en cette vie, ayant vu se coucher à l’horizon les derniers soleils de la jeunesse. Son testament, qu’on a imprimé, témoigne de son humilité à la veille du jour suprême, et de son attention bienfaisante pour tout ce qui lui était attaché.

Le silence que Louise a gardé dans les dix dernières années de sa vie, et le soin qu’elle prit, dans sa publication de 1555, de marquer à plusieurs reprises que ces petits écrits ont été composés depuis longtemps et que ce sont œuvres de jeunesse, pourraient faire conjecturer qu’elle entra à un certain moment dans un genre de vie un peu moins ouvert à la publicité. Elle dut pourtant continuer de jouir plus que jamais du contre-coup de sa renommée ; tout ce que Lyon avait de considérable, tout ce qui y passait d’étrangers de distinction allant en Italie, devait désirer de la connaître, et sa cour sans doute ne diminua pas. Quoi qu’il en soit, ce silence des dernières années, qui ne laisse arriver d’elle à nous, dans toute cette existence poétique, qu’un accent de passion émue et un cri d’amante, sied bien à la muse d’une femme, et l’imagination peut rêver le reste.

Ce ne fut que vingt ans environ après sa mort qu’Antoine Du Verdier enregistra à son sujet, en les ramassant crûment, certaines rumeurs courantes, et donna signal à la longue injustice. Il eut beau faire, lui et ceux qui le copièrent : malgré l’injure des doctes qui voulurent transformer sa vie en une sorte de fabliau grivois, la belle Cordière resta populaire dans le public lyonnais ; la bonne tradition triompha, et quelque chose d’un intérêt vague et touchant continua de s’attacher à son souvenir, à sa rue, à sa maison, comme à Paris on l’a vu pour Héloïse. C’est qu’aussi Louise Labé, telle qu’on la rêve de loin et telle que nous l’avons devinée d’après ses aveux, demeure, par plus d’un aspect, le type poétique et brillant de la race des femmes lyonnaises, éprises qu’elles sont de certaines fêtes naturelles de la vie, se visitant volontiers entre elles avec des bouquets à la main, et goûtant d’instinct les vives élégances, les fleurs et les parfums. Que si l’on nous pressait trop sur cette théorie des Lyonnaises que nous ne croyons que vraie, il serait possible de citer à l’appui, aujourd’hui encore, celui des noms célèbres de femmes qui résume le mieux la grace elle-même. Mais nous ne parlons que de Louise. Son souvenir, agité et traduit en tous sens, était resté si présent, qu’en 1790 un des bataillons de la garde nationale de Lyon, celui du quartier qu’elle habita et de la rue Belle-Cordière, s’avisa d’arborer aussi son nom et son image sur son drapeau : on la transforma même alors, pour plus d’à-propos, en une héroïne de la liberté ; on lui mit la pique à la main, et l’on surmonta le tout du chapeau de Guillaume Tell, avec cette devise :

Tu prédis nos destins, Charly, belle Cordière,
Car pour briser nos fers tu volas la première.

L’épisode du siège de Perpignan était devenu ici une croisade pour la liberté. Voilà ce que Bayle aurait eu de la peine à prévoir ; c’est une exagération dans le sens héroïque, comme les doctes avaient eu la leur à son sujet dans le sens badin. Ainsi fait la tradition populaire, se jouant à son gré de ces figures lointaines comme le vent dans les nuages. Après tant de vicissitudes contraires et tous ces excès apaisés, il survit de Louise Labé un fonds de souvenir plus vrai, plus doux. Une muse tendre qui a vécu quelque temps sous le même ciel et qui en a respiré l’influence, Mme Valmore s’est rendue l’écho de cette tradition vaguement charmante sur elle dans les vers suivans qui sont dignes de toutes deux :

L’Amour ! partout l’Amour se venge d’être esclave
Fièvre des jeunes cœurs, orage des beaux jours,
Qui consume la vie et la promet toujours ;
Indompté sous les nœuds qui lui servent d’entrave,
Oh ! l’invisible Amour circule dans les airs,
Dans les flots, dans les fleurs, dans les songes de l’âme,
Dans le jour qui languit, trop chargé de sa flamme,
Et dans les nocturnes concerts !
Et tu chantas l’Amour ! ce fut ta destinée.
Femme ! et belle ! et naïve, et du monde étonnée !
De la foule qui passe évitant la faveur,
Inclinant sur ton fleuve un front tendre et rêveur,
Louise ! tu chantas. A peine de l’enfance
Ta jeunesse hâtive eut perdu les liens,
L’Amour te prit sans peur, sans débats, sans défense,
Il fit tes jours, tes nuits, tes tourmens et tes biens.
Et toujours, par ta chaîne au rivage attachée,
Comme une nymphe ardente au milieu des roseaux,
Des roseaux à demi cachée,
Louise, tu chantas dans les fleurs et les eaux !

Louise Labé, nous l’avons pu voir en l’étudiant de près, était beaucoup moins fille du peuple et moins naïve ; mais qu’importe qu’elle ait été docte, puisqu’elle a été passionnée et qu’elle parle à tout lecteur le langage de l’âme ? Cette nymphe ardente du Rhône fut certainement orageuse comme lui : est-ce à dire qu’elle rompit comme lui sa chaîne ? En prenant aujourd’hui parti, à la suite de plusieurs bons juges, pour sa vertu, ou du moins pour son élévation et sa générosité de cœur, nous ne craignons pas le sourire ; nous nous souvenons que des débats assez semblables se raniment encore après des siècles autour des noms d’Éléonore d’Est et de Marguerite de Navarre, et pourvu que le pédantisme ne s’en mêle pas (comme cela s’est vu), de telles contestations agréables, qui font revivre dans le passé et qui se traitent en jouant, en valent bien d’autres plus présentes.

SAINTE-BEUVE
Anciens poètes de France – Louise Labé
La Revue des Deux Mondes
Tome 9 – 1845

LE MANDARIN Eça de Queiroz – O Mandarim – 1ère Partie – 3ème section

LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português
Le Mandarin Eça de Queiroz

Eça de Queiroz
(1845-1900)
Tradução – Traduction
texto bilingue

Eça de Queirós 1882 O Mandarim Le Mandarin

O Mandarim

(1880)

LE MANDARIN

I

Première Partie

Traduction Jacky Lavauzelle

Le Mandarin Eça de Queiroz
Troisième Section

Eça de Queiroz Le Mandarin O Mandarim Artgitato L'enfance de Jupiter 1630 Jacob Jordaens Le Louvre
Jacob Jordaens
L’Enfance de Jupiter
1630
Musée du Louvre

*****

 

