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Théâtre : LE MAMBA NOIR – Pièce de Jacky Lavauzelle

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Théâtre de Jacky Lavauzelle

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LE MAMBA NOIR
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Pièce de Théâtre

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Personnages

Max
La soixantaine.

Pierre
La quarantaine – Un ami de Max et le copain de Lucie.

Lucie
La trentaine – La copine de Pierre.

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EXTRAITS DES DIX TABLEAUX

PREMIER TABLEAU

Max
A rentrer dans la pièce…quelle sensation ! Quel pied ! Tu sens la mort tout autour ! Un vent glacial ! C’est de la bombe, notre truc.

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SECOND TABLEAU

Max
« La vie est une navigation périlleuse ; assaillis par les tempêtes, nous y sommes plus souvent maltraités que des naufragés. N’ayant que la fortune pour pilote, nous voguons comme sur la mer… »

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TROISIÈME TABLEAU

Pierre
 Ah ouais… ça pourrait ne pas être mal…Oui, il a raison Jules Verne…à la ville, comme à la campagne… La mort sera sur la table de ce soir…ça va les changer des mixtures au fentanyl et des autres cochonneries…

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QUATRIÈME TABLEAU

Pierre
Nous nous garerons rue Étienne Ardouin. On s’éloigne du centre. Tu trouveras à te garer facilement. Sinon t’as la rue Floquet. C’est pas mal aussi. On déchargera les sacs et on partira chacun de notre côté. Toi, Max, tu prendras la direction de Miramar et moi je prendrai celle de Gambetta et de Bellevue.

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CINQUIÈME TABLEAU

Max
 En cendres…Mais froides…C’était de la cendre froide…Tu sais ? Tu n’as pas les mêmes sensations…C’est plus fin…Plus collant…Et y a une senteur de brûlé…de cramé… Et là…A ce moment-là, je n’ai plus rien entendu…Je voyais des corps bouger…Mais dans un silence absolu. C’était bougrement flippant…mais bougrement enivrant

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SIXIÈME TABLEAU

Max
C’est ça la création ! De la création expressionniste…Mais tu vois …ils veulent faire oublier la création… la vraie…l’unique…celle qui dérange…la démocratie elle veut bien que tu parles mais que d’abord tu fermes ta gueule… ça doit pas dépasser…ça doit être sur le fil…

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SEPTIÈME TABLEAU

Max
C’est ça le problème ! C’est joli ! Moi, je veux du beau ! du qui pète ! qui effraie ! qui glace le sang ! Le matin à la préhistoire, c’est pas joli, c’est beau. Et le gars en se levant, se préparant pour la chasse, il devait en avoir un de ces putains de frissons ! La vie était nouvelle et elle pouvait durer cinq minutes ou un peu plus… C’était du concentré, sans assurance, sans protection juridique, sans garantie décennale, sans prévention, sans le putain de risque zéro… Tes coucougnettes, ta sagaie, et tu partais et quand tu revenais avec ton gibier, ben c’était la fête ! …On regarde les infos ?

 …

HUITIEME TABLEAU

Max
Je suis stoïque. Un vrai stoïcien. Pas un rapporté. je tente tous les jours d’en faire un art de vivre, pas une bagatelle. Je veux décider de ce qui arrivera, pas subir. Quel bonheur est-ce d’être balloté par le destin, par les emmerdes du quotidien et d’attendre la venue de ton prochain cancer, de ton futur A.V.C. et d’attendre d’être un légume parkinsonien ou alzheimerien. D’attendre d’avoir le minimum vieillesse et de mâter des émissions pornographiques des 20 heures télévisées ou d’avoir un peu plus de tunes et d’aller croupir sur des croisières à la con…Moi je suis ce que disais Épictète : N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites mais décide seulement de vouloir ce qui arrive et là tu seras heureux. Je prends mon destin en main…Tu ferais mieux de faire pareil. Et pour tout le reste, moi, je relativise…

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NEUVIEME TABLEAU

Max
Dili…C’est la capitale. C’est le Timor Oriental… Là tu vois déjà t’es tranquille…Tout le monde là-bas t’a déjà oublié ! Pénard ! La fascination de l’oubli…L’oubli est fascinant, c’est vrai. Tu es là, mais tu n’es pas là…Un état de mort-vivant…Tu fais tes affaires, mais le monde vit comme si de rien était. T’as même pas d’effet papillon possible…Tu peux casser le pays, résultat :  rien ! Une explosion nucléaire : rien ! La Corée du Nord fait un essai nucléaire, branle-bas de combat. T’as la Chine, les Américains, les Japonais…Je te parle même pas des Coréens du Sud qui sont tout feu tout flamme ! Là-bas, rien ! Là-bas un quart de la population exterminée par l’armée indonésienne : Rien, rien et encore rien ! C’est comme si t’avais quinze millions de Français liquidés par une armée d’occupation. C’est pire que tout…Même Pol Pot qu’es quand même dans la région ce qui s’est fait de plus lourd : dix pour cent de sa population. Tu vois, là-bas, aucun risque d’être retrouvé.

