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VIE & OEUVRE DE JUVENAL

Decimus Iunius Iuvenalis
JUVENAL
~50 -après 128

John Dryden
1711 

 








LITTERATURE LATINE

JUVENAL
VIE & OEUVRE
LES SATIRES

 

LES SATIRES

Les chroniques de Nuremberg
Michael Wolgemut – Wilhelm Pleydenwurff
Gravure sur bois XIVe siècle

Première Satire
SATVRA I

***

JUVÉNAL ET SON TEMPS
de
GASTON BOISSIER
(Revue des deux mondes)
1870

**

JUVENAL (Satires)
Non à l’hellénisation de Rome !

***********

RENDRE AU POETE JUVENAL
SA VRAIE FIGURE

« Il est surprenant que ce problème n’ait pas tenté plus de critiques. Celui qui jusqu’ici l’a le plus franchement abordé chez nous, c’est M. Nisard dans ses Études sur les poètes latins de la décadence. Le chapitre qu’il a consacré à Juvénal est l’un des meilleurs de son livre ; il est écrit de verve et plein d’observations nouvelles et piquantes. Seulement les conclusions en sont trop rigoureuses : M. Nisard ne voit en Juvénal qu’un moraliste sans conscience et sans conviction, un indifférent qui s’emporte à froid, un coupable peut-être qui, craignant d’être grondé, prend les devants et crie plus fort que tout le monde. Il n’a pas non plus rendu assez justice au talent de l’auteur qu’il étudiait. La rigueur de ses principes littéraires, sa préférence exclusive pour la perfection classique, l’empêchent quelquefois de sentir pleinement la grandeur des littératures de décadence. Il a trop pris l’habitude des développements réguliers et des horizons calmes pour se laisser jamais séduire à ces beautés mêlées et heurtées qui inquiètent le goût, mais qui impriment à l’âme de si vives secousses. Il n’en reste pas moins à M. Nisard le mérite d’avoir cherché à nous donner un Juvénal véritable et de nous avoir délivrés de celui que le pédantisme de la tradition imposait depuis des siècles à l’admiration servile des écoliers. C’est sur ses traces qu’il faut marcher pour rendre au poète sa vraie figure. »

Gaston Boissier
Les Mœurs romaines sous l’empire
Revue des Deux Mondes
Deuxième période
Tome 87
1870

SATIRES JUVENAL I 1-14 CONTRE L’IMPUNITE DES ORATEURS

SATIRES JUVENAL I 1-14
TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE

Decimus Iunius Iuvenalis
JUVENAL
~50 -après 128

Les chroniques de Nuremberg
Michael Wolgemut – Wilhelm Pleydenwurff
Gravure sur bois XIVe siècle

 








LITTERATURE LATINE

JUVENAL
LES SATIRES
I 1-14

Contre l’impunité des orateurs

TROP C’EST TROP
Les quatorze premiers vers des Satires montrent l’exaspération de Juvénal. Trop c’est trop. Il ne peut plus s’abstraire d’écrire sur l’ensemble des excès qu’il constate constamment.
Ecouter est une chose. Mais écouter quoi ? « Semper ego auditor tantum? »
JUVENAL EST UN PROBLEME POUR NOUS
Juvénal se sent agressé. Il réagit et sa réaction est violente et rude. Pourtant, comme le souligne Gaston Boissier dans son Juvénal et son temps (Revue des deux mondes), nous sommes devant ce qui nous paraît être une contradiction : « C’est pourtant à l’aurore de ces beaux jours, au moment où Rome devait être le plus sensible à ce bonheur qui lui était inconnu, qu’une voix discordante et emportée s’élève, qui accuse son temps avec une violence inouïe, et qui voudrait nous faire croire que jamais l’humanité n’a été si criminelle ni si misérable. Juvénal est un problème pour nous. Quand on songe qu’il vivait sous Trajan et sous Hadrien, que le siècle qu’il a si maltraité est celui dont les historiens nous font de si grands éloges, on ne sait comment expliquer son amertume, on ne peut rien comprendre à sa colère. Pourquoi s’est-il mis ainsi en contradiction avec tous ses contemporains ? Comment se décider entre eux et lui ? Qui donc trompe la postérité, qui nous a menti, de l’histoire, qui dit tant de bien de cette époque, ou du poète qui en a laissé des tableaux si repoussants ? »

