Archives par mot-clé : Émile Verhaeren

LA PLACE DE LA LIBERTE LE MONUMENT DE SAINT GEORGES TBILISSI -თავისუფლების მოედანი – თბილისი

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თავისუფლების მოედანი

 géorgie LA REINE TAMAR DE GEORGIE
Géorgie
საქართველო

PHOTO JACKY LAVAUZELLE

Géorgie თავისუფლების მოედანი

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TBILISSI
თბილისი

PLACE DE LA LIBERTE
თავისუფლების მოედანი

ex Place Erivan
T’bilisi, Géorgie


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PLACE DE LA LIBERTE
თავისუფლების მოედანი თბილისი
Monument à la Liberté
MONUMENT DE SAINT GEORGES
2006

 

 

ძეგლი თავისუფლებისკენ
Saint Georges de Lydda terrassant le dragon
Sculpteur Zourab Tsereteli
ზურაბ წერეთელი
(Sculpteur né le 4 janvier 1934)

Cadeau de Zourab Tsereteli président de l’Académie russe des beaux arts aux habitants de la capitale géorgienne

Saint Georges de Lydda
Fêté en Géorgie le 23 novembre
vers 275/280 à Lydda – saint patron de la chevalerie chrétienne et de la Géorgie

 

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SAINT GEORGES

Poème de
Émile Verhaeren

Ouverte en large éclair, parmi les brumes,
Une avenue ;
Et Saint Georges, fermentant d’ors,
Avec des plumes et des écumes,
Au poitrail blanc de son cheval, sans mors,
Descend.

L’équipage diamantaire
Fait de sa chute, un triomphal chemin
De la pitié du ciel, vers notre terre.

Héros des joyeuses vertus auxiliaires,
Sonore d’audace et cristallin,

 

Mon cœur nocturne, oh qu’il l’éclaire,
Au tournoiement de son épée auréolaire !
Que j’entende le babil d’argent
Du vent, autour de sa cotte de mailles,
Ses éperons, dans les batailles ;
Le Saint Georges, celui qui luit
Et vient, parmi les cris de mon désir,
Saisir
Mes pauvres bras tendus vers sa vaillance !

Comme un haut cri de foi
Il tient en l’air, sa lance,
Le Saint Georges ;
Il a passé, par mon regard,
Comme une victoire d’or hagard,
Avec, au front, l’éclat du chrême,
Le Saint Georges du devoir
Beau de son cœur et par lui-même.

Sonnez toutes mes voix d’espoir !
Sonnez en moi ; sonnez, sous les rameaux,
En des routes claires et du soleil !
Micas d’argent, soyez la joie, entre les pierres ;

 

Et vous, les blancs cailloux des eaux
Ouvrez vos yeux, dans les ruisseaux,
À travers l’eau de vos paupières ;
Paysage, avec tes lacs vermeils,
Sois le miroir des vols de flamme
Du Saint Georges, vers mon âme !

Contre les dents du dragon noir,
Contre l’armature de lèpre et de pustules,
Il est le glaive et le miracle.
La charité, sur sa cuirasse, brûle
Et son courage est la débâcle
Bondissante de l’instinct noir.

Feux criblés d’or, feux rotatoires
Et tourbillons d’astres, ses gloires,
Aux galopants sabots de son cheval,
Éblouissent les yeux de ma mémoire.

Il vient, en bel ambassadeur
Du pays blanc, illuminé de marbres,
Où, dans les parcs, au bord des mers, sur l’arbre
De la bonté, suavement croît la douceur.

 

Le port, il le connaît, où se bercent, tranquilles,
De merveilleux vaisseaux, emplis d’anges dormants
Et les grands soirs, où s’éclairent des îles
Belles, mais immobiles,
Parmi les yeux, dans l’eau, des firmaments.
Ce royaume, d’où se lève, reine, la Vierge,
Il en est l’humble joie ardente — et sa flamberge
Y vibre, en ostensoir, dans l’air ;
Le dévorant Saint Georges clair
Comme un feu d’or, parmi mon âme.

Il sait de quels lointains je viens
Avec quelles brumes, dans le cerveau,
Avec quels signes de couteau,
En croix noires, sur la pensée,
Avec quelle dérision de biens,
Avec quelle puissance dépensée,
Avec quelle colère et quel masque et quelle folie,
Sur de la honte et de la lie.

J’ai été lâche et je me suis enfui
Du monde, en mon orgueil futile ;
J’ai soulevé, sous des plafonds de nuit,
Les marbres d’or d’une science hostile,

 

Vers des sommets barrés d’oracles noirs ;
Seule la mort est la reine des soirs
Et tout effort humain n’est clair que dans l’aurore :
Avec les fleurs, la prière désire éclore
Et leurs douces lèvres ont le même parfum ;
Le blanc soleil, sur l’eau nacrée, est pour chacun
Comme une main de caresse, sur l’existence ;
L’aube s’ouvre, comme un conseil de confiance,
Et qui l’écoute est le sauvé
De son marais, où nul péché ne fut jamais lavé.

