Archives par mot-clé : Deutsch Dichter

SI J’ÉTAIS UN MENDIANT – Poème de Clemens BRENTANO – Wenn ich ein Bettelmann wär

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet – Poète Allemand – Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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SI J’ÉTAIS UN MENDIANT
Wenn ich ein Bettelmann wär

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Wenn ich ein Bettelmann wär
Si j’étais un mendiant
Käm ich zu Dir,
Qui venait vers toi
Säh Dich gar bittend an
Te regardant d’un air suppliant,
Was gäbst Du mir? –
Que lui donnerais-tu ?

*

Der Pfennig hilft mir nicht
L’argent, je n’en veux
Nimm ihn zurück,
Reprends-le,
Goldner als golden
Plus brillant que l’or
Glänzt allen Dein Blick;
Brille ton regard !

*

Und was Du allen gibst
Ce qu’à tous tu donnerais,
Gebe nicht mir
Jamais ne me donnerait
Nur was mein Aug begehrt
Ce que mon œil seulement
Will ich von Dir.
Veut de toi.

*

Bettler wie helf ich Dir? –
Mendiant, comment puis-je t’aider ?
Sprächst Du nur so,
Si ainsi tu me parlais,
Dann wär im Herzen ich

Alors nagerait mon cœur
Glücklich und froh.

Dans la joie et le bonheur.

*

Laufst auf Dein Kämmerlein
Regarde dans ton armoire
Holst ein Paar Schuh
Attrape une paire de chaussures
Die sind mir viel zu klein,

Elles sont trop petites pour moi,
Sieh einmal zu. –

Tu vois.

*

Sieh nur wie klein sie sind
Vois comme elles sont petites
Drücken mich sehr,
Et comme elles me serrent ainsi,
Jungfrau süß lächelst Du

Fillette tu me souris
O gib mir mehr.

Mais donne-moi plus !

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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DOUCEMENT – Poème de Clemens BRENTANO – Singet leise

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet – Poète Allemand – Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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DOUCEMENT
Singet leise

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Singet leise, leise, leise,
Chante doucement, doucement, doucement,
Singt ein flüsternd Wiegenlied
Chante cette berceuse murmurée
Von dem Monde lernt die Weise,
Le sage apprend de la lune,
Der so still am Himmel zieht.
Qui va si doucement dans le ciel.

*

Singt ein Lied so süsz gelinde,
Chante une chanson si douce,
Wie die Quellen auf den Kieseln,
Comme la source sur les galets
Wie die Bienen um die Linde
Comme les abeilles autour du tilleul
Summen, murmeln, flüstern, rieseln.
Bourdonnement, murmure, chuchotement, ruissellement.

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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LE ROSSIGNOL & LA FILEUSE – Poème de Clemens BRENTANO – Es sang vor langen Jahren – 1802

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet – Poète Allemand – Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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LE ROSSIGNOL & LA FILEUSE
Es sang vor langen Jahren

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Es sang vor langen Jahren
Il a chanté il y a longtemps
Wohl auch die Nachtigall.
Aussi le rossignol.
Das war wohl süßer Schall,
Quel doux son doux assurément,
Da wir zusammen waren.
Quand nous étions ensemble.

*

Ich sing und kann nicht weinen
Je chante et je ne peux pas pleurer
Und spinne so allein.
Et seule je tourne mon rouet.
Den Faden klar und rein,
Comme son fil est clair et pur,
Solang der Mond wird scheinen.
Tant que la lune brillera.

*

Da wir zusammen waren,
Quand nous étions ensemble
Da sang die Nachtigall.
Le rossignol chantait.
Nun mahnet mich ihr Schall,
Maintenant sans son chant je sais,
Dass du von mir gefahren.
Je sais que tu m’as chassé.

*

So oft der Mond mag scheinen,
Aussi souvent que la lune brille,
So denk ich dein allein.
Je pense à toi seul.
Mein Herz ist klar und rein,
Mon cœur est clair et pur,
Gott wolle uns vereinen.
Que Dieu nous réunisse.

*

Seit du von mir gefahren,
Quand tu m’accompagnais,
Singt stets die Nachtigall.
Chantait toujours le rossignol.
Ich denk bei ihrem Schall,
Je pense à son chant,
Wie wir zusammen waren.
Comme quand nous étions ensemble.

*

Gott wolle uns vereinen.
Que Dieu nous réunisse.
Hier spinn ich so allein.
Ici, je file seule.
Der Mond scheint klar und rein.
La lune brille claire et pure.
Ich sing und möchte weinen.
Je chante et je veux pleurer.


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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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LE SOUPER – Poème de Clemens BRENTANO – AM TAGE VOR DEM ADENDMAHL

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

 


LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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LE SOUPER
AM TAGE VOR DEM ADENDMAHL

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Was ich tue, was ich denke,
Pour tout ce que je fais, ce que je pense
Alles, was mit mir geschieht,
Ce qui m’arrive,
Herr! nach deinem Auge lenke,
Seigneur ! dirige Ton regard
Das auf meine Wege sieht.
Sur mon chemin.

