Archives par mot-clé : 罗马

LE CARAVAGE Saint Jean Baptiste 施洗约翰 CARAVAGGIO San Giovanni Battista

ROME – ROMA – 罗马
Le Caravage Saint Jean Baptiste
Caravaggio San Giovanni Battista
施洗约翰
LA VILLA BORGHESE
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GALLERIA BORGHESE
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La Galerie Borghèse

LE CARAVAGE
Michelangelo Merisi da Caravaggio
米开朗基罗·梅里西·达·卡拉瓦乔
CARAVAGGIO
卡拉瓦乔
1571-1610

Le Caravage Caravaggio 1571 1610

San Giovanni Battista
saint Jean Baptiste
Jean le Baptiste
施洗约翰

Caravaggio Le Caravage Saint Jean Baptiste artgitato Galleria Borghese Galerie Borghese Rome Roma Caravaggio_Baptist_Galleria_Borghese,_Rome

D’AUTRES SAINT JEAN BAPTISTE DU CARAVAGE

Caravaggio_Baptist_Galleria_Nazionale_d'Arte_Antica,_Rome John the baptist, by Caravaggio (1571-1610), from Web Gallery of Art Caravaggio_Baptist_Nelson-Atkins_Museum_of_Art,_Kansas_City Caravaggio Baptist Nelson-Atkins Museum of Art, Kansas City Caravaggio-Baptist-Toledo John the Baptistby Caravaggio 1571-1610 painted about 1598. Toledo, Museo del Tesoro Catedralico

 

MICHEL-ANGE DE CARAVAGE

Michel-Ange Mérigi, connu sous le nom de Michel-Ange de Caravage, un des peintres les plus originaux de l’Italie, eut pendant longtemps une vogue prodigieuse : on peut le regarder comme l’inventeur d’une manière qui trouva de nombreux imitateurs. Ceux qui l’ont exactement suivie, et ceux qui, en l’imitant, ont conservé leur caractère propre, auront toujours moins de célébrité que lui. Très-fort dans quelques parties de la peinture, très-foible dans d’autres, il fut admiré de beaucoup de gens, et peu senti et déchiré par beaucoup d’autres.
Sur une surface plate donner aux objets la rondeur et la saillie qu’ils ont dans la nature, et offrir cette saillie de la manière la plus piquante que la nature puisse la présenter elle-même …
Jean-Joseph Taillasson
Observations sur quelques grands peintres
Teniers – Le Caravage

*****************
L’article de la Première édition de l’Encyclopédie sur Le Caravage
*

Le Blond, Jaucourt, d’Alembert, Mallet, Boucher d’Argis, Blondell, Bourgelat, Pâris de Meyzieu
L’Encyclopédie Première édition – 1751 – Tome 5 pp. 303-337

Michel Ange de Caravage, (appellé communément Michel Ange Amérigi) naquit en 1569 au château de Caravage, situé dans le Milanes, & mourut en 1609. Ce peintre s’est rendu très-illustre par une maniere extrèmement forte, vraie, & d’un grand effet, de laquelle il est auteur. Il peignoit tout d’après nature, dans une chambre où la lumiere venoit de fort haut. Comme il a exactement suivi ses modeles, il en a imité les défauts & les beautés : car il n’avoit point d’autre idée que l’effet du naturel présent.

Son dessein étoit de mauvais goût ; il n’observoit ni perspective, ni dégradation ; ses attitudes sont sans choix, ses draperies mal jettées ; il n’a connu ni les graces, ni la noblesse ; il peignoit ses figures avec un teint livide, des yeux farouches, & des cheveux noirs. Cependant tout étoit ressenti ; il détachoit ses figures, & leur donnoit du relief par un savant artifice du clair-obscur, par un excellent goût de couleurs, par une grande vérité, par une force terrible, & par un pinceau moëlleux, qui ont rendu son nom extrèmement célebre.

Le caractere de ce peintre, semblable à ses ouvrages, s’est toûjours opposé à son bonheur. Il eut une affaire fâcheuse à Milan ; il en eut une autre à Rome avec le Josépin ; il insulta à Malte un chevalier de l’ordre ; en un mot il se fit des affaires avec tout le monde, fut misérable toute sa vie, & mourut sans secours sur un grand chemin. Il mangeoit seul à la taverne, où n’ayant pas un jour de quoi payer, il peignit l’enseigne du cabaret, qui fut vendue une somme considérable.

Ses desseins sont heurtés d’une grande maniere, la couleur y est rendue ; un goût bisarre, la nature imitée avec ses défauts, des contours irréguliers, & des draperies mal jettées, peuvent les caractériser.

Ses portraits sont très-bons. Le roi de France a celui du grand maître de Vignacourt que ce peintre fit à Malte. Il y a, je crois, un de ses tableaux aux Dominicains d’Anvers, que Rubens appelloit son maître. On vante singulierement un cupidon du Caravage, & son tableau de l’incrédulité de S. Thomas, qu’il a gravé lui-même. Mais que dirons-nous de son Prométhée attaché au rocher ? on ne peut regarder un moment cette peinture sans détourner la vûe, sans frissonner, sans ressentir une impression qui approche de celle que l’objet même auroit produite.

Le Caravage a fait pendant son séjour à Malte, pour l’église de ce lieu, la décollation de S. Jean. Le grand autel de l’église de S. Louis à Rome, est peint par le Caravage ; il a peint un Christ porté au sépulchre, dans l’église de sainte Marie in Vallicella. Tous ces morceaux ont un relief étonnant.

LE CARAVAGE SAINT JERÔME – GALERIE BORGHESE – CARAVAGGIO San Gerolamo 1606 – 卡拉瓦乔

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Caravaggio San Gerolamo
卡拉瓦乔
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 Photo Galerie Borghèse Jacky Lavauzelle

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LE CARAVAGE
Michelangelo Merisi da Caravaggio
米开朗基罗·梅里西·达·卡拉瓦乔
CARAVAGGIO
卡拉瓦乔
1571-1610

Le Caravage Caravaggio 1571 1610

SAN GEROLAMO
San Geronimo – San Girolamo
saint Jérôme
Jérôme de Stridon
(347-420)
圣杰罗拉莫
1605-1606
moine, traducteur de la Bible, docteur de l’Église et l’un des quatre pères de l’Église latine

Saint Jérôme Caravaggio san Gerolamo Galleria Borghese Galerie Borghèse artgitato

MICHEL-ANGE DE CARAVAGE

Michel-Ange Mérigi, connu sous le nom de Michel-Ange de Caravage, un des peintres les plus originaux de l’Italie, eut pendant longtemps une vogue prodigieuse : on peut le regarder comme l’inventeur d’une manière qui trouva de nombreux imitateurs. Ceux qui l’ont exactement suivie, et ceux qui, en l’imitant, ont conservé leur caractère propre, auront toujours moins de célébrité que lui. Très-fort dans quelques parties de la peinture, très-foible dans d’autres, il fut admiré de beaucoup de gens, et peu senti et déchiré par beaucoup d’autres.
Sur une surface plate donner aux objets la rondeur et la saillie qu’ils ont dans la nature, et offrir cette saillie de la manière la plus piquante que la nature puisse la présenter elle-même …
Jean-Joseph Taillasson
Observations sur quelques grands peintres
Teniers – Le Caravage

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L’article de la Première édition de l’Encyclopédie sur Le Caravage
*

Le Blond, Jaucourt, d’Alembert, Mallet, Boucher d’Argis, Blondell, Bourgelat, Pâris de Meyzieu
L’Encyclopédie Première édition – 1751 – Tome 5 pp. 303-337

Michel Ange de Caravage, (appellé communément Michel Ange Amérigi) naquit en 1569 au château de Caravage, situé dans le Milanes, & mourut en 1609. Ce peintre s’est rendu très-illustre par une maniere extrèmement forte, vraie, & d’un grand effet, de laquelle il est auteur. Il peignoit tout d’après nature, dans une chambre où la lumiere venoit de fort haut. Comme il a exactement suivi ses modeles, il en a imité les défauts & les beautés : car il n’avoit point d’autre idée que l’effet du naturel présent.

Son dessein étoit de mauvais goût ; il n’observoit ni perspective, ni dégradation ; ses attitudes sont sans choix, ses draperies mal jettées ; il n’a connu ni les graces, ni la noblesse ; il peignoit ses figures avec un teint livide, des yeux farouches, & des cheveux noirs. Cependant tout étoit ressenti ; il détachoit ses figures, & leur donnoit du relief par un savant artifice du clair-obscur, par un excellent goût de couleurs, par une grande vérité, par une force terrible, & par un pinceau moëlleux, qui ont rendu son nom extrèmement célebre.

Le caractere de ce peintre, semblable à ses ouvrages, s’est toûjours opposé à son bonheur. Il eut une affaire fâcheuse à Milan ; il en eut une autre à Rome avec le Josépin ; il insulta à Malte un chevalier de l’ordre ; en un mot il se fit des affaires avec tout le monde, fut misérable toute sa vie, & mourut sans secours sur un grand chemin. Il mangeoit seul à la taverne, où n’ayant pas un jour de quoi payer, il peignit l’enseigne du cabaret, qui fut vendue une somme considérable.

Ses desseins sont heurtés d’une grande maniere, la couleur y est rendue ; un goût bisarre, la nature imitée avec ses défauts, des contours irréguliers, & des draperies mal jettées, peuvent les caractériser.

Ses portraits sont très-bons. Le roi de France a celui du grand maître de Vignacourt que ce peintre fit à Malte. Il y a, je crois, un de ses tableaux aux Dominicains d’Anvers, que Rubens appelloit son maître. On vante singulierement un cupidon du Caravage, & son tableau de l’incrédulité de S. Thomas, qu’il a gravé lui-même. Mais que dirons-nous de son Prométhée attaché au rocher ? on ne peut regarder un moment cette peinture sans détourner la vûe, sans frissonner, sans ressentir une impression qui approche de celle que l’objet même auroit produite.

Le Caravage a fait pendant son séjour à Malte, pour l’église de ce lieu, la décollation de S. Jean. Le grand autel de l’église de S. Louis à Rome, est peint par le Caravage ; il a peint un Christ porté au sépulchre, dans l’église de sainte Marie in Vallicella. Tous ces morceaux ont un relief étonnant.

Wolfgang HEIMBACH – UOMO CON LUCERNA – 1645/1650 – 沃尔夫冈·海姆巴赫 – L’HOMME A LA BOUGIE

ROME – ROMA – 罗马
WOLFGANG HEIMBACH
Uomo con lucerna
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 Photo Galerie Borghèse Jacky Lavauzelle

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WOLFGANG HEIMBACH
沃尔夫冈·海姆巴赫
1615-1678

 Wolfgang_Heimbac,_self-portrait auto portrait autoritratto 1666

UOMO CON LUCERNA
男子用蜡烛
L’Homme à la bougie
1645 – 1650

OLIO SU TELA
Huile sur toile
布面油画
45×35

Wolfgang Heimbach Uomo con Lucerna L'Homme à la lanterne artgitato Villa Borghese (1)

Uomo con lucerna

On commença par mettre de la nuit
Si comincia mettere la notte
Des pointes de nuit sur des taches de vie
Picchi di notte sui punti di vita
Et dans le cœur de la nuit un cachot
E nel cuore della notte una prigione
Au fond du cachot se nichait le malheur
Al fondo della prigione, la disgrazia
Et dans ce malheur entra une lumière
E in questa disgrazia, una luce è venuto
Une étincelle désolée pliée si petite
Un piegato così piccola scintilla dispiace
Et dans le mal qui nous usait si intense
L’homme à la bougie avançait
L’uomo con lucerna camminava
Une paume de clarté et des yeux
Palm chiaro e gli occhi
Deux yeux ouvrant les ténèbres
Due piccoli occhi persi nel buio
Un point de départ à nouveau
Nuovo Un punto di partenza
Niché dans l’esprit de la Galerie
Immerso nello spirito della Galleria
Tranquille dans le blanc
Tranquillo in bianco
De David, dans le blanc de la Vérité.
David, nel bianco della Verità.

Poème de Jacky Lavauzelle

RUBENS SUZANNE ET LES VIEILLARDS SUSANNA E I Vecchioni 彼得·保罗·鲁本斯 1607 苏珊娜和长者

ROME – ROMA – 罗马
Rubens Suzanne et les vieillards
苏珊娜和长者
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 Photo Galerie Borghèse Jacky Lavauzelle

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PIERRE PAUL RUBENS
PETER PAUL RUBENS
彼得·保罗·鲁本斯
PIETER PAUL RUBENS
1577-1640

SUZANNE ET LES VIEILLARDS
SUSANNE ET LES VIEILLARDS
苏珊娜和长者
SUSANNA E I VECCHIONI

olio su tela
huile sur toile
1607

Rubens Suzanne et les vieillards Suzanna e i vecchioni Galleria Borghese roma Galerie Borghese Rome artgitato 2

Vulgate
Biblia Sacra Vulgata (Stuttgartensia)
Vetus Testamentum
Livre de Daniel
13ème chapitre
De liberatione castae Susannae
De la libération de la chaste Suzanne
Histoire de Susanne
Passage deutérocanonique








