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LA LARME SOLITAIRE -HEINRICH HEINE POÈMES – LE LIVRE DES CHANTS XXVII- DIE HEIMKEHR – Was will die einsame Thräne?

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


 

Was will die einsame Thräne?
Que veut la larme solitaire ?
Sie trübt mir ja den Blick.
Elle qui me ternit la vue.
Sie blieb aus alten Zeiten
Elle qui reste là depuis si longtemps,
In meinem Auge zurück.
Là, sous ma paupière.

*

Sie hatte viel leuchtende Schwestern,
Elle avait tant de brillantes sœurs,
 Die alle zerflossen sind,
Qui toutes s’en sont allées,
Mit meinen Qualen und Freuden,
Avec mes tourments et avec mes joies,
Zerflossen in Nacht und Wind.
Dissoutes dans la nuit et dans le vent.


*

 Wie Nebel sind auch zerflossen
Comme des nuées se sont évanouies
Die blauen Sternelein,
Les petites étoiles bleues,
Die mir jene Freuden und Qualen
Celles qui avaient déposées mes joies et mes peines
 Gelächelt in’s Herz hinein.
Tout au fond de mon cœur

*

Ach, meine Liebe selber
Hélas, mon amour lui-même
Zerfloß wie eitel Hauch!
Est parti comme un souffle vain !
Du alte, einsame Thräne,
Toi, vieille et solitaire larme,
 Zerfließe jetzunder auch.
Disparaît donc de même.

*

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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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HEINRICH HEINE POÈMES

HEINE DIE HEIMKEHR

DANS LE BROUILLARD- HEINRICH HEINE POÈMES – LE LIVRE DES CHANTS XVI – DIE HEIMKEHR – Am fernen Horizonte

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

Am fernen Horizonte
A l’horizon, dans le lointain,
Erscheint, wie ein Nebelbild,
Comme une image dans le brouillard, apparaît
Die Stadt mit ihren Türmen
La ville avec ses tours et ses fortins,
In Abenddämmrung gehüllt.
Dans le crépuscule enveloppée.

*

Ein feuchter Windzug kräuselt
Une brise humide glisse
Die graue Wasserbahn;
Sur la surface de l’eau grise ;
Mit traurigem Takte rudert
Tristement pagaie
Der Schiffer in meinem Kahn.
Mon canotier.

*

Die Sonne hebt sich noch einmal
Le soleil se lève encore une fois
Leuchtend vom Boden empor,
En éclairant la terre,
Und zeigt mir jene Stelle,
Le soleil me montre ce lieu
Wo ich das Liebste verlor.
Même où j’ai perdu celle que j’aimais.

*


*

 

 


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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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HEINRICH HEINE POÈMES

DIE HEIMKEHR HEINE

LA FÊTE AU CHÂTEAU – HEINRICH HEINE POÈMES – LE LIVRE DES CHANTS XV – DIE HEIMKEHR – Da droben auf jenem Berge

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

Da droben auf jenem Berge,
Là-haut sur cette montagne,
Da steht ein feines Schloß,
Il y a un superbe château,
Da wohnen drei schöne Fräulein,
Trois belles jeunes filles s’y trouvent,
 Von denen ich Liebe genoß.
Dont j’ai apprécié l’amour.

*

Sonnabend küßte mich Jette,
Samedi, c’est Jette qui m’a embrassé,
Und Sonntag die Julia,
Et dimanche, c’était la Julia,
Und Montag die Kunigunde,
Et lundi, la Cunègonde,
Die hat mich erdrückt beinah.
Qui a failli me broyer.

*


*

Doch Dienstag war eine Fete
Mais mardi, mardi c’était jour de fête
 Bei meinen drei Fräulein im Schloß;
Avec mes trois dames dans le château ;
Die Nachbarschafts-Herren und Damen,
Les hommes et les femmes du quartier,
Die kamen zu Wagen und Roß.
Vinrent en carrosse et à cheval.

*

Ich aber war nicht geladen,
Mais, moi, moi je n’étais pas invité,
 Und das habt ihr dumm gemacht!
Comme vous avez été bêtes !
Die zischelnden Muhmen und Basen,
Les tantes et cousins se moquèrent
Die merkten’s und haben gelacht.
S’en rendant compte et se mirent à rire.

 


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Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
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Tome 63
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HEINRICH HEINE POÈMES

DIE HEIMKEHR HEINE

LES LARMES EMPOISONNÉES – HEINRICH HEINE POÈMES – LE LIVRE DES CHANTS XIV – DIE HEIMKEHR

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

Das Meer erglänzte weit hinaus,
La mer brillait dans le lointain,
Im letzten Abendscheine;
Dans les dernières lumières du soir ;
Wir saßen am einsamen Fischerhaus,
Nous nous sommes assis devant la maison solitaire du pêcheur,
Wir saßen stumm und alleine.
Nous nous sommes assis silencieux et seuls.

