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POEME de João da Cruz e Sousa – POEMAS João da Cruz e Sousa – Poésie de Cruz e Sousa

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Traduction Jacky Lavauzelle João da Cruz e Sousa

João da Cruz e Sousa Traduction Jacky Lavauzelle Literatura Brasileira




Traduction du Brésilien Jacky Lavauzelle
João da Cruz e Sousa


João da Cruz e Sousa
poète brésilien

Dante Negro – Cisne Negro




 Obra Poética 





 

João da Cruz e Sousa
POEMAS
POEMES

 

Traduction Jacky Lavauzelle

 

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HUMILIDADE SECRETA
HUMILITE SECRETE
1900

Fico parado, em êxtase suspenso,
Je reste immobile, en suspens extatique,
  Às vezes, quando vou considerando
Parfois, quand je considère

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DIVINA
DIVINE
1900

Eu não busco saber o inevitável
Je ne cherche pas à connaître l’inévitable
Das espirais da tua vi matéria.
Des spirales de ta vie matérielle.

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Visão
VISION
1900

Noiva de Satanás, Arte maldita,
Epouse de Satan, Art maudit,
Mago Fruto letal e proibido,
 Fruit mortel magique et interdit,

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O SONETO
LE SONNET
1905

Nas formas voluptuosas o Soneto
Des formes voluptueuses, le Sonnet
Tem fascinante, cálida fragrância
A cette douce et fascinante fragrance

Traduction Jacky Lavauzelle

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DE ALMA EM ALMA
D’ÂME EN ÂME
1905

Tu andas de alma em alma errando, errando,
Errant, tu marches d’âme en âme, errant,
Como de santuario em santuario.
Comme de sanctuaire en sanctuaire.

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Dilacerações
Déchirements

Ó carnes que eu amei sangrentamente,
Ô chairs que j’aimais ensanglantées,
  ó volúpias letais e dolorosas,
O voluptés mortelles et douloureuses,

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Siderações
Sidérations
1893

Para as Estrelas de cristais gelados
Pour les étoiles de cristaux glacés
  As ânsias e os desejos vão subindo,
Les envies et les désirs croissent,

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OCASO NO MAR
COUCHER DE SOLEIL EN MER
1893

Num fulgor d’ouro velho o sol tranqüilamente desce para o ocaso, no limite extremo do mar, d’águas calmas, serenas, dum espesso verde pesado, glauco, num tom de bronze.
Dans une lueur de vieil or, le soleil descend tranquillement pour un coucher à la limite extrême de la mer, sur des eaux calmes, sereines, d’un épais et pesant vert, glauque, d’un ton de bronze.

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O simbolismo no Brasil

« No Brasil, a lírica simbolista sente diretamente as influências da França, sem passar pela experiência portuguesa, como aconteceu nas escolas literárias anteriores. Em 1891, um grupo de poetas do Rio de Janeiro, reunido em torno da Folha Popular, introduz a nova moda poética. Entre eles se destaca a figura de João da Cruz e Sousa (1861–1897). Podemos distinguir duas fases no seu itinerário poético: com a publicação de Missal e Broquéis (1893), Cruz e Sousa imita o gosto baudelairiano pelo erotismo e o satanismo; mais tarde, na fase da maturidade, ele repudia a atitude decadente, estranha à realidade brasileira, enveredando pelo filão do lirismo metafísico, místico, religioso. Simbolista mais fecundo é o mineiro Alphonsus de Guimaraens (1870–1921). Ele soube conciliar o anseio de transcendência, característica essencial do Simbolismo, com a sua fé católica, sublimizando o esoterismo no cristianismo. Usando com uma certa parcimônia as inovações técnicas da estética simbolista — rimas internas, aliterações, assonâncias, extrema preocupação com o ritmo do verso, léxico requintado, frouxidão sintática, metáfora sinestética —, Guimaraens constrói uma poesia altamente melódica. Antológico é o seu poema Ismália, onde a « Lua », a « torre », a « loucura » são símbolos da alma humana, dividida entre o mundo da realidade, da sombra, e o mundo do sonho, da verdade transcendental. »