  1. Il y avait un homme qui demeurait à Babylone, et son nom était Joakim.
  2. Il prit une femme nommée Susanne, fille d’Helcias, d’une grande beauté et craignant Dieu ;
  3. car ses parents, qui étaient justes, avaient instruit leur fille selon la loi de Moïse.
  4. Or Joakim était fort riche, et il avait un jardin près de sa maison, et les Juifs affluaient chez lui, parce qu’il était le plus honorable de tous.
  5. On avait établi juges cette année-là deux anciens d’entre le peuple, dont le Maître a dit : « L’iniquité est sortie de Babylone par des vieillards qui étaient juges, qui paraissaient régir le peuple. »
  6. Ils fréquentaient la maison de Joakim, et tous ceux qui avaient des différends se rendaient auprès d’eux.
  7. Vers le milieu du jour, lorsque le peuple s’était retiré, Susanne entrait dans le jardin de son mari et s’y promenait.
  8. Les deux vieillards la voyaient chaque jour y entrer et s’y promener, et ils conçurent pour elle une ardente passion.
  9. Ils pervertirent leur sens et détournèrent leurs yeux pour ne pas voir le ciel et ne pas se souvenir des justes jugements de Dieu.
  10. Ils étaient donc blessés d’amour pour elle, mais ils ne se communiquaient pas mutuellement leur souffrance,
  11. car ils avaient honte de révéler l’un à l’autre la passion qui leur faisait désirer d’être avec elle.
  12. Ils l’observaient chaque jour avec soin pour la voir, et ils se dirent l’un à l’autre :
  13. « Allons chez nous, c’est l’heure du dîner. » Et ils sortirent et se séparèrent.
  14. Mais étant revenus sur leurs pas, ils se rencontrèrent, et s’étant demandé le motif de leur retour, ils s’avouèrent leur passion ; puis ils convinrent entre eux du moment où ils pourraient la trouver seule.
  15. Comme ils épiaient un jour convenable, il arriva que Suzanne entra dans le jardin, comme elle l’avait fait la veille et l’avant-veille, sans autre compagnie que deux jeunes filles ; elle voulut se baigner dans le jardin, car il faisait chaud.
  16. Il n’y avait là personne, sinon les deux vieillards, qui s’étaient cachés et qui l’épiaient.
  17. Elle dit aux jeunes filles : « Apportez-moi de l’huile parfumée et des onguents, et fermez les portes du jardin, afin que je me baigne. »
  18. Elles firent ce que Suzanne avait commandé et, ayant fermé la porte du jardin, elles sortirent par une porte de derrière, pour apporter ce qui leur avait été demandé ; elles ne savaient pas que les vieillards étaient cachés dans le jardin.
  19. Dès que les jeunes filles furent sorties, les deux vieillards se levèrent, coururent à Susanne et lui dirent :
  20. « Vois, les portes du jardin sont fermées, personne ne nous aperçoit, et nous brûlons d’amour pour toi ; consens donc à notre désir et sois à nous.
  21. Si non, nous nous porterons témoins contre toi, et nous dirons qu’un jeune homme était avec toi, et que c’est pour cela que tu as renvoyé les jeunes filles. »
  22. Susanne soupira et dit : « Du tous côtés l’angoisse m’environne. Si je fais cela, c’est la mort pour moi, et si je ne le fais pas, je n’échapperai pas de vos mains.
  23. Mais il vaut mieux pour moi tomber entre vos mains sans avoir fait le mal que de pécher en présence du Seigneur. »
  24. Alors Susanne jeta un grand cri, et les deux vieillards crièrent aussi contre elle.
  25. Et l’on d’eux courut ouvrir les portes du jardin.
  26. Quand les serviteurs de la maison entendirent les cris poussés dans le jardin, ils se précipitèrent par la porte de derrière pour voir ce qu’il y avait.
  27. Lorsque les vieillards se furent expliqués, les serviteurs eurent grande honte, parce qu’on n’avait jamais dit chose semblable de Susanne.
  28. Le lendemain, le peuple s’étant rassemblé chez Joakim, mari de Susanne, les deux vieillards y vinrent aussi, tout remplis de pensées méchantes contre elle, afin de la faire périr.
  29. Ils dirent devant le peuple : « Envoyez chercher brillante, fille d’Helcias, femme de Joakim. » Et on envoya aussitôt.
  30. Elle vint avec ses parents, ses fils et tous ses proches.
  31. Or Suzanne, avait les traits délicats et une grande beauté.
  32. Comme elle était voilée, les juges méchants commandèrent qu’on lui ôtât son voile, pour se rassasier de sa beauté.
  33. Mais tous les siens et tous ceux qui la connaissaient versaient des larmes.
  34. Les deux vieillards, se levant au milieu du peuple, mirent leurs mains sur sa tête.
  35. Elle, en pleurant, regarda vers le ciel, car son cœur avait confiance dans le Seigneur.
  36. Les vieillards dirent : « Comme nous nous promenions seuls dans le jardin, elle est entrée avec deux jeunes filles et, après avoir fait fermer les portes du jardin, elle a renvoyé les jeunes filles.
  37. Et un jeune homme qui était caché est venu à elle et a fait le mal avec elle.
  38. Nous étions dans un coin du jardin ; en voyant le crime, nous avons couru à eux, et nous les avons vus dans cette infamie.
  39. Nous n’avons pu prendre le jeune homme, parce qu’il était plus fort que nous, et qu’ayant ouvert la porte, il s’est échappé.
  40. Mais elle, après l’avoir prise, nous lui avons demandé quel était ce jeune homme, et elle n’a pas voulu nous le dire. Voilà ce que nous attestons. »
  41. La foule les crut, parce que c’étaient des vieillards et des juges du peuple, et ils la condamnèrent à mort.
  42. Alors Susanne s’écria à haute voix et dit : « Dieu éternel, qui connaissez ce qui est caché et qui savez toutes choses avant qu’elles n’arrivent,
  43. vous savez qu’ils ont rendu un faux témoignage contre moi ; et voici que je meurs, sans avoir rien fait de ce qu’ils ont méchamment inventé contre moi. »
  44. Le Seigneur entendit sa voix.
  45. Comme on la conduisait à la mort, Dieu éveilla l’esprit saint d’un jeune enfant nommé Daniel.
  46. Il cria à haute voix : « Pour moi, je suis pur du sang de cette femme ! »
  47. Tout le peuple se tourna vers lui et lui dit : « Que signifie cette parole que tu dis-là ? »
  48. Daniel, se tenant au milieu d’eux, dit : Etes-vous donc insensés à ce point, enfants d’Israël, de faire mourir une fille d’Israël sans examen, sans chercher à connaître la vérité ?
  49. Retournez au tribunal, car ils ont rendu un faux témoignage contre elle. »
  50. Alors le peuple retourna en hâte, et les anciens dirent à Daniel :
  51. « Viens, prends place au milieu de nous, et expose-nous ton avis, car Dieu t’a donné l’honneur de la vieillesse. » Daniel dit au peuple : « Séparez-les loin l’un de l’autre, et je les jugerai. »
  52. Quand ils furent séparés l’un de l’autre, Daniel en appela un et lui dit : « Homme vieilli dans le crime, les péchés que tu as commis autrefois sont maintenant venus sur toi,
  53. toi qui rendais des jugements injustes, qui condamnais les innocents et relâchais les coupables, quand le Seigneur a dit : Tu ne feras pas mourir l’innocent et le juste.
  54. Eh bien, si tu l’as vue, dis sous quel arbre tu les as vus s’entretenant ensemble. » Il répondit : « Sous un lentisque. »
  55. Daniel dit « Justement tu dis un mensonge pour ta perte ; car l’ange de Dieu qui a déjà reçu l’arrêt divin va te fendre par le milieu. »
  56. Après l’avoir renvoyé, il ordonna d’amener l’autre, et il lui dit « Race de Chanaan, et non de Juda, la beauté d’une femme t’a séduit et la passion a perverti ton cœur.
  57. C’est ainsi que vous en agissiez avec les filles d’Israël, et elles, ayant peur de vous, vous parlaient ; mais une fille de Juda n’a pu souffrir votre iniquité.
  58. Dis-moi donc maintenant sous quel arbre tu les as surpris s’entretenant ensemble. »
  59. Il dit : « Sous un chêne. » Daniel lui dit : « Justement tu as dit, toi aussi, un mensonge pour ta perte ; car l’ange du Seigneur attend, le glaive en main, le moment de te couper par le milieu, afin de vous faire mourir. »
  60. Alors toute l’assemblée jeta un grand cri, et ils bénirent Dieu qui sauve ceux qui espèrent en lui.
  61. Puis ils s’élevèrent contre les deux vieillards, que Daniel avait convaincus par leur propre bouche d’avoir rendu un faux témoignage, et ils leur firent le mal qu’eux-mêmes avaient voulu faire à leur prochain ;
  62. afin d’accomplir la loi de Moïse, et ils les firent donc mourir, et le sang innocent fut sauvé en ce jour-là.
  63. Helcias et sa femme louèrent Dieu au sujet de leur fille Susanne, avec Joakim, son mari, et tous ses parents, parce qu’il ne s’était trouvé en elle rien de déshonnête.
  64. Et Daniel devint grand devant le peuple, à partir de ce jour et dans la suite des temps.
  65. Le roi Astyage ayant été réuni à ses pères, Cyrus le Perse reçut le royaume.

13:1 et erat vir habitans in Babylone et nomen eius Ioachim
13:2 et accepit uxorem nomine Susannam filiam Chelciae pulchram nimis et timentem Dominum
13:3 parentes enim illius cum essent iusti erudierunt filiam suam secundum legem Mosi
13:4 erat autem Ioachim dives valde et erat ei pomerium vicinum domus suae et ad ipsum confluebant Iudaei eo quod esset honorabilior omnium
13:5 et constituti sunt duo senes iudices in anno illo de quibus locutus est Dominus quia egressa est iniquitas de Babylone a senibus iudicibus qui videbantur regere populum
13:6 isti frequentabant domum Ioachim et veniebant ad eos omnes qui habebant iudicia
13:7 cum autem populus revertisset per meridiem ingrediebatur Susanna et deambulabat in pomerio viri sui
13:8 et videbant eam senes cotidie ingredientem et deambulantem et exarserunt in concupiscentia eius
13:9 et everterunt sensum suum et declinaverunt oculos suos ut non viderent caelum neque recordarentur iudiciorum iustorum
13:10 erant ergo ambo vulnerati amore eius nec indicaverunt sibi vicissim dolorem suum
13:11 erubescebant enim indicare concupiscentiam suam volentes concumbere cum ea
13:12 et observabant cotidie sollicitius videre eam dixitque alter ad alterum
13:13 eamus domum quia prandii hora est et egressi recesserunt a se
13:14 cumque revertissent venerunt in unum et sciscitantes ab invicem causam confessi sunt concupiscentiam suam et tunc in commune statuerunt tempus quando eam possent invenire solam
13:15 factum est autem cum observarent diem aptum ingressa est aliquando sicut heri et nudius tertius cum duabus solis puellis voluitque lavari in pomerio aestus quippe erat
13:16 et non erat ibi quisquam praeter duos senes absconditos et contemplantes eam
13:17 dixit ergo puellis adferte mihi oleum et smegmata et ostia pomerii claudite ut lavem
13:18 et fecerunt sicut praeceperat clauseruntque ostia pomerii et egressae sunt per posticium ut adferrent quae iusserat nesciebantque senes intus esse absconditos
13:19 cum autem egressae essent puellae surrexerunt duo senes et adcurrerunt ad eam et dixerunt
13:20 ecce ostia pomerii clausa sunt et nemo nos videt et in concupiscentia tui sumus quam ob rem adsentire nobis et commiscere nobiscum
13:21 quod si nolueris dicemus testimonium contra te quod fuerit tecum iuvenis et ob hanc causam emiseris puellas a te
13:22 ingemuit Susanna et ait angustiae mihi undique si enim hoc egero mors mihi est si autem non egero non effugiam manus vestras
13:23 sed melius mihi est absque opere incidere in manus vestras quam peccare in conspectu Domini
13:24 et exclamavit voce magna Susanna exclamaverunt autem et senes adversus eam
13:25 et cucurrit unus et aperuit ostia pomerii
13:26 cum ergo audissent clamorem in pomerio famuli domus inruerunt per posticam ut viderent quidnam esset
13:27 postquam autem senes locuti sunt erubuerunt servi vehementer quia numquam dictus fuerat sermo huiuscemodi de Susanna et facta est dies crastina
13:28 cumque venisset populus ad virum eius Ioachim venerunt et duo presbyteri pleni iniqua cogitatione adversum Susannam ut interficerent eam
13:29 et dixerunt coram populo mittite ad Susannam filiam Chelciae uxorem Ioachim et statim miserunt
13:30 et venit cum parentibus et filiis et universis cognatis suis
13:31 porro Susanna erat delicata nimis et pulchra specie
13:32 at iniqui illi iusserunt ut discoperiretur erat enim cooperta ut vel sic satiarentur decore eius
13:33 flebant igitur sui et omnes qui noverant eam
13:34 consurgentes autem duo presbyteri in medio populi posuerunt manus super caput eius
13:35 quae flens suspexit ad caelum erat enim cor eius fiduciam habens in Domino
13:36 et dixerunt presbyteri cum deambularemus in pomerio soli ingressa est haec cum duabus puellis et clausit ostia pomerii et dimisit puellas
13:37 venitque ad eam adulescens qui erat absconditus et concubuit cum ea
13:38 porro nos cum essemus in angulo pomerii videntes iniquitatem cucurrimus ad eos et vidimus eos pariter commisceri
13:39 et illum quidem non quivimus conprehendere quia fortior nobis erat et apertis ostiis exilivit
13:40 hanc autem cum adprehendissemus interrogavimus quisnam esset adulescens et noluit indicare nobis huius rei testes sumus
13:41 credidit eis multitudo quasi senibus populi et iudicibus et condemnaverunt eam ad mortem
13:42 exclamavit autem voce magna Susanna et dixit Deus aeterne qui absconditorum es cognitor qui nosti omnia antequam fiant
13:43 tu scis quoniam falsum contra me tulerunt testimonium et ecce morior cum nihil horum fecerim quae isti malitiose conposuerunt adversum me
13:44 exaudivit autem Dominus vocem eius
13:45 cumque duceretur ad mortem suscitavit Deus spiritum sanctum pueri iunioris cuius nomen Danihel
13:46 et exclamavit voce magna mundus ego sum a sanguine huius
13:47 et conversus omnis populus ad eum dixit quis est sermo iste quem tu locutus es
13:48 qui cum staret in medio eorum ait sic fatui filii Israhel non iudicantes neque quod verum est cognoscentes condemnastis filiam Israhel
13:49 revertimini ad iudicium quia falsum testimonium locuti sunt adversum eam
13:50 reversus est ergo populus cum festinatione et dixerunt ei senes veni et sede in medio nostrum et indica nobis quia tibi dedit Deus honorem senectutis
13:51 et dixit ad eos Danihel separate illos ab invicem procul et diiudicabo eos
13:52 cum ergo divisi essent alter ab altero vocavit unum de eis et dixit ad eum inveterate dierum malorum nunc venerunt peccata tua quae operabaris prius
13:53 iudicans iudicia iniusta innocentes opprimens et dimittens noxios dicente Domino innocentem et iustum non interficies
13:54 nunc ergo si vidisti eam dic sub qua arbore videris eos loquentes sibi qui ait sub scino
13:55 dixit autem Danihel recte mentitus es in caput tuum ecce enim angelus Dei accepta sententia ab eo scindet te medium
13:56 et amoto eo iussit venire alium et dixit ei semen Chanaan et non Iuda species decepit te et concupiscentia subvertit cor tuum
13:57 sic faciebatis filiabus Israhel et illae timentes loquebantur vobis sed non filia Iuda sustinuit iniquitatem vestram
13:58 nunc ergo dic mihi sub qua arbore conprehenderis eos loquentes sibi qui ait sub prino
13:59 dixit autem ei Danihel recte mentitus es et tu in caput tuum manet enim angelus Dei gladium habens ut secet te medium et interficiat vos
13:60 exclamavit itaque omnis coetus voce magna et benedixerunt Deo qui salvat sperantes in se
13:61 et consurrexerunt adversum duos presbyteros convicerat enim eos Danihel ex ore suo falsum dixisse testimonium feceruntque eis sicuti male egerant adversum proximum
13:62 ut facerent secundum legem Mosi et interfecerunt eos et salvatus est sanguis innoxius in die illa
13:63 Chelcias autem et uxor eius laudaverunt Deum pro filia sua Susanna cum Ioachim marito eius et cognatis omnibus quia non esset inventa in ea res turpis
13:64 Danihel autem factus est magnus in conspectu populi a die illa et deinceps
13:65 et rex Astyages adpositus est ad patres suos et suscepit Cyrus Perses regnum eius

************************
L’article de la Première édition de l’Encyclopédie sur Rubens
*

Le Blond, Jaucourt, d’Alembert, Mallet, Boucher d’Argis, Blondell, Bourgelat, Pâris de Meyzieu
L’Encyclopédie Première édition – 1751 – Tome 5 pp. 303-337 

Rubens (Pierre-Paul) originaire d’Anvers, d’une très-bonne famille, naquit à Cologne en 1577, & mourut à Anvers en 1640. C’est le restaurateur de l’école flamande, le Titien & le Raphael des Pays-bas. On connoît sa vie privée ; elle est illustre, mais nous la laissons à part.