Le Saint Georges cuirassé clair
A traversé, par bonds de flamme,
Le frais matin, jusqu’à mon âme ;
Il était jeune et beau de foi ;
Il se pencha d’autant plus bas vers moi,
Qu’il me voyait plus à genoux ;
Comme un intime et pur cordial d’or
Il m’a rempli de son essor
Et tendrement d’un effroi doux ;
Devant sa vision altière,
J’ai mis, en sa pâle main fière,
Les fleurs tristes de ma douleur ;
Et lui, s’en est allé, m’imposant la vaillance

 

Et, sur le front, la marque en croix d’or de sa lance,
Droit vers son Dieu, avec mon cœur.

Émile Verhaeren
SAINT GEORGES
Poèmes
Troisième série
Société du Mercure de France
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თავისუფლების მოედანი géorgie LA REINE TAMAR DE GEORGIE
Géorgie
საქართველო

The old railway station – Gare de Kuala Lumpur – Stesen keretapi Kuala Lumpur – 吉隆坡火车总站

Pelancongan di Malaysia
Voyage en Malaisie
PHOTO JACKY LAVAUZELLE

 




Gare de Kuala Lumpur

 Visiter Kuala Lumpur
Meneroka kota Kuala Lumpur
Melawat Kuala Lumpur
吉隆坡
Куала-Лумпур

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Gare de Kuala Lumpur
Stesen keretapi Kuala Lumpur
吉隆坡火车总站
ستيسين كريتاڤي كوالا لومڤور

Commencée en 1886
Achevée en 1910

Gare de Kuala Lumpur Sentral la remplace en 2001 (Kuala Lumpur Sentral)

La vieille gare de KL ressemble de moins en moins au palais dont parlait l’Edition du Tour du Monde de 1968 : « La gare de Kuala Lumpur, qu’on prendrait aisément pour un palais mongol de cinéma  est dotée, à l’étage supérieur, d’un hôtel confortable et, au rez-de-chaussée, d’un restaurant. Les chemins de fer malais sont gérés avec sagesse. L’express du jour vous conduit en dix heures à Singapour ou à Penang. »

Aujourd’hui, l’agitation frénétique des voyageurs s’est transportée plus au sud vers la Sentral KL. Notre vieille gare reste un joyau improbable à proximité de la mosquée nationale – Masjid Negara – où peuvent se retrouver 15000 fidèles.

Le temps marque son emprise sur ses murs et ses colonnades et ressemble de plus en plus à un superbe navire abandonné dans la ville. Ce qui lui donne aussi tout son charme suranné.  

Aussi résonnent encore les vers de (Œuvres de Émile Verhaeren – Mercure de France, 1933 -IX. Toute la Flandre, II
Les Villes à pignons. Les Plaines) dans son poème La Gare.

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« Du côté du canal, où ronflent et s’exilent
Les trois usines de la ville,
La gare,
Avec ses coups de trompe et de sifflet,
Avec ses signaux verts dans le soir violet,
Luit et s’effare... » (Emile Verhaeren – La Gare)












[Notre Canal est à Kuala Lumpur le Klang qui y coule à proximité – Les coups de sifflet se sont depuis longtemps éteints, mais des empreintes sonores agitent encore les lieux – J Lavauzelle]

« Elle existe, vivant de peu, très à l’écart ;
Où monte son pignon, montait l’ancien rempart.
Les dimanches, à l’heure où l’on sonne les messes,
Elle écoute de loin le lourd bourdon baller,
Et les cloches, une fois l’an, se quereller,
Toutes ensemble, à la Kermesse. »

Emile Verhaeren – La Gare

« …Mais, dès que le jour tombe, et que s’en vont rentrer
Ceux-ci d’Alost, ceux-là de Deynze et de Courtrai,
La gare,
Une dernière fois, tremble et s’effare,
Et se remplit de bruit ;
Puis, doucement s’enfonce et se clôt dans sa nuit ;
Et l’on n’entend plus rien dans la salle d’attente,
Où seul un bec de gaz reste allumé,
Que le grincement dur d’une plume irritante,
Près d’un guichet fermé. »
Emile Verhaeren – La Gare

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Jardins do Palácio de Cristal – Porto – Les Jardins du Palais de Cristal

PORTUGAL
PORTO




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 Photos Jacky Lavauzelle

Jardins do Palácio de Cristal

Les Jardins du Palais de Cristal





Avec un poème de Luis de  Camões
N’hum jardim adornado de verdura
&
Le Jardin d’Emile Verhaeren

 

N’hum jardim adornado de verdura,
Que esmaltavão por cima várias flores,
Entrou hum dia a deosa dos amores,
Com a deosa da caça e da espessura.