 Se o volume fosse de uma honesta edição Michel-Levy, de capa amarela, eu, que por fim não me achava perdido numa floresta de balada alemã, e podia da minha sacada ver branquejar à luz do gás o correame da patrulha
Si cela n’était qu’une simple édition Michel-Levy, à la couverture jaune, moi qui, enfin, n’étais pas perdu dans une forêt de ballade allemande, et qui pouvais, de mon balcon, voir briller la lumière des becs de gaz,
– teria simplesmente fechado o livro, e estava dissipada a alucinação nervosa.
– tout simplement, j’aurais fermé le livre, ce qui aurait dissipé cette hallucination nerveuse.
Mas aquele sombrio in-fólio parecia exalar magia;
Mais cette magie semblait sortir de ce sombre in-folio ;
cada letra afectava a inquietadora configuração desses sinais da velha cabala, que encerram um atributo fatídico;
chaque lettre affectait la configuration des signes inquiétants de l’ancienne cabale, qui enfermait un attribut fatidique ;
as vírgulas tinham o retorcido petulante de rabos de diabinhos, entrevistos numa alvura de luar;
les virgules avait les queues tordues de pétulants diablotins entrevus dans une blancheur lunaire ;
no ponto de interrogação final eu via o pavoroso gancho com que o Tentador vai fisgando as almas que adormeceram sem se refugiar na inviolável cidadela da Oração!…
dans le point d’interrogation final,  je voyais le terrible crochet du Tentateur qui transperçait les âmes endormies, celles qui ne s’étaient pas réfugiées dans la citadelle inviolable de la prière ! …
Uma influência sobrenatural apoderando-se de mim, arrebatava-me devagar para fora da realidade, do raciocínio:
Une influence surnaturelle me saisissant, je le saisit lentement hors de la réalité, le raisonnement
e no meu espírito foram-se formando duas visões – de um lado um mandarim decrépito, morrendo sem dor, longe, num quiosque chinês, a um ti-li-tim de campainha;
et mon esprit ont commencé à former deux visions- d’un côté un mandarin décrépit, mourant sans douleur loin de tous, dans un kiosque chinois, accompagné de sons de cloches ;
do outro toda uma montanha de ouro cintilando aos meus pés!
l’autre toute une montagne d’or miroitant à mes pieds!
Isto era tão nítido, que eu via os olhos oblíquos do velho personagem embaciarem-se, como cobertos de uma ténue camada de pó;
C’était si clair, je voyais les yeux bridés du vieillard se couvrir d’une sorte de fine couche de poussière;
e sentia o fino tinir de libras rolando juntas.
et j’entendais au final tinter les livres qui roulaient.
E imóvel, arrepiado, cravava os olhos ardentes na campainha, pousada pacatamente diante de mim sobre um dicionário francês
Et immobile, terrifié, mes yeux ne se détachaient plus de la cloche, cloche qui reposait paisiblement devant moi sur un dictionnaire français
– a campainha prevista, citada no mirífico in-fólio…
– la cloche qu’évoquait l’in-folio mirifique …

 Foi então que, do outro lado da mesa, uma voz insinuante e metálica me disse, no silêncio:
Puis, de l’autre côté de la table, une voix métallique insinuante me dit dans le silence:

 – Vamos, Teodoro, meu amigo, estenda a mão, toque a campainha, seja um forte!
– Allez, Teodoro, mon ami, tendez la main, agitez la cloche, soyez fort !

 O abat-jour verde da vela punha uma penumbra em redor.
Du vert abat-jour émanait une pénombre tout autour.
Ergui-o, a tremer.
Je le levai, tremblant.
E vi, muito pacificamente sentado, um indivíduo corpulento, todo vestido de preto, de chapéu alto, com as duas mãos calçadas de luvas negras gravemente apoiadas ao cabo de um guarda-chuva.
Et je vis, assis paisiblement, un homme corpulent, habillé tout en noir, chapeau haut de forme, avec les deux mains dans des gants noirs, gravement appuyé sur le pommeau d’un parapluie.
Não tinha nada de fantástico.
Il n’y avait là rien de fantastique.
Parecia tão contemporâneo, tão regular, tão classe média como se viesse da minha repartição…
Il semblait ordinaire, de la classe moyenne, comme s’il venait de mon service…

Toda a sua originalidade estava no rosto, sem barba, de linhas fortes e duras;
Tout son originalité était dans son visage, pas de barbe, des traits forts et durs ;
o nariz brusco, de um aquilino formidável, apresentava a expressão rapace e atacante de um bico de águia;
le nez brusque, d’un aquilin redoutable, lui donnait l’expression rapace et guerrière du bec d’aigle;
o corte dos lábios, muito firme, fazia-lhe como uma boca de bronze;
la coupe de ses lèvres, très ferme, lui faisait une bouche de bronze ;
os olhos, ao fixar-se, assemelhavam dois clarões de tiro, partindo subitamente de entre as sarças tenebrosas das sobrancelhas unidas;
les yeux, en vous fixant, ressemblaient à deux coups de feu, tout à coup tirés du feuillu ténébreux des sourcils réunis ;
era lívido – mas, aqui e além na pele, corriam-lhe raiações sanguíneas como num velho mármore fenício.
Il était livide – mais, ici et là, sur sa peau, couraient des ramifications de vaisseaux, tel un vieux marbre phénicien.

Veio-me à ideia de repente que tinha diante de mim o Diabo:
L’idée me vint soudain que j’avais devant moi le Diable :
mas logo todo o meu raciocínio se insurgiu resolutamente contra esta imaginação.
mais bientôt toute ma raison résolument protesta contre cette divagation.
Eu nunca acreditei no Diabo – como nunca acreditei em Deus.
Je ne croyais pas au Diable – comme je ne croyais pas en Dieu.
Jamais o disse alto, ou o escrevi nas gazetas, para não descontentar os poderes públicos, encarregados de manter o respeito por tais entidades:
Je ne l’ai jamais dit à haute voix, ou écrit dans les journaux, pour ne pas déplaire aux autorités en charge de maintenir le respect de ces entités :
mas que existam estes dois personagens, velhos como a Substância, rivais bonacheirões, fazendo-se mutuamente pirraças amáveis,
mais penser qu’il existe deux personnages, vieux comme la Matière, débonnaires rivaux, passant leur temps à se quereller aimablement,
– um de barbas nevadas e túnica azul, na toilette do antigo Jove, habitando os altos luminosos, entre uma corte mais complicada que a de Luís XIV;
– l’un doté d’une barbe blanche et d’une tunique bleue, dans la toilette de l’antique Zeus, habitant les lumières célestes, au milieu d’une cour plus compliquée que celle de Louis XIV ;
e o outro enfarruscado e manhoso, ornado de cornos, vivendo nas chamas inferiores, numa imitação burguesa do pitoresco Plutão
et l’autre, malin et sombre, orné de cornes, vivant dans les flammes inférieures, une imitation bourgeoise du pittoresque Pluton
– não acredito. Não, não acredito!
– je n’y crois pas. Non, je n’y crois pas !
Céu e Inferno são concepções sociais para uso da plebe
Le ciel et l’enfer sont des concepts sociaux pour l’utilisation du peuple
– e eu pertenço à classe média.
– et j’appartiennent à la classe moyenne.
Rezo, é verdade, a Nossa Senhora das Dores:
Je prie, il est vrai, à Notre-Dame des Douleurs:
porque, assim como pedi o favor do senhor doutor para passar no meu acto; 
car j’ai recherché les faveurs de mon professeur pour avoir mes diplômes ;
assim como, para obter os meus vinte mil réis, implorei a benevolência do senhor deputado; 
j’ai imploré la bienveillance de mon député pour gagner mes vingt mille reis ;
igualmente para me subtrair à tísica, à angina, à navalha de ponta, à febre que vem da sarjeta, à casca da laranja escorregadia onde se quebra a perna, a outros males públicos, necessito ter uma protecção extra-humana. 
également pour me soustraire à la phtisie, à l’angine de poitrine, à la lame du rasoir qui vient du trottoir, à l’écorce de l’orange glissante où je peux me casser une jambe, à bien d’autres malédictions publiques, je dois avoir une protection extra-humaine.
Ou pelo rapapé ou pelo incensador, o homem prudente deve ir fazendo assim uma série de sábias adulações, desde a Arcada até ao Paraíso.
Avec des encensoirs, l’homme sage doit pouvoir ainsi faire un certain nombre de sages adulations, de l’Arcada au Paradis.
Com um compadre no bairro, e uma comadre mística nas alturas
Avec un compère dans un quartier, et commère mystique dans un autre
– o destino do bacharel está seguro.
– le destin du bachelier est assuré.

