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CATULLE XXIX CATULLUS – IN CAESAREM – CONTRE CESAR

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CATULLE CATULLUS XXIX

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXIX

 IN CAESAREM

CONTRE CESAR

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Quis hoc potest videre, quis potest pati,
Quel homme peut voir et peut accepter
Nisi impudicus et vorax et aleo,
Sinon un impudique, un vorace et un voleur,
Mamurram habere quod Comata Gallia
Qu’un Mamurra gobe les richesses de la pubescente Gaule Transalpine,
 Habebat uncti et ultima Britannia?
Jusqu’aux terres ultimes de la nordique Bretagne ?
   Cinaede Romule haec videbis et feres?
Complaisant César, nouveau Romulus, pourras-tu le voir et le supporter ?
Et ille nunc superbus et superfluens
Et jusques à quand, superbe et superflus,
 Perambulabit omnium cubilia,
Ton favori se glissera t-il de lit en lit
  Ut albulus columbus aut Adoneus?
Comme une blanche colombe ou un Adonis ?
Cinaede Romule, haec videbis et feres?
Complaisant César, nouveau Romulus, pourras-tu voir ça et le supporter ?







Es impudicus et vorax et aleo.
Tu es un impudique, un vorace et un voleur.
Eone nomine, imperator unice,
Général unique, inégalé,
 Fuisti in ultima Occidentis insula,
N’as-tu donc soumis l’île la plus éloignée vers l’Occident,
Ut ista vestra diffututa Mentula
Que pour voir ce Membre Viril
  Ducenties comesset aut trecenties?
Dissiper tant de millions de sesterces ?
Quid est alid sinistra liberalitas?
D’où vient cette si sinistre générosité ?
  Parum expatravit an parum elluatus est?
Comment tant gaspiller pour si peu de chose ?


Paterna prima lancinata sunt bona,
Primo, il a dilapidé ses biens ;
 Secunda praeda Pontica, inde tertia
Secundo, le butin du Pont Euxin [Mer Noire], tertio
Hibera, quam scit amnis aurifer Tagus:
Celui de l’Ibérie, où coule l’or du Tage ;
Nunc Galliae timetur et Britanniae.
Maintenant il est à craindre pour ceux de la Gaule et de la Bretagne.
Quid hunc malum fovetis? aut quid hic potest
Pourquoi protéger un tel fléau ? Que peut-il faire
Nisi uncta devorare patrimonia?
Sinon dévorer d’autres patrimoines ?
Eone nomine urbis opulentissime
Était-ce, puissant maître de Rome,
 Socer generque, perdidistis omnia?
Digne du beau-père, pour tout perdre ainsi ?




IN CAESAREM
CONTRE CESAR

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXIX

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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AUGUSTE QUERCY par GABRIEL LAFORGUE, le dernier des aèdes

 LITTERATURE OCCITANE
CAMROSOS
Carsinolos

AUGUSTE QUERCY,
Le dernier des aèdes
(1853 à Lafrançaise-1899 à Montauban)

Préface de Gabriel LAFORGUE
édition Mount-Alba Paul Massoun
Librari Editour  MCMXI

Auguste Quercy par Gabriel Laforgue Préface Camrosos Carsinolos 1911 Artgitato

Je l’ai beaucoup connu, je l’ai beaucoup aimé. – On ne pouvait le connaître sans l’aimer. – Je voudrais simplement, sobrement, – pieusement auprès de la piété des siens, -essayer de retracer et pour un instant de faire revivre, les traits essentiels et vrais de cette attachante physionomie.

IL SAVAIT SAISIR CE QUI DEMEURE

Il était, plus qu’aucun de nous peut-être, fils de cette terre qui est la nôtre. – Il aimait d’un grand, d’un pur et noble amour, d’un amour digne d’elle. – Tous son passé, efforts, joies, tristesses, grandeur, humiliation d’un jour que le lendemain éclaire et efface, larmes et sourires, tout cela vibrait, se ranimait en lui, et sous la fuite des temps et des jours, dans le grand mirage des êtres et des choses, il savait saisir ce qui demeure.

