Archives par mot-clé : dante

AVEC LES MORTS – POEME DE ANTERO DE QUENTAL – COM OS MORTOS

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.

*

traduction Jacky Lavauzelle
LITTERATURE PORTUGAISE
literatura português

Os Lusiadas Traduction Jacky Lavauzelle Les Lusiades de Luis de Camoes

Antero de Quental

18 avril 1842 – Ponta Delgada (Les Açores)-  11 septembre 1891 Ponta Delgada
 18 de abril de 1842 – Ponta Delgada, 11 de setembro de 1891

______________________________________ 

Traduction Jacky Lavauzelle

 _______________________________________

AVEC LES MORTS
COM OS MORTOS

_______________________________________

Ary Scheffer, Les ombres de Francesca da Rimini et de Paolo Malatesta apparaissent à Dante et à Virgile, Le Louvre, 1855

**********


Os que amei, onde estão? Idos, dispersos,
Ceux que j’aimais, où sont-ils ? Disparus, dispersés,
arrastados no giro dos tufões,
entraînés par de violents typhons,
Levados, como em sonho, entre visões,
Pris, comme en un rêve, entre visions,
Na fuga, no ruir dos universos…
Fuites, dans l’effondrement des univers …

*

E eu mesmo, com os pés também imersos
Et moi, avec mes pieds aussi emportés
Na corrente e à mercê dos turbilhões,
Dans le courant et à la merci des tourbillons,
Só vejo espuma lívida, em cachões,
Je ne vois que la blême écume,
E entre ela, aqui e ali, vultos submersos…
Et en elle, ici et là, des ombres immergées …

*

Mas se paro um momento, se consigo
Mais si je m’arrête un instant, si je peux
Fechar os olhos, sinto-os a meu lado
Fermer les yeux, je les sens à mes côtés
De novo, esses que amei vivem comigo,
A nouveau, ceux que j’aimais vivent avec moi,

*

Vejo-os, ouço-os e ouvem-me também,
Je les vois, je les entends et ils m’entendent aussi,
Juntos no antigo amor, no amor sagrado,
Ensemble dans cet ancien amour, dans cet amour sacré,
Na comunhão ideal do eterno Bem.
Dans la communion idéale du Bien éternel.

**************

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.

Scorn not the Sonnet – Poème de William Wordsworth – Ne méprise pas le Sonnet

 ** 
Poésie anglaise
William Wordsworth
7 April 1770 – 23 April 1850
7 avril 1770 – 22 avril 1850
*

traduction Jacky Lavauzelle

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English Text
texte bilingue français-anglais

traduction Jacky Lavauzelle

 


LES POÈMES
DE WILLIAM WORDSWORTH

traduction Jacky Lavauzelle

*******

William Wordsworth’s poems
POEMS
POÈMES
Scorn not the Sonnet
NE MEPRISE PAS LE SONNET

*******
*

Ne méprise pas le sonnet William Wordsworth Traduction Jacky Lavauzelle
Luis de Camoes par François Gérard, Plutarque par Andrea del Castagno (Galerie des Offices, Florence), Shakespeare (Portrait dit Portrait Cobbe), Le Tasse – Tarquo Tasso (1577 – Fürstlich Thurn- und Taxissches Schlossmuseum, Ratisbonne, Allemagne)

**

Scorn not the Sonnet; Critic, you have frowned,
Ne méprise pas le Sonnet ; Critique, tu t’es détourné
Mindless of its just honours; with this key
A tort de ses justes honneurs ; avec cette clé,
Shakespeare unlocked his heart; the melody
Shakespeare a libéré son cœur ; par la mélodie
Of this small lute gave ease to Petrarch’s wound;
De ce petit luth, la blessure de Pétrarque guéri  ;

A thousand times this pipe did Tasso sound;
Mille fois à travers son conduit le Tasse a soufflé ;
With it Camöens soothed an exile’s grief;
Avec lui Camoes le chagrin de l’exil s’est apaisé ;
The Sonnet glittered a gay myrtle leaf
Par une feuille de myrte joyeuse le Sonnet scintilla
Amid the cypress with which Dante crowned
Au milieu des cyprès Dante et par eux le couronna

His visionary brow: a glow-worm lamp,
Son front visionnaire : la lumière de ce ver luisant,
It cheered mild Spenser, called from Faery-land
Encouragea le doux Spenser, au Pays des fées, pélerin
To struggle through dark ways; and, when a damp
Luttant à travers les voies sombres ; et, quand

Fell round the path of Milton, in his hand
Le brouillard tomba sur le chemin de Milton, dans sa main
The Thing became a trumpet; whence he blew
La Chose se mua en trompette ; d’où il a soufflé
Soul-animating strains—alas, too few!
Tant strophes touchant les âmes – hélas, pas assez !


