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À CÔTÉ DU CIMETIÈRE- HEINRICH HEINE POÈMES – LE LIVRE DES CHANTS XXVIII- DIE HEIMKEHR – Der bleiche, herbstliche Halbmond

HEIRICH HEINE POÈMES
DIE HEIMKEHR HEINE
LE LIVRE DES CHANTS
LITTERATURE ALLEMANDE






Christian Johann Heinrich Heine


 

Der bleiche, herbstliche Halbmond
Le pâle croissant automnal
Lugt aus den Wolken heraus;
Espionnait derrière les nuages ;
Ganz einsam liegt auf dem Kirchhof’
Toute seule se trouve à côté du cimetière
Das stille Pfarrerhaus.
La tranquille maison du pasteur.

*

Die Mutter liest in der Bibel,
La mère lit la Bible,
Der Sohn, der starret in’s Licht,
Le fils, qui regarde fixement la lampe,
Schlaftrunken dehnt sich die ält’re,
Tombe de sommeil,
 Die jüngere Tochter spricht:
La jeune fille dit alors :

*

Ach Gott! wie Einem die Tage
« Ô mon Dieu ! comme tous les jours
Langweilig hier vergeh’n;
Nous nous ennuyons ici tellement ;
 Nur wenn sie Einen begraben,
Il n’y a qu’aux enterrements,
Bekommen wir etwas zu sehn.
Que nous avons quelque chose à voir ! »

*

Die Mutter spricht zwischen dem Lesen:
La mère dit au milieu de sa lecture :
 Du irrst, es starben nur Vier,
« Tu as tort, il n’est mort que quatre personnes,
Seit man deinen Vater begraben,
Depuis que nous avons enterré ton  père,
Dort an der Kirchhofsthür’.
Là-bas, à côté de la porte du cimetière. « 

*

Die ält’re Tochter gähnet:
La fille aînée dans un bâillement dit :
Ich will nicht verhungern bei Euch,
« Je ne veux pas mourir de faim chez vous,
Ich gehe morgen zum Grafen,
Je m’en irai demain voir le comte,
Und der ist verliebt und reich.
Lui, il est si amoureux et si riche. « 

*

Der Sohn bricht aus in Lachen:
Le fils éclate alors de rire :
Drei Jäger zechen im Stern,
« Trois chasseurs mangent à la belle étoile,
Die machen Gold und lehren
Ils savent comment faire de l’or et m’enseigneront
Mir das Geheimniß gern.
Volontiers leur secret.

*

Die Mutter wirft ihm die Bibel
La mère lui lance alors la Bible
In’s mag’re Gesicht hinein:
En pleine face :
 So willst du, Gottverfluchter,
 » Ainsi veux-tu, petit chenapan,
Ein Straßenräuber seyn!
Devenir un brigand !  « 

*

Sie hören pochen an’s Fenster,
Ils entendent que l’on frappe à la fenêtre,
Und sehn eine winkende Hand;
Et voient alors une main s’agiter ;
Der todte Vater steht draußen
Voilà, le père mort debout à l’extérieur
 Im schwarzen Pred’gergewand.
Dans sa tenue noire de prédicateur.


 

*

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HEINRICH HEINE POEMES
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UNE HISTOIRE DE SOUFFRANCE

