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Karen BRAMSON – Le Professeur Klenow : LA LAIDEUR DE L’AMOUR

Karen BRAMSON
 Le Professeur Klenow
(1923)

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (1)

 

 

 

 


L
A LAIDEUR DE L’AMOUR 

 Dans le Temps du 31 août 1917, en pleine guerre, entre des articles sur Verdun, la situation militaire, un Hommage à l’armée de Verdun, la colonne centrale est occupée par un écrivain danois. Alors que la bataille de Verdun vient de s’engager menée par Général Guillaumat depuis une dizaine de jours focalisant l’attention des lecteurs, un critique s’intéresse à la sortie de la traduction d’Une Femme libre, le livre d’une femme, Karen Bramson.

Pour qu’un tel livre fasse la Une dans de telles conditions, il faut vraiment qu’il s’agisse d’une femme d’exception. « Mme Karen Bramson est une femme de lettres danoise, qui a donné des témoignages publics de sympathie à la cause de la France et des alliés. Elle ne fait nul mystère de ses sentiments dans son roman : Une femme libre, qui a eu grand succès dans les pays scandinaves, et qui vient d’être traduit en français ? A de bien rares exceptions près, et qui ont fait scandale, les représentants de l’intelligence, en quelque pays que ce soit, n’en ont point avec l’ennemi. Mme Karen Bramson est aussi une féministe ardente, ce qui n’est nullement incompatible avec la faculté de juger sainement la grande guerre européenne. »  

 La pièce, Le Professeur Klenow, en trois actes, est présentée le 18 avril 1923 au Théâtre de l’Odéon. Un autre journaliste du Temps, André Rivoire, accueille cette nouvelle production de Karen Bramson : « Ce drame poignant met en scène avec une rare puissance une sorte de Quasimodo intellectuel…Sobrement et fortement exposé, puis conduit par l’auteur jusqu’au dénouement avec une sûreté aussi impitoyable que celle du principal personnage. » Le personnage principal, le Professeur, est joué spécialement par Paul Reumert, un acteur du Théâtre Royal à Copenhague, « le plus réputé parmi les acteurs actuels du Danemark » (Robert de Beauplan, la Pte Illustration n°148).

 Ce critique émet alors une critique de fond sur l’œuvre : «  L’œuvre de Mme Karen Bramson s’élève fort au-dessus des productions courantes de notre théâtre. Elle ferait honneur à nos meilleurs dramaturges. Il semble, d’ailleurs, qu’elle se rattache par certains côtés, à notre tradition romantique. Ce n’est pas sans raison qu’elle a évoqué un rapprochement avec Quasimodo. Nous retrouvons en Klenow l’antithèse de la hideur physique et de la passion. Au dénouement, Klenow cesse presque d’être horrible pour atteindre à une certaine sublimité. Son amour exclusif jusqu’à la plus atroce cruauté a vaincu tous les obstacles, il a triomphé même de la Beauté. Le monstre peut provoquer son absolution tragique : « Créateur, je te pardonne ! » Mais aussi, une influence nietzschéenne se fait sentir dans la pensée de Mme Karen Bramson. Si la douce et tendre Elise est condamnée à mourir, c’est qu’elle a eu pitié. La pitié est une faiblesse qui entre en conflit avec les lois inéluctables de la nature. Klenow, dont l’égoïsme « surhumain » ignore ma pitié, reste vainqueur. Est-ce à dire que Mme Karen Bramson condamne la bonté ? Non. Mais elle ne se fait pas d’illusion sur le sort qui l’attend. Et c’est précisément ce sacrifice volontaire qui fait la grandeur d’Elise. »

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (2)

 

D’autres critiques relèvent le rapprochement évident au premier abord avec Quasimodo. C’est le cas d’André Antoine (L’Information) : « Ce qui fait la valeur de ce drame, ce que nous avons admiré, c’est la force, la profondeur et l’analyse des sentiments de Klenow, sa progressive descente vers une odieuse cruauté, l’infernale ingéniosité de la torture imposée à sa victime. Ce moderne Quasimodo apparaît aussi pitoyable et magnifique que l’autre.»

 L’œuvre présente deux personnages attachants, car mouvants : le Professeur Klenow et Forsberg, le père d’Elise (Mlle Clervanne), joué par Firmin Gémier. Elise, la fille protégée par le Professeur et le sculpteur Eric Wedel, joué par Jacquin, sont les éléments stables de la pièce, donc prévisibles. Ces deux derniers sont beaux et jeunes ; ils s’aiment. Elise et Eric sont mis en relief par les deux personnalités fortes que sont le Professeur et Forsberg. Par exemple, la description de la belle et tendre Elise se transforme dans la bouche du père en un personnage beaucoup plus complexe : « Et puis elle ressemble à sa mère, la misérable. Ce n’est pas cela qui pouvait améliorer les choses ! La même bouche vicieuse…Les mêmes yeux de colombe innocente…La mère est morte, mais elle revit dans la fille, qui doit expier. » 

Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (3)

La pièce s’articule sur l’opposition des deux hommes et sur l’ascendant du Professeur sur Eric, son meilleur ami, au moins au début de la pièce, et Elise, qu’il a sauvé des mains et de la maltraitance de son père.