 

**************************

POÉSIE DE WILLIAM WORDSWORTH
WORDSWORTH POEMS

************************************

UN STYLE SANS ARTIFICE

Une poésie sans cesse recommencée

Son style populaire et sans artifice s’est débarrassé d’une fois de toutes les friperies usées de la vieille versification. Les tours couronnées de nuages, les temples solennels, les palais majestueux, tout cela a été balayé du sol. C’a été comme l’édifice sans fondements d’une vision ; il n’est pas même resté un débris de ruines. Toutes les traditions du savoir, toutes les superstitions du passé, ont disparu sous un trait de plume. Nous avons fait table rase ; nous recommençons toute poésie. Le manteau de pourpre, le panache ondoyant de la tragédie, sont rejetés ainsi que de vains oripeaux de pantomime. Voici que nous en sommes revenus à la simple vérité de la nature. Rois, reines, nobles, prêtres, trône, autel, distinction des rangs, naissance, richesse, pouvoir, ne cherchez plus rien de tout cela, ni la robe du juge, ni le bâton du maréchal, ni le faste des grands. L’auteur foule aux pieds plus fièrement encore l’antique forme dont s’enorgueillissait l’art ; il se rit de l’ode, de l’épode, de la strophe et de l’antistrophe. Vous n’entendrez plus résonner la harpe d’Homère, ni retentir la trompette de Pindare et d’Alcée. Point de merci pour le costume éclatant, pour la décoration splendide. Tout cela n’est que spectacle vide, barbare, gothique. Les diamants parmi les cheveux tressés, le diadème sur le front brillant de la beauté, ne sont que parure vulgaire, joyaux de théâtre et de prostituée. Le poète dédaigneux ne peut plus des couronnes de fleurs ; il ne se prévaudra pas non plus des avantages que le hasard lui aura offerts ; il lui plait que son sujet soit tout entier de son invention, afin de ne devoir rien qu’à lui-même ; il recueille la manne dans le désert ; il frappe le rocher de sa baguette et en fait jaillir la source. A son souffle, le brin de paille qui gisait dans la poussière monte au soleil dans un rayon lumineux ; il puisera dans ses souvenirs assez de grandeur et de beauté pour en revêtir le tronc nu du vieux saule. Son vers ne s’embaume point du parfum des bosquets, mais son imagination prête une joie intime aux arbres dépouillés sur la montagne dépouillée, à l’herbe verte du pré vert :

To the bare trees and mountains bare.
And grass in the green field.

Plus de tempête, ni de naufrage, dont l’horreur nous épouvante. C’est l’arc-en-ciel qui attache aux nuages son ruban diapré. C’est la brise qui soupire dans la fougère fanée. Point de triste vicissitude du sort, point de menaçante catastrophe de la nature qui assombrisse ses pages. C’est la goutte de rosée qui se suspend aux cils de la fleur penchée ; ce sont les pleurs qui s’amassent dans l’œil brillant.

Antoine Fontaney
(poète romantique français ())
Cinquième Partie
WILLIAM WORDSWORTH
Poètes et Romanciers de la Grande-Bretagne
Revue des Deux Mondes
Tome 3 – 1835

*************************************
WORDSWORTH POEMS

traduction Jacky Lavauzelle

SONNET DE POUCHKINE (1830) L’austère Dante ne méprisait pas le sonnet – Суровый Дант не презирал сонета

*

Alexandre Pouchkine
русский поэт- Poète Russe
русская литература
Littérature Russe

poemes-de-alexandre-pouchkine-artgitatopushkin-alexander

ALEXANDRE POUCHKINE 1830
pushkin poems
стихотворение  – Poésie
 Пушкин 

 

 

POUCHKINE – Пу́шкин
Алекса́ндр Серге́евич Пу́шкин
1799-1837

[создатель современного русского литературного языка]

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

 

LA POESIE DE POUCHKINE

СТИХИ АЛЕКСАНДРА СЕРГЕЕВИЧА ПУШКИНА
Пушкин 


SONNET 1830
L’austère Dante ne méprisait pas le sonnet

  Сонет 1830
Суровый Дант не презирал сонета
 

 

Суровый Дант не презирал сонета;
L’austère Dante ne méprisait pas le sonnet ;
 
В нем жар любви Петрарка изливал;
Pétrarque y versait ses éclairs d’amour ;
Игру его любил творец Макбета;
Le créateur de Macbeth en aimait le tour ;…

DISPONIBLE SUR AMAZON

Гекзаметра священные напевы.
Les chants sacrés de l’hexamètre.

