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PLEURER, MON PLUS GRAND PLAISIR – LE CHANSONNIER de Pétrarque Sonnet 226 -CANZONIERE PETRARCA Sonetto 226- CXXXVI

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FRANCESCO PÉTRARQUE

Francesco PETRARCA
1304 – 1374

Traduction Jacky Lavauzelle

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Canzoniere Petrarca 
Sonetto 226

LE CHANSONNIER PÉTRARQUE
Sonnet 226
CCXXVI

Rerum vulgarium fragmenta

Fragments composés en vulgaire

Rime In vita di Madonna Laura

PRIMA PARTE
Première Partie

226/263

Dante Boccace Petrarque Guido Cavalvanti Cino da Pistoia Guittone dArezzo Trecento Italien 1544 Giorgio Vasari

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Passer mai solitario in alcun tetto
Aucun passereau n’a été aussi solitaire sur un toit
non fu quant’io, né fera in alcun bosco,
autant que moi, ni aucune bête fauve dans aucun bois,
ch’i’ non veggio ‘l bel viso, et non conosco
car je ne vois plus le beau visage ni ne connais…



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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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Ritratto_di_francesco_petrarca,_altichiero,_1376_circa,_padova

canzoniere Petrarca 226
le chansonnier Pétrarque Sonnet 226
canzoniere poet

FRANCESCO PÉTRARQUE

LE CHANSONNIER PÉTRARQUE CANZONIERE SONNET 177 (Première Partie) – CLXXVII

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FRANCESCO PETRARQUE SONNET

Francesco PETRARCA
1304 – 1374

Traduction Jacky Lavauzelle

——–


Canzoniere Petrarca  Sonetto 177

LE CHANSONNIER PETRARQUE Sonnet 177
CLXXII

Rerum vulgarium fragmenta

Fragments composés en vulgaire

Rime In vita di Madonna Laura

PRIMA PARTE
Première Partie

177/263

Dante Boccace Petrarque Guido Cavalvanti Cino da Pistoia Guittone dArezzo Trecento Italien 1544 Giorgio Vasari

[NdT : Traversée de la forêt ardennaise en guerre en 1333. Pétrarque a alors 29 ans. Laure réside en Provence.]

Mille piagge in un giorno et mille rivi
Mille lieux et mille rivières, en un jour,
  mostrato m’à per la famosa Ardenna
M’ont montré dans la célèbre Ardenne
 Amor, ch’a’ suoi le piante e i cori impenna
Amour,  qui aile ses pieds et son cœur…

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO
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Ritratto_di_francesco_petrarca,_altichiero,_1376_circa,_padova

canzoniere Petrarca 177
PETRARQUE CANZONIERE
le chansonnier Pétrarque Sonnet 177
canzoniere poet

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PETRARQUE CANZONIERE

AUGUSTE QUERCY par GABRIEL LAFORGUE, le dernier des aèdes

 LITTERATURE OCCITANE
CAMROSOS
Carsinolos

AUGUSTE QUERCY,
Le dernier des aèdes
(1853 à Lafrançaise-1899 à Montauban)

Préface de Gabriel LAFORGUE
édition Mount-Alba Paul Massoun
Librari Editour  MCMXI

Auguste Quercy par Gabriel Laforgue Préface Camrosos Carsinolos 1911 Artgitato

Je l’ai beaucoup connu, je l’ai beaucoup aimé. – On ne pouvait le connaître sans l’aimer. – Je voudrais simplement, sobrement, – pieusement auprès de la piété des siens, -essayer de retracer et pour un instant de faire revivre, les traits essentiels et vrais de cette attachante physionomie.

IL SAVAIT SAISIR CE QUI DEMEURE

Il était, plus qu’aucun de nous peut-être, fils de cette terre qui est la nôtre. – Il aimait d’un grand, d’un pur et noble amour, d’un amour digne d’elle. – Tous son passé, efforts, joies, tristesses, grandeur, humiliation d’un jour que le lendemain éclaire et efface, larmes et sourires, tout cela vibrait, se ranimait en lui, et sous la fuite des temps et des jours, dans le grand mirage des êtres et des choses, il savait saisir ce qui demeure.