 Regardons de plus près ce Professeur et Forsberg. Le professeur Klenow est un homme réputé dans son Université ; philosophe, il écrit sur les femmes.   Son livre, la Philosophie de la femme, élabore une théorie sur la femme : «Le mensonge est l’élément le plus puissant de tout ce qui constitue l’être féminin. Il en est le parfum, la couleur, la splendeur et l’essence même. C’est l’étincelle qui enflamme le désir du mâle. » (Cité par Forsber à l’acte I). Cette philosophie est appliquée dans la vie et dans son raisonnement : « –Vous pensez que j’ai menti ? » (Elise)  « –Tu es femme, mon enfant. » (Klenow, Acte I)

Le reste de ses théories sont basiques comme par exemple : « C’est la loi de l’univers même. Tout est lutte entre le plus fort et le moins fort. Les faibles ont la petite consolation de croire, quand ils sont vaincus, qu’ils s’inclinent par générosité ou par pitié. » (Acte III)

 Karen Bramson Le Professeur Klenow 1923 (4)

C’est justement le mensonge, qu’il attribue à la femme dans son être-même, qui constitue le personnage de Klenow. Sa parole change du premier au troisième acte, et dans les actes eux-mêmes. Il manie l’ironie et il est très difficile de savoir ce qu’il pense. Présenté comme l’être aimant par excellence au début de la pièce, il deviendra un tortionnaire, jouant sur sa force de persuasion. La seule à lui garder de l’admiration sera sa bonne, Marie, jouée par Madame Theray. « Heureusement, monsieur ne pense pas un mot de ce qu’il dit ! » (Marie, Acte I). Il ne prend pas de gants avec elle, elle s’en offusque souvent : « C’est un peu fort, tout de même, de me dire ça à moi, qui ne pense que du bien de monsieur et à l’honneur de monsieur … Jamais personne ne m’a parlé ainsi. Trahir ! C’est beau de tenir de tels propos après tout mon dévouement…» (Acte III) Elle lui trouvera toujours des excuses, même le jour où elle se retrouve mise à la porte par le Professeur. En fait, c’est la seule qui l’aime réellement, éperdument : « Alors, c’est sérieux ? Monsieur me donne congé…après tant d’années…et tant de…affections ? » (Acte III) Cet amour de Marie pour Klenow, Elise, seule le verra : « Est-ce que j’ai détruit pour vous …un espoir ? » Cette Marie, la bonne, femme de ménage, et la bonne et honnête femme du premier acte, changera de comportements et d’attitudes dans le second acte pour accompagner Klenow, pour ne pas le perdre, jusque dans sa méchanceté : « il y a longtemps que je me suis jurée de ne jamais abandonner monsieur…le pauvre homme ! J’ai bien vu son frère qui était aveugle, lui aussi…J’ai été sûre que ce malheur épouvantable arriverait aussi un jour à monsieur. C’était la même sorte d’yeux, tout rouge…et la même façon de regarder et de clignoter. J’ai fait semblant de ne pas le croire, mais je m’y attendais tout le temps. Le pauvre cher homme. »  Et Elise de réponde : « il aurait été moins malheureux avec vous, Marie. » (Acte III)

 Klenow a une obsession : la beauté, posséder la beauté. Il est la laideur personnifiée. Il est capable de tout pour l’accaparer, payer, mentir, mourir. La beauté, dit-il est éternelle, y compris celle des corps. Lui est le corps qui se décompose, il est la finitude du réel « Une jolie femme ne devrait jamais mourir. Toute beauté devrait être éternelle, c’est la création sublime…Regarde-toi ! Tourne-toi de tous les côtés…et dis-moi si ton cœur ne va pas éclater de joie en comprenant que tu es un chef-d’œuvre de la nature, le modèle parfait du corps féminin. » (Klenow, Acte I)

 Cette beauté peut faire exploser l’ordre qui entoure si bien le professeur. Il se veut un grand théoricien et logicien de la vie. Il travaille dans une pièce « meublée avec un goût sévère, des livres et des papiers partout. » (I)… « Vous savez combien j’aime avoir tout en ordre. J’achète toujours deux parapluies à la fois, pour le cas où j’en oublierais un dans le tramway… » (Acte I) « Je veux qu’on exécute mes ordres. Si cela ne te convient pas, tu peux t’en aller. » (Klenow à Elise, Acte I). Il a ses habitudes : « Je lui ai dit cent fois qu’elle devait être là quand je rentre. » (Klenow, Acte I)