*****************

**********

POUCHKINE
1830  

********

LES JUGEMENTS DE Tolstoï
SUR LES POEMES DE POUCHKINE

Ayons donc pleine confiance dans le jugement du comte Tolstoï sur les poèmes de Pouchkine, son compatriote ! Croyons-le, encore, quand il nous parle d’écrivains allemands, anglais, et scandinaves : il a les mêmes droits que nous à se tromper sur eux. Mais ne nous trompons pas avec lui sur des œuvres françaises dont le vrai sens, forcément, lui échappe, comme il échappera toujours à quiconque n’a pas, dès l’enfance, l’habitude de penser et de sentir en français ! Je ne connais rien de plus ridicule que l’admiration des jeunes esthètes anglais ou allemands pour tel poète français. Verlaine, par exemple, ou Villiers de l’Isle-Adam. Ces poètes ne peuvent être compris qu’en France, et ceux qui les admirent à l’étranger les admirent sans pouvoir les comprendre. Mais il ne résulte pas de là, comme le croit le comte Tolstoï, qu’ils soient absolument incompréhensibles. Ils ne le sont que pour lui, comme pour nous Lermontof et Pouchkine. Ce sont des artistes : la valeur artistique de leurs œuvres résulte de l’harmonie de la forme et du fond : et si lettré que soit un lecteur russe, si parfaite que soit sa connaissance de la langue française, la forme de cette langue lui échappe toujours.

Léon Tolstoï
Qu’est-ce que l’art ?
Traduction par T. de Wyzewa.
 Perrin, 1918
pp. i-XII

*****

*****************

 

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XV- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XV LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XV

 ******

XV

******

Appresso la nuova trasfigurazione, mi giunse uno pensamento forte, lo quale poco si partìa da me, anzi continuamente mi riprendea, ed era di cotale ragionamento meco:
Après la nouvelle transfiguration, il m’est venu une pensée forte, qui ne me quittât pas, mais qui constamment me réprimandait et me raisonnait :
«Poscia che tu perviene a così dischernevole vista, quando tu se’ presso di questa donna, perché pur cerchi di vedere lei?
« Puisque tu deviens si misérable au contact de cette dame, pourquoi alors essayes-tu de la voir ?
Ecco che tu fossi domandato da lei, che avrestù da rispondere, ponendo che tu avessi libera ciascuna tua vertude, in quanto tu le rispondessi? »
Si elle te le demandait, que répondrais-tu, en supposant que tu aies assez l’esprit libre ? « 
Ed a costui rispondea un altro umile pensero, e dicea:
Et une pensée différente humblement s’approcha et dit :
«S’io non perdessi le mie vertudi, e fossi libero tanto che io le potessi rispondere, io le direi che, sì tosto com’io imagino la sua mirabile bellezza, sì tosto mi giugne uno desiderio di vederla, lo quale è di tanta vertude, che uccide e distrugge ne la mia memoria ciò che contra lui si potesse levare;
« Si je ne perdais pas mes vertus, et si j’étais libre de lui répondre, je lui dirais que je m’imagine sa beauté merveilleuse, que j’ai tant de désir de la voir, que ce désir lui-même tue et détruit dans ma mémoire tout ce qui peut soulever contre lui ;
e però non mi ritraggono le passate passioni da cercare la veduta di costei».
et les passions passées dépeintes ne pourraient m’empêcher de la voir ».
Onde io, mosso da cotali pensamenti, propuosi di dire certe parole, ne le quali, escusandomi a lei da cotale riprensione, ponesse anche di quello che mi diviene presso di lei;
Alors, mû par des pensées de cette sorte, je me décidai de lui écrire certaines paroles, m’excusant des réprimandes que j’avais pu lui faire, pour lui révéler ce qui m’arrive quand je m’approche d’elle ;
e dissi questo sonetto, lo quale comincia:
voici ce sonnet qui commence :
Ciò che m’incontra .
 « Ce qui se trouve… »








Ciò che m’incontra ne la mente, more,
Ce qui se trouve dans mon esprit, meure,
quand’i’ vegno a veder voi, bella gioia;
Quand je vous vois, belle joie ;
e quand’io vi son presso, i’ sento Amore
Et quand je suis près de vous, j’entends Amour
che dice: «Fuggi, se ‘l perir t’è noia».
Qui dit: « Fuis, si tu ne désires pas mourir.  »
Lo viso mostra lo color del core,
Le visage montre la couleur du cœur,
che, tramortendo, ovunque pò s’appoia;
qui, s’évanouissant, s’appuie où il peut ;
e per la ebrietà del gran tremore
Et par l’ivresse du grand tremblement
le pietre par che gridin: «Moia, moia».
Les pierres crient : « Meurs ! Meurs ! ».
Peccato face chi allora mi vide,
Il pécherait celui qui, voyant ma triste figure,
 se l’alma sbigottita non conforta,
Ne viendrait pas réconforter mon âme,
sol dimostrando che di me li doglia,
Au moins en me montrant qu’il me plaint,
per la pietà, che ‘l vostro gabbo ancide,
Par la pitié, assassiné par votre rire,
   la qual si cria ne la vista morta
Que créerait la vue morte
de li occhi, c’hanno di lor morte voglia.
Des yeux qui veulent mourir.

 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XV

******

LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.