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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MADEMOISELLE DIENCHEN – Poème de Clemens BRENTANO – Kennt ihr das Fräulein Dienchen nicht – 1797

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

 


LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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MADEMOISELLE DIENCHEN
Kennt ihr das Fräulein Dienchen nicht

Entstanden um 1797
Ecrit vers 1797

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Kennt ihr das Fräulein Dienchen nicht.
Vous ne connaissez pas Mademoiselle Dienchen.
Sie hat ein Tabaksdosengesicht
Elle a un visage en forme de tabatière
So etwas wie ’ne Nase drinne
Comme si elle avait un nez à l’intérieur
Und den Charakter einer Spinne.
Et le caractère d’une araignée.
Hat man mit dem Vergrößrungsglase
Vous aurez besoin d’une loupe
Endlich gefunden ihre Nase
Si vous voulez trouver son nez
So mußt du Mikroskope brauchen
Vous aurez besoin d’un microscope
So findst du nie die Katzenaugen.
Car vous ne trouverez jamais ses yeux de chat comme ça.
Ihr dickes Haar ist tölpisch aufgebaut
Ses cheveux épais sont fragiles
Doch niemand schimpfe ihre Haut
Mais personne ne songe à critiquer sa peau
Sie ist so fein so zart so weiß
Si fine, si délicate et si blanche
Als wie ein alter Hühnersteiß.
Comme une vieille croupe de poulet.

Schad’ daß ein Hügelchen den schönen Wuchs befleckt
C’est dommage qu’une colline tache la belle croissance
Das erst vor kurzer Zeit ein Kenneraug’ entdeckt.
Qu’a récemment découvert l’œil d’un connaisseur.
In ihrem magern Unterleib
Dans son ventre amaigri
Brummt oft ein Wind zum Zeitvertreib.
Un vent bourdonne souvent pour passer le temps.

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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LA POÉSIE DE CLEMENS BRENTANO – Gedichte Clemens Brentano

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle


LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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LA POESIE DE CLEMENS BRENTANO

Gedichte Clemens Brentano

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L’AMOUR M’ENSEIGNE
Die Liebe lehrt

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Lamour-menseigne.jpg.
Photographie de Michèle Morgan

Die Liebe lehrt
L’amour m’enseigne
Mich lieblich reden,
à parler aimablement,

**

CUEILLIR DES ETOILES DANS LE CIEL
Hörst du wie die Brunnen rauschen

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Cueillir.jpg.
Albert Flamm, Golf von Neapel , Golfe de Naples

Hörst du wie die Brunnen rauschen,
Entends-tu le gémissement des fontaines,
Hörst du wie die Grille zirpt?
Entends-tu le chant des grillons ?

**

MADEMOISELLE DIENCHEN
Kennt ihr das Fräulein Dienchen nicht
1797

Kennt ihr das Fräulein Dienchen nicht.
Vous ne connaissez pas Mademoiselle Dienchen.
Sie hat ein Tabaksdosengesicht
Elle a un visage en forme de tabatière

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LE SOUPER
AM TAGE VOR DEM ADENDMAHL

Was ich tue, was ich denke,
Pour tout ce que je fais, ce que je pense
Alles, was mit mir geschieht,
Ce qui m’arrive,

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LE ROSSIGNOL & LA FILEUSE
Es sang vor langen Jahren
1802

Es sang vor langen Jahren
Il a chanté il y a longtemps
Wohl auch die Nachtigall.
Aussi le rossignol.

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DOUCEMENT
Singet leise

Singet leise, leise, leise,
Chante doucement, doucement, doucement,
Singt ein flüsternd Wiegenlied
Chante cette berceuse murmurée

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SI J’ÉTAIS UN MENDIANT
Wenn ich ein Bettelmann wär

Wenn ich ein Bettelmann wär
Si j’étais un mendiant
Käm ich zu Dir,
Qui venait vers toi

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato.jpg.

L’AMOUR M’ENSEIGNE – Poème de Clemens BRENTANO – Die Liebe lehrt

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle


LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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L’AMOUR M’ENSEIGNE
Die Liebe lehrt

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Photographie de Michèle Morgan

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Die Liebe lehrt
L’amour m’enseigne
Mich lieblich reden,
à parler aimablement,
Da Lieblichkeit
Car la douceur
Mich lieben lehrte.
M’a appris à aimer.

*

Arm bin ich nicht
Je ne suis jamais pauvre
In Deinen Armen,
Dans tes bras,
Umarmst du mich
Tu m’embrasses
Du süße Armut.
Toi douce pauvreté.

*

Wie reich bin ich
Comme je suis riche
In Deinem Reiche,
Dans ton royaume
Der Liebe Reichtum
Par les richesses de l’amour
Reichst du mir.
Que tu me donnes.

*

O Lieblichkeit!
Ô beauté !
O reiche Armut!
Ô riche pauvreté !
Umarme mich
Embrasse moi
In Liebesarmen.
Dans tes bras amoureux.

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato.jpg.

CUEILLIR DES ETOILES DANS LE CIEL – Poème de Clemens BRENTANO – Hörst du wie die Brunnen rauschen

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LITTERATURE ALLEMANDE


Deutsch Poesie –  Deutsch Literatur

Clemens Brentano

9 septembre 1778 – 28 juillet 1842
9. September 1778 Ehrenbreitstein (Koblenz)- 28. Juli 1842 Aschaffenburg

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung
Traduction Jacky Lavauzelle

 


LA POESIE DE
CLEMENS BRENTANO

Heinrich Deiters, Der Waldsee

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CUEILLIR DES ETOILES DANS LE CIEL
Hörst du wie die Brunnen rauschen

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Albert Flamm, Golf von Neapel , Golfe de Naples


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Hörst du wie die Brunnen rauschen,
Entends-tu le gémissement des fontaines,
Hörst du wie die Grille zirpt?
Entends-tu le chant des grillons ?
Stille, stille, laß uns lauschen,
Silence, silence, ensemble écoutons,
Selig, wer in Träumen stirbt.
Bienheureux celui qui meurt en rêve.
Selig, wen die Wolken wiegen,
Bienheureux celui que les nuages emportent,
Wem der Mond ein Schlaflied singt,
Celui pour qui la lune chante une berceuse,
O wie selig kann der fliegen,
Ô comme il est heureux de pouvoir voler,
Dem der Traum den Flügel schwingt,
Quand le rêve des ailes dessine,
Daß an blauer Himmelsdecke
Et qui sur un ciel tout bleu
Sterne er wie Blumen pflückt:
Cueille des étoiles comme des fleurs :
Schlafe, träume, flieg’, ich wecke
Dors, rêve, vole, je te réveillerai
Bald Dich auf und bin beglückt.
Bientôt et je serai heureux.