 Il manie donc le double discours et l’ironie, et, en bon philosophe détestant la laideur qu’il incarne, surtout sur lui-même. Il se moque de son corps, de ses yeux malades et apprécie les caricatures sur son personnage : « Regardez ! C’est drôle…hein. Je n’ai jamais vu une chose plus ressemblante. Voyez ces jambes tordues, ce dos de travers et cette tête en boule…Quel magnifique bouffon je fais ! Ah ! la la ! (riant amèrement.) C’est tout à fait ma délicieuse silhouette quand je descends l’escalier de l’Université, le cou dans les épaules et les doigts de pied en l’air… Le brûler ! Vous êtes folle ! C’est une œuvre d’art de tout premier ordre ! Quelques traits de crayon démontrent que je suis la créature la plus ridicule sur terre. C’est le grand art ! Je n’arrive pas dans mon plus gros livre à ridiculiser mes semblables avec une telle force.» (Acte I)  …. « Du reste, pour admirer passionnément la beauté humaine, tu n’as qu’à me regarder, moi ! » (Klenow, Acte I). Son ironie va jusqu’à la pensée de sa mort : «je m’achétera à l’avance un confortable et coquet cercueil capitonné de soie, et je me composerai une épitaphe pleine de tendres éloges…pour que tout soit prêt à temps. » (Acte I). Il sait qu’il n’est pas bon mais intéressé. En fait, les autres pensent qu’il en rajoute : « Je ne suis pas bon. Je fais ce qui me plaît, voilà tout. Si quelqu’un en bénéficie du même coup, tant mieux. » (Klenow, Acte I)

 Cette laideur met donc en relief la beauté du corps d’Elise. Il réunit les contraires. Il se joue des oppositions. Comme dans son discours qu’il aime voir affronter par d’autres esprits. Et c’est avec Forsberg qu’il s’en donnera à cœur joie.

 Leur rencontre s’opère dans le premier acte. Intéressé fondamentalement par l’argent, la présentation qui en est faite ne trompe pas : «C’est un homme de cinquante ans, pauvrement habillé ; son attitude révèle une certaine éducation, mais on lit sur son visage les traces de toutes les bassesses qu’engendre la poursuite incessante de l’argent. Il s’incline profondément devant Klenow », Forsberg se présentera comme détaché des choses si matérielles : «Je déteste l’argent, cette idoles des canailles, qui nous piétinent, nous autres grandes âmes ! … «Je comprends votre étonnement. Sous ce veston misérable vous ne pouvez deviner la chrysalide qui enveloppe un penseur mille fois supérieur à ceux qui se font habiller chez un penseur à la mode…Je sais l’impression que je fais. »  (Acte I) « Mon idole à moi, c’est la Sagesse ! » (Acte I) « Je m’incline, quoique je me sente votre égal. » (Acte I)

Voilà comment il se présenterait s’il avait une carte de visite : « ‘Théodore de Forsberg, âme noble râtée, génie philosophique avorté.’ Et en dessous…deux points…  ‘Par suite des lamentables nécessités terrestres, petit marchand de vins, mais, grâce à son sens pratique de grande envergure, fraudeur en gros…’ Car, en vertu des lois de l’instinct de conservation, je me permets de bien baptiser mon vin avec de l’eau de source. » (Acte I)

« Je veux donner à mon fils une situation importante et enviable dans la société maudite qui m’a exclu du festin. Je veux lui préparer le magnifique spectacle des dos obséquieux, courbés, tremblants devant son pouvoir de faire du mal…Ah ! Quel doux rêve ! Voilà mon secret, monsieur le professeur…voilà ce que vaut ma cupidité, mon avarice et tout le reste. » (Acte I)

 Et Klenow n’est pas mieux. L’argent pour lui, c’est Elise. Son désir, la posséder. Non pas dans sa chair, mais dans son âme. Qu’elle soit là, à côté de lui. « J’ai réussi à déchirer le voile qui enveloppait ton esprit. Je t’ai fait entrevoir ce qu’il y a de plus puissant au monde : la grande passion, celle qui ne craint rien, qui ne s’arrête devant rien, qui suit sa voie jusqu’à la mort. Prouve que ton amour est plus puissant que le mien…et tu auras le droit de me quitter. Mais tu es encore là, devant moi…Aujourd’hui, encore tu n’oses pas suivre ton désir. » (Acte III)

Karen Bramson (6)

 Mais Elise ne veut pas mourir. Elle veut vivre avec son Erik Wedel. Mais elle est prisonnière. Prisonnière physiquement, dans le même appartement. Prisonnière dans la pensée d’absolu de Kleenow. Si elle part, il se tuera. Elle aura sa mort sur la conscience éternellement. « Tant que je serai vivant, il ne t’aura pas ! » (Acte III) Elle aura tué l’homme qui l’a sortie des griffes de son père. Si elle reste, elle devra attendre les derniers jours de ce professeur qui se dit mourant. Mais l’amour possessif de Klenow le garde en vie, le stimule : « je reste encore attaché à cette existence lamentable, je supporte encore de vivre comme une misérable épave humaine, pour être près de toi, pour entendre le son de ta voix. » (Acte III)

