LA SIRÈNE – POÈME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS XII – DIE HEIMKEHR

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

Der Abend kommt gezogen,
La soirée commence à se dessiner,
 Der Nebel bedeckt die See;
Le brouillard couvre la mer ;
Geheimnisvoll rauschen die Wogen,
Bruit mystérieux des vagues.
  Da steigt es weiß in die Höh’.
Une blancheur émerge au milieu des ondes.

*

Die Meerfrau steigt aus den Wellen,
La sirène sort des flots,
Und setzt sich zu mir an den Strand;
Et s’assied avec moi sur la plage ;
Die weißen Brüste quellen
Les seins d’albâtre gonflent
Hervor aus dem Schleiergewand.
Le tissu de son voile.

*

Sie drückt mich, und sie preßt mich,
Elle me pousse et me presse,
 Und tut mir fast ein Weh; –
Presque à m’étouffer ; –
« Du drückst ja viel zu fest mich,
« Tu m’étreins si fort,
Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 

*
« Ich preß dich, in meinen Armen,
« Je te presse dans mes bras,
 Und drücke dich mit Gewalt;
Et je t’étreins de toute ma force ;
Ich will bei dir erwarmen,
Je veux me réchauffer à toi,
Der Abend ist gar zu kalt. »
Le soir est si glacial« .

*

Der Mond schaue immer blasser
La lune apparaît toujours plus pâle
Aus dämmriger Wolkenhöh’;
Entre de noirs nuages ;
 « Dein Auge wird trüber und nasser,
« Tes yeux sont humides et ternes,
Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 


*
« Es wird nicht trüber und nasser,
« Ils ne sont ni humides ni ternes,
 Mein Aug’ ist naß und trüb,
Mes yeux ne sont ainsi,
Weil, als ich stieg aus dem Wasser,
Que lorsque je sors de l’eau,
Ein Tropfen im Auge blieb. »
Car une goutte y est restée « . 

*

Die Möwen schrillen kläglich,
Les mouettes ricanent lamentablement
 Es grollt und brandet die See; –
Dans le grondement de la mer ; –
 « Dein Herz pocht wild beweglich,
« Ton cœur bat sauvagement,
 Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 

*
« Mein Herz pocht wild beweglich,
« Mon cœur bat sauvagement,
Es pocht beweglich wild,
Et s’il palpite violemment,
Weil ich dich liebe unsäglich,
C’est parce que je t’aime divinement,
Du liebes Menschenbild! »
Toi, fils aimé des hommes ! « 

 


 

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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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DIE HEIMKEHR HEINE