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DIXIÈME TABLEAU

Lucie
Moi aussi, je sais ce que je ne veux pas ! Et tu feras pas plonger plus que ça Pierre ! Je sais aussi ce que je veux, c’est m’éloigner de toi, de ta construction ou de ta destruction, je m’en fous. Je me tire et je ne souhaite même pas bonne chance. J’espère que nous ne nous verrons plus jamais…

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ONZIÈME & DERNIER TABLEAU

Max
Les allemands parlent d’Hinfälligkeit, la fragilité du beau. Le beau est dans l’instable, l’unique, le solitaire, dans l’instant. Il faut que je le dévoile, lentement avec patience. Nos premiers happenings incendiaires, c’était de la fête du 14 juillet. C’était le bal des pompiers. Un amuse-gueule !

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LE MAMBA NOIR
Pièce de théâtre

EPREUVES NOCTURNES Pièce de Jacky Lavauzelle – Second Tableau

Jacky Lavauzelle Théâtre
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Théâtre de Jacky Lavauzelle

EPREUVES NOCTURNES

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SECOND TABLEAU

Le Chœur
Il s’avance au milieu de la scène. Il fait nuit. Nous n’entendons que sa voix.
A force de vivre, les deux hommes se sont tus. La nuit est là. Il n’y a plus qu’elle. A force de peur, de mal vivre. A force de renoncer. La prochaine fois… non, il n’y aura même plus de seconde fois. Tout est terminé…

Voix de Coleridge
Il y a quelqu’un ? J’entends des voix… c’est pas possible…Je deviens taré ! Des acouphènes peut-être… J’ai moins froid, quand même…

Nous entendons des pas qui s’éloigne. C’est le chœur qui s’en va.

Voix de Kubla
Coleridge ? C’est moi ! Je suis là ! J’espère que tu vas mieux ?

Voix de Coleridge
Oui, mais je ne trouve pas la lumière.

Kubla
C’est normal.

Coleridge
Pourquoi ?




Kubla
La Régie d’électricité a fondu les plombs !




Coleridge
Et comment on fait maintenant ?




Coleridge
A l’ancienne, mon vieux. Tu vas au lit avec ta chandelle et tu t’endors.

Kubla
Mais je n’ai pas sommeil !

Coleridge
Tiens prends ça ! non, là, rapproche-toi. Non, je ne te sens pas… J’entends tes pas qui se rapproche…voilà, j’ai ta main ! Tiens, prends !




Kubla
Je l’ai. C’est quoi ?

Coleridge
Un livre de Kant.

Kubla
Emmanuel ?

Coleridge
Eh oui ! qui veux-tu que ce soit ?

Kubla
J’ai jamais rien compris !

Coleridge
C’est le moment – Profite de la nuit pour t’éclairer. Ne vois-tu pas de la lumière dans tes yeux ? Ferme-les fortement.

Kubla
C’est vrai, ça. Je vois des étincelles. C’est beau ! Putain que c’est beau ! Merci ! Je vois Dieu ! Merde alors !

Coleridge
C’est normal ! C’est sur l’existence de Dieu ! Et voici mon corps qui change ! Je vole ! Je me transforme en une grosse bulle. C’est chaud…C’est presque brûlant…Comme ça brûle … Quel feu !

Kubla
Criant
Ouvre les yeux ! Putain, ouvre les yeux !

La scène s’illumine, puis s’éteint.