Un goût dominant ayant porté Rubens à la Peinture, il le perfectionna en Italie, & y prit une maniere qui lui fut propre. Son génie vaste le rendit capable d’exécuter tout ce qui peut entrer dans la riche composition d’un tableau, par la connoissance qu’il avoit des Belles Lettres, de l’Histoire & de la Fable. Il inventoit facilement, & son imagination lui fournissoit plusieurs ordonnances également belles. Ses attitudes sont variées, & ses airs de têtes sont d’une beauté singuliere. Il y a dans ses idées une abondance, & dans ses expressions une vivacité surprenante. Son pinceau est moëlleux, ses touches faciles & legeres ; ses carnations fraîches, & ses draperies jettées avec art.

Il a traité supérieurement l’Histoire ; il a ouvert le bon chemin du coloris, n’ayant point trop agité ses teintes en les mêlant, de peur que venant à se corrompre par la grande fonte de couleurs, elles ne perdissent trop leur éclat. D’ailleurs la plûpart de ses ouvrages étant grands, & devant par conséquent être vus de loin, il a voulu y conserver le caractere des objets & la fraîcheur des carnations. Enfin on ne peut trop admirer son intelligence du clair-obscur, l’éclat, la force, l’harmonie & la vérité qui regnent dans ses compositions.

Si l’on considere la quantité étonnante de celles que cet homme célebre a exécutées, & dont on a divers catalogues, on ne sera pas surpris de trouver souvent des incorrections dans ses figures ; mais quoique la nature entraînât plus Rubens que l’antique, il ne faut pas croire qu’il ait été peu savant dans la partie du Dessein ; il a prouvé le contraire par divers morceaux dessinés d’un goût & d’une correction que les bons peintres de l’école romaine ne desavoueroient pas.

Ses ouvrages sont répandus par-tout, & la ville d’Anvers a mérité la curiosité des étrangers par les seuls tableaux de ce rare génie. On vante en particulier singulierement celui qu’elle possede du crucifiement de Notre Seigneur entre les deux larrons.

Dans ce chef-d’œuvre de l’art, le mauvais larron qui a eu sa jambe meurtrie par un coup de barre de fer dont le bourreau l’a frappé, se soûleve sur son gibet ; & par cet effort qu’a produit la douleur, il a forcé la tête du clou qui tenoit le pié attaché au poteau funeste : la tête du clou est même chargée des dépouilles hideuses qu’elle a emportées en déchirant les chairs du pié à-travers lequel elle a passé. Rubens qui savoit si-bien en imposer à l’œil par la magie de son clair-obscur, fait paroître le corps du larron sortant du coin du tableau dans cet effort, & ce corps est encore la chair la plus vraie qu’ait peint ce grand coloriste. On voit de profil la tête du supplicié, & sa bouche, dont cette situation fait encore mieux remarquer l’ouverture énorme ; ses yeux dont la prunelle est renversée, & dont on n’apperçoit que le blanc sillonné de veines rougeâtres & tendues ; enfin l’action violente de tous les muscles de son visage, font presque oüir les cris horribles qu’il jette. Reflex. sur la Peint. tome I.

Mais les peintures de la galerie du Luxembourg, qui ont paru gravées au commencement de ce siecle, & qui contiennent vingt-un grands tableaux & trois portraits en pié, ont porté la gloire de Rubens par tout le monde ; c’est aussi dans cet ouvrage qu’il a le plus développé son caractere & son génie. Personne n’ignore que ce riche & superbe portique, semblable à celui de Versailles, est rempli de beautés de dessein, de coloris, & d’élégance dans la composition. On ne reproche à l’auteur trop ingénieux, que le grand nombre de ses figures allégoriques, qui ne peuvent nous parler & nous intéresser ; on ne les devine point sans avoir à la main leur explication donnée par Félibien & par M. Moreau de Mautour. Or il est certain que le but de la Peinture n’est pas d’exercer notre imagination par des énigmes ; son but est de nous toucher & de nous émouvoir. Mon sentiment là-dessus, conforme à celui de l’abbé du Bos, est si vrai, que ce que l’on goûte généralement dans les galeries du Luxembourg & de Versailles, est uniquement l’expression des passions. « Telle est l’expression qui arrête les yeux de tous les spectateurs sur le visage de Marie de Medicis qui vient d’accoucher ; on y apperçoit distinctement la joie d’avoir mis au monde un dauphin, à-travers les marques sensibles de la douleur à laquelle Eve fut condamnée ».

Au reste M. de Piles, admirateur de Rubens, a donné sa vie, consultez-la.

 

RUBENS Deposizione nel Sepolcro – Le Saint-Sépulcre – La Mise au Tombeau – Sepoltura Borghese – 沉积在圣墓 – GALLERIA BORGHESE – 博吉斯画廊

ROME – ROMA – 罗马
沉积在圣墓
Rubens Deposizione nel Sepolcro
LA VILLA BORGHESE
博吉斯画廊

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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GALLERIA BORGHESE
博吉斯画廊
La Galerie Borghèse

Pianto sul Cristo Morto Pier Peter Paul Rubens 1602 artgitato Galleria Borghese

PIERRE PAUL RUBENS
PETER PAUL RUBENS
彼得·保罗·鲁本斯
PIETER PAUL RUBENS
1577-1640

Sepoltura Borghese
Compianto sul corpo di Cristo deposto
Lamentation sur le corps du Christ
1605 – 1606
Deposizione nel sepolcro
Déposition dans le sépulcre

沉积在圣墓

Tableau probablement élargi à la fin du XVIIIe siècle
Ampliato presumibilmente alla fine del XVIII secolo

Peinture Huile sur Toile
dipinto a olio su tela
180×137

 » Raphaël, Rubens ne cherchaient pas les idées ; elles venaient à eux d’elles-mêmes, et même en trop grand nombre. Le travail ne s’applique guère à les faire naître, mais à les rendre le mieux possible par l’exécution. »
15 février 1852
Journal d’Eugène Delacroix
Texte établi par Paul Flat, René Piot
Plon, 1893
Tome 2 Pages 82-83

 

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TERTULLIEN
De la Chair de Jésus-Christ
Traduction par  Antoine-Eugène Genoud
Œuvres complètes de Tertullien
Louis Vivès, 1852, Tome 1  – pp. 389-433

I. Ceux qui, cherchant à ébranler la foi à la résurrection, que l’on avait crue fermement jusqu’à ces modernes Sadducéens, prétendent que cette espérance n’appartient point à la chair, ont raison de mettre en question la chair de Jésus-Christ, et de soutenir ou qu’elle n’existe pas, ou qu’elle est tout autre chose que la chair de l’homme. Ils craignent que s’il est prouvé une fois que cette chair est semblable à la nôtre, il n’en sorte contre eux la présomption que cette chair, ressuscitée en Jésus-Christ, ressuscitera infailliblement dans les hommes. Il faut donc soutenir la réalité de la chair avec les mêmes arguments qui servent à la renverser. Examinons quelle est la substance corporelle du Seigneur. Quant à sa substance spirituelle, tout le monde est d’accord. Il ne s’agit que de sa chair. On dispute de sa vérité, de sa nature, de son existence, de son principe, de ses qualités. Sa réalité deviendra le gage de notre résurrection. Marcion, voulant nier la chair du Christ, a nié aussi sa naissance : ou, voulant nier sa naissance, a nié également sa chair, sans doute de peur que la naissance et la chair ne se rendissent témoignage dans leur mutuelle correspondance, puisqu’il n’y a point de naissance sans la chair, ni de chair sans la naissance ! Comme si, en vertu des droits que s’arroge l’hérésie, il n’avait pas pu, ou nier la naissance en admettant la chair, ainsi que l’a fait Apelles, son disciple, et depuis son déserteur ; ou bien, tout en confessant la chair et la naissance, leur donner une autre interprétation, avec Valentin, autre disciple et déserteur de Marcion. Mais qui a pu soutenir le premier, que la chair de Jésus-Christ était imaginaire, a bien pu supposer aussi que sa naissance n’était qu’un fantôme ; de même que la conception, la grossesse, l’enfantement d’une vierge, et successivement toute la vie de cet enfant, une chimère. Toutes ces circonstances auraient trompé les mêmes yeux et les mêmes sens qu’avait déjà fermés l’illusion de la chair.

 Pierre Peter Pieter Rubens_Deposition nel sepolcro - Déposition dans le sépulcre

Emile Verhaeren
Les Héros
Deman – 1808 Pages 67-73

Rubens

 

Ton art énorme est tel qu’un débordant jardin
— Feuillages d’or, buissons en sang, taillis de flamme —
D’où surgissent, d’entre les fleurs rouges, tes femmes
Tendant leur corps massif vers les désirs soudains

Et s’exaltant et se mêlant, larges et blondes,
Au cortège des Ægipans et des Sylvains
Et du compact Silène enflé d’ombre et de vin
Dont les pas inégaux battent le sol du monde.

Ô leurs bouquets de chair, leurs guirlandes de bras,
Leurs flancs fermes et clairs comme de grands fruits lisses
Et le pavois bombé des ventres et des cuisses
Et l’or torrentiel des crins sur leurs dos gras !

Que tu peignes les amazones des légendes
Ou les reines ou les saintes des paradis,
Toutes ont pris leur part de volupté, jadis,
Dans la balourde et formidable sarabande.

Le rut universel que la terre dardait
Du fond de ses forêts au vent du soir pâmées
À ses tisons rôdeurs les avait allumées
En ses taillis profonds ou ses antres secrets.

Et tes bourreaux et tes martyrs et ton Dieu même
Semblent fleuris de sang, et leurs muscles tordus
Sont des grappes de force à leurs gibets pendus
Sous un ouragan fou de pleurs et de blasphèmes.

Si bien que grossissant la vie, et l’ameutant
Du grand tumulte clair des couleurs et des lignes,
Tu fais ce que jamais tes émules insignes
N’avaient osé faire ou rêver, avant ton temps.

Oh ! le dompteur de joie épaisse, ardente et saine,
Oh ! l’ivrogne géant du colossal festin
Où circulaient les coupes d’or du vieux destin
Serrant en leurs parois toute l’ivresse humaine.

Ta bouche sensuelle et gourmande, d’un trait,
Avec un cri profond les a toutes vidées,
Et les œuvres naissaient du flux montant d’idées
Que ces vins éternels vers ton cerveau jetaient.

II

Tu es celui — le tard venu — parmi les maîtres
Qui d’une prompte main, mais d’un fervent regard,
D’abord demande à tous une fleur de leur art
Pour qu’en ton œuvre à toi tout l’art puisse apparaître.

Mais si tu prends, c’est pour donner plus largement :
Aux horizons pleins de roses que tu dévastes,
Lorsque tu t’es conquis enfin, ton geste vaste
Soudain, au lieu de fleurs, allume un firmament.

Les rois aiment ton goût de richesse ordonnée.
Tu l’imposes puissant, replet, fouillé, profond
Et Versailles le tord encor en ses plafonds
Où sont peintes, lauriers au front, les Destinées.

Il déborde, il perdure excessif et charmant ;
Il s’installe, parmi les bois et les terrasses,
Et les femmes de joie élégantes et grasses
En instruisent Watteau, au bras de leurs amants.

Et te voici parti vers les Londres funèbres.
En des palais obscurs dont a peur le soleil,
Pour y fixer cet art triomphal et vermeil
Comme une vigne d’or sur des murs de ténèbres.

Et quand tu t’en reviens vers ta vieille cité,
Le front déjà marqué par le destin suprême.
Nul ne peut plus douter que tu ne sois toi-même
L’infaillible ouvrier de ton éternité.

III

Alors la gloire entière est ton bien et ta proie,
Tu la domptes, tu la lèches et tu la mords ;
Jamais un tel amour n’a angoissé la mort
Ni tant de violence enfanté de la joie.

Tu rentres comme un roi en ta large maison,
Toute la Flandre est tienne, ainsi qu’est tien le monde ;
Tu lui prends pour l’aimer sa fille la plus blonde
Dont le nom est doré comme un flot de moisson.

Tu ressuscites tout : l’Empyrée et l’Abîme ;
Et les anges, pareils à des thyrses d’éclairs ;
Et les monstres aigus, rongeant des blocs de fer ;
Et tout au loin, là-bas, les Golgothas sublimes ;

Et l’Olympe et les Dieux, et la Vierge et les Saints ;
L’Idylle ou la bataille atroce et pantelante ;
Les eaux, le sol, les monts, les forêts violentes
Et la force tordue en chaque espoir humain.

Ton grand rêve exalté est comme un incendie
Où tes mains saisiraient des torches pour pinceaux
Et capteraient la vie immense en des réseaux
De feux enveloppants et de flammes brandies.

Que t’importe qu’aux horizons fous et hagards,
Tel autre nom, jadis fameux et clair, s’efface,
Pour toi, c’est à jamais que le temps et l’espace
Retentissent des bonds dont les troua ton art.

Conservateur fougueux de ta force première,
Rien ne te fut ruine, ou chute, ou désavœu ;
Toujours tu es resté trop sûrement un Dieu
Pour que la mort, un jour, éteigne ta lumière.