LE FILS DE CES CADURQUES

Pouvillon était Grec. – Quercy était Latin. – Sous l’ombre du grand chêne ou le parfum d’une fleur, devant la nuit qui vient ou l’aube qui grandit l’horizon, vous  retrouverez dans les meilleurs de ses vers un peu de la grâce et de l’émotion de Virgile. – Et cela était bien à lui, puisé aux sources sûres, aux plus intimes profondeurs de la race. A ses heures d’énergie, quand son masque maigre, beau d’une beauté, d’une fierté de médaille antique, que nous a si fidèlement, si noblement le génie évocateur et créateur de Bourdelle, se dressait au-dessus d’une assemblée de notre peuple qu’il prenait, secouait, grisait bientôt de gaîté et de passion, il y avait en lui mieux que le Latin. Il était bien le fils, au travers des âges, de ces Cadurques qui seuls espéraient, luttaient dans l’agonie de la Gaule expirante et à qui César devait trancher la main pour arracher le tronçon du glaive.

LES MOTS VIEILLIS DE LA LANGUE ‘MAIRALO’

Ceux qui l’ont entendu savent que je dis vrai ; qu’il n’y a ici point d’exagération, qui serait une insulte pour sa mémoire. La voix, le geste, la mobilité, la sincérité de l’action donnaient à l’œuvre une intensité de vie que la phrase figée ne saurait rendre. – Son talent était à la hauteur de l’homme, et ses vers méritent de ne point disparaître à jamais. Poète, il prit pour tâche de cueillir un à un, au travers des combes, des mas, des rives grasses de la Garonne, aux hauteurs pittoresques et sèches de l’Aveyron, dans les veillées des bordes ou les disputes du foirail, les mots vieillis de notre vieille langue « mairalo ». – Il n’était jamais si heureux que quand il avait glané un épi pour augmenter sa moisson ; jour à jour, la gerbe se faisait délicate, savoureuse.

L’INTIMITE DE QUERCY

Jasmin fut, lui aussi, un délicieux et merveilleux conteur. Il sut dire les divines paroles ailées qui dominent les fronts et ravissent le cœur des foules. Il sut plaire aux délicats et émouvant les humbles. Dans le silence qui suivit, avant la renaissance romane de notre époque qui a inspiré, dicté des pages qui auprès des siennes vivront, il parut mériter le nom du dernier des aèdes. – Si en pensant à Quercy on songe à Jasmin, ce n’est pas assurément pour tracer un parallèle qui n’est plus dans le goût de ce temps. – Nous comprenons mieux la vitalité propre à chaque individualité littéraire. Nous en comprenons la nécessité et que chaque note personnelle ajoute à la vérité du récit, du décor, à l’harmonie de l’ensemble. – En quittant Jasmin, on peut lire Quercy. Vous le devez, si vous êtes né de notre sol et de notre race. Jasmin, c’est la grande plaine qui ondule là-bas, plus nourricière, plus amollie, épanouissant ses richesses faciles tout au long des méandres capricieuses, attardés, des oseraies, des ramiers, du grand fleuve. – Quercy, c’est plus d’intimité ; c’est plus chez nous. Lafrançaise, où il naquit, voit devant elle , au pied de sa berge hautaine, l’immensité des moissons et des herbages. Mais en arrière, le sol monte et durcit. La sente vallonnée au travers des garrics côtoie souvent un champ plus restreint et plus âpre. L’effort de l’homme apparaît plus intense pour des résultats moins sûrs. – C’est vers cet effort qu’allait de préférence le regard attendri et l’affection du poète.

LES LUCIOLES ECLAIRAIENT LES MYSTERES DES NUITS

Il se plaisait à suivre au tournant des sillons, sous la motte brune, luisante du soc et de rosée, toute dentelée, perlée, vêtue des fils de la Vierge, la lancée rythmique du grain, le geste auguste qui nourrit l’homme. Quand la sève montait, verdissant le sol, diaprant les près, crevant corolles et bourgeons, sous le renouveau fécondant, il butinait le cœur en fête. Aux temps de lumière et de splendeur, alors que le dieu étincelant dorait terres et cultures, embaumait les foins, miellait les fruits, il écoutait avec ravissement tout ce qui se dit et chante dans un rayon. Grils et cigales contaient les véridiques légendes. – Les lucioles éclairaient les mystères des nuits.