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Diana tomou logo hũa rosa pura,
Venus hum roxo lyrio, dos melhores;
Mas excedião muito ás outras flores
As violas na graça e formosura.

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Perguntão a Cupido, que alli estava,
Qual de aquellas tres flores tomaria
Por mais suave e pura, e mais formosa.

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Sorrindo-se o menino lhes tornava:
Todas formosas são; mas eu queria
Viola antes que lyrio, nem que rosa.

Luis de Camões 

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L’herbe y est bleue et la haie azurée
De papillons de verre et de bulles de fruits ;
Des paons courent, au long des buis,
Un lion clair barre l’entrée.

Chaque montée est un espoir
En escalier, vers une attente ;
Par les midis chauffés, la marche est haletante,
Mais le repos attend, au bout du soir.

Des ruisselets qui font blanches les fautes
Coulent, autour de gazons frais ;
L’agneau divin avec sa croix, s’endort, auprès
Des jacinthes, pâles et hautes.

Des fleurs droites, comme l’ardeur
Extatique des âmes blanches,
Fusent, en un élan de branches,
Vers leur splendeur.

Un vent très lentement ondé
Chante une prière, sans paroles ;
L’air filigrane une auréole,
À chaque disque émeraudé.

L’ombre même n’est qu’un essor,
Vers les clartés qui se transposent ;
Et les rayons calmés reposent
Sur les bouches des lilas d’or.

Emile Verhaeren

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Jardins do Palácio de Cristal

LA POESIE de RAINER MARIA RILKE – Werk des Dichters Rainer Maria Rilke

signature 2Rainer Maria Rilke

LITTERATURE ALLEMANDE
Deutsch Literatur

Gedichte – Poèmes
Texte

 

RAINER MARIA RILKE
1875-1926

 Rainer Maria Rilke Portrait de Paula Modersohn-Becker 1906
Portrait de Rainer Maria Rilke
1906
Par Paula Modersohn-Becker

*

 

La Poésie
de Rainer Maria Rilke
Werk des Dichters
Rainer Maria Rilke

Gedicht von Rainer Maria Rilke

 

*

DIE ARMEN WORTE
Les Pauvres Mots
1897

 Die armen Worte, die im Alltag darben,
Les pauvres mots, aux teintes du quotidien,
die unscheinbaren Worte, lieb ich so.
ô ces mots discrets, comme je les aime.

*

MOTTO
DEVISE
1897

Das ist die Sehnsucht: wohnen im Gewoge
Le désir est ainsi : vivre dans la vague
und keine Heimat haben in der Zeit.
et sans patrie dans le temps qui passe.

Ernst Ludwig Kirchner, Baigneuses entre pierres, 1912, musée Städel, Francfort-sur-le-Main

*

Das Buch vom mönchischen Leben 
Le livre de la vie monastique
 1899

Da neigt sich die Stunde und rührt mich an
Comme se pose l’heure et me touche
mit klarem, metallenem Schlag:
par son clair impact métallique :

Le Livre de la vie monastique Das Buch vom mönchischen Leben Artgitato Rainer Maria Rilke Jean II Restout Moine en Prière





*

EINSAMKEIT
SOLITUDE
1902

 Die Einsamkeit ist wie ein Regen.
La solitude est comme la pluie.
Sie steigt vom Meer den Abenden entgegen;
Elle monte de la mer vers les soirées ;

*

LES VAGUES DU CŒUR 
Einmal nahm ich zwischen meine Hände

Einmal nahm ich zwischen meine Hände
Une fois, je pris dans mes mains
dein Gesicht. Der Mond fiel darauf ein.
ton visage. La lune alors tomba sur lui.

*

HERBST
AUTOMNE
1902

Die Blätter fallen, fallen wie von weit,
Les feuilles tombent, elles tombent venant de loin,
als welkten in den Himmeln ferne Gärten;
comme venant des jardins desséchés lointains du ciel ;

*

LE PARFUM
DER DUFT

Wer bist du, Unbegreiflicher: du Geist,
Qui es-tu, élément incompréhensible : ô toi, esprit,
wie weißt du mich von wo und wann zu finden,
comment sais-tu où et quand me trouver,

*

LES FENÊTRES

Il suffit que, sur un balcon
ou dans l’encadrement d’une fenêtre
celle que nous perdons
en l’ayant vue apparaître.