La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XV

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXVI- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXVI LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XXVI

 ******

XXVI

******

Questa gentilissima donna, di cui ragionato è ne le precedenti parole, venne in tanta grazia de le genti, che quando passava per via, le persone correano per vedere lei;
Quand cette dame douce, dont je vous parle, avec tant de grâce paraissait, le peuple accourait pour la voir ;
onde mirabile letizia me ne giungea.
et cela me remplissait de joie.
E quando ella fosse presso d’alcuno, tanta onestade giungea nel cuore di quello, che non ardia di levare li occhi, né di rispondere a lo suo saluto;
Et quand elle se tenait près d’un homme, alors le cœur de ce dernier se désarmait et il n’osait plus ni lever tes yeux, ni répondre à son salut ;
e di questo molti, sì come esperti, mi potrebbero testimoniare a chi non lo credesse.
et tous ceux qui ont vécu ce moment pourraient témoigner pour ceux qui ne le croiraient pas.
Ella coronata e vestita d’umilitade s’andava, nulla gloria mostrando di ciò ch’ella vedea e udia.
Elle partait couronnée et vêtue d’humilité, ne montrant pas de gloire à ce qu’elle voyait ou entendait.
Diceano molti, poi che passata era:
Nombreux disaient, dès qu’elle avait disparu :
«Questa non è femmina, anzi è uno de li bellissimi angeli del cielo».
« Ce n’est pas une femme, c’est un des plus beaux anges du ciel. »
E altri diceano:
Et d’autres didaient :
«Questa è una maraviglia;
« C’est une merveille ;
che benedetto sia lo Segnore, che sì mirabilemente sae adoperare!».
que béni soit le Seigneur pour une création si admirable ! ».
Io dico ch’ella si mostrava sì gentile e sì piena di tutti li piaceri, che quelli che la miravano comprendeano in loro una dolcezza onesta e soave, tanto che ridìcere non lo sapeano;
Je dis qu’elle se montrait si gentille et si pleine de tous les plaisirs, que ceux qui avait la chance de la voir, étaient tellement inondés d’une douceur honnête et douce, qu’ils étaient dans l’incapacité de la retranscrire ;
né alcuno era lo quale potesse mirare lei, che nel principio nol convenisse sospirare.
et personne ne pouvait soutenir sa vision, sans aussitôt soupirer.
Queste e più mirabili cose da lei procedeano virtuosamente:
Ces choses et des plus merveilleuses encore procédaient d’elle vertueusement :
onde io pensando a ciò, volendo ripigliare lo stilo de la sua loda, propuosi di dicere parole, ne le quali io dessi ad intendere de le sue mirabili ed eccellenti operazioni;
pensant à ce sujet, et voulant reprendre le style de ses louanges, je me proposai d’évoquer toutes ses apparitions admirables et excellentes ;
acciò che non pur coloro che la poteano sensibilmente vedere, ma li altri sappiano di lei quello che le parole ne possono fare intendere.
et ceci afin que plus largement que ceux qui l’avaient vue, d’autres savent d’elle tout ce que par les mots je pourrais faire comprendre.
Allora dissi questo sonetto, lo quale comincia:
Ce sonnet commence ainsi :
Tanto gentile.
Si douce.








 Tanto gentile e tanto onesta pare
Si douce et si honnête, apparaît
« Sigh »la donna mia, quand’ella altrui saluta,
Ma dame, quand elle vous salue,
  ch’ogne lingua deven tremando muta,
Que la langue tremblante devient muette,
e li occhi no l’ardiscon di guardare.
Que les yeux n’osent plus regarder.
Ella si va, sentendosi laudare,
Elle s’en va, se sentant louée,
 benignamente d’umiltà vestuta;
Revêtue de bonté et d’humilité ;
 e par che sia una cosa venuta
Il semble que ce soit une chose provenant
da cielo in terra a miracol mostrare.
Du ciel sur la terre pour montrer la réalité d’un miracle.
Mòstrasi sì piacente a chi la mira,
Elle se montre si attrayante à ceux qui l’aperçoivent,
che dà per li occhi una dolcezza al core,
Que leurs yeux donnent une intense douceur au cœur,
che ‘ntender no la può chi non la prova:
Ne peut comprendre que celui qui l’a éprouvée :
 e par che de la sua labbia si mova
et il semble que de son visage transpire
 un spirito soave pien d’amore,
un esprit doux, plein d’amour,
   che va dicendo a l’anima: «Sospira!»
Qui dit à l’âme : « Soupire !« 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XXVI

******

LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.




La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XXVI

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XX- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XX LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XX

 ******

LA VITA NUOVA XX

******

Appresso che questa canzone fue alquanto divolgata tra le genti, con ciò fosse cosa che alcuno amico l’udisse, volontade lo mosse a pregare me che io li dovesse dire che è Amore, avendo forse per l’udite parole speranza di me oltre che degna.
Voici que cette chanson s’étant répandue, un ami l’ayant entendue, me pria de lui dire ce qu’est l’Amour, espérant bien des choses à ce sujet.
Onde io pensando che appresso di cotale trattato, bello era trattare alquanto d’Amore, e pensando che l’amico era da servire, propuosi di dire parole ne le quali io trattassi d’Amore;
Je pensai donc que la suite devait traiter d’un peu de l’amour, et pour que mon ami soit bien servi, je me proposai à dire des mots sur ce thème ;
e allora dissi questo sonetto, lo qual comincia:
et je dis alors ce sonnet, qui commence ainsi :
  Amore e ‘l cor gentil.
Amour et grandeur du cœur.

