Anastasius Grün
Anton Alexander Graf von Auersperg
Anton Alexander comte d’Auersperg
1806-1876
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Möchte jedem gern die Stelle zeigen,
Je pourrais montrer à chacun le lieu,
Wo mein Herz so schwer verwundet worden;
Où mon cœur si grièvement a été blessé ;
Aber dir möcht’ ich mein Leid verschweigen,
Mais à toi, je cacherai mon chagrin,
Doch nur dir! denn du allein
Seulement à toi ! Car toi seule
Hast den Dolch, der mich vermag zu morden.
Tiens la dague qui peut me faire disparaître.
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Möchte keinem meine Leiden klagen,
Je préfère ne pas me plaindre de mes souffrances
Aber dir enthüllen alle Wunden,
Mais te révéler toutes ces blessures
Die gar tief mein Herz sich hat geschlagen;
Profondes dans mon cœur qui me tuent ;
Doch nur dir! denn du allein
Seulement à toi ! car toi seule
Hast den Balsam, der mich macht gesunden.
As le baume pour me guérir.
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ANASTASIUS GRÜN
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SUR ANASTASIUS GRÜN
SAINT-RENE TAILLANDIER
1844
Avant cette émeute dont j’ai à m’occuper aujourd’hui, avant cet avènement hautain de la poésie politique, il y a eu, dans l’histoire de ces vingt dernières années, une tentative assez semblable. Un esprit d’opposition, plein de jeunesse, de nouveauté, et animé d’une légitime audace, s’est produit avec éclat dans des vers que l’Allemagne n’a pas oubliés.
UNE NOUVELLE DIRECTION, UN NOUVEAU MOUVEMENT
La poésie, la vraie poésie, offensée trop souvent par les prétentions orgueilleuses de la nouvelle école, était toujours respectée hautement par ce chaste écrivain, et jamais, au plus fort de sa colère et de ses véhémentes apostrophes, jamais il n’avait laissé s’altérer le noble langage auquel il confiait l’expression de sa pensée. M. Anastasius Grün, car c’est de lui que je parle, a véritablement ouvert la direction nouvelle, le nouveau mouvement poétique qui, depuis quelques années, a transformé les lettres allemandes ; mais il a toujours évité les écueils où plus d’un, parmi ceux qui l’ont suivi, ont donné tête baissée.
L’ECOLE DE SOUABE
La langue que parle M. Grün est toujours la belle langue poétique d’Uhland ; il se rattache à cette charmante école de Souabe, si vraiment nationale, si bien parée de toutes les grâces de la nature germanique ; seulement il y fait apparaître un élément nouveau. Tandis qu’Uhland chante la patrie, tandis qu’il vit sur un fonds d’idées générales, M. Grün introduit dans l’école de Souabe quelque chose de plus particulier, il descend aux applications directes, aux problèmes les plus rapprochés, aux questions de chaque jour, et il appelle Rollet un fripon. Les Promenades d’un poète viennois sont le premier témoignage de la poésie politique si accréditée en ce moment, et on peut dire qu’elles en sont demeurées le modèle. Sans doute il y a dans Uhland plus d’une pièce qui semble aussi appartenir à cette direction ; le poète qui a chanté le bon vieux droit avec tant d’amour, le doux chanteur qui a réveillé dans l’esprit de son peuple tous les bons instincts, qui y a entretenu comme une défense le souvenir des anciennes vertus, ce poète peut être nommé parmi ceux qui ont essayé de créer une poésie politique. Toutefois, chez Uhland, cette poésie n’existe pas encore, et de ce fonds d’idées plus général, M. Grün, le premier, a fait sortir la vive et libre audace qui tente aujourd’hui tant de jeunes écrivains. On a remarqué que Béranger étudiait beaucoup La Fontaine ; on a dit qu’il était facile de retrouver dans son style et dans sa pensée maintes traces de la fine et franche tradition gauloise. Eh bien ! le rapport qui existe entre le chantre du roi d’Yvetot et la muse insouciante et hardie qui osait écrire, sous Louis XIV :
Notre ennemi c’est notre maître,
Je vous le dis en bon français ;
ce même rapport est celui qui, toute proportion gardée, unit M. Grün à Uhland. Je tiens à établir nettement cette idée : si M. Anastasius Grün a conservé, selon moi, une supériorité incontestable sur ses jeunes et ardents successeurs, c’est en grande partie à cette position littéraire qu’il en est redevable. Cette filiation poétique, ces relations avec l’école d’Uhland et de Justin Kerner, l’ont préservé de bien des écarts. En conduisant sa muse dans les routes périlleuses, il a pris soin que ses pieds ne fussent pas déchirés par les ronces et qu’elle gardât toujours son chaste vêtement.