Où EST PASSEE L’ELOQUENCE DE JADIS ?
Juvénal ne critique pas à proprement parler les textes, mais ce que l’on en fait. Les acteurs, les orateurs sont les objets de sa critique.
L’auteur du Mens sana in corpore sano (X) critique la longueur infinie des œuvres contemporaines. Il se moque moins de Cordus, auteur d’une Théséide, que de la prestation enrouée (rauci – rauque) qu’il doit subir.
Nous ne sommes plus dans le rayonnement et la puissance de l’art oratoire, plus d’un siècle plus tôt, d’un Cicéron faisant relaxer Lucius Licinius Murena contre son ami Servius Sulpicius Rufus, le plus grand juriste de son époque. On parlait alors du « génie de l’éloquence« . Avec Juvénal, cet art s’est délité, généralisé, popularisé.
Le siècle d’or de l’éloquence est passé, ce Ier siècle avant Jésus-Christ. Le IIème siècle avait ouvert la voie pour cette future profusion  : « Le style de Caton étoit sec & dur ; celui de Caïus Gracchus étoit marqué au coin de la violence de son caractere : enfin les orateurs de cet âge ébaucherent seulement les premiers traits de l’éloquence romaine ; elle attendoit sa perfection du siecle suivant, je veux dire, celui où regnerent les dictateurs perpétuels. Jamais on ne vit les Romains plus grands ni plus magnifiques que dans ce troisieme âge : Arts, Sciences, Philosophie, Grammaire, Rhétorique, tout se ressentit de l’éclat de l’empire, & eut, pour ainsi dire, part à la même élévation ; tout ce qu’il y avoit de brillant au-delà des mers, se réfugioit comme à l’envi dans Rome à la suite des triomphes. » (Jaucourt – L’Encyclopédie, Première édition – 1765 – Tome 11)
Marcus Cornelius Fronto, Fronton, cité ci-dessous, est un grammairien contemporain de Juvénal, auteur d’un traité De eloquentia.

LA TRADUCTION DE LOUIS-VINCENT RAOUL
Louis-Vincent Raoul
 () traduit ces premiers vers de la manière suivante, légèrement différente de celle proposée ci-dessous :








« Me faudra-t-il toujours écouter sans répondre !
Sans pouvoir, sots lecteurs, à mon tour vous confondre !
Quoi ! Codrus s’enrouant jusqu’à perdre la voix,
M’aura de son Thésée assassiné cent fois !
J’aurai pu du Téléphe endurant la lecture,
Pendant tout un grand jour, rester à la torture !
L’un m’aura sans pitié lu ses drames latins !
L’autre, en vers langoureux, soupiré ses chagrins ?
Celui-ci, dans vingt chants, en attendant le reste,
Page, marge et revers, déclamé son Oreste !
Et je le souffrirai ! Non, je suis las enfin
Du bois sacré de Mars, de l’antre de Vulcain,
D’Æacus tourmentant les ombres du Cocyte,
D’Éole, de Jason, des combats du Lapythe,
Dont les noms éternels répétés à grands cris,
De Fronton tous les jours ébranlent les lambris.
Car dans ce cadre usé s’enfermant tous de même,
Du premier au dernier, ils n’ont pas d’autre thème. »
(Les Satires Juvénal Wouters, Raspoet et cie, 

EN FINIR AVEC L’IMPUNITE
Un des mots essentiels qui est à l’origine de son désir d’écrire ces satires est celui d’inpune – impunité. Il y a une absence de règles et de sanctions. Les orateurs se permettent tout. Il faut s’y opposer. Remettre de l’ordre dans ce chaos pour y retrouver du plaisir et de l’envie, voilà le projet de Juvénal.