Amore e ‘l cor gentil sono una cosa,
Amour et grandeur du cœur sont une unique chose,
sì come il saggio in suo dittare pone,
Souligne le sage homme,
 e così esser l’un sanza l’altro osa
et si l’un sans l’autre ose
com’alma razional sanza ragione.
Autant voir l’âme raisonnable vivre sans raison.
Fàlli natura quand’è amorosa,
Ainsi la nature quand elle est amoureuse,
Amor per sire e ‘l cor per sua magione,
L’Amour pour seigneur et le cœur pour maison,
dentro la qual dormendo si riposa
A l’intérieur parfois se repose
tal volta poca e tal lunga stagione.
Un instant ou de longues saisons.
Bieltate appare in saggia donna pui,
La beauté émane d’une sage dame,
che piace a gli occhi sì, che dentro al core
Qui plaît aux yeux, et à l’intérieur du cœur
nasce un disio de la cosa piacente;
Naît un désir de la plaisante chose ;
e tanto dura talora in costui,
et tant il dure en lui,
che fa svegliar lo spirito d’Amore.
Qu’il réveille l’esprit d’Amour.
 E simil fàce in donna omo valente.
Et de même une femme pour un homme de valeur.

 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XX

******

LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.

La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XX

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXXIII- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXXIII LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XXXIII

 ******

LA VITA NUOVA XXXIII

******

Poi che detta fue questa canzone, sì venne a me uno, lo quale, secondo li gradi de l’amistade, è amico a me immediatamente dopo lo primo;
Ensuite, ayant composé cette chanson, est venu vers moi, selon les degrés de l’amitié, un ami qui arrive immédiatement après ceux du premier cercle ;
e questi fue tanto distretto di sanguinitade con questa gloriosa, che nullo più presso l’era.
et c’était un proche, par les liens du sang, de cette glorieuse dame.
E poi che fue meco a ragionare, mi pregòe ch’io li dovesse dire alcuna cosa per una donna che s’era morta;
Et pendant que nous discutions, me demanda des informations sur une femme qui était morte ;
e simulava sue parole, acciò che paresse che dicesse d’un’altra, la quale morta era certamente.
mais ses paroles semblaient parler d’une autre, qui venait juste de mourir.
Onde io accorgendomi che questi dicea solamente per questa benedetta, sì li dissi di fare ciò che mi domandava lo suo prego.
Réalisant que ses propos s’adresser uniquement à cette bienheureuse, alors je lui dis que je lui obtiendrais ce qu’il souhaitait.
Onde poi pensando a ciò, propuosi di fare uno sonetto nel quale mi lamentasse alquanto, e di darlo a questo mio amico, acciò che paresse che per lui l’avessi fatto;
Et je lui proposai de faire un sonnet dans lequel je me plaindrais un peu, et que je donnerais à mon ami, afin que cela paraisse fait pour lui ;
e dissi allora questo sonetto, che comincia:
ce sonnet commence ainsi :
Venite a ‘ntender li sospiri miei.
Venez écouter mes soupirs.
Lo quale ha due parti:
Sonnet en deux parties :
ne la prima, chiamo li fedeli d’Amore che m’ intendano;
dans la première, l’appel des fidèles d’Amour qui m’entendent ;
ne la seconda, narro de la mia misera condizione.
dans la seconde, j’évoque ma misérable condition.
La seconda comincia quivi:
La seconde commence par :
li quai disconsolati.
Ils se glissent inconsolables.

 Venite a ‘ntender li sospiri miei,
Venez écouter mes soupirs,
oi cor gentili, chè pietà ‘l disia:
Ô cœurs nobles, car la pitié l’exige :
li quai disconsolati vanno via,
Ils se glissent inconsolables,
e s’e’ non fosser, di dolor morrei;
Et s’ils ne fuyaient pas, je mourrais de chagrin ;
però che gli occhi mi sarebber rei,
car mes yeux me seraient cruels,
molte fiate più ch’io non vorria,
souvent plus que j’en aurais envie,
lasso! di pianger sì la donna mia,
Hélas ! si je ne pleurais plus ma dame,
che sfogasser lo cor, piangendo lei.
qui apaise le cœur dans ses pleurs.
Voi udirete lor chiamar sovente
Vous les entendriez souvent convoquer
 la mia donna gentil, che si n’è gita
Ma douce dame, qui est sortie
al secol degno de la sua vertute;
Dans un siècle digne de sa vertu ;
e dispregiar talora questa vita
Et mépriser parfois cette vie
  in persona de l’anima dolente
En la personne de mon âme souffrante
abbandonata de la sua salute.
Abandonnée de son salut.

 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XXXIII

******

LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.

