8. September 1804 Ludwigsburg- 4. Juni 1875 Stuttgart 8 septembre 1804 – 4 juin 1875
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Mein Fluß MON FLEUVE __________________
Isaac Levitan, L’Appel du soir, 1892
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O Fluß, mein Fluß im Morgenstrahl! Ô fleuve, mon fleuve dans le rayon du matin ! Empfange nun, empfange Reçois maintenant, reçois Den sehnsuchtsvollen Leib einmal, Mon corps impatient tout entier, Und küsse Brust und Wange! Et baise ma poitrine et baise ma joue ! – Er fühlt mir schon herauf die Brust, – Il monte déjà à ma poitrine, Er kühlt mit Liebesschauerlust Sa fraîcheur déjà m’apporte un frisson d’amour Und jauchzendem Gesange. Et des doux chants…
Dante GabrielRossetti, The Day Dream, 1880, Londres, Victoria and Albert Museum (source: http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dante_Gabriel_Rossetti_-_The_Day_Dream_-_Google_Art_Project.jpg)
« Mariana in the Moated Grange » (Shakespeare, Measure for Measure) (William Shakespeare, Mesure pour mesure)
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With blackest moss the flower-plots D’une mousse si noire, les parcelles de fleurs Were thickly crusted, one and all: Se recouvraient comme d’une croûte épaisse : The rusted nails fell from the knots Les clous rouillés tombaient des nœuds That held the pear to the gable-wall. Qui retenaient l’ensemble contre le mur de la baie. The broken sheds look’d sad and strange: Les remises délabrées semblaient si tristes et étranges, Unlifted was the clinking latch; Que fermait un vieux verrou cliquetant ; Weeded and worn the ancient thatch Fatiguée et usée l’ancienne chaume recouvrait Upon the lonely moated grange. La grange solitaire des douves. She only said, « My life is dreary, Elle dit seulement : « Ma vie est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte ! «
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Her tears fell with the dews at even; Ses larmes tombèrent dans la rosée du soir ; Her tears fell ere the dews were dried; Ses larmes coulèrent avant que les rosées ne sèchent ; She could not look on the sweet heaven, Elle ne pouvait plus regarder le doux ciel, Either at morn or eventide. Ni le matin ni le soir. After the flitting of the bats, Après le battement d’ailes des chauves-souris, When thickest dark did trance the sky, Quand l’obscurité la plus épaisse enveloppe tout à fait le ciel, She drew her casement-curtain by, Elle tira son rideau à battants, And glanced athwart the glooming flats. Et jeta un coup d’œil à travers les appartements sombres. She only said, « The night is dreary, Elle dit seulement : « La nuit est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte ! «
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Upon the middle of the night, Au cœur de la nuit, Waking she heard the night-fowl crow: En se réveillant, elle entendit le chant des oiseaux de nuit : The cock sung out an hour ere light: Le coq chanta une heure avant la première lueur : From the dark fen the oxen’s low De la sombre tourbière, le mugissement des bœufs Came to her: without hope of change, Parvint jusqu’à elle : sans espoir de changement, In sleep she seem’d to walk forlorn, Dans le sommeil, elle semblait marcher désespérée, Till cold winds woke the gray-eyed morn Jusqu’à ce que des vents froids réveillent le matin aux yeux gris About the lonely moated grange. Près de la grange solitaire des douves. She only said, « The day is dreary, Elle dit seulement : « La journée est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte ! «
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About a stone-cast from the wall À un jet de pierre du mur A sluice with blacken’d waters slept, Une écluse aux eaux noircies dormait, And o’er it many, round and small, Et tout au-dessus, rondes et petites, The cluster’d marish-mosses crept. Les mousses marécageuses en grappes glissaient. Hard by a poplar shook alway, Tout à côté, un peuplier toujours s’agitait, All silver-green with gnarled bark: Tout vert argenté avec son écorce noueuse : For leagues no other tree did mark Sur des lieux, aucun autre arbre ne marquait The level waste, the rounding gray. La vaste étendue, le gris environnant. She only said, « My life is dreary, Elle dit seulement : « Ma vie est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte !
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And ever when the moon was low, Et quand la lune fut basse, And the shrill winds were up and away, Et que les vents aigus vinrent de si haut et d’ailleurs, In the white curtain, to and fro, Dans le rideau blanc, de long en large, She saw the gusty shadow sway. Elle vit l’ombre en rafale se balancer. But when the moon was very low Mais quand la lune fut au plus bas And wild winds bound within their cell, Et que les vents sauvages furent engouffrés dans leur cellule, The shadow of the poplar fell L’ombre du peuplier tomba Upon her bed, across her brow. Sur son lit, sur son front. She only said, « The night is dreary, Elle dit seulement : « La nuit est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte ! «
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All day within the dreamy house, Toute la journée dans la maison de rêve, The doors upon their hinges creak’d; Les portes sur leurs gonds grinçaient à l’envi ; The blue fly sung in the pane; the mouse La mouche bleue chantait sur la vitre ; la souris Behind the mouldering wainscot shriek’d, Derrière le lambris s’époumonait, Or from the crevice peer’d about. Ou espionnait de la crevasse où elle se trouvait. Old faces glimmer’d thro’ the doors De vieux visages scintillaient à travers les portes, Old footsteps trod the upper floors, De vieux pas foulaient les étages du dessus, Old voices called her from without. De vieilles voix l’appelaient de l’extérieur. She only said, « My life is dreary, Elle dit seulement : « Ma vie est triste, He cometh not, » she said; Il ne vient pas « , dit-elle ; She said, « I am aweary, aweary, Elle dit : « Je suis inquiète, si inquiète, I would that I were dead! » Je voudrais être morte ! «
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The sparrow’s chirrup on the roof, Plus le gazouillement du moineau sur le toit, « The slow clock ticking, and the sound Le tic-tac lent de l’horloge et le son Which to the wooing wind aloof Que le vent produisait au loin The poplar made, did all confound A travers le peuplier, se confondaient Her sense; but most she loathed the hour Dans tous les sens, plus elle maudissait l’heure When the thick-moted sunbeam lay Où le rayon du soleil gisait Athwart the chambers, and the day A travers les chambres et maudissait le jour Was sloping toward his western bower. Qui inondait la tonnelle, celle qui se trouve vers le soleil couchant. Then said she, « I am very dreary, Puis elle dit : « Je suis si triste, He will not come, » she said; Il ne viendra pas, » dit-elle ; She wept, « I am aweary, aweary, Elle pleura, « Je suis inquiète, si inquiète, Oh God, that I were dead! » Ô Dieu, comme je voudrais être morte ! «
Constantin Korovine, Константин Алексеевич Коровин, Gourzouf, Гурзуф, 1914
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В печальной праздности я лиру забывал, Dans ma triste oisiveté, j’en ai oublié ma lyre, Воображение в мечтах не разгоралось, L’imagination dans mes rêves s’est éteinte, С дарами юности мой гений отлетал, Avec les dons de la jeunesse, mon génie s’est envolé, И сердце медленно хладело, закрывалось Et le cœur s’est refroidit lentement, se refermant ;…
Ramon Casas, Madeleine au moulin de la galette, 1892, musée de Montserrat
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Este inferno de amar – como eu amo! – Cet enfer d’aimer – comme je l’aime ! – Quem mo pôs aqui n’alma… quem foi? Qui m’a mis ça dans l’âme … qui ? Esta chama que alenta e consome, Cette flamme qui encourage et consume, Que é a vida – e que a vida destrói – Qui est la vie – et que cette vie détruit – Como é que se veio a atear, Comment tout cela a commencé, Quando – ai quando se há-de ela apagar? Et quand, quand cela finira-t-il ? * Eu não sei, não me lembra: o passado, Je ne sais ! je ne m’en souviens pas ! le passé, A outra vida que dantes vivi L’autre vie que j’ai vécue avant, Era um sonho talvez… – foi um sonho – Tout cela n’était peut-être qu’un rêve ? … – c’était un rêve !- Em que paz tão serena a dormi! Dans quelle sereine paix j’ai dormi ! Oh! que doce era aquele sonhar… Oh ! comme ce rêve était doux… Quem me veio, ai de mim! despertar? Qui est venu, hélas ! me réveiller ? *
Só me lembra que um dia formoso Ça me rappelle juste une belle journée… Eu passei… dava o sol tanta luz! Je passais … le soleil intensément brillait ! E os meus olhos, que vagos giravam, Et mes yeux nonchalants, Em seus olhos ardentes os pus. Sont venus se poser sur ses yeux ardents. Que fez ela? eu que fiz? – Não no sei; Qu’a-t-elle fait ? qu’ai-je fait ? – Je ne sais… Mas nessa hora a viver comecei… Mais à cette heure, j’ai commencé à vivre …
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Passos Manuel, Almeida Garrett, Alexandre Herculano, José Estêvão de Magalhães nos Passos Perdidos, Assembleia da República Portuguesa.