Les Fenêtres Rainer Maria Rilke Artgitato Van Gogh La Charcuterie 1888

*
BLANCHES ÂMES
Weiße Seelen

Weiße Seelen mit den Silberschwingen,
Âmes blanches aux ailes d’argent,
Kinderseelen, die noch niemals sangen,-
Âmes d’enfants qui jamais encore n’ont chanté,

*

AVENTE
L’AVENT

Es treibt der Wind im Winterwalde
Le vent souffle dans la forêt d’hiver
die Flockenherde wie ein Hirt
Un blanc troupeau de flocons tel un berger


Maslenitsa, Boris Koustodiev, 1916
*

EINGANG
L’ARBRE NOIR DANS LE CIEL
1906

Wer du auch seist: am Abend tritt hinaus
Qui que tu sois : sors le soir
aus deiner Stube, drin du alles weißt;
de ta chambre, dans laquelle tu sais tout ;

*

PROMENADE
Spaziergang
1924

Schon ist mein Blick am Hügel, dem besonnten,
Mon regard est déjà sur la colline, le soleil en face,
dem Wege, den ich kaum begann, voran.
Sur ce chemin, qu’à peine je commence.

*

LES QUATRAINS VALAISANS
36 poèmes
36 Gedichte
1926

Les Quatrains Valaisans Rainer Maria Rilke Blumenfamilie 1922 Paul Klee

*

LES ROSES
RECUEIL DE 24 POEMES

LES ROSES RAINER MARIA RILKE artgitato Vase avec des tulipes, roses et d'autres fleurs avec des insectes 1669 de Maria van Oosterwijk

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Sonette aus dem Portugiesischen (Rilke)
Sonnets from the Portuguese  (Elizabeth Barrett Browning)
Sonnets Portugais (trad. Jacky Lavauzelle)

Elizabeth-Barrett-Browning Sonnets from the Portuguese Elizabeth Barrett Browning Sonette aus dem Portugiesischen RILKE

*

Les SONNETS de Louise Labé
Die Sonette von Louise Labé 
Louise Labé Les Sonnets Giovanni Bellini Jeune Femme à sa toilette 1515 Musée d'histoire de l'Art de Vienne

*

TENDRES IMPÔTS A LA FRANCE
RECUEIL DE 15 POEMES

Tendres impôts à la France Rainer Maria Rilke Artgitato Le Cirque ambulant 1940 Musée d'Art de São Paulo

*




VERGERS
RECUEIL DE POEMES
1924 – 1925

Vergers Rainer Maria Rilke 1924 1925 Artgitato Paul Klee Mythe de Fleur 1918

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signature 2

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RAINER MARIA RILKE
LE REDEMPTEUR DES PAUVRES MOTS

Disons maintenant quelques mots des moyens employés par Verhaeren pour atteindre la vision, pour traduire la passion dans les phénomènes intérieurs et pour éveiller l’enthousiasme. Examinons d’abord s’il est vrai de dire que Verhaeren soit un artiste au point de vue de la langue. Ses moyens verbaux ne sont nullement restreints. Si, dans ses termes ou dans ses rimes, on peut constater des retours fréquents qui confinent parfois à la monotonie, on remarque chez lui dans l’emploi du mot une étrangeté, une nouveauté, un inattendu qui sont presque sans exemple dans la lyrique poésie française. Une langue ne s’enrichit pas uniquement de néologismes. Un mot peut acquérir une vie nouvelle en prenant une place et un sens qu’il n’avait pas, par une transvaluation de sa signification, comme fit Rainer Maria Rilke dans la poésie allemande. « Être le rédempteur par la vie poétique des pauvres mots qui se meurent d’indigence dans la vie journalière », voilà peut-être qui est supérieur à la création de nouveaux vocables.

Stefan Zweig
Émile Verhaeren : sa vie, son œuvre
Traduction par Paul Morisse et Henri Chervet.
 Mercure de France, 1910
pp. –360

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LES CAHIERS DE MALTE LAURIDS BRIGGE

 A vouloir commenter ce livre, on risque de prouver surtout que pour l’avoir trop compris on l’a mal deviné, tant on sent qu’il se veut irréductible à l’entendement. Ce serait là sans doute un truisme s’il s’agissait d’une pure œuvre d’art. Mais précisément chez cet authentique poète qu’est Rilke, le plus original peut-être et l’un des plus richement doués parmi les Allemands de sa génération, la pente de l’esprit, l’inclinaison morale est si forte qu’elle détermine la vision, de telle sorte qu’on lui ferait tort d’une part essentielle en ne se préoccupant point de la signification de ses écrits.

Les deux petits volumes de prose dont il est question révèlent pleinement une richesse secrète, un sens d’intimité que les œuvres précédentes ne décelaient encore que par affleurements. Dans ce recueil de souvenirs et d’impressions, qui tient autant d’un traité de la vie intérieure que d’une étude de psychologie, nous sommes d’abord frappés par la prédominance d’une sensualité attentive et déliée, d’où se dégage par une sorte d’intuition immédiate, une image étendue de la vie. Rilke ose les déductions les plus lointaines et les plus compliquées sans prendre le détour de la combinaison intellectuelle ; il ne quitte pas sa sensation et, si son cœur est tourmenté d’une soif d’absolu toute pascalienne, il ne souhaite pas  » trouver Dieu ailleurs que partout.  »  Il l’y cherche avec une ferveur exaltée, avec un soin méticuleux, avec une inquiétude qui n’est pas sans péril. Il est comme un chien sur la piste du divin.

