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L’AMITIÉ SACRÉE D’ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

Correspondance d’Emile Pouvillon

L’AMITIÉ SACRÉE D’ÉMILE POUVILLON

Par N. D.
Revue des Deux Mondes
Tome 58
1910

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Autrefois Loti avait l’aimable habitude de nous amener tous ses amis et c’est ainsi que nous avons connu Emile Pouvillon. Il vint pour la première fois chez mes parents à Marennes en juin 18…. Il pouvait avoir trente ans à ce moment-là, paraissait très jeune malgré des cheveux tout blancs, avec, dans son attitude, un mélange de timidité et de grande dignité ; ce qui charmait surtout, c’était le son de sa voix, sa manière de parler, sérieuse, grave, puis tout, à coup, des éclats de rire presque enfantins. Écoutant avec intérêt tout ce qu’on lui disait, semblant par sa bienveillance y donner un prix infini ; quand il parlait lui-même, c’était de l’air de s’excuser de ce qu’il pouvait bien vous apprendre. Mais les anecdotes de pays, les descriptions de paysage, donnaient à sa causerie un tour différent : celui de l’enthousiasme admiratif, qui fut toujours la marque caractéristique de son esprit. Il évoquait beaucoup les coutumes, les usages de son Midi, par comparaison avec ceux de notre Saintonge, toute nouvelle pour lui, et l’on sentait quelle valeur avaient dans son existence les choses qui en étaient le « cadre, » comme il disait : la plaine montalbanaise, la forêt de Grésigne, les pierrailles des Causses, les coulées de l’Aveyron entre les saules, avaient à ses yeux autant de prix que des personnes aimées.

Les plus ordinaires phénomènes de la végétation lui étaient des sources de ravissement, il en parlait avec émotion : de la poussée hâtive des printemps méridionaux, des brûlants étés qui dorent les fruits mûrs et des douceurs automnales voilées de légers brouillards. Il connaissait aussi les plus petits détails et les plus humbles plantes, possédant par excellence le sens de la nature. Et avec bienveillance toujours, il s’intéressa à l’enfant timide, à la petite fille gauche que j’étais alors, causant avec moi de tous les riens de la vie champêtre qui étaient le fond de mon âme. Et je me sentais grandir à être ainsi comprise, à pouvoir admirer avec lui les mêmes choses, à les trouver belles de la même manière. Déjà ensemble nous admirions,… Et cette admiration commune de la nature fut, pendant les vingt-sept années que dura l’échange affectueux de nos pensées, comme l’accompagnement continuel de nos causeries et le refuge aux heures tristes. Pour lui ce sentiment magnifiait, transformait tout en une minute ; les spectacles les plus simples de la vie rurale, suivant le moment et l’heure, prenaient une forme, une importance inouïes : son imagination se passionnait, dramatisait, s’attendrissait. Je l’entends encore me dire : « Ah ! ma chère amie, que c’est beau ! De quoi sont privés ceux qui ne savent pas admirer ! » Et nous avons tant admiré ensemble, en effet, son pays et le mien, la montagne et la mer, les beaux couchants et les lumineux clairs de lune, les couleurs, les verdures, les horizons, puis aussi toutes les belles œuvres humaines !

L’amitié pour lui était sacrée, il la pratiquait d’une manière grande et noble, sans une dissonance ni une faute, mais toujours avec quelque cérémonie qui la rendait élégante.

Il me mêla ensuite aux affections de sa famille et les siens m’ont accueillie avec une amabilité touchante qui devint de l’affection. Je peux dire même que, depuis sa mort, ces relations se sont encore resserrées dans son cher souvenir. Quand sa mère mourut, comme j’étais accourue pour la pleurer avec lui, il désira aux obsèques me mettre au même rang que ses belles-filles. A lui également tous les miens ont été chers, mes parents, mon mari, mes filles ; plus tard, il fut le second parrain de mon fils.