LE MULTIPLE ET LE NECESSAIRE EFFORT

Le cycle clos, quand finissait l’acte annuel du grand drame millénaire, le poète songeait aux acteurs, hommes et bêtes, celui qui tient l’araire, et ceux-là qui la traînent. – Il les aimait également ; même s’il n’est point très sûr que sa sympathie plus vive n’allât pas aux plus modestes, à ceux qui peinent sans se plaindre et qui n’en souffrent pas moins. – L’homme qui ahane à la tâche coutumière, obligée, sous un ciel dévorant ; – Le bœuf dont le flanc s’agite et palpite à déchirer plus avant la glèbe durcie ; – l’âne, peu nourri, mal logé, dédaigné à tort par qui ne sauraient atteindre à sa philosophie ; – le poète entendait et voyait ce que, malheureusement, pour le bien de tous, si peu savent voir et entendre, tout ce qu’il y a de misère, d’utilité éparses dans le multiple et le nécessaire effort.

LE RIRE DE QUERCY

Avec Cladel, il scrutait, démêlait les secrets de l’âme rurale. Petites âmes, très simples, sous des apparences futées. L’intérêt domine et conduit ; – l’économie jusqu’à la privation accroît le  champ, permet la résistance, souvent incite à un brin de jalousie pour le mieux-être d’à côté ; – l’égalité, que César déjà notait comme la passion la plus répandue, la plus chérie et absorbante, l’égalité est comprise non comme un abandon nécessaire de certains avantages à soi, mais comme accès éventuel et possible aux avantages proches ; elle doit – cela est très humain- moins donner que prendre – Le rire de Quercy éclatait, son vers railleur cinglait, mais bientôt, vers la fin, ce rire se mouillait à contempler le labeur immense, varié, incessant, qui courbe et relève. – Comment en vouloir justement à l’étroitesse de vie et de pensée ainsi encloses dans l’effort quotidien, les limites de l’héritage ancestral ? – Cet égoïsme, en somme, n’est-il point producteur, tutélaire ? Et quelle grandeur, quelle beauté dans la lutte toujours inachevée ! – Auprès de Marre, Quercy se passionnait à en rechercher et à en fixer la noblesse d’attitudes, les nuances délicates, les plus fuyants aspects. – Dans la mélancolie d’un soir d’automne, la fuite des feuilles éperdues, sous le Castel démantelé où Adelaïde de Penne éprouvait la langueur des chants du troubadour Jourdan, une chaumine enfumée, branlante, où deux pauvres vieux sommeillent auprès d’un maigre feu, dit l’abandon du « soir de la vie », la stérile et infinie tristesse du courage vaincu, de la force épuisée.

L’ESPRIT QUERCINOL

N’est-ce point là un vrai poète celui qui, ainsi, mot à mot, fait sa langue des vocables dédaignés ou perdus ; varie son rythme ; dégage des mœurs périssables les curieuses légendes ; s’intéresse à tout ce qui a été de la vie et reste de l’Histoire, à tout ce qui a consacré l’empreinte plus ou moins effacée des hommes de notre race, des choses de notre sol, redonnant à cette cendre éteinte chaleur, couleur et comme un frisson d’actualité. –Auguste Quercy avait puisé dans l’intelligente recherche du passé, dans l’observation aiguisée des traditions, des coutumes, la connaissance plus complète de ce qui convient plus spécialement aux aspirations du pays qui est le nôtre. – En reconstituant la langue, il avait mieux aperçu l’esprit quercinol, ce qui reste immuable, vivace, sous les générations tour à tour descendues vers la nuit. – Son art fut vérité. – Il avait compris que s’il y  a sans doute la façon de sentir, de traduire, qui forcément évolue suivant les hommes, suivant les temps, au-dessus de tout art, de toute conception, de toute école, on pourrait élever la formule : seule la vérité est vie. – Et seuls, et dans la mesure de leur fidélité, ont vécu et vivront, les dévots de la Bonne Déesse. – Mais l’idole, l’image, toujours voilée et fugace. Ceux qui un instant ont pu l’étreindre et la saisir méritent par ce bienfait reconnaissance et respect. – C’est à ce culte que Quercy avait voué tout ce qu’il possédait de claire intelligence, de patient et consciencieux labeur ; c’est dans ce culte qu’il nous est cher, que nous vénérons sa mémoire. – Il sut émouvoir, colorer sa vie de ces visions, de ces souvenirs et de ces espérances dont le philosophe antique a dit « qu’il faut comme s’enchanter soi-même ». Et cela aussi, à ceux qui suivront reste en exemple

