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HANNETON, VOLE… – ÉMILE POUVILLON

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Edmund Reitter, Cycle de vie d’un hanneton, Melolonthinae, table75, 1908

LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

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HANNETON, VOLE…

 

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LISEZ-MOI
N°90
25 MAI 1909

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I

Aimables, comme tous les étourdis, prompts à s’instruire, faciles à dissimuler dans les pupitres, les hannetons, jadis, m’ont donné bien des joies. Deux d’abord, que j’attelais ensemble à une voiture en papier ; un autre après, mort trop jeune, qui exécutait de magnifiques dessins à l’encre, du bout de la patte, mais très bien !

Et cet autre encore : le hanneton de Fine …

Fine ? La petite des métayers ; un rien fillette avec des cheveux couleurs de maïs, très sauvage et très maligne, instruite comme pas une à tous les jeux, chasses, amusettes et flibusteries campagnardes ; et rude ! sans chapeau, sans souliers, une loque sur le corps et un roseau en main pour conduire les oisons.

Je l’enviais cette Fine. Marcher pieds nus, mordre au pain de seigle noir, quel rêve ! Oui, mais pour moi, quand j’essayais, quel réveil ! Aïe ! mon talon qui s’entame ; ouf ! mon estomac qui dit : Non.

Mes paysanneries n’allaient jamais loin.

-Remets tes souliers, et allons aux hannetons, veux-tu ? disait la petite.

II

On partait. Une journée à souhait, douce, et dans le ciel tiède, des danses, des festonnements d’insectes folâtrant autour des jeunes ramées qui laissaient pendre des fils de la Vierge, balancés dans le bleu comme des escarpolettes à moucherons.

Nous suivons le ruisseau : les jeunes nichées pépiaient près de nous, dans les saules, et Fine chantait du haut du gosier, à la mode des enfants de campagne :

Hanneton, vole, vole, vole,
Ton mari est à l’école.

…………

Un hanneton, poursuivi par une hirondelle, vibra tout à coup au-dessus de nos têtes et s’abattit dans les feuilles de l’autre côté de la bordure…

Dans le colza, peut-être...suggéra Fine.

Il était plus haut que nous d’un bon empan, ce colza. Au bout de deux pas nous y fûmes perdus, le visage dans les fleurs, investis comme d’une immense forêt jaune. Les hannetons travaillaient là dedans. En un tour de main nous en prîmes deux : des mâles, des élytres luisants, le damier bien marqué, les antennes pareilles à des bois de renne en miniature.

Mais, pendant que nous les admirions, voilà que le jour baissait tout à coup : une giboulée montait au front d’un nuage noir. Et déjà les premiers grêlons, les premières gouttes !

Vite, sous le pommier !

Mauvais abri, quoique très parfumé ; des fleurs partout, mais la pluie à travers ; elle fit bientôt une flaque à nos pieds, dans le creux du sillon ; et chaque fois qu’y tombaient les pétales blancs, les pétales roses, déchirés par la grêle :

Encore une pomme dans l’eau ! soupirait Fine.

Pauvre petiote ! Elle frissonnait dans ses loques d’indienne percées par la pluie, tandis que, accroupie comme une mère poule, elle gardait sous elle et réchauffait ses oisons. C’est si délicat à la mouillure ses oisons. C’est si délicat à la mouillure, ces bestioles ! Une plus chétive grelottait encore et se traînait après les autres, quand, l’averse essuyée, nous quittâmes le pommier.

Inquiète, l’enfant la prit sur elle, la logea sous la chemise, à la bonne tiédeur de la peau.

Était-ce déjà la fièvre, ou la peur d’être grondée à cause de l’oison malade, ma petite amie tremblait comme la feuille, en rentrant à la maison.

III

Le lendemain, je n’aperçus pas Fine, le surlendemain, non plus. On me dit qu’elle était au lit, tourmentée par la fièvre. Je ne m’en inquiétai pas autrement et je ne demandai pas à la voir. S’enfermer dans l’obscur d’une chambre quand les grillons chantaient si gaiement dans le ciel !

Ils foisonnent dans la prairie ; leur bruissement léger croissait et se mourait avec les risées de vent frais qui passaient sur les herbes. L’oreille à l’affût, j’avançais à petits pas, et, l’un après l’autre, repliant leurs cymbales d’or, les petits musiciens se taisaient à mon approche, tandis qu’en avant, en arrière, l’orchestre, à larges ondées, jetait, comme une respiration énorme, sa sourde et lointaine rumeur.

Pas de bonheur aux grillons, ce jour là. Et mon hanneton était mort très misérablement la veille, étouffé sous sa litière de feuilles, asphyxié dans sa boîte.

Demain, pensai-je, j’irai voir si Fine veut me donner le sien.

IV

Sitôt levé, le lendemain, je courus à la métairie. Personne. Le père, la mère, la grande sœur, la vieille ménine, tous s’en étaient allés au pré, dès la pointe du jour, laissant la petite malade à la garde du bon Dieu. On les entendait de loin ; rire des femmes en train de sauter le foin, tintement de la faux sur la pierre à aiguiser, le joli tapage de la fenaison s’éparpillait dans le frais du matin…

Fine ? appelai-je à travers la porte.

Pas de réponse.

Je tirai la chevillette, et me trouvai dans le noir.

J’appelai de nouveau :

-Fine ?

Ici…, répondit une voix faible, si faible !

En même temps, mes yeux s’accoutumaient à l’obscur, et je m’avançai vers le grand lit.

Les rideaux de serge tirés sur la malade faisaient comme une seconde épaisseur d’ombre, où, d’abord, je ne distinguai que le blanc du bénitier de faïence ; puis, la figure pâlotte et les mains de Fine m’apparurent au-dessus de l’immense couche sur laquelle l’attitude de son corps soulevait à peine un léger pli.

Elle s’était haussée un peu sur le traversin, et me regardait.

Je la trouvai enlaidie, les joues creusées, le nez mince et les yeux trop brillants.

Mais j’oubliai bientôt sa figure.

Là, près d’elle, j’avais aperçu le hanneton.

Des feuilles fraîches de peupliers jonchaient le drap de toile bise, et le prisonnier fourrageait là dedans, tirant le fil entortillé de l’autre bout au petit doigt de la malade.

Pousse un peu le volet, je le verrai mieux...demandait Fine.

Elle parlait avec effort, jetant un mauvais sifflement entre deux pauses.

A un mouvement qu’elle risqua pour se pencher, je la vis fermer les yeux subitement et porter la main à son côté.

Aïe ! gémit-elle !

V

Je ne m’enquis pas de ce qui la faisait souffrir. J’étais tout au hanneton ; elle aussi, d’ailleurs. Oh ! la gentille bestiole ! De quel appétit il vous grignotait les feuilles, et quelle amusante pantomime, quand il s’arrêtait de manger, comme quelqu’un qui réfléchit, allongeait le cou, développait ses antennes, entrouvrait le fin bout de de ses élytres, puis rentrait en lui-même, pour recommencer encore.

Il compte ses pas ; il va partir ! disait Fine

D’un brusque élan, l’étourdi s’enlevait, se cognaient aux rideaux, et retombait en paquet sur le lit. Très comique ! Vraiment, j’en étais fou, de ce hanneton ; et, si j’avais osé…

Mais Fine ne le quittait pas des yeux. Elle jouait à le bercer, à le faire grimper en échelette sur ses doigts…

N’est-ce pas qu’il est intelligent, mon hanneton ? me disait-elle. Tiens, veux-tu voir comme il aime la musique ?