Por isso, livre de torpes superstições, disse familiarmente ao indivíduo vestido de negro:
Donc, libre de superstitions grossières, je dis familièrement à cet individu fardé de noir :

– Então, realmente, aconselha-me que toque a campainha?
– Alors, vraiment, vous me conseillez de sonner la cloche ?

 Ele ergueu um pouco o chapéu, descobrindo a fronte estreita, enfeitada de uma gaforinha crespa e negrejante como a do fabuloso Alcides, e respondeu, palavra a palavra:
Il souleva légèrement son chapeau, découvrant un front étroit, que surplombait une chevelure crépue et noire comme le fabuleux Alcide, et dit, mot pour mot :
– Aqui está o seu caso, estimável Teodoro.
– C’est là qu’est votre problème, estimable Teodoro.
Vinte mil réis mensais são uma vergonha social!
Vingt mille reis mensuels sont une honte sociale !
Por outro lado, há sobre este globo coisas prodigiosas:
D’autre part, il y a sur ce globe des choses prodigieuses :
há vinhos de Borgonha, como por exemplo o Romanée-Conti de 58 e o Chambertin, de 61, que custam, cada garrafa, de dez a onze mil réis;
Il y a des vins de Bourgogne, comme le Romanée-Conti de 58 et le Chambertin de 61, qui coûte, par bouteille, de dix à onze mille reis;
e quem bebe o primeiro cálice, não hesitará, para beber o segundo, em assassinar seu pai…
et qui boit une première coupe, n’hésitera pas, pour en boire une seconde, à assassiner son père …
Fabricam-se em Paris e em Londres carruagens de tão suaves molas, de tão mimosos estofos, que é preferível percorrer nelas o Campo Grande, a viajar, como os antigos deuses, pelos céus, sobre os fofos coxins das nuvens…
Il se fabrique à Paris et à Londres des voitures avec des ressorts si doux, de si minutieux revêtements, que cela devient plus agréable d’aller de la sorte au Campo Grande que de voyager, comme les anciens dieux, par les cieux, sur des coussins moelleux de nuages …
Não farei à sua instrução a ofensa de o informar que se mobilam hoje casas, de um estilo e de um conforto, que são elas que realizam superiormente esse regalo fictício, chamado outrora a «bem-aventurança».
Je ne ferai pas offense à votre instruction en vous informant que le mobilier d’aujourd’hui de ces maisons abrite un tel style et un tel confort, que nous y trouvons ce que jadis nous appelions le «bonheur».
Não lhe falarei, Teodoro, de outros gozos terrestres:
Je ne vous parelerai pas, Teodoro, des autres jouissances terrestres :
como, por exemplo, o Teatro do Palais Royal, o baile Laborde, o Café Anglais…
comme, par exemple, le Théâtre du Palais Royal, la bal Laborde, le Café Anglais …
Só chamarei a sua atenção para este facto:
Il suffit de rappeler à votre attention ces faits :
existem seres que se chamam Mulheres
il y a des êtres qui s’appellent des femmes
– diferentes daqueles que conhece, e que se denominam Fêmeas. – différentes de celles que vous connaissez, et qui se nomment des Femelles.
Estes seres, Teodoro, no meu tempo, a páginas 3 da Bíblia, apenas usavam exteriormente uma folha de vinha.
Ces êtres, Teodoro, dans mon temps, à la page 3 de la Bible, se couvraient d’à peine une feuille de vigne.
Hoje, Teodoro, é toda uma sinfonia, todo um engenhoso e delicado poema de rendas, baptistes, cetins, flores, jóias, caxemiras, gazes e veludos…
Aujourd’hui, Teodoro, c’est une symphonie, tout un ingénieux et délicat poème de dentelles, de baptiste, de satins, de fleurs, de bijoux, de cachemires, de velours et de gazes …
Compreende a satisfação inenarrável que haverá, para os cinco dedos de um cristão, em percorrer, palpar estas maravilhas macias; Vous comprendrez la satisfaction indicible qu’il y a, pour les cinq doigts d’un chrétien à aller palper de si merveilleuses douceurs ;
– mas também percebe que não é com o troco de uma placa honesta de cinco tostões que se pagam as contas destes querubins…
– Mais aussi vous réalisez bien que ce n’est pas une simple pièce de cinq tastões que vous pourrez payer les factures de ces chérubins …
Mas elas possuem melhor, Teodoro:
Mais elles possèdent quelque chose de plus, Teodoro :
são os cabelos cor do ouro ou cor da treva, tendo assim nas suas tranças a aparência emblemática das duas grandes tentações humanas
elles ont des cheveux couleur d’or ou couleur des grandes obscurités, avec, dans leurs tresses, l’apparence emblématique de deux grandes tentations humaines
– a fome do metal precioso e o conhecimento do absoluto transcendente.
– l’appétit du métal précieux et de la connaissance de l’absolue transcendance.
E ainda têm mais:
Et elles ont encore plus:
são os braços cor de mármore, de uma frescura de lírio orvalhado;
elles possèdent des bras couleur de marbre, d’une fraîcheur de rosée ;
são os seios, sobre os quais o grande Praxíteles modelou a sua Taça, que é a linha mais pura e mais ideal da Antiguidade…
des seins, sur lesquels le grand Praxitèle a modelé sa Coupe, qui se trouve être la ligne la plus pure et la plus idéale de l’antiquité …
Os seios, outrora (na ideia desse ingénuo Ancião que os formou, que fabricou o mundo, e de quem uma inimizade secular me veda de pronunciar o nome),
Les seins, autrefois (dans l’idée de cet Ancien ingénu qui les a formés, qui a fait le monde, et dont l’inimitié séculaire m’interdit de prononcer le nom),
eram destinados à nutrição augusta da humanidade;
étaient destinées à l’auguste nutrition de l’humanité;
sossegue porém, Teodoro;
soyez tranquille, Teodoro;
hoje nenhuma mamã racional os expõe a essa função deterioradora e severa;
aujourd’hui aucune maman rationnelle ne les expose à cette fonction destructrice et sévère ;
servem só para resplandecer, aninhados em rendas, ao gás das soirées,
ils ne servent qu’à briller, nichés dans la dentelle, et les gazes des soirées,
– e para outros usos secretos.
– ainsi qu’à d’autres utilisations secrètes.
As conveniências impedem-me de prosseguir nesta exposição radiosa das belezas que constituem o fatal feminino
Les convenances m’empêchent de poursuivre cette exposition radieuse des beautés qui constituent l’éternel féminin
De resto as suas pupilas já rebrilham…
D’ailleurs déjà vos pupilles scintillent …
Ora todas estas coisas, Teodoro, estão para além, infinitamente para além dos seus vinte mil réis por mês…
Maintenant, toutes ces choses, Teodoro, sont au-delà, infiniment au-delà de vos vingt mille reis par mois …
Confesse, ao menos, que estas palavras têm o venerável selo da verdade!…
Avouez, au moins, que ces mots porte le vénérable sceau de la vérité! …

*****************

Le Mandarin Eça de Queiroz

LEDNICE LA SERRE TROPICALE – Palmový skleník u zámku – Zámecký skleník -MORAVIE DU SUD