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L’ASCÈTE et LE RELIGIEUX EXTATIQUE

On a dit de Brentano qu’il n’avait qu’à ouvrir ses poches pour que des légions d’anges et de gnomes s’en échappassent ; le mot est vrai. En revanche, les pures préoccupations d’artiste n’occupèrent jamais qu’une place bien mince dans son cerveau. Tout entier aux caprices du moment, à ses boutades, il ne se doute point de ces sollicitudes curieuses dont certains lettrés entourent la chère œuvre, de ces soins paternels qu’on apporte si volontiers à la protéger aux débuts. Ce n’est pas lui dont le cœur eût bondi de joie à l’aspect du précieux volume. Au contraire, il avait horreur de se voir imprimé. « C’est pour moi une douleur insupportable, répétait-il souvent ; figurez-vous une jeune fille forcée d’exécuter pour divertir les gens une danse qu’elle aurait apprise aux dépens de son innocence et de son repos. J’ai écrit au moins autant de livres que ma sœur, mais je garde sur elle l’avantage de les avoir tous jetés au feu. » Parfois il lui arrivait de s’enfermer chez lui, d’allumer des cierges, et de se mettre ensuite à prier des nuits entières pour ceux qui souffrent. Singulière chose que cette fusion de l’esprit méridional et du génie du nord, dont cet homme offre le phénomène. J’ai dit qu’il y avait de l’ascète chez Brentano, du religieux extatique des bords du Nil, du thaumaturge ; il y avait aussi du don Quichotte.

par Henri Blaze
Clément brentano
Lettres de jeunesse de Clément à Bettina
Revue des Deux Mondes
période initiale, tome 9, 1845



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LORELEY HEINRICH HEINE LORELEI

loreley-heinrich-heine-lorelei-artgitatoLITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine
LORELEY LORELEI




Deutsch Poesie
 Deutsch Literatur

Heinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich Heine

HEINRICH HEINE
1797- 1856

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Heinrich Heine Oeuvre Poèmes Poésie Gedichte Artgitato

Übersetzung – Traduction
Jacky Lavauzelle




LORELEI

LORELEY

 

*

Loreley

Ich weiß nicht, was soll es bedeuten,
Je ne sais pourquoi
Daß ich so traurig bin;
Je suis si triste ?
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Une fable des temps anciens,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.
Occupe mon esprit.

*

Die Luft ist kühl und es dunkelt,
L’air est frais et s’obscurcit,
Und ruhig fließt der Rhein;
Et coule paisible le Rhin ;
 
Der Gipfel des Berges funkelt
Les pics scintillent
Im Abendsonnenschein.
 Dans le noir soleil du soir.

*

Die schönste Jungfrau sitzet
La plus belle des filles est assise
  Dort oben wunderbar,
Là-bas, merveilleuse,
Ihr goldnes Geschmeide blitzet,
Ses bijoux dorés brillent,
Sie kämmt ihr goldnes Haar.
Elle coiffe ses cheveux d’or.

*

Sie kämmt es mit goldnem Kamme,
Elle se peigne avec un peigne d’or,
Und singt ein Lied dabey;
Et chante tout autant ;
Das hat eine wundersame,
Mystérieuse,
Gewaltige Melodey.
Formidable mélodie.

*

Den Schiffer, im kleinen Schiffe,
Le marin, dans son petit navire,
Ergreift es mit wildem Weh;
Est saisi de malheur;
Er schaut nicht die Felsenriffe,
 Il ne voit plus les roches,
 
Er schaut nur hinauf in die Höh’.
 Les yeux dans les cimes.

*

Ich glaube, die Wellen verschlingen
Il me semble que les vagues engloutissent
  Am Ende Schiffer und Kahn;
Au final le marin et le bateau;
Und das hat mit ihrem Singen
Et cela, avec son chant
 
Die Loreley getan.
La Lorelei la fait.

********

POEMES DE HEINRICH HEINE – Gedichte von Heinrich Heine

*




LITTERATURE ALLEMANDE
Poèmes de Heinrich Heine

Deutsch Poesie




 Deutsch Literatur

Heinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich HeineHeinrich Heine

HEINRICH HEINE
1797- 1856

German poet
Poète Allemand
Deutsch Dichter

Übersetzung – Traduction
Jacky Lavauzelle




Poèmes de Heinrich Heine

Gedichte von Heinrich Heine

Heinrich Heine Oeuvre Poèmes Poésie Gedichte Artgitato

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Die heilgen drei Könige aus Morgenland
Les trois rois mages d’Orient

Die heilgen drei Könige aus Morgenland,
Les trois rois mages d’Orient,
 Sie frugen in jedem Städtchen:
Demandaient dans chaque ville :