Bien doucement alors, à cause de cette mauvaise toux qui lui déchirait la poitrine, elle chantonnait :

hanneton, vole, vole, vole…

Elle s’arrêtait un moment, mettait la main sur ses lèvres pour retenir une quinte, puis elle reprenait entre deux silences :

Ton mari est à l’école.

Elle n’alla pas plus loin. Un étouffement lui fit monter le rouge au visage. Elle s’était assise, angoissée, les mains crispées aux draps, la tête renversée en arrière avec sa bouche grande ouverte, cherchant l’air…

Un cri, un sanglot, puis rien.

Inerte, le regard fixe, elle était retombée sur le traversin.

Endormie, sans doute.

Sournoisement, j’allongeai la main sur le hanneton ; les doigts détendus de Fine avaient lâché le fil.

Tu me les donnes ? dis-je tout bas, par acquit de conscience.

Et, sans attendre la réponse, je m’en allai doucement sur la pointe du pied, comme un voleur.

VI

Ces fièvres de poitrine, ça va vite.

Rentrant du pré, à l’heure du goûter, ceux de la métairie, trouvèrent l’enfant morte.

On parlait d’elle chez nous le soir, et moi, curieux :

Que va-t-on faire de Fine ? questionnai-je.

Son corps ira dans la terre et son âme au ciel, répondit ma mère.

Mais elle, où ira-t-elle ? pensai-je, n’osant pas demander d’autres explications.

Je m’endormis là-dessus.

Le lendemain, nous vîmes des choses bien étranges.

Nous, c’est-à-dire le hanneton et moi. Le hanneton m’habitait. Il était là sur moi, errant au bout du fil, quand le charpentier clouait le cercueil ; là, quand on couchait Fine, toute raide, toute pâle, dans la boîte neuve ; là encore, quand venaient les fillettes de l’école, en robe de calicot blanc, pour faire la conduite à leur amie.

Oh ! la belle journée de mai, paisible, avec son grand ciel duveté de nuages blancs !

Dans le petit clos, près de l’église, les tombes, les croix, tout disparaissait dans l’épaisseur de l’herbe, une herbe noire de sucs, fléchissant sous les fleurs.

Les hirondelles, avec de petits cris, glissaient dans l’air tiède, et les abeilles bourdonnaient autour des grappes odorantes des sureaux.

VII

Le cortège avait fait halte.

Qu’allait-il se passer ?

Fillettes et garçons, jeunes ou vieux, tout le monde se pressait autour du prêtre en surplis. Je fis comme les autres. Angoissé, sans trop savoir pourquoi, je regardais à pleins yeux la fosse étroite, courte, avec un peu de terre remuée au bord. Un homme se baissait, laissait aller la boîte dans le trou.

Et comme ma première pelletée de terre faisait vibrer les planchettes minces…

Bourr ! Le hanneton que j’avais oublié, ouvrant les doigts en même temps que j’écarquillais les yeux, le hanneton s’envolait, libre, dans l’azur.

Et, le regardant monter, tourner, monter encore :

Qui sait ? me disais-je, s’il retrouvera, là-haut, l’âme de Fine ?…

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FRAGILITÉ – ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

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FRAGILITÉ

 

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LISEZ-MOI
N°67
10 JUIN 1908

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C’est à Cauterets, pendant la saison, la saison parfumée, la saison brève, quand les amoureux se hâtent d’aimer, quand les fleurs se hâtent de fleurir.

Sous le sapin, au bord du gave, ils sont assis tous les deux ; la main dans la main, ils causent.

Sous l’antique sapin, dans l’ombre des branches inclinées en alcôve, au bord du gave qui bondit comme un isard de rocher en rocher, les amoureux sont assis ; ils causent d’amour à voix basse.

Le gave gronde :

Oh !ces amoureux qui s’imaginent qu’on les écoute ! comme si on ne savait pas, avant qu’ils parlent, tout ce qu’ils peuvent dire ! Les libellules bleues, qui se poursuivent à la pointe des joncs, n’y mettent pas tant de malice. Elles m’intéressent davantage, si éperdument bleues, si naïvement impudiques !

Le gave gronde et le sapin murmure :

Encore deux fous qui vont me martyriser avec leurs canifs, qui vont incruster leurs initiales dans ma moelle, sous le ridicule prétexte d’éterniser leurs amours. Pauvres fous ! Les abeilles qui pullulent dans les fentes de mon écorce, les pinsons qui font leur nid à la fourche de mes branches, se comportent avec moi d’une façon plus discrète.

Et les amoureux ont entrelacé leurs initiales au cœur de l’arbre ; à voix basse, de peur que le gave ne les entende, ils ont échangé leurs serments d’amour.

Mon ami, mon tendre ami, je ne t’oublierai jamais !

Et, déjà, la saison parfumée et fragile a pris fin. Les amoureux sont partis et les les bûcherons sont venus ; ils ont abattu l’arbre. Ils l’ont débité en planches. Et les planches, vendues à des marchands, ont été charriées à la ville, à la ville lointaine habitée par l’amoureux. C’était l’hiver, et l’amoureux venait de mourir. Et, avec les planches de sapin témoins de ses aveux, on a construit son cercueil.

La bien-aimée a su que son amoureux était mort. Et elle a pleuré. Oh ! comme elle a pleuré, la bien aimée !

Mon ami, mon tendre ami, jamais je ne t’oublierai !

La bien-aimée a pleuré tout un jour et tout une nuit.

Et puis, comme on était en carnaval, elle a mis sa belle robe ; elle est allée danser.

A la première danse, elle s’est consolée ; à la seconde danse, elle s’est fiancée.

Et son fiancé l’a mené dans son bateau, sur la rivière lente, à l’ombre des saules, printaniers qui sentent le miel :

Mon ami, mon tendre ami ! c’est toi que j’aime. Je ne t’oublierai jamais.

Et la rivière s’est mise à clapoter joyeusement, la rivière s’est mise à rire autour de la barque. Et, en riant, elle a envoyé un soufflet d’écume à la joue de la bien-aimée.

Car la rivière, c’était la gave qui avait entendu ses serments d’amour, c’était la belle eau bleue charrieuse de mensonge.

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L’ECRITURE et LA CREATION dans les correspondances d’Emile POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

L’ECRITURE et LA CREATION
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

 

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SUPERIORITE DE LA POESIE SUR L’OBSERVATION

CORRESPONDANCE
DE 1891 à N.D.

Cependant puisque vous voulez bien vous inquiéter de ce que nous devenons ici les uns et les autres, je vous dirai que mes fils dansent beaucoup et dissèquent ou patrocinent un peu. Mon collégien a écrit quelques jolis menuets ; mon carabin a pris froid en sortant du bal. Et moi je traîne une vague névrose. Quoi encore ? J’ai fini d’écrire mon mystère sur Bernadette de Lourdes ; il a été déjà publié dans la Revue et je corrige les épreuves du volume qui paraîtra chez Pion dans le courant du mois prochain. Ce que ça vaut ? Je n’en sais vraiment rien. Mais cela m’a passionné à écrire, au point de me dégoûter un peu de besognes littéraires auxquelles je me suis attelé depuis. Oh ! la supériorité de la poésie sur l’observation, du rêve sur la vie !