 Mais le choix de Klenow enferme Elise, qui n’accepte ni l’un ni l’autre. Son amour pour Erik ne se sera pas rendu possible dans la mort d’un homme. Vivre avec Klenow, montre d’égoïsme, n’est pas possible non plus. « Je comprends votre force, égoïste cruel. Vous appelez cela amour, de me voler mon bonheur…de me menacer…me torturer…Il avait raison…une telle vie …est pire que la mort. » (Acte III)

 C’est donc la mort qu’Elise choisit, sa mort. Klenow regarde ce corps sans vie et murmure : « Elle est à moi…je l’ai prise…La beauté m’a été sacrifiée…Créateur…je te pardonne. »

 Sa folie des grandeurs va jusqu’à ce pardon qu’il donne au Créateur lui-même. Ce n’est plus le Pardonnez-moi ! Il prend la place du divin qui vient de recevoir sa victime en offrande. « C’est trop fou pour ne pas être vrai. » disait Klenow dans le premier acte, mais si « la Raison c’est la folie du plus fort. La raison du moins fort c’est de la folie.» (Eugène Ionesco, Journal en miettes)

 Klenow n’était ni le plus doué, ni le plus intelligent, mais le plus acharné et le plus impitoyable. Il croyait aimer. Mais à trop étreindre, il a étouffé et enchaîné l’amour pur qui naissait dans son nid. Il est désormais seul, aveugle et fou. Il n’aura plus « la petite pression amicale des doigts » mais la « main inerte ». Il ne lui reste plus, dans sa folie, que son imagination. Il faudra qu’elle soit puissante et forte pour l’emmener loin, comme dans ce début du troisième acte où il disait à Elise : « Je savoure des imaginations magnifiques ! La laideur des réalités n’a plus de prise sur moi. Je suis devenu poète, Elise. J’aborde avec avidité les impressions extérieures…je les devine…et j’en tire secrètement de superbes images. Toi, je te vois partout. Et partout tu m’accompagnes avec un tendre sourire. N’est-ce pas, je suis heureux ? Je vois tes cheveux de soie…tes yeux, ces deux saphirs…ta peau pâle comme une fleur de pommier, les lignes de ton corps sculpté comme un marbre. Tu es la dernière chose vivante que j’ai vue. Je voulais que tu fusses la dernière. L’avare veut garder ses richesses dans la tombe !… »

 Ce tendre sourire a disparu. S’il est encore là, sur ses lèvres mortes, il est pour un autre. Lui, l’avare de l’amour, n’emportera dans le tombeau que son corps mutilé, sa folie et son âme malade.

Jacky Lavauzelle

 

La Petite illustration n°148 du 9 juin 1923

Pièce représentée pour la première fois au Théâtre de l’Odéon le 18 avril 1923

MOLIERE A L’ECOLE DE SCARAMOUCHE -Emmanuel DENARIE : LE MAÎTRE A L’ECOLE

Emmanuel DENARIE

LE MAÎTRE A L’ECOLE

Pièce en un acte, en vers représentée
le 15 janvier 1922
au Théâtre de l’OdéonEmmanuel Denarié Le Maître à l'école Artgitato Molière Scaramouche Commedia dell'arte

MOLIERE A L’ECOLE DE SCARAMOUCHE

Un doigt entre l’arbre et l’écorce…


LES CHEMINS DE TRAVERSE
Avant de parler de la pièce qui nous intéresse ici, Le Maître à l’école, parlons d’abord de l’auteur Emmanuel Denarié. Nos encyclopédies littéraires et numériques en ont oublié jusqu’à l’existence. La Savoie, elle,  ne l’a pas oublié. Les amoureux du théâtre et de la poésie non plus. Il est de ces hommes qui capte l’attention que l’on ne voit pas immédiatement. Peu avant le commencement de la guerre, la Grande, la grande Sarah Bernhardt, « aurait interprété, en travesti, le principal rôle » (Gaston Sorbets, La Petite Illustration, n°84 du 11 février 1922). Mais l’auteur toujours à sa Savoie et à son âtre préfère passer par des chemins de traverse.
Il semble n’avoir désormais jamais existé. Pourtant, il a existé pleinement en profitant de tous les plaisirs et de toute la beauté qu’offre le monde. Mais, il est vrai, notre auteur est autant atypique qu’éclectique. Deux qualités qui ne sont pas nécessairement appréciées des critiques d’hier et d’aujourd’hui.