Dicionário de Cultura Básica por Salvatore D’ Onofrio
Simbolismo
Symbolisme

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Cruz e Sousa & Alphonsus Guimaraens
LA LITTERATURE SYMBOLISTE AU BRESIL

Au Brésil, les symbolistes tirent directement leurs influences de la France, sans passer par une expérience portugaise, comme cela est arrivé dans les écoles littéraires précédentes. En 1891, un groupe de poètes de Rio de Janeiro, se réunissent autour de la Folha Popular, la « Feuille Populaire », qui représente cette nouvelle mode poétique. Parmi eux se trouve la figure de João da Cruz e Sousa (1861-1897). On peut distinguer deux phases dans son parcours poétique : avec la publication du Missal et Broquéis (1893), Cruz e Sousa imite le goût baudelairien pour l’érotisme et le satanisme ; plus tard, dans sa maturité, il répudiera cette attitude décadente, étrangère à la réalité brésilienne en se lançant dans un lyrisme métaphysique, mystique, religieux.
Un symbolisme plus fécond se retrouve chez Alphonsus Guimaraens (1870-1921). Il savait concilier la transcendance du désir, caractéristique essentielle du symbolisme, avec sa foi catholique, en sublimant l’ésotérisme dans le christianisme. Il utilisa certaines innovations techniques de l’esthétique symboliste : rime interne, allitération, assonance, extrême préoccupation au rythme des vers, lexique raffiné, le laxisme syntaxique, métaphore synesthésique – Guimaraens construit une poésie très mélodique. Anthologique est son poème Ismaïlia, où la « Lua« , la « torre« , la « loucura » (« Lune », la « tour », la « folie ») sont des symboles de l’âme humaine, séparant monde de la réalité, obscur, et le monde du rêve, de la vérité transcendantale.
Dictionnaire de la culture de base par Salvatore D ‘Onofrio
Symbolisme

Trad. (JL) du texte de Salvatore D’ Onofrio

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POEMAS  João da Cruz e Sousa
Poésie de Cruz e Sousa

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Traduction Jacky Lavauzelle João da Cruz e Sousa

João da Cruz e Sousa Traduction Jacky Lavauzelle Literatura Brasileira

EMILY BRONTË The Old Stoic Le Vieux stoïque 1841

LITTERATURE ANGLAISE -English Literature – English poetry

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EMILY BRONTË
30 July 1818 – 19 December 1848
30 Juillet 1818 – 19 décembre 1848

Traduction – Translation

TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

French and English text
texte bilingue français-anglais

 


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THE OLD STOIC

LE VIEUX STOÏQUE

March 1841
Mars 1841

 




Riches I hold in light esteem,
Les richesses, je les estime peu,
And Love I laugh to scorn;
Et l’amour, je le méprise ;
And lust of fame was but a dream,
Et la luxure de la gloire : un rêve,
That vanished with the morn:
Disparu au petit matin :

 






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And if I pray, the only prayer
Et si je prie, la seule prière
That moves my lips for me
Qui meut mes lèvres
  Is, « Leave the heart that now I bear,
Est : « Laisse désormais le cœur que je porte,
 And give me liberty! »
Et donne-moi la liberté! »

 






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Yes, as my swift days near their goal:
Oui, alors que mes derniers jours arrivent :
 ‘Tis all that I implore;
C’est tout ce que je demande ;
In life and death a chainless soul,
Dans la vie et dans la mort, une âme sans chaînes,
 With courage to endure.
Avec le courage de supporter.