« LA SENSATION AMERE DE MON NEANT »

CORRESPONDANCE
30 juillet 1896
Capdeville
à N.D.

Capdeville, 30 juillet 1896.
Ma chère amie,
C’est un long accès de paresse, d’anéantissement profond dans les riens de la vie quotidienne et encore un mois de vagabondage. Paris, Vienne, Normandie, et encore les misères et les horreurs de la santé ; que sais-je ? Peut-être la sensation amère de mon néant et le dégoût d’en sortir qui m’a fait vingt fois tomber la plume des doigts au moment de vous écrire. Et si je me décide aujourd’hui, ce n’est pas que je sois plus en train de vivre, ni plus content de moi, ni plus persuadé que je peux être bon à quelque chose. Non, c’est uniquement un vague instinct de conservation, la peur de perdre une amitié qui m’est d’autant plus précieuse que je m’en sens plus indigne. Mais je ne l’ai pas perdue déjà ; oh ! je ne vous en voudrais pas de m’avoir oublié ; je me vois très vague et lointain et tel enfin que je dois vous apparaître à travers le temps et l’espace. Que nos existences sont différentes ! Pendant que vous cueillez au fil de l’heure les images rares et les sensations exquises, je m’enlise ici dans une grisaille irrémédiable et définitive. Sauf de très brèves minutes où je revois les heures anciennes, la vie ne me dit plus rien. Mon pouvoir d’évoquer s’anémie, s’abolit de jour en jour ; il me semble que ce n’est plus pour moi, les spectacles si passionnants jadis de la nature. La ronde des saisons tourne devant moi, mais je n’entre plus dans la danse. C’est fort triste à éprouver, tout cela, et un peu ridicule à exprimer aussi. Le monsieur qui baisse, le vieux monsieur plaintif est une chose connue et qui prête moins à la sympathie qu’à la caricature. Commenter Salomon est de l’inutile rhétorique. Et voilà qu’après m’être décidé à vous écrire, je commence à regretter mon silence. Au moins aurai s-je pu le rompre d’une façon moins prétentieuse.

Prochaine parution de « L’Image » dans « La Revue »
Projet « Le Roi de Rome » à l’Odéon

CORRESPONDANCE
9 octobre 1896
Capdeville
à N.D.

C’est toujours pour moi le Pays merveilleux, la Patrie du rêve, encore plus depuis que votre image toute neuve s’y est mêlée aux images anciennes. Mais ce ne sera plus le souvenir l’an prochain, ce sera la présence réelle. Quelle fête de revoir avec vous ces pays adorés ! Ce me serait, à défaut d’autres, une raison suffisante de vivre jusque-là où ce sera la vraie vie. En attendant, je vais travailler. Et d’abord je vais exaucer votre aimable souhait d’avoir plus d’un livre de moi dans l’année en corrigeant les épreuves de l’Image, parue déjà dans la Revue, et que vous aurez, je l’espère, en novembre ou décembre. Puis ce sera une autre grosse histoire, une pièce pour l’Odéon où on m’a demandé de donner quelque chose, et je leur ai mis en drame ce projet du Roi de Rome qui me hantait depuis longtemps et dont je me délivrerai de cette façon.
Voilà une terrible chose pour moi, si cela aboutit, — et je n’en suis pas encore sûr, mais pensez à ce que je vais devenir, — tel que vous me connaissez, — dans ces enfers’ parisiens du théâtre : répétitions, premières, etc., etc. Si vous étiez là, au moins, si j’avais un regard ami dans ce monstre aux cent têtes qu’est le public et qui m’exécutera peut-être ce soir-là !

« JE VAIS ESSAYER DE ME CONSOLER DANS LE TRAVAIL »

CORRESPONDANCE
Capdeville
7 octobre 1898
à N.D.

Je vais essayer de me consoler dans le travail. Je suis horriblement en retard et trop mal en train pour me rattraper d’ici à longtemps. Cependant, il faudra bien, je pense, me décider à revoir Paris. Et ces voyages me sont devenus une corvée. Mais pas le prochain cependant. Car, cette fois, je m’arrangerai pour m’arrêter à Rochefort. Quand ? Je ne sais pas encore et cela tient à assez de choses qui ne sont pas toutes en mon pouvoir. Mais ce sera bientôt. Je vous dis un bien cordial au revoir. Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès des vôtres.

LE THEÂTRE

«  Le théâtre et les émotions dû théâtre c’est comme le tripot et les émotions de la roulette.« 
« C’est infâme et attrayant »
« C’est quelque chose de très passionnant et de très rebutant aussi. Le travail s’y fait et s’y défait chaque jour ; on arrive à douter de soi et de son œuvre et des comédiens ; et le lendemain tout est changé. »

CORRESPONDANCE
Paris, 1898.
à N.D.

Je vous écris au coin du feu en pleine crise de grippe. Je suis tapissé de thapsias et tatoué d’iode. Ajoutez à ces agrémens la joie d’une chambre d’hôtel et, à travers mes vitres, l’horreur d’un Paris dans le dégel, de la neige souillée où les gens pataugent sous un ciel couleur de suie qui refuse de filtrer la lumière. Un joli cadre de vie, n’est-ce pas ? Et mon âme est en parfaite concordance avec ces choses : une âme de dégel morne et boueuse et triste. Oh ! combien triste ! Vous n’imaginez pas à quel point je suis las de Paris, las des littérateurs, mes frères, et de tout ce monde des théâtres où je traîne mes journées. Le théâtre et les émotions dû théâtre, voyez-vous, c’est comme le tripot et les émotions de la roulette. C’est infâme et attrayant, et on s’en veut de subir l’attrait par moment et on se méprise d’avoir partagé l’infamie. C’est quelque chose de très passionnant et de très rebutant aussi. Le travail s’y fait et s’y défait chaque jour ; on arrive à douter de soi et de son œuvre et des comédiens ; et le lendemain tout est changé. On est empoigné, on a la fièvre du succès, on marche dans un rêve… Mais que cela est au-dessous du bon travail solitaire, face à face avec sa pensée. Et autour le silence des campagnes, et le recueillement du jardin où tombent les sonneries du couvent. Il me tarde d’y revenir. Déjà trois mois de Paris et, encore un mois sans doute, ma femme arrive avec Henri pour la première des Antibel et je ne repartirai qu’avec eux. C’est bien long. Heureux ou malheureux, je ne renouvellerai pas souvent l’expérience.

LE THEÂTRE

«  Dans la pénombre de théâtre à respirer la poussière et les courants d’air.« 

CORRESPONDANCE
Paris, 3 janvier 1899.
à N.D.

Et cette blancheur en reflets dans les chambres bien closes, où l’on médite, où l’on travaille. N’est-ce pas le bon programme ? Cela vaudrait mieux, à coup sûr, que la tourmente parisienne où je suis ballotté depuis deux mois. Oh ! ces après-midi, cinq, six heures d’affilée dans la pénombre de théâtre à respirer la poussière et les courans d’air. J’en meurs, j’en suis malade tout au moins, et si malade que je renonce à lutter. Ce soir, demain matin, au plus tard, je rentre à Montauban. Voilà toute une semaine passée derrière mes carreaux, en tête à tête avec la grippe. Je renonce à lutter, et veux retourner vers la douceur de ma vie montalbanaise.