La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XXXIII

 

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXXVII- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXXVII LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XXXVII

 ******

LA VITA NUOVA XXXVII

******

Avvenne poi che là ovunque questa donna mi vedea, sì si facea d’una vista pietosa e d’un colore palido quasi come d’amore;
Il advint ensuite que, dans tous les lieux où cette dame me voyait, son visage prenait presqu’une expression d’amour, pieuse et pâle ;
onde molte fiate mi ricordava de la mia nobilissima donna, che di simile colore si mostrava tuttavia.
cette couleur me faisait penser à ma très noble dame.
E certo molte volte non potendo lagrimare né disfogare la mia trestizia, io andava per vedere questa pietosa donna, la quale parea che tirasse le lagrime fuori de li miei occhi per la sua vista.
Et, plusieurs fois, n’étant plus capable de pleurer, ni de vider tout à fait ma tristesse, j’allais voir cette femme pieuse, qui réussissait à m’arracher les larmes des yeux.
E però mi venne volontade di dire anche parole, parlando a lei;
Et c’est avec bonne volonté que je lui compose ces quelques mots ;
e dissi questo sonetto, lo quale comincia:
voici le sonnet qui commence ainsi :
Color d’amore; ed è piano sanza dividerlo, per la sua precedente ragione.
Couleur d’amour ; il est homogène sans coupure, pour la même raison que précédemment.

Color d’amore e di pietà sembianti
Couleur d’amour et miséricorde
non preser mai così mirabilmente
n’ont jamais eu d’aussi belles empreintes
viso di donna, per veder sovente
Sur le visage d’une dame, à voir souvent
occhi gentili o dolorosi pianti,
De si doux yeux ou des pleurs douloureux,
come lo vostro, qualora davanti
Comme le vôtre, à l’instant même
vedètevi la mia labbia dolente;
Où vous voyez ma triste figure ;
sì che per voi mi ven cosa a la mente,
Par vous me pénètre à l’esprit,
ch’io temo forte no lo cor si schianti.
Une telle crainte capable de me briser le cœur.
Eo non posso tener li occhi distrutti
Je ne peux interdire à mes yeux ténébreux
che non reguardin voi spesse fiate,
De souvent vous regarder,
per desiderio di pianger ch’elli hanno:
Quand de pleurer ils en éprouvent le besoin :
 e voi crescete sì lor volontate,
et vous cultivez tant cette volonté,
 che de la voglia si consuman tutti;
Qu’ils s’y consument totalement ;
ma lagrimar dinanzi a voi non sanno.
mais, devant vous, ils ne savent plus pleurer.

 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XXXVII

******

LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.

La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XXXVI

 

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXX- LA VIE NOUVELLE 1292

DANTE ALIGHIERI LA VITA NUOVA XXX LA VIE NOUVELLE
Traduction – Texte Bilingue
LITTERATURE ITALIENNE
Letteratura Italiana

DANTE ALIGHIERI
Firenze 1265 Florence – Ravenna 1321 Ravenne

chapelle du Palais de Bargello Florence
Cappella del Podestà Firenze
attribué à Giotto di Bondone
Il ritratto di Dante in un’elaborazione grafica
Détail

Traduction  Traduzione Jacky Lavauzelle

——–



DANTE ALIGHIERI

LA VITA NUOVA
1292
XXX

 ******

XXX

******

 

Io dico che, secondo l’usanza d’Arabia, l’anima sua nobilissima si partìo ne la prima ora del nono giorno del mese;
Je dis que, selon l’usage en Arabie, son âme si noble est partie à première heure du neuvième jour du mois ;
e secondo l’usanza di Siria, ella si partìo nel nono mese de l’anno, però che lo primo mese è ivi Tisirin primo, lo quale a noi è Ottobre;