LA PASSION DES VERS ET DE LA SAVOIE
Emmanuel Denarié (1857-1926) a habité la maison des Charmettes. C’est une ancienne propriété de Madame de Warens et de Jean-Jacques Rousseau. Il a ainsi partagé avec ce dernier l’amour des arts, de la littérature et de la nature. De nombreuses journées passèrent à étudier la flore française et notamment celles des environs de Chambéry, des heures à trouver « plusieurs espèces intéressantes qui avaient échappé à leurs devanciers » (Dr J. Offner, 5 juillet 1916). Les arts et l’exploration de la nature se trouvaient associés dans sa passion pour son pays natal, la Savoie ; suivant les pas de son père Gaspard, ardent partisan en 1860 de l’Annexion de la Savoie à la France. Emmanuel conduisit la présidence des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Savoie pendant près de dix-ans, après la première guerre mondiale, de 1917 à 1926. C’est avec cette présidence qu’il termina cette vie passionnée de créations dans tous ses états, mais avec un point commun, la poésie.

LE RAYONNEMENT INTERIEUR
Emmanuel Denarié, fort de toutes ces passions, rayonne. Il ne rayonne pas dans les salons parisiens et dans les rédactions où les critiques se retrouvent. Il rayonne de ce que la nature lui a donné et de celle qui l’entoure. Tous ceux qui le croisent en parlent avec la même énergie et la même force : « Emmanuel Denarié a toujours été jeune. Il le sera toujours. Et, mieux encore, il rajeunit tous ceux qu’il rencontre. C’est un don qu’il doit partager avec l’enchanteur Merlin. Dans notre pays de Savoie, parce qu’il n’est ni député, ni sénateur, ni homme de loi, ni brasseur d’affaires, ni barbouilleur de papier, ni grand seigneur, ni grand médecin, on pourrait le croire sans action… »Emmanuel Denarié Le Maître à l'école Artgitato Molière Scaramouche Commedia dell'arte Watteau 2

UN MARCHAND DE BONHEUR
« …Or, il est ce qu’Alphonse Daudet rêver d’être : marchand de bonheur. Marchand, non, car il donne le goût de vivre. Nul n’a été reçu dans sa maison des champs – pas trop loin de la ville, car il est sociable- sans en emporter, comme un invisible paquet, du plaisir. Il est vrai, qu’il y est merveilleusement aidé, mais cela fait partie de sa chance. Les abeilles mêmes, s’il leur rend visite, s’abstiennent de le menacer. Il a des traces de miel sur les lèvres… »

IL EST SI DISTRAIT !
« … A quoi passe-t-il ses jours ? Car il semble ignorer le travail. Il compose des vers en marchant. Les sentiers le connaissent et recouvrent de gazon leurs cailloux afin de lui épargner les faux pas : il est si distrait ! Et, s’il chasse, il rapporte des poèmes quand on attend du gibier… Mais voici que le succès vint chercher ce poète ignoré qui vivait paisiblement, loin des endroits où l’on imprime. Il avait accompli en vers ce que les imagiers et les peintres d’autrefois entreprenaient avec leurs pinceaux : un triptyque. Les auteurs dramatiques écrivent des pièces en un ou plusieurs actes… »

UN TRIPTYQUE EN VERS
« … Il imagina, lui, de composer des panneaux : une première scène pour poser ses personnages, un panneau central comportant l’action, et une scène finale, pour conclure et montrer, après l’action, les personnages rassérénés. Afin de remplacer volets, le rideau tombe. Et ce fut son Fra Angelico. Un triptyque en vers, vous devinez le sourire sceptique d’un directeur de théâtre à qui l’on apporte un tel manuscrit. Un triptyque en vers, comportant de la musique de scène, une figuration, et la représentation du célèbre tableau de Fiesole, le Couronnement de la Vierge ! … »

OUBLIER SA PIPE !
Or, il se trouva que le directeur du Grand Cercle d’Aix-les-Bains, ayant entendu parler de cet étrange ouvrage, demanda à le lire. Il le lut, le reçut, le monta en quelques semaines. Et c’est ainsi que le poète dut un jour quitter sa maison de campagne, enfermer ses chiens, oublier sa pipe, et venir assister à une première. » (Gaston Sorbets, La Petite Illustration n°84 du 11 février 1922)

A L’ECOLE DE SCARAMOUCHE
Mais ce n’est pas la première du Fra Angelico qui nous intéresse, mais celle du Maître à l’école, au Théâtre National de l’Odéon. Une pièce en un acte où l’on retrouve Molière, encore appelé Jean-Baptiste Poquelin, joué pour la première par Jaquelin, un Molière jeune en compagnie de son maître en Commedia dell’arte, Scaramouche, joué par Maxime Lery. Mais nous attendrons presque le milieu de l’acte, à la scène VI, pour découvrir Poquelin et Scaramouche. Nous sommes dans l’hôtellerie de Gros-René où, à travers une baie, qui permet « de voir sur la maison d’en face l’enseigne du théâtre de Scaramouche. »

STRATEGIE ET MANIGANCES
Le spectacle est ailleurs. Il se prépare-là, dans cet hôtel où les personnages se croisent, se cachent, s’évitent et se poursuivent. Nous sommes dans la vie et nous voyons déjà les matériaux qui serviront à l’écriture des pièces à venir. Le mari cocu, le radin, le mariage, l’importance du statut des personnages, les stratégies et les manigances. Mais quand le spectacle s’ouvre c’est sur des questions de table, de couverts, de soupers et de gosiers, « de plats farcis aux piments ». Il faut savoir mettre le plat en bouche. Mais c’est aussi rappeler que ce sont les gens du peuple qui composent les spectateurs de Molière. D’abord et surtout.