THEÂTRE
« J’AI LA NAUSEE DE TOUT CELA ENCORE PLUS QUE LA GRIPPE »

CORRESPONDANCE
Capdeville
3 janvier 1899
à N.D.

Tant pis pour le Roi de Rome qui va passer à la fin de la semaine, tant pis pour les Antibel, qu’on répète en scène et au souffleur à l’Odéon. J’ai la nausée de tout cela encore plus que la grippe. Quand cette lettre vous arrivera, je serai probablement à Montauban.

« JE SUIS DANS LE NOIR JUSQU’AU COU ET MÊME AU-DESSUS. »

CORRESPONDANCE
Montauban
9 avril 1900
à N.D.

Ajoutez que ma femme ou moi nous n’avons pas cessé d’être plus ou moins infirmes cet hiver. J’en suis à ma seconde atteinte de grippe pour mon compte et ce ne sont que des misères, mais qui n’embellissent pas l’existence. Je suis dans le noir jusqu’au cou et même au-dessus. C’est à peine si je suis en état de travailler J’ai renoncé à ma collaboration du Temps par effroi d’une échéance nouvelle. C’est vous dire où j’en suis et que si je pouvais m’arracher pour vingt-quatre heures à tous mes ennuis, je craindrais de vous amener un assez triste et maussade personnage.

« JE SUIS DANS LE NOIR JUSQU’AU COU ET MÊME AU-DESSUS. »
« J’AI ACHEVE UN DRAME RUSTIQUE EN QUATRE ACTES. »
« JE ME REMETS A MON ROMAN ROUSSILLONNAIS. »

CORRESPONDANCE
Montauban
9 avril 1900
à N.D.

Ah ! quelles vacances ! Je ne suis pas sorti de Capdeville depuis deux mois, pas même pour une journée à Montauban. Je m’extermine de travail pour oublier un peu. J’ai entrepris et achevé tout un drame rustique en quatre actes qui a chance d’être joué l’hiver prochain au Gymnase. Je vais me remettre à mon roman roussillonnais. Mais je me demande, non sans inquiétude, ce que peut valoir un travail fait dans de pareilles conditions. Je n’ose pas vous promettre d’aller vous voir à Périgueux. J’aurais pourtant besoin de quelques heures de distraction et de bonne amitié. Si je sors, ce sera pour aller chez vous.

« COMMENT AI-JE PU TRAVAILLER AU MILIEU DE TOUT CA ? »
« MON DRAME EST TERMINE… »
« MES IDEES NOIRES…M’ENVAHISSENT… »

CORRESPONDANCE
Capdeville, 1900.
à N.D.

Puis la raison revient, la mémoire et la tristesse. Voilà où nous en sommes, ma pauvre amie. Et cette figure qui change tous les jours, qui se fait plus blême, cette taille qui se courbe, ces pieds qui traînent, ces parcours qui s’accourcissent de chambre en chambre il y a encore un mois, et maintenant d’un fauteuil à l’autre. Je ne sais pas pourquoi, à quelle impulsion maladive j’obéis en vous étalant ces tristesses. Mais j’en suis pénétré à ce point qu’elles sortent, qu’elles s’épanchent malgré moi. Vous me pardonnez, c’est-ce pas, de les mettre devant vos yeux. Comment ai-je pu travailler au milieu de tout cela ? C’est un vrai miracle. Mon drame est terminé et reçu ; j’ai même dû aller passer trois jours à Paris pour prendre mon tour de représentation. Mais maintenant que je n’ai plus de travail urgent pour écarter par moment mes idées noires, elles m’envahissent, je ne sais plus comment me défendre. Je suis tout seul ici, ma femme auprès de sa mère, Henri auprès de sa fiancée, Pierre chez des amis, Etienne dans son ménage. Je m’enfonce dans le tête-à-tête avec la mort. Si j’y échappe une minute, c’est pour causer avec les notaires et les autres hommes d’affaires.

« DEPUIS UN MOIS, RIEN DE BON, A PEINE DE TRAVAIL, ENCORE MOINS DE PLAISIR. »

CORRESPONDANCE
1901
à N.D.

Ce que j’ai fait depuis un mois ? Rien de bon, à peine de travail, encore moins de plaisir. Rien qu’une pointe de quelques jours en Roussillon quand ma femme a été assez bien pour me donner congé. Mais là je me suis abîmé de fatigue et j’expie présentement une folie d’excursionniste. Je me traîne avec une atteinte de bronchite dont je ne peux pas me délivrer. Mes soixante et un ans qui vont arriver tantôt me trouveront bien languissant, bien découragé et bien mal résigné à vieillir. Qu’y faire ? J’ose à peine penser à demain et après-demain que sera-ce ? Vous qui avez de l’énergie et du courage à revendre, si vous vouliez m’en envoyer pour deux sous.

« J’ATTENDS LE MOIS DE MAI EN TRAVAILLANT »

CORRESPONDANCE
Montauban, .1904 
à N.D.

J’attends le mois de mai en travaillant ; encore cent quarante pages à recopier, c’est-à-dire à refaire. Je n’ai pas de temps à perdre si je veux avoir fini au 15 mai. La pensée d’aller à Paris avec vous me donnera du courage. A bientôt donc, ma chère amie.
Quelle joie d’explorer les paysages parisiens avec vous ! Causer en promenadant, vous savez que c’est ce que j’aime le mieux au monde. Avec vous, c’est le parfait idéal.

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PIERRE LOTI dans la correspondance d’EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

PIERRE LOTI 
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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ELECTION DE PIERRE LOTI
A
L’ACADEMIE FRANCAISE

Montauban, 25 mai 1891.

[Note : Le 21 mai 1891, Pierre Loti est élu à l’Académie française au fauteuil 13, au sixième tour de scrutin par 18 voix sur 35 votants contre Émile Zola en remplacement d’Octave Feuillet]

Chère Madame,
L’élection de Loti lui arrive à l’âge où il y a de l’agrément à porter les palmes vertes. Et sans les antichambres, sans les intrigues, sans le fiel et sans le sucre de la comédie académique, c’est tout à fait bien ainsi. Et quelle joie pour madame votre grand’mère ! J’ai vécu des heures de souvenir en pensant à elle et à tout son exquis entourage de Rochefort et de Marennes. Que tout cela est loin et que c’était délicieux ! Et c’est fini ! Je n’ai certes pas oublié Loti cependant, ni madame votre mère, ni vous, ni rien de mes impressions de ce temps-là, et Dieu sait le plaisir très vif que j’aurais à vous revoir les uns et les autres et à revoir Rochefort et Marennes et les villages de l’île et les jardins fleuris appuyés aux murs blancs, et même les averses sur les grandes routes. Mais je sais bien qu’avec la meilleure volonté du monde de part et d’autre, cela n’arrivera plus. Et qu’y faire ? C’est la mélancolie de la vie. Et ce n’est pas moi qui aurai la force d’y rien changer.
Excusez, je vous prie, cette philosophie d’homme grippé. Elle doit dissoner certainement avec votre entrain de jeune ménage et je prie aussi M. D… de ne pas trop prendre au sérieux tout ce pessimisme que j’aurai tôt fait d’oublier en sa compagnie. Vous êtes très aimables tous les deux de vous souvenir de moi. Et moi je serais si heureux de me retrouver auprès de vous !
Veuillez agréer tous les deux l’expression de mes sentiments les plus affectueusement dévoués.