Ilia Répine, Илья́ Ефи́мович Ре́пин, Bouquet d’automne, 1892
Вянет, вянет лето красно; L’été écarlate se flétrit ; Улетают ясны дни; Les beaux jours désormais s’envolent ; Стелется туман ненастный Le brouillard se glisse imperceptible Ночи в дремлющей тени; Comme une ombre dans le sommeil de la nuit ;…
Ilia & Akiki – Ilia Tchavtchavadze à gauche & Akaki Tsereteli à droite
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LA GEORGIE
UNE TERRE QUI FASCINE LES POETES
Comme le soulignait Eugène-Melchior de Vogüé, en 1884, la Géorgie a été une terre aimée des grands poètes russes :
« Durant la première moitié de ce siècle, le Caucase fut pour la Russie ce que l’Afrique était pour nous, une terre d’aventures et de rêves, où les plus fous et les plus forts allaient jeter leur gourme de jeunesse. Mais tandis qu’Alger ne nous renvoyait que de bons officiers, Tiflis rendait des poètes. On comprend la fascination de ce pays merveilleux ; il offrait aux jeunes Russes ce qui leur manquait le plus : des montagnes, du soleil, de la liberté. Là-bas, tout au bout de l’accablante plaine de neige, l’Elbrouz, « la cime des bienheureux, » dressait dans l’azur ses glaciers étincelans. Par-delà la montagne, c’était l’Asie et ses féeries, nature superbe, peuples pittoresques, torrens chantans sous les platanes, filles de Kabarda dansant dans les aouls du Térek ; la large vie des bivouacs dans la forêt, la gloire ramassée sous le drapeau des héros légendaires : Paskévitch, Yermolof, Rariatinsky. Tous ceux qui étaient blasés ou croyaient l’être dans les ennuis de Pétersbourg couraient là-bas ; à tous on pouvait appliquer le vers de Musset :
Ils avaient la Lara, Manfred et le Corsaire ;
et l’obsession de Byron était si forte sur cette génération que leurs yeux prévenus voyaient l’Orient, où ils vivaient, à travers la fantaisie du poète. Tous jouaient au Childe-Harold et rapportaient des vers dont quelques-uns seront immortels. Ce fut au Caucase que débutèrent Pouchkine, Griboyédof, Lermontof ; mais, dans le Prisonnier du Caucase de Pouchkine comme dans le Démon de Lermontof, la leçon apprise transfigure les paysages et les hommes, les sauvages Lesghiennes sont de touchantes héroïnes, sœurs d’Haïdée et de la Fiancée d’Abydos. »
Eugène-Melchior de Vogüé
Les Grands écrivains russes contemporains
Revue des Deux Mondes
Troisième Période
Tome 64
1884
LA FONTAINE BARTHOLDI
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Le Char Triomphal de la Garonne
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Place des Terreaux
Ier Arrondissement de Lyon
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LE QUADRIGE DE BARTHOLDI FUMAIT DES NASEAUX
« Place des Terreaux, devant le vieux palais noir qui vit mourir Cinq-Mars, mademoiselle Dax s’arrêta encore pour regarder si le quadrige de Bartholdi fumait des naseaux. Les énormes chevaux de plomb bondissent au milieu d’une cascade, et un artifice du fondeur a fait jaillir des bouches et des narines un souffle visible d’eau pulvérisée. La machine jouait ; le quadrige fumait ; enfantine, mademoiselle Dax contempla une grande minute. Plantée ainsi devant la cascade, sa silhouette de grande fille robuste attira un passant, qui vint la frôler. » Claude Farrère
Mademoiselle Dax
Première Partie
Paris, Henri Jonquières et Cie, éditeurs, 1922
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BARTHOLDI
LE GENIE DU GRAND SCULPTEUR
par
PIERRE DE COUBERTIN