DU BOULEVARD SUR LE BOULEVARD
Et déjà la deuxième scène évoque les aventures de Marinette, jouée par Mademoiselle Escalaïs, la femme de Scaramouche, avec le « Gros » Jourdain, joué par Bergeron. Et, notre Marinette, surprise, en pleine rue, au milieu des témoins, des cris et des jurons, par son mari, accompagné de Poquelin, trouve encore à redire de la situation : « elle était déconcertante et telle qu’on la voit tous les jours…avait réponse à tout…Quelle artiste ! Mon cher, d’un aplomb ! » L’art de la réplique est installé qui fera l’effet comique de nombreuses situations.  

LES FEUX DE SA PRUNELLE
Mais la situation n’est pas si simple. Marinette ne ferme pas les yeux devant notre Molière jeune et fringuant. Les joies du Triangle amoureux s’installent entre quiproquos et maladresses : « Oui ; bien sûr qu’elle louche un peu de son côté ; mais, sans être devin, je crois que le garçon l’ignore ; et c’est en vain, du moins pour le moment, que notre Péronnelle dirige contre lui les feux de sa prunelle : le galant n’a pas l’air de s’en apercevoir. » (Covielle, joué par Barcy, à Gros-René)

UN JEU DE TROMPE
La troisième scène voit l’entrée du régisseur du Théâtre de Scaramouche, joué par Mansiaux. Nous sommes en pleine Commedia dell’arte, l’improvisation, le culot, l’outrance et l’énergie : « Scaramouche attend déjà la réplique…Qu’il se mouche ! Avec son jeu de trompe, il n’est jamais à court…Ah ! Quel nez !…Un tuyau qui vaut presque ton four. »

CHER GRAND FOU !
Et nous retrouvons notre Marinette avec une suivante, avec Covielle puis avec Gros-René, et enfin le Marquis. Marinette conspire déjà et, avec le Marquis, n’est vraiment pas farouche : « je vous ai donné sans trop vous faire attendre plus de gages qu’à ceux que vous m’avez cités. Et je blâme pourtant vos assiduités. Jourdain est votre ami…Cher grand fou… ! …Plus tard…pas ici…Des témoins peuvent surgir… ! » De la résistance, mais pas trop quand même.

LA GUEUSE
Vient la scène 6 où le texte est conséquent et s’équilibre entre Poquelin et Scaramouche. Avec un avantage certain à Scaramouche qui reste le maître. Mais ce sera Poquelin qui clôturera les discussions. Scaramouche arrive tonitruant et emporté. Poquelin qui évoque un éventuel pardon se fait rabrouer. « Vraiment, oui… pardonner ! après son abandon…La gueuse… » Poquelin connaît son homme, il sait que, là aussi, il joue : « tu n’attends que cela. »

LA MODE DU COCUAGE
L’argumentation de Molière est la suivante :
1/ « Le cocuage est assez à la mode », tout le monde est concerné, puissants comme misérables. 2/  Rien ne sert de pleurer, bien au contraire : « Plus un mari s’émeut, tempête et gesticule, plus il perd de terrain et se rend ridicule…Mais contre l’amour, je crois qu’on ne peut rien ; chacun comme il l’entend doit défendre son bien. »
3/ Cosi fan tutte, cela est dû à la condition des femmes, il faut donc s’en accommoder : « Pourtant il faut songer que la femme est sujette au caprice léger : au logis trop souvent la vie est monotone ; et le mari qui dort, à son réveil s’étonne devoir son nid désert. »
4/ Avec le temps, la blessure se referme. Il n’y a qu’à attendre : « Tu t’y feras, ce n’est qu’une mauvaise mouche qui te pique aujourd’hui, mon pauvre Scaramouche ! »

LE DIABLE OU LE CIEL QUI T’ENVOIE
Et la discussion passionnée se termine sur le théâtre, la gloire, le succès. Scaramouche s’en veut de n’avoir pas assez de talents, mais il sait que Molière sera l’homme de la situation : « Je le sens, rien ne peut t’arrêter dans ta voie : mais que ce soit le diable ou le ciel qui t’envoie, contre tant d’insolence et tant de préjugés, je compte que par toi nous serons bien vengés. » Molière est l’héritier et le vengeur par délégation.