TCHEQUIE – Česká republika
LEDNICE
okres Břeclav
Morava-Moravie du Sud
Lednice La Serre Tropicale




Zámecký skleník
Znak Moravy Blason de la Moravie

 ——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle
LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (17)

*

 

LEDNICE
Eisgrub
Lednice La Serre Tropicale
Palmový skleník u zámku
Palmový skleník
Zámecký skleník
La Maison de Palme
1843-1845

Zámecký skleník
Architecte anglais Peter Hubert Desvignes (1804-1883)

LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (34) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (33) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (32) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (31) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (30) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (29) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (28) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (21) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (22) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (23) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (24) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (25) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (26) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (27) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (20) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (19) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (18) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (17) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (16) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (15) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (14) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (7) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (8) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (9) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (10) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (11) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (12) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (13) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (6) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (5) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (4) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (3) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (2) LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (1) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato 0

******************************
LA SERRE
Le cours de ROZIER
en 1796

SERRE.
Lieu couvert, bien abrité, exposé au midi, & destiné à renfermer certaines plantes pendant l’hiver. Cette définition convient également à une orangerie & à une serre ; mais la serre-chaude dont il s’agit dans cet article, diffère de l’orangerie par le nombre de ses vitreaux, leur placement, & sur-tout par les conduits de chaleur que l’on y pratique. Jusqu’à ce jour on n’avoit pas encore suivi des règles déterminées pour leur construction ; mais M. l’abbé Nolin, dans le quatrième volume du nouveau la Quintinie, établit des bases solides, d’après lesquelles les amateurs des serres chaudes doivent se régler. C’est d’après cet ouvrage que je vais écrire, parce que je n’ai jamais été dans le cas de suivre en grand, & avec l’attention nécessaire, l’étude de la construction & de la conduite des serres chaudes.

Si l’orangerie, dit M. l’abbé Nolin, nous procure la jouissance des plantes des climats tempérés, compris entre le 36e & le 43e degré de latitude, la serre-chaude nous procure celle des plantes des pays les plus chauds, qui y trouvent non-seulement un abri contre le froid, l’humidité & l’intempérie du nôtre, mais la chaleur de la patrie dans l’air qui les environne & dans la terre où elles sont plantées ; de sorte que plusieurs y prennent le même accroissement & y font les mêmes productions que dans leur sol natal, & paroissent à peine sentir leur exil. Mais la bonté d’une serre chaude dépend de plusieurs conditions dont nous allons donner quelques notions.

I. Situation. Il faut choisir pour l’emplacement d’une serre, un endroit défendu du vent du nord, même de celui de l’est, par quelque hauteur, par un bois, par des bâtimens peu distans ou contigus à la serre. Elle perdroit beaucoup de l’avantage de ces abris, si d’autres montagnes, bois & bâtimens, même assez éloignés du côté du sud & de l’ouest, non-seulement réfléchissoient sur elles les vents froids, mais lui envoyoient une humidité aussi nuisible aux plantes que le froid. Sa situation seroit la pire de toutes, si, ayant ces abris du côté du midi & du couchant, elle n’en avoit aucun du côté du nord. & du levant. On sait assez combien la différence des situations avance ou retarde la végétation des plantes, contribue à leur vigueur & a la qualité de leurs productions.

Ainsi, je préviens le lecteur que lorsque l’on indique que les plantes délicates veulent être tenues constamment dans la serre, & que d’autres peuvent être exposées en plein air pendant l’été, ce conseil ne doit pas être regardé comme une règle invariable, mais comme susceptible de modifications suivant les climats, & suivant que les situations sont plus ou moins avantageuses. Tous les cultivateurs ont coutume de tenir toujours les cassis dans la serre, effrayés sans doute de l’avis du célèbre Miller, qui menace cet arbrisseau, s’il ose en sortir pendant l’été, d’une mort certaine au plus tard l’hiver suivant. Cependant M. le comte de Noyan, dont les jardins, près de Dol en Bretagne, sont fort bien situés, mais environnés de futaie qui y répand un peu d’humilité, fit sortir de sa serre, au mois de juin 1786, deux jeunes cassis. Ils poussèrent très-bien, fleurirent, retinrent du fruit qui est venu à bien, rentrèrent en très-bon état dans la serre au commencement d’octobre, & ils y ont passé l’hiver en assez bonne santé pour être de nouveau exposés en plein air dès la fin d’avril 1787 : il y avoit de la témérité ; car toute cette année a été froide & pluvieuse les gelées ont persévéré jusqu’à la fin du printemps ; la nuit du 6 au 7 juin, il en a fait une si forte, qu’elle a ruiné en plusieurs endroits les haricots, les oignons & d’autres légumes, beaucoup de figues & de fruits qui avoient résisté jusqu’alors ; presque toutes les nuits de l’été ont été froides & très-peu de jours, ont été chauds ; aussi ont-ils un peu souffert de ces gelées tardives ; mais en peu de temps ils se sont rétablis ; ils ont très-bien végété, fleuri, & noué du fruit, qui au commencement d’octobre, lorsqu’ils ont été remis dans la serre, étoient presque aussi gros, aussi avancés que celui de leurs frères qui ont passé l’été bien clos & bien couverts. J’ai fréquemment sous les yeux d’autres cassis qui ont été exposés en plein air depuis le mois de juin jusqu’au 10 octobre dans une des meilleures situations que je connoisse. Ils ont fait de longues & vigoureuses pousses, malgré les intempéries de cette année. Près de ces cassis, des ananas ont passé dix mois depuis décembre jusqu’en octobre, dans une couche dont le tan n’a été ni remanié, ni même remué une seule fois. Les panneaux vitres ont été ouverts tous les jours souvent jusqu’au coucher du soleil. Ces ananas ont tellement profité, que j’estime qu’ils ont pris au moins six mois d’avance sur d’autres plantés en même-temps qui ont été tenus dans la tannée d’une serre. De ces exemples, auxquels je pourrois en ajouter beaucoup d’autres, j’infère que la situation est un des points des plus importans pour une serre chaude, & que plusieurs plantes étrangères qui sont entretenues dans un état de langueur & de foiblesse par trop de soins & de ménagemens, pourroient acquérir de la force & du tempérament, si elles étoient traitées moins délicatement. Toutefois, je n’invite pas les cultivateurs à faire des essais sur des plantes rares & précieuses, dont la perte seroit difficile a réparer.