LE FILS DE CES CADURQUES

Pouvillon était Grec. – Quercy était Latin. – Sous l’ombre du grand chêne ou le parfum d’une fleur, devant la nuit qui vient ou l’aube qui grandit l’horizon, vous  retrouverez dans les meilleurs de ses vers un peu de la grâce et de l’émotion de Virgile. – Et cela était bien à lui, puisé aux sources sûres, aux plus intimes profondeurs de la race. A ses heures d’énergie, quand son masque maigre, beau d’une beauté, d’une fierté de médaille antique, que nous a si fidèlement, si noblement le génie évocateur et créateur de Bourdelle, se dressait au-dessus d’une assemblée de notre peuple qu’il prenait, secouait, grisait bientôt de gaîté et de passion, il y avait en lui mieux que le Latin. Il était bien le fils, au travers des âges, de ces Cadurques qui seuls espéraient, luttaient dans l’agonie de la Gaule expirante et à qui César devait trancher la main pour arracher le tronçon du glaive.

LES MOTS VIEILLIS DE LA LANGUE ‘MAIRALO’

Ceux qui l’ont entendu savent que je dis vrai ; qu’il n’y a ici point d’exagération, qui serait une insulte pour sa mémoire. La voix, le geste, la mobilité, la sincérité de l’action donnaient à l’œuvre une intensité de vie que la phrase figée ne saurait rendre. – Son talent était à la hauteur de l’homme, et ses vers méritent de ne point disparaître à jamais. Poète, il prit pour tâche de cueillir un à un, au travers des combes, des mas, des rives grasses de la Garonne, aux hauteurs pittoresques et sèches de l’Aveyron, dans les veillées des bordes ou les disputes du foirail, les mots vieillis de notre vieille langue « mairalo ». – Il n’était jamais si heureux que quand il avait glané un épi pour augmenter sa moisson ; jour à jour, la gerbe se faisait délicate, savoureuse.

L’INTIMITE DE QUERCY

Jasmin fut, lui aussi, un délicieux et merveilleux conteur. Il sut dire les divines paroles ailées qui dominent les fronts et ravissent le cœur des foules. Il sut plaire aux délicats et émouvant les humbles. Dans le silence qui suivit, avant la renaissance romane de notre époque qui a inspiré, dicté des pages qui auprès des siennes vivront, il parut mériter le nom du dernier des aèdes. – Si en pensant à Quercy on songe à Jasmin, ce n’est pas assurément pour tracer un parallèle qui n’est plus dans le goût de ce temps. – Nous comprenons mieux la vitalité propre à chaque individualité littéraire. Nous en comprenons la nécessité et que chaque note personnelle ajoute à la vérité du récit, du décor, à l’harmonie de l’ensemble. – En quittant Jasmin, on peut lire Quercy. Vous le devez, si vous êtes né de notre sol et de notre race. Jasmin, c’est la grande plaine qui ondule là-bas, plus nourricière, plus amollie, épanouissant ses richesses faciles tout au long des méandres capricieuses, attardés, des oseraies, des ramiers, du grand fleuve. – Quercy, c’est plus d’intimité ; c’est plus chez nous. Lafrançaise, où il naquit, voit devant elle , au pied de sa berge hautaine, l’immensité des moissons et des herbages. Mais en arrière, le sol monte et durcit. La sente vallonnée au travers des garrics côtoie souvent un champ plus restreint et plus âpre. L’effort de l’homme apparaît plus intense pour des résultats moins sûrs. – C’est vers cet effort qu’allait de préférence le regard attendri et l’affection du poète.

LES LUCIOLES ECLAIRAIENT LES MYSTERES DES NUITS

Il se plaisait à suivre au tournant des sillons, sous la motte brune, luisante du soc et de rosée, toute dentelée, perlée, vêtue des fils de la Vierge, la lancée rythmique du grain, le geste auguste qui nourrit l’homme. Quand la sève montait, verdissant le sol, diaprant les près, crevant corolles et bourgeons, sous le renouveau fécondant, il butinait le cœur en fête. Aux temps de lumière et de splendeur, alors que le dieu étincelant dorait terres et cultures, embaumait les foins, miellait les fruits, il écoutait avec ravissement tout ce qui se dit et chante dans un rayon. Grils et cigales contaient les véridiques légendes. – Les lucioles éclairaient les mystères des nuits.