Et tu dors à Saint Jacque, au bruit des lourds bourdons ;
Et sur ta dalle unie ainsi qu’une palette,
Un vitrail criblé d’or et de soleil, projette
Encor des tons pareils à de rouges brandons.

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L’article de la Première édition de l’Encyclopédie sur Rubens
*

Le Blond, Jaucourt, d’Alembert, Mallet, Boucher d’Argis, Blondell, Bourgelat, Pâris de Meyzieu
L’Encyclopédie Première édition – 1751 – Tome 5 pp. 303-337 

Rubens (Pierre-Paul) originaire d’Anvers, d’une très-bonne famille, naquit à Cologne en 1577, & mourut à Anvers en 1640. C’est le restaurateur de l’école flamande, le Titien & le Raphael des Pays-bas. On connoît sa vie privée ; elle est illustre, mais nous la laissons à part.

Un goût dominant ayant porté Rubens à la Peinture, il le perfectionna en Italie, & y prit une maniere qui lui fut propre. Son génie vaste le rendit capable d’exécuter tout ce qui peut entrer dans la riche composition d’un tableau, par la connoissance qu’il avoit des Belles Lettres, de l’Histoire & de la Fable. Il inventoit facilement, & son imagination lui fournissoit plusieurs ordonnances également belles. Ses attitudes sont variées, & ses airs de têtes sont d’une beauté singuliere. Il y a dans ses idées une abondance, & dans ses expressions une vivacité surprenante. Son pinceau est moëlleux, ses touches faciles & legeres ; ses carnations fraîches, & ses draperies jettées avec art.

Il a traité supérieurement l’Histoire ; il a ouvert le bon chemin du coloris, n’ayant point trop agité ses teintes en les mêlant, de peur que venant à se corrompre par la grande fonte de couleurs, elles ne perdissent trop leur éclat. D’ailleurs la plûpart de ses ouvrages étant grands, & devant par conséquent être vus de loin, il a voulu y conserver le caractere des objets & la fraîcheur des carnations. Enfin on ne peut trop admirer son intelligence du clair-obscur, l’éclat, la force, l’harmonie & la vérité qui regnent dans ses compositions.

Si l’on considere la quantité étonnante de celles que cet homme célebre a exécutées, & dont on a divers catalogues, on ne sera pas surpris de trouver souvent des incorrections dans ses figures ; mais quoique la nature entraînât plus Rubens que l’antique, il ne faut pas croire qu’il ait été peu savant dans la partie du Dessein ; il a prouvé le contraire par divers morceaux dessinés d’un goût & d’une correction que les bons peintres de l’école romaine ne desavoueroient pas.

Ses ouvrages sont répandus par-tout, & la ville d’Anvers a mérité la curiosité des étrangers par les seuls tableaux de ce rare génie. On vante en particulier singulierement celui qu’elle possede du crucifiement de Notre Seigneur entre les deux larrons.

Dans ce chef-d’œuvre de l’art, le mauvais larron qui a eu sa jambe meurtrie par un coup de barre de fer dont le bourreau l’a frappé, se soûleve sur son gibet ; & par cet effort qu’a produit la douleur, il a forcé la tête du clou qui tenoit le pié attaché au poteau funeste : la tête du clou est même chargée des dépouilles hideuses qu’elle a emportées en déchirant les chairs du pié à-travers lequel elle a passé. Rubens qui savoit si-bien en imposer à l’œil par la magie de son clair-obscur, fait paroître le corps du larron sortant du coin du tableau dans cet effort, & ce corps est encore la chair la plus vraie qu’ait peint ce grand coloriste. On voit de profil la tête du supplicié, & sa bouche, dont cette situation fait encore mieux remarquer l’ouverture énorme ; ses yeux dont la prunelle est renversée, & dont on n’apperçoit que le blanc sillonné de veines rougeâtres & tendues ; enfin l’action violente de tous les muscles de son visage, font presque oüir les cris horribles qu’il jette. Reflex. sur la Peint. tome I.

Mais les peintures de la galerie du Luxembourg, qui ont paru gravées au commencement de ce siecle, & qui contiennent vingt-un grands tableaux & trois portraits en pié, ont porté la gloire de Rubens par tout le monde ; c’est aussi dans cet ouvrage qu’il a le plus développé son caractere & son génie. Personne n’ignore que ce riche & superbe portique, semblable à celui de Versailles, est rempli de beautés de dessein, de coloris, & d’élégance dans la composition. On ne reproche à l’auteur trop ingénieux, que le grand nombre de ses figures allégoriques, qui ne peuvent nous parler & nous intéresser ; on ne les devine point sans avoir à la main leur explication donnée par Félibien & par M. Moreau de Mautour. Or il est certain que le but de la Peinture n’est pas d’exercer notre imagination par des énigmes ; son but est de nous toucher & de nous émouvoir. Mon sentiment là-dessus, conforme à celui de l’abbé du Bos, est si vrai, que ce que l’on goûte généralement dans les galeries du Luxembourg & de Versailles, est uniquement l’expression des passions. « Telle est l’expression qui arrête les yeux de tous les spectateurs sur le visage de Marie de Medicis qui vient d’accoucher ; on y apperçoit distinctement la joie d’avoir mis au monde un dauphin, à-travers les marques sensibles de la douleur à laquelle Eve fut condamnée ».

Au reste M. de Piles, admirateur de Rubens, a donné sa vie, consultez-la.

 

LA ZINGARELLA LA BOHEMIENNE NICOLAS CORDIER GALLERIA BORGHESE GALERIE BORGHESE 博吉斯画廊

GROME – ROMA – 罗马
NICOLAS CORDIER
LA ZINGARELLA
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 Photos  Jacky Lavauzelle

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LA GALERIE BORGHESE
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NICOLAS CORDIER
Nicolo Cordieri da Lorena
Nicola Cordigheri
Il Franciosino
1567 – 1612

LA ZINGARELLA La Bohémienne Nicolas Cordier La Villa Borghese artgitato

LA ZINGARELLA
LA BOHEMIENNE
Entre 1607 et 1612

George Sand
CONSUELO
Chapitre XXXIII
Michel Lévy, 1856 Tome I, pp. 292-297

Pour la Zingarella, née sur les grands chemins, et perdue dans le monde, sans autre maître et sans autre protecteur que son propre génie, tant de soucis, d’activité et de contention d’esprit, à propos d’aussi misérables résultats que la conservation et l’entretien de certains objets et de certaines denrées, paraissait un emploi monstrueux de l’intelligence. Elle qui ne possédait rien, et ne désirait rien des richesses de la terre, elle souffrait de voir une belle âme s’atrophier volontairement dans l’occupation de posséder du blé, du vin, du bois, du chanvre, des animaux et des meubles. Si on lui eût offert tous ces biens convoités par la plupart des hommes, elle eût demandé, à la place, une minute de son ancien bonheur, ses haillons, son beau ciel, son pur amour et sa liberté sur les lagunes de Venise ; souvenir amer et précieux qui se peignait dans son cerveau sous les plus brillantes couleurs, à mesure qu’elle s’éloignait de ce riant horizon pour pénétrer dans la sphère glacée de ce qu’on appelle la vie positive.

LA ZINGARELLA La Bohémienne Nicolas Cordier La Villa Borghese artgitato

Charles Baudelaire
LES FLEURS DU MAL
SPLEEN ET IDEAL
Michel Lévy frères, 1868
Œuvres complètes, vol. I, p. 104

BOHÉMIENS EN VOYAGE

La tribu prophétique aux prunelles ardentes
Hier s’est mise en route, emportant ses petits
Sur son dos, ou livrant à leurs fiers appétits
Le trésor toujours prêt des mamelles pendantes.

Les hommes vont à pied sous leurs armes luisantes
Le long des chariots où les leurs sont blottis,
Promenant sur le ciel des yeux appesantis
Par le morne regret des chimères absentes.

Du fond de son réduit sablonneux, le grillon,
Les regardant passer, redouble sa chanson ;
Cybèle, qui les aime, augmente ses verdures,

Fait couler le rocher et fleurir le désert
Devant ces voyageurs, pour lesquels est ouvert
L’empire familier des ténèbres futures.

LORENZO DE MEDICI LAURENT DE MEDICIS 洛伦佐·德·美第奇 VILLA BORGHESE – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

Benozzo_Gozzoli,_lorenzo_il_magnifico,_cappella_dei_Magi Laurent le Magnifique adolescent Benozzo Gozzoli, chapelle des Mages

Armoirie de Rome

 Photo Villa Borghèse Jacky Lavauzelle

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

LORENZO DE MEDICI
LAURENT LE MAGNIFIQUE
LORENZO IL MAGNIFICO
LAURENT DE MEDICIS
洛伦佐·德·美第奇
Florence 1449-1492 Florence
Firenze1449-1492 Firenze
1449年1月1日-1492年4月9日

Ghirlandaio_a-pucci-lorenzo-de-medici-f-sassetti Pucci, Laurent de Médicis, et Sassetti

JAUCOURT
L’ENCYCLOPEDIE
1ère édition
1751 – Tome 12 – Page 849 

POGGIO, (Géog. mod.) bourg d’Italie, dans la Toscane, à dix milles de Florence, & à égale distance de Pistoie. Poggio est fameux par la maison de plaisance des grands-ducs. Ce palais fut commencé par Laurent de Médicis surnommé le magnifique, continué par Léon X. & achevé par le grand-duc François de Médicis. André del Sarto, Jacques Pontorno, & Alexandre Allori, l’ont enrichi de leurs peintures qui font autant d’allusions aux événemens de la vie de Médicis. (D. J.)

  LORENZO DE MEDICI Laurent de Medicis Laurent le magnifique Lorenzo il magnifico artgitato villa borghese rome roma Lorenzo_de'_Medici-ritratto Laurent le Magnifique par Girolamo Macchietti XVIe siècle *

NICOLAS MACHIAVEL
AU
MAGNIFIQUE LAURENT

FILS DE PIERRE DE MÉDICIS

LE PRINCE
1532
Première Publication
Traduction Française de Jean-Vincent Périès
1825

Ceux qui ambitionnent d’acquérir les bonnes grâces d’un prince ont ordinairement coutume de lui offrir, en l’abordant, quelques-unes des choses qu’ils estiment le plus entre celles qu’ils possèdent, ou auxquelles ils le voient se plaire davantage. Ainsi on lui offre souvent des chevaux, des armes, des pièces de drap d’or, des pierres précieuses, et d’autres objets semblables, dignes de sa grandeur.

Désirant donc me présenter à Votre Magnificence avec quelque témoignage de mon dévouement, je n’ai trouvé, dans tout ce qui m’appartient, rien qui me soit plus cher ni plus précieux que la connaissance des actions des hommes élevés en pouvoir, que j’ai acquise, soit par une longue expérience des affaires des temps modernes, soit par une étude assidue de celle des temps anciens, que j’ai longuement roulée dans ma pensée et très-attentivement examinée, et qu’enfin j’ai rédigée dans un petit volume que j’ose adresser aujourd’hui à Votre Magnificence.

Quoique je regarde cet ouvrage comme indigne de paraître devant vous, j’ai la confiance que votre indulgence daignera l’agréer, lorsque vous voudrez bien songer que le plus grand présent que je pusse vous faire était de vous donner le moyen de connaître en très-peu de temps ce que je n’ai appris que dans un long cours d’années, et au prix de beaucoup de peines et de dangers.

Je n’ai orné cet ouvrage ni de grands raisonnements, ni de phrases ampoulées et magnifiques, ni, en un mot, de toutes ces parures étrangères dont la plupart des auteurs ont coutume d’embellir leurs écrits : j’ai voulu que mon livre tirât tout son lustre de son propre fond, et que la variété de la matière et l’importance du sujet en fissent le seul agrément.

Je demande d’ailleurs que l’on ne me taxe point de présomption si, simple particulier, et même d’un rang inférieur, j’ai osé discourir du gouvernement des princes et en donner des règles. De même que ceux qui veulent dessiner un paysage descendent dans la plaine pour obtenir la structure et l’aspect des montagnes et des lieux élevés, et montent au contraire sur les hauteurs lorsqu’ils ont à peindre les plaines : de même, pour bien connaître le naturel des peuples, il est nécessaire d’être prince ; et pour connaître également les princes, il faut être peuple.

Que Votre Magnificence accepte donc ce modique présent dans le même esprit que je le lui adresse. Si elle l’examine et le lit avec quelque attention, elle y verra éclater partout l’extrême désir que j’ai de la voir parvenir à cette grandeur que lui promettent la fortune et ses autres qualités. Et si Votre Magnificence, du faîte de son élévation, abaisse quelquefois ses regards sur ce qui est si au-dessous d’elle, elle verra combien peu j’ai mérité d’être la victime continuelle d’une fortune injuste et rigoureuse.

Verrocchio_Lorenzo_de_Medici

SAVONAROLA VILLA BORGHESE SAVONAROLE- 沃纳罗拉 – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅
沃纳罗拉

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 Photo Villa Borghèse Jacky Lavauzelle

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Girolamo_Savonarola Jérôme Savonarole

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

Jérôme SAVONAROLE
Girolamo Savonarola
沃纳罗拉
1452- 1498

Savonarola Girolama Jérôme Savonarole Villa Borghese Artgitato Rome Roma

*

VOLTAIRE
Essai sur les mœurs et l’esprit des nations
Éd. Garnier – Tome 12
CHAPITRE CVIII
De Savonarole.

… »Il y avait à Florence un dominicain nommé Jérôme Savonarole. C’était un de ces prédicateurs à qui le talent de parler en chaire fait croire qu’ils peuvent gouverner les peuples, un de ces théologiens qui, ayant expliqué l’Apocalypse, pensent être devenus prophètes. Il dirigeait, il prêchait, il confessait, il écrivait ; et dans une ville libre, pleine nécessairement de factions, il voulait être à la tête d’un parti.