JUVENAL, JALOUX ?
Ou alors, moins glorieusement, est-ce de la jalousie par rapport au métier de ses débuts. C’est la thèse que soutient aussi Gaston Boissier : « On a remarqué aussi qu’en général il est mal disposé pour ceux qui suivaient la même carrière que lui et qui y avaient mieux réussi. Il ne manque pas une occasion de se moquer de Quintilien ; il plaisante en passant Isée, ce déclamateur grec qui fit courir Rome entière, et auquel Pline a consacré une de ses lettres. Cette mauvaise humeur manifeste, ces mots amers qui lui échappent sans cesse contre les déclamateurs et la déclamation, semblent trahir une espérance trompée. Il débuta dans la vie par un mécompte, et dut être d’abord mal disposé contre cette société qui refusait de le mettre au rang dont il se sentait digne. » (Juvénal et son temps, La Revue des deux mondes)

Jacky Lavauzelle

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VERS 1 à 14

Semper ego auditor tantum? numquamne reponam
Ne serai-je jamais qu’un auditeur ? ne répondrai-je jamais
 uexatus totiens rauci Theseide Cordi?
A mon exaspération devant la Théséide d’un Cordus enroué ?
inpune ergo mihi recitauerit ille togatas,
Aurait-on l’impunité en me racontant, l’un, ses comédies,
hic elegos? inpune diem consumpserit ingens
L’autre, ses élégies ? Est-ce impunément que j’aurai, une journée durant,
Telephus aut summi plena iam margine libri 
Subit de Télèphe, qui déjà rempli jusqu’au bord du livre,
scriptus et in tergo necdum finitus Orestes?
Son Oreste, écrit jusqu’au dos, sans être encore tout à fait fini ?
nota magis nulli domus est sua quam mihi lucus
Personne ne connaît sa propre maison comme je connais les bosquets
Martis et Aeoliis uicinum rupibus antrum
De Mars et, à côté d’Eole, la grotte rocheuse
Vulcani; quid agant uenti, quas torqueat umbras
De Vulcain ; ce qui est fait par le vent, les ombres que torture
Aeacus, unde alius furtiuae deuehat aurum
Eaque, le vol de la toison d’or,
pelliculae, quantas iaculetur Monychus ornos,
Les cendres lancés par Monychus,
Frontonis platani conuolsaque marmora clamant
Les acclamations dans les salles de marbre de Fronton,
semper et adsiduo ruptae lectore columnae.
Tout, toujours et constamment fracassé par la voix d’un lecteur.
expectes eadem a summo minimoque poeta.
Sans exception du plus grand au plus petit des poètes.

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JUVENAL – LES SATIRES
I 1-14

JUVENAL (Satires) Non à l’hellénisation de Rome !

JUVENAL
SATIRES








Juvenal Satires Non à l'Hellénisation de Rome Artgitato
Non à l’hellénisation
de Rome ! 

 Pour Juvénal, Rome n’est pas en odeur de sainteté.

ROME, LA VILLE DE TOUS LES DANGERS

Des problèmes de sécurité, d’hygiène, de bruit, d’agressions, d’alcoolisme brossent le quotidien de la vie des Romains. C’est la ville aventureuse et dangereuse (Nec tamen haec tantum metuas).

 Mais Juvénal évoque une problématique plus pernicieuse encore : une immigration qui gangrène les milieux les plus influents de Rome.

Des populations immigrées, Juvénal raille les égyptiens et les juifs. Mais il y a avant tout et surtout les grecs et la langue grecque qui s’immiscent dans le gratin de Rome. Il en parle principalement dans la troisième satire, mais aussi dans les sixième et huitième.

LE GREC EST L’ENNEMI

Le grec est l’ennemi. Rome perd peu-à-peu son identité au profit de la grecque (Quae nunc diuitibus gens acceptissima nostris et quos praecipue fugiam, properabo fateri, nec pudor, nec pudor opstabit. Non, possum ferre, Quirites, graecam urbem – Satire III). Rome puissance incontestée, se dé-romanise. Si Juvénal ne quitte pas Rome comme son ami Umbricus, qui rejoint la campagne, c’est qu’il ne peut pas.