PIERRE LOTI ET M. SEGOND

1895


Chère madame et amie,
Quelle joie d’avoir de vos nouvelles ! J’en avais eu il y a un mois à Paris où le hasard m’a fait rencontrer M. Segond et vous pensez de qui nous avons parlé tout de suite. Et déjà alors je voulais vous écrire. Et savez-vous ce qui m’a arrêté ? Les indications à mettre sur l’adresse. Voyez quel nigaud est votre ami. J’ai prié Loti de m’instruire, puis madame votre mère. Et voilà comment à ma honte et à votre gloire d’amie, c’est vous qui m’avez devancé. Donc vous êtes bien là-bas ; vous y avez la santé et le rêve, la joie de M. D… Et le rire de vos Tototes et la magie des couchans. Et votre séjour ne durera pas assez pour que vous connaissiez l’envers des choses, la monotonie des soleils, l’écrasement de l’ardeur extérieure et le hâle fâcheux et le bâillement des chères petites et la nostalgie des averses. Et nous aurons eu, nous, la révélation — surprise ne serait pas exact — du joli écrivain de nature que nous porte votre exquise lettre.

XX

Montauban
30 juillet 1896

J’ai pris une part bien vive à votre deuil et non pas seulement à cause de vous et de Loti, et de la grande affection que je vous porte ; ma vénération pour votre grand’mère aurait suffi et aussi ma reconnaissance pour son si affectueux accueil.

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LA CHARENTE-MARITIME dans la correspondance d’EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

LA CHARENTE-MARITIME
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LES JOURNEES DE LA LIMOISE
LA ROCHE-COURBON
SAINT-PORCHAIRE
ROCHEFORT

 

A N.D.
Paris, mai 1895.

Chère amie,
C’est pourtant vrai que je suis en faute et ma honte s’aggrave de ma bonne santé qui ne me laisse aucune excuse. Mais cette vie de Paris est si secouante, si pressée ! Pas une heure de halte, de repos du matin au soir, et le soir où on rentre la tête vide, ahuri et las, hors, d’état de penser et d’écrire. Ah ! qu’il valait mieux le train paisible et bien ordonné des journées de la Limoise, les longues causeries encadrées de ce décor suggestif de l’autrefois et les promenades dans le beau pays lumineux et calme comme une mer silencieuse où les bois de chênes verts flottent pareils à des îles habitées par le mystère.
Tout de ces trop brèves journées m’a laissé une impression ineffaçable. Et La Roche-Courbon et Saint-Porchaire et mes joies à conquérir la nouveauté des paysages et le silence du retour, ce soir-là, sous les étoiles si éclatantes, vous en souvenez-vous ? Voilà les bonheurs pour lesquels je suis fait, ma chère amie, les seuls que je puisse goûter encore. Et je vous suis bien reconnaissant de me les avoir donnés. Pourquoi si courts ? Hélas ! ceci décolore cela, c’est-à-dire la vie, après, qui vous paraît inutile et plate et ne vous laisse que la ressource languissante un peu du souvenir et du rêve.
Encore si nous pouvions reprendre nos promenades à Capdeville, inaugurer ensemble de nouveaux paysages. Je ne peux pas renoncer à l’espérer. Je vous en reparlerai peut-être dans une quinzaine de jours, si je reviens par Rochefort. Il m’en coûte tant de vous dire un long et lointain au revoir !

UN ARRÊT A ROCHEFORT

CORRESPONDANCE
Capdeville
7 octobre 1898
à N.D.

Je vais essayer de me consoler dans le travail. Je suis horriblement en retard et trop mal en train pour me rattraper d’ici à longtemps. Cependant, il faudra bien, je pense, me décider à revoir Paris. Et ces voyages me sont devenus une corvée. Mais pas le prochain cependant. Car, cette fois, je m’arrangerai pour m’arrêter à Rochefort. Quand ? Je ne sais pas encore et cela tient à assez de choses qui ne sont pas toutes en mon pouvoir. Mais ce sera bientôt. Je vous dis un bien cordial au revoir. Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès des vôtres.

« AU JARDIN DE MARENNES AUX TRAITS AUTOMNALS »

 CORRESPONDANCE
Montauban, 1905.
à N.D.

Au revoir, ma bien chère amie, je vous écris à Montauban où j’ai pris mes quartiers d’hiver. Il fait triste en moi ou autour de moi. Des rayons jaunes effleurent les gazons humides ; un rouge-gorge chante ; chanson brisée à travers les feuillages meurtris. Et je pense au jardin de Marennes aux traits automnals, aux rainettes que nous regardions palpiter sur les feuilles. Je vous serre les mains affectueusement.

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LE TARN-ET-GARONNE par EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

LE TARN-ET-GARONNE
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LE PRINTEMPS
Nos plaines habitées par la brume

Le saule est mon ami

CORRESPONDANCE
DE 1891 à N.D.

Et moi je n’ose plus vous parler de nos ciels brouillés, de nos plaines vides habitées par la brume. Et cependant ces choses grises me parlent ; elles sont pleines de l’attente de ce qui va être, de la promesse sacrée du printemps. Et même c’est déjà bien tel quel, ce que je vois tous les jours. Il y a des aubes d’une tendresse exquise et des crépuscules fleuris de verts et de roses plus délicats que les plus belles fleurs du printemps. Et du bord de la prairie que je visite tous les matins, le long de la Garonne, il y a un saule pleureur qui frissonne déjà, prêt à sortir ses feuilles, ses longs chapelets de verdure tendre. Ce saule est mon ami ; il est mon inquiétude quand il gèle et ma joie quand la douceur de l’autan passe sur le visage des choses…
C’est peut-être un peu enfantin, tout cela ; tant pis ! Je serai toujours dans la vie celui qui s’intéresse à un saule.

L’AUTOMNE A CAPDEVILLE
Les mélancolies attendrissantes de l’automne
Son dépouillement et son silence
Faire une toilette à son âme

CORRESPONDANCE
DE 1894 à N.D.
A CAPDEVILLE

Chère amie,
Voici les M… installés depuis hier. Ils seront sans doute partis le 4 octobre. Et vous viendrez ! Quelle joie de vous avoir, de vous garder un peu, d’entendre trotter dans la maison et dans le jardin les pas menus des Tototes. Comme on va causer, comme on va se promener à travers les mélancolies attendrissantes de l’automne. Elles m’attendrissent cette année un peu plus que d’habitude et j’ai bien joui autrefois de cette concordance momentanée ; mais elle me pénètre davantage à mesure que je la sens presque définitive. Car c’est bien l’automne pour moi et son dépouillement et son silence où des plaintes vibrent. Et tantôt j’y cède, et tantôt je résiste. Vous me verrez en ce tourment que je vous raconterai peut-être plus en détail, si vous avez assez d’amitié pour moi pour l’écouter. La gravité de cet état, c’est qu’il m’empêche tout à fait de travailler et quand je ne travaille pas, je ne vaux pas grand’chose. Enfin je tâcherai de faire une toilette à mon âme avant que vous veniez, afin qu’elle ne vous désagrée pas trop. J’attends vos œillets. J’ai gardé d’Argelès une poignée de gentianes qui ne veulent pas mourir. Leur bleu un peu dur serait curieux à marier avec le rose pâle des œillets d’Hendaye.