Dès que les principaux citoyens de Florence surent que Charles VIII méditait sa descente en Italie, il la prédit, et le peuple le crut inspiré. Il déclama contre le pape Alexandre VI ; il encouragea ceux de ses compatriotes qui persécutaient les Médicis et qui répandirent le sang des amis de cette maison. Jamais homme n’avait eu plus de crédit à Florence sur le commun peuple. Il était devenu une espèce de tribun, en faisant recevoir les artisans dans la magistrature. Le pape et les Médicis se servirent contre Savonarole des mêmes armes qu’il employait ; ils envoyèrent un franciscain prêcher contre lui. L’ordre de Saint-François haïssait celui de Saint-Dominique plus que les guelfes ne haïssaient les gibelins. Le cordelier réussit à rendre le dominicain odieux. Les deux ordres se déchaînèrent l’un contre l’autre. Enfin un dominicain s’offrit à passer à travers un bûcher pour prouver la sainteté de Savonarole. Un cordelier proposa aussitôt la même épreuve pour prouver que Savonarole était un scélérat. Le peuple, avide d’un tel spectacle, en pressa l’exécution ; le magistrat fut contraint de l’ordonner. Tous les esprits étaient encore remplis de l’ancienne fable de cet Aldobrandin, surnommé Petrus igneus, qui dans le XIe siècle avait passé et repassé sur des charbons ardents au milieu de deux bûchers ; et les partisans de Savonarole ne doutaient pas que Dieu ne fit pour un jacobin ce qu’il avait fait pour un bénédictin. La faction contraire en espérait autant pour le cordelier. Si nous lisions ces religieuses horreurs dans l’histoire des Iroquois, nous ne les croirions pas. Cependant cette scène se jouait chez le peuple le plus ingénieux de la terre, dans la patrie du Dante, de l’Arioste, de Pétrarque et de Machiavel. Parmi les chrétiens, plus un peuple est spirituel, plus il tourne son esprit à soutenir la superstition, et à colorer son absurdité.

On alluma les feux : les champions comparurent en présence d’une foule innombrable ; mais quand ils virent tous deux de sang-froid les bûchers en flamme, tous deux tremblèrent, et leur peur commune leur suggéra une commune évasion. Le dominicain ne voulut entrer dans le bûcher que l’hostie à la main. Le cordelier prétendit que c’était une clause qui n’était pas dans les conventions. Tous deux s’obstinèrent, et s’aidant ainsi l’un l’autre à sortir d’un mauvais pas, ils ne donnèrent point l’affreuse comédie qu’ils avaient préparée.

Le peuple alors, soulevé par le parti des cordeliers, voulut saisir Savonarole. Les magistrats ordonnèrent à ce moine de sortir de Florence. Mais quoiqu’il eût contre lui le pape, la faction des Médicis et le peuple, il refusa d’obéir. Il fut pris et appliqué sept fois à la question. L’extrait de ses dépositions porte qu’il avoua qu’il était un faux prophète, un fourbe qui abusait du secret des confessions et de celles que lui révélaient ses frères. Pouvait-il ne pas avouer qu’il était un imposteur ? Un inspiré qui cabale n’est-il pas convaincu d’être un fourbe ? Peut-être était-il encore plus fanatique : l’imagination humaine est capable de réunir ces deux excès, qui semblent s’exclure. Si la justice seule l’eût condamné, la prison, la pénitence, auraient suffi ; mais l’esprit de parti s’en mêla. On le condamna, lui et deux dominicains, à mourir dans les flammes qu’ils s’étaient vantés d’affronter. Ils furent étranglés avant d’être jetés au feu (13 mai 1498). Ceux du parti de Savonarole ne manquèrent pas de lui attribuer des miracles : dernière ressource des adhérents d’un chef malheureux. N’oublions pas qu’Alexandre VI lui envoya, dès qu’il fut condamné, une indulgence plénière.

Vous regardez en pitié toutes ces scènes d’absurdité et d’horreur ; vous ne trouvez rien de pareil ni chez les Romains et les Grecs, ni chez les barbares. C’est le fruit de la plus infâme superstition qui ait jamais abruti les hommes, et du plus mauvais des gouvernements. Mais vous savez qu’il n’y a pas longtemps que nous sommes sortis de ces ténèbres, et que tout n’est pas encore éclairé. »

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Savonarola – Savonarole

CHRISTOPHER COLUMBUS – CHRISTOPHE COLOMB -克里斯托弗·哥伦布- Cristoforo Colombo-VILLA BORGHESE – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
克里斯托弗·哥伦布
Christopher Columbus

LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

Armoirie de Rome

 Photo Villa Borghèse Jacky Lavauzelle

Ridolfo_Ghirlandaio_Columbus Christophe Colomb Cristoforo Colombo

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

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CHRISTOPHE COLOMB
Christopher Columbus
克里斯托弗·哥伦布
Cristoforo Colombo
1451-1506

Christophe Colomb Cristoforo Colombo artgitato Villa Borghese Rome Roma

 

LETTRE DE CHRISTOPHE COLOMB
SUR LA DECOUVERTE DU NOUVEAU MONDE

 Publiée d’après la rarissime version latine conservée à la Bibliothèque impériale

TRADUITE EN FRANÇAIS
COMMENTÉE ET ENRICHIE DE NOTES PUISÉES AUX SOURCES ORIGINALES par LUCIEN DE ROSNY

1865

Merveilleuse entreprise, l’Europe se trouvait sous l’émotion d’un fait plus important encore, et qui est devenu, non sans raison, le point de départ de l’ère des temps modernes. Une dernière invasion définitivement triomphante, effaçant de ce monde les vestiges de l’empire romain, avait assis le barbare aux portes de la civilisation. Depuis la prise de Constantinople, la chrétienté, menacée dans ses foyers, devait s’attendre à la continuité de l’état de guerre religieuse que le Coran impose à ses sectateurs ; dès lors plus d’expédition possible en Orient, plus de rapport facile avec les Échelles, l’Égypte, les Indes, possédées ou parcourues par le mahométan ; la navigation de la Méditerranée devenait des plus dangereuses, et le commerce, sinon la subsistance de l’Europe, était compromis. Un immense besoin d’expansion portait vers l’inconnu une activité, qui, en même temps qu’elle perdait ses anciens débouchés, se trouvait surexcitée par le travail intellectuel précurseur de la Renaissance.

On croyait bien alors que la terre était ronde ; mais, à défaut de moyens exacts d’appréciation, on était loin de se faire une idée de ses dimensions ; et, soit qu’on les réduisît outre mesure, soit qu’on s’exagérât la distance réelle des limites de l’extrême Orient, on s’imaginait retrouver les Indes au delà de l’océan Atlantique, sans se rendre compte de l’étendue possible des grandes mers, dont la Méditerranée n’est qu’une miniature.

Telles sont les pensées qui, après avoir guidé Chr. Colomb, l’ont constamment suivi dans sa carrière, et lui ont même longtemps survécu. Le but de l’amiral génois, c’est de substituer une nouvelle route à celle de l’Égypte et de la mer Rouge, c’est de prendre à revers le pays des épices et de remonter le Gange. Dès la première île qu’il découvre, il se croit aux Indes ; et il impose aux habitants du Nouveau-Monde un nom d’emprunt, qu’ils ne perdront jamais. Á Cuba, il se croit en Chine et s’étonne de ne pas y rencontrer le grand khan des Tartares ; et, quoique son expédition ne lui ait pas fait rencontrer les produits de l’extrême Orient qu’il était venu chercher, il se fait fort d’en envoyer au roi d’Espagne, autant qu’il plaira à ce souverain de lui en demander.

Il est donc bien certain que Colomb ne cherchait pas un nouveau monde, et que les préoccupations scientifiques n’entraient pour rien dans ses visées. Trois objets remplissent ses intentions : la conquête politique, qui s’effectue sans le moindre scrupule, au nom du droit du plus fort ; les relations commerciales et internationales que les gens de l’époque entendaient en vrais forbans, toutes les fois qu’une force suffisante ne les tenait pas en respect ; enfin, le prosélytisme religieux, d’autant plus redoutable qu’il était encore très-naïf. Ceux qui vinrent après Colomb, et qui furent, pour la plupart, des aventuriers de la pire espèce, n’eurent pas d’autres mobiles que ceux qui viennent d’être indiqués ; mais une cupidité sans frein et l’absence de tout sentiment d’humanité leur dictèrent une autre conduite : l’histoire n’aura pas assez d’exécrations pour la raconter.

Si les aventuriers envahisseurs de l’Amérique ne s’étaient montrés que cruels, on les aurait peut-être plus facilement oubliés ; mais ils furent inintelligents, et leur nom revient forcément à la pensée toutes les fois que l’on songe au passé de ce malheureux pays.

En effet, autant par suite de la disparition des monuments qu’on a détruits ou laissé perdre, que par suite de l’état d’ignorance et du défaut de traditions chez un grand nombre des peuples de cette immense contrée, l’Amérique n’a point d’histoire. Il y avait là cependant une civilisation propre, qui s’est malheureusement perdue elle-même, mais dont les vestiges ont été en partie retrouvés : réunir ces éléments, les coordonner, et en tirer les conclusions historiques qu’ils peuvent contenir, telle est la mission que s’est imposée le comité d’archéologie américaine. À peine constituée, cette réunion de savants a donné, dans la Revue américaine, des études pleines d’intérêt. Associée à la Société d’Ethnographie, elle espère former aussi une intéressante collection d’objets spéciaux à la science qu’elle cultive ; mais elle a compris en même temps que ce qu’il faut avant tout, dans un pareil ordre de recherches, c’est la multiplication des éléments de travail qui font généralement défaut. À cet effet, le comité compte entreprendre ou favoriser la publication des plus précieux documents qui seront à sa disposition.

On ne pouvait mieux commencer que par la lettre où Christophe Colomb rend compte des premiers rapports du monde ancien avec le monde nouveau. M. Lucien de Rosny, qui a bien voulu se charger de ce travail, l’a exécuté avec tout le soin et l’entente désirables : le texte, en certains points fautif ou douteux, a été comparé et autant que possible amendé ; tout en le serrant de près, la traduction n’y est pas asservie, on n’y oublie point les nécessités de la clarté et de l’intelligence ; enfin, des notes, aussi complètes qu’on peut les souhaiter, donnent non-seulement aux gens du monde, mais aux savants mêmes, des indications indispensables pour posséder complètement l’esprit de la situation. Ce petit ouvrage doit à de pareilles conditions un intérêt des plus vifs ; il sera la base de la collection de tout Américaniste.

ALPH. CASTAING,
Président du Comité.

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Christopher Columbus

MARCO POLO 马可波罗 VILLA BORGHESE – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
马可波罗

LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

MARCO POLO
马可波罗
Venise 1254 – Venise 1324
威尼斯 Venice

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Marco Polo portrait Marco Polo Villa Borghese Artgitato Rome Roma

ETIENNE-JEAN DELECLUZE
Revue des Deux Mondes
1832 – tome 7
Marco Polo

Andréa Polo de Saint Felice, noble patricien de Venise, Dalmate d’origine, eut trois fils, nommés Marco, Maffio et Nicolo : ce dernier qui fut père de Marco Polo, le fameux voyageur, ainsi que Maffio son oncle, étaient marchands à Venise. Il parait même qu’ils étaient en société de commerce et que poussés par cet esprit entreprenant et aventureux qui animait alors tous les citoyens de cette république, ils combinèrent une expédition et s’embarquèrent ensemble pour Constantinople, qui alors était en relation habituelle et intime avec Venise. C’était à l’époque où l’empire grec avait été conquis par les armes da la France, réunies à celles de la république, et où l’ambassadeur de ce dernier gouvernement prenait, au moyen de son alliance avec Baudouin II [1], une très grande part à tout ce que faisait le gouvernement impérial.

Dans la plupart des manuscrits et des éditions imprimées du voyage de Marco Polo, il y a quelques différences de dates sur l’année où les deux premiers voyageurs, Marco et Maffio, arrivèrent à Constantinople. Mais la confrontation de ces livres donne lieu de croire que les voyageurs ne s’y trouvèrent pas plus tard qu’en 1254 ou 1255.

Après avoir vendu les marchandises qu’ils avaient apportées d’Italie, ils avisèrent au moyen de faire valoir leurs capitaux. Ayant entendu parler d’objets précieux à vendre parmi les Tartares occidentaux, ils résolurent d’aller au milieu de ces peuples. Ceux ci, après avoir ravagé plus leurs provinces de l’Asie et de l’Europe, s’étaient établis sur les bords du Wolga, avaient bâti des villes et y vivaient sous une espèce de gouvernement régulier.

Lorsqu’ils eurent fait des achats considérables de joyaux précieux, ils traversèrent la mer Noire, abordèrent en Crimée ; puis, continuant leur voyage par terre et par eau, ils arrivèrent enfin à la cour ou au camp de Barkah, frère ou fils de Batu, petit-fils de Tchingkis-Kan, qui faisait sa résidence tantôt à Saraï et tantôt à Bolghar, noms bien connus des géographes du moyen-âge.

Les voyageurs eurent à se louer de la bonne réception que leur fit ce prince, auquel ils offrirent tout ce qu’ils possédaient de précieux. Barkah accepta leur don, mais leur remit une somme double en valeur et y joignit encore des présens. Marco et Maffio restèrent un an environ dans ce pays.

Bientôt un différend s’éleva entre Barkah et Hulagu, son cousin, chef d’une horde voisine. Une guerre s’ensuivit, et Barkah ayant été vaincu, nos voyageurs dont le dessein était de retourner à Constantinople, sachant que toutes les routes étaient interceptées par les troupes victorieuses, furent contraints de chercher un chemin plus sûr en faisant de grands circuits. Ils arrivèrent jusqu’au haut de la mer Caspienne, traversèrent le Jaik et le Jaxartes, prenant cette dernière rivière pour l’une des quatre qui coulent dans le Paradis, et après avoir parcouru les déserts de Transoxiana, ils parvinrent à la grande cité de Bokhara.

Le hasard fit qu’au même moment où ils étaient arrêtés dans cette ville, un noble Tartare, envoyé par Hulagu à son frère Kublaï, y fit aussi une halte. Le messager, poussé par la curiosité de voir et d’entendre des Latins qu’il n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer, fit connaissance avec les deux marchands vénitiens, prit plaisir à entendre leur langage et à profiter de leurs connaissances ; en telle sorte qu’il leur proposa de venir le rejoindre à la cour de l’empereur, ayant soin de les assurer qu’ils seraient protégés pendant leur voyage, et que le prince ne manquerait pas de leur faire une réception favorable. Nos voyageurs, fort incertains de pouvoir retourner à Constantinople, ou poussés plutôt par le goût des entreprises et l’espoir d’augmenter leurs richesses, acceptèrent la proposition. Après s’être recommandés à Dieu, ils poursuivirent leur voyage vers des contrées que, dans leur esprit, ils estimaient être les extrémités de l’Orient. Après avoir voyagé un an, ils arrivèrent à la résidence impériale.