ROME, LA VILLE DU MENSONGE

Les puissants apprécient le grec et les Grecs, et la langue et les hommes. Les Grecs savent s’introduirent et devenir indispensables. Ils ont comme défaut majeur, pour Juvénal, entre autre d’être comédien et pour rester à Rome, il faut savoir mentir. (Quid Romae faciam ? Mentiri nescio. Dans le mensonge, personne ne surpasse un Grec (Rides, ùaiore cachinno concutitur ; flet, si lacrimas conspexit amici, nec dolet ; igniculum brumae si tempore poscas, accipit endromidem ; si dixeris ‘aestuo’, sudat. Non sumus ergo pares…Satire III).

A Rome, il n’y a pas de travail pour ceux qui veulent vivre honnêtement (hic tunc Vmbricius : « quando artibus, inquit, honestis nullus in Vrbe locus, nulla emolumenta laborum –Satire III)

UNE LUBRICITE A TOUTE EPREUVE

Ces Grecs ne respectent rien et surtout pas le sacré. Tout est bon pour eux afin de satisfaire une lubricité infinie. Ils détroussent tout ce qui porte jupon ou toge, homme ou femme. S’ils ne trouvent rien de mieux, ils se contenteront des aïeux. La grand-mère fera l’affaire. Faute de grives, ils mangeront les merles (Praeterea sanctum nihil est neque ab inguine tutum, non matrona laris, non filia uirgo, neque ipse sponsus leuis adhuc, non filius ante pedicus ; horum si nihil est, auiam resupinat amici – Satire III).

SE PARFUMER ET S’EPILER








Cette intelligence et cette adaptation sont certaines. Le Grec est un vrai caméléon. Mais au combat, il n’est pas courageux ; la lâcheté du Rhodien se combine avec les manières efféminées du Corinthien (Despecias tu forsitan inbellis Rhodios unctamque Corinthon – Satire VIII). Dont le passe-temps essentiel reste de se parfumer et de s’épiler (despicias merito ; quid resinata iuuentus curaque totius facient tibi leuia gentis ? – Stire VIII)

Aussi, ils attirent ! Les femmes se targuent de parler grec jusque dans la couche. C’est la langue à la mode. Toutes en sont marquées, des jeunes jusqu’aux femmes de quatre-vingt-six ans ! (Quaedam parua quidem, sed non toleranda maritis. Nam quid rancidius, quam quod se non putat ulla formosam nisi quae de Tusca, Graecula facta est, de Sulmonensi mera Cecropis ? Omnia graece, cum sit turpe magis nostris nescire latine ; hoc sermone pauent, hoc iram, gaudia, curas, hoc cuncta effundunt animi secreta. Quid ultra ? Concumbunt graece. Dones tamen ista puellis : tune etiam, quam sextus et octogensimus annus pulsat, adhuc graece ? Non est hic sermo pudicus in uetula…- Satire VI)

ROME EN PAIX DEPUIS TROP LONGTEMPS

La grecquisation de Rome l’affaiblit encore un peu plus chaque jour. Elle perd de sa vitalité, elle perd son âme. Rien ne vaudrait une bonne guerre pour redonner du cœur à l’ouvrage et laver les fadaises qui occupent le quotidien du Romain.  Rome est en paix depuis bien trop longtemps (Nunc patimur longae pacis mala ; saeuior armis luxuria incubuit uictumque ulciscitur orbem. Nullum crimen abest facinusque libidinis, ex quo paupertas Romana perit. – Satire III).

Non, possum ferre, Quirites, graecam urbem. « Non, Chers Quirites, je ne peux supporter une Rome grecque. »

Mais doit-on s’arrêter à ce constat premier que nous montre Juvénal ? Gaston Boissier nous met en garde en 1870 dans son Juvénal et son Temps paru dans la revue des Deux Mondes sous la thématique des Mœurs Romaines sous l’Empire.

En effet, Juvénal n’est toutefois pas le héros de la cause romaine. Les Grecs sont gênants parce que bien plus aptes, habiles et légers.