Les Mains & La Beauté musicale de Heine

Mais ce qui m’intéressait plus encore que les discours de Heine, c’était sa personne, car ses pensées m’étaient connues depuis longtemps, tandis que je voyais sa personne pour la première fois et que j’étais à peu près sûr que cette fois serait l’unique. Aussi, tandis qu’il parlait, le regardai-je encore plus que je ne l’écoutai. Une phrase des Reisebilder me resta presque constamment en mémoire pendant cette visite : « Les hommes malades sont véritablement toujours plus distingués que ceux en bonne santé. Car il n’y a que le malade qui soit un homme ; ses membres racontent une histoire de souffrance, ils en sont spiritualisés. » C’est à propos de l’air maladif des Italiens qu’il a écrit cette phrase, et elle s’appliquait exactement au spectacle qu’il offrait lui-même. Je ne sais jusqu’à quel point Heine avait été l’Apollon que Gautier nous a dit qu’il fut alors qu’il se proclamait hellénisant et qu’il poursuivait de ses sarcasmes les pâles sectateurs du nazarénisme : ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’en restait plus rien alors. Cela ne veut pas dire que la maladie l’avait enlaidi, car le visage était encore d’une singulière beauté ; seulement cette beauté était exquise plutôt que souveraine, délicate plutôt que noble, musicale en quelque sorte plutôt que plastique. La terrible névrose avait vengé le nazarénisme outragé en effaçant toute trace de l’hellénisant et en faisant reparaître seuls les traits de la race à laquelle il appartenait et où domina toujours le spiritualisme exclusif contre lequel son éloquente impiété s’était si souvent élevée. Et cet aspect physique était en parfait rapport avec le retour au judaïsme, dont les Aveux d’un poète avaient récemment entretenu le public. D’âme comme de corps, Heine n’était plus qu’un Juif, et, étendu sur son lit de souffrance, il me parut véritablement comme un arrière-cousin de ce Jésus si blasphémé naguère, mais dont il ne songeait plus à renier la parenté. Ce qui était plus remarquable encore que les traits chez Heine, c’étaient les mains, des mains transparentes, lumineuses, d’une élégance ultra-féminine, des mains tout grâce et tout esprit, visiblement faites pour être l’instrument du tact le plus subtil et pour apprécier voluptueusement les sinuosités onduleuses des belles réalités terrestres ; aussi m’expliquèrent-elles la préférence qu’il a souvent avouée pour la sculpture sur la peinture. C’étaient des mains d’une rareté si exceptionnelle qu’il n’y a de merveilles comparables que dans les contes de fées et qu’elles auraient mérité d’être citées comme le pied de Cendrillon, ou l’oreille qu’on peut supposer à cette princesse, d’une ouïe si fine qu’elle entendait l’herbe pousser. Enfin, un dernier caractère plus extraordinaire encore s’il est possible, c’était l’air de jeunesse dont ce moribond était comme enveloppé, malgré ses cinquante-six ans et les ravages de huit années de la plus cruelle maladie. C’est la première fois que j’ai ressenti fortement l’impression qu’une jeunesse impérissable est le privilège des natures dont la poésie est exclusivement l’essence. Depuis, le cours de la vie nous a permis de la vérifier plusieurs fois et nous ne l’avons jamais trouvée menteuse.

Émile Montégut
Esquisses littéraires – Henri Heine
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 63
1884

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HEINRICH HEINE POÈMES

DIE HEIMKEHR HEINE

CATULLE XXVIII CATULLUS – Ad Veranium et Fabullum A VERANIUS ET FABULLUS

*

CATULLE CATULLUS XXVIII

litterarumLittérature Latine
Catulle

Poeticam Latinam

Traduction Jacky Lavauzelle

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CATULLE – CATULLUS
84 av J.-C. – 54 av J.-C.

POESIE XXVIII

 Ad Veranium et Fabullum

À VERANIUS ET FABULLUS

***

Pisonis comites, cohors inanis,
Compagnons de Pison, dont sa cour reste vide
 
aptis sarcinulis et expeditis,
d’argent et dépourvue de malles,
Verani optime tuque mi Fabulle,
magnifique Veranius, tout comme toi Fabullus,
  quid rerum geritis? satisne cum isto
Que pensez-vous de ça ? ce faquin
vappa frigoraque et famem tulistis?
vous a-t-il fait endurer et le froid et la faim ?







 Ecquidnam in tabulis patet lucelli
Les gains sur vos tablettes sont-ils effacés
expensum, ut mihi, qui meum secutus
par vos dépenses ?  C’est tout comme moi suivant
praetorem refero datum lucello?
mon prêteur, mes recettes égalaient mes versements !
 O Memmi, bene me ac diu supinum
Ô Memmius, gouverneur de Bithynie, depuis longtemps tu m’as floué,
 tota ista trabe lentus irrumasti.
lentement tu m’as vidé.


 Sed, quantum video, pari fuistis
mais, d’après ce que je vois, vous êtes
  casu: nam nihilo minore verpa
dans le même cas : victimes d’une grande
 farti estis. pete nobiles amicos!
forfaiture. Appelez d’illustres amis !
 At vobis mala multa di deaeque
Mais que les dieux et les déesses
dent, opprobria Romuli Remique.
terrassent notre Pison, déshonneur de Remus et Romulus.