et selon l’usage en Syrie, elle nous a quitté le neuvième jour du premier mois de l’année, qui s’appelle le Tichri, qui pour nous correspond à octobre ;
e secondo l’usanza nostra, ella si partìo in quello anno de la nostra indizione, cioè de li anni Domini, in cui lo perfetto numero nove volte era compiuto in quello centinaio nel quale in questo mondo ella fue posta, ed ella fue de li cristiani del terzodecimo centinaio.
et selon notre coutume, elle nous a quitté l’année de notre indiction, les années du Seigneur, dans lesquels le parfait numéro neuf a été accompli dans le siècle où elle est arrivée au monde, qui la fait appartenir au treizième siècle de la chrétienté.
Perché questo numero fosse in tanto amico di lei, questa potrebbe essere una ragione:
Ce nombre l’accompagnait amicalement, cela pour la raison suivante :
con ciò sia cosa che, secondo Tolomeo e secondo la cristiana veritade, nove siano li cieli che si muovono, e secondo comune opinione astrologa, li detti cieli adoperino qua giuso secondo la loro abitudine insieme, questo numero fue amico di lei per dare ad intendere che ne la sua generazione tutti e nove li mobili cieli perfettissimamente s’aveano insieme.
selon Ptolémée et selon la vérité chrétienne, ce sont neuf cieux qui se déplacent, et selon l’opinion commune des astrologues, ces cieux ont des actions ici-bas.
Questa è una ragione di ciò;
Voilà donc une raison ;
ma più sottilmente pensando, e secondo la infallibile veritade, questo numero fue ella medesima;
mais en pensant plus subtilement, et selon la vérité infaillible, ce nombre fut elle-même ;
per similitudine dico, e ciò intendo così. 
par similitude j’entends.
Lo numero del tre è la radice del nove, però che sanza numero altro alcuno, per se medesimo fa nove, sì come vedemo manifestamente che tre via tre fa nove.
Le nombre trois est la racine du neuf, sans aucun autre numéro, en se multipliant lui-même il devient neuf, clairement puisque trois fois trois font neuf.
Dunque se lo tre è fattore per sè medesimo del nove, e lo fattore per sè medesimo de li miracoli è tre, cioè Padre e Figlio e Spirito Santo, li quali sono tre e uno, questa donna fue accompagnata da questo numero del nove a dare ad intendere ch’ella era uno nove, cioè uno miracolo, la cui radice, cioè del miracolo, è solamente la mirabile Trinitade.
Donc, si le trois est par lui-même le facteur de neuf, et si le même facteur des miracles est le trois, qui est, le Père, le Fils et le Saint-Esprit,  trois en un, cette dame qui fut accompagnée de ce nombre neuf, donne à comprendre qu’elle était un neuf, qui est un miracle, dont la racine se situe dans la merveilleuse Trinité.
Forse ancora per più sottile persona si vederebbe in ciò più sottile ragione;
Peut-être même qu’une personne plus subtile pourrait trouver une raison plus subtile ;
ma questa è quella ch’io ne veggio, e che più mi piace.
mais c’est ce que je vois, et ce que j’aime le plus y voir.

 

******

DANTE ALIGHIERI
DANTE LA VITA NUOVA XXX

******








LA VITA NUOVA
Une plainte après la mort de Béatrice
par
Saint-René Taillandier

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en 1290, selon M. Delécluze. M. Wegele affirme, et sur bonnes preuves, qu’elle n’a été écrite que vers l’année 1300. Les dates sont précieuses ici. La Vie nouvelle est précisément le résumé de ces dix années qui nous occupent, le symbolique récit de ce travail intérieur retrouvé par la sagacité allemande. Qu’est-ce que la Vie nouvelle pour la plupart des érudits modernes ? Une plainte à l’occasion de la mort de Béatrice. M. Witte et M. Wegele, à l’aide de maintes indications fournies par l’histoire de l’époque, l’ont découvert la confession même de Dante sur une crise profonde que traversa son âme. Le poète, en ces pages tour à tour si bizarres et si gracieusement mystiques, nous parle d’une jeune dame qui essaya de le consoler après la mort de Béatrice. Elle était belle, noble, sage, et elle venait à lui, dit-il, pour rendre quelque repos à sa vie. Partagé d’abord entre l’attrait que cette dame lui inspire et le souvenir de Béatrice, il se laisse aller bientôt au charme de ces consolations, jusqu’à l’heure où Béatrice lui apparaît vêtue de rouge, dans l’éclat de son enfance radieuse, telle enfin qu’il l’avait aperçue en sa première extase. Ce souvenir des ferventes années le ramène à l’amour véritable ; ces sonnets et ces canzoni qu’il avait consacrés pendant quelque temps à la dame des consolations moins hautes, il les rend à l’âme sublime qui est devenue le flambeau de sa vie, et, récompensé de ce retour par une vision extraordinaire, il s’écrie : « Les choses dont j’ai été témoin m’ont fait prendre la résolution de ne plus rien dire de cette bienheureuse jusqu’à ce que je puisse parler d’elle plus dignement. » Cet épisode, trop peu remarqué jusqu’ici, signifie, selon MM. Witte et Wegele, l’affaiblissement de la foi dans l’âme de Dante, son ardeur à interroger la philosophie, et finalement, après bien des combats, son retour à la religion de son enfance. Racontée brièvement dans les dernières pages de la Vita nuova la lutte dont nous parlons paraît avoir agité sa jeunesse, et ce n’est que vers l’année 1300 que Dante a pu jeter son cri de victoire. C’est aussi à l’année 1300 qu’il assigne le pèlerinage retracé dans son poème : la Divine Comédie est la continuation immédiate de la Vita nuova. Ainsi ces mots, vita nuova, ne signifient pas souvenirs d’enfance, souvenirs de jeunesse, vita juvenilis, comme le veulent quelques commentateurs modernes, entre autres M. Pietro Fraticelli et M. Emile Ruth ; ils signifient, et avec une exactitude parfaite, la vie nouvelle, la vie fortifiée par l’épreuve et illuminée de clartés plus pures.