Il nous introduit dans une atmosphère moite et enfiévrée où un monde à venir semble en éclosion continuelle. La vie s’y tient inachevée et trop serrée comme à l’intérieur d’un bourgeon.

Un jeune homme de ces temps-ci, le dernier descendant d’une vieille famille aristocratique du Danemark, fait à Paris, dans la misère et l’isolement, l’expérience d’un déracinement bien autre- ment grave que s’il se détachait, simplement, de sa terre et de ses morts. Déracinant son cœur, il passe d’une époque à une autre, il entreprend de se quitter lui-même pour parcourir dans la solitude l’espace très long qui sépare de la sympathie l’amour. Il ne continue pas sa lignée. Les temps nouveaux sont entrés en lui, il a élargi son cadre, il a laissé là sa maison et ce qu’il possédait.


C’est là ce qui donne au lyrisme de Rilke son accent unique, sa force, son importance. Peut-être faut-il rapporter ce trait si particulier à ses influences ou à ses origines slaves. Il fait fréquemment penser à Dostoïevski dont il est loin pourtant par la nature de son talent comme par sa volonté d’artiste. Il a, à un haut degré, la faculté de contact avec la matérialité des choses qui manque au grand romancier russe. C’est au point qu’il donne l’impression de posséder quelque sens supplémentaire lui permettant des relations plus variées et plus intimes avec le monde des phénomènes. Son style très imagé prend presque toutes ses expressions dans des termes de mouvement. Les choses chez lui ne sont pas, elles deviennent et l’on pourrait dire qu’il a l’adjectif dynamique. Il obtient par là une adhérence si intime entre la pensée et la forme que celle-ci suggère l’idée d’une peau bien plus que d’un vêtement. Son invention verbale est sans bornes, mais il lui arrive parfois d’outrepasser les limites du possible, et son goût qui est fin, à certaines fâcheuses défaillances… Il est juste cependant de dire que quand il se contorsionne en d’invraisemblables acrobaties, ce n’est jamais que par nécessité, et comme pour atteindre un objet hors de sa portée.

Ce lyrique qu’on dirait tout absorbé par ses grands événements à ses moments perdus se révèle observateur remarquable, psychologue subtil et narquois. Il a la vision impeccablement concrète, le trait original, sûr et concentré, un don amusant de la charge et peut-être l’étoffe d’un romancier.

Les notes de M. L. Brigge ne sont pas un livre beau, bien fait, réussi. Elles ont quelque chose de trop vert, de trop foisonnant, de trop jeune, un tremblement trop peu dominé ; elles ne sont que délicieuses et importantes, et lourdes du mystère des œuvres vivantes.

La Nouvelle Revue Française
NRF, 1911
Tome V

LEDNICE Le Jardin Zámecký park – MORAVIE DU SUD




TCHEQUIE – Česká republika
LEDNICE
okres Břeclav
Morava-Moravie du Sud
Znak Moravy Blason de la Moravie

LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (11)


 ——

 

 

Photo Jacky Lavauzelle

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LEDNICE
LE JARDIN 
Zámecký park
Eisgrub

En fait, il s’agit d’un jardin à la française mais nommé Jardin anglais. Des allées rectilignes, une architecture linéaire et contrôlée. Du moins pour la partie la plus proche du Château de Lednice.

Zámecký park

Poésie de Émile Verhaeren
LE JARDIN
Poèmes (IIIe série)
Société du Mercure de France, s.d.
pp. 139-140

LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (1)

L’ombre même n’est qu’un essor,
Vers les clartés qui se transposent ;
Et les rayons calmés reposent
Sur les bouches des lilas d’or.

LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (2) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (3) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (4)

Des fleurs droites, comme l’ardeur
Extatique des âmes blanches,
Fusent, en un élan de branches,
Vers leur splendeur.

LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (5) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (6) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (7) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (8) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (9) LEDNICE Le Jardin Anglais Zámecký park - MORAVIE DU SUD Artgitato Château de Lednice (10)Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (1) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (2) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (3) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (4) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (5) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (6) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (7)

Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato 0

L’herbe y est bleue et la haie azurée
De papillons de verre et de bulles de fruits ;
Des paons courent, au long des buis,
Un lion clair barre l’entrée.

Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (8) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (9) Le Jardin Anglais Zamecky Park Château de Lednice Artgitato (10)

Un vent très lentement ondé
Chante une prière, sans paroles ;
L’air filigrane une auréole,
À chaque disque émeraudé.