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Ad Verannium et Fabullum
A son servant

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Traduction Jacky Lavauzelle
ARTGITATO







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Catulle – Catullus
POESIE XXVIII

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LA CANAILLE & LES DELICATS
par Ferdinand Brunetière
1882

On a voulu faire de Catulle, sans arguments bien solides, un poète aristocratique, un poète du grand monde, comme de sa Lesbie, sur des inductions plutôt que sur des preuves, ce que Brantôme appelait « une grande et honnête dame. » Je persiste à ne pas croire, pour ma part, que Lesbie fût la célèbre Clodia, mais je crois que bon nombre des fréquentations de Catulle furent parmi la bohème littéraire de Rome. Au surplus, la conciliation n’est pas si difficile. Ce que nous savons, en effet, c’est que, lorsque l’adolescent de Vérone arriva de sa province dans la capitale, il y subsistait, sous le raffinement de quelques habitudes, sous l’étalage du luxe et sous l’apparence de la civilisation, un grand fonds d’antique brutalité romaine. Si nous en pouvions douter, nous rapprendrions au moins de certaines épigrammes de Catulle lui-même, plus grossières que mordantes, et dont l’outrageuse crudité passe tout. C’est bien fait à M. Rostand de nous les avoir traduites. On ne peut pas juger d’un poète en commençant par faire exception de toute une partie de son œuvre, qui peut-être est celle que les contemporains en ont presque le plus goûtée. Là où Catulle est bon, il va jusqu’à l’exquis, et c’est bien de lui que l’on peut dire aussi justement que de personne qu’il est alors le mets des délicats ; mais là où il est grossier, il l’est sans mesure, et c’est bien encore de lui que l’on peut dire qu’il est le charme de la canaille. Or, à Rome, en ce temps-là, dans le sens littéraire de l’un et l’autre mot, la canaille et les délicats, c’était presque tout un. On ne distinguait pas encore, selon le mot d’Horace, la plaisanterie spirituelle de l’insolente rusticité. La curiosité de l’intelligence, vivement éveillée, capable de goûter les finesses de l’alexandrinisme, était en avance, pour ainsi dire, sur la rudesse des mœurs et la vulgarité des habitudes mondaines.





Quand on grattait ces soupeurs qui savaient apprécier les jolies bagatelles du poète, on retrouvait le paysan du Latium, qui s’égayait, au moment du vin, à faire le mouchoir. La raillerie, comme à la campagne, s’attaquait surtout aux défauts ou disgrâces physiques. Je sais bien que, jusque dans Horace, la grossièreté du vieux temps continuera de s’étaler, mais ce ne sera plus de la même manière naïvement impudente. Au temps de Catulle, la délicatesse n’avait pas encore passé de l’esprit dans les manières. Quand il s’élevait seulement un nuage sur les amours du poète et de sa Lesbie, le docte traducteur de Callimaque s’échappait en injures de corps de garde. Cette société très corrompue ne s’était pas encore assimilé la civilisation grecque. Elle s’essayait à la politesse, elle n’y touchait pas encore. Et sous son élégance toute superficielle, elle manquait étrangement de goût. — Il me paraît que, si l’on examinée quel moment de notre histoire la plupart de ces traits conviennent, on trouvera que c’est au XVIe siècle, dans le temps précis que le contact des mœurs italiennes opérait sur la cour des Valois le même effet qu’à Rome, sur les contemporains de César, le contact des mœurs de la Grèce.

Ferdinand Brunetière
Revue littéraire
À propos d’une traduction de Catulle
Revue des Deux Mondes
Troisième période
Tome 54 –  1882

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THE FAREWELL KHALIL GIBRAN THE PROPHET XXVIII L’ADIEU DU PROPHETE

THE FAREWELL Khalil Gibran The Prophet
L’ADIEU ou EPILOGUE

The Prophet XXVIII
THE FAREWELL KHALIL GIBRAN
Littérature Libanaise
Lebanese literature
le-prophete-khalil-gibran-fred-holland-day-1898Photographie de Fred Holland Day
1898







جبران خليل جبران
Gibran Khalil Gibran
1883–1931
le-prophete-khalil-gibran-the-prophete-n

Traduction Jacky Lavauzelle

 

THE PROPHET XXVIII
 THE FAREWELL
L’ADIEU
ou
EPILOGUE




1923


And now it was evening.
Et maintenant le soir était tombé.

And Almitra the seeress said, « Blessed be this day and this place and your spirit that has spoken. »
Et Almitra, la voyante, dit : « Béni soit ce jour, béni soit ce lieu et béni ton esprit qui a parlé. »

And he answered, Was it I who spoke? Was I not also a listener?
Et il répondit : « Est-ce moi qui ai parlé ? N’étais-je pas aussi un auditeur ? »

Then he descended the steps of the Temple and all the people followed him. And he reached his ship and stood upon the deck.
Puis il descendit les marches du Temple et tout le peuple le suivit. Et il arriva à son vaisseau et se tint sur le pont.

