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OPHÉLIE ARTHUR RIMBAUD

Ophélie Arthur Rimbaud John Everett Millais Ophelia La Mort d'Ophélie 1852John Everett Millais –  Ophelia  (La Mort d’Ophélie) 1852

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OPHÉLIE ARTHUR RIMBAUD
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


OPHÉLIE Arthur Rimbaud
Poésies

*

I

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles,
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles…
— On entend dans les bois lointains des hallalis…

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses longs voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d’où s’échappe un petit frisson d’aile.
— Un chant mystérieux tombe des astres d’or.

II

Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
— C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté !

C’est qu’un souffle inconnu, fouettant ta chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait la voix de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits !

C’est que la voix des mers, comme un immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou s’assit, muet, à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu.
Tes grandes visions étranglaient ta parole :
— Un Infini terrible effara ton œil bleu !

III

— Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis ;
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

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OPHÉLIE Arthur Rimbaud

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Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

LE MAL ARTHUR RIMBAUD

Le Mal Arthur Rimbaud La Bataille de Waterloo Clément-Auguste AndrieuxLa Bataille de Waterloo – Clément-Auguste Andrieux

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LE MAL ARTHUR RIMBAUD
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


Le Mal Arthur Rimbaud
Poésies

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Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;
Qu’écarlates ou verts, près du Roi qui les raille,
Croulent les bataillons en masse dans le feu ;

Tandis qu’une folie épouvantable, broie
Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ;
— Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…

— Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées
Des autels, à l’encens, aux grands calices d’or ;
Qui dans le bercement des hosannah s’endort,

Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !

*

Le Mal Arthur Rimbaud

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Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

ORAISON DU SOIR ARTHUR RIMBAUD

Oraison du soir Arthur Rimbaud Maxime Dethomas au Bal de l'Opéra Toulouse LautrecToulouse-Lautrec
Maxime Dethomas, au Bal de l’Opéra
1896
National Gallery of Art
Washington

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ORAISON DU SOIR
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


Oraison du Soir Arthur Rimbaud Poésies

*

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,
Mille rêves en moi font de douces brûlures ;
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu’ensanglante l’or jaune et sombre des coulures.

Puis quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille pour lâcher l’âcre besoin.

Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l’assentiment des grands héliotropes.

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Oraison du soir Arthur Rimbaud

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Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

VOYELLES ARTHUR RIMBAUD

Voyelles Arthur Rimbaud ArtgitatoVOYELLES ARTHUR RIMBAUD
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


VOYELLES Arthur Rimbaud
Poésies

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A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,

Golfe d’ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lance des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

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Voyelles Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

LES ASSIS Arthur Rimbaud

Les Assis Arthur Rimbaud Artgitato Quentin Metsys Les usuriers 1520D’après Quentin Metsys Les usuriers 1520

LES ASSIS ARTHUR RIMBAUD
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


les Assis Arthur Rimbaud
Poésies

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Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs,

Ils ont greffé dans des amours épileptiques
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs.

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,
Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux,
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds.

Et les Sièges leur ont des bontés ; culottée
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins.
L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée
Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,
S’écoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage.
Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves
Qui vous accrochent l’œil du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue ;
Au retour, leur regard filtre ce venin noir
Qui charge l’œil souffrant de la chienne battue,
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever,
Et de l’aurore au soir des grappes d’amygdales
Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever.

Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,
De vrais petits amours de chaises en lisières
Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés.

Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgules,
Les bercent le long des calices accroupis,
Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules,
— Et leur membre s’agace à des barbes d’épis !

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Les Assis Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

LES EFFARÉS Arthur RIMBAUD (1870)

Les effarés Arthur Rimbaud Artgitato John George Brown Coming up Short 1884D’après Coming up Short 
John George Brown 1884

LES EFFARÉS ARTHUR RIMBAUD
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


LES EFFARÉS Arthur Rimbaud
Poésies

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20 septembre 1870

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Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,
Leurs culs en rond,

À genoux, cinq petits, — misère ! —
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…

Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l’enfourne
Dans un trou clair.

Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.

Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.

Et quand, pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain ;

Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons ;

Quand ce trou chaud souffle la vie ;
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,

Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre !
— Qu’ils sont là, tous,

Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,

Mais bien bas, — comme une prière…
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,

— Si fort, qu’ils crèvent leur culotte,
— Et que leur lange blanc tremblotte
Au vent d’hiver…

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LES EFFARÉS Arthur Rimbaud

Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

LES CHERCHEUSES DE POUX – Arthur RIMBAUD

Les Chercheuses de poux Arthur Rimbaud Artgitato charles Lefèbvre 1670Claude Lefèbvre
Fille aînée de l’artiste peignant son frère
1670-1675

LES CHERCHEUSES DE POUX
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


les Chercheuses de Poux

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Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,
Il vient près de son lit deux grandes sœurs charmantes
Avec de frêles doigts aux ongles argentins.

Elles assoient l’enfant devant une croisée
Grande ouverte où l’air bleu baigne un fouillis de fleurs,
Et dans ses lourds cheveux où tombe la rosée
Promènent leurs doigts fins, terribles et charmeurs.

Il écoute chanter leurs haleines craintives
Qui fleurent de longs miels végétaux et rosés,
Et qu’interrompt parfois un sifflement, salives
Reprises sur la lèvre ou désirs de baisers.

Il entend leurs cils noirs battant sous les silences
Parfumés ; et leurs doigts électriques et doux
Font crépiter parmi ses grises indolences
Sous leurs ongles royaux la mort des petits poux.

Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,
Soupir d’harmonica qui pourrait délirer ;
L’enfant se sent, selon la lenteur des caresses,
Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.

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Les Chercheuses de poux

 

Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

LE DORMEUR DU VAL ARTHUR RIMBAUD

Le Dormeur du Val Arthur Rimbaud Edouard Manet l'homme mort 1864 1865 National Gallery of Art
L’Homme mort Edouard Manet 1864 – 1865 National Gallery of Art

LE DORMEUR DU VAL
POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


LE DORMEUR DU VAL

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C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent, où le soleil de la montagne fière
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut ;

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature ! berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

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Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies

Le BATEAU IVRE ARTHUR RIMBAUD

Arthur Rimbaud bateau ivre Joseph Mallord William Turner Tempête de neige en mer 1842 Londres Tate BritainTempête de neige en mer (1842), Londres, Tate Britain.

POESIE FRANCAISE
LE BATEAU IVRE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


LE BATEAU IVRE

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Le BATEAU IVRE

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs ;
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J’étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées,
N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots
Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l’œil niais des falots.

Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sures,
L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres, et latescent,
Dévorant les azurs verts où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend,

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l’amour.

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes,
Et les ressacs, et les courants, je sais le soir,
L’aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir.

J’ai vu le soleil bas taché d’horreurs mystiques
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques,
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets ;

J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baisers montant aux yeux des mers avec lenteur,
La circulation des sèves inouïes
Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs.

J’ai suivi des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le muffle aux Océans poussifs ;

J’ai heurté, savez-vous ? d’incroyables Florides,
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères, aux peaux
D’hommes, des arcs-en-ciel tendus comme des brides,
Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux ;

J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan,
Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises.
Echouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient des arbres tordus, avec de noirs parfums.

J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.
Des écumes de fleurs ont béni mes dérades
Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux,

Presqu’île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds,
Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons.

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau,

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d’azur,

Qui courais taché de lunules électriques,
Plante folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les Juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs,

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets.

J’ai vu des archipels sidéraux ! Et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
— Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,
Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les aubes sont navrantes,
Toute lune est atroce et tout soleil amer.
L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.
Oh ! que ma quille éclate ! Oh ! que j’aille à la mer !