 

*
 
 

 





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SUPPLEMENT

LES SOEURS BRONTË
VERS 1841

En 1841, Charlotte quitta de nouveau Haworth pour une position de gouvernante. Cette fois elle tomba dans une maison hospitalière et chez des maîtres bienveillants, mais elle s’aperçut bientôt que ce métier n’était décidément pas fait pour elle. La société des enfants ne convient pas aux personnes tristes et éprouvées par la douleur. Sa timidité lui créait une foule de petits obstacles. « Je ne sais comment faire pour réprimer la familiarité bruyante des enfans. J’éprouve une difficulté extrême à demander aux domestiques ou à ma maîtresse les choses qui me sont nécessaires, quelque besoin que j’en aie. J’ai moins de peine à supporter les plus grands embarras qu’à descendre à la cuisine pour prier qu’on m’en délivre. Je suis une folle, mais Dieu sait que je ne puis faire autrement. » Charlotte d’ailleurs à cette date avait l’esprit bien loin des occupations vulgaires auxquelles elle était assujettie. Dans sa tête commençaient à bouillonner confusément une foule de personnages, de paysages, d’aventures, qui cherchaient à se dégager de leurs limbes, et imploraient Charlotte de les faire venir au jour. Charlotte n’avait pas un instant à donner à l’imagination, qui devenait de plus en plus impérieuse. En outre, elle réfléchit que ce métier de gouvernante, avec des gages de 16 liv. (400 fr.) par an, n’était pas un avenir. Elle reprit le projet, déjà abandonné une fois, de tenir un pensionnat, Celui de miss Wooler était à vendre. Il lui avait été offert ; mais deux difficultés l’arrêtaient : il lui fallait un petit capital et deux années de travaux préparatoires dans l’étude du français et de l’allemand. Elle décida sa tante à risquer une petite somme qui devait être partagée entre les premiers frais d’établissement et les frais d’éducation supplémentaire qui lui était devenue indispensable. La tante consentit : Charlotte et Emilie partirent pour le continent et débarquèrent à Bruxelles, dans le pensionnat de M. Héger, où elles devaient compléter leur éducation.

 

 






Les deux sœurs transportèrent avec elles sur le continent les aiguillons de souffrance qui les avaient blessées sans relâche, et sentirent plus vivement leurs piqûres au milieu d’un monde étranger. Leur timidité était telle qu’une dame anglaise, qui les invitait de temps à autre à venir chez elle, cessa de le faire, parce qu’elle s’aperçut que ces invitations leur causaient plus de peine que de plaisir. Emilie prononçait à peine quelques monosyllabes : quant à Charlotte, elle causait quelquefois éloquemment, lorsqu’elle était en veine de sociabilité ; mais avant de se décider, elle avait l’habitude de se détourner sur sa chaise de manière à cacher son visage à son interlocuteur. Toutes les gaucheries de la solitude étaient désormais inséparables de leur personne. Les deux sœurs vécurent à peu près exclusivement dans la société l’une de l’autre ; elles avaient à Bruxelles deux amies d’enfance, l’une d’elles mourut bientôt. Ces deux écolières, dont l’une avait vingt-six ans et l’autre vingt, n’avaient dans leur exil qu’une pensée : apprendre bien vite ce qu’il leur était nécessaire de savoir et quitter ce monde maudit. Le continent leur faisait horreur. Tout autour d’elles était si différent de leur manière de vivre et de sentir. Elles flairaient des corruptions qui leur étaient inconnues. Jamais Scythe ou Germain antique n’a été plus scandalisé de la corruption de la Grèce et de Rome que ces deux petites sauvages du Yorkshire ne le furent des mœurs et du culte qu’elles avaient sous les yeux. Les impressions de Charlotte sont loin d’être favorables au continent en général, au peuple belge et à la religion catholique en particulier ; mais elles sont curieuses, et nous en transcrivons quelques-unes en lui en laissant toute la responsabilité.

« Si l’on doit juger du caractère national des Belges par le caractère de la plupart des jeunes filles de l’école, c’est un caractère singulièrement froid, égoïste, bête et inférieur. Elles sont très indociles, et donnent beaucoup de peine à leurs maîtresses. Leurs principes sont pourris au cœur. Nous les évitons, ce qui n’est pas difficile, car nous avons sur notre front la marque réprouvée du protestantisme et de l’anglicisme. On parle du danger auquel les protestants s’exposent en allant vivre dans les pays catholiques, où ils courent risque de perdre leur foi. Le conseil que je donnerai à tous les protestants assez assotés pour se faire catholiques est d’aller sur le continent, d’assister soigneusement à la messe pendant quelque temps, d’en bien noter les momeries, ainsi que l’aspect idiot et mercenaire de tous les prêtres, et puis, s’ils sont disposés à voir autre chose dans le papisme qu’un système de pauvres mensonges bien puérils, qu’ils se fassent papistes, et grand bien leur en advienne ! Je considère le méthodisme, le quakerisme et les opinions extrêmes de la haute et de la basse église comme des folies, mais le catholicisme romain surpasse tout cela. En même temps permettez-moi de vous dire qu’il y a quelques catholiques qui sont aussi religieux que peuvent l’être des chrétiens pour qui la Bible est un livre scellé, et qui valent mieux que beaucoup de protestants. »