Nous partagions beaucoup nos peines et nos joies ; en général la lecture des lettres en donne mal l’idée ; d’abord elles sont incomplètes : nous ne nous écrivions que quand nous ne pouvions pas nous voir et cependant nous avons souvent passé ensemble de longs mois que ses lettres ne paraissent pas attester. Mais les difficultés à nous rejoindre venaient le plus souvent d’un découragement subit de sa part, d’une inquiétude de sa santé. Emile Pouvillon, qui aimait tant la force de la vie, redoutait la faiblesse et la maladie. Peut-être sentait-il en soi-même les atteintes certaines du mal inexorable, mais cela se voyait tellement peu aux apparences, il était si jeune de tournure, de mouvement, de regard, que nous le grondions sans le plaindre ; nous le traitions de malade imaginaire, d’exagéré ; il l’était quelquefois, en effet, le cher ami, car, aux descriptions qu’il faisait de son état, on l’aurait cru devenu subitement infirme ou boiteux ; mais, ces crises passées, il faisait, suivant sa jolie expression, « la toilette de son âme, » et il refleurissait dans une nouvelle vigueur de jeunesse pour entreprendre de grandes marches dans la campagne, imaginer, s’enthousiasmer, s’attendrir sur la beauté des paysages et les admirer.

Il était d’une sensibilité extrême, ressentait d’une manière quelquefois cruelle la variation des saisons ; le froid, le chaud et la pluie étaient pour lui à certains jours de véritables souffrances. Parfois son inquiétude morale l’amenait à douter de lui-même, à craindre de ne plus sentir, de n’avoir plus de goût, de ne plus pouvoir écrire et créer. Et il s’en désespérait. Là est bien le tourment de tous les vrais artistes, le mal inhérent à tout talent réel. Or Émile Pouvillon était incapable de mensonges littéraires et son œuvre, comme sa vie intime, comme son cœur et son âme délicate, était sincères. Souvent aussi il était obsédé par la fin des choses visibles, l’impossibilité à se représenter les invisibles, et par le vilain passage noir précédé du cortège effrayant des maladies et des infirmités. Très jeune déjà, cette teinte triste fut sur sa vie, rembrunie encore par la crainte de l’amoindrissement, de la vieillesse et du non-être ; mais, comme il disait, « l’espoir passait… »

Cependant l’espérance d’une vie autre semblait se préciser davantage en lui, à mesure que s’accentuaient dans son cœur la tendresse et la bienveillance, mêlées à une douce philosophie. La dernière journée que nous avons passée ensemble fut tout empreinte de cette tendresse. Cette fois, c’était le cadre ordinaire de notre salon parisien ; Emile Pouvillon était venu déjeuner avec nous et nous étions demeurés tous deux pour causer longuement. Les jeunes étaient partis à leurs affaires ; quelques personnes étaient venues dans l’après-midi et gaiement, spirituellement, il s’amusa de mes visiteurs, sans malveillance, sans malice, — il n’en était pas capable, — mais avec tant de finesse et de drôlerie. Et la nuit, hâtive encore à cette époque du printemps, tomba sur Paris : on alluma les lampes ; les gens partis, nous nous étions remis à causer dans le salon clos où les fleurs sentaient bon. Avec quelques cérémonies toujours (car cela n’avait pas été convenu), il accepta de rester dîner.

Hélas ! cette journée qui me laisse un si délicieux souvenir de tendre amitié fut la dernière.

Nous partions pour les vacances de Pâques deux jours après ; Emile Pouvillon, lui, restait à Paris pour ses affaires. Nous devions l’y retrouver, au moins il me le promettait, et nous nous sommes dit : au revoir, très confiants, avec de beaux projets en tête : nous devions retourner en pèlerinage dans les îles heureuses.

Quand nous sommes rentrés, il était reparti, pris d’une de ces crises d’angoisse nerveuse et violente auxquelles il était sujet : « J’ai eu peur d’être malade loin des miens et sans vous, ma chère amie (m’écrivait-il), ne m’en veuillez pas ; à cet été quand même, j’espère. » Peu de temps après, la grave maladie d’un de mes proches me rappelait en Saintonge et, redoutant une issue terrible, connaissant l’impressionnabilité de notre cher ami, je voulus lui épargner de partager mes inquiétudes et ne lui parlai pas de venir. Cérémonieux jusqu’à la fin, il n’osa pas me le demander, et les siens m’ont souvent répété, depuis, la déception qu’il avait éprouvée de ce revoir manqué. En septembre, avançant son voyage coutumier en Savoie, il partit pour Chambéry d’où il ne devait plus revenir, où d’autres de ses amis devaient recueillir pieusement son dernier soupir.