*

Der Nebel stieg, das Wasser schwoll,
Le brouillard s’est levé, l’eau montait,
 Die Möve flog hin und wieder;
La mouette de çà de là volait ;
Aus deinen Augen, liebevoll,
De tes yeux, trop pleins d’amour,
 Fielen die Thränen nieder.
Tombaient des larmes.

*


*

 

Ich sah sie fallen auf deine Hand,
Je les ai vues tomber sur ta main,
 Und bin auf’s Knie gesunken;
Et je me suis agenouillé ;
Ich hab’ von deiner weißen Hand
Moi, sur ta main blanche,
Die Thränen fortgetrunken.
Je me suis abreuvé de tes larmes.

*

Seit jener Stunde verzehrt sich mein Leib,
Depuis cette heure, mon corps se consume,
 Die Seele stirbt vor Sehnen; –
Mon âme meurt de désir ; –
Mich hat das unglückseel’ge Weib
La malheureuse fille
Vergiftet mit ihren Thränen.
M’avait empoisonné de ses larmes.

 


*

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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

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Revue des Deux Mondes
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HEINRICH HEINE POÈMES

DIE HEIMKEHR HEINE

LES PIRES DOULEURS – POÈME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS XIII – DIE HEIMKEHR – Wenn ich an deinem Hause

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

 

Wenn ich an deinem Hause
Quand devant ta maison
 Des Morgens vorübergeh,
Le matin je passe,
 So freut’s mich, du liebe Kleine,
Alors je suis heureux, ma chère enfant,
Wenn ich dich am Fenster seh.
Si je te vois à la fenêtre.

*

Mit deinen schwarzbraunen Augen
Avec tes yeux noirs
 Siehst du mich forschend an:
Tu me regardes étrangement :
 « Wer bist du, und was fehlt dir,
« Qui êtes-vous, et que vous manque-t-il,
Du fremder, kranker Mann? »
Étranger qui semblait souffrant ? « 

*

 


*

 

 

« Ich bin ein deutscher Dichter,
« Je suis un poète allemand,
Bekannt im deutschen Land;
Connu en terre allemande ;
Nennt man die besten Namen,
Qu’on évoque les grands noms,
So wird auch der meine genannt.
On m’évoquera parmi eux.

*

Und was mir fehlt, du Kleine,
Et ce qui me manque, chère enfant,
Fehlt manchem im deutschen Land;
Manque à beaucoup dans le pays allemand ;
Nennt man die schlimmsten Schmerzen,
Qu’on évoque les pires douleurs,
So wird auch der meine genannt. »
On évoquera aussi les miennes ».

 


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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
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POÈME HEINRICH HEINE
DIE HEIMKEHR HEINE

LA SIRÈNE – POÈME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS XII – DIE HEIMKEHR

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


*

Der Abend kommt gezogen,
La soirée commence à se dessiner,
 Der Nebel bedeckt die See;
Le brouillard couvre la mer ;
Geheimnisvoll rauschen die Wogen,
Bruit mystérieux des vagues.
  Da steigt es weiß in die Höh’.
Une blancheur émerge au milieu des ondes.

*

Die Meerfrau steigt aus den Wellen,
La sirène sort des flots,
Und setzt sich zu mir an den Strand;
Et s’assied avec moi sur la plage ;
Die weißen Brüste quellen
Les seins d’albâtre gonflent
Hervor aus dem Schleiergewand.
Le tissu de son voile.

*

Sie drückt mich, und sie preßt mich,
Elle me pousse et me presse,
 Und tut mir fast ein Weh; –
Presque à m’étouffer ; –
« Du drückst ja viel zu fest mich,
« Tu m’étreins si fort,
Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 

*
« Ich preß dich, in meinen Armen,
« Je te presse dans mes bras,
 Und drücke dich mit Gewalt;
Et je t’étreins de toute ma force ;
Ich will bei dir erwarmen,
Je veux me réchauffer à toi,
Der Abend ist gar zu kalt. »
Le soir est si glacial« .

*

Der Mond schaue immer blasser
La lune apparaît toujours plus pâle
Aus dämmriger Wolkenhöh’;
Entre de noirs nuages ;
 « Dein Auge wird trüber und nasser,
« Tes yeux sont humides et ternes,
Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 


*
« Es wird nicht trüber und nasser,
« Ils ne sont ni humides ni ternes,
 Mein Aug’ ist naß und trüb,
Mes yeux ne sont ainsi,
Weil, als ich stieg aus dem Wasser,
Que lorsque je sors de l’eau,
Ein Tropfen im Auge blieb. »
Car une goutte y est restée « . 