AU FOYER FAMILIAL ET AU FOYER DE LA CITE

Quand la mort le frôla de son aile froide, quand au matin il s’éteignit, alors qu’au soir il était plein de force et d’avenir, bien que cette fin soit celle, toujours au dire des anciens, « de ceux qui sont aimés des dieux », un chaînon se brisa dans la chaîne de nos affections les plus intimes. – Sa place resta vide au foyer familial et au foyer de la cité. – Il manquait !

DANS L’OMBRE ET LA CLARTE DE MISTRAL

L’œuvre reste ; elle a le charme des choses inachevées. – C’est un reliquaire où doucement repose ce qu’il y eut de meilleur, d’où émanent les pénétrantes effluves de l’idée généreuse, à la fois conservatrice et créatrice : les vivants ne sont sans doute que la survivance des morts. – Tout ce qui a été ; si tout se transforme, rien ne se perd ; le passé est en gestation d’avenir. – La page, à laquelle Quercy a eu l’honneur très grand d’ajouter quelques lignes, la page écrite dans l’ombre et la clarté de Mistral dominateur par ces bons ouvriers du verbe et de la pensée Mary Lafon, Fourès, Estieu, Perbosc, Castèla, dont l’oubli serait injuste, et les autres, ceux de chez nous, ceux d’à côté, de la Provence dorée à la Bretagne brumeuse, est une page d’histoire, de la grande Histoire de la vie, de la langue, des coutumes, des mœurs des peuples variés, mêlés mais non détruits en l’unité nationale….

JEAN-MARIE (André THEURIET) : LE NAUFRAGE DES ÂMES SOLITAIRES

André THEURIET
8 octobre 1833 – 23 avril 1907




 

JEAN-MARIE

Drame en un acte

LE NAUFRAGE
DES ÂMES SOLITAIRES

André Theuriet - Jean-Marie - Théâtre ArtgitatoLa pièce Jean-Marie représentée en 1872 au théâtre de l’Odéon fait partie des premières œuvres d’André Theuriet. Les années 70 ont été riches en évènements militaires, surtout 1870, « l’Année terrible » pour Hugo entre la guerre civile et la guerre avec la Prusse, et intimes, avec son mariage avec Hélène Narat. Nous ressentons, bien entendu, dans ce drame, le poète des premières œuvres publiées avant que celui-ci ne se lance dans son importante production romanesque jusqu’à sa mort en 1907.  Nous sentons aussi l’importance de Victor Hugo, que Theuriet appréciait, notamment les Travailleurs de la mer, le roman qui est sorti en 1866, six ans avant la sortie de Jean-Marie.



LA NUIT NOIRE DES GRANDES CATASTROPHES
L’enfant de Ker-laz n’est plus. Le Roi-Gralon l’a emporté. En partance vers les mers du Japon, le matelot et le navire ont sombré. Jean-Marie est l’absent. La plainte des mouettes qui embarque Thérèse dans son monologue n’est autre que la sienne. Longue et nocturne, à mi-voix. Comme pour ne pas déranger les vagues et les flots. La chanson qu’elle chante, dans sa ferme bretonne du Pays Glazik, située sur la côte du Finistère, parle d’un brick ayant sombré « avec ses grands mâts et ses voiles ». Nous sommes dans cette fin de terre où l’homme s’éventre sur des rochers dans la nuit noire des grandes catastrophes. Dans cette roche que la mer vient lécher comme appâtée, gourmande et affamée de chair jeune et tendre des marins.