LA LECON DU MAÎTRE
Mais au préalable, dans son legs testamentaire, Scaramouche donne une leçon de vie et de théâtre. Il s’est fatigué et usé dans d’interminables pitreries. « Ma face ! Pauvre gloire ! espèce d’oripeau aussi vain que tous ceux dont j’affuble ma peau ! Non, tu vois, je suis las de m’user corps et âme à distraire un public exigeant qui se pâme, rit ou me siffle sans s’être jamais douté de chaque jours ses plaisirs m’ont coûté ! Et qui ne comprendra jamais que les vrais pitres ce sont les faux docteurs juchés sur leurs pupitres, les faux marquis, les faux dévots, tous les pédants…Et l’on vient nous parler des arracheurs de dents ! Si j’avais du génie autant que j’ai de haine, comme je la ferais, la comédie humaine ! Sois sûr que les faquins goûteraient la leçon ! »

TOUS PRÊTS A VOUS FAIRE LA FÊTE
La septième scène met Poquelin aux prises avec une Marinette toute excitée et pleine d’espoir. Mais Poquelin, cet « ami-délicat », est là pour remettre Marinette dans le droit chemin du mariage, « à qui va se noyer je viens tendre une perche…Il faut rentrer ce soir…La paix sera bien vite faite…Tous vos amis sont là prêts à vous faire la fête. » Mais Marinette craint ce mari trop jaloux et violent. Poquelin, parfois, est prêt à succomber à la chaleur ardente de Marinette, « mais enfin cette ardeur… »

UN MOLIERE NOVICE
Non, il n’a pas oublié son rôle, il joue pour Scaramouche et non pour son propre chef.  Mais Marinette ne laisse pas l’affaire et Poquelin, à la reddition de la chair, préfère une retraite digne, « j’avais compté sans ma faiblesse. Déjà vos yeux sur moi n’ont que trop de pouvoir ; il vaut donc mieux vous fuir pour ne plus vous revoir », «  votre esprit s’amuse à raviver en moi l’ardeur dont je m’accuse. C’est un jeu qui vous est peut-être familier. Mais, moi, j’y suis novice et je puis m’oublier. »

ENTRE L’ARBRE ET L’ECORCE
Mais pour Marinette, Scaramouche n’est pas non plus lui-même un exemple de vertu. Il a une maîtresse exigeante à qui il rend visite chaque soir : «la foule qui l’acclame est sa seule maîtresse. » Mais Molière à trop se rapprocher de la flamme s’est brûlé. Marinette le fait tomber dans ses filets, « vous-même auriez dû mesurer votre force avant de mettre un doigt entre l’arbre et l’écorce : ce jeu-là ne vous a réussi qu’à moitié… » Molière rend les armes en écrasant un « Marinette ! » , « en se précipitant à ses genoux. »

CROISER LE FER PAR AMOUR
Mais, dans cette position, c’est maintenant Molière qui est pris sur le vif par l’arrivée du marquis. Marinette, fin stratège, persuade l’hôte inattendu qu’il s’agissait en fait d’une répétition, et qu’ils ne faisaient, la main sur le cœur, rien de mal. L’histoire est racontée, « tout cela, croyez bien est dans la comédie. » Le récit se termine si bien que les deux tourtereaux veulent en découdre en croisant le fer : « je n’estime point indigne de ma lame un homme qui combat pour l’amour d’une femme. »

RIEN NE PEUT NOUS CONTRAINDRE
Peu importe le rang, Molière n’est peut-être pas vicomte ou marquis, il a cette classe naturelle qui fait oublier le rang : «que vous soyez d’ailleurs ou non un gentilhomme, vous en avez, monsieur, la grâce, et c’est tout comme. Êtes-vous prêt… »  Un exempt et ses hommes arrivent et rappellent l’interdiction des duels. Le marquis discourt sur la légitimité de l’édit de Richelieu : « Rien ne peut nous contraindre, et tout ce que l’on dresse contre une âme où Dieu mit la force et la tendresse, n’empêchera pas plus nos bras de s’escrimer que les femmes de plaire et moi de les aimer ! »

LA MAIN SUR LA BOUCHE
L’annonce d’un accident survenu à Scaramouche, « on l’a vu mettre une main sur sa bouche, en étouffant…j’ai cru qu’il allait en finir… », inquiète au plus haut point Marinette qui court pour le rejoindre séance tenante. Poquelin voit cet empressement et comprend de facto l’amour que Marinette porte réellement à son mari : « Vous l’aimez donc, madame ? Il n’a fallu qu’un cri pour nous le révéler ! »

VOULEZ-VOUS DONC QU’IL MEURE
Il déconseille Marinette de précipiter, dans son état, la rencontre avec Scaramouche et propose ses qualités de médiateur. La querelle avec le marquis est ainsi close : « –Tant pis pour nous…- Tant mieux pour lui…Tant mieux pour elle ! » A l’annonce de l’éventuelle arrivée d’un médecin, Poquelin devient Molière, et son sang ne fait qu’un tour contre tous les Diafoirus de la terre : « Un médecin ! Pourquoi ? Voulez-vous donc qu’il meure ? » Argan en parle dans la scène onze d’une manière fort instructive : «Diafoirus, monsieur, est si savant qu’en moi qui ne souffrais jamais auparavant,  il a su découvrir au moins cent maladies ! Mes méninges en sont encore abasourdies ! »