« NOS PROMENADES A CAPDEVILLE »

CORRESPONDANCE
Paris 1895 à N.D.

Hélas ! ceci décolore cela, c’est-à-dire la vie, après, qui vous paraît inutile et plate et ne vous laisse que la ressource languissante un peu du souvenir et du rêve.
Encore si nous pouvions reprendre nos promenades à Capdeville, inaugurer ensemble de nouveaux paysages. Je ne peux pas renoncer à l’espérer.

CAPDEVILLE
« Une grisaille irrémédiable et définitive »
« La ronde des saisons tourne devant moi, mais je n’entre plus dans la danse« 

CORRESPONDANCE
Capdeville
30 juillet 1896
à N.D.

Que nos existences sont différentes ! Pendant que vous cueillez au fil de l’heure les images rares et les sensations exquises, je m’enlise ici dans une grisaille irrémédiable et définitive. Sauf de très brèves minutes où je revois les heures anciennes, la vie ne me dit plus rien. Mon pouvoir d’évoquer s’anémie, s’abolit de jour en jour ; il me semble que ce n’est plus pour moi, les spectacles si passionnants jadis de la nature. La ronde des saisons tourne devant moi, mais je n’entre plus dans la danse. C’est fort triste à éprouver, tout cela, et un peu ridicule à exprimer aussi. Le monsieur qui baisse, le vieux monsieur plaintif est une chose connue et qui prête moins à la sympathie qu’à la caricature. Commenter Salomon est de l’inutile rhétorique. Et voilà qu’après m’être décidé à vous écrire, je commence à regretter mon silence.

CAPDEVILLE
« Des journées obscures »
« Une seule bonne journée en trois mois »>
«  le Pays merveilleux, la Patrie du rêve« 

CORRESPONDANCE
Capdeville
9 octobre 1896
à N.D.

Votre lettre m’a trouvé, comme vous le supposez, à Capdeville où nous avons passé nos vacances, je ne dis pas l’été, parce qu’il n’y a vraiment pas eu d’été ; pas de chaleur du tout et à peine de soleil, hélas ! des journées obscures, des veilles ou des lendemains d’orage, des chansons de gouttières dans la maison, et dehors, des coulées de rivière jaune entre des verdures acides. Une seule bonne journée en trois mois ; une journée de chasse dans le causse avec la belle lumière fine sur la fierté des rochers. Vous rappelez-vous ces branches d’érable, ces bouquets de pierreries automnales que nous rapportions, et notre fuite dans la vallée crépusculaire, dans ce sentier de pierres au long de la rivière pleine d’étoiles ? C’est toujours pour moi le Pays merveilleux, la Patrie du rêve, encore plus depuis que votre image toute neuve s’y est mêlée aux images anciennes. Mais ce ne sera plus le souvenir l’an prochain, ce sera la présence réelle. Quelle fête de revoir avec vous ces pays adorés ! Ce me serait, à défaut d’autres, une raison suffisante de vivre jusque-là où ce sera la vraie vie…

CAPDEVILLE
« un Capdeville défleuri, dépouillé, vendangé, maussade de m’y avoir trop attendu.« 
« Trop tard…C’est l’hiver ! »
«  les apprêts de l’automne français »

CORRESPONDANCE
Capdeville
7 octobre 1898
à N.D.

Capdeville, 7 octobre 1898. Chère amie,
Me voici enfin à Capdeville, mais un Capdeville défleuri, dépouillé, vendangé, maussade de m’y avoir trop attendu. J’y suis d’ailleurs un hôte sans joie. Ces vacances manquées m’ont désorienté tout à fait. J’espérais ramasser encore en cherchant bien au bord de l’eau, dans les bois, quelques miettes des félicités estivales. Trop tard. Une pincée de froid, une matinée de gel blanc a tout emporté. C’est l’hiver ! Dans le ciel d’un bleu méchant s’affolent les hirondelles affamées. J’en ai ramassé une tout à l’heure sur le rebord de ma croisée ; elle s’était cognée à la vitre en poursuivant quelque insecte. Je l’ai ressuscitée, je l’ai relancée vers une mort plus cruelle.
Que n’êtes-vous avec moi, chère amie ? Le costume de vos servantes annamites nous donnerait une illusion de chaleur, ou bien votre horreur de l’Annam m’aiderait à goûter les apprêts de l’automne français. Et, puisque vous seriez là et qu’on causerait ensemble, ce serait toujours la saison la meilleure.

« LA DOUCEUR DE MA VIE MONTALBANAISE »

CORRESPONDANCE
Paris, 3 janvier 1899.
à N.D.

Oh ! ces après-midi, cinq, six heures d’affilée dans la pénombre de théâtre à respirer la poussière et les courans d’air. J’en meurs, j’en suis malade tout au moins, et si malade que je renonce à lutter. Ce soir, demain matin, au plus tard, je rentre à Montauban. Voilà toute une semaine passée derrière mes carreaux, en tête à tête avec la grippe. Je renonce à lutter, et veux retourner vers la douceur de ma vie montalbanaise.

« MA MERE, SEULE A CAPDEVILLE »
CORRESPONDANCE
Capdeville, 14 septembre 1900.
à N.D.

Très beau, trop beau, l’éventail, ma chère amie. J’espère que vous assisterez à son début dans le monde, le soir ou la veille de la noce ; le cérémonial n’est pas encore réglé, ni la date, mais ce sera dans la première dizaine de novembre. Il manquerait quelque chose et même beaucoup à mon bonheur si vous n’étiez pas là, vous et G… Nous n’aurons pas cette fois l’intimité patriarcale de Saintrailles ni l’ampleur des horizons pyrénéens. Mais Sainte-Cécile d’Albi n’est pas un décor médiocre et vos toilettes seront belles à voir sous la splendeur des voûtes polychromées. Hélas ! il y aura bien de la tristesse mêlée pour moi à cette belle journée. Je penserai à ma mère, seule à Capdeville, errant comme une ombre dans la maison, tâtonnant des mains aux murailles, ou appuyée sur son bâton, car elle en est là, la pauvre mère. L’autre dimanche, j’ai eu une terrible alerte ; sa parole était embarrassée, elle n’y voyait plus ; j’ai cru à une attaque. Les médecins m’ont rassuré ; nous l’avons tirée de là, encore plus faible, il est vrai, plus chancelante. La crise est passée, mais demain. J’en ai toujours peur de ce demain. La nuit, au moindre bruit, je sursaute, je crois qu’on vient me chercher, que c’est la fin. Ah ! quelles vacances ! Je ne suis pas sorti de Capdeville depuis deux mois, pas même pour une journée à Montauban. Je m’extermine de travail pour oublier un peu. J’ai entrepris et achevé tout un drame rustique en quatre actes qui a chance d’être joué l’hiver prochain au Gymnase. Je vais me remettre à mon roman roussillonnais. Mais je me demande, non sans inquiétude, ce que peut valoir un travail fait dans de pareilles conditions. Je n’ose pas vous promettre d’aller vous voir à Périgueux. J’aurais pourtant besoin de quelques heures de distraction et de bonne amitié. Si je sors, ce sera pour aller chez vous. Pourrai-je sortir ? Je dépends de la maladie et des médecins. S’il y a un arrêt dans l’état de ma mère, si les médecins me garantissent un peu de sécurité pour quelques jours, je partirai. Pour le moment, je ne peux rien décider, ni rien prévoir. Vous me plaignez, n’est-ce pas ? en attendant de me plaindre davantage. Rien que des mois, peut-être des semaines me séparent d’une heure terrible à laquelle je ne peux pas penser sans frémir. Quand je pense à l’ébranlement nerveux que j’ai eu après la mort de mon père ! Et cette fois ce sera pire ! Où prendrai-je la force et la résignation nécessaires ? Pardonnez-moi cet accès d’égoïsme et croyez-moi votre toujours dévoué.