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*

Die Wallfahrt nach Kevlaar
Le Pèlerinage à Kevlaar

I
« Ich bin so krank, o Mutter,
«Je suis si malade, ô mère,
  Daß ich nicht hör und seh;
 Que je n’écoute et ne regarde plus rien ;

II
Die Mutter Gottes zu Kevlaar
La Mère de Dieu à Kevlaar
 Trägt heut ihr bestes Kleid;
Porte aujourd’hui sa plus belle robe ;

III
Der kranke Sohn und die Mutter,
Le fils malade et la mère,
Die schliefen im Kämmerlein;
Dormaient dans une remise ;

*




Frieden
La Paix

Hoch am Himmel stand die Sonne,
Haut dans le ciel trônait le soleil,
Von weißen Wolken umwogt,
Au cœur de nuages blancs,
Frieden Heine La Paix Heine Heinrich Artgitato Gauguin Le Christ jaune

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Lyrisches Intermezzo
Intermezzo Lyrique
Sammlung von Gedichten
Recueil de Poèmes
1823

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*

LE LIVRE DES CHANTS
Buch der Lieder
Die Heimkehr – Le Retour
1823 – 1824

Le Livre des Chants I
In mein gar zu dunkles Leben
Dans ma vie si sombre

In mein gar zu dunkles Leben
Dans ma vie si sombre
Strahlte einst ein süßes Bild;
Se dégageait une douce image ;




Le Livre des Chants II
Loreley

Lorelei

Ich weiß nicht, was soll es bedeuten,
Je ne sais pourquoi
Daß ich so traurig bin;
Je suis si triste ?
loreley-heinrich-heine-lorelei-artgitato




Le Livre des Chants III
Mein Herz ist traurig
Mon cœur est accablé

Mein Herz, mein Herz ist traurig,
Mon coeur, mon coeur est accablé,
Doch lustig leuchtet der Mai;
Mais dehors éclate le mois de mai ;

Le Livre des Chants IV
Im Walde wandl’ ich und weine
Le Merle au-dessus de moi

Im Walde wandl’ ich und weine,
Dans la forêt, je marche et je pleure,
Die Drossel sitzt in der Höh’;
Le merle au-dessus de moi ;

Le Livre des Chants V
Die Nacht ist feucht und stürmisch
De Rage et de Mépris

Die Nacht ist feucht und stürmisch,
Nuit humide et orageuse,
 
Der Himmel sternenleer;
Un ciel vide d’étoiles ;

Le Livre des Chants VI
Als ich, auf der Reise, zufällig
La Fausse Désinvolture

Als ich, auf der Reise, zufällig
Quand, en voyage, je rencontrai
Meines Liebchens Familie fand,
La famille de mon aimée,

Le Livre des Chants VII
Wir saßen am Fischerhause,
La Maison du Pêcheur

Wir saßen am Fischerhause,
 Assis à la maison du pécheur,
Und schauten nach der See;
 Regardant la mer ;

Le Livre des Chants VIII
Du schönes Fischermädchen
Mon Cœur comme un océan

Du schönes Fischermädchen,
 Toi, belle fille du pêcheur
  
Treibe den Kahn an’s Land;
Approche ton bateau du rivage ;

Le Livre des Chants IX
Der Mond ist aufgegangen
Les Sirènes mes Sœurs

Der Mond ist aufgegangen
La lune s’est levée
Und überstrahlt die Well’n;
Et les vagues se sont éclipsées

Le Livre des Chants X
Der Wind zieht seine Hosen an
La Mer engloutie

Der Wind zieht seine Hosen an,
Le vent soulève tout,
Die weißen Wasserhosen;
Sous de blanches tempêtes ;

Le Livre des Chants XI
Der Sturm spielt auf zum Tanze,
La danse de la Tempête

Der Sturm spielt auf zum Tanze,
La tempête joue une danse :
Er pfeift und saust und brüllt;
Elle siffle, se précipite et rugit ;

Le Livre des Chants XII
Der Abend kommt gezogen
LA SIRÈNE

Der Abend kommt gezogen,
La soirée commence à se dessiner,
 Der Nebel bedeckt die See;
Le brouillard couvre la mer ;

Le Livre des Chants XIII
Wenn ich an deinem Hause
LES PIRES DOULEURS

Wenn ich an deinem Hause
Quand devant ta maison
 Des Morgens vorübergeh,
Le matin je passe,

Le Livre des Chants XIV
Das Meer erglänzte weit hinaus,
LES LARMES EMPOISONNÉES

Das Meer erglänzte weit hinaus,
La mer brillait dans le lointain,
Im letzten Abendscheine;
Dans les dernières lumières du soir ;

Le Livre des Chants XV
Da droben auf jenem Berge,
LA FÊTE AU CHÂTEAU

Da droben auf jenem Berge,
Là-haut sur cette montagne,
Da steht ein feines Schloß,
Il y a un superbe château,
Da wohnen drei schöne Fräulein,

Le Livre des Chants XVI
Am fernen Horizonte
DANS LE BROUILLARD

Am fernen Horizonte
A l’horizon, dans le lointain,
Erscheint, wie ein Nebelbild,
Comme une image dans le brouillard, apparaît
Die Stadt mit ihren Türmen

Le Livre des Chants XVII
Sey mir gegrüßt, du große
LA VILLE MYSTÉRIEUSE

Sey mir gegrüßt, du große,
Toi qui m’a accueilli, ô somptueuse
Geheimnißvolle Stadt,
Ville mystérieuse,

Le Livre des Chants XIII
So wandl’ ich wieder den alten Weg
LES MAISONS S’ÉCROULENT