LE MULTIPLE ET LE NECESSAIRE EFFORT

Le cycle clos, quand finissait l’acte annuel du grand drame millénaire, le poète songeait aux acteurs, hommes et bêtes, celui qui tient l’araire, et ceux-là qui la traînent. – Il les aimait également ; même s’il n’est point très sûr que sa sympathie plus vive n’allât pas aux plus modestes, à ceux qui peinent sans se plaindre et qui n’en souffrent pas moins. – L’homme qui ahane à la tâche coutumière, obligée, sous un ciel dévorant ; – Le bœuf dont le flanc s’agite et palpite à déchirer plus avant la glèbe durcie ; – l’âne, peu nourri, mal logé, dédaigné à tort par qui ne sauraient atteindre à sa philosophie ; – le poète entendait et voyait ce que, malheureusement, pour le bien de tous, si peu savent voir et entendre, tout ce qu’il y a de misère, d’utilité éparses dans le multiple et le nécessaire effort.

LE RIRE DE QUERCY

Avec Cladel, il scrutait, démêlait les secrets de l’âme rurale. Petites âmes, très simples, sous des apparences futées. L’intérêt domine et conduit ; – l’économie jusqu’à la privation accroît le  champ, permet la résistance, souvent incite à un brin de jalousie pour le mieux-être d’à côté ; – l’égalité, que César déjà notait comme la passion la plus répandue, la plus chérie et absorbante, l’égalité est comprise non comme un abandon nécessaire de certains avantages à soi, mais comme accès éventuel et possible aux avantages proches ; elle doit – cela est très humain- moins donner que prendre – Le rire de Quercy éclatait, son vers railleur cinglait, mais bientôt, vers la fin, ce rire se mouillait à contempler le labeur immense, varié, incessant, qui courbe et relève. – Comment en vouloir justement à l’étroitesse de vie et de pensée ainsi encloses dans l’effort quotidien, les limites de l’héritage ancestral ? – Cet égoïsme, en somme, n’est-il point producteur, tutélaire ? Et quelle grandeur, quelle beauté dans la lutte toujours inachevée ! – Auprès de Marre, Quercy se passionnait à en rechercher et à en fixer la noblesse d’attitudes, les nuances délicates, les plus fuyants aspects. – Dans la mélancolie d’un soir d’automne, la fuite des feuilles éperdues, sous le Castel démantelé où Adelaïde de Penne éprouvait la langueur des chants du troubadour Jourdan, une chaumine enfumée, branlante, où deux pauvres vieux sommeillent auprès d’un maigre feu, dit l’abandon du « soir de la vie », la stérile et infinie tristesse du courage vaincu, de la force épuisée.

L’ESPRIT QUERCINOL

N’est-ce point là un vrai poète celui qui, ainsi, mot à mot, fait sa langue des vocables dédaignés ou perdus ; varie son rythme ; dégage des mœurs périssables les curieuses légendes ; s’intéresse à tout ce qui a été de la vie et reste de l’Histoire, à tout ce qui a consacré l’empreinte plus ou moins effacée des hommes de notre race, des choses de notre sol, redonnant à cette cendre éteinte chaleur, couleur et comme un frisson d’actualité. –Auguste Quercy avait puisé dans l’intelligente recherche du passé, dans l’observation aiguisée des traditions, des coutumes, la connaissance plus complète de ce qui convient plus spécialement aux aspirations du pays qui est le nôtre. – En reconstituant la langue, il avait mieux aperçu l’esprit quercinol, ce qui reste immuable, vivace, sous les générations tour à tour descendues vers la nuit. – Son art fut vérité. – Il avait compris que s’il y  a sans doute la façon de sentir, de traduire, qui forcément évolue suivant les hommes, suivant les temps, au-dessus de tout art, de toute conception, de toute école, on pourrait élever la formule : seule la vérité est vie. – Et seuls, et dans la mesure de leur fidélité, ont vécu et vivront, les dévots de la Bonne Déesse. – Mais l’idole, l’image, toujours voilée et fugace. Ceux qui un instant ont pu l’étreindre et la saisir méritent par ce bienfait reconnaissance et respect. – C’est à ce culte que Quercy avait voué tout ce qu’il possédait de claire intelligence, de patient et consciencieux labeur ; c’est dans ce culte qu’il nous est cher, que nous vénérons sa mémoire. – Il sut émouvoir, colorer sa vie de ces visions, de ces souvenirs et de ces espérances dont le philosophe antique a dit « qu’il faut comme s’enchanter soi-même ». Et cela aussi, à ceux qui suivront reste en exemple