La manière gracieuse dont ils furent reçus par le grand Kan, chef de tous les Tartares, leur donna bonne espérance. Ce prince leur adressa des questions sur toutes les parties occidentales du monde, sur l’empereur des Romains et sur tous les rois et princes de la chrétienté. Il s’informa de l’importance respective de ces souverains, de l’étendue de leurs possessions, de la manière dont la justice était administrée dans chaque état ; comment les princes faisaient la guerre, et par-dessus tout il multiplia les questions au sujet du pape, des affaires de l’église et de la doctrine et de la foi des chrétiens. Les voyageurs, dit la relation de Marco Polo, répondirent en gens sages et discrets, mesurant toutes leurs réponses d’après l’importance des matières et faisant usage du langage tartare (Moghul), ce qui augmenta singulièrement l’estime que le grand Kan avait conçue pour eux,

Ce passage fort curieux de Marco Polo où il règne une espèce de réserve diplomatique, a donné lieu de croire que l’intérêt que le grand Kan semble prendre à l’église et à la foi chrétienne, avait été exagéré par le zèle de ceux qui originairement tirèrent des copies de la relation de Marco Polo. Mais l’importance que les Tartares Moghuls mettaient à savoir quel était l’état des puissances chrétiennes de l’Occident, avec lesquelles elles faisaient alors cause commune contre les Sarrasins et les Mahométans, est assez connue pour que l’on s’explique avec quel intérêt et quelle curiosité bienveillante le prince mongol a dû écouter les renseignemens que lui donnèrent nos deux Vénitiens. Non-seulement cette alliance d’intérêt entre les Tartares et les chrétiens occidentaux existait, comme on n’en a jamais douté, mais on a acquis la certitude, depuis quelque temps, qu’il s’était établi non-seulement avec le pape, mais avec le roi de France et les successeurs de la race de Tchingkis-Kan, des relations diplomatiques dont les pièces originales en langue mongole existent dans les archives royales de France.

C’est au savant M. Abel Rémusat que l’on doit cette découverte sur laquelle il donne lui-même des détails qui serviront de commentaire à la partie de la relation de Marco Polo, où il parle du grand Kan Kublaï à la cour duquel il a été admis. « Je m’étais occupé, dit M. Abel Rémusat [2], de rechercher quelles avaient été l’origine et l’occasion des rapports que saint Louis et ses successeurs raient eus avec les princes de la race de Tchingkis-Kan. Des passages oubliés de nos vieilles chroniques, des particularités négligées par nos historiens, des monumens originaux ensevelis dans nos archives, m’avaient appris les motifs de ces négociations que Voltaire, Deguignes et plusieurs autres ont traitées de fabuleuses, parce qu’ils n’en avaient pas deviné l’objet et qu’ils n’en saisissaient pas l’enchaînement. « La terreur que l’irruption subite des Mongols avait inspirée depuis la Corée et le Japon jusqu’en Pologne et en Silésie, s’était propagée en Allemagne, en Italie et en France même. On voulut savoir quels étaient ces barbares nouveaux qui menaçaient d’envahir encore une fois l’Europe romaine, après avoir conquis et dévasté l’Asie. On hasarda de leur envoyer des ambassadeurs ; on brava leurs menaces, on dévora leurs mépris, et le résultat des courses lointaines et périlleuses entreprises par les envoyés de saint Louis et du pontife romain, fut d’ouvrir avec les généraux tartares devenus souverains de la Perse, de l’Arménie et de la Géorgie, des relations qu’on espérait faire tourner au profit du christianisme et de la cause des croisés. Tel fut l’état de ces négociations dans leur première période….

« La haine des nations musulmanes, commune aux Tartares et aux chrétiens, conduisit les uns et les autres à combiner leurs efforts. On fut d’autant plus disposé à agréer les propositions des Mongols, qu’ils passaient alors pour avoir une grande propension au christianisme. C’était presque être chrétien, dans ces siècles peu éclairés, que d’être ennemi des musulmans. Enfin les Tartares avaient été pris d’abord pour des démons incarnés, quand ils avaient attaqué les Hongrois et les Polonais ; peu s’en fallut qu’on ne les jugeât tout-à-fait convertis, quand on vit qu’ils faisaient avec acharnement la guerre aux Turcs et aux Sarrasins.

« Dans ce moment, la puissance des Francs, en Syrie, était sur son déclin ; elle ne tarda même pas à tomber sous les coups des sultans d’Egypte ; mais de nouvelles croisades pouvaient la relever en un instant. Les Mongols se mirent à en solliciter dans l’Occident. Ile joignirent leurs exhortations à celles des Géorgiens, des Arméniens, des Grecs, des croisés réfugiés en Chypre. Les premiers Tartares avaient débuté par des menaces et des injures. Les derniers en vinrent aux offres, et descendirent jusqu’aux prières. Des ambassadeurs furent envoyés par eux en Italie, en Espagne, en France, en Angleterre, et il ne tint pas a eux que le feu des guerres saintes ne se rallumât de nouveau et ne s’étendît encore sur l’Europe et sur l’Asie. On peut croire qu’ils avaient aisément fait entrer les papes dans leurs vues, et qu’ils trouvaient en eux de zélés auxiliaires ; mais, circonstance aussi singulière que peu remarquée, ce n’était plus de Rome ou, d’Avignon, c’était de la cour de ces rois idolâtres que partaient d’abord ces sollicitations pour engager les rois chrétiens à venir à la délivrance du Saint-Sépulcre ; et lorsque Clément y prêcha cette grande croisade qui devait mettre la Palestine entre les mains des Francs, c’est qu’il avait vu à Poitiers des envoyés mongols, qui lui avaient appris qu’une paix générale venait d’être conclue entre tous les princes de la Tartarie, depuis la grande muraille de la Chine jusqu’aux frontières du pays des Francs. Cette circonstance permettait au roi de Perse de mettre à la disposition de Philippe-le-Bel, pour une expédition en Syrie, deux cent mille chevaux, deux cent mille charges de blé et plus de cent mille cavaliers tartares que le prince s’offrait de conduire en personne. La lettre, en langue mongole, relative à ces dispositions, est un rouleau de dix-huit pouces de haut sur neuf pieds de longueur, lequel existe encore aujourd’hui dans les archives du royaume. »

C’est pendant le cours de ces relations diplomatiques que nos Vénitiens étaient à la cour du grand Kan. On peut supposer même qu’ils avaient reçu quelques commissions particulières de l’empereur Beaudoin II, dont la politique s’accordait alors avec celle de la république de Venise, ce qui motiverait la réserve avec laquelle ils rendent compte de leur réponse, et l’intérêt que le prince tartare leur témoigna sur tout ce qui touchait aux intérêts des chrétiens occidentaux.

Quoi qu’il en soit, ce que Marco Polo rapporte des questions qui lui furent adressées par Kublaï, joint à la découverte faite par M. Rémusat des relations officielles qui ont existé entre les princes tartares et les souverains de l’Occident, prouve qu’il y avait un fondement à ces discours vagues qui couraient dans toutes les bouches en Europe aux treizième, quatorzième et quinzième siècles. Il n’était question alors que d’un grand souverain dont les vastes états occupaient l’Asie centrale ; tous les auteurs écrivaient et chacun répétait que le grand Kan, attaché à la religion chrétienne, demandait instamment qu’on lui envoyât de Rome des missionnaires qui pussent instruire les peuples idolâtres dans la religion chrétienne. Les ambassades auxquelles les croisades donnèrent lieu, firent sans doute naître ces bruits qui prirent encore plus de consistance, lorsque, vers 1298, les copies de la relation de Marco Polo commencèrent à se répandre en Europe.

Maintenant que nous avons fait connaître de quelle nature et de quelle importance étaient les relations diplomatiques qui s’étaient établies entre les Tartares et les nations de l’Occident, revenons à l’histoire des deux marchands vénitiens qui, en rentrant dans leur patrie, donnèrent l’éveil sur ce grand événement et jetèrent en Europe les premières notions positives que l’on ait eues sur les nations de l’Asie.

Le grand Kan, satisfait de la précision des réponses de Maffio et de Nicolo Polo, ainsi que de l’habileté qu’ils montraient dans les affaires, résolut de les aider à retourner en Italie, en les faisant accompagner par un de ses officiers qu’il revêtit de la qualité d’ambassadeur auprès du saint siège de Rome. Cet envoyé était chargé de supplier sa Sainteté d’envoyer des missionnaires pour répandre l’instruction religieuse parmi les peuples de la Tartarie. Cependant, sans prétendre absolument que le grand Kan fût tout-à-fait indifférent à la foi chrétienne, il est permis de croire que les dispositions hostiles des chrétiens envers les musulmans qui étaient aussi ses ennemis, ont pu engager ce prince à flatter le pape d’un espoir sur lequel il comptait peu lui-même.

Cependant les deux Vénitiens partirent pour retourner dans leur pays, et vers le commencement du voyage, l’ambassadeur tartare qui les accompagnait, tomba malade, resta en arrière et ne les rattrapa plus . Toutefois les voyageurs européens, munis d’un firman du prince qui leur assurait aide, protection et respect partout où ils passaient, parvinrent, au bout de trois ans, jusqu’aux rives de la Méditerranée. Ce fut de Giazza ou Ayas dans le royaume de la Basse-Arménie qu’ils s’embarquèrent pour Acre, alors tombée au pouvoir des chrétiens, et où ils arrivèrent au mois d’avril 1269.

En mettant pied à terre, ils apprirent la nouvelle, de la mort du pape Clément IV ; elle avait eu lieu l’année précédente. Le légat qu’ils trouvèrent à Acre leur conseilla de ne pas parler de l’ambassade dont ils étaient chargés, avant l’élection d’un nouveau pape, ce qui décida les voyageurs à profiter de cet intervalle de temps pour aller revoir leur famille à Venise.

En arrivant dans leur patrie, Nicolo Polo apprit que sa femme, qu’il avait laissée enceinte, était morte en accouchant d’un fils auquel elle avait donné le nom de Marco, en mémoire du frère aîné de son mari. Ce fils, dit la relation, était près de toucher à l’âge viril, et d’après la confrontation des dates incertaines du départ avec celle du retour, 1269, on estime que Marco Polo le célèbre voyageur, fils de Nicolo et auteur de la relation qui nous occupe, était né en 1254, et avait seize ans lorsqu’il vit son père.

Le pape Clément IV était mort à Viterbe au mois de novembre 1268, et ce ne fut qu’au mois de septembre 1271 que Grégoire X, son successeur, fut élu. Pendant trois ans, le sacré collège resta assemblé dans Viterbe et même tenu enfermé par le Podesta de la ville sans pouvoir se réunir. Enfin, par le conseil de saint Bonaventure, présent et cardinal lui-même, il se détermina à faire un compromis entre les mains de six de ses membres, lesquels élurent tout d’une voix Thealde (Théobalde), qui n’était autre que ce légat du pape que les voyageurs vénitiens avaient trouvé à Acre, et qui leur avait conseillé de ne faire connaître l’objet de leur mission qu’après l’élection du pape.

Mais les Polo n’eurent pas la patience d’attendre la décision du sacré collège. Craignant donc d’encourir la disgrâce de leur protecteur asiatique, Maffio et Nicolo prirent la résolution d’aller retrouver le légat à Acre pour s’entendre avec lui et reprendre le chemin de l’Asie. Ce fut dans cette occasion que les deux voyageurs vénitiens emmenèrent avec eux le jeune Marco Polo, fils de Nicolo. Arrivés à Acre, ils se munirent de lettres que le légat leur donna pour remettre à l’empereur de Tartarie, et ils s’embarquèrent pour Ayas. Mais à peine avaient-ils mis à la voile, qu’ils reçurent avis que le légat Théobalde de Plaisance était nommé pape. Ce nouveau pontife ayant fait revenir vers lui les trois voyageurs, substitua aux premières instructions qu’il leur avait données, des lettres papales, écrites selon l’usage que sa nouvelle dignité lui faisait un devoir de suivre. Il leur donna ensuite sa bénédiction et leur confia deux frères prêcheurs, chargés de remettre de riches présens, de la part du pape, au grand Kan des Tartares.

Ces arrangemens et le départ de la famille eurent lieu vers la fin de l’an 1271. Alors la partie septentrionale de la Syrie avait été envahie par le soudan d’Egypte, et l’alarme que causait son approche vers les frontières de la basse Arménie était telle, que les deux frères prêcheurs, commissionnés par le nouveau pape, n’osèrent pas s’y enfoncer et retournèrent prudemment à la côte.

Quant à la famille Polo, sans être arrêtée par l’idée des dangers qu’ils pouvaient courir, ils poursuivirent leur voyage vers l’intérieur de l’Asie, en suivant la direction du nord-est. D’après la relation, il paraît qu’ils n’eurent à surmonter que des difficultés dont les causes étaient naturelles, car rien n’indique qu’ils aient jamais été arrêtés hostilement dans le cours de leur long voyage.

Ils traversèrent la Haute-Arménie, une partie de la Perse, le Khorassan, et arrivèrent dans le pays de Badaksan au milieu des sources de l’Oxus, où ils s’arrêtèrent un an.

Dans ces contrées, alors, comme il arrive aujourd’hui même encore, on ne voyageait qu’avec de grandes difficultés et beaucoup de lenteur. Les conquêtes des Tartares avaient détruit beaucoup de villes, et celles qui restaient étaient souvent à de grandes distances l’une de l’autre. Outre ces inconvéniens, la route que l’on voulait suivre était coupée par des fleuves, des marais, des montagnes et des déserts. Il fallait souvent attendre qu’un assez grand nombre de voyageurs, tendant vers le même but, fussent rassemblés pour former une caravane qui pût surmonter les obstacles qu’offriraient les lieux, et se défendre en cas d’attaque. Peut-être est-ce par des causes de cette nature, jointes aux opérations commerciales que les Polo faisaient en route, que l’on peut expliquer le séjour d’un an qu’ils firent près des sources de l’Oxus. Toutefois il paraît, d’après un passage de la relation (Liv. I, chap. 25), que Marco Polo a éprouvé là une longue indisposition dont il ne s’est rétabli qu’en faisant des excursions dans les montagnes environnantes, dont il vante les salutaires bienfaits.

