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EPREUVES NOCTURNES Pièce de Jacky Lavauzelle – Second Tableau

Jacky Lavauzelle Théâtre
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Théâtre de Jacky Lavauzelle

EPREUVES NOCTURNES

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SECOND TABLEAU

Le Chœur
Il s’avance au milieu de la scène. Il fait nuit. Nous n’entendons que sa voix.
A force de vivre, les deux hommes se sont tus. La nuit est là. Il n’y a plus qu’elle. A force de peur, de mal vivre. A force de renoncer. La prochaine fois… non, il n’y aura même plus de seconde fois. Tout est terminé…

Voix de Coleridge
Il y a quelqu’un ? J’entends des voix… c’est pas possible…Je deviens taré ! Des acouphènes peut-être… J’ai moins froid, quand même…

Nous entendons des pas qui s’éloigne. C’est le chœur qui s’en va.

Voix de Kubla
Coleridge ? C’est moi ! Je suis là ! J’espère que tu vas mieux ?

Voix de Coleridge
Oui, mais je ne trouve pas la lumière.

Kubla
C’est normal.

Coleridge
Pourquoi ?




Kubla
La Régie d’électricité a fondu les plombs !




Coleridge
Et comment on fait maintenant ?




Coleridge
A l’ancienne, mon vieux. Tu vas au lit avec ta chandelle et tu t’endors.

Kubla
Mais je n’ai pas sommeil !

Coleridge
Tiens prends ça ! non, là, rapproche-toi. Non, je ne te sens pas… J’entends tes pas qui se rapproche…voilà, j’ai ta main ! Tiens, prends !




Kubla
Je l’ai. C’est quoi ?

Coleridge
Un livre de Kant.

Kubla
Emmanuel ?

Coleridge
Eh oui ! qui veux-tu que ce soit ?

Kubla
J’ai jamais rien compris !

Coleridge
C’est le moment – Profite de la nuit pour t’éclairer. Ne vois-tu pas de la lumière dans tes yeux ? Ferme-les fortement.

Kubla
C’est vrai, ça. Je vois des étincelles. C’est beau ! Putain que c’est beau ! Merci ! Je vois Dieu ! Merde alors !

Coleridge
C’est normal ! C’est sur l’existence de Dieu ! Et voici mon corps qui change ! Je vole ! Je me transforme en une grosse bulle. C’est chaud…C’est presque brûlant…Comme ça brûle … Quel feu !

Kubla
Criant
Ouvre les yeux ! Putain, ouvre les yeux !

La scène s’illumine, puis s’éteint.

 

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EPREUVES NOCTURNES Pièce de Jacky Lavauzelle – PREMIER TABLEAU

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Théâtre de Jacky Lavauzelle

EPREUVES NOCTURNES

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PREMIER TABLEAU

Le Chœur
Il s’avance au milieu de la scène.
La scène est nue. Il n’y a rien. Que Coleridge à droite et Kubla à gauche (il les montre du doigt). Ils n’ont pas d’âge déterminé. Coleridge porte un manteau long, ce qui n’a aucune importance dans la pièce…
Il se retire de la scène.

Coleridge
As-tu fermé la porte ? J’ai entendu des horreurs dans la rue. Comme si elles frappaient à la porte ou … peut-être était-ce dans ma tête…

Kubla
J’ai fermé la porte. Ne t’inquiète pas.
Les ombres sont dehors. Elles s’agitent légèrement avec le vent. Comme tous les soirs. Elles aiment se frotter à la porte. Glisser contre les rainures des bois, sur les arrondis des gonds. Je n’ouvrirai plus la porte cette nuit. Tu peux sommeiller en paix. Fais-moi confiance !

Coleridge
Avant ces bruits ne me faisaient pas peur. J’aimais me perdre dans la nuit et laisser ma peau sur le haut des coteaux au contact des fluides et des énergies. A deux pas du précipice. Je mettais un pied dans le vide. Et je penchais la tête de ce côté. Je frissonnais, pas de froid, d’excitation. Aujourd’hui, ce n’est plus pareil quelque chose s’est cassée. Sais-tu d’où cela vient ?

Kubla
Des pas ! Des pas qui longent la jetée. Ils se répètent à l’infini. Ils t’ont poursuivi une nuit de printemps alors qu’un orage grondait. C’était terrible.

Coleridge
C’est moi qui était effrayant




Kubla
Tu étais effrayé. C’est tout !




Coleridge
Et crois-tu que je ressortirais un jour. J’aimerais tant retrouver ces sensations. Je n’ai jamais eu autant d’émotion. Il m’arrivait parfois de pleurer. Je pleurais tant que je ne comprenais même plus comment mon corps pouvait en produire autant.

Kubla
Laisse-toi un peu de temps !




Coleridge
Je n’ai pas assez de temps. Comme toi ! Peut-être quelques heures ! Peut-être quelques souffles. Qui sait ? Moi, je ressens-ça, vraiment. Je sais que j’ai l’air d’un abruti quand je dis ça, un profond crétin.

Kubla
Non. Juste pour quelqu’un de sensible. Et la sensibilité c’est quelque chose qui manque au monde. Tu as vraiment en toi cette énergie. Tu es capable de remuer des montagnes, des continents. Mais là, tu doutes. Il te faut revenir, te reconquérir, te redonner confiance. Calme-toi ce soir. La mort ne viendra pas. Je commence à bien la connaître. J’en ai tant vu… pris et fauché comme des vulgaires bouses, sans préavis. Tu entends d’abord un cri. Puis un silence. Un long silence qui te prends déjà ta raison et tes sentiments. Un souffle, c’est ça, un souffle que tu sens dans ton dos et qui te fais te dresser le moindre poil sur tes bras, sur tes jambes. Un nouveau silence, presque symphonique. Comme dirais-je…un silence habité, c’est ça, habité. Le cri de tout à l’heure te reviens en écho. C’est presque beau, mais aussi effrayant et tu vois les yeux de l’autre qui sont saisis, envoutés et tu sais alors que pour l’autre, il est déjà bien trop tard. Les yeux se ferment et se rouvrent. Ils sont bleus. Et enfin, ils se referment doucement et profondément comme s’il fallait les coudre. Un dernier goût du cri qui s’éloigne. Un cri lourd. Dans quelques instants, ce sera fini.

Coleridge
Kubla ?




Kubla
Oui

Coleridge
Jai froid…

Kubla et Coleridge se retirent
Le chœur revient

Le Chœur
Moi, je n’entends rien ! Et vous, entendez-vous ? Fermons les yeux quelques instants…
Rien !

Noir sur la scène

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