AU FOYER FAMILIAL ET AU FOYER DE LA CITE

Quand la mort le frôla de son aile froide, quand au matin il s’éteignit, alors qu’au soir il était plein de force et d’avenir, bien que cette fin soit celle, toujours au dire des anciens, « de ceux qui sont aimés des dieux », un chaînon se brisa dans la chaîne de nos affections les plus intimes. – Sa place resta vide au foyer familial et au foyer de la cité. – Il manquait !

DANS L’OMBRE ET LA CLARTE DE MISTRAL

L’œuvre reste ; elle a le charme des choses inachevées. – C’est un reliquaire où doucement repose ce qu’il y eut de meilleur, d’où émanent les pénétrantes effluves de l’idée généreuse, à la fois conservatrice et créatrice : les vivants ne sont sans doute que la survivance des morts. – Tout ce qui a été ; si tout se transforme, rien ne se perd ; le passé est en gestation d’avenir. – La page, à laquelle Quercy a eu l’honneur très grand d’ajouter quelques lignes, la page écrite dans l’ombre et la clarté de Mistral dominateur par ces bons ouvriers du verbe et de la pensée Mary Lafon, Fourès, Estieu, Perbosc, Castèla, dont l’oubli serait injuste, et les autres, ceux de chez nous, ceux d’à côté, de la Provence dorée à la Bretagne brumeuse, est une page d’histoire, de la grande Histoire de la vie, de la langue, des coutumes, des mœurs des peuples variés, mêlés mais non détruits en l’unité nationale….

LEON DAUDET : UN FILET D’HUILE D’OLIVE COULE SUR LA CAMARGUE

LEON DAUDET

FIEVRES DE CAMARGUE (1938)

 Un filet d’huile
d’olive coule sur
la Camargue

Le centre du monde se place en France, dans le sud, dans cette Provence brûlante et marécageuse. Le centre se déplace, en toute partialité, en parcourant les marais et les mas à la blancheur troublante et émouvante.

ENTRE LES ECLATS DE RIRE ET LA DAUBE DE BOEUF A LA PROVENCALE

Celui-ci vient se poser en poussant des épaules et en élevant cette voix ferme et tranquille au plein cœur de la table au milieu du pot-au-feu, des éclats de rire, de la rouille, de la daube de bœuf à la provençale, des pleurs, du Tavel, du vin de Crau, des chamailleries, des saucisses, des olives, du Châteauneuf-du-Pape, des cris d’orfraies, du homard à l’américaine, de la poutargue, de la bouillabaisse, des sanglots interminables, de l’huile d’olive, du loup, du monde que l’on refait, de la rascasse, des courgettes rissolées, de la vie, des morceaux d’agneaux.

ENTRE BOUILLABAISSE ET BOURRIDE MARSEILLAISE

En retirant les bardes de lard du plat, le centre se gonfle et gonfle, puis explose en redonnant au fil des pages des fragrances et des émotions de vacances. Le centre qui pénètre et envahit chaque partie du palais du lecteur.

Nous tournons les pages de Fièvres de Camargue de Léon Daudet, comme si les pages d’un livre de recette prenaient vie au-devant de nous, sous nos yeux éberlués entre bouillabaisse et bourride marseillaise.Ici, c’est toujours la première qui gagne. Haut la main.