   Zámecký park

RUBENS Deposizione nel Sepolcro – Le Saint-Sépulcre – La Mise au Tombeau – Sepoltura Borghese – 沉积在圣墓 – GALLERIA BORGHESE – 博吉斯画廊

ROME – ROMA – 罗马
沉积在圣墓
Rubens Deposizione nel Sepolcro
LA VILLA BORGHESE
博吉斯画廊

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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Flag_of_Lazio


GALLERIA BORGHESE
博吉斯画廊
La Galerie Borghèse

Pianto sul Cristo Morto Pier Peter Paul Rubens 1602 artgitato Galleria Borghese

PIERRE PAUL RUBENS
PETER PAUL RUBENS
彼得·保罗·鲁本斯
PIETER PAUL RUBENS
1577-1640

Sepoltura Borghese
Compianto sul corpo di Cristo deposto
Lamentation sur le corps du Christ
1605 – 1606
Deposizione nel sepolcro
Déposition dans le sépulcre

沉积在圣墓

Tableau probablement élargi à la fin du XVIIIe siècle
Ampliato presumibilmente alla fine del XVIII secolo

Peinture Huile sur Toile
dipinto a olio su tela
180×137

 » Raphaël, Rubens ne cherchaient pas les idées ; elles venaient à eux d’elles-mêmes, et même en trop grand nombre. Le travail ne s’applique guère à les faire naître, mais à les rendre le mieux possible par l’exécution. »
15 février 1852
Journal d’Eugène Delacroix
Texte établi par Paul Flat, René Piot
Plon, 1893
Tome 2 Pages 82-83

 

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TERTULLIEN
De la Chair de Jésus-Christ
Traduction par  Antoine-Eugène Genoud
Œuvres complètes de Tertullien
Louis Vivès, 1852, Tome 1  – pp. 389-433

I. Ceux qui, cherchant à ébranler la foi à la résurrection, que l’on avait crue fermement jusqu’à ces modernes Sadducéens, prétendent que cette espérance n’appartient point à la chair, ont raison de mettre en question la chair de Jésus-Christ, et de soutenir ou qu’elle n’existe pas, ou qu’elle est tout autre chose que la chair de l’homme. Ils craignent que s’il est prouvé une fois que cette chair est semblable à la nôtre, il n’en sorte contre eux la présomption que cette chair, ressuscitée en Jésus-Christ, ressuscitera infailliblement dans les hommes. Il faut donc soutenir la réalité de la chair avec les mêmes arguments qui servent à la renverser. Examinons quelle est la substance corporelle du Seigneur. Quant à sa substance spirituelle, tout le monde est d’accord. Il ne s’agit que de sa chair. On dispute de sa vérité, de sa nature, de son existence, de son principe, de ses qualités. Sa réalité deviendra le gage de notre résurrection. Marcion, voulant nier la chair du Christ, a nié aussi sa naissance : ou, voulant nier sa naissance, a nié également sa chair, sans doute de peur que la naissance et la chair ne se rendissent témoignage dans leur mutuelle correspondance, puisqu’il n’y a point de naissance sans la chair, ni de chair sans la naissance ! Comme si, en vertu des droits que s’arroge l’hérésie, il n’avait pas pu, ou nier la naissance en admettant la chair, ainsi que l’a fait Apelles, son disciple, et depuis son déserteur ; ou bien, tout en confessant la chair et la naissance, leur donner une autre interprétation, avec Valentin, autre disciple et déserteur de Marcion. Mais qui a pu soutenir le premier, que la chair de Jésus-Christ était imaginaire, a bien pu supposer aussi que sa naissance n’était qu’un fantôme ; de même que la conception, la grossesse, l’enfantement d’une vierge, et successivement toute la vie de cet enfant, une chimère. Toutes ces circonstances auraient trompé les mêmes yeux et les mêmes sens qu’avait déjà fermés l’illusion de la chair.

 Pierre Peter Pieter Rubens_Deposition nel sepolcro - Déposition dans le sépulcre

Emile Verhaeren
Les Héros
Deman – 1808 Pages 67-73

Rubens

 

Ton art énorme est tel qu’un débordant jardin
— Feuillages d’or, buissons en sang, taillis de flamme —
D’où surgissent, d’entre les fleurs rouges, tes femmes
Tendant leur corps massif vers les désirs soudains

Et s’exaltant et se mêlant, larges et blondes,
Au cortège des Ægipans et des Sylvains
Et du compact Silène enflé d’ombre et de vin
Dont les pas inégaux battent le sol du monde.

Ô leurs bouquets de chair, leurs guirlandes de bras,
Leurs flancs fermes et clairs comme de grands fruits lisses
Et le pavois bombé des ventres et des cuisses
Et l’or torrentiel des crins sur leurs dos gras !