And facing the people again, he raised his voice and said:
Et face au peuple encore, il leva sa voix et dit :

People of Orphalese, the wind bids me leave you.
Gens d’Orphalese, le vent me dit qu’il est temps de vous quitter.

 Less hasty am I than the wind, yet I must go.
Je suis moins pressé que le vent, pourtant je dois partir.

We wanderers, ever seeking the lonelier way, begin no day where we have ended another day; and no sunrise finds us where sunset left us.
Nous, les errants, toujours à la recherche du chemin le plus solitaire, ne commençons pas un jour où nous avons passé un autre jour ; Et aucun lever du soleil ne nous trouve où le coucher du soleil nous a quittés.

Even while the earth sleeps we travel.
Même lorsque la terre dort, nous voyageons.

We are the seeds of the tenacious plant, and it is in our ripeness and our fullness of heart that we are given to the wind and are scattered.
Nous sommes les graines de la plante tenace, et c’est dans notre maturité et notre plénitude de cœur que nous sommes donnés au vent et que nous sommes dispersés.




Brief were my days among you, and briefer still the words I have spoken.
Brefs ont été  mes jours parmi vous, et encore plus brefs les paroles que j’ai prononcées.

But should my voice fade in your ears, and my love vanish in your memory, then I will come again,
Mais si ma voix s’efface dans vos oreilles, et que mon amour s’évanouit dans votre mémoire, je reviendrai alors.

And with a richer heart and lips more yielding to the spirit will I speak.
Et avec un cœur plus riche et des lèvres plus en phase avec l’esprit, je vous parlerai à nouveau.

Yea, I shall return with the tide,
Oui, je reviendrai avec la marée,

And though death may hide me, and the greater silence enfold me, yet again will I seek your understanding.
Et même si la mort me cache, et que le plus grand silence m’enveloppe, encore une fois je chercherai votre compréhension.

And not in vain will I seek.
Et je ne chercherai pas en vain.

If aught I have said is truth, that truth shall reveal itself in a clearer voice, and in words more kin to your thoughts.
Si tout ce que j’ai dit est vérité, cette vérité se révélera d’une voix plus claire, et en paroles plus proches de vos pensées.

I go with the wind, people of Orphalese, but not down into emptiness;
Je vais avec le vent, gens d’Orphalese, mais pas vers le néant ;


And if this day is not a fulfilment of your needs and my love, then let it be a promise till another day. Know therefore, that from the greater silence I shall return.
Et si ce jour n’est pas un accomplissement de vos besoins et de mon amour, alors qu’il soit une promesse jusqu’à un autre jour. Sachez donc que du plus grand silence je reviendrai.

The mist that drifts away at dawn, leaving but dew in the fields, shall rise and gather into a cloud and then fall down in rain.
La brume qui dérive à l’aube, en laissant de la rosée dans les champs, se lève et se rassemble dans un nuage, puis retombe en pluie.

And not unlike the mist have I been.
Et n’ai-je pas été comme de la brume.

In the stillness of the night I have walked in your streets, and my spirit has entered your houses,
Dans le calme de la nuit, j’ai marché dans v osrues, et mon esprit est entré dans vos maisons,

And your heart-beats were in my heart, and your breath was upon my face, and I knew you all.
Et vos battements de cœur étaient dans mon cœur, et votre souffle était sur mon visage, et je vous connaissais tous.

Ay, I knew your joy and your pain, and in your sleep your dreams were my dreams.
Oui, je connaissais et vos joies et vos peines et, dans votre sommeil, vos rêves étaient mes rêves.

And oftentimes I was among you a lake among the mountains.
Et souvent, j’étais au milieu de vous un lac au milieu des montagnes.

I mirrored the summits in you and the bending slopes, and even the passing flocks of your thoughts and your desires.
J’ai reflété les sommets en vous et les pentes, et même les troupeaux passants de vos pensées et vos désirs.

And to my silence came the laughter of your children in streams, and the longing of your youths in rivers.
Et mon silence accueillait le rire de vos enfants en ruisseaux, et le désir de vos jeunes en rivières.

And when they reached my depth the streams and the rivers ceased not yet to sing.
Et quand ils arrivèrent à ma profondeur, les ruisseaux et les rivières ne cessèrent de chanter.