So wandl’ ich wieder den alten Weg,
Je repars sur l’ancienne route,
Die wohlbekannten Gassen;
J’y connais bien les rues ;

Le Livre des Chants XIX
Ich trat in jene Hallen
LA MAISON AUX SERPENTS

Ich trat in jene Hallen,
Je suis entré dans cette salle,
 Wo sie mir Treue versprochen;
Où elle m’avait promis fidélité ;

Le Livre des Chants XX
Still ist die Nacht
MON DOUBLE

Still ist die Nacht, es ruhen die Gassen,
Calme est la nuit, tranquilles sont les rues,
In diesem Hause wohnte mein Schatz;
Dans cette maison vivait mon aimée,

Le Livre des Chants XXI
Wie kannst du ruhig schlafen
PLUS FORT QUE LA MORT

Wie kannst du ruhig schlafen,
Comment peux-tu dormir à poings fermés,
Und weißt, ich lebe noch?
Sachant qu’encore je vis ?

Le Livre des Chants XXII
Die Jungfrau schläft in der Kammer
LE BAL DU CIMETIÈRE

« Die Jungfrau schläft in der Kammer,
« La jeune fille dans la chambre dort,
Der Mond schaut zitternd hinein;
La lune la regarde frissonnante ;

Le Livre des Chants XXIII
Ich stand in dunkeln Träumen
LES SOMBRES RÊVES

Ich stand in dunkeln Träumen
Je restai dans ces sombres rêves
Und starrte ihr Bildniß an,
Et regardai son portrait,

Le Livre des Chants XXIV
Ich unglücksel’ger Atlas!
LE MONDE DE LA DOULEUR

Ich unglücksel’ger Atlas! eine Welt,
Ô Atlas ! Comme je suis misérable ! Le monde
 Die ganze Welt der Schmerzen muß ich tragen,
Que je dois porter est le monde entier de la douleur,

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Le Livre des Chants XXV
Die Jahre kommen und gehen
UNE DERNIÈRE FOIS ENCORE

Die Jahre kommen und gehen,
Les années viennent et passent,
Geschlechter steigen in’s Grab,
Poussant les êtres dans la tombe,

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Le Livre des Chants XXVI
Mir träumte
LE RÊVE

Mir träumte: traurig schaute der Mond,
Je rêvais ; tristement la lune regardait,
Und traurig schienen die Sterne;
Et tristes les étoiles paraissaient ;

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Le Livre des Chants XXVII
Was will die einsame Thräne?
LA LARME SOLITAIRE

Was will die einsame Thräne?
Que veut la larme solitaire ?
Sie trübt mir ja den Blick.
Elle qui me ternit la vue.

**

Le livre des Chants XXVIII
Der bleiche, herbstliche Halbmond
À CÔTÉ DU CIMETIÈRE

Der bleiche, herbstliche Halbmond
Le pâle croissant automnal
Lugt aus den Wolken heraus;
Espionnait derrière les nuages ;

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Le Livre des Chants XXIX
Das ist ein schlechtes Wetter
DANS L’OBSCURITÉ

Das ist ein schlechtes Wetter,
Quel mauvais temps !
Es regnet und stürmt und schnei’t;
Il pleut, il neige et tonne.

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Le Livre des Chants XXX
Man glaubt, daß ich mich gräme
DES ANGES SCÉLÉRATS

Man glaubt, daß ich mich gräme
On croit que je m’abandonne
In bitter’m Liebesleid,
 A mon cruel chagrin d’amour,

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Le Livre des Chants XXXI
Deine weichen Lilienfinger,
DANS UN CRI SILENCIEUX

Deine weichen Lilienfinger,
Tes doux doigts de lys,
Könnt’ ich sie noch einmal küssen,
Si je pouvais les embrasser encore

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Le Livre des Chants XXXII
Hat sie sich denn nie geäußert
L’ÂNE

« Hat sie sich denn nie geäußert
« N’a t-elle jamais rien montré
Ueber dein verliebtes Wesen?
En voyant ton amour ?

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Le Livre des Chants XXXIII
Sie liebten sich beide, doch keiner
ILS ÉTAIENT DÉJÀ MORTS

Sie liebten sich beide, doch keiner
Tous les deux s’aimaient, mais aucun
Wollt’ es dem andern gestehn;
A l’autre de n’osait l’avouer ;

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Le Livre des Chants XXXIV
Und als ich Euch meine Schmerzen geklagt,
LE BÂILLEMENT

Und als ich Euch meine Schmerzen geklagt,
Et quand je me plaignais à vous de ma douleur,
Da habt Ihr gegähnt und nichts gesagt;
Vous bâilliez alors sans rien dire ;

**

Le Livre des Chants XXXV
Ich rief den Teufel und er kam,
AVEC LE DIABLE

Ich rief den Teufel und er kam,
J’ai appelé le diable et il est venu,
Und ich sah ihn mit Verwund’rung an.
Et je l’ai regardé avec surprise.