*

Die Möwen schrillen kläglich,
Les mouettes ricanent lamentablement
 Es grollt und brandet die See; –
Dans le grondement de la mer ; –
 « Dein Herz pocht wild beweglich,
« Ton cœur bat sauvagement,
 Du schöne Wasserfee! »
Toi, belle fée des eaux ! « 

*
« Mein Herz pocht wild beweglich,
« Mon cœur bat sauvagement,
Es pocht beweglich wild,
Et s’il palpite violemment,
Weil ich dich liebe unsäglich,
C’est parce que je t’aime divinement,
Du liebes Menschenbild! »
Toi, fils aimé des hommes ! « 

 


 

*

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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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POÈME HEINRICH HEINE
DIE HEIMKEHR HEINE

LA DANSE DE LA TEMPÊTE – POEME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS XI – Der Sturm spielt auf zum Tanze

HEIRICH HEINE POEMES
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine




*

Der Sturm spielt auf zum Tanze,
La tempête joue une danse :
Er pfeift und saust und brüllt;
Elle siffle, se précipite et rugit ;
Heisa, wie springt das Schifflein!
Joyeux, comme il sautille le petit bateau !
Die Nacht ist lustig und wild.
La nuit est espiègle et sauvage.

*

Ein lebendes Wassergebirge
Montagne d’eau vivante
Bildet die tosende See;
La mer est déchaînée ;
Hier gähnt ein schwarzer Abgrund,
Bâille Ici un immense abîme noir,
Dort thürmt es sich weit in die Höh’.
Là se dresse une vaste et large tour.

*

Ein Fluchen, Erbrechen und Beten
Des malédictions, des vomissements et des prières
Schallt aus der Kajüte heraus;
Sortent de la cabine en écho ;
  Ich halte mich fest am Mastbaum,
Je me cramponne au mât,
Und wünsche: wär ich zu Haus.
Et je fais un vœu : si j’étais à la maison.






*

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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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POEME HEINRICH HEINE

LA MER ENGLOUTIE -POEME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS X – Der Wind zieht seine Hosen an

LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine




*

 

Der Wind zieht seine Hosen an,
Le vent soulève tout,
Die weißen Wasserhosen;
Sous de blanches tempêtes ;
Er peitscht die Wellen so stark er kann,
Il fouette les vagues autant qu’il est possible,
  Die heulen und brausen und tosen.
Qui hurlent, gémissent et se fracassent.

*

 Aus dunkler Höh’, mit wilder Macht,
Du ciel assombri, avec une sauvage puissance,
Die Regengüsse träufen;
Les pluies diluviennes s’abattent ;
  Es ist als wollt’ die alte Nacht
Comme si la vieille nuit
Das alte Meer ersäufen.
Cherchait à engloutir la vieille mer.

*

 An den Mastbaum klammert die Möve sich,
La mouette au mât s’accroche,
Mit heiserem Schrillen und Schreien;
Avec une plainte rauque et criarde ;
  Sie flattert und will gar ängstiglich
Elle s’ébroue de peur, hagarde,
Ein Unglück prophezeien.
Prophétisant un prochain désastre.






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HEINRICH HEINE
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
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POEME HEINRICH HEINE

MES SOEURS LES SIRENES- POEME HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS IX – Der Mond ist aufgegangen

LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine




*

 Der Mond ist aufgegangen
La lune s’est levée
Und überstrahlt die Well’n;
Et les vagues se sont éclipsées ;
 Ich halte mein Liebchen umfangen,
Dans mes bras, mon aimée je prends,
Und unsre Herzen schwell’n.
Et nos cœurs se gonflent.

*

Im Arm des holden Kindes
Dans le bras de la belle enfant
Ruh’ ich allein am Strand;
Je reste seul sur cette plage ;
Was horchst du bei’m Rauschen des Windes?
Qu’écoutes-tu dans le bruit du vent ?
Was zuckt deine weiße Hand?
Pourquoi tressaille-t-elle ta blanche main ?

*

« Das ist kein Rauschen des Windes,
« Ce n’est pas le bruit du vent,
Das ist der Seejungfern Gesang,
C’est le chant des Sirènes,
Und meine Schwestern sind es,
Mes sœurs sont là,
Die einst das Meer verschlang. »
Qu’autrefois la mer a englouties « . 

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HEINRICH HEINE
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Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
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Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
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POEME HEINRICH HEINE

MON COEUR COMME UN OCEAN – HEINRICH HEINE – LE LIVRE DES CHANTS VIII – Du schönes Fischermädchen

LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine




*

 

 Du schönes Fischermädchen,
Toi, belle fille du pêcheur
 
Treibe den Kahn an’s Land;
Approche ton bateau du rivage ;
Komm zu mir und setze dich nieder,
Viens vers moi et viens t’asseoir,
Wir kosen Hand in Hand.
Nous parlerons main dans la main.

*

Leg’ an mein Herz dein Köpfchen,
Pose sur mon cœur ta douce tête,
Und fürchte dich nicht zu sehr,
Et n’aies pas peur,
  Vertrau’st du dich doch sorglos
Ne te donnes-tu pas sans crainte,
 Täglich dem wilden Meer.
Chaque jour, à la mer sauvage.

*

Mein Herz gleicht ganz dem Meere,
Mon coeur est comme cet océan,
Hat Sturm und Ebb’ und Fluth,
Avec ses tempêtes, ses flux et ses reflux,
Und manche schöne Perle
Et quantité de perles magnifiques
  In seiner Tiefe ruht.
Qui reposent dans sa profondeur.

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HEINRICH HEINE
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Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
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