Tout est frais malgré la chaleur. Et n’est-ce pas la condition impérative d’une bonne bouillabaisse, la fraicheur des poissons qui la composent. On peut rigoler de beaucoup de choses sur de nombreux sujets. Mais là, attention ! Tout redevient sérieux. On ne se trompe pas de marchandises. Tiens ! De la baudroie et de la langouste, du roucau et des galinettes. Sens-là ! Elle sent la mer, les vagues. Et tiens, sens cette huile d’olive, fine et parfumée. Il ne faut pas mégoter sur la qualité. Elle doit être royale ou ne pas être du tout.

UNE CELEBRITE DU VAUCLUSE QUE PARIS NE CONNAIT PAS

Vous croyez en avoir assez. Votre ventre s’est tendu prêt à rendre les armes. Mais non, un fumet capiteux vous arrive en pleine poire, et vous savez que vous ne tarderez pas à rendre les armes. « Après les hors-d’œuvre habituels et le bouillon brûlant et parfumé, le plat de résistance était le pot-au-feu traditionnel, accompagné de tous ses légumes : carottes, navets, pommes de terre, servis dans de grands plats d’étain, ornés de saucisses et d’andouillettes. Un mets de rois. Quand on l’apporta, les jeunes enfants, installés à part, battirent des mains. Des cornichons, préparés à la maison, relevaient le gite-gite et le jarret, sans oublier la queue de bœuf où quand on a tout dévoré, il reste encore, dans les creux, quelque chose à manger. La conversation vint ainsi tout naturellement sur la nourriture et sur le vin de Gigondas, célébrité du Vaucluse, suave merveille que ceux de Paris ne connaissent pas.»

 Nous n’avons pas bu et pourtant nous titubons. Nous finissons imbibés de tant d’effluves généreux et joyeux. C’est une totale cuite qui attend le lecteur. Qu’il en soit informé.  

DES FEMMES DE COEUR GENEREUX ET SAVANTES EN L’ART CULINAIRE

Les quantités ne sont pas rationnées, mais grandes et généreuses. « Tranquilles avec leurs consciences, les amoureux, la nuit étant venue, allèrent souper à un hôtel-restaurant tenu, de génération en génération, par des femmes de cœur généreux et savantes en l’art culinaire, la grand’mère, la mère, la fille et la petite-fille. Le menu comportait une bouillabaisse dorée avec la rouille, et un plat de mouton avec une couronne de riz gras, dont les grains séparés étaient fondants. Une bouteille de Châteauneuf  authentique et une demie de Tavel accompagnaient ce balthazar. » Si ça n’est pas une invitation au voyage. Mieux qu’un guide touristique, une participation à la table garnie, chez l’habitant, comme si nous étions des amis ou de la famille.

 ENCORE UN PEU DE CE POUTARGUE

La table s’affaisse qui doit porter tous ces mets incroyables. « – Tout va bien et nous attendons la bouillabaisse monstre à laquelle a présidé Aspiran, prêté par madame de Brin…Prenez donc un peu de ce poutargue… » Les genoux des convives s’arc-boutent afin de renforcer les tréteaux fléchissant et fatigués.

UNE VOIX FORMIDABLE ET LEGEREMENT AVINEE S’ELEVA

En 1933, Léon Daudet, avait déjà installé le décor de la table du soleil, où se manifestent les goûts et les couleurs,  en collaboration avec Charles Maurras, en écrivant Notre Provence. Cinq ans plus tard, en 1938, il remet le couvert en publiant sa déclaration d’amour sur la Camargue. « Après le bœuf et les pintadeaux, rôtis classiquement, il y eut encore une barbouillade d’aubergines et des godiveaux – chacun le sien- aux pignets ou champignons de pins. Comme on apportait le dessert, une voix formidable et légèrement avinée, celle du père Gentil, s’éleva. »

ET POUR L’AÏOLI, IL N’A PAS SON PAREIL

Léon Daudet apporte alors un soin à chaque gamme de produits, où les grands sentiments et les propos fleuris s’épanouissent. Se retrouvent pêle-mêle les rires, les amours, les sentiments, les explications.  Des révélations s’opèrent. Nous sommes dans le domaine des arts, au même titre que la musique ou la peinture : « c’est un artiste dans sa partie et, pour l’aïoli, il n’a pas son pareil. »