**

Le Livre des Chants XXXVI
Mensch, verspotte nicht den Teufel,
NE TE MOQUE PAS DU DIABLE

Mensch, verspotte nicht den Teufel,
Homme, ne te moque pas du diable,
Kurz ist ja die Lebensbahn,
Bref est le cours de la vie,

**

Le Livre des Chants XXXVII
Die heil’gen drei Könige aus Morgenland
LES TROIS ROIS

Die heil’gen drei Könige aus Morgenland,
Les trois Rois saints de l’est,
Sie frugen in jedem Städtchen:
Demandaient dans chaque ville :

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Le Livre des Chants XXXVIII
Mein Kind, wir waren Kinder
NOS JEUX D’ENFANTS

Mein Kind, wir waren Kinder,
Mon enfant, nous étions
Zwei Kinder, klein und froh;
Deux enfants, petits et joyeux ;

**

Le Livre des Chants XXXIX
Das Herz ist mir bedrückt, und sehnlich
JADIS

Das Herz ist mir bedrückt, und sehnlich
Mon cœur est opprimé et pesant
Gedenke ich der alten Zeit;
Car je me souviens de l’ancien temps ;

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Le Livre des Chants XL
Wie der Mond sich leuchtend dränget
DANS LES YEUX

Wie der Mond sich leuchtend dränget
Comme la lune qui brille vivement
Durch den dunkeln Wolkenflor,
À travers cet amas de noirs nuages,

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Le Livre des Chants XLI
Im Traum sah ich die Geliebte
J’IRAI PLEURER SUR TA TOMBE

Im Traum sah ich die Geliebte,
En rêve, j’ai vu la bien-aimée,
Ein banges, bekümmertes Weib,
Une femme agitée et troublée,

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Le Livre des Chants XLII
« Theurer Freund!
LES ŒUFS DE L’AMOUR

« Theurer Freund! Was soll es nützen,
« Mon cher ami, à quoi bon,
 Stets das alte Lied zu leiern?
Toujours ressasser cette vielle chanson ?

*

Le Livre des Chants XLIII
Werdet nur nicht ungeduldig
LES DOULEURS ANCIENNES

Werdet nur nicht ungeduldig,
Ne soyez pas impatient,
Wenn von alten Schmerzensklängen
Quand des douleurs anciennes

*

Le Livre des Chants XLIV
Nun ist es Zeit
LA MORT DANS L’ÂME

Nun ist es Zeit, daß ich mit Verstand
Il est temps pour moi désormais de comprendre
Mich aller Thorheit entled’ge;
Et de mettre un terme à toutes ces folies ;

**

Le Livre des Chants XLV
Den König Wiswamitra
LE ROI VISHVAMITRA

Den König Wiswamitra,
Le roi Vishvamitra ,
Den treibt’s ohne Rast und Ruh’,
Jamais ne se repose de toute évidence :

**

Le Livre des Chants XLVI
Herz, mein Herz
MON CŒUR

Herz, mein Herz, sey nicht beklommen,
Cœur ! mon cœur, ne soit pas ainsi ému,
Und ertrage dein Geschick,
Et supporte ton destin,

**

Le Livre des Chants XLVI




*

Saphire sind die Augen dein
Yeux Saphirs
1823-1824

Saphire sind die Augen dein,
Saphirs sont tes yeux,
Die lieblichen, die süßen.
Aimables et doux.

*




*******

Aus der Harzreise
Voyage au Harz des Reisebilder
1824

Prolog
PROLOGUE

Schwarze Röcke, seidne Strümpfe,
Jupes noires, bas de soie,
Weiße, höfliche Manschetten,
Poignets blancs, polis,

Steiget auf, ihr alten Träume !
VENEZ VIEUX RÊVES !

Steiget auf, ihr alten Träume!
Venez vieux rêves d’autrefois !
Öffne dich, du Herzensthor!
Ouvre-toi, porte de mon cœur !

Der Hirtenknabe
LE GARCON DE BERGER

König ist der Hirtenknabe,
Le roi est le garçon de berger,
Grüner Hügel ist sein Thron,
La verte montagne est son trône,

Auf dem Brocken
SUR LE BROCKEN

Heller wird es schon im Osten
Une clarté arrive de l’est
Durch der Sonne kleines Glimmen,
A travers une petite lueur du soleil,

Die Ilse 
L’ISLE

Ich bin die Prinzessin Ilse,
Je suis la princesse Ilse,
 
 Und wohne im Ilsenstein;
Et je vis à Ilsenstein ;




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Heinrich Heine
par Edgar Quinet


Sous leur forme insouciante et frivole, les poésies de Heine dont je viens de prononcer le nom ont en effet un vrai sens social. Il y a trente ans, on les eût réputées impossibles, et les imaginations vierges de ce temps-là n’auraient jamais supporté leur cruelle morsure. Il y a là telles petites chansons de dix vers qui portent innocemment dans leurs corolles, car ce sont de vraies roses des bois, un venin qu’il a fallu trois siècles au moins pour distiller à ce point. Ce sont des fleurs charmantes, ouvragées et peintes avec l’ancienne habileté de l’art tudesque et qui toutes dardent un aiguillon de basilic. Il y a là des sonnets transparents et purs à la manière de ceux de Pétrarque, au fond desquels vous voyez ramper le reptile ; des ballades qui cachent sous leur sourire, comme une femme sous son voile, leurs mécomptes et leurs poisons. Il y a des canzone folâtres qui vous prennent et vous bercent d’amour et vous noient à la fin dans un mot satanique ; car c’est là le caractère et l’originalité de ce poète, de vous faire boire l’amertume et la lie de nos temps sous l’expression et le miel des époques primitives : le siècle de Byron dans le siècle de Hans de Sachs. A tous les sentiments d’une société avancée il donne le rythme populaire des sociétés qui commencent ; et ce désespoir qui emprunte la langue de l’espérance, cette mort qui parle comme la vie, ce berceau qui redevient un tombeau, ces passions vieillies et rassasiées qui se meuvent sur le mètre des passions naissantes, cette candeur et cette corruption, ce miel et ce fiel, ce commencement et cette fin qui se rencontrent et s’unissent dans l’étreinte de ces rapides poèmes, en font autant de petits chefs-d’œuvre d’art, de fantaisie, d’originalité et d’immoralité.