Emile Pouvillon mourut donc en face de la montagne au lieu de mourir au bord de la mer, comme cela eût été, s’il était venu chez moi, mais sa mort, conforme à sa vie, fut quand même devant la belle nature. Il l’admirait dans un dernier geste pour montrer l’horizon splendide ; la parole admiratrice s’arrêta sur ses lèvres sans qu’il pût la formuler ; puis, — nous est-il dit, — « sa chère tête blanche s’affaissa sur l’herbe. »

En harmonie complète avec son existence où la douceur et la beauté des choses champêtres ainsi que son affection pour les siens restèrent ses joies les plus fortes, Emile Pouvillon ne connut ni la haine ni l’envie ; il sut se garder de l’orgueil et ne rechercha point les gloires faciles. Il partit dans le rayonnement d’un beau soir, les yeux emplis des radieuses lueurs du soleil couchant et sans avoir éprouvé les terreurs tant redoutées et les affres de la mort.

On rapporta son corps au doux clair de lune, sur une charrette traînée par des bœufs. Lui-même n’eût rien imaginé de plus conforme à ses goûts que la simplicité de ces premières funérailles à travers des sentiers de montagne.

J’ai parlé de lui comme d’un ami cher et précieux, sans même une fois faire allusion à son œuvre ; mais il faudrait de longues pages pour en énumérer les mérites. Qu’on me pardonne donc si j’ai insisté sur le bonheur de l’avoir si bien connu et tant aimé. J’ai voulu ainsi expliquer ses Lettres, en essayant de faire revivre par elles un peu du charme de sa personne, de son âme délicate et droite, éprise de beauté, de justice et de lumière.

N. D.

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AUGUSTE QUERCY par GABRIEL LAFORGUE, le dernier des aèdes

 LITTERATURE OCCITANE
CAMROSOS
Carsinolos

AUGUSTE QUERCY,
Le dernier des aèdes
(1853 à Lafrançaise-1899 à Montauban)

Préface de Gabriel LAFORGUE
édition Mount-Alba Paul Massoun
Librari Editour  MCMXI

Auguste Quercy par Gabriel Laforgue Préface Camrosos Carsinolos 1911 Artgitato

Je l’ai beaucoup connu, je l’ai beaucoup aimé. – On ne pouvait le connaître sans l’aimer. – Je voudrais simplement, sobrement, – pieusement auprès de la piété des siens, -essayer de retracer et pour un instant de faire revivre, les traits essentiels et vrais de cette attachante physionomie.

IL SAVAIT SAISIR CE QUI DEMEURE

Il était, plus qu’aucun de nous peut-être, fils de cette terre qui est la nôtre. – Il aimait d’un grand, d’un pur et noble amour, d’un amour digne d’elle. – Tous son passé, efforts, joies, tristesses, grandeur, humiliation d’un jour que le lendemain éclaire et efface, larmes et sourires, tout cela vibrait, se ranimait en lui, et sous la fuite des temps et des jours, dans le grand mirage des êtres et des choses, il savait saisir ce qui demeure.

LE FILS DE CES CADURQUES

Pouvillon était Grec. – Quercy était Latin. – Sous l’ombre du grand chêne ou le parfum d’une fleur, devant la nuit qui vient ou l’aube qui grandit l’horizon, vous  retrouverez dans les meilleurs de ses vers un peu de la grâce et de l’émotion de Virgile. – Et cela était bien à lui, puisé aux sources sûres, aux plus intimes profondeurs de la race. A ses heures d’énergie, quand son masque maigre, beau d’une beauté, d’une fierté de médaille antique, que nous a si fidèlement, si noblement le génie évocateur et créateur de Bourdelle, se dressait au-dessus d’une assemblée de notre peuple qu’il prenait, secouait, grisait bientôt de gaîté et de passion, il y avait en lui mieux que le Latin. Il était bien le fils, au travers des âges, de ces Cadurques qui seuls espéraient, luttaient dans l’agonie de la Gaule expirante et à qui César devait trancher la main pour arracher le tronçon du glaive.

LES MOTS VIEILLIS DE LA LANGUE ‘MAIRALO’

Ceux qui l’ont entendu savent que je dis vrai ; qu’il n’y a ici point d’exagération, qui serait une insulte pour sa mémoire. La voix, le geste, la mobilité, la sincérité de l’action donnaient à l’œuvre une intensité de vie que la phrase figée ne saurait rendre. – Son talent était à la hauteur de l’homme, et ses vers méritent de ne point disparaître à jamais. Poète, il prit pour tâche de cueillir un à un, au travers des combes, des mas, des rives grasses de la Garonne, aux hauteurs pittoresques et sèches de l’Aveyron, dans les veillées des bordes ou les disputes du foirail, les mots vieillis de notre vieille langue « mairalo ». – Il n’était jamais si heureux que quand il avait glané un épi pour augmenter sa moisson ; jour à jour, la gerbe se faisait délicate, savoureuse.