Que tu peignes les amazones des légendes
Ou les reines ou les saintes des paradis,
Toutes ont pris leur part de volupté, jadis,
Dans la balourde et formidable sarabande.

Le rut universel que la terre dardait
Du fond de ses forêts au vent du soir pâmées
À ses tisons rôdeurs les avait allumées
En ses taillis profonds ou ses antres secrets.

Et tes bourreaux et tes martyrs et ton Dieu même
Semblent fleuris de sang, et leurs muscles tordus
Sont des grappes de force à leurs gibets pendus
Sous un ouragan fou de pleurs et de blasphèmes.

Si bien que grossissant la vie, et l’ameutant
Du grand tumulte clair des couleurs et des lignes,
Tu fais ce que jamais tes émules insignes
N’avaient osé faire ou rêver, avant ton temps.

Oh ! le dompteur de joie épaisse, ardente et saine,
Oh ! l’ivrogne géant du colossal festin
Où circulaient les coupes d’or du vieux destin
Serrant en leurs parois toute l’ivresse humaine.

Ta bouche sensuelle et gourmande, d’un trait,
Avec un cri profond les a toutes vidées,
Et les œuvres naissaient du flux montant d’idées
Que ces vins éternels vers ton cerveau jetaient.

II

Tu es celui — le tard venu — parmi les maîtres
Qui d’une prompte main, mais d’un fervent regard,
D’abord demande à tous une fleur de leur art
Pour qu’en ton œuvre à toi tout l’art puisse apparaître.

Mais si tu prends, c’est pour donner plus largement :
Aux horizons pleins de roses que tu dévastes,
Lorsque tu t’es conquis enfin, ton geste vaste
Soudain, au lieu de fleurs, allume un firmament.

Les rois aiment ton goût de richesse ordonnée.
Tu l’imposes puissant, replet, fouillé, profond
Et Versailles le tord encor en ses plafonds
Où sont peintes, lauriers au front, les Destinées.

Il déborde, il perdure excessif et charmant ;
Il s’installe, parmi les bois et les terrasses,
Et les femmes de joie élégantes et grasses
En instruisent Watteau, au bras de leurs amants.

Et te voici parti vers les Londres funèbres.
En des palais obscurs dont a peur le soleil,
Pour y fixer cet art triomphal et vermeil
Comme une vigne d’or sur des murs de ténèbres.

Et quand tu t’en reviens vers ta vieille cité,
Le front déjà marqué par le destin suprême.
Nul ne peut plus douter que tu ne sois toi-même
L’infaillible ouvrier de ton éternité.

III

Alors la gloire entière est ton bien et ta proie,
Tu la domptes, tu la lèches et tu la mords ;
Jamais un tel amour n’a angoissé la mort
Ni tant de violence enfanté de la joie.

Tu rentres comme un roi en ta large maison,
Toute la Flandre est tienne, ainsi qu’est tien le monde ;
Tu lui prends pour l’aimer sa fille la plus blonde
Dont le nom est doré comme un flot de moisson.

Tu ressuscites tout : l’Empyrée et l’Abîme ;
Et les anges, pareils à des thyrses d’éclairs ;
Et les monstres aigus, rongeant des blocs de fer ;
Et tout au loin, là-bas, les Golgothas sublimes ;

Et l’Olympe et les Dieux, et la Vierge et les Saints ;
L’Idylle ou la bataille atroce et pantelante ;
Les eaux, le sol, les monts, les forêts violentes
Et la force tordue en chaque espoir humain.

Ton grand rêve exalté est comme un incendie
Où tes mains saisiraient des torches pour pinceaux
Et capteraient la vie immense en des réseaux
De feux enveloppants et de flammes brandies.

Que t’importe qu’aux horizons fous et hagards,
Tel autre nom, jadis fameux et clair, s’efface,
Pour toi, c’est à jamais que le temps et l’espace
Retentissent des bonds dont les troua ton art.

Conservateur fougueux de ta force première,
Rien ne te fut ruine, ou chute, ou désavœu ;
Toujours tu es resté trop sûrement un Dieu
Pour que la mort, un jour, éteigne ta lumière.

Et tu dors à Saint Jacque, au bruit des lourds bourdons ;
Et sur ta dalle unie ainsi qu’une palette,
Un vitrail criblé d’or et de soleil, projette
Encor des tons pareils à de rouges brandons.

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L’article de la Première édition de l’Encyclopédie sur Rubens
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Le Blond, Jaucourt, d’Alembert, Mallet, Boucher d’Argis, Blondell, Bourgelat, Pâris de Meyzieu
L’Encyclopédie Première édition – 1751 – Tome 5 pp. 303-337 

Rubens (Pierre-Paul) originaire d’Anvers, d’une très-bonne famille, naquit à Cologne en 1577, & mourut à Anvers en 1640. C’est le restaurateur de l’école flamande, le Titien & le Raphael des Pays-bas. On connoît sa vie privée ; elle est illustre, mais nous la laissons à part.

