JUVENAL (Satires) Non à l’hellénisation de Rome !

JUVENAL
SATIRES








Juvenal Satires Non à l'Hellénisation de Rome Artgitato
Non à l’hellénisation
de Rome ! 

 Pour Juvénal, Rome n’est pas en odeur de sainteté.

ROME, LA VILLE DE TOUS LES DANGERS

Des problèmes de sécurité, d’hygiène, de bruit, d’agressions, d’alcoolisme brossent le quotidien de la vie des Romains. C’est la ville aventureuse et dangereuse (Nec tamen haec tantum metuas).

 Mais Juvénal évoque une problématique plus pernicieuse encore : une immigration qui gangrène les milieux les plus influents de Rome.

Des populations immigrées, Juvénal raille les égyptiens et les juifs. Mais il y a avant tout et surtout les grecs et la langue grecque qui s’immiscent dans le gratin de Rome. Il en parle principalement dans la troisième satire, mais aussi dans les sixième et huitième.

LE GREC EST L’ENNEMI

Le grec est l’ennemi. Rome perd peu-à-peu son identité au profit de la grecque (Quae nunc diuitibus gens acceptissima nostris et quos praecipue fugiam, properabo fateri, nec pudor, nec pudor opstabit. Non, possum ferre, Quirites, graecam urbem – Satire III). Rome puissance incontestée, se dé-romanise. Si Juvénal ne quitte pas Rome comme son ami Umbricus, qui rejoint la campagne, c’est qu’il ne peut pas.

ROME, LA VILLE DU MENSONGE

Les puissants apprécient le grec et les Grecs, et la langue et les hommes. Les Grecs savent s’introduirent et devenir indispensables. Ils ont comme défaut majeur, pour Juvénal, entre autre d’être comédien et pour rester à Rome, il faut savoir mentir. (Quid Romae faciam ? Mentiri nescio. Dans le mensonge, personne ne surpasse un Grec (Rides, ùaiore cachinno concutitur ; flet, si lacrimas conspexit amici, nec dolet ; igniculum brumae si tempore poscas, accipit endromidem ; si dixeris ‘aestuo’, sudat. Non sumus ergo pares…Satire III).

A Rome, il n’y a pas de travail pour ceux qui veulent vivre honnêtement (hic tunc Vmbricius : « quando artibus, inquit, honestis nullus in Vrbe locus, nulla emolumenta laborum –Satire III)

UNE LUBRICITE A TOUTE EPREUVE

Ces Grecs ne respectent rien et surtout pas le sacré. Tout est bon pour eux afin de satisfaire une lubricité infinie. Ils détroussent tout ce qui porte jupon ou toge, homme ou femme. S’ils ne trouvent rien de mieux, ils se contenteront des aïeux. La grand-mère fera l’affaire. Faute de grives, ils mangeront les merles (Praeterea sanctum nihil est neque ab inguine tutum, non matrona laris, non filia uirgo, neque ipse sponsus leuis adhuc, non filius ante pedicus ; horum si nihil est, auiam resupinat amici – Satire III).

SE PARFUMER ET S’EPILER








Cette intelligence et cette adaptation sont certaines. Le Grec est un vrai caméléon. Mais au combat, il n’est pas courageux ; la lâcheté du Rhodien se combine avec les manières efféminées du Corinthien (Despecias tu forsitan inbellis Rhodios unctamque Corinthon – Satire VIII). Dont le passe-temps essentiel reste de se parfumer et de s’épiler (despicias merito ; quid resinata iuuentus curaque totius facient tibi leuia gentis ? – Stire VIII)

Aussi, ils attirent ! Les femmes se targuent de parler grec jusque dans la couche. C’est la langue à la mode. Toutes en sont marquées, des jeunes jusqu’aux femmes de quatre-vingt-six ans ! (Quaedam parua quidem, sed non toleranda maritis. Nam quid rancidius, quam quod se non putat ulla formosam nisi quae de Tusca, Graecula facta est, de Sulmonensi mera Cecropis ? Omnia graece, cum sit turpe magis nostris nescire latine ; hoc sermone pauent, hoc iram, gaudia, curas, hoc cuncta effundunt animi secreta. Quid ultra ? Concumbunt graece. Dones tamen ista puellis : tune etiam, quam sextus et octogensimus annus pulsat, adhuc graece ? Non est hic sermo pudicus in uetula…- Satire VI)

ROME EN PAIX DEPUIS TROP LONGTEMPS

La grecquisation de Rome l’affaiblit encore un peu plus chaque jour. Elle perd de sa vitalité, elle perd son âme. Rien ne vaudrait une bonne guerre pour redonner du cœur à l’ouvrage et laver les fadaises qui occupent le quotidien du Romain.  Rome est en paix depuis bien trop longtemps (Nunc patimur longae pacis mala ; saeuior armis luxuria incubuit uictumque ulciscitur orbem. Nullum crimen abest facinusque libidinis, ex quo paupertas Romana perit. – Satire III).