Ainsi pour Gaston Boissier : « Un des passages les plus curieux en ce genre et où le poète a le plus subi l’influence de son entourage, c’est celui où il attaque si vigoureusement les Grecs. On est tenté d’abord d’y voir l’expression du plus ardent patriotisme. « Citoyens, dit-il d’un ton solennel, je ne puis supporter que Rome soit devenue une ville grecque ! » Ne semble-t-il pas qu’on entend la voix de Caton le censeur ? Aussi que de critiques s’y sont trompés ! Ils ont pris ces emportements au sérieux et se représentent Juvénal comme un des derniers défenseurs de l’indépendance nationale. C’est une erreur profonde. Le motif qui le fait gronder est moins élevé qu’on ne pense, et il n’y a au fond de cette colère qu’une rivalité de parasites. Le vieux client romain, qui s’est habitué à vivre de la générosité des riches, ne peut pas supporter l’idée qu’un étranger va prendre sa place. « Ainsi, dit-il, il signerait avant moi, il aurait à table la place d’honneur, ce drôle jeté ici par le vent qui nous apporte les figues et les pruneaux ! Ce n’est donc plus rien que d’avoir dans son enfance respiré l’air du mont Aventin et de s’être nourri des fruits de la Sabine ! » Quelle étrange bouffée d’orgueil national ! Ne dirait-on pas, à l’entendre, que le droit de flatter le maître et de vivre à ses dépens est un privilège qu’on acquiert par la naissance ou le domicile, comme celui de voter les lois et d’élire les consuls ! En réalité, ce ne sont pas les moyens employés par les Grecs qui lui répugnent ; il essaierait volontiers de s’en servir, s’il pensait le faire avec succès. « Je pourrais bien flatter comme eux, dit-il ; mais eux, ils savent se faire croire ! » Comment lutter de complaisance et de servilité avec cette race habile et souple ? « Le Grec naît comédien ; vous riez, il va rire plus fort que vous. Son patron laisse-t-il échapper une larme, le voilà tout en pleurs, sans être plus triste du reste. En hiver, demandez-vous un peu de feu, il endosse son manteau fourré. — Il fait bien chaud, dites-vous, la sueur lui coule du front ». Voilà ce que le Romain ne sait pas faire.  » (Gaston Boissier –  JUVENAL ET SON TEMPS – Les Mœurs romaines sous l’empire – Revue des Deux Mondes – Deuxième période – Tome 87 – 1870 )

Et il finit son analyse ainsi : « Malgré ses efforts, il est toujours épais et maladroit : c’est un vice de nature. Ses reparties manquent de finesse, il mange gloutonnement, il a, jusque dans ses plus honteuses complaisances, des brusqueries et des rudesses qui ne peuvent pas se souffrir ; il ne sait pas mettre autant de grâce et d’invention dans sa bassesse. Aussi, quand le patron a une fois goûté du Grec, qui flatte si bien ses penchants et qui sert si adroitement ses plaisirs, il ne peut plus revenir au lourd client romain. « La lutte est inégale entre nous, dit tristement Juvénal, ils ont trop d’avantages ! » Encore s’ils laissaient le pauvre client s’asseoir sans bruit au bout de la table et de temps en temps égayer l’assistance de quelques bons mots « qui sentent le terroir » ; mais non, ils veulent la maison tout entière. « Un Romain n’a plus de place là où règnent un Protogène quelconque, un Diphile ou un Erimarque. Ils détestent le partage, le patron tout entier leur appartient. Qu’ils disent seulement un mot, toute ma servilité passée ne compte plus : il me faut déguerpir ». C’est ainsi que ce malheureux, chassé de la maison du riche, l’imagination toute pleine des mets espérés ou entrevus, s’en revient tristement manger chez lui son misérable ordinaire, — domum revortit ad moenam miser. Voilà les raisons véritables qu’il a d’en vouloir aux Grecs, et Juvénal, qui l’a souvent entendu gémir après son maigre dîner, nous a fidèlement transmis ses plaintes. »

Jacky Lavauzelle