Elle reçut à cet égard communication d’un projet dû au génie du grand sculpteur Bartholdi. Deux ans avant j’avais pensé à commémorer par un monument approprié le renouveau de la gymnastique et des sports — et c’est à lui que j’en avais parlé. Bartholdi s’était passionné pour cette idée et dans une lettre, après l’avoir creusée, il me disait peu de temps avant sa mort : « Je placerai au centre la Meta, la borne fatidique autour de laquelle, dans le Stade, la lutte, s’avivant, devenait plus audacieuse et plus âpre — cette borne où la terreur superstitieuse des anciens installait une divinité subalterne, méchante et sournoise, empressée à tromper et à perdre les concurrents. Contre le marbre poli viendra se ruer la cohue des sports : escrime et football, patinage et boxe, hippisme et cyclisme, jusqu’à une auto dernier modèle ; car la tempête musculaire change d’aspect avec les âges mais l’âme en est identique, l’expression similaire — et toujours la Meta domine, silhouette rude, inexorable et par là même attachante et compréhensible. » Bartholdi voulait cette Meta en porphyre, haute et large, avec de blanches images d’ephèbes et d’athlètes s’enroulant autour. « Ce serait, disait-il encore, une leçon d’histoire en même temps que de philosophie — un ressouvenir de l’Hellade éternelle, mère de toute civilisation et un avertissement que le heurt de l’effort et du destin demeure la loi suprême de la vie. »
Pierre de Coubertin
Une Campagne de vingt-et-un ans
Librairie de l’Éducation Physique, 1909
And a youth said, « Speak to us of Friendship. »
Et un jeune homme demanda : « Parle-nous de l’amitié. »
And he answered, saying:
Et il répondit en disant :
Your friend is your needs answered.
Votre ami répond à vos besoins.
He is your field which you sow with love and reap with thanksgiving.
Il est votre champ que vous semez avec amour et récoltez avec remerciement.
And he is your board and your fireside.
Et il est votre conseil et votre foyer.
For you come to him with your hunger, and you seek him for peace.
Car vous venez à lui avec votre faim, et vous le cherchez pour la paix.
When your friend speaks his mind you fear not the « nay » in your own mind, nor do you withhold the « ay. »
Quand votre ami parle de sa pensée, vous ne craignez pas le «non» dans votre propre esprit, ni ne retenez le «oui».
And when he is silent your heart ceases not to listen to his heart;
Et quand il est silencieux, alors votre cœur ne cesse d’écouter son cœur ;
For without words, in friendship, all thoughts, all desires, all expectations are born and shared, with joy that is unacclaimed.
Car sans mots, en amitié, toutes les pensées, tous les désirs, toutes les attentes naissent et sont partagés, dans une joie muette.
When you part from your friend, you grieve not;
Quand vous vous séparez de votre ami, ne vous affligez pas ;
For that which you love most in him may be clearer in his absence, as the mountain to the climber is clearer from the plain.
Car ce que vous aimez le plus en lui peut être plus clair en son absence, comme la montagne pour l’alpiniste parait plus claire de la plaine.
And let there be no purpose in friendship save the deepening of the spirit.
Et qu’il n’y ait aucun but dans l’amitié que l’approfondissement de l’esprit.
For love that seeks aught but the disclosure of its own mystery is not love but a net cast forth: and only the unprofitable is caught.
Car l’amour qui cherche autre chose que la révélation de son propre mystère n’est pas de l’amour, mais un filet jeté qui ne prendra que de l’inutile.
And let your best be for your friend.
Et que le meilleur soit pour votre ami.
If he must know the ebb of your tide, let him know its flood also.
S’il doit connaître le reflux de votre marée, faites-lui connaître son flux tout autant.
For what is your friend that you should seek him with hours to kill?
Qu’est-ce que votre ami si vous le cherchez pour tuer le temps ?
Seek him always with hours to live.
Cherchez-le toujours avec des heures intenses.
For it is his to fill your need, but not your emptiness.
Car il est là pour combler vos besoins, mais pas pour votre vacuité.
And in the sweetness of friendship let there be laughter, and sharing of pleasures.
Et dans la douceur de l’amitié, qu’il y ait du rire et du partage des plaisirs.
For in the dew of little things the heart finds its morning and is refreshed.
Car dans la rosée des petites choses, le cœur trouve son matin et il en est rafraîchi.