« RENTRER DE PARIS DIRECTEMENT A MONTAUBAN »
CORRESPONDANCE
Montauban, 1902.
à N.D.

Ma chère amie,
Savez-vous ce que c’est que des troubles de la circulation ? Je l’ignorais, moi qui vous parle, il y a encore une dizaine de jours. Maintenant me voilà instruit. Des troubles de la circulation, c’est une maladie qui vous oblige à rentrer directement de Paris à Montauban sans s’arrêter à Périgueux. J’ai beaucoup souffert de ce malaise — sans rire. J’ai déjeuné du reste chez L… quatre jours après ma première alerte et la veille de la seconde, c’est-à-dire en pleine horreur de moi-même, en pleine angoisse.

« DES IMAGES AUSSI PLAISANTES »

CORRESPONDANCE
Jacob-Bellecombette.
Dimanche
(automne 1903).
à N.D.

Mais la nature est belle partout et elle pourra nous offrir en Périgord ou en Quercy des images aussi plaisantes.

« A MONTAUBAN OU J’AI PRIS MES QUARTIERS D’HIVER. »

CORRESPONDANCE
Montauban, 1905
à N.D.

Au revoir, ma bien chère amie, je vous écris à Montauban où j’ai pris mes quartiers d’hiver. Il fait triste en moi ou autour de moi. Des rayons jaunes effleurent les gazons humides ; un rouge-gorge chante ; chanson brisée à travers les feuillages meurtris. Et je pense au jardin de Marennes aux traits automnals, aux rainettes que nous regardions palpiter sur les feuilles. Je vous serre les mains affectueusement.

« JE N’AI PAS VU ENCORE UN AMANDIER EN FLEURS. LE 10 MARS ! C’EST DESOLANT ! »

CORRESPONDANCE
Montauban, 10 mars 1905
à N.D.

L’hiver finit mal décidément, et il a tant de mal à finir. Hier je le croyais défunt et il a ressuscité ce matin, plus traître et plus grognon que jamais. Croiriez-vous que je n’ai pas encore vu un amandier en fleurs. Le 10 mars ! C’est désolant ! Et s’il n’y avait que les amandiers à souffrir de ce froid persistant ! Mais il y a les bronches de ma femme et les miennes qui en pâtissent. J’ai été tout ce mois dernier et encore au commencement de celui-ci malade ou garde-malade, et quelquefois les deux ensemble, et ce n’est pas drôle ! J’espère ressusciter avec les violettes. Mais elles ne se pressent guère.

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GIBOULÉES – ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

GIBOULÉES 

Paru dans le magazine
LISEZ-MOI
N°15- 10 avril 1906

 

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Isaac Levitan , Исаак Ильич Левитан , Nénuphars, 1895

Pluie et soleil. Des nuages courent, légers, d’une blancheur de ouate ; ils s’épaississent peu à peu, se gonflent, alentis, lourds de chaleur. Puis, ils crèvent.

Une averse pour rire, un coup d’arrosoir à fines gouttelettes sur les feuilles, sur les fleurs nouvellement nées. Trois gouttes, et c’est fini ; aussi prompte que l’éclaboussure de l’hirondelle ricochant de l’aile au fil de l’eau, l’averse a disparu.

La pluie s’en est allée, les diamants restent.

Dans l’allée de la vigne, sous les voûtes des pêchers et des pruniers en fleurs, c’est, semé en l’air, jeté au fin bout des branches, tout le joli scintillement des rivières adamantines, la flambée des grenats et des rubis tressés en guirlandes sur la robe blanche du printemps.

Les joailleries s’éteignent brusquement. Sur le rire étincelant du soleil, c’est, de nouveau, le rideau tiré d’un nuage. L’air franchit, le vent souffle. Autre giboulée. De la neige, cette fois. Oh ! pas bien méchante ! des flocons espacés qui, dans la bouffée de la bise, se mêlent aux pétales tombés des amandiers en fleurs.

Et, déjà, la neige ne coule plus. C’est, maintenant, une pincée de grésil, une averse blanche qui tambourine à roulements légers ; telle une musique pour un ballet de fées.

Tout est blanc une minute. Comme une jonchée de perles dans le jardin des légendes, le givre se tasse aux plis de l’herbe, aux creux des sillons.

Une minute. Et le décor a changé. C’est le soleil, c’est la chaleur, un bien-être où les plantes se dilatent, où les papillons éclosent. Neigeux comme la fleur des pruniers, soufrés comme la fleur du saule, les papillons festonnent, hésitent en l’air, naïfs et frileux, étonnés de vivre…

Les papillons festonnent ; les lézards, en des fuites brusques ; une couleuvre glisse dans l’herbe sèche, le long d’un talus ; des ébats de grenouilles troublent l’eau épaisse, irisée qui tiédit au bord de la source.

La chaleur monte.

Une odeur fade de pourriture végétale se lève des fossés vaseux, des ruisseaux obstrués de feuilles et de branches.

La chaleur monte ; l’orage menace ; le ciel encore une fois s’obscurcit. C’est, d’abord, une buée grise, laiteuse, comme de la sève en suspension ; puis, la tache s’épaissit, tourne au noir bleuté, livide, les fleurs paraissent encore plus blanches.

Près de moi, à l’entrée d’un champ de blé, un prunier s’étale, vêtu de blanc jusqu’au bout des branches. Fragile et paisible en ses habits de triomphe, il sourit sous la menace.

Le vent se lève. Brutal, il couche devant lui les jeunes blés, balance l’éventail fleuri des ormeaux. Il approche, et, tout à coup, arrachées ensemble, les fleurs trop mûres du prunier s’envolent, effrayées, s’éparpillent à terre.

L’arbre est tout noir, maintenant.

Et une tristesse me vient à penser que c’est fini, que la plus jeune saison de l’année, la plus charmante, est déjà close.

Oh ! cette mort du printemps blanc !

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L’ŒUVRE DE ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

EMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

L’ŒUVRE DE ÉMILE POUVILLON

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LES ANÉMONES SONT MORTES

Paru dans 
LISEZ-MOI
N°89- 10 mai 1909

Oh ! le premier frisson du jour ! le sourire étonné, lointain, de l’aube qui va naître ! Oh ! le regard mince, à demi engrainé, de la vie qui s’éveille !

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Anémones-1024x515.jpg.
John William Waterhouse, Le Réveil d’Adonis, The Awakening of Adonis, 1900

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FRAGILITÉ

Paru dans
LISEZ-MOI

N°67
10 JUIN 1908

C’est à Cauterets, pendant la saison, la saison parfumée, la saison brève, quand les amoureux se hâtent d’aimer, quand les fleurs se hâtent de fleurir.

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DÉSIR DE SOLEIL

Paru dans 
LISEZ-MOI
N°39- 10 avril 1907

Frileuse, à l’orée du bois, sous la cépée mouillée de brume, la violette s’éveille au premier souffle du matin, frileuse, frissonnante.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Désir-de-Soleil.jpg.

