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QU’EST-IL-ARRIVE A BABY JANE ? (ALDRICH) AU-DELA DES LUMIERES…

Robert ALDRICH
Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?

(What Ever Happened to Baby Jane? 1962)

  Au-delà des
lumières…

 Qu'est-il arrivé à Baby Jane ALDRICH

Un enfant dans la lumière, qui plonge dans les ténèbres. Une enfant dans le ciel, en cette année 1962 où John F. Kennedy lance son «We choose to go to the Moon ». En cette année où les Etats-Unis perdent l’étoile la plus brillante du cinéma, Marylin Monroe. En cette fameuse année-là de Cloclo où le ciel s’obscurcit avec, dans l’œil du cyclone, la crise cubaine. Nous sommes au cœur d’une autre crise où, dès l’enfance, chacun installe sa batterie de missiles.

 Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (1)

C’EST MOI QUI GAGNE L’ARGENT !

Une enfant qui crie, dans l’ombre de la scène, à son père comme au public : « c’est moi qui gagne l’argent ; je peux donc avoir ce que je veux ! » Une enfant dans la lumière de l’argent du spectacle et du show-business.

 Robert Aldrich pose une question dans le titre, comme une enquête policière. Notre Baby Jane a changé. Quelque chose s’est passé. Oui, mais quoi ? What Ever Happened to Baby Jane? Dans ce monde d’étoiles et de séismes, Aldrich installe sa loupe sur un couple de sœurs maudites. Au cœur de la plaie ouverte, entre la lumière de la gloire et les ténèbres de l’oubli.

DE VERITABLES REPLIQUES DE BABY JANE

La loupe d’Aldrich  contemple le petit monde d’Hollywood autour duquel tournent des starlettes, des producteurs affairés et des célèbres inconnus, un monde du business où les tréfonds des enfers ne sont jamais si loin de l’Eden.

Baby Jane Huston, la petite fille (Julie Allred), enfant star du music-hall, se multiplie à l’infini, à l’envi, clônée dans des poupées à sa taille, « n’oubliez pas, votre véritable Baby Jane vous attend à l’entrée, il vous suffit de la demander. Et dites à vos mamans que chacune de ces authentiques poupées sont de véritables répliques de votre Bady Jane Hudson ».
Son image se projette de tous côtés en autant de morceaux d’elle-même. Elle ne s’appartient plus. Elle est une marchandise. Elle ne se résume plus qu’à une chanson et à être une poupée inexpressive. Déjà, elle montre dans ce spectacle une mécanique sans âme, une répétition de pas calculés. Baby Jane est un automate, une belle mécanique mais qui chante déjà faux.

Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (2)

JAMAIS JE N’OUBLIERAI

C’est son père qui se couche, honteux et mal à l’aise, devant la volonté de Baby Jane, mais qui s’affirme devant la timidité et l’indécision de la sœur, Blanche, en lui hurlant : « qu’est-ce que tu crois ? Je le dis toujours, c’est la faute des parents. »  

Blanche sera consolée par sa mère (Anne Barton) : « C’est toi qui as de la chance, Blanche. Un jour, tu attireras l’attention du public. Je veux que tu traites Jane et ton père, mieux qu’ils ne te traitent. Essaie de t’en souvenir.»  Elle s’en souviendra toute sa vie.  Les dents serrées et le visage perdu, les yeux fixés dans le lointain, les mots sortent : « Jamais je n’oublierai ! Je n’oublierai jamais !» Entre soumission et lutte, le combat de Blanche engage sa survie. Elle doit maîtriser un fauve affamé de scènes et de sunlights.

 I’ve written a letter to Daddy

Quant à son père (Dave Willock), accaparé par le succès de sa fille, trop content d’être assis sur une pépite, se montre  complétement dépassé dans son rôle de père. Quand le succès de Baby Jane disparaîtera, ce sera un complet traumatisme.
A la disparition inexpliquée du vedettariat, s’ajoutera les trahisons du public et de sa sœur.
 Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (7)Elle restera seule avec sa chanson fétiche dans la tête,  « J’ai écrit une lettre à mon père , I’ve written a letter to Daddy ». Un père déjà mort, dans la chanson, « son adresse est au ciel » ; à qui elle  dit « I love you ».  

LES ETOILES AUSSI MEURENT UN JOUR

Baby Jane n’est plus un ange. Elle ne l’a jamais été. Dès son plus jeune âge, elle se montre comme une véritable peste qui n’en fait qu’à sa tête. Peu importe si le public, témoin de ses crises, commence à se détourner d’elle. Elle s’en moque.  Elle fait sa colère car elle veut sa glace et elle l’aura.