UN PEU DE SORCELLERIE NE GÂCHERA PAS L’AFFAIRE

« Si vous n’êtes pas capable d’un peu de sorcellerie, ce n’est pas la peine de vous mêler de cuisine. » soulignait Colette.  Et ce n’est pas de la sorcellerie que nous fait  partager Léon Daudet, il installe un festival, propose un feu d’artifice d’ingrédients, des plus subtils et des plus raffinés aux plus basiques, des plus complexes aux plus simples. Tout se mêle dans le texte, et la bouche aussitôt active, comme par magie, des sécrétions inextinguibles.

Prenez une bonne grosse pièce de Camargue bien charnue et dodue, recouverte de taureaux farouches et fiers. Avec votre coupe-pâte, répartissez des parts inégales jusqu’au bord large et cannelé, où s’écoule, sensuelle, la fine goutte d’huile d’olive. Taillez d’abord un fond où vous déposerez les navets, les carottes, les pommes de terre encore fumantes. Et, au moment de servir, vous égoutterez les poulardes. Vous les déposerez délicatement sur le toit des mas où le soleil ne tardera pas de finir son affaire.

UN DESIR DE FEU RENAISSAIT EN LUI

Le repas chez Daudet fils à le pouvoir de la madeleine proustienne. Avec, en plus, la frénésie et l’ivresse des nuits torrides qu’apportent les longues soirées camarguaises. « Tandis qu’il (Ramire) prenait un léger repas de saucisses, d’olives, de poutargue et de vin blanc, le souvenir détaillé de sa nuit vint l’assaillir brusquement, comme renaissait en lui un désir de feu. »

UN BON SOUVENIR SANS LA MEDIOCRITE DE LA CUISINE

Mais tout le monde est gourmand. Et nos jeunes mariés, trois couples, découvriront la véritable force de leur terroir, la véritable valeur de leur tradition en visitant pour les uns la Hollande, pour les autres le Maroc. « Ce séjour, prolongé pendant une semaine, assez réfrigérant,…leur eût laissé un bon souvenir sans la médiocrité de la cuisine, qui faisait regretter Audiberte. Les  viandes étaient inexistantes, réduites à des poulets étiques et à du mouton incertain. Les poissons étaient dénués de saveur, ainsi que les crustacés, et l’on ne craignait pas de servir comme crevettes ces horreurs de cauchemar que l’on appelle des langoustes.  – Autant manger des araignées et des scorpions disait l’oncle.» Teresoun et l’oncle Guigue n’ont qu’une hâte retrouver le soleil, les amis de cette Provence et faire bonne chère. En hollande, Margaï et Descarié, aussi en voyage de noce, n’y trouve que peu de goûts et de saveurs. Il ne faut surtout pas comparer « La cuisine hollandaise leur paraissait à la longue un peu fade et le cabillaud au beurre –chef-d’œuvre de van Laar- moins savoureux. » Seuls, nos amants qui ont choisi Lyon, savourent les bouquets d’une cuisine capable de faire oublier les charmes de la Camargue. « La nuit venant, ils cherchaient, pour dîner, un petit restaurant où ils fussent presque seuls et ils savouraient, étant gourmands, cette fine cuisine lyonnaise, qui n’a pas sa pareille au monde. » Il faut avouer qu’il s’agit-là plus d’une escapade qu’un véritable voyage au long cours.  