ET LE PUBLIC ATTEND
Nous retrouvons, scène douze, les trois protagonistes : Poquelin, attentif à la santé de son maître, Scaramouche, tonitruant et vitupérant, et Marinette bouleversée, « C’est lui !…Je veux le voir…tant pis ! » Scaramouche a repris son souffle, il est sauf. Pendant ce temps, le public du Théâtre attend, impatient et passionné. « – N’en prenez point souci, il a pour l’amuser le joyeux Mascarille. Le public entre nous est assez bonne fille. – Perfide aussi… »

QUEL CHAPELET !
Scaramouche reparle des talents de Poquelin, de l’art et de la manière de parler.  « Il t’a suffi d’un mot pour lui régler son compte…Mais toi, quand tu t’y mets, mon cher, quel chapelet ! Tous, je les vois, semblaient, la bouche grande ouverte, recevoir la pâtée et la sauce était verte ! » Scaramouche comme spectateur du jeune Molière est conquis : « vraiment c’est à se tordre, et jamais, tu le vois, on ne m’avait offert pareille régalade… »

SA FAIBLESSE EST SON ARME
Poquelin avance à Scaramouche que Marinette serait repente. Il tâte le terrain, « écoute…si pourtant tu voyais l’infidèle soumise et repentante implorer ton pardon, la repousserais-tu sans l’entendre ? » Scaramouche qui la connaît habile et rusée ne s’en laisse pas conter et demande à Molière d’être vigilant devant une telle couleuvre. Et puis il est trop vieux, trop près de la mort, pour se laisser amadouer. Il ne tient pas à la revoir : « Sa faiblesse est son arme, et même la plus bête, si tu tiens à l’aimer, saura te tenir tête, même à toi, Poquelin, m’entends-tu, même à toi ! Que le ciel t’en préserve ! Et tu voudrais que moi qui suis vieilli, fourbu, qui sens ma mort prochaine, je me remette encore à ma trop lourde chaîne ? Je n’ai plus le courage, il vaut mieux en finir ! Si tu la vois, dis-lui de ne plus revenir… »

LA HAINE ET L’AMOUR VONT A LA MÊME ADRESSE
Poquelin revient sur ces déclarations définitives et pense qu’  « il n’est pas de rancœur qui ne cache toujours un vieux fonds de tendresse ! Ta haine et ton amour vont à la même adresse ; ta femme est dans ton cœur, rien ne peut l’arracher… » De plus, Scaramouche a t-il des preuves de l’infidélité de sa femme ? Sur quoi s’appuie-t-il pour être si catégorique ? Ne s’agit-il pas seulement d’ « apparences futiles », « de tourments inutiles ».

DE LA GRÂCE DANS LE LANCEMENT DE BONNETS
Pour Poquelin, rien ne sert de prouver la totale innocence de sa femme. Ça ne tromperait personne et surtout pas Scaramouche, « ta femme, je l’avoue est loin d’être une prude, son humeur est changeante et chacun reconnaît qu’elle a certaine grâce à lancer son bonnet… » Mais ce ne sont que « jeux innocents ».  Pour elle, c’est un jeu bien quelconque. Elle aime séduire, c’est entendu, mais elle ne va guère plus loin, « ayant achevé sa conquête, la belle d’un nouvel exploit se met en quête et, comme je l’ai dit, l’affaire en reste là… »

JE DEVRAIS LE HAÏR, POURTANT JE LUI PARDONNE
Mais Scaramouche reste étonné de tous ces renseignements : Molière semble si bien la connaître. Mais pour lui, son « émoi sincère a mis en évidence ce que tous les discours n’ont pas su me prouver. » Le seul amant véritable était Poquelin lui-même, le plus redoutable, « toi seul pouvait me l’enlever, après toi ce n’est pas un Jourdain qu’on redoute ! » Poquelin le rassure, il ne l’a pas fait cocu. Scaramouche n’en est pas tout-à-fait convaincu, « l’est-il, mon ami ? car vraiment je devrais le haïr…pourtant je lui pardonne, ne fût-ce qu’en retour du repos qu’il me donne ! »

TU ME RENDS LA VIE !
 Marinette « implore son pardon ». Embrassades et pardons mutuels. Marinette : « Suis-je enfin pardonnée ? » Scaramouche : « Ah ! tu me rends la vie ! » Mais le public est là qui attend le spectacle, qui attend Scaramouche. Mais depuis le temps, le public demande son argent. Scaramouche de nouveau gonflé à bloc et prêt pour un spectacle grandiose. Le public n’a qu’à bien se tenir, il va en avoir pour son argent. Laissant sur place Poquelin, seul. Mais