 

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Alfred CAPUS – Notre Jeunesse – Comédie en quatre actes – 1904

ALFRED CAPUS

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Jacky Lavauzelle*******

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Alfred CAPUS
NOTRE JEUNESSE
Comédie en quatre actes
Jouée pour la première fois en 1904
Au Théâtre de la Comédie-Française

VERS L’ÂGE  DE LA RESIGNATION

Jacky Lavauzelle Alfred Capus Notre jeunesse Artgitato Baigneurs sur la plage de Trouville Eugène-Louis BOUDIN

 Jules Lemaître dans La Revue des Deux-Mondes souligne sur Alfred Capus que ses « sujets préférés, c’est la chasse à l’argent, mais considérée surtout chez ceux qui n’en ont pas ; c’est très simplement le mal qu’on a à gagner sa propre vie ; c’est la difficulté des débuts pour beaucoup de jeunes gens dans une société tout « industrialisée » et où la concurrence devient de jour en jour plus dure…

LE MONDE DES PROFESSIONS PARASITES
M. Capus connaît très bien le monde des bizarres professions parasites créées par ces nouvelles conditions sociales, le monde des coulissiers, des hommes d’affaires, des agents de publicité…Et il ne connaît pas moins bien la vie de la petite bourgeoisie, parisienne et provinciale. »

Dans Notre Jeunesse, Alfred Capus nous installe dans la grande bourgeoisie en villégiature à Trouville.  Lucien, un des personnages centraux,  a une entreprise qui vient de son père, Monsieur Briant. Il l’a sauvée de la banqueroute. Lucien est placé entre deux fortes personnalités : son père et sa femme Hélène.

NOUS SOMMES A LA VEILLE DE TRES GRAVES EVENEMENTS Dans le premier acte, nous retrouvons un tableau qui pourrait être un tableau de l’économie d’aujourd’hui. Nous sommes à l’orée du XXe siècle. Il parle à son ami Jacques Chartier, un bourgeois rentier : « Tu ne comptes donc pour rien les préoccupations de toutes sortes, l’incertitude du lendemain, tous les risques, tous les dangers de ma situation ? Nous sommes en pleine crise industrielle et commerciale…Oui, oui, ces mots-là ne signifient pas grand’ chose pur toi qui est oisif, qui vit dans un monde d’insouciance et de fantaisie…Tu es un consommateur, je suis un producteur…Pourvu qu’on te fournisse le luxe et le confortable dont tu as besoin, tu es tranquille et tu dis que tout est pour le mieux…Mais, moi, je suis obligé de te les fournir, je ne suis pas aussi rassuré…Je sais par les temps qui court, l’entreprise la plus florissante peut se trouver ruinée du jour au lendemain, par suite d’une grève, d’une catastrophe quelconque ou simplement de la concurrence étrangère…Nous sommes à la veille des très graves événements. »

Alfred Capus Analyse Jacky Lavauzelle

LES GREVES A REPETITION
Les débuts de ce siècle sont, en effet, bouleversés par les mouvements sociaux d’une ampleur exceptionnelle. Sont touchés les usines Schneider au Creusot, les usines de Saône-et-Loire, la Compagnie des Mines de Houilles de Blanzy, la grève des tullistes de Calais…dans l’espoir d’une grève générale. La loi du 30 mars 1900 de Millerand, la réforme du droit du travail, la journée de onze heures, réglemente la durée légale du travail et ouvre la voie à dix ans de modifications sociales et législatives, dix heures par jour et un maximum de soixante heures par semaine avec la loi de 1904…

IL NE MANQUAIT PLUS QU’UNE GREVE !
Dans le troisième acte, Monsieur Briant, le père de Lucien, doit rentrer à cause des mouvements sociaux qui agitent son entreprise : « Partons donc tranquillement et le plus tôt possible. D’autant plus que dans le courrier de ce matin, je trouve d’assez mauvaises nouvelles de là-bas…Bruits de grève…réclamations…Ma présence est nécessaire. En tout cas, moi je pars. – (Lucien) Et je vous accompagne, comme vous pensez…Ah ! il ne manquait plus qu’une grève !… – (M. Briant) Ne nous dissimulons pas que nous l’aurons un jour ou l’autre. – (Lucien) Quelle existence ! Et quel avenir !»

LA LOI FATALE
Mais nous sommes dans cette accélération des fusions des entreprises, des absorptions des petites par les grandes, dans la création des gros groupes, les premiers trusts voient le jour ; dans l’acte II : « – (Serquy) Vous serez absorbés tôt ou tard…Voyez-vous, la petite industrie doit se fondre dans la grande. C’est la loi fatale. Vendez-moi votre maison, je vous garde comme gérants, votre fils et vous. Vous ne risquerez plus rien et vous aurez autant de bénéfices. – (Monsieur Briant) Vous appelez ça un ‘trust’ aujourd’hui, je crois ? »