Non, possum ferre, Quirites, graecam urbem. « Non, Chers Quirites, je ne peux supporter une Rome grecque. »

Mais doit-on s’arrêter à ce constat premier que nous montre Juvénal ? Gaston Boissier nous met en garde en 1870 dans son Juvénal et son Temps paru dans la revue des Deux Mondes sous la thématique des Mœurs Romaines sous l’Empire.

En effet, Juvénal n’est toutefois pas le héros de la cause romaine. Les Grecs sont gênants parce que bien plus aptes, habiles et légers.

Ainsi pour Gaston Boissier : « Un des passages les plus curieux en ce genre et où le poète a le plus subi l’influence de son entourage, c’est celui où il attaque si vigoureusement les Grecs. On est tenté d’abord d’y voir l’expression du plus ardent patriotisme. « Citoyens, dit-il d’un ton solennel, je ne puis supporter que Rome soit devenue une ville grecque ! » Ne semble-t-il pas qu’on entend la voix de Caton le censeur ? Aussi que de critiques s’y sont trompés ! Ils ont pris ces emportements au sérieux et se représentent Juvénal comme un des derniers défenseurs de l’indépendance nationale. C’est une erreur profonde. Le motif qui le fait gronder est moins élevé qu’on ne pense, et il n’y a au fond de cette colère qu’une rivalité de parasites. Le vieux client romain, qui s’est habitué à vivre de la générosité des riches, ne peut pas supporter l’idée qu’un étranger va prendre sa place. « Ainsi, dit-il, il signerait avant moi, il aurait à table la place d’honneur, ce drôle jeté ici par le vent qui nous apporte les figues et les pruneaux ! Ce n’est donc plus rien que d’avoir dans son enfance respiré l’air du mont Aventin et de s’être nourri des fruits de la Sabine ! » Quelle étrange bouffée d’orgueil national ! Ne dirait-on pas, à l’entendre, que le droit de flatter le maître et de vivre à ses dépens est un privilège qu’on acquiert par la naissance ou le domicile, comme celui de voter les lois et d’élire les consuls ! En réalité, ce ne sont pas les moyens employés par les Grecs qui lui répugnent ; il essaierait volontiers de s’en servir, s’il pensait le faire avec succès. « Je pourrais bien flatter comme eux, dit-il ; mais eux, ils savent se faire croire ! » Comment lutter de complaisance et de servilité avec cette race habile et souple ? « Le Grec naît comédien ; vous riez, il va rire plus fort que vous. Son patron laisse-t-il échapper une larme, le voilà tout en pleurs, sans être plus triste du reste. En hiver, demandez-vous un peu de feu, il endosse son manteau fourré. — Il fait bien chaud, dites-vous, la sueur lui coule du front ». Voilà ce que le Romain ne sait pas faire.  » (Gaston Boissier –  JUVENAL ET SON TEMPS – Les Mœurs romaines sous l’empire – Revue des Deux Mondes – Deuxième période – Tome 87 – 1870 )

Et il finit son analyse ainsi : « Malgré ses efforts, il est toujours épais et maladroit : c’est un vice de nature. Ses reparties manquent de finesse, il mange gloutonnement, il a, jusque dans ses plus honteuses complaisances, des brusqueries et des rudesses qui ne peuvent pas se souffrir ; il ne sait pas mettre autant de grâce et d’invention dans sa bassesse. Aussi, quand le patron a une fois goûté du Grec, qui flatte si bien ses penchants et qui sert si adroitement ses plaisirs, il ne peut plus revenir au lourd client romain. « La lutte est inégale entre nous, dit tristement Juvénal, ils ont trop d’avantages ! » Encore s’ils laissaient le pauvre client s’asseoir sans bruit au bout de la table et de temps en temps égayer l’assistance de quelques bons mots « qui sentent le terroir » ; mais non, ils veulent la maison tout entière. « Un Romain n’a plus de place là où règnent un Protogène quelconque, un Diphile ou un Erimarque. Ils détestent le partage, le patron tout entier leur appartient. Qu’ils disent seulement un mot, toute ma servilité passée ne compte plus : il me faut déguerpir ». C’est ainsi que ce malheureux, chassé de la maison du riche, l’imagination toute pleine des mets espérés ou entrevus, s’en revient tristement manger chez lui son misérable ordinaire, — domum revortit ad moenam miser. Voilà les raisons véritables qu’il a d’en vouloir aux Grecs, et Juvénal, qui l’a souvent entendu gémir après son maigre dîner, nous a fidèlement transmis ses plaintes. »

Jacky Lavauzelle