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où, vers le crépuscule embaumé,
Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons !

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Le BATEAU IVRE

Arthur Rimbaud Poésies
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ARTHUR RIMBAUD POESIES

POESIE FRANCAISE

Arthur Rimbaud poésies artgitato

ARTHUR RIMBAUD
1854-1891

 

Arthur Rimbaud Poésies Oeuvre Poèmes Poésie Artgitato

 

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Œuvres d’Arthur RIMBAUD
 


Arthur Rimbaud Poésies

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Le Bateau Ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs ;

Arthur Rimbaud bateau ivre Joseph Mallord William Turner Tempête de neige en mer 1842 Londres Tate Britain

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Le Dormeur du Val

C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons

Le Dormeur du Val Arthur Rimbaud Edouard Manet l'homme mort 1864 1865 National Gallery of Art

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Le Mal

Tandis que les crachats rouges de la mitraille
Sifflent tout le jour par l’infini du ciel bleu ;

Le Mal Arthur Rimbaud La Bataille de Waterloo Clément-Auguste Andrieux

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Les Assis

Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,

Les Assis Arthur Rimbaud Artgitato Quentin Metsys Les usuriers 1520

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Les Chercheuses de poux

Quand le front de l’enfant, plein de rouges tourmentes,
Implore l’essaim blanc des rêves indistincts,

Les Chercheuses de poux Arthur Rimbaud Artgitato charles Lefèbvre 1670

*

Les effarés

Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s’allume,

20 septembre 1870

Les effarés Arthur Rimbaud Artgitato John George Brown Coming up Short 1884

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Ophélie

Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles,
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

Ophélie Arthur Rimbaud John Everett Millais Ophelia La Mort d'Ophélie 1852

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Oraison du soir

Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,

Oraison du soir Arthur Rimbaud Maxime Dethomas au Bal de l'Opéra Toulouse Lautrec

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UNE SAISON EN ENFER

Jadis, si je me souviens bien… – Mauvais sang – Nuit de l’enfer –  Délires I  Vierge folle – Délires II Alchimie du verbe – L’Impossible – L’Éclair – Matin – Adieu

Une saison en enfer Arthur Rimbaud Artgitato Jérôme Bosch L'ascension des élus

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Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
Voyelles Arthur Rimbaud Artgitato

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ARTHUR RIMBAUD
Une plume fiévreuse
1856

Arthur Rimbaud avait quinze ans environ lorsque, présenté à Victor Hugo, il fut accueilli par lui avec ces mots : Shakespeare enfant. » Novateur et entreprenant, Rimbaud, qui, à cet âge-là, avait lu toutes les littératures, quitta les routes frayées, cherchant des rythmes inconnus, des images irréalisées, des sensations non éprouvées. Il s’y est perdu, de même qu’un aventureux et capricieux voyageur. Après avoir parcouru successivement la Belgique, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie, il quitta l’Europe pour d’autres continents et disparut sans laisser de traces ni jamais donner signe de vie.

Arthur Rimbaud, qui, avec Paul Verlaine, Stéphane Maillarmé et Tristan Corbière, a été dans sa dernière manière largement imité par les décadents, ne publia qu’un seul recueil, une plaquette intitulée : Une Saison en Enfer (Bruxelles, 1873), sorte de prodigieuse autobiographie poétique, au dire de Paul Verlaine. Son œuvre est cependant assez considérable pour le peu d’années qu’elle embrasse ; elle comprend de nombreux vers parus dans des Revues et dans l’étude des « Poètes maudits, » puis les Illuminations, mélange de vers et de prose, ébauches écrites au courant d’une plume fiévreuse…

Arthur Rimbaud
Anthologie des poètes français du XIXème siècle
Alphonse Lemerre, éditeur, 1888
1852 à 1866
pp. 104-107
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Arthur Rimbaud Poésies
Arthur Rimbaud Poésies