SE FAIRE DES OPINIONS RASSURANTES
Entre l’inquiétude des affaires, de ce qui deviendra la mondialisation capitaliste, le rentier Chartier oppose la confiance : « Un grand homme a dit : « ce qui émeut les hommes, ce n’est point les choses, mais leur opinion sur les choses. » Je tâche donc de me faire le plus possible des opinions rassurantes. »

Nous sommes dans les années qui suivent les premiers grands scandales politico-financiers. La Libre Parole relève en 1892 la corruption liée au Canal de Panama. Suivront les nombreuses affaires retentissantes, la banqueroute du banquier Oustric en 1929 avec la démission du ministre de la Justice, l’affaire Hanau en 1925, l’affaire Stavisky…

UN CARACTERE DE JEUNESSE
Les deux hommes s’opposent dans les affaires, dans leurs émotions et dans leurs caractères. C’est Lucien qui le précise le mieux : « Tu as toujours ton humeur d’autrefois, ton caractère de jeunesse. C’est ce que je t’envie le plus. Il y a des êtres qui communiquent pour ainsi dire de la frivolité à tous les événements où ils se mêlent. Tu es un de ces êtres-là. Moi, au contraire, tout ce qui m’arrive devient immédiatement grave, presque tragique…Aucune de mes aventures de jeune homme n’a bien fini : aucune ne m’a laissé un souvenir joyeux. »

Lucien ne croit pas si bien dire. Lucienne Gilard, qui arrive du village d’Espeuille à proximité de Limoges, une enfant naturelle, n’est autre que sa fille qu’il a eu dans sa jeunesse. Energique, désintéressée, elle recherche, non pas son père auprès duquel elle n’espère rien, mais l’ami de son père : Jacques Chartier.

Alfred Capus Jacky Lavauzelle

DES MILITANTES PLUS NOMBREUSES
Elle est une figure de l’indépendance féminine de son époque. En ces années 1900, le rôle de la femme commence à être reconnu. Les avancées sont modestes, mais notables. Depuis le rôle joué par Louise Michel en 1871, la création de l’Association pour les droits des femmes en 1870, le journal la Fronde, le Conseil National des Femmes Françaises, les militantes sont de plus en plus nombreuses venues de tous les horizons de la société française.

UN PEU A LA FACON DES HOMMES
Ainsi Lucienne est une femme de son temps et cherche à ne dépendre de personne, à être l’égale des hommes : « Mon rêve eût été à ce moment-là de choisir une de ces professions comme il y en a aujourd’hui pour les femmes qui n’ont pas de fortune. Une de mes camarades de pension, par exemple, est employée dans une imprimerie ; une autre est à la comptabilité d’une maison de banque. Je pensais que je pourrais trouver, moi aussi, une situation analogue, où, à la condition de travailler, on est indépendante un peu à la façon des hommes. Ce rêve-là, je le réaliserai peut-être un jour, je l’espère. » (Acte III)

UNE ECLATANTE REPUTATION D’HEROÏSME ET DE BEAUTE
Bien entendu, Alfred Capus place son histoire et ces héros dans une opposition des générations. C’était mieux avant, quoique. « Si quelqu’un ose insinuer que nos ancêtres ne valaient pas mieux que nous, on le traite de cerveau débile ou de mauvais citoyen ; et il faut aujourd’hui, pour louer ses semblables, plus d’audace qu’autrefois pour les flétrir. Eh bien ! moi, Monsieur Briant, je ne sais pas si notre époque laissera dans l’histoire une éclatante réputation d’héroïsme et de beauté, mais je la trouve, malgré ses tares et ses vices, plus cordiale et plus habitable que la vôtre. Nous n’avons plus certaines vertus que vous aviez, mais nous avons une sensibilité que vous n’aviez pas ; et nous sommes plus émus que vous par la souffrance, l’inégalité et la misère. » (Chartier à Monsieur Briant, Acte IV)… Audace, héroïsme, souffrance, misère ; nous ne sommes qu’à quelques années du début de la seconde guerre mondiale…

L’ÂGE DE LA RESIGNATION
Les générations ne se raccorderont pas complétement, mais Lucienne retrouvera son père in-extremis. Et la dernière vision sera sa découverte de son grand-père en partance sur le seuil de la maison. Il est l’heure de partir. Hélène penchée auparavant lui susurrait : « Nous vivrons précieusement les quelques années de santé et de force qui nous restent, et alors nous arriverons avec moins d’angoisse à l’âge de la résignation. » (Acte IV)

Jacky Lavauzelle

Jacky Lavauzelle Artgitato