But sweeter still than laughter and greater than longing came to me.
Mais une chose plus douce encore que le rire et plus grande que le désir venait à moi :

It was boundless in you;
C’était l’illimité qui se trouve en vous ;

The vast man in whom you are all but cells and sinews;
L’homme immense dont vous êtes tous des cellules et des nerfs ;

He in whose chant all your singing is but a soundless throbbing.
Lui, dans le chant duquel tout votre chant n’est que le bruit d’une palpitation.

It is in the vast man that you are vast,
C’est dans l’homme immense que vous êtes immense,


And in beholding him that I beheld you and loved you.
Et en le voyant, je vous ai regardés et vous ai aimés.




For what distances can love reach that are not in that vast sphere?
Quelles distances l’amour peut-il atteindre qui ne soient pas dans cette vaste sphère ?

What visions, what expectations and what presumptions can outsoar that flight?
Quelles visions, quelles attentes et quelles présomptions peuvent dépasser ce vol ?

Like a giant oak tree covered with apple blossoms is the vast man in you.
Comme un chêne géant recouvert de fleurs de pommier est cet immense homme en vous.

His mind binds you to the earth, his fragrance lifts you into space, and in his durability you are deathless.
Son esprit vous lie à la terre, son parfum vous élève dans l’espace, et dans sa éternité vous êtes immortels.

You have been told that, even like a chain, you are as weak as your weakest link.
On vous a dit que, comme une chaîne, vous êtes aussi faible que votre maillon le plus faible.

This is but half the truth. You are also as strong as your strongest link.
Ce n’est que la moitié de la vérité. Vous êtes aussi fort que votre lien le plus fort.

To measure you by your smallest deed is to reckon the power of ocean by the frailty of its foam.
Vous mesurer par votre plus petit acte, c’est mesurer la puissance de l’océan par la fragilité de son écume.

To judge you by your failures is to cast blame upon the seasons for their inconsistency.
Vous juger par vos échecs, c’est jeter le blâme sur les saisons pour leur incohérence.

Ay, you are like an ocean,
Oui, vous êtes comme un océan,

And though heavy-grounded ships await the tide upon your shores, yet, even like an ocean, you cannot hasten your tides.
Et quoique les vaisseaux lourds attendent la marée sur vos rivages, pourtant, tel un océan, vous ne pouvez hâter vos marées.

And like the seasons you are also,
Et vous êtes à l’image des saisons,

And though in your winter you deny your spring,
Même si en votre hiver vous niez votre printemps,




Yet spring, reposing within you, smiles in her drowsiness and is not offended.
Pourtant le printemps, reposant en vous, sourit dans sa somnolence et n’est pas offensé.

Think not I say these things in order that you may say the one to the other, « He praised us well. He saw but the good in us. »
Ne pensez pas que je dise ces choses afin que vous puissiez dire l’un à l’autre : «Il nous a bien loués, il n’a vu que le bien en nous. »

I only speak to you in words of that which you yourselves know in thought.
Je ne vous parle que par des paroles de ce que vous connaissez en pensée.

And what is word knowledge but a shadow of wordless knowledge?
Et qu’est-ce donc que la connaissance des mots, si ce n’est l’ombre d’une connaissance sans paroles ?

Your thoughts and my words are waves from a sealed memory that keeps records of our yesterdays,
Vos pensées et mes mots sont les vagues d’une mémoire scellée qui garde des souvenirs de nos hiers,

And of the ancient days when the earth knew not us nor herself,
Et des jours jadis où la terre ne nous connaissait ni ne se connaissait,

And of nights when earth was upwrought with confusion,
Et des nuits où la terre était envahie par la confusion,

Wise men have come to you to give you of their wisdom. I came to take of your wisdom:
Des hommes sages sont venus à vous pour vous donner de leur sagesse. Je suis venu pour prendre de votre sagesse :

And behold I have found that which is greater than wisdom.
Et voici, j’ai trouvé ce qui est plus grand que la sagesse.

It is a flame spirit in you ever gathering more of itself,
C’est un esprit de flamme en vous rassemblant toujours plus de lui-même,

While you, heedless of its expansion, bewail the withering of your days.
Pendant que vous, insouciant de son expansion, pleurez le dépérissement de vos jours.


It is life in quest of life in bodies that fear the grave.
C’est la vie en quête de vie dans des corps qui craignent la tombe.

There are no graves here.
Il n’y a pas de tombes ici.

These mountains and plains are a cradle and a stepping-stone.
Ces montagnes et plaines sont un berceau et un tremplin.