L’INTIMITE DE QUERCY

Jasmin fut, lui aussi, un délicieux et merveilleux conteur. Il sut dire les divines paroles ailées qui dominent les fronts et ravissent le cœur des foules. Il sut plaire aux délicats et émouvant les humbles. Dans le silence qui suivit, avant la renaissance romane de notre époque qui a inspiré, dicté des pages qui auprès des siennes vivront, il parut mériter le nom du dernier des aèdes. – Si en pensant à Quercy on songe à Jasmin, ce n’est pas assurément pour tracer un parallèle qui n’est plus dans le goût de ce temps. – Nous comprenons mieux la vitalité propre à chaque individualité littéraire. Nous en comprenons la nécessité et que chaque note personnelle ajoute à la vérité du récit, du décor, à l’harmonie de l’ensemble. – En quittant Jasmin, on peut lire Quercy. Vous le devez, si vous êtes né de notre sol et de notre race. Jasmin, c’est la grande plaine qui ondule là-bas, plus nourricière, plus amollie, épanouissant ses richesses faciles tout au long des méandres capricieuses, attardés, des oseraies, des ramiers, du grand fleuve. – Quercy, c’est plus d’intimité ; c’est plus chez nous. Lafrançaise, où il naquit, voit devant elle , au pied de sa berge hautaine, l’immensité des moissons et des herbages. Mais en arrière, le sol monte et durcit. La sente vallonnée au travers des garrics côtoie souvent un champ plus restreint et plus âpre. L’effort de l’homme apparaît plus intense pour des résultats moins sûrs. – C’est vers cet effort qu’allait de préférence le regard attendri et l’affection du poète.

LES LUCIOLES ECLAIRAIENT LES MYSTERES DES NUITS

Il se plaisait à suivre au tournant des sillons, sous la motte brune, luisante du soc et de rosée, toute dentelée, perlée, vêtue des fils de la Vierge, la lancée rythmique du grain, le geste auguste qui nourrit l’homme. Quand la sève montait, verdissant le sol, diaprant les près, crevant corolles et bourgeons, sous le renouveau fécondant, il butinait le cœur en fête. Aux temps de lumière et de splendeur, alors que le dieu étincelant dorait terres et cultures, embaumait les foins, miellait les fruits, il écoutait avec ravissement tout ce qui se dit et chante dans un rayon. Grils et cigales contaient les véridiques légendes. – Les lucioles éclairaient les mystères des nuits.

LE MULTIPLE ET LE NECESSAIRE EFFORT

Le cycle clos, quand finissait l’acte annuel du grand drame millénaire, le poète songeait aux acteurs, hommes et bêtes, celui qui tient l’araire, et ceux-là qui la traînent. – Il les aimait également ; même s’il n’est point très sûr que sa sympathie plus vive n’allât pas aux plus modestes, à ceux qui peinent sans se plaindre et qui n’en souffrent pas moins. – L’homme qui ahane à la tâche coutumière, obligée, sous un ciel dévorant ; – Le bœuf dont le flanc s’agite et palpite à déchirer plus avant la glèbe durcie ; – l’âne, peu nourri, mal logé, dédaigné à tort par qui ne sauraient atteindre à sa philosophie ; – le poète entendait et voyait ce que, malheureusement, pour le bien de tous, si peu savent voir et entendre, tout ce qu’il y a de misère, d’utilité éparses dans le multiple et le nécessaire effort.

