LA FAUSSE DESINVOLTURE – HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS VI – Als ich, auf der Reise, zufällig

LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine




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Als ich, auf der Reise, zufällig
Quand, en voyage, je rencontrai
Meines Liebchens Familie fand,
La famille de mon aimée,
Schwesterchen, Vater und Mutter,
Sœur, père et mère,
  Sie haben mich freudig erkannt.
Je fus accueilli chaleureusement.

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Sie fragten nach meinem Befinden,
Ils m’interrogèrent sur ma santé,
Und sagten selber sogleich:
Et me dirent dans la foulée,
Ich hätte mich gar nicht verändert,
Que je n’avais pas changé,
Nur mein Gesicht sey bleich.
Seul mon visage semblait plus pâle .






*

Ich fragte nach Muhmen und Basen,
Je demandai des nouvelles des tantes et des cousins,
Nach manchem langweil’gen Gesell’n,
Des nouvelles de vieilles connaissances,
Und nach dem kleinen Hündchen,
Et du gentil petit chiot,
Mit seinem sanften Bell’n.
Avec ses amusants jappements.

*

Auch nach der vermählten Geliebten
 Je continuai sur mon aimée
Fragte ich nebenbei;
Simulant la désinvolture ;
Und freundlich gab man zur Antwort:
Amicalement, ils répondirent
Daß sie in den Wochen sey.
Qu’elle était désormais mariée.

 

*

Und freundlich gratulirt’ ich,
Amicalement, je félicitais cette union,
Und lispelte liebevoll:
Et murmurant avec amour
Daß man sie von mir recht herzlich
Que de ma part
Viel tausendmal grüßen soll.
Ils la saluent mille fois.

*

Schwesterchen rief dazwischen:
La petite sœur intervint :
Das Hündchen, sanft und klein,
Le petit chien si doux et si mignon,
Ist groß und toll geworden,
Est devenu grand et méchant,
Und ward ertränkt, im Rhein.
Qu’il a fallu le noyer dans le Rhin.

*

Die Kleine gleicht der Geliebten,
Comme cette enfant ressemble à mon aimée,
Besonders, wenn sie lacht;
Surtout quand elle rit ;
Sie hat dieselben Augen,
Elle a les mêmes yeux,
Die mich so elend gemacht.
Ceux qui m’ont rendu à ce point misérable.

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HEINRICH HEINE
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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