LA PEAU RISSOLEE ET CRAQUANTE A SOUHAIT RECOUVRAIT UNE CHAIR DELICATE

Les amis se retrouvent autour de la table et les ennemis aussi. La table fédère, unit. Elle nécessite une organisation sans faille, quasi militaire. Il y a celui qui commande, véritable chef d’orchestre et les autres dans la réalisation minutieuse. Pas d’improvisation. Du détail et de l’ordre. Avant le désordre et le général de la fin de repas. « Aspiran, chargé du repas, avec sous ses ordres Cadurce, le traiteur de Trinquetaille – les deux hommes ne pouvaient pas se sentir – précédait, précédait pour cent soixante-dix couverts, une dizaine de gâte-sauce et de marmitons, dont l’un de dix ans en costume traditionnel blanc, avec toque blanche, brillant, étincelant au soleil. Les uns portaient les plats de poissons, chargés de loups, de mulets, de rascasses, de homards. Les autres brandissaient des soupières de pain trempé, ou lèches, pleines jusqu’au bord. En commençant par les fiancés, chacun fut servi abondamment, sans distinction entre le rang et la situation des convives, bien que les distances demeurassent observées. Il y avait des saucières de rouille pour les amateurs de cet aiguillon savoureux du goût… – Cette bouillabaisse est une merveille. C’est du poisson accommodé au soleil… Après la poutargue et la bouillabaisse apparurent les agneaux aux pommes de terre et aux courgettes, dont la peau, rissolée et craquante à souhait, recouvrait une chair délicate. »

La puissance ne se fera pas par comparaison, car comparaison il ne peut y avoir. Elle révélera la finesse de la force des origines et de ces parfums inimitables. Elle rendra évidente la puissance de sa composition. Elle formulera précisément son unicité et son caractère tout simplement exceptionnel.

DES SUJETS SUPERFLUS ET INDISPENSABLES

Les langues se délient et les choses se disent. Et toutes sont importantes. Le moindre détail est discuté, pesé. Les parleurs s’engagent corps et âmes, en soutenant tel ingrédient plutôt qu’un autre.  « Descarié, sans arrêt, prenait des croquis, cependant que les anciens discutaient politique et culture et que Cadurce et Aspiran se disputaient au sujet de la rouille, le premier la déclarant superflue, et le second indispensable. Autour de ces deux maîtres, serveurs et marmitons, quelques-uns léchant le fond des casseroles, écoutaient avec respect, sans prendre parti. »

TOUT LE MONDE PARLAIT A LA FOIS

A un plat succède un autre plat. C’est le banquet romain ou celui d’Astérix et  d’Obélix enfin réunis après une odyssée somme toute bien tranquille, sauf pour les romains. Les vins succèdent aux vins. Les rires sont suivis par d’âpres discussions politiques, religieuses, philosophiques, philosophico-politiques, ou politico-philosophiques. Le rire conclut la fête. Et les rires passent. Et la nuit, depuis longtemps passée, ne sait plus sur quel pied danser. « La bonne humeur régnait. Le menu servit par le chauffeur Arsène et par Antonine, comportait des homards à l’américaine et une daube de bœuf à la provençale, onctueuse à souhait, accompagnait de macaroni à l’italienne et de pommes de terre bouillies. Tavel et vin de Crau coulaient à pleins bords. Tout le monde parlait à la fois. Les corbeilles de pain blanc en testons circulaient, avec les plaisanteries traditionnelles sur la forme gaillarde de ces seins appétissants de jeunes filles qui ont fauté. L’oncle Guigue faisait des observations sur chaque plat, trouvant que les homards à l’américaine n’étaient pas assez montés, que la daube n’était pas assez onctueuse, que les pommes de terre étaient trop friables. Les parlers d’oïl et d’oc se croisaient, ainsi que les rires et les débris de chansons dont on ne sait jamais que le commencement et la fin. »

IL TONNAIT A FAIRE TREMBLER LA RUE CARÊME

Une erreur ou un oubli. Une mauvaise interprétation d’une recette peut entraîner un drame. Que dis-je, un tsunami, une avalanche de mots et de jurons.  « Avec cela il était gourmand et exigeait, de sa vieille cuisinière Audiberte, des recettes immuables et du meilleur aloi. Si elle s’écartait d’un filet d’huile, de la formule traditionnelle, il tonnait à faire trembler la rue Carême. »

Et que diable si la santé n’est pas au rendez-vous. Il existe toujours un vieux procédé de grand’mère qui a fait ses preuves.  « On apporta des boissons fraîches, de la glace, du banyuls et du frontignan, ainsi que du vieux tavel, vin cher au professeur Haumier…L’oncle Guigue, qui avait une pointe de diabète, buvait à petits coups un « glass » d’eau de Vichy au citron … »

Jacky Lavauzelle