AGIR EN HOMME BRAVE
La présente, Thérèse, est absente, aussi. Et elle chante, bien entendu, une chanson de marin. Une chanson qui raconte le malheur de sa vie. La perte de son bonheur a pour nom Jean-Marie. Résignée, elle s’est mariée à Joël, un brave homme du pays. Joël se considère lui-même ainsi, « comme le mois dernier, tu m’avais reproché de m’attarder avec les buveurs du marché, sitôt mes blés vendus j’ai rempli ma sacoche ; en dépit des écus qui tintaient dans ma poche, j’ai scellé la jument et j’ai tourné le dos à l’auberge où le cidre écumait à pleins pots… Voilà ce qui s’appelle agir en homme brave ! » A l’écoute des souhaits de sa belle. Il la couvre de cadeaux et d’attentions. Il ne trouve que le vide dans son regard, « toujours distraite et toujours l’œil perdu dans un rêve ou dans un nuage !…A quoi  peux-tu penser ? »




LA MER NE REND PLUS LES MARINS QU’ELLE A PRIS
Ce seront les uniques personnages de la pièce. Jean-Marie n’est plus, « car la mer ne rend plus les marins qu’elle a pris. » Il faut en faire son parti, il en est ainsi des femmes de marins. L’attente et parfois le drame qui délie les couples et qui lient ceux qui sur terre restent. Le Joël qui est là, n’existe pas. Il n’est qu’un paravent. Une ombre. Un ersatz de son marin tant aimé. Elle ne parle que lorsqu’il évoque, au détour d’une phrase,  l’image de « pauvre matelots maigres et demi-nus ! » Elle revit, enfin, « des matelots !… Ceux-là du moins, sont revenus ! » Joël recherche un peu d’attention qu’il n’aura jamais ; cette attention qu’auront toujours les infinis hurlants et démontés.

PLUS JE ME SENS COUPABLE, PLUS VOUS ME COMBLEZ
Thérèse sait qu’elle ne le mérite pas. Que, malgré tout ce qu’il réalise, ce qu’il offre, il n’aura jamais rien en retour, ni reconnaissance, ni amour, « c’est trop beau ! …Vous êtes bon, Joël, trop bon pour moi !Par tous vos bienfaits mes remords sont doublés ! Plus je me sens coupable et plus vous me comblez… » Elle est ce vide que rien ne pourra remplir. Le temps ne fait rien à l’affaire, « je me disais : le temps les séchera…Chimère ! Le deuil des autres cède au temps, mais ton chagrin pousse en dépit de tout, pareil au mauvais grain ! »

LE CIEL EST RESTE SOURD
Le silence n’est plus de mise. Elle doit parler, tout dire, quitte à écraser un peu plus Joël, à l’accabler, quitte à le terrasser, « j’ai sur le cœur un secret qui me pèse, et bien souvent déjà je me suis reproché, comme un péché mortel, de vous l’avoir caché… » Sans penser que de le dire serait peut-être un aveu mortel. Mais en voulant tout dire, elle ment. Les mots qui s’offrent à sa bouche ne sont pas ceux du cœur. « Tout est fini ! » lance-t-elle. Mais rien n’est fini. Puisque le souvenir est plus fort qu’au premier jour. « J’ai tout entrepris pour connaitre son sort…J’ai prié, j’ai fait faire enquête sur enquête ; le ciel est resté sourd et la terre muette…Jusqu’au bord du cercueil je l’aurais attendu, si je n’avais compris qu’il était bien perdu…Pour toujours ! » Mais même dans la tombe, elle espérerait encore. Et le définitif qu’elle crie si fort c’est pour s’en convaincre et pour conjurer le sort. Le vent de la mer semble porter la voix de Jean-Marie. La discussion avec Joël est terminée, « elle s’arrête…puis elle reprend comme si elle se parlait à elle-même» ; elle reprend le monologue du début, sans même s’apercevoir que Joël s’effondre en voyant à quel point cet amour est sacré et  vivace.



LA SEVE ET LE SOLEIL QU’ON LAISSE EN ARRIERE
Joël ne lui en veut pas, « je ne puis lutter avec ton souvenir ». Il pense qu’il n’est pas arrivé au bon moment et que son âge ne lui permettra plus de la conquérir, « Ah ! maudits cheveux blancs ! Si j’avais la jeunesse seulement ; si la sève et le soleil qu’on laisse en arrière, on pouvait les retrouver un jour ! J’essaierais de chasser ce fantôme d’amour et de prendre en ton cœur sa place encore tiède…Mais à l’âge que j’ai, le mal est sans remède ; je suis laid, je suis triste et vieux ! O mes vingt ans ! »

UNE EPOUSE BONNE ET FIDELE
Thérèse enfin ayant repris ses esprits, s’aperçoit du mal qu’elle a commis sur un homme aussi brave et généreux. Elle s’engage à ne plus le faire souffrir et veut lui apporter plus que de la loyauté : « Je vous ai fait longtemps souffrir de ma douleur offensante et cruelle, désormais je veux être une épouse fidèle et bonne… » Et même souhaite s’expatrier pour ne plus voir les lieux qui lui rappellent autant de souvenirs et de désirs refoulés.