Émile Montégut
critique français (1825 – 1895)
Miss Brontë, sa Vie et ses Œuvres
I. — La Vie anglaise, la Famille et la Jeunesse de Miss Brontë
Revue des Deux Mondes
2e, tome 10, 1857






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LES TROIS SOEURS BRONTË
par/by Branwell Brontë
From left to right: Anne, Emily and Charlotte
De gauche à droite : Anne, Emily et Charlotte

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Władysław Stanisław REYMONT – L’APOSTOLAT DU KNOUT : LA SAUVAGE ENERGIE DU DESESPOIR

Littérature Polonaise –
Literatura Polska

Władysław Stanisław REYMONT
1867-1925

L’APOSTOLAT DU KNOUT 

La Sauvage énergie
du désespoir

Wladyslaw-Stanislaw REYMONT - L'APOSTOLAT DU KNOUT Artgitato

L’apostolat qu’envoie l’église orthodoxe au pays de Chełm, à quelques kilomètres de l’actuelle frontière avec l’Ukraine, est un ministère de force et de sang. Un ministère ne portant pas en son sein l’amour du prochain, ni dans sa langue la compassion que l’on devrait attendre d’une religion, encore moins le désir de comprendre et d’aider. Celui-ci montre ses bottes, et fait entendre dans cet horizon fermé le son du fouet russe, le claquant du knout. Le poing plutôt que la main tendue.

IL FAUT DECATHOLICISER LA PODLACHIE

Il faut décatholiciser la Podlachie, récemment annexée par la Russie, en remplaçant le curé par le pope, un baptême par un autre, redonner des nouveaux sacrements orthodoxes, dans la douleur et le désespoir des familles. Cette russification de cette nouvelle province russe c’est l’enfance qu’a vécu Stanislas Reymont et c’est l’histoire qu’il conte avec dans la bouche le goût de l’amertume et de la peine, « afin que vous ayez un tableau plus complet de la vie  des Uniates avant l’Acte de tolérance. »


FAIRE DISPARAÎTRE LEUR RELIGION ET LEUR LANGUE

Nous sommes vers 1875, dans une des plus violentes répressions de ce siècle. Une oppression jusqu’au-boutiste, intransigeante, infernale. C’est un rouleau compresseur organisé qui s’abat sur de pauvres paysans démunis. Systématiquement. Ces polonais, décharnés, humiliés, oubliés ne pourront compter que sur leur solidarité et sur leur foi.

DES OMBRES MUETTES D’UNE INCONSOLABLE TRISTESSE

1875, sept ans après la naissance de Stanislas Reymont. Dans sa jeunesse, il subit cette domination russe dans une famille de douze enfants. Toute sa famille, sa mère et ses oncles, dont l’un d’entre eux fut condamné aux travaux forcés en Sibérie, prendra part à l’insurrection de  1863 contre la Russie. Et c’est dans une totale et profonde ferveur catholique que le jeune Stanislas sera élevé. Dans cet esprit de résistance, Stanislas vivra sa foi dans une Pologne rurale, russifiée, où il lui était interdit de parler sa langue natale, le polonais. Il aidera son père dans les offices religieux et devient l’organiste de sa paroisse. Il apprend la musique, le latin, les textes sacrés. Il étudie et regarde ces paysans et leur quotidien. Dans chacune de ses phrases, un énorme respect et une complice compassion devant la rudesse de ces vies ; « Les gens travaillent aux champs comme des ombres muettes. Nulle part d’appels joyeux, de rires ou de chansons. Une inconsolable tristesse enveloppe ces plaines infinies. »