UNE CHASTETE D’IDEAL, UN RESPECT RELIGIEUX DE LA FORME
Peut-être même a-t-il poussé trop loin la tendresse de ses scrupules ; il a redoublé d’attention et de vigilance, il a surveillé sa pensée et son langage avec une pudeur inquiète, tant il apercevait les périls de la carrière où il s’engageait ! On lui a reproché, et avec raison, une certaine afféterie, un soin trop minutieux des parures de la muse ; mais la langue souvent un peu grossière de ses successeurs est venue justifier ses craintes et absoudre ses fautes. Une grande chasteté d’idéal, un respect religieux de la forme, n’étaient pas un grand mal pour celui qui ouvrait une route où les erreurs contraires sont si fréquentes. M. Grün prenait ses précautions avec une louable intention d’artiste. J’oserais le comparer à l’auteur de Stello pour ce soin exquis et pur, et je m’assure que M. de Vigny, s’il eût hasardé sa muse dans cette direction dangereuse, n’aurait pas eu pour elle moins de respect et de sollicitude. Ce souci de M. Grün s’explique très bien et par son amour de l’art, par son attachement filial à l’école d’Uhland, et aussi peut-être par un sentiment élevé qui est propre à sa nature et au nom qu’il porte.
LES HARDIESSES DU LIBRE PENSEUR PROTEGEES PAR CETTE FORME PURE
On sait, en effet, qu’Anastasius Grün est un pseudonyme, et que le poète chaste et hardi qui a donné à l’Allemagne la poésie politique est un gentilhomme autrichien, M. le comte d’Auersperg. Le succès des Promenades d’un poète viennois fut immense. L’audace inattendue des idées saisit énergiquement les âmes ; en même temps, comme il y avait là un sentiment exquis de l’art, comme ce n’étaient point des dissertations rimées, mais bien de la vraie poésie, toutes les hardiesses du libre penseur, protégées par cette forme pure, pénétrèrent partout avec une merveilleuse promptitude. Je ne crains pas d’affirmer que la publication de ce livre fut un événement pour l’Allemagne. On eut beau le proscrire et le défendre, le coup était porté ; l’expérience avait réussi ; la muse allemande, si dédaigneuse autrefois du monde réel, savait désormais qu’elle pouvait se hasarder dans les rues de la ville, et quitter l’empyrée pour la terre.
LONGTEMPS LE SEUL REPRESENTANT DE LA POESIE POLITIQUE
Pendant longtemps M. Anastasius Grün fut le seul représentant de la poésie politique. Il y a quatre ans seulement qu’une jeune et active phalange s’est formée tout à coup, les uns pleins de gaieté, les autres plus sévères, ceux-ci agitant leurs grelots, ceux-là sonnant des fanfares. Les bruits de guerre que provoqua le traité du 15 juillet 1840, et l’hostilité passagère ranimée un instant entre la France et l’Allemagne, en furent la première occasion. Tant que M. Grün avait été seul, comme la direction de sa pensée était le produit d’une réflexion austère, d’une étude calme et désintéressée, l’art sérieux l’avait adoptée sans réserve. Au contraire, la poésie, chez les écrivains dont je vais parler, se ressentira de la commotion brusque et rapide d’où elle est née. Lors même qu’ils n’auraient pas renié insolemment leur habile devancier, il eût été facile de voir qu’ils ne suivaient pas la même route, et que bien des différences littéraires les séparaient. Ils n’ont d’ailleurs voulu nous laisser aucun doute à cet égard, et M. Grün a été plus d’une fois traité par eux avec un incroyable dédain. C’est donc une chose bien entendue : nos nouveau-venus ne relèvent que d’eux-mêmes ; ils sont seuls responsables de leurs œuvres ; soit, nous ne demandons pas mieux si l’arrogance de leur début et le talent même dont ils ont fait preuve nous autorisent à les juger avec une entière franchise…
Saint-René Taillandier
LA POESIE ET LES POETES DEMOCRATIQUES
De la littérature politique en Allemagne
Revue des Deux Mondes
Période Initiale
Tome 6
1844