Whenever you pass by the field where you have laid your ancestors look well thereupon, and you shall see yourselves and your children dancing hand in hand.
Chaque fois que vous passez par le champ où vous avez déposé vos ancêtres, regardez-les bien, et vous verrez vous-mêmes et vos enfants dansant main dans la main.

Verily you often make merry without knowing.
En vérité, vous donnez de la joie souvent sans savoir.

Others have come to you to whom for golden promises made unto your faith you have given but riches and power and glory.
D’autres sont venus à vous, à qui, pour des promesses d’or faites à votre foi, vous avez donné la richesse, la puissance et la gloire.

Less than a promise have I given, and yet more generous have you been to me.
J’ai donné moins d’une promesse, et pourtant plus généreux avez-vous été avec moi

You have given me deeper thirsting after life.
Vous m’avez donné plus de soif de la vie.




Surely there is no greater gift to a man than that which turns all his aims into parching lips and all life into a fountain.
Certes, il n’y a pas de plus grand cadeau pour un homme que celui qui transforme tous ses buts en lèvres sèches et toute vie en une fontaine.

 And in this lies my honour and my reward, –
Et c’est là mon honneur et ma récompense,

That whenever I come to the fountain to drink I find the living water itself thirsty;
Que chaque fois que je viens à la fontaine pour boire, je trouve l’eau vive elle-même assoiffée;

And it drinks me while I drink it.
Et elle me boit pendant que je la bois.

Some of you have deemed me proud and over-shy to receive gifts.
Certains d’entre vous m’ont jugé ou trop fier ou trop timide pour recevoir des présents.

Too proud indeed am I to receive wages, but not gifts.
Je suis trop fier pour recevoir des salaires, mais pas des présents.

And though I have eaten berries among the hill when you would have had me sit at your board,
Et bien que j’aie mangé des baies sur la colline, quand vous m’auriez fait asseoir à votre table,

And slept in the portico of the temple where you would gladly have sheltered me,
Et je me suis endormi dans le portique du temple alors que vous auriez bien voulu m’abriter,

Yet was it not your loving mindfulness of my days and my nights that made food sweet to my mouth and girdled my sleep with visions?
Pourtant, n’est-ce pas votre attention affectueuse de mes jours et de mes nuits qui a rendu la nourriture douce à ma bouche et a rempli mon sommeil de visions ?

For this I bless you most:
Pour cela, je vous bénis :

You give much and know not that you give at all.
Vous donnez beaucoup et vous ne le savez pas.

Verily the kindness that gazes upon itself in a mirror turns to stone,
En vérité, la bonté qui se fixe dans un miroir se transforme en pierre,

And a good deed that calls itself by tender names becomes the parent to a curse.
Et une bonne action qui s’appelle par des noms tendres devient le parent d’une malédiction.

And some of you have called me aloof, and drunk with my own aloneness,
Et certains d’entre vous m’ont trouvé à l’écart, et ivre de ma propre solitude,

And you have said, « He holds council with the trees of the forest, but not with men.




Et vous avez dit : «Il tient conseil avec les arbres de la forêt, mais pas avec les hommes.

He sits alone on hill-tops and looks down upon our city. »
Il est assis seul sur les sommets des montagnes et regarde de haut notre ville. »

True it is that I have climbed the hills and walked in remote places.
C’est vrai que j’ai grimpé les collines et marché dans des endroits éloignés.

How could I have seen you save from a great height or a great distance?
Comment aurais-je pu vous voir autrement que d’une grande hauteur ou d’une grande distance ?

How can one be indeed near unless he be far?
Comment peut-on être vraiment proche si ce n’est en étant loin ?

And others among you called unto me, not in words, and they said,
Et d’autres parmi vous m’ont appelé, non par des paroles, et ils ont dit :

Stranger, stranger, lover of unreachable heights, why dwell you among the summits where eagles build their nests?
Étranger, étranger, amoureux de hauteurs inaccessibles, pourquoi habitez-vous parmi les sommets où les aigles construisent leurs nids ?

Why seek you the unattainable?
Pourquoi cherchez-vous l’inaccessible ?

What storms would you trap in your net,
Quelles tempêtes voulez-vous prendre dans votre filet,

And what vaporous birds do you hunt in the sky?
Et quels oiseaux vaporeux chassez-vous dans le ciel ?

Come and be one of us.
Venez et soyez l’un de nous.