LA DANSE DES KNOUTS

A travers ce combat, de la douleur et de la souffrance, à travers la perte de leur intégrité physique, « La moitié des gens y perdirent bras et jambes, mais pas un ne renia sa foi », mais toujours dans l’espérance de la foi. A chaque solution des catholiques polonais, un autre acharnement des nouveaux conquérants : «  alors ils trouvèrent autre chose. Ils nous défendirent de nourrir nos bestiaux. Et pendant une semaine, nuit et jour on n’entendit plus dans le village que des cris et des hurlements. Ces bêtes enrageaient de faim, rongeaient leurs râteliers, se jetaient contre les murs et finissaient par crever. Défense de leur porter un seau d’eau, une poignée de paille, sinon les knouts entraient en danse. » Et toujours cette dignité au-delà du supportable.

JUSQU’A L’OUBLI DES FORMES HUMAINES

L’âme noircit mais ne se perd pas, « leur âme s’enténébra comme une nuit d’hiver, et quand les derniers beuglements se furent tus dans le lointain, la chaumière ressemblait à une tombe déserte sur laquelle planerait le spectre du désespoir. La femme pleurait, inconsolable. L’homme accroupi devant la cheminée, se consumait de chagrin comme le misérable feu qu’il fixait d’un air hébété »

DANS L’ESPOIR D’UN AVENIR MEILLEUR

A chaque vague de répression, nous pensons que le groupe va imploser, que cette solidarité va s’effriter, que des miettes seront ramassées par des popes arrogants. « Eux, restaient là sans mouvement, anéantis sous le malheur. Des voisins vinrent jeter un coup d’œil, mais apercevant ces visages qui n’avaient plus forme humaine, ils s’enfuirent épouvantés. Enfin, tard dans la nuit, les cris de leurs enfants affamés les tirèrent de leur torpeur.» A chaque nouvel assaut, plus rude et violent que le précédent, la résistance humaine, déjà mise à rude épreuve, semble ne plus pouvoir tenir. Mêmes prostrés et disloqués,  ils tiennent. Tel un bout de bois arraché d’un vaisseau flottant, avec encore le nom du navire sur son côté. Une force plus grande, invisible, permet de supporter l’insupportable, de rester debout, et de continuer à vivre, sans se laisser glisser et s’abandonner. «Vous avez cependant résisté tant d’années – c’est vrai, mais Dieu seul sait ce que nous avons enduré. Tout ! C’est qu’on espérait toujours des temps meilleurs ».

UNE SEMENCE DE CROIX DANS UNE TERRE INCULTE

Mais si la force est invisible, elle est matérialisée partout, sur chaque flanc de colline, de nombreuses croix. La croix qui rappelle la foi, la résistance et toutes les peines subies, le sang versé. La croix qui rentre dans cette terre et qui parle d’un futur de combat. « Aux flancs dénudés et sablonneux des collines, les croix du cimetière ressemblent à des bataillons en déroute, qui tendraient vers les maisons leurs bras désespérés…- Là aussi je vois beaucoup de nouvelles croix, 

dis-je, en en montrant une fraîchement érigée et encore à peindre. – Eh ! Ils en ont tant mis que s’il fallait y faire attention on devrait toujours avoir la toque à la main… Je crus d’abord que c’était la tombe d’un suicidé, mais plus tard, au cours de mes pérégrinations, j’en vis d’autres semblables, à  travers les champs et les bois, sur des landes incultes. »

LES GENS GLISSENT, PÂLES ET DEFAITS

La présence de la mort plane constamment. Sans être une amie, elle reste familière. Elle ne les effraie pas. Toutefois, elle fait peser une lourde chape. Finie la joie. Finies les fêtes. « Le village ressemblait à un cimetière ; plus de chants, plus de danses, on ne savait même plus rire. Les gens glissaient comme des ombres, pâles, défaits, mortellement tristes, rongés de misère et de tristesse… Le village en deuil ne résonnait plus que de chants funèbres. Chaque soir on allumait des cierges, on récitait les prières des agonisants, et toute la nuit des supplications éplorées montaient vers des «étoiles… Tout le village, comme un seul homme, se jeta à travers la lisière que, des profondeurs obscures, une apparition terrible de spectres venaient à leur rencontre. C’étaient-elles ! Tordues jusqu’à terre, s’appuyant à des branches, presque nues, décharnées comme des squelettes… Les gens pleuraient devant cette détresse sans nom ; sur ces visages creusés par la souffrance, les larmes ruisselaient comme la pluie qui fouettait les arbres de la place. » 