La plupart des poésies de Heine sont contenues dans un volume intitulé Livre des chants. Les premières datent de 1817. A cette époque le jeune poète appartient à l’école des Schlegel et de Tieck. C’est d’eux qu’il a appris la forme populaire et la naïveté que plus tard il aiguisera contre eux. Depuis ce temps, l’aiguillon croît et perce chaque année. Dans ses voyages du Hartz, d’Italie, et de la mer du Nord, il s’en va chercher et rapporte à la maison des impressions de fleurs, de bois, d’amour dont il garde l’épine, et qui se convertissent chez lui en un miel de colère et de haine. Nés dans des climats différents, ces chants en gardent peu ou point le caractère. C’est une espérance, un désir, rencontrés par hasard, qu’il flétrit en passant, et qui perdent ainsi leur date et leur origine, comme une feuille tombée perd son odeur et sa couleur. Il y a là de ces poèmes nés dans la pure Toscane, sous le soleil de Lucques et de Florence, qui n’ont rien gardé de l’odeur des orangers ni des myrtes, et ne sentent que l’absinthe. On dirait qu’un souffle satanique éteint la différence et l’enchantement des climats et ne laisse voir au fond que le même mot et le même dard partout. Le poète ne rencontre pas sur son chemin une voix de fille, une fleur sur sa tige, sans lui adresser un madrigal méphistophélique. Les étoiles ont beau se cacher toutes prudes sous leurs voiles ; il finit toujours, comme dans les Nuées d’Aristophane, par quelque ironique question qui leur fait pleurer des larmes d’or. Quand il approche de la mer du Nord, c’est le seul endroit où son ironie prenne quelque chose des lieux. Elle devient comme eux ample et colossale ; des nuages de la Baltique, il fait un linceul pour rouler et berner les dieux vivants et les dieux morts, le présent et le passé, et vous quitte là sur la grève avec un éclat de rires si bien que lorsque vous fermez ce livre, qui semblait si frivole, toute la nature est déjà vide, et le ciel désert, et le cœur aussi, et tous les fruits du grand arbre de vie ont été mordus l’un après l’autre d’un noir aiguillon ; et le ver les ronge.

Cruel poète que vous êtes ! Trouvez-vous donc que la ruine fait son chemin trop lentement ! Quand vous frappez si fort au cœur les arbres de cette forêt enchantée de l’Allemagne, n’entendez-vous pas les branches qui soupirent, et les feuilles qui tremblent, et les fleurs qui vous disent : Méchant ! Ce soir, si vous aviez attendu, nous nous serions fanées toutes seules, sans vous.




O Heine ! si vous aimez quelque chose, je vous demande à cause de moi merci pour ce qui vous reste encore de fleurs à sécher et de sources à tarir. Que vous ont fait, dites-moi, ces pauvres villes d’université, qu’il vous faille si amèrement les réveiller et leur barbouiller d’encre le visage avec leurs plumes séculaires ! et Goettingue, et Hambourg, et Munich, et votre ville Düsseldorf ! vous soufflez chaque matin sur elles, et la poussière des vieilles mœurs qui les recouvrait, comme des in-folio rangés depuis mille ans dans leurs bibliothèques, s’en va en fumée, et vous la prenez tout entière pour vous. Mais songez donc à ce qui nous menace aussi par contrecoup en France. Autrefois, quand nos révolutions et notre bruit nous lassaient pour un moment, nous traversions le Rhin, et nous trouvions là, pour nous reposer du présent, le passé tout entier. Il y avait là encore des pensées debout qui nous prenaient sous leurs ailes. Tout ce que nous avions perdu s’était conservé en cet endroit, et nous allions là pour un jour nous abriter dans votre foi. Mais maintenant que vous faites fi de ces rêves, il est bien vrai qu’il n’y a plus place au monde où reposer sa tête pour une heure. Il nous faut songer désormais à dormir debout dans le vent et la tempête.

Encore jusqu’à présent votre satire s’est contentée du Nord ; vous vous servez de la France pour railler l’Allemagne. Mais quand vous en aurez assez de ce jeu, n’y changerez-vous rien ? quand les vieilles coutumes seront chez vous nivelées à votre point, quand il n’y aura plus là bas ni princes, ni docteurs, ni villes, ni villages qui ne vous aient passé par les mains, êtes-vous sûr que votre dard ne se tournera pas vers nous, et que vous ne découvrirez pas chez nous quelque sérieuse espérance à désoler ? J’ai bien peur pour ma part, en voyant d’autres peuples, que vous ne résistiez pas toujours à l’ivresse de choquer ces verres vides l’un contre l’autre, et que dans cette danse des morts, où les croyances humaines font la ronde, vous ne continuiez de siffler joyeusement comme auparavant vos charmantes, et suaves, et sataniques mélodies.

Ainsi, il est donc vrai, le long monologue de l’idéalisme de l’Allemagne a fini par un éclat de rire. Elle a bu sa poésie jusqu’à la lie. Encore une fois son Rhin s’est perdu dans le sable.




Ainsi, un monde entier d’espérances et d’amour se noie en ce moment avec la vieille Allemagne, sans que personne ici tourne la tête pour s’en inquiéter. Là, près de nous, mille fantômes s’évaporent sans bruit, comme ils étaient nés sans bruit. Ces divins rêves, auxquels manque le souffle, ont vécu leur vie rapide. Tout-à-l’heure un univers va s’engloutir sans réveiller seulement l’oiseau dans son nid.