Descend and appease your hunger with our bread and quench your thirst with our wine. »
Descendez et apaisez votre faim avec notre pain et étanchez votre soif avec notre vin. « 

In the solitude of their souls they said these things;
Dans la solitude de leur âme, ils disaient ces choses;

But were their solitude deeper they would have known that I sought but the secret of your joy and your pain,
Mais si leur solitude était plus profonde, ils auraient su que je ne cherchais que le secret de votre joie et de votre douleur,




And I hunted only your larger selves that walk the sky.
Et je n’ai chassé que votre moi-immense qui marche dans le ciel.

But the hunter was also the hunted:
Mais le chasseur aussi était chassé :

For many of my arrows left my bow only to seek my own breast.
Car beaucoup de mes flèches ont quitté mon arc seulement pour chercher ma propre poitrine.

And the flier was also the creeper;
Et celui qui vole était aussi celui qui rampe ;

For when my wings were spread in the sun their shadow upon the earth was a turtle.
Car, quand mes ailes étaient étendues au soleil, leur ombre sur la terre était une tortue.

And I the believer was also the doubter;
Et moi, le croyant, j’étais aussi dans le doute ;

For often have I put my finger in my own wound that I might have the greater belief in you and the greater knowledge of you.
Car j’ai souvent mis mon doigt dans ma propre blessure pour que je puisse avoir une plus grande foi en vous et une plus grande connaissance de vous.

And it is with this belief and this knowledge that I say,
Et c’est avec cette croyance et cette connaissance que je dis :

You are not enclosed within your bodies, nor confined to houses or fields.
Vous n’êtes pas enfermés dans vos corps, ni enfermés dans des maisons ou des champs.

That which is you dwells above the mountain and roves with the Wind.
Ce qui est vous habite au-dessus de la montagne et défile avec le vent.

It is not a thing that crawls into the sun for warmth or digs holes into darkness for safety,
Ce n’est pas une chose qui rampe dans le soleil pour la chaleur ou creuse des trous dans l’obscurité pour sa sécurité,

But a thing free, a spirit that envelops the earth and moves in the ether.
Mais une chose libre, un esprit qui enveloppe la terre et se meut dans l’éther.

If this be vague words, then seek not to clear them.
Si ce sont des mots vagues, alors cherchez à ne pas les clarifier.

Vague and nebulous is the beginning of all things, but not their end,
Vague et nébuleux sont le commencement de toutes choses, mais pas leur fin,

And I fain would have you remember me as a beginning.
Et je voudrais que vous vous souveniez de moi comme un commencement.

Life, and all that lives, is conceived in the mist and not in the Crystal.
La vie, et tout ce qui vit, est conçue dans la brume et non dans le cristal.

 And who knows but a crystal is mist in decay?
Et qui sait si le cristal est une brume qui part ?

This would I have you remember in remembering me:
Rappelez-vous ceci en pensant à moi :

 That which seems most feeble and bewildered in you is the strongest and most determined.
Ce qui semble le plus faible et le plus déconcerté en vous est le plus fort et le plus déterminé.


Is it not your breath that has erected and hardened the structure of your bones?
N’est-ce pas votre souffle qui a érigé et durci la structure de vos os ?

And is it not a dream which none of you remember having dreamt, that builded your city and fashioned all there is in it?
Et n’est-ce pas un rêve dont aucun d’entre vous ne se souvient d’avoir rêvé, qui a bâti votre ville et façonné tout ce qu’il y a ?

Could you but see the tides of that breath you would cease to see all else,
Pourriez-vous voir les marées de ce souffle vous cesseriez de voir tout le reste,

And if you could hear the whispering of the dream you would hear no other sound.
Et si vous pouviez entendre le chuchotement du rêve, vous n’entendriez plus aucun autre son.

But you do not see, nor do you hear, and it is well.
Mais vous ne voyez pas, et vous n’entendez pas, et c’est bien.

The veil that clouds your eyes shall be lifted by the hands that wove it,
Le voile qui occulte vos yeux sera soulevé par les mains qui l’ont tissé,

And the clay that fills your ears shall be pierced by those fingers that kneaded it.
Et l’argile qui remplit vos oreilles sera percée par ces doigts qui l’ont pétri.

 And you shall see
Et vous verrez

And you shall hear.
Et vous entendrez.

Yet you shall not deplore having known blindness, nor regret having been deaf.
Pourtant, vous ne regretterez pas avoir connu l’aveuglement, ni ne regretterez d’avoir été sourd.

For in that day you shall know the hidden purposes in all things,
Car en ce jour-là, vous connaîtrez les desseins cachés en toutes choses,

And you shall bless darkness as you would bless light.
Et vous bénirez les ténèbres comme vous avez béni la lumière.