Ce fut là qu’ils recueillirent des renseignemens sur le royaume de Cachemire et sur d’autres provinces qui forment de ce côté les limites de l’Inde ; mais ils ne voyagèrent pas dans cette direction. Ils suivirent la route qui conduit à la vallée de Vokhan d’où ils montèrent dans les régions élevées de Pamer et de Belor et parvinrent à la ville de Khasghar qui faisait partie des vastes états du grand Kan. Après avoir dit quelques mots de Samarkand, situé à l’ouest de leur route, ils font aussi mention de Yerhen, et vont directement à Koten, ville célèbre. Enfin, après avoir traversé plus leurs villes moins importantes et peu connues aujourd’hui, ils arrivent au désert de Lop ou Kobi, dont ils donnent une description circonstanciée. (Chap. XXXV livre I, édit. Marsden). Après avoir employé trente jours à traverser ce désert, ils entrent dans le district de Tangut, coupent le pays que les Chinois nomment Si-Fan ou Tu-Fan, passent par la ville appelée Scha-Cheu, la Ville du Sable, et de là se dirigent vers l’extrémité ouest de la province de Shen-Si jusqu’à la cité de Kan-cheu.

En cet endroit, ils furent encore obligés de s’arrêter, mais Marco Polo ne donne pas précisément la cause de ce retard ; seulement, il indique que cette ville était une de celles où les voyageurs occidentaux avaient coutume de faire halte et de se reposer.

Il paraîtrait que nos voyageurs, ayant eu des désagrémens à essuyer de la part des autorités locales à Kan-cheu, trouvèrent moyen de faire savoir leur arrivée au grand Kan qui aurait alors ordonné que l’on protégeât au contraire ces voyageurs italiens.

Enfin, ils furent reçus par le grand Kan dans sa capitale nommée Tay-yuen-fu. L’accueil qu’ils reçurent de ce prince fut tout-à-fait favorable. Les voyageurs, après s’être prosternés selon l’usage en présentant leurs lettres, rendirent compte au grand Kan de leur mission et donnèrent les détails de tout ce qu’ils avaient fait en Europe. Le prince les écouta avec intérêt, les loua de leur zèle, accepta avec plaisir les présens qui lui étaient envoyés par le pape, et avec respect un vase rempli d’huile du saint sépulcre de Jésus-Christ, que l’on avait été chercher exprès à Jérusalem, ajoutant, en le recevant, que ses vertus devaient être grandes, si l’on en jugeait par l’importance et la valeur qu’y attachaient les chrétiens.

Le grand Kan remarqua le jeune Marco, notre auteur, et ayant su qu’il était le fils de Nicolo Polo, il l’honora d’un accueil particulier, le prit sous sa protection et lui donna un emploi dans sa maison. Cette position fournit à ce jeune homme les moyens de se distinguer par ses talens et de se faire respecter à la cour du prince tartare. Il adopta les manières du pays, et acquit la connaissance des quatre langues qui y étaient le plus en usage, le mongol, l’iey-ighur, le mantchou et le chinois. Bientôt il devint un favori utile pour son maître qui l’employa à des affaires importantes et délicates dans les parties les plus éloignées du siège de son empire. On voit par exemple au chapitre LXX du IIe livre (édition Marsden), que Marco Polo fut chargé, pendant trois ans, du gouvernement de la ville importante de Yan-gus, qui en comprenait vingt-sept autres dans sa juridiction.

Parmi les contrées dont la relation de Marco Polo révéla l’existence à l’Europe, et auxquelles elle donna une grande célébrité, il faut compter le royaume de Cathay, qui comprend la moitié septentrionale de la Chine, et l’île de Zipangu, que l’on a désignée depuis sous le nom de Japon.

L’île et le royaume de Zipangu ou japon fit naître à Kublaï, le grand Kan, l’idée de s’en rendre maître. Il équipa une flotte nombreuse, et par ce moyen y fit transporter une armée considérable. Mais les vents excitèrent une tempête terrible qui en submergea une partie, et dissipa le reste. Marco Polo, qui reporte cet événement à l’année 1264, était alors dans les états du grand Kan, mais ne dit pas s’il a été témoin de cette catastrophe, ou s’il en parle seulement d’après le rapport de ceux qui avaient fait partie de cette expédition.,

Quoi qu’il en soit, les trois circonstances des voyages de Marco Polo, qui firent impression en Europe lorsqu’il en publia la relation, furent les richesses immenses du grand Kan que l’on regardait comme disposé à se faire chrétien, l’existence du royaume de Cathay où l’or, les perles et toute espèce de richesses étaient en grande abondance, et enfin l’idée d’une grande île, celle de Zipangu (Japon), qui était située à l’extrémité orientale de l’Inde.

Marco Polo profita de ces différentes missions pour observer les mœurs, les usages des habitans, ainsi que les localités et les richesses des différens pays où il se trouvait. Il faisait des notes de toutes les choses remarquables, dans l’intention de satisfaire sur cet important sujet, l’extrême curiosité du grand Kan Kublaï. C’est à ces notes qu’il fît pour accomplir un devoir, que nous devons la relation de ses voyages dont il eut plus tard l’idée de donner connaissance à l’Europe. Au surplus, ce fut cette attention pour son maître qui augmenta la confiance que ce dernier avait en lui, et c’est après avoir présenté ce résultat de ses observations que Kublaï lui confia, pendant trois ans, la place de gouverneur d’un district.

Selon toute apparence, le père et l’oncle de Marco Polo conservèrent aussi la faveur du grand Kan, car peu après l’époque de leur arrivée chez ce prince, ils eurent l’occasion de lui rendre un service signalé. Le prince tartare faisait le siège d’une ville très importante de la Chine, Siang-yang-fu, qui résistait depuis trois ans à ses attaques. Nos deux Vénitiens firent connaître à Kublaï l’usage des catapultes au moyen desquels ils lancèrent tant de pierres dans la ville que les habitans se rendirent.

Il y avait dix-sept ans que nos voyageurs étaient dans ce pays, et jouissaient des plus brillans avantages à la cour du grand Kan, lorsqu’ils éprouvèrent le désir si naturel de revoir leur patrie. L’âge avancé et l’avenir tant soit peu incertain de leur protecteur leur firent faire des réflexions sérieuses sur leur propre sort : craignant que ce prince ne vînt à mourir, ce qui aurait pu faire naître des difficultés insurmontables pour leur retour en Europe, ils témoignèrent le désir de partir. Les efforts qu’ils firent pour obtenir le consentement de l’empereur furent d’abord non-seulement inutiles, mais leur attirèrent même des reproches de la part de Kublaï. Il leur fit entendre que, si la résolution de le quitter était causée par le désir et l’espérance qu’ils avaient d’augmenter leurs richesses, il était disposé à les combler de biens au-delà de tout ce qu’ils pourraient jamais souhaiter, mais que, quant à leur départ, ils ne devaient pas y penser. Au milieu des chagrins que leur causa cette espèce d’esclavage, leur bonne fortune permit qu’ils fussent tirés d’embarras par un événement tout-à-fait inattendu.

Il arriva vers ce temps, à la cour de Kublaï, des ambassadeurs qui lui étaient envoyés par un prince tartare-mongol, nommé Arghun, qui régnait en Perse : c’était le petit-fils de Houlagou, et par conséquent le petit-neveu du grand Kan. Cet Arghun, ayant perdu sa principale femme, issue du sang impérial, avait promis à cette épouse, lorsqu’elle était au lit de mort, de ne pas faire tort à sa mémoire, en formant une nouvelle alliance avec une autre femme inférieure à elle par la naissance. Pour accomplir ce vœu, et d’après les conseils de sa famille, il envoya donc une ambassade à son seigneur suzerain, pour obtenir de lui une femme de leur famille impériale. Cette demande fut aussitôt accueillie par le grand Kan, qui fit choix d’une princesse âgée de dix-sept ans parmi ses petites filles. Elle se nommait Kogatin, dit la relation, et elle était aussi aimable que belle. Les ambassadeurs, satisfaits des qualités de la jeune fiancée royale, se mirent en route, accompagnés d’une suite nombreuse, pour la conduire en Perse ; mais, après avoir voyagé quelques mois, car, ainsi qu’on l’a déjà fait observer, on ne marche pas vite dans ces contrées, la caravane n’osa plus avancer à cause des troubles qui avaient lieu dans différens états, à la suite des querelles fréquentes qui commençaient à s’élever entre les petits princes tartares. La crainte s’empara tellement des ambassadeurs chargés de conduire la jeune princesse, qu’ils prirent le parti de retourner à la capitale du grand Kan. Ce fut à ce moment et lorsque les envoyés de Perse étaient près de Kublaï, que Marco Polo y arriva aussi, revenant d’un grand voyage qu’il avait fait dans les îles voisines de la Chine. Il soumit à son souverain, selon sa coutume, les observations qu’il avait été à même de faire sur la navigation possible de ces mers. Ces renseignemens parvinrent jusqu’aux oreilles des ambassadeurs persans. Ils espérèrent trouver par cette nouvelle route un moyen plus sûr de regagner leur pays, et s’abouchèrent avec les voyageurs vénitiens. Rapprochées par un intérêt commun, l’ambassade persane et la famille vénitienne s’entendirent pour représenter au grand Kan que l’expérience des chrétiens dans les voyages par mer serait une raison pour qu’on les chargeât de conduire la jeune princesse et l’ambassade par la mer de l’Inde jusqu’au golfe Persique.

Quelque contrariété qu’occasionât cette demande à Kublaï, il ne put cependant, à cause de l’impossibilité où les Persans étaient de faire leur voyage par terre, la refuser. On fit donc des préparatifs extraordinaires pour cette expédition ; on équipa quatorze vaisseaux à quatre mâts, dont l’équipage de quelques-uns se montait à deux cent cinquante hommes, et l’on approvisionna cette flotte pour deux ans. Le grand Kan donna des passeports et des lettres de recommandation aux Vénitiens pour tous les lieux soumis à sa puissance ; puis, après leur avoir fait de riches présens en joyaux, il leur dit qu’il comptait sur leur retour et les autorisa à agir comme ses ambassadeurs auprès du pape, des rois de France et d’Espagne et de tous les princes chrétiens.

Cette expédition remarquable mit à la voile vers le commencement de l’an 1291, trois ans avant la mort de Kublaï, et quatre ans avant le retour de Maffio, Nicolo et Marco Polo, à Venise, en 1295. Depuis la rivière Pe-ho qui traverse le district de Pe-King et va se jeter dans la mer Jaune, voici la route que tint la flotte et que trace Marco Polo dans sa relation. Elle toucha d’abord au port de Zaitun dans la province de Fo-Kien, puis passa par l’île de Hai-nan et suivit la côte de Anan ou de la Cochinchine. Après avoir dépassé la côte de Kamboia, on se dirigea vers l’île de Bintan, située à la pointe méridionale de la péninsule Malaise (Malayan). Puis remontant vers le nord-ouest parle détroit que forment cette presqu’île et Sumatra, la flotte, après avoir été arrêtée pendant cinq mois pour attendre un vent favorable, passa près des îles Nicobar et Andamans, et traversa la baie du Bengale, en se dirigeant vers l’île de Ceylan, et de là à Olmuz dans le golfe Persique, où se termina cette grande navigation qui dura dix-huit mois.

A peine la jeune princesse, les ambassadeurs persans et nos Vénitiens étaient-ils débarqués, que l’on apprît qu’Arghun, ce roi mongol pour qui on avait amené une fiancée avec tant de peine, était mort depuis quelque temps (1291) ; que le pays était gouverné par un régent, un protecteur, qui passait pour être disposé à s’emparer de la souveraineté, et que le fils d’Arghun le dernier roi, Ghazan, qui par la suite s’est rendu célèbre en remontant sur le trône de son père, était à la tête d’une armée dans le Korasan, attendant l’occasion de faire valoir ses droits. Nos voyageurs, ainsi que la fiancée et les ambassadeurs, dirigèrent leurs marche vers ce prince, et lorsque les Vénitiens eurent remis entre les mains de Ghazan le dépôt royal qui leur avait été confié par Kublaï, ils allèrent à Tauris où ils se reposèrent des fatigues de leur long voyage, pendant neuf mois. De là ils atteignirent Trébizonde sur les bords de la mer Noire, où ils s’embarquèrent pour retourner à Venise, leur patrie. Ces trois célèbres voyageurs revirent leur pays en 1295, après une absence de vingt-quatre ans.

Au récit qui précède et qui est extrait de la relation même de Marco Polo, on ajoutera ce que les traditions vénitiennes ont conservé de la vie et des aventures de ces voyageurs, lorsqu’ils furent rentrés dans leur pays, en Europe. On prétend qu’à leur arrivée à Venise, on leur fit une réception à-peu-près semblable à celle qu’Ulysse éprouva en abordant à lthaque. Ils ne furent reconnus par personne, pas même par leurs plus proches parens ; car, pendant leur longue absence, on avait répandu le bruit de leur mort, et on la regardait généralement comme certaine. D’ailleurs les fatigues des voyages, les inquiétudes d’esprit qu’ils avaient éprouvées, et le changement que vingt-quatre années avaient apporté sur leurs visages, rendaient l’incrédulité de leurs compatriotes assez naturelle ; leur langage italien, corrompu par l’usage des langues de l’Asie ; leurs manières tant soit peu tartares et leur costume étranger, tout enfin contribuait à les faire méconnaître pour des Italiens.

Le beau palais de la famille Polo, habité par ceux des parens qui n’étaient point sortis de Venise, était situé dans la rue Saint-Jean Chrysostome. Quand nos voyageurs demandèrent à y être admis, ceux de leurs pareils qui occupaient la maison eurent toutes les peines du monde à se persuader que ces hommes si bizarrement vêtus, dont les manières leur paraissaient si étranges, et qu’enfin ils tenaient pour morts, fussent des leurs. Ils ne voulaient pas les reconnaître.

Placés dans cette situation fausse, et désirant se faire reconnaître, nos trois voyageurs eurent recours à un expédient assez singulier. Ils firent faire dans leur palais les apprêts d’une fête magnifique, à laquelle ils invitèrent tous leurs pareils et leurs anciennes connaissances. Lorsque l’heure de se mettre à table fut arrivée, Maffio, Nicolo et Marco Polo sortirent d’un appartement intérieur, vêtus de grandes simarres couleur de pourpre et traînant jusqu’à terre, telles qu’il était d’usage d’en porter alors dans les grandes cérémonies. Après que le lavement des mains fut terminé, comme chacun se mettait en devoir de prendre place à table, ils ôtèrent eux-mêmes ces vêtemens et en mirent d’autres semblables, mais en damas cramoisi. Les premiers habits ayant été déchirés en pièces, on en distribua les morceaux aux serviteurs. Après le premier service, ils se déshabillèrent encore, passèrent de nouvelles simarres de velours cramoisi, partagèrent de nouveau entre les domestiques celles qu’ils venaient de quitter. Enfin, quand le repas fut terminé, on distribua également les robes de velours cramoisi. Alors les trois hôtes parurent vêtus d’habillemens simples et semblables à tous ceux que portait la compagnie. Tous les assistans, fort étonnés de ce qu’ils avaient déjà vu, attendaient avec impatience ce qui allait s’ensuivre. Aussitôt donc que le repas fut terminé et que l’on eut donné l’ordre aux domestiques de se retirer, Marco Polo, comme le plus jeune, se leva de table, passa dans une pièce voisine d’où il revint bientôt, tenant les trois vêtemens sales et usés avec lesquels les trois voyageurs étaient arrivés d’abord dans le palais après leur débarquement. Les trois Polo prirent alors des couteaux et se mirent à découdre la doublure de leurs vieux haillons d’où ils tirèrent, au grand étonnement de la société, une grande quantité de pierreries, telles que rubis, saphirs, escarboucles, diamans, émeraudes etc..