LA VICTOIRE SUR LA MORT

C’est dans cette proximité avec les morts et la mort, que ces femmes semblent avoir passées cette retraite inimaginable, dans la forêt, seules avec leurs enfants, elles sont devenues telles des mortes, des squelettes ou des morts-vivants errants dans le plus profond du bois. La mort a dû passer à de nombreuses reprises sans les voir ou sans penser, un seul instant, qu’il puisse s’agir d’un semblant d’humain.

Mais au-delà de la souffrance, c’est une  inhumaine résistance  qui défie à chaque fois la mort aux portes de chaque chaumière. «Mais aussi radieuses que le soleil et le printemps, victorieuses comme la vie même ! Elles avaient vaincu la faim, la peur, l’abandon, le froid, les maladies ; elles avaient vaincu la mort et sauvé leurs enfants et voici qu’elles revenaient, ces grandes, ces saintes âmes, à leurs foyers, à leurs maisons, aux labeurs, aux luttes de chaque jour… Des semaines durant, je parcourus ces plaines voilées de mélancolie, où chaque village était depuis des années, une citadelle imprenable combattant de la sainte cause… Et je sentis aussi toute la grandiose horreur de ce martyrologe de vivants et de morts, martyrologe unique au monde, écrit avec le sang et les larmes d’un peuple…Toujours prêts à de nouvelles souffrances et à de nouveaux sacrifices pour la cause. »

 LE SOUFFLE D’AMERTUME DES CAMPAGNES

Le temps lui-même est de la partie. Sinistre, il est contre ces hommes, il les aspire, les use. Mais la pluie ne trouve que des rochers humains, des rocs. La continuité des flots et l’agression incessante des éléments, qu’il s’agisse de ce froid humide et glacial, ou de cette chaleur brulante et terrible de ces étés de feu, ne font que lustrer cette peau tannée et quasi-insensible de ces femmes et de ces hommes. « Un jour terne, pluvieux, passa sur les paupières flétries de la pauvre femme… Je compris alors pourquoi ces campagnes exhalent comme un souffle d’amertume, pourquoi des pleurs s’élèvent la nuit, aux croisements des chemins ; pourquoi le grondement des bois y est plus lugubre qu’ailleurs, le chant des oiseaux plus triste, le gémissement du vent plus déchirant ; et pourquoi, sous ce ciel toujours bas, les gens se font petits, silencieux, recueillis, cachant sous leurs paupières de furtives lueurs, pleins de force héroïque et têtue de l’endurance… 

UN CREPUSCULE VERDÂTRE
ENVELOPPAIT LA TERRE

Le jour tombait, un crépuscule verdâtre enveloppait la terre, dans le village des lumières s’allumaient… Chaque jour des pluies interminables tombaient, chaque jour des ouragans furibonds se déchaînaient sur le village, roulaient à travers champs et s’en allaient frapper la lisière du bois qui renvoyait des hurlements si farouches et des clameurs si poignantes que les gens croyaient entendre dans le sifflement de la tempête des plaintes de femmes, des pleurs d’enfants et des râles d’agonie… Le vent soufflait fort, la poussière dansait sur la route, le tonnerre grondait et le ciel, devenait de plus en plus noir…Mais l’orage tenait toujours bon. Le temps était si noir qu’il ne voyait pas plus loin que le bout de son nez. La forêt se couchait sous le vent, les coups de tonnerre partaient l’un après l’autre. Les gros sapins craquaient comme des allumettes et les éclairs déchiraient le ciel en deux. »

Jacky Lavauzelle

( trad. P Cazin ed Rombaldi)