Que signifient donc ces accusations venues récemment de Vienne et d’Edimbourg contre la poésie de la France actuelle ? Croit-on que nous serions bien en peine de montrer ailleurs même misère ? Ruine ici, ruine là bas ; et qui a prétendu jamais que tout ceci fût autre chose qu’une grande mort ? Il s’agit bien vraiment, tant en France qu’en Allemagne, d’hémistiches et de prose qui croulent, quand c’est le poème entier de la société moderne qui s’en va par lambeaux. Ce n’est pas la page seule que j’écris qui est déjà usée et mangée par les vers, c’est le livre où nous écrivons tous, ce livre du présent où les peuples et les rois parlent chacun leur langue, et, qui à cette heure, n’a déjà plus ni marge ni feuillet pour y mettre son nom.




Il faudrait au moins, si l’on veut faire le procès aux fantômes des poètes, que le monde et les pouvoirs actuels fussent moins fantômes qu’eux. Or quelle loi, quelle société, quelle église, quelle religion, je ne dis pas quel homme, mais quelle institution qui ne se donne aujourd’hui pour une ombre et qu’on ne traite en ombre ? qui a aujourd’hui la prétention de vivre sérieusement et autrement qu’en rêve ? Qui se figure, par exemple, que nos lois sont des lois ? que nos rois sont des rois, et ne voit pas que ce sont des fantômes qui n’ont que le visage ? Êtres fantastiques s’il en fut, qui viennent on ne sait d’où, dont le plus grand demeure au plus un jour, qui s’en vont par hasard et qu’on ne revoit jamais. Dans quelle poussière les avez-vous pris hier ? dans quelle poussière les jetterez-vous demain ? Vous ne le savez pas vous-même. Royautés plus chimériques que les rêves d’Hoffmann, plus rapides, plus changeantes que les rêves de la fièvre, leurs couronnes ne sont pas des couronnes ; ce sont des bandeaux que vous leur mettez sur les yeux. Leurs sceptres ne sont pas des sceptres ; ce sont des verges avec lesquelles vous leur frappez le dos. Leurs peuples ne sont pas des peuples. Sans présent, sans passé, sans nom, sans héritage, véritables morts habillés du manteau de la vie, ils escortent dignement ces royautés décapitées.

Avec cela, ne dites pas que la poésie finit ; dites plutôt, telle qu’elle est, qu’elle seule reste vivante. Rien n’existe aujourd’hui que ce qui est dans les cœurs. Il n’est pas une tradition, pas une autorité, pas une lettre écrite qui ne tombe en cendre, si vous la touchez de la main. Dans ce bouleversement du réel, l’idée seule subsiste. Elle seule garde sa couronne éternelle sur sa tête, et il n’y a ni peuple ni roi qui la lui puisse ôter. Là où rien ne prend corps tout redevient pensée. Nous marchons et vivons non dans ce qui est, mais dans le fantôme de ce qui doit être et de ce qui sera demain. Ombres que nous sommes, nous sommes nous-mêmes une poésie, et nous ne la voyons pas.




Sans doute l’idéal que chaque peuple s’était fait de l’absolu se dissipe à chaque heure, en Angleterre, en Allemagne comme en France ; car cet idéal, c’était lui-même. Chacun se dépouille de ses traditions locales, de son art indigène, et jette autour de lui cette feuillée de mille ans. Mais de ces ruines particulières se forme la personnalité du genre humain. Un même génie cosmopolite se met à la place des génies différents d’idiomes et de races. Dans cette poétique du monde, toute idée sera à l’aise, et le vers ni la prose ne seront plus en peine d’y trouver le nombre qu’il leur faut de rimes et de pieds.




De là, véritablement, la mission réelle du poète ne fait que commencer. La vie sociale ne s’en est emparée que d’hier, et déjà il ne peut plus mourir tranquille dans son lit. Le temps est passé où il vivait en paix jusqu’au bout sous son clocher. A cette heure il faut qu’il quitte, avec Byron, avec Chateaubriand, avec Lamartine, sa frontière ou son île. Il faut qu’il supporte et la pluie et le vent, et le froid et le chaud, et l’amour et la haine des climats étrangers ; car son cœur est désormais trop grand pour que ni ville ni village le renferme tout entier. Sa vocation religieuse est d’être le médiateur des peuples à venir. Sa parole n’appartient plus à aucun. Dans l’interrègne des pouvoirs politiques, lui seul redevient souverain. Il est déjà le législateur de la grande fédération européenne qui n’est pas encore.




Le voilà donc désormais seul en compagnie avec son cœur ; toutes les imitations sont épuisées ; toutes les réalités sont évanouies ; tous les chemins connus ne mènent qu’au désert ; toutes les vieilles terres ont donné tous leurs fruits. Il faut que ce Christophe Colomb du nouveau monde idéal se risque au loin, lui seul, dans l’océan de sa pensée. Il va, il va, et cet infini s’accroît toujours. Il va encore, et ce que l’on appelait terre est à présent nuage ; et ce que l’on nommait espoir se nomme à cette heure illusion. Et le peuple qu’il entraîne lui crie : — Je me noie, maître, allons-nous-en. — Mais lui répond : — Demain ! — et demain est un siècle. Et dans la mer de son génie, jamais l’ancre ne se jette, jamais la voile ne se ploie, qu’il n’ait touché la rive où la vie a sa source et qui s’appelle Éternité.

Edgar Quinet
Poètes de l’Allemagne : Henri Heine
Revue des Deux Mondes, Période Initiale
tome 1, 1834
pp. 353-369

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