J’ESSAIERAI DE SOURIRE ET DE CHANTER
Sort Joël. Et Thérèse continue à se rassurer, « je serai meilleure…Je veux chasser ce chagrin…je veux t’oublier…Joël est si bon…Ce serait pécher contre le ciel que lui donner ma main et lui fermer mon âme. Je veux être à l’avenir être vraiment sa femme…J’entourerai d’amis sa vieillesse sereine…J’essaierai de sourire et de chanter… » Un véritable programme politique qui n’est fondé que sur des promesses et des vœux pieux.

JE NE SAIS QUE DES AIRS TRISTES
La chanson du début, sa saudade, sa nostalgie, s’ouvrait sur des pensées tristes liées à la disparition. Elle-même le dit, « je ne sais que des airs tristes comme des glas… », et, effectivement, encore, sa chanson noire évoque une tragédie maritime, «  la sainte pris dans l’algue verte le capitaine à demi-mort et sur son aile large ouverte le conduisit droit jusqu’au port… » Mais ce n’est plus un mort qui se présente mais une ombre qui se parfait en homme de chair et d’os. Ce n’est plus la mer qui porte la voix, mais la voix qui se porte à ses oreilles est si connue qu’elle vacille comme chavirée par les embruns de sa présence.

LE MALHEUR EST TOMBE SUR NOUS
Bien entendu, Jean-Marie pense que Thérèse s’est tournée vers Joël par inconstance et frivolité, lasse de l’attendre « je ne me dirais pas que pour une parure ma Thérèse a vendu son âme avec son corps. » C’en est trop pour elle qui va tout raconter. Il ne partira pas ainsi, « Ah ! non pas sans m’entendre. Reste !…Si du passé la voix lointaine et tendre ne sois point sans pitié ! Tu ne sais pas combien avant d’en venir là, j’ai subi de tortures, ni comment j’ai souffert, ni de quelles blessures !…Le malheur est tombé sur nous… » Thérèse énumère tous les coups du sort qui l’ont conduite à accepter Joël comme époux. Ce Joël qui n’espère bien entendu pas l’amour de cette belle jeune fille éplorée : « donne-moi ton cœur pour l’amour d’elle (sa mère) »

TU NE ME VERRAIS PAS !
Thérèse se force à mentir. Jean-Marie est prêt à tout pour rester et vivre, sinon près d’elle, du moins dans les parages de sa cabane, « je vivrais dans un coin, à l’écart…Ignoré…Ma tendresse discrète se cacherait au fond de quelque maisonnette…Tu ne me verrais pas ! » Mais Joël reste fidèle…à son engagement, « je n’ai plus qu’un seul maître, et c’est Joël… » Jean-Marie insiste. Il pressent que c’est ici et maintenant ou jamais, « le temps presse et le jour fuit…Que sert d’attendre ? …Hâtons-nous… ».

LE SUPRÊME BAISER
Le remords la tuerait, ainsi que la honte. Elle préfère vivre sans amour et le cœur brisé. Le « trois-mâts hollandais part demain ? » La relation est terminée, sans un dernier baiser, « un suprême baiser » qui pourrait, comme le Ker-laz, la faire chavirer.

IL NE REVIENDRA PLUS
Le retour de Joël fait tressaillir Thérèse. Jean-Marie est parti. A jamais. Joël a peut-être tout entendu. Nous n’en saurons rien. Il est arrivé à point nommé, malgré son « geste de surprise ». Il insiste un peu, « ce qu’il te contait paraissait t’émouvoir. Car vous parliez très haut… » Un marin de passage, celui du Roi-Gralon, qui ne connaissait pas Jean-Marie. Un dernier mensonge et une vérité douloureuse, « il ne reviendra plus. »

Jacky Lavauzelle