Rozier
Cours complet d’agriculture
Hôtel Serpente, 1796
Tome neuvième, pp. 184-221
La Serre

 

LEDNICE – Eisgrub-(okres Břeclav) Le Château Le Parc La Serre Tropicale Le Minaret Turc

TCHEQUIE – Česká republika
LEDNICE
okres Břeclav
Morava-Moravie du Sud
Znak Moravy Blason de la Moravie

 ——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

*

 

LEDNICE
Eisgrub

Multifunkční centrum zámek Lednice
zájmové sdružení právnických osob
Centre Pluridisciplinaire de Lednice

LEDNICE Centre Pluridisciplinaire - Multifunkční centrum zámek Lednice MORAVIE DU SUD Artgitato (6)

**

Le Château de Lednice
Zámek Lednice

**
Le Jardin du Château
Zámecký park
Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (1)

**

La Serre Tropicale
Palmový skleník u zámku
Palmový skleník
La Maison de Palme
1843-1845
Architecte anglais Peter Hubert Desvignes (1804-1883)

LEDNICE LA SERRE TROPICALE - Palmový skleník u zámku - Zámecký skleník Artgitato (17)

 **
Le Minaret Turc
Minaret (Lednicko-valtický areál)
Lednice – Valtice
62 metrů  – 62 mètres

Lednice Minaret Moravie Artgitato (5)

*******
Les Princes de Liechtenstein

Possession des Princes de Liechtenstein du milieu du XIIIe siècle à 1945.
Princes les plus marquants dans l’histoire du Château de Lednice :
Alois Ier de Liechtenstein
(1759-1805)
Portrait Alois Ier de Liechtenstein par Friedrich Ölenhainz 1804Portrait par Friedrich Ölenhainz (1804)
Jean Ier prince de Liechtenstein (1760-1836)
Jean Népomucène Joseph de Lichtenstein
Johann Josef Ier de Liechtenstein par Johann Baptist von LampiJean Ier par Johann Baptist von Lampi (1816)
Jean II de Liechtenstein (1840 à Lednice – 1929 à Valtice)
Johann II von Liechtenstein Jean II de Liechtenstein par John Quincy AdamsJean II peint par John Quincy Adams
François Ier Prince de Liechtenstein
Franz I von Liechtenstein
(1853-1938)
Franz I von Liechtenstein François Ier de Liechtenstein
Le Château et le domaine de Lednice-Valtice furent nationalisés sous le règne d’Aloïs de Liechtenstein (1869-1955)

Prince Aloys Liechtenstein Prince Alois

********

L’ANTISEMITISME D’ALOÏS DE LIECHTENSTEIN
DANS LA REVUE DES DEUX MONDES
DE 1891

Les conservateurs plus ou moins cléricaux gardent toujours une grande force dans quelques-unes des provinces autrichiennes. Les libéraux ou centralistes allemands, sans être trop diminués, ont eu de la peine à maintenir leurs positions. L’antisémitisme fait de singuliers progrès et a eu des avantages particulièrement à Vienne, où l’un des élus les plus marquants est le prince Aloys Liechtenstein, grand seigneur autrefois clérical, aujourd’hui démocrate, à demi-socialiste et antisémite, qui est le héros populaire d’un des faubourgs de Vienne. L’antisémitisme a désormais son bruyant contingent au Reichsrath; mais l’incident le plus caractéristique, le plus grave de ces élections autrichiennes est certainement ce qui s’est passé en Bohême ; ici la volte-face est complète. Les jeunes Tchèques qui soutiennent depuis quelques années une lutte passionnée contre toute idée de transaction avec les Allemands contre le dernier compromis et qui n’étaient pas plus de huit ou dix, les jeunes Tchèques ont enlevé partout le succès. Les vieux Tchèques ont presque disparu. L’homme qui a servi avec le plus d’éloquence et de succès la cause de la Bohême depuis quarante ans, M. Rieger lui-même, est hors de combat.

Charles de Mazade
Chronique de la quinzaine, histoire politique et littéraire
14 mars 1891
Revue des Deux Mondes
3e période, tome 104, 1891
pp. 467-477

****

ANTISEMITISME EN 1891
Le Prince Aloïs contre le docteur Kronawetter

Il est passé, le temps où l’on pouvait faire pivoter toute l’histoire de notre monde sur l’éternel antagonisme de l’Aryen et du Sémite. Quoi qu’en puissent penser les pédans de collèges, le pillage des boutiques juives par les moujiks de la Petite-Russie ou par les ouvriers des faubourgs de Vienne n’est pas l’épilogue du long duel d’Annibal et de Scipion, d’Abd-er-Rahman et de Charles Martel, de Saladin et de Cœur-de-Lion. Ni les Carthaginois ni les Sarrasins n’ont rien à démêler dans les querelles du pasteur Stœcker et des rabbins ; et le prétendu antagonisme, d’instincts et de génie, des Aryas et des Sémites n’a que faire dans les luttes électorales du prince Aloys Liechtenstein et du docteur Kronawetter. Bien mieux, cette hostilité légendaire de l’Aryen et du Sémite, on n’en trouve nulle trace dans les livres hébreux ou dans l’histoire d’Israël. Ni la Bible, ni l’Évangile n’en ont eu connaissance. Le juif y est toujours demeuré étranger.

Anatole Leroy-Beaulieu
Les Juifs et l’Antisémitisme
Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 105, 1891
pp. 157-201
II. LE GRIEF NATIONAL. 
LA RACE JUIVE ET L’ESPRIT DE TRIBU

*******
LA MISE SOUS SURVEILLANCE DES ECOLES PRIMAIRES PAR L’EGLISE EN 1888
PAR LE PRINCE DE LIECHTENSTEIN

Il y a une proposition du prince Liechtenstein, qui ne tend à rien moins qu’à replacer les écoles primaires sous la surveillance de l’église et à décentraliser l’enseignement en le rendant à la direction des pouvoirs locaux. Le projet Liechtenstein, qui désarme à peu près complètement l’autorité centrale, est assez habilement combiné pour rallier les conservateurs et les représentants de toutes les nationalités, les Tchèques surtout, qui poursuivent d’une guerre implacable le ministre de l’instruction publique de Vienne. Voilà donc un certain nombre de difficultés pour le gouvernement dans ses relations avec son parlement.

Charles de Mazade
Chronique de la quinzaine, histoire politique et littéraire 
30 avril 1888
Revue des Deux Mondes
3e période, tome 87, 1888
pp. 226-237

La Fuente del Ángel Caído – Monumento del Ángel Caído – PARQUE DE EL RETIRO MADRID

Madrid – Мадрид – 马德里
——

Madrid Blason Artgitato  Madrid L'Ours & L'arbousier Artgitato La estatua del oso y del madroño

Photos Jacky Lavauzelle
*

Madrid Drapeau Artgitato


PARQUE DE EL RETIRO
Парк Ретиро
La Fuente del Ángel Caído
La Fontaine de l’Ange déchu
Monumento del Ángel Caído

INAUGURATION 1885

Escultura
obra de Ricardo Bellver
1845-1924
El_escultor_Ricardo_Bellver Retrato del escultor español Ricardo Bellver 1845-1924
Madrid Fuente del Ángel Caído Parque de El Retiro artgitato 3

Madrid Fuente del Ángel Caído Parque de El Retiro artgitato 4

Carátulas del pedestal
Couverture du socle
par Francisco Jareño y Alarcón
1818-1892