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TOMBÉE DE NUIT

Paru dans 
LISEZ-MOI
N°46 – 25 juillet 1907

La nuit tombe. L’autan, qui souffle depuis le matin, a charrié des nuages ; ils couvrent, maintenant, tout le ciel. Le vent s’est calmé. La soirée se fait lourde avec des odeurs errantes, des odeurs chaudes d’herbe mûre et de chèvre-feuille en fleurs…

La Faneuse de Julien Dupré, vers 1880
&
Buste de Pouvillon par Bourdelle
Musée Ingres-Bourdelle de Montauban

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GIBOULÉES

Paru dans 
LISEZ-MOI
N°15- 10 avril 1906

Pluie et soleil. Des nuages courent, légers, d’une blancheur de ouate ; ils s’épaississent peu à peu, se gonflent, alentis, lourds de chaleur. Puis, ils crèvent.

Isaac Levitan , Исаак Ильич Левитан , Nénuphars, 1895

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HANNETON, VOLE…

Paru dans 
LISEZ-MOI
N°90 – 25 Mai 1909

Aimables, comme tous les étourdis, prompts à s’instruire, faciles à dissimuler dans les pupitres, les hannetons, jadis, m’ont donné bien des joies. Deux d’abord, que j’attelais ensemble à une voiture en papier ; un autre après, mort trop jeune, qui exécutait de magnifiques dessins à l’encre, du bout de la patte, mais très bien !

Edmund Reitter, Cycle de vie d’un hanneton, Melolonthinae, table75, 1908

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LES CORRESPONDANCES D’ÉMILE POUVILLON

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L’AMITIÉ SACRÉE D’ÉMILE POUVILLON

Par N. D.
Revue des Deux Mondes
Tome 58
1910

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Autrefois Loti avait l’aimable habitude de nous amener tous ses amis et c’est ainsi que nous avons connu Emile Pouvillon. Il vint pour la première fois chez mes parents à Marennes en juin 18….

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L’ECRITURE et LA CREATION
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LE TARN-ET-GARONNE
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LA CHARENTE-MARITIME
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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PIERRE LOTI 
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

 

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LES ANÉMONES SONT MORTES – ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

EMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

LES ANÉMONES SONT MORTES

Paru dans le le magazine
LISEZ-MOI
N°89- 10 mai 1909

 

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John William Waterhouse, Le Réveil d’Adonis, The Awakening of Adonis, 1900

Oh ! le premier frisson du jour ! le sourire étonné, lointain, de l’aube qui va naître ! Oh ! le regard mince, à demi engrainé, de la vie qui s’éveille !

La terre dort ; engourdi dans la froide jonchée des feuilles mortes, le bois se tient là, tout raide avec ses cépées nues, comme ensorcelé par l’hiver. Arbres sans feuilles, rossignols sans voix ; la terre dort.

Pas d’autre commencement de vie d’une traînée de blanches anémones écloses d’hier au bord du bois et quelques touffes de verdure tendre, çà et là, dans le pré, comme si le jeune printemps – si jeune ! – avait, en jouant, posé, çà et là son pied sur l’herbe engourdie…

Ce n’est pas le jeune printemps, c’est une pastoure, un bouvier, qui viennent de folâtrer çà et là sur l’herbe.

Très calme, un peu lasse, elle s’appuie d’une épaule au fût mince d’un peuplier blanc, et, ainsi inclinée, la joue fraîche appliquée à la froideur de l’écorce, elle est comme un jeune arbre en croissance, avec sa joue duveteuse pareille au chaton blanc qui débourre, avec la grâce un peu raide de son corps allongé…

Si calme, si pure ! Ce qui lui monte de tendresse au cœur est aussi lent à venir, aussi frais, aussi inconscient que la sève en travail qui glisse sous l’écorce.

Lui, le bouvier, est debout devant elle, et, en manière d’offrande, il lui envoie au visage une poignée d’anémones cueillies au bord du bois. Oh ! le regard limpide qui rit à travers la retombée des fleurs blanches !

Pourquoi si vite en allée, hélas ! l’heure ingénue du premier printemps ? pourquoi si tôt passée, la blancheur des anémones ?

La pastoure et le bouvier sont maintenant au profond du bois, sous les feuilles. Elle est là dans l’ombre, la pastoure, languide et meurtrie comme une herbe trop mûre ; lui debout, le front levé, le regard luisant.

A brassées, dans le bois, il a cueilli pour la fleurir les genêts et chèvrefeuilles, et lentement, amoureusement, il les effeuille sur la robe, sur les épaules, sur le visage de son amie. Et la robe étincelle, toute rose et tout or, et la bouche sourit ; oh ! le sourire meurtri, oh ! le regard languide à travers la pluie dorée des genêts, la pluie rose des chèvrefeuilles !

Et, pendant qu’elle sourit, toute peinte et embaumée de fleurs, la pastoure, un regret lui vient, hélas ! un regret tardif ; elle pense aux anémones qui fleurissaient au bord des bois, aux blanches, aux virginales anémones.

Elle se penche, elle cherche autour d’elle, dans l’herbe ; et, pendant que ses mains cueillent, pour les laisser retomber aussitôt, les tiges mourantes, les pétales du fond du ravin, de l’ombre fraîche irrespirée, qui rempli les cépées humides, voici venir comme des soupirs modulés, des soupirs si frêles, si tendres !

On dirait des voix mystérieuses, des voix de cristal, qui, là-bas, dans l’ombre fraîche, irrespirée, conduisent un deuil, un deuil blanc…

Les voix disent :

« Les anémones sont mortes ! »

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DÉSIR DE SOLEIL – ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

EMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

DÉSIR DE SOLEIL

Paru dans le le magazine
LISEZ-MOI
N°39- 10 avril 1907

 

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Frileuse, à l’orée du bois, sous la cépée mouillée de brume, la violette s’éveille au premier souffle du matin, frileuse, frissonnante.

La rosée pleure aux branches sans feuilles ; des vapeurs d’un lilas tendre flottent à la pointe de l’herbe ; la violette frissonne… Oh ! ce souffle glacé d’avril ! ce matin si pâle qui tremble, noyé dans les rosées blanches !

La violette frissonne ; elle ose à peine déplier ses pétales :

« Soleil, oh ! viens ! soupire-t-elle ; viens ! chéri, bien-aimé soleil ! »

Il vient le soleil printanier, il monte, il éclate, il jette à poignées ses flèches d’or sur la violette, et sur le bois et sur la prairie ; et le bois se met à reverdir, et la prairie s’émaille de fleurs, et la violette, pâmée, boit à plein calice la pluie, l’ardente pluie d’or.

La lumière croît, la lumière flambe. Déjà, à l’orée du bois, les fleurs, les douces fleurs de l’ombre se penche fatiguées.

Comme un troupeau de vierges cloîtrées qu’a surprises l’interruption du jour, les stellaires inclinent leur tête pudique et, timide amoureuse, la pervenche, trop tendre, cache dans l’herbe le regard de ses yeux bleus.

Et la violette aussi se penche accablée ; sa tige fléchit, ses couleurs se fanent. Oh ! l’heureuse morte d’amour ! Il ne reste d’elle que le parfum, une âme odorante qui monte vers le soleil !

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