Un goût dominant ayant porté Rubens à la Peinture, il le perfectionna en Italie, & y prit une maniere qui lui fut propre. Son génie vaste le rendit capable d’exécuter tout ce qui peut entrer dans la riche composition d’un tableau, par la connoissance qu’il avoit des Belles Lettres, de l’Histoire & de la Fable. Il inventoit facilement, & son imagination lui fournissoit plusieurs ordonnances également belles. Ses attitudes sont variées, & ses airs de têtes sont d’une beauté singuliere. Il y a dans ses idées une abondance, & dans ses expressions une vivacité surprenante. Son pinceau est moëlleux, ses touches faciles & legeres ; ses carnations fraîches, & ses draperies jettées avec art.

Il a traité supérieurement l’Histoire ; il a ouvert le bon chemin du coloris, n’ayant point trop agité ses teintes en les mêlant, de peur que venant à se corrompre par la grande fonte de couleurs, elles ne perdissent trop leur éclat. D’ailleurs la plûpart de ses ouvrages étant grands, & devant par conséquent être vus de loin, il a voulu y conserver le caractere des objets & la fraîcheur des carnations. Enfin on ne peut trop admirer son intelligence du clair-obscur, l’éclat, la force, l’harmonie & la vérité qui regnent dans ses compositions.

Si l’on considere la quantité étonnante de celles que cet homme célebre a exécutées, & dont on a divers catalogues, on ne sera pas surpris de trouver souvent des incorrections dans ses figures ; mais quoique la nature entraînât plus Rubens que l’antique, il ne faut pas croire qu’il ait été peu savant dans la partie du Dessein ; il a prouvé le contraire par divers morceaux dessinés d’un goût & d’une correction que les bons peintres de l’école romaine ne desavoueroient pas.

Ses ouvrages sont répandus par-tout, & la ville d’Anvers a mérité la curiosité des étrangers par les seuls tableaux de ce rare génie. On vante en particulier singulierement celui qu’elle possede du crucifiement de Notre Seigneur entre les deux larrons.

Dans ce chef-d’œuvre de l’art, le mauvais larron qui a eu sa jambe meurtrie par un coup de barre de fer dont le bourreau l’a frappé, se soûleve sur son gibet ; & par cet effort qu’a produit la douleur, il a forcé la tête du clou qui tenoit le pié attaché au poteau funeste : la tête du clou est même chargée des dépouilles hideuses qu’elle a emportées en déchirant les chairs du pié à-travers lequel elle a passé. Rubens qui savoit si-bien en imposer à l’œil par la magie de son clair-obscur, fait paroître le corps du larron sortant du coin du tableau dans cet effort, & ce corps est encore la chair la plus vraie qu’ait peint ce grand coloriste. On voit de profil la tête du supplicié, & sa bouche, dont cette situation fait encore mieux remarquer l’ouverture énorme ; ses yeux dont la prunelle est renversée, & dont on n’apperçoit que le blanc sillonné de veines rougeâtres & tendues ; enfin l’action violente de tous les muscles de son visage, font presque oüir les cris horribles qu’il jette. Reflex. sur la Peint. tome I.

Mais les peintures de la galerie du Luxembourg, qui ont paru gravées au commencement de ce siecle, & qui contiennent vingt-un grands tableaux & trois portraits en pié, ont porté la gloire de Rubens par tout le monde ; c’est aussi dans cet ouvrage qu’il a le plus développé son caractere & son génie. Personne n’ignore que ce riche & superbe portique, semblable à celui de Versailles, est rempli de beautés de dessein, de coloris, & d’élégance dans la composition. On ne reproche à l’auteur trop ingénieux, que le grand nombre de ses figures allégoriques, qui ne peuvent nous parler & nous intéresser ; on ne les devine point sans avoir à la main leur explication donnée par Félibien & par M. Moreau de Mautour. Or il est certain que le but de la Peinture n’est pas d’exercer notre imagination par des énigmes ; son but est de nous toucher & de nous émouvoir. Mon sentiment là-dessus, conforme à celui de l’abbé du Bos, est si vrai, que ce que l’on goûte généralement dans les galeries du Luxembourg & de Versailles, est uniquement l’expression des passions. « Telle est l’expression qui arrête les yeux de tous les spectateurs sur le visage de Marie de Medicis qui vient d’accoucher ; on y apperçoit distinctement la joie d’avoir mis au monde un dauphin, à-travers les marques sensibles de la douleur à laquelle Eve fut condamnée ».

Au reste M. de Piles, admirateur de Rubens, a donné sa vie, consultez-la.