La sœur, Blanche, la brune, reste dans l’ombre, déjà muette et victime des caprices de sa sœur, presque fascinée par la naissance de ce monstre terrifiant. Baby Jane trône, victorieuse et fanfaronnant,  petite reine à qui personne ne cherche à limiter ses désirs et ses caprices. La gloire sera bien éphémère et la carrière de l’enfant prodige  sera stoppée nette, déjà remplacée par sa sœur. Commencera l’involution rapide et un retour difficile sur terre. Les étoiles aussi meurent un jour. Et Baby Jane Hudson (Bette Davis) va revenir des étoiles au monde et du monde à Hollywood,  et d’Hollywood à la terre ferme.

Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (4)

UN DECHET ! UNE NULLITE !

Les producteurs supporteront difficilement Jane, véritable boulet que supporteront afin de pouvoir faire tourner Blanche (Joan Crawford). En 1935, elle sera devenue la véritable grande star. Baby Jane sera le boulet attaché à la cheville de sa sœur, capable uniquement de pondre des navets, grâce à un contrat de Blanche qui les y oblige : « faire un film avec Baby Jane pour un film avec Blanche ».

 Le résultat : « un déchet, la nullité que cette Baby Jane ! », « Elle a un accent du sud comme moi ! », « personne ne voudrait voir la fin du film ! », « Elle ne peut pas arrêter de boire !», «  cette fille si sensible vient de descendre six caisses de scotch du studio, sans parler du reste», puis la chute s’accélèrera, entraînant dans son sillage sa sœur : l’accident, la maison, l’étage, le lit, le lit de torture, la faim et la mort.  

Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (5)

C’EST A L’ASILE QU’ELLE FINIRA !

La haine de Jane sera plus tenace encore. Les producteurs qui sortent d’une représentation d’un film de Jane sont formels : « c’est à l’asile qu’elle finira ! »

IL NE TE FERA PLUS PEUR

Le film commence par les pleurs de Baby Jane dans le noir. Une date : 1917. Lumière sur la fille apeurée. La voix de son père : « tu veux le revoir, petite fille ? Il ne te fera plus peur. » Mais c’est le monstre qui sort de la boite qui se met à pleurer. Des larmes coulent sur la joue du jouet. C’est lui qui a eu peur en voyant le véritable monstre, Jane, qui se cache déjà dans le corps de l’enfant, sorte de nouvelle Regan, l’enfant possédée par le démon dans l’Exorciste.

Où EST LE MONSTRE ?

Jane dans ce retour aux réalités va subir un véritable traumatisme, en  entrant  dans une sorte d’autisme. Les relations avec les autres vont devenir de plus en plus complexes.  Elle chantera tout le temps sa chanson comme une sorte d’écholalie de sa maladie. Comme un disque rayé, elle gardera la même robe blanche et le même teint pâle,  à en devenir un monstre effrayant, fardé et glacial. Elle ne grandira plus. Elle se substituera à sa sœur, en substituant sa fortune, son chéquier, sa signature, sa voix. Sa sœur, brisée, cassée, battue subira encore et encore ses caprices.

 

Victor Buono what ever happened to baby jane 1962

L’accident qui précipite la chute sera filmé sans que l’on remarque les visages. Il est évident que Jane est au volant et qu’elle fonce sur sa sœur. Mais les évidences sont parfois trompeuses. Nous ne serons la vérité qu’à la fin du film.

Robert Aldrich What Ever Happened to Baby Jane (3)

Le générique commencera seulement après l’accident, une éternité depuis la première scène de Baby Jane Hudson.  Cette première partie a laissé passer dix-huit ans, saut temporel, film dans le film, qui résume le succès de la blonde, puis celui de la brune qui deviendra  la première star d’Hollywood, capable de racheter la célèbre maison de Rudolph Valentino. La seconde partie sera plus intime et inquiétante encore, le jeu des deux sœurs va se serrer, s’intensifier, jusqu’à la mort atroce d’une Blanche affamée et martyrisée. Les deux femmes se retrouveront dans la maison à ressasser des souvenirs. Plus personne dans la ville ne connaît la gloire passée de Baby Jane. Pourtant, Jane est bien persuadée d’être la grande et unique vedette de la ville…  

Jacky Lavauzelle