En quittant la cour du grand Kan, ils avaient reçu des richesses immenses de ce prince. Mais comme le transport de si grandes sommes eût été impraticable pendant un aussi long voyage que celui qu’ils avaient à faire, ils avaient converti l’or en pierreries.

Cet amas de bijoux précieux qu’ils offrirent sur la table aux regards des assistans, jeta ces derniers dans la stupéfaction. Cependant, quand ils furent revenus de leur extase, ils commencèrent à croire que les trois voyageurs étaient en effet ces gentilshommes de la maison Polo qu’ils avaient cru morts depuis long-temps, et ils finirent par donner les témoignages du plus profond respect à leurs trois hôtes.

On ne donne pas ce fait comme avéré, mais en diminuant un peu l’exagération romanesque qui s’y trouve, on peut regarder cette anecdote traditionnelle comme fondée sur la vérité ; car de quelque manière que les trois Polo s’y soient pris pour se faire reconnaître à leur compatriotes et à leurs parens, après un voyage dans le fond de l’Inde, qui avait duré 24 ans, il est difficile de croire qu’ils y soient parvenus sans causer d’abord un grand étonnement.

Sitôt que le bruit du retour et du singulier voyage des Polo fut répandu à Venise, il n’y eut personne dans la ville qui ne voulût les voir et leur parler. Depuis les premiers seigneurs jusqu’aux artisans, tous recherchèrent leur conversation et eurent à se louer de leur complaisance. Enfin cette curiosité a laquelle se mêlait un intérêt réel, valut à Maffio, le frère aîné, un emploi important dans la magistrature. Quant au jeune Marco Polo, il était constamment entouré de la jeunesse vénitienne qui ne pouvait se lasser de faire des questions sur le grand Kan et sur le royaume de Cathay. Comme Marco avait, à ce qu’il paraît, une complaisance égale à la curiosité de ceux qui le questionnaient, il arriva qu’à force de répéter dans ses récits que les revenus du grand Kan montaient à dix ou quinze millions de ducats d’or, et d’évaluer toutes les richesses de ces contrées en employant fréquemment le mot million, l’on donna à Marco Polo le surnom de Marco Milione. En effet, ce surnom lui resta, mais il y a des auteurs qui prétendent qu’il lui fut donné seulement à cause des richesses que son oncle, son père et lui avaient rapportées de l’Inde.

Il était de la destinée de Marco Polo de mener une vie toujours agitée. A peine s’était-il écoulé quelques mois depuis son arrivée à Venise, que la république eut avis qu’une flotte génoise, commandée par Lampa Doria, s’était montrée vers l’île de Curzola, sur les côtes de la Dalmatie. Aussitôt les Vénitiens mirent à la mer une flotte composée de galères, en nombre supérieur à celui des ennemis. cette flotte fut confiée au commandement d’Andréa Dandolo, et Marco Polo, connu comme un excellent homme de mer, fut nommé capitaine d’une des galères. Les deux flottes ne tardèrent pas à se trouver en présence, et il y eut un engagement à la suite duquel celle des Vénitiens fut dispersée avec une grande perte. Parmi les prisonniers qui furent faits, outre A. Dandolo lui-même, se trouva aussi notre célèbre voyageur, qui, placé parmi les galères formant la division la plus avancée, se porta en avant avec une bravoure remarquable, et n’ayant point été soutenu, fut obligé de se rendre après avoir reçu une blessure grave.

On l’envoya à Gènes avec les autres prisonniers, ses compagnons d’infortune. Mais sa bravoure, ses qualités personnelles et le bruit qui se répandit de ses longs voyages et des récits qu’il en faisait, contribuèrent bientôt à adoucir les rigueurs de sa captivité. Il fut visité par toutes les personnes les plus distinguées de la ville de Gênes, et chacun se fit un point d’honneur de lui offrir, dans sa position, ce qui pouvait lui être nécessaire et même agréable : c’était à qui parviendrait à entendre parler Marco Polo, du royaume de Cathay et de la puissance du grand Kan Kublaï. Cette nécessité de répéter si souvent la même chose devint sans doute insupportable à Marco Polo, et c’est vraisemblablement à cette cause secondaire que nous sommes redevables de la relation de ses voyages, qu’il dicta pour contenter la curiosité de ses contemporains, et s’épargner de si fréquentes redites. Lorsqu’il prit ce parti, il fit venir de Venise toutes les notes qu’il avait faites en voyage, et que son père avait entre les mains. Avec ces documens, dont il parle plus d’une fois dans son livre, et aidé de sa mémoire, il dicta sa relation, qui fut écrite par un certain Rustighello ou Rustigiello, noble génois. Cet homme, par suite du vif désir qu’il avait de s’instruire dans la connaissance des différentes parties du monde, avait lié une amitié intime avec Marco Polo, et passait presque tout son temps avec lui dans l’endroit où il était retenu prisonnier. Cependant Apostolo Zeno pense, d’après l’autorité d’un des manuscrits de Marco, que le livre a été originairement écrit sous la dictée de l’auteur, par un Pisan prisonnier de guerre avec Marco. Quoi qu’il en soit de ces deux conjectures, le manuscrit a été terminé, et a commencé à circuler dans toute l’Italie et l’Europe en 1298.

Cependant Nicolo Polo, le père de notre auteur, avait formé des projets de mariage pour son fils ; mais la prolongation de sa captivité, dont la fin devenait toujours plus incertaine, lui fit renoncer à cette espérance. Après avoir fait des offres de rançon considérables, le tout sans succès, le vieux Nicolo, craignant de ne pas laisser son immense fortune à des héritiers directs, se décida à se remarier.

Il arriva qu’au bout de quatre ans de captivité, Marco Polo, par suite d’arrangemens entre les deux républiques, recouvra sa liberté. Il retourna donc à Venise et trouva son vieux père, qui était vert encore, entouré de trois fils en bas âge. Marco était un homme de sens et qui avait beaucoup vu ; il ne témoigna aucune humeur de cet accident et résolut de prendre femme aussi, ce qu’il fit. Il n’a point laissé de race masculine. On sait que son testament était daté de 1323, et que sa naissance a eu lieu vers 1254, d’où il suit que l’on peut évaluer la durée de son existence à soixante-dix ans.

Lorsque le livre de Marco Polo parut, on le lut avec une grande avidité, mais personne alors ne crut à la vérité de cette relation. Les poètes, les romanciers, s’emparèrent du personnage du grand Kan et du royaume de Cathay, pour embellir et égayer leurs récits. Cette machine poétique fut mise en usage jusqu’au temps de l’Arioste qui, comme l’on sait, parle souvent de la reine de Cathay. De la lecture du livre de Marco Polo résulta encore une opinion qui s’accrédita dans l’esprit de tous les peuples occidentaux : c’est qu’il y avait au milieu de l’Asie un grand monarque, que l’on désignait sous le nom de grand Kan, qui était chrétien, qui appelait vers lui, par ses vœux, tous ceux des chrétiens occidentaux qui voudraient entreprendre le voyage de Tartarie pour y propager la foi catholique et y instruire les peuples idolâtres dans la religion chrétienne. Les richesses immenses que possédait ce grand Kan n’étaient point oubliées. Dans tous ces désirs vagues que l’on formait pour aller convertir les païens, il se joignait toujours une espérance d’en être largement récompensé par les rubis, les émeraudes et l’or du grand Kan, du prêtre Jean ou du roi des Hassacis dont le vulgaire ne faisait qu’un seul personnage. Les croisades et les relations diplomatiques qui s’étaient établies entre saint Louis et les princes tartares, avaient commencé à répandre toutes ces idées en Europe ; la relation de Marco Polo les y fixa.

Outre ces résultats, ce livre eut encore celui de porter l’attention de quelques savans, et particulièrement celle de Christophe Colomb, sur les études géographiques. On ne peut douter, en lisant la relation originale du premier voyage que fit Christophe Colomb de 1492 à 1504, que toutes les études préliminaires, que toutes les spéculations qu’il avait faites sur l’étendue de la terre et la position relative des différentes contrées, ne fussent calculées d’après les renseignemens que lui avait fournis l’ouvrage de Marco Polo. Voici les propres paroles du fameux voyageur, qui, lorsqu’il venait de découvrir ce nouveau monde, portant aujourd’hui le nom d’Amérique, croyait avoir trouvé un chemin, en traversant la mer dans la direction du couchant, pour arriver à l’extrémité orientale de l’Inde et pénétrer par ce côté dans l’intérieur de ce vieux continent.

« Très hauts, très chrétiens, très excellens et très puissans princes, roi et reine des Espagnes et des îles de la mer, notre seigneur et notre souveraine, cette présente année 1492, après que vos altesses eurent mis fin à la guerre entre les Maures qui régnaient en Europe, et eurent terminé cette guerre dans la très grande cité de Grenade, où, cette présente année, le deuxième jour du mois de janvier, je vis arborer, par la force des armes, les bannières royales de vos altesses sur les tours de l’Alhambra, et où je vis le roi maure se rendre aux portes de la ville et y baiser les mains royales de vos altesses ; aussitôt dans ce présent mois et d’après les informations que j’avais données à vos altesses des terres de l’Inde et d’un prince qui est appelé grand Kan, ce qui veut dire en notre langue vulgaire roi des rois, et de ce que plus leurs fois lui et ses prédécesseurs avaient envoyé à Rome y demander des docteurs en notre sainte foi, pour qu’ils la lui enseignassent ; comme le Saint Père ne l’en avait jamais pourvu, et que tant de peuples se perdaient en croyant aux idolâtries et recevant en eux des sectes de perdition, vos altesses pensèrent, en leur qualité de catholiques chrétiens et de princes amis et propagateurs de la sainte foi chrétienne et ennemis de la secte de Mahomet et de toutes les idolâtries et hérésies, à envoyer moi, Christophe Colomb, auxdites contrées de l’Inde pour voir lesdits princes et les peuples, pour savoir de quelle manière on pourrait s’y prendre pour les convertir à notre sainte foi. Elles m’ordonnèrent de ne point aller par terre à l’Orient, mais de prendre, au contraire, la route de l’Occident, par laquelle nous ne savons pas, jusques aujourd’hui, d’une manière positive que personne ait jamais passé. » (Vol. II, pages 3 et 4.)

Tout plein de cette idée pendant le cours de son voyage de découverte, Colomb, arrivé aux premières îles américaines, dit (vol. Ile, page 77) : « Je voulais remplir d’eau toutes les tonnés des vaisseaux, pour partir d’ici si le temps me le permettait, et faire le tour de cette île jusqu’à ce que j’eusse pu prendre langue avec ce roi et voir si je puis avoir de lui l’or qu’il porte, et partir après pour une autre très grande île, qui doit être, à ce que je crois, (ipango (Zipangu), d’après les renseignemens que me donnent mes Indiens, qui l’appellent Colba, (Cuba). »

Arrivé à l’île de Cuba, il pense qu’il y a la ville de ce nom ; que le pays est un grand continent s’étendant beaucoup au nord ; que le roi de cette contrée est en guerre avec le grand Kan. L’amiral (Colomb) se disposa à envoyer un présent au roi du pays. « Il ajoute qu’il faisait tous ses efforts pour se rendre auprès du grand Kan, qu’il pensait devoir habiter dans les environs ou dans la ville de Cathay, appartenant à ce prince qui est fort puissant, ainsi qu’on le lui assura avant son départ d’Espagne. » (Page 94.)

« On tirera aussi beaucoup de coton de ce pays, ajoute-t-il en parlant de Cuba ; et je crois qu’il s’y vendrait très bien sans qu’on eût besoin de le porter en Espagne, mais seulement dans les grandes villes du grand Kan que nous découvrirons sans doute, et dans plus leurs autres appartenant à d’autres grands seigneurs qui seraient heureux de servir vos altesses. » (Volume II, page 114)-

Plus d’une fois encore, il parle de l’île de Cipango (Zipangu) qu’il compte sans cesse trouver. Au surplus, l’illusion de ce navigateur à l’égard de l’Inde est complète ; et dans une lettre qu’il écrivit à l’intendant en chef du roi et de la reine catholiques, il dit : « Lorsque j’arrivai à l’île la Juana, j’en suivis la côte vers le couchant, et je la trouvai si grande, que je pensais que c’était la Terre-Ferme, LA PROVINCE DU CATHAY ! »

Colomb dans sa relation semble toujours être poussé par l’envie de trouver de l’or, des perles et toute sorte de richesses de cette nature. Quand on ne connaît pas le voyage de Marco Polo et la connexité qu’il a avec celui du Génois, on pourrait accuser ce dernier d’avoir été mu particulièrement par une cupidité tout–à-fait désagréable. Mais avec un peu de réflexion, on s’aperçoit que les notions qu’il avait recueillies en Europe sur l’Inde, sur le royaume du Cathay et du grand Kan, sur les richesses immenses qui s’y trouvaient, lui ont fait rechercher toutes ces matières précieuses comme un renseignement qui pouvait lui indiquer qu’il était effectivement dans le pays, dans cette Inde enfin qu’il cherchait.

En somme, c’est une chose assez remarquable que ce soit un simple négociant de Venise, qui le premier ait fait connaître à l’Europe l’extrémité orientale de l’Inde, et qu’un autre Italien, Colomb, ait découvert l’Amérique presque par hasard, et en voulant aller par mer où Marco Polo était parvenu par terre.

L’homme ne peut réellement s’enorgueillir de rien de ce qu’il fait. Les plus grands génies dans leurs plus grandes entreprises sont les instrumens de la Providence ou les dupes du destin ; car, enfin, sans vouloir diminuer en rien le mérite de Christophe Colomb, mérite immense, toutefois lorsqu’il était à Cuba et qu’il nommait cette île Cipango, il faisait une erreur de tout l’espace que couvre le golfe du Mexique, le continent américain et la mer Pacifique.