After saying these things he looked about him, and he saw the pilot of his ship standing by the helm and gazing now at the full sails and now at the distance.
Après avoir dit ces choses, il regarda autour de lui, et il vit le pilote de son navire debout à la barre et regardant un coup les voiles pleines et un coup l’horizon.

And he said:
Et il dit :

Patient, over-patient, is the captain of my ship.
Patient, trop-patient, est le capitaine de mon navire.

The wind blows, and restless are the sails;
Le vent souffle, et les voiles sont agitées ;

Even the rudder begs direction;
Même le gouvernail de direction pousse la direction ;

Yet quietly my captain awaits my silence.
Mais tranquillement mon capitaine attend mon silence.

And these my mariners, who have heard the choir of the greater sea, they too have heard me patiently.
Et ces marins, qui ont entendu le chœur de la grande mer, m’ont aussi entendu patiemment.

Now they shall wait no longer.
Maintenant, ils ne doivent plus attendre.

I am ready.
Je suis prêt.

The stream has reached the sea, and once more the great mother holds her son against her breast.
Le fleuve a atteint la mer, et une fois de plus la grande mère tient son fils contre sa poitrine.

Fare you well, people of Orphalese.
Adieu, gens d’Orphalese.

This day has ended.
Cette journée est terminée.

It is closing upon us even as the water-lily upon its own tomorrow.
Elle se referme sur nous même comme le nénuphar sur son propre lendemain.

What was given us here we shall keep,
Ce qui nous a été donné ici, nous le garderons,

And if it suffices not, then again must we come together and together stretch our hands unto the giver.
Et si cela ne suffit pas, alors nous devons encore nous réunir et étendre nos mains vers celui qui donne.

Forget not that I shall come back to you.
N’oubliez pas que je reviendrai vers vous.

A little while, and my longing shall gather dust and foam for another body.
Un peu de temps, et mon désir rassemblera la poussière et la mousse pour réaliser un autre corps.

 A little while, a moment of rest upon the wind, and another woman shall bear me.
Un peu de temps, un moment de repos sur le vent, et une autre femme me portera.

Farewell to you and the youth I have spent with you.
Adieu à vous et à la jeunesse que j’ai passée avec vous.

It was but yesterday we met in a dream.
Ce n’était que hier que nous nous sommes rencontrés dans un rêve.

You have sung to me in my aloneness, and I of your longings have built a tower in the sky.
Vous avez chanté dans ma solitude, et moi, de vos désirs, j’ai bâti une tour dans le ciel.

 But now our sleep has fled and our dream is over, and it is no longer dawn.
Mais maintenant notre sommeil a fui et notre rêve est fini, et l’aube n’est plus.

The noontide is upon us and our half waking has turned to fuller day, and we must part.
Le midi est sur nous et notre demi-réveil s’est tourné vers un jour plus complet, et nous devons nous séparer.

If in the twilight of memory we should meet once more, we shall speak again together and you shall sing to me a deeper song.
Si au crépuscule de la mémoire nous nous retrouvons une fois de plus, nous parlerons à nouveau ensemble et vous me chanterez un chant plus profond.

And if our hands should meet in another dream, we shall build another tower in the sky.
Et si nos mains se rencontrent dans un autre rêve, nous construirons une autre tour dans le ciel.

So saying he made a signal to the seamen, and straightaway they weighed anchor and cast the ship loose from its moorings, and they moved eastward.
En disant cela, il fit un signal aux marins, et, aussitôt, ils levèrent l’ancre et larguèrent leurs amarres, et ils se dirigèrent vers l’est.

And a cry came from the people as from a single heart, and it rose into the dusk and was carried out over the sea like a great trumpeting.
Et un cri vint du peuple comme d’un seul cœur, et il monta au crépuscule et se porta sur la mer comme une grande trompette.


Only Almitra was silent, gazing after the ship until it had vanished into the mist.
Seule Almitra resta silencieuse, regardant le navire jusqu’à sa disparition dans la brume.

And when all the people were dispersed she still stood alone upon the sea-wall, remembering in her heart his saying,
Et quand tout le peuple fut dispersé, elle resta seule sur la jetée, se souvenant dans son cœur de ses paroles :

« A little while, a moment of rest upon the wind, and another woman shall bear me. »
« Un peu de temps, un moment de repos sur le vent, et une autre femme me portera. »

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The Farewell Khalil Gibran

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