La découverte de M. Witte résout incidemment une question jusque-là fort obscure. Tant qu’on ne voyait dans la Vita nuova que le tableau des enfantines amours du poète, tant qu’on n’y avait pas de couvert ces luttes de l’âge virile la lutte de la philosophie qui s’éveille et de la foi du moyen âge, on ne pouvait raisonnablement traduire vita nuova par vie nouvelle. Vita nuova, dans ce système d’interprétation, c’était la vie au moment où elle s’ouvre comme une fleur, à l’âge où elle est toute neuve et toute fraîche, et si l’on préférait absolument la traduction littérale, il fallait expliquer du moins dans quel sens particulier on l’employait. La Fontaine a dit :

Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle.

La saison nouvelle dont parle le fabuliste, c’est le printemps de l’existence, il n’y a pas de doute possible sur ce gracieux vers. Les traducteurs de Dante qui employaient les mots vie nouvelle auraient dû aussi faire en sorte que cette traduction ne produisît pas d’équivoque, c’est-à-dire qu’elle signifiât le premier épanouissement de la vie, et non pas la vie renouvelée et transformée. Faute de cette précaution, ils manquaient de logique dans leur système, et tombaient sous le coup des critiques de M. Fraticelli. J’ai peine à comprendre qu’un esprit aussi ingénieux, aussi pénétrant que Fauriel, n’ait pas été averti par cette contradiction. Je m’étonne aussi que M. Delécluze, dans sa traduction d’ailleurs si estimable, ait conservé un titre dont le sens n’a aucun rapport avec l’œuvre telle qu’il l’interprète. Le dernier traducteur anglais, M. J. Garrow, a été plus conséquent ; décidé à ne voir aucune allégorie dans le livre de Dante, mais seulement un récit des extases de son enfance, il traduit simplement early life.

Dégageons des formes symboliques la scène qui couronne la Vita nuova : Dante, après la mort de Béatrice et avant d’être élu prieur de Florence, c’est-à-dire de 1290 à 1300,- cherche une consolation à sa douleur en même temps qu’un emploi à son activité dans l’étude de la philosophie. À une époque où la raison s’essayait déjà à secouer le joug de la foi, où les plus libres esprits se produisaient à côté de saint Thomas d’Aquin, où des réformateurs audacieux, un Joachim de Flores, un Jean d’Olive, un Guillaume de Saint-Amour, s’élevaient du sein même de l’église, où des discussions à outrance passionnaient les écoles, où Simon de Tournay, après avoir prouvé la divinité du Christ devant un immense auditoire, enivré tout à coup de sa logique, s’écriait : « Petit Jésus, petit Jésus, autant j’ai exalté ta loi, autant je la rabaisserais, si je voulais ! » à une époque enfin où l’auteur de l’Imitation, fatigué de tout ce bruit, jetait ce vœu du fond de son âme : « Que tous les docteurs se taisent, ô mon Dieu ! parlez-moi tout seul ; » à une telle époque, Dante, avec son esprit subtil et son impétueuse avidité, avait-il pu ne s’abandonner qu’à demi aux entraînemens de la science ? Nous savons qu’il vint à Paris, qu’il parut dans le champ-clos de la scolastique et y soutint une lutte mémorable. Des recherches récentes nous ont appris que son maître, Siger de Brabant, celui qu’il retrouve plus tard dans le paradis, avait été obligé de se défendre contre des accusations d’hérésie. Dante avait-il su s’arrêter à temps ? N’avait-il pas senti s’ébranler les principes de ses premières croyances ? Il est difficile de ne pas admettre ce fait, lorsqu’on lit les dernières pages de la Vita nuova à la lumière de la critique et de l’histoire ; mais Dante, avide d’amour, visité sans cesse par les extases de sa jeunesse, ne trouva pas dans la science le repos qu’il y cherchait. Sa foi reparut bientôt ; il la vit revenir, dit-il, sous les traits de Béatrice enfant, montrant bien que Béatrice n’est plus ici la jeune femme de vingt-six ans dont il pleura si tendrement la mort, mais le symbole de son amour et de sa foi avant que nulle étude étrangère n’en eût altéré la candeur.

Voilà la crise que l’esprit de Dante a subie, et dont il a laissé la trace dans les dernières pages de la Vita nuova. Croit-on que ce soit seulement une conjecture ? Aux arguments de M. Wegele je pourrais en ajouter un qui me semble décisif : le fils même du poète, Jacopo Dante, nous parle en son commentaire de toute une période de désordre qui troubla la vie de son père, et il la place avant l’année 1300. Mais laissons là les preuves extérieures, c’est Dante seul qui va nous répondre. On sait que le Convito est comme la suite de la Vita nuova ; ouvrez-le, vous y verrez sous la forme la plus claire l’explication que nous venons de résumer. Cette dame qui l’avait consolé après la mort de Béatrice, il déclare expressément que c’est la philosophie. Quand il écrit la Vita nuova, à peine échappé au péril, il en parle en termes discrets, comme un homme qui craint de rouvrir une blessure mal fermée ; dans le Convito, au contraire, il en décrit les phases ; ce n’est plus un nuage qui a voilé un instant l’âme du poète, c’est toute une crise intérieure où il s’est longtemps débattu.

Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au XIXe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 6
1856

 

LA VITA NUOVA XXX