LE RIRE DE QUERCY

Avec Cladel, il scrutait, démêlait les secrets de l’âme rurale. Petites âmes, très simples, sous des apparences futées. L’intérêt domine et conduit ; – l’économie jusqu’à la privation accroît le  champ, permet la résistance, souvent incite à un brin de jalousie pour le mieux-être d’à côté ; – l’égalité, que César déjà notait comme la passion la plus répandue, la plus chérie et absorbante, l’égalité est comprise non comme un abandon nécessaire de certains avantages à soi, mais comme accès éventuel et possible aux avantages proches ; elle doit – cela est très humain- moins donner que prendre – Le rire de Quercy éclatait, son vers railleur cinglait, mais bientôt, vers la fin, ce rire se mouillait à contempler le labeur immense, varié, incessant, qui courbe et relève. – Comment en vouloir justement à l’étroitesse de vie et de pensée ainsi encloses dans l’effort quotidien, les limites de l’héritage ancestral ? – Cet égoïsme, en somme, n’est-il point producteur, tutélaire ? Et quelle grandeur, quelle beauté dans la lutte toujours inachevée ! – Auprès de Marre, Quercy se passionnait à en rechercher et à en fixer la noblesse d’attitudes, les nuances délicates, les plus fuyants aspects. – Dans la mélancolie d’un soir d’automne, la fuite des feuilles éperdues, sous le Castel démantelé où Adelaïde de Penne éprouvait la langueur des chants du troubadour Jourdan, une chaumine enfumée, branlante, où deux pauvres vieux sommeillent auprès d’un maigre feu, dit l’abandon du « soir de la vie », la stérile et infinie tristesse du courage vaincu, de la force épuisée.

L’ESPRIT QUERCINOL

N’est-ce point là un vrai poète celui qui, ainsi, mot à mot, fait sa langue des vocables dédaignés ou perdus ; varie son rythme ; dégage des mœurs périssables les curieuses légendes ; s’intéresse à tout ce qui a été de la vie et reste de l’Histoire, à tout ce qui a consacré l’empreinte plus ou moins effacée des hommes de notre race, des choses de notre sol, redonnant à cette cendre éteinte chaleur, couleur et comme un frisson d’actualité. –Auguste Quercy avait puisé dans l’intelligente recherche du passé, dans l’observation aiguisée des traditions, des coutumes, la connaissance plus complète de ce qui convient plus spécialement aux aspirations du pays qui est le nôtre. – En reconstituant la langue, il avait mieux aperçu l’esprit quercinol, ce qui reste immuable, vivace, sous les générations tour à tour descendues vers la nuit. – Son art fut vérité. – Il avait compris que s’il y  a sans doute la façon de sentir, de traduire, qui forcément évolue suivant les hommes, suivant les temps, au-dessus de tout art, de toute conception, de toute école, on pourrait élever la formule : seule la vérité est vie. – Et seuls, et dans la mesure de leur fidélité, ont vécu et vivront, les dévots de la Bonne Déesse. – Mais l’idole, l’image, toujours voilée et fugace. Ceux qui un instant ont pu l’étreindre et la saisir méritent par ce bienfait reconnaissance et respect. – C’est à ce culte que Quercy avait voué tout ce qu’il possédait de claire intelligence, de patient et consciencieux labeur ; c’est dans ce culte qu’il nous est cher, que nous vénérons sa mémoire. – Il sut émouvoir, colorer sa vie de ces visions, de ces souvenirs et de ces espérances dont le philosophe antique a dit « qu’il faut comme s’enchanter soi-même ». Et cela aussi, à ceux qui suivront reste en exemple

AU FOYER FAMILIAL ET AU FOYER DE LA CITE

Quand la mort le frôla de son aile froide, quand au matin il s’éteignit, alors qu’au soir il était plein de force et d’avenir, bien que cette fin soit celle, toujours au dire des anciens, « de ceux qui sont aimés des dieux », un chaînon se brisa dans la chaîne de nos affections les plus intimes. – Sa place resta vide au foyer familial et au foyer de la cité. – Il manquait !

DANS L’OMBRE ET LA CLARTE DE MISTRAL

L’œuvre reste ; elle a le charme des choses inachevées. – C’est un reliquaire où doucement repose ce qu’il y eut de meilleur, d’où émanent les pénétrantes effluves de l’idée généreuse, à la fois conservatrice et créatrice : les vivants ne sont sans doute que la survivance des morts. – Tout ce qui a été ; si tout se transforme, rien ne se perd ; le passé est en gestation d’avenir. – La page, à laquelle Quercy a eu l’honneur très grand d’ajouter quelques lignes, la page écrite dans l’ombre et la clarté de Mistral dominateur par ces bons ouvriers du verbe et de la pensée Mary Lafon, Fourès, Estieu, Perbosc, Castèla, dont l’oubli serait injuste, et les autres, ceux de chez nous, ceux d’à côté, de la Provence dorée à la Bretagne brumeuse, est une page d’histoire, de la grande Histoire de la vie, de la langue, des coutumes, des mœurs des peuples variés, mêlés mais non détruits en l’unité nationale….