Francisco_Jareño_y_Alarcón

Madrid Fuente del Ángel Caído Parque de El Retiro artgitato 5

El paraíso perdido – Paradise Lost
Le Paradis perdu
John Milton
Chant I

John_Milton_signature_svg

« D’un seul coup d’œil et aussi loin que perce le regard des anges, il voit le lieu triste dévasté et désert : ce donjon horrible, arrondi de toutes parts, comme une grande fournaise flamboyait. De ces flammes point de lumière ! mais des ténèbres visibles servent seulement à découvrir des vues de malheur ; régions de chagrin, obscurité plaintive, où la paix, où le repos, ne peuvent jamais habiter, l’espérance jamais venir, elle qui vient à tous ! mais là des supplices sans fin, là un déluge de feu, nourri d’un soufre qui brûle sans se consumer.
Tel est le lieu que l’éternelle justice prépara pour ces rebelles ; ici elle ordonna leur prison dans les ténèbres extérieures ; elle leur fit cette part trois fois aussi éloignée de Dieu et de la lumière du ciel, que le centre de la création l’est du pôle le plus élevé. Oh ! combien cette demeure ressemble peu à celle d’où ils tombèrent !
Là bientôt l’archange discerne les compagnons de sa chute, ensevelis dans les flots et les tourbillons d’une tempête de feu. L’un d’eux se vautrait parmi les flammes à ses côtés, le premier en pouvoir après lui et le plus proche en crime : longtemps après connu en Palestine, il fut appelé Béelzébuth. Le grand ennemi (pour cela nommé Satan dans le ciel), rompant par ces fières paroles l’horrible silence, commence ainsi :
« Si tu es celui… Mais combien déchu, combien différent de celui qui, revêtu d’un éclat transcendant parmi les heureux du royaume de la lumière, surpassait en splendeur des myriades de brillants esprits !… Si tu es celui qu’une mutuelle ligue, qu’une seule pensée, qu’un même conseil, qu’une semblable espérance, qu’un péril égal dans une entreprise glorieuse, unirent jadis avec moi et qu’un malheur égal unit à présent dans une égale ruine, tu vois de quelle hauteur, dans quel abîme, nous sommes tombés ! tant il se montra le plus puissant avec son tonnerre ! Mais qui jusqu’alors avait connu l’effet de ces armes terribles ! Toutefois, malgré ces foudres, malgré tout ce que le vainqueur dans sa rage peut encore m’infliger, je ne me repens point, je ne change point : rien (quoique changé dans mon éclat extérieur) ne changera cet esprit fixe, ce haut dédain né de la conscience du mérite offensé, cet esprit qui me porta à m’élever contre le plus Puissant, entraînant dans ce conflit furieux la force innombrable d’esprits armés qui osèrent mépriser sa domination : ils me préférèrent à lui, opposant à son pouvoir suprême un pouvoir contraire ; et dans une bataille indécise, au milieu des plaines du ciel, ils ébranlèrent son trône… »

John Milton
1608 – 1674
Le Paradis perdu
Traduction par François-René de Chateaubriand.
 Renault et Cie, 1861
pp. 1-21

Madrid Fuente del Ángel Caído Parque de El Retiro artgitato 1

Madrid Fuente del Ángel Caído Parque de El Retiro artgitato 2

L’Ange déchu

« Cependant, fendant l’air d’un vol sinistre et prompt,
Un archange déchu, qui portait sur son front
Le stigmate honteux qu’y mit le premier crime,
Se hâtait d’arriver à l’éternel abîme.

Loin des mondes brillants pour lesquels le jour luit,
Dépouillé de tout charme, et perdu dans la nuit,
Se trouve un vaste lieu dont l’aspect épouvante
Et que ne décrirait nulle langue vivante ;
C’est là que le Seigneur exile, pour jamais
L’ange altier qui du ciel osa troubler la paix.
Avec lui sont tombés ces Esprits pleins d’audace
Qui, dans leur fol orgueil, n’ont point demandé grâce
Au Maître tout-puissant qu’ils avaient offensé.
Ils maudissent enfin leur projet insensé ;
Mais leur regret est faux et leur souffrance est vaine,
Car leurs cœurs à jamais se nourrissent de haine.
Les images du ciel les suivent en tout lieu,
En tout lieu les atteint la justice de Dieu. »

Pamphile Le May — Reflets d’antan
La Découverte du Canada VI
L’Ange déchu – La Tempête

LE MANDARIN – Eça de Queiroz – O Mandarim – 1ère Partie – 2nde section

LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português

Eça de Queiroz
(1845-1900)
Tradução – Traduction
texto bilingue

Eça de Queirós 1882 O Mandarim Le Mandarin

O Mandarim

(1880)

LE MANDARIN

I

Première Partie

Traduction Jacky Lavauzelle

Seconde Section

 

Ainda assim, eu não me considerava sombriamente um «pária».
Pourtant, je ne me considérais pas sinistrement comme un « paria ».
A vida humilde tem doçuras: é grato, numa manhã de sol alegre, com o guardanapo ao pescoço, diante do bife de grelha, desdobrar o «Diário de Notícias»;
La vie humble possède une certaine douceur : l’on est reconnaissant, d’un gai matin ensoleillé, d’une serviette autour de son cou, face à un steak grillé, en dépliant le « Diário de Notícias »;
pelas tardes de Verão, nos bancos gratuitos do Passeio, gozam-se suavidades de idílio;
par des après-midi d’été, au Passeio, sur des bancs gratuits, s’amuser de douceurs idylliques ;
é saboroso à noite no Martinho, sorvendo aos goles um café, ouvir os verbosos injuriar a pátria…
et savourer le soir au Martinho, en sirotant par petites gorgées son café, en écoutant injurier son pays …

 Depois, nunca fui excessivamente infeliz – porque não tenho imaginação:
Enfin, je n’ai jamais été trop malheureux – grâce à mon imagination :
não me consumia, rondando e almejando em torno de paraísos fictícios, nascidos da minha própria alma desejosa como nuvens da evaporação de um lago;
je ne me consumais pas, en tournant et en voulant atteindre des paradis fictifs, nés de ma propre âme jalouse comme des nuages le seraient de l’​​évaporation d’un lac ;
não suspirava, olhando as lúcidas estrelas, por um amor à Romeu ou por uma glória social à Camors.
je ne soupirais pas, regardant briller les étoiles, avec des amours à la Roméo ou une gloire sociale à la Camors.
Sou um positivo.
Je suis positif.
Só aspirava ao racional, ao tangível, ao que já fora alcançado por outros no meu bairro, ao que é acessível ao bacharel.
Seulement j’aspirais au rationnel, au tangible, à ce qui avait été réalisé par d’autres dans mon quartier, et accessible à un bachelier.
E ia-me resignando, como quem a uma table d’hôte mastiga a bucha de pão seco à espera que lhe chegue o prato rico da charlotte russe.
Et je me résignais,  comme celui qui, à une table d’hôte, mâche un quignon de pain sec dans l’attente d’un riche plat de charlotte russe.
As felicidades haviam de vir:
Les bonheurs allaient venir :
e para as apressar eu fazia tudo o que devia como português e como constitucional:
et pour que cela s’accélère, je faisais tout ce que je devais en honnête portugais et en juste constitutionnel :
– pedia-as todas as noites a Nossa Senhora das Dores, e comprava décimos da lotaria.
– je les demandais tous les soirs à Notre-Dame des Douleurs, et j’achetais des billets à la loterie des dixièmes.

No entanto procurava distrair-me.
Cependant, je cherchais toutefois à me distraire.
E como as circunvoluções do meu cérebro me não habilitavam a compor odes, à maneira de tantos outros ao meu lado que se desforravam assim do tédio da profissão;
Et comme les circonvolutions de mon cerveau ne me donnaient pas les moyens de composer des odes, à la manière de tant d’autres à mes côtés, atténuant l’ennui de la profession ;
como o meu ordenado, paga a casa e o tabaco, me não permitia um vício
que mon salaire, payé la maison et le tabac, ne me permettait nullement d’assouvir des vices
– tinha tomado o hábito discreto de comprar na Feira da Ladra antigos volumes desirmanados, e à noite, no meu quarto, repastava-me dessas leituras curiosas.
 j’avais pris l’habitude discrète d’acheter au marché aux puces de vieux volumes dépareillés, et le soir, dans ma chambre, je me contentais de ces curieuses lectures.
Eram sempre obras de títulos ponderosos:
C’étaient toujours des œuvres avec des titres pompeux :
«Galera da Inocência», «Espelho Milagroso», «Tristeza dos Mal-Deserdados»…
« La Galère de l’Innocence», «Le Miroir miraculeux« , « Tristesse des déshérités »
O tipo venerando, o papel amarelado com picadas de traça, a grave encadernação freirática, a fitinha verde marcando a página- encantavam-me!
L’aspect vénérable, le papier jauni avec des traces de morsures de vers, les graves reliures, le petit ruban vert comme marque-pages m’enchantaient !
Depois, aqueles dizeres ingénuos em letra gorda davam uma pacificação a todo o meu ser, sensação comparável à paz penetrante de uma velha cerca de mosteiro, na quebrada de um vale, por um fim suave de tarde, ouvindo o correr da água triste…
Ensuite, les écrits naïfs en gras donnaient la paix à tout mon être, comme si je pénétrais la paix d’un ancien monastère clôturé, oublié dans une vallée, pendant une douce fin de soirée, écoutant l’eau qui coule tristement ...

Uma noite, há anos, eu começara a ler, num desses in-fólios vetustos, um capítulo intitulado «Brecha das Almas»;
Une nuit, autrefois, je commençais à lire dans un de ces in-folio vétuste, un chapitre intitulé «Brèche des âmes »;
e ia caindo numa sonolência grata, quando este período singular se me destacou do tom neutro e apagado da página, com o relevo de uma medalha de ouro nova brilhando sobre um tapete escuro:
et je suis tombé dans une somnolence, quand une période singulière me réveilla par rapport au ton neutre de la page avec le scintillement d’une médaille d’or brillant sur un tapis sombre :
copio textualmente:
je copie textuellement :

«No fundo da China existe um mandarim mais rico que todos os reis de que a fábula ou a história contam.
« Au plus profond de la Chine, il est un riche mandarin plus riche que tous les rois des contes ou tous les rois historiques.
« Dele nada conheces, nem o nome, nem o semblante, nem a seda de que se veste.
De cet homme tu ne connais ni visage, ni la soie qui le vêt.
Para que tu herdes os seus cabedais infindáveis, basta que toques essa campainha, posta a teu lado, sobre um livro.
Pour que tu puisses hériter de ses bienfaits sans fin, tu dois juste toucher cette cloche, posée à tes côtés, sur un livre.
Ele soltará apenas um suspiro, nesses confins da Mongólia.
Il  lâchera alors un soupir, aux extrémités de la Mongolie.
Será então um cadáver:
Ensuite, ce ne sera plus qu’un cadavre:
e tu verás a teus pés mais ouro do que pode sonhar a ambição de um avaro.
et tu verras alors à tes pieds plus d’or que ne peut en rêver la cupidité d’un avare.
Tu, que me lês e és um homem mortal, tocarás tu a campainha?»
Toi qui me lis et qui est un homme mortel, toucheras-tu à la cloche ?

Estaquei, assombrado, diante da página aberta:
Je m’immobilisai, hanté, devant la page ouverte :
aquela interrogação «homem mortal, tocarás tu a campainha?»
Cette interrogation «homme mortel, toucheras-tu la cloche ?»
parecia-me faceta, picaresca, e todavia perturbava-me prodigiosamente.
me semblait facétieuse, picaresque, et pourtant me dérangeait prodigieusement.
Quis ler mais;
Je voulais en savoir plus ;
mas as linhas fugiam, ondeando como cobras assustadas, e no vazio que deixavam, de uma lividez de pergaminho, lá ficava, rebrilhando em negro, a interpelação estranha
mais les lignes ont fui, ondulant comme des serpents effrayés, et du vide qu’elles laissèrent d’une pâleur de parchemin, il restait, en noir brillant, le questionnement étrange
– «tocarás tu a campainha?»
– « toucheras-tu à la cloche ?« 

*************************************************************
Traduction Jacky Lavauzelle
Artgitato
***********************************

Portugal
Eça de Queiroz

LE MANDARIN – Eça de Queiroz – O Mandarim – Tables des Matières – Sommaire – Índice

LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português

Eça de Queiroz
(1845-1900)
Tradução – Traduction
texto bilingue
Índice – Table des Matières

Eça de Queirós 1882 O Mandarim Le Mandarin

O Mandarim

(1880)

LE MANDARIN

Índice

Sommaire – Table des Matières

Traduction Jacky Lavauzelle

Prólogo – Prologue

1º Amigo
Le Premier Ami
(bebendo conhaque e soda, debaixo de árvores, num terraço, à beira-d’água)
 (il boit du cognac avec du soda, sous les arbres, sur une terrasse qui se trouve au bord de l’eau)
Camarada, por estes calores do Estio que embotam a ponta da sagacidade, repousemos do áspero estudo da Realidade humana…
Camarade, par ces chaleurs d’été qui émoussent la pointe de l’esprit, reposons-nous de cette étude âpre de la réalité humaine

1er chapitre

1ère Section

Eu chamo-me Teodoro – e fui amanuense do Ministério do Reino.
Mon nom est Teodoro et je suis secrétaire au Ministère de l’Intérieur.
Nesse tempo vivia eu à Travessa da Conceição nº 106, na casa de hóspedes da D. Augusta, a esplêndida D. Augusta, viúva do major Marques.
A cette époque, je vivais à Travessa da Conceição, au numéro 106, dans la maison d’hôtes de Dona Augusta, la splendide Dona Augusta, la veuve du major Marques.

****

2nde Section

Ainda assim, eu não me considerava sombriamente um «pária».
Pourtant, je ne me considérais pas sinistrement comme un « paria ».
A vida humilde tem doçuras: é grato, numa manhã de sol alegre, com o guardanapo ao pescoço, diante do bife de grelha, desdobrar o «Diário de Notícias»;
La vie humble possède une certaine douceur : l’on est reconnaissant, d’un gai matin ensoleillé, d’une serviette autour de son cou, face à un steak grillé, en dépliant le « Diário de Notícias »;

***

3ème Section

 Se o volume fosse de uma honesta edição Michel-Levy, de capa amarela, eu, que por fim não me achava perdido numa floresta de balada alemã, e podia da minha sacada ver branquejar à luz do gás o correame da patrulha
Si cela n’était qu’une simple édition Michel-Levy, à la couverture jaune, moi qui, enfin, n’étais pas perdu dans une forêt de ballade allemande, et que je pouvais, de mon balcon, voir briller la lumière des becs de gaz

Eça de Queiroz Le Mandarin O Mandarim Artgitato L'enfance de Jupiter 1630 Jacob Jordaens Le Louvre

***

4ème Section


Eu murmurei, com as faces abrasadas:
Je murmurai, les joues rougies :
— Têm.
– Oui
E a sua voz prosseguiu, paciente e suave:
Et sa voix continua, patiente et douce :

*****

2ème chapitre

*****

3ème chapitre

*****

4ème chapitre

*****

5ème chapitre

*****

6ème chapitre

*****

7ème chapitre

*****

8ème chapitre

*************************************************************
Traduction Jacky Lavauzelle
Artgitato
***********************************

Portugal
Eça de Queiroz

 

LE MANDARIN – Eça de Queiroz – O Mandarim – 1ère Partie – 1ère section

LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português

Eça de Queiroz
(1845-1900)
Tradução – Traduction
texto bilingue

Eça de Queirós 1882 O Mandarim Le Mandarin

O Mandarim

(1880)

LE MANDARIN

I-1

Première Partie

Traduction Jacky Lavauzelle

Première Section

Eu chamo-me Teodoro – e fui amanuense do Ministério do Reino.
Mon nom est Teodoro et je suis secrétaire au Ministère de l’Intérieur.

Nesse tempo vivia eu à Travessa da Conceição nº 106, na casa de hóspedes da D. Augusta, a esplêndida D. Augusta, viúva do major Marques.
A cette époque, je vivais à Travessa da Conceição, au numéro 106, dans la maison d’hôtes de Dona Augusta, la splendide Dona Augusta, la veuve du major Marques.
Tinha dois companheiros:
J’avais deux compagnons :
o Cabrita, empregado na Administração do Bairro Central, esguio e amarelo como uma tocha de enterro;
Cabrita, employé dans l’Administration du District Central, mince et jaunâtre comme une torche funéraire ;
e o possante, o exuberante tenente Couceiro, grande tocador de viola francesa.
et le puissant, l’exubérant lieutenant Couceiro, grand joueur de viole française.

A minha existência era bem equilibrada e suave.
Mon existence était bien équilibrée et lisse.
Toda a semana, de mangas de lustrina à carteira da minha repartição, ia lançando, numa formosa letra cursiva, sobre o papel «Tojal» do Estado, estas frases fáceis:
Toute la semaine, avec mes manches de lustrine à mon bureau, je dessinais d’une belle écriture ronde sur un papier de type « Tojal» de l’État, les phrases simples suivantes :
«Il.mo e Ex.mo Sr. – Tenho a honra de comunicar a V. Ex.a… Tenho a honra de passar às mãos de V. Ex.a, Il.mo e Ex.mo Sr…»
« Monsieur, j’ai l’honneur de vous communiquer … j’ai l’honneur de vous transmettre »

Aos domingos repousava:
Je me reposais les dimanches :
instalava-me então no canapé da sala de jantar, de cachimbo nos dentes, e admirava a D. Augusta, que, em dias de missa, costumava limpar com clara de ovo a caspa do tenente Couceiro.
Je m’installais dans le canapé de la salle à manger, la pipe aux dents, et j’admirais Dona Augusta, qui, les jours de messe, attaquait les pellicules du lieutenant Couceiro à l’aide du blanc d’œuf.
Esta hora, sobretudo no Verão, era deliciosa:
Cette heure, surtout en été, était délicieuse :
pelas janelas meio cerradas penetrava o bafa da soalheira, algum repique distante dos sinos da Conceição Nova e o arrulhar das rolas na varanda; 
les fenêtres à demi-fermées laissaient pénétrer le soleil, parfois le carillon lointain des cloches de la Nouvelle Conception et le roucoulement des colombes sur la véranda ;
a monótona sussurração das moscas balançava-se sobre a velha cambraia, antigo véu nupcial da Madame Marques, que cobria agora no aparador os pratos de cerejas bicais;
le sourd et monotone murmure des mouches se balançait sur ce qui avait été un jour le voile du mariage de Madame Marques, et qui couvrait désormais les plats décorés de cerises ;
pouco a pouco o tenente, envolvido, num lençol como um ídolo no seu manto, ia adormecendo, sob a fricção mole das carinhosas mãos da D. Augusta;
peu à peu le lieutenant, enveloppé dans un drap comme une idole dans son voile, faisait sa sieste sous les doux massages des mains aimantes de Dona Augusta ;

e ela, arrebitando o dedo mínimo branquinho e papudo, sulcava-lhe as repas lustrosas com o pentezinho dos bichos…
et elle, dressant le petit doigt blanc et pulpeux, peignait sa frange brillante avec un peigne fin
Eu então, enternecido, dizia à deleitosa senhora:
Je dis à la charmante dame, tout adouci :

— Ai D. Augusta, que anjo que é!
– Ah ! Dona Augusta, un ange, voilà ce que vous êtes !

Ela ria; chamava-me enguiço!
Elle riait en m’appelant freluquet !
Eu sorria, sem me escandalizar.
Je sourissans me sentir offensé.
«Enguiço» era com efeito o nome que me davam na casa – por eu ser magro, entrar sempre as portas com o pé direito, tremer de ratos, ter à cabeceira da cama uma litografia de Nossa Senhora das Dores que pertencera à mamã, e corcovar.
« Freluquet » était en fait le nom que l’on me donnait dans la maison parce que j’étais mince, que je franchissais la porte du pied droit, que j’avais la frousse des rats, que j’avais à la tête de mon lit une lithographie de Notre-Dame des Douleurs qui avait appartenu à maman, et que j’étais bossu.
Infelizmente corcovo – do muito que verguei n espinhaço, na Universidade, recuando como uma pega assustada diante dos senhores lentes;
Malheureusement bossu m’étant courbé si souvent à l’Université, me retirant en reculant devant les maîtres ;
na repartição, dobrando a fronte ao pó perante os meus directores-gerais.
et devant mes chefs jusqu’à toucher la poussière avec mon front.
Esta atitude de resto convém ao bacharel;
Cette attitude du reste convient bien aux bacheliers ;
ela mantém a disciplina num Estado bem organizado;
elle maintient la discipline dans un état bien organisé ;
e a mim garantia-me a tranquilidade dos domingos, o uso de alguma roupa branca, e vinte mil réis mensais.
et elle me garantissait la tranquillité dominicale, en utilisant un peu de linge blanc, et vingt mille reis de revenu mensuel.

Não posso negar, porém, que nesse tempo eu era ambicioso – como o reconheciam sagazmente a Madame Marques e o lépido Couceiro.
Je ne peux pas nier cependant que, à ce moment, j’étais un jeune homme ambitieux – comme le reconnaissaient malignement Madame Marques et l’enjoué Couceiro.
Não que me revolvesse o peito o apetite heróico de dirigir, do alto de um trono, vastos rebanhos humanos;
Non pas que je  désirais diriger avec un appétit héroïque, du haut d’un trône, de vastes troupeaux humains ;
não que a minha louca alma jamais aspirasse a rodar pela Baixa em trem da Companhia, seguida de um correio choutando; 
Ni même que mon âme folle n’était aspirée à parcourir la Baixa de Lisbonne en livrée, escorté par un cavalier ;
– mas pungia-me o desejo de poder jantar no Hotel Central com champanhe, apertar a mão mimosa de viscondessas, e, pelo menos duas vezes por semana, adormecer, num êxtase mudo, sobre o seio fresco de Vénus.
– Mais moi j’avais le désir d’être en mesure de dîner à l’Hôtel Central au champagne, de baiser les mains douces de vicomtesses, et au moins deux fois par semaine, de dormir dans une extase silencieuse sur la poitrine fraîche de Vénus.
Oh ! moços que vos dirigíeis vivamente a S. Carlos, atabafados em paletós caros onde alvejava a gravata de soirée! 
O, vous, les jeunes hommes, vous vous dirigiez vivement à San  Carlos, emballés de costumes coûteux où la cravate de soirée ressortait !
Oh! tipóias, apinhadas de andaluzas, batendo galhardamente para os touros 
O, voitures, pleines d’andalouses, attirées vaillamment par les taureaux
– quantas vezes me fizestes suspirar!
– combien de fois n’avez-vous soupiré !
Porque a certeza de que os meus vinte mil réis por mês e o meu jeito encolhido de enguiço, me excluíam para sempre dessas alegrias sociais, vinha-me então ferir o peito 
Car la certitude que mes vingt mille reis par mois et ma timidité, m’ont à toujours exclu de ces joies sociales, est ensuite venue me blesser à la poitrine
  – como uma frecha que se crava num tronco, e fica muito tempo vibrando!
– comme une flèche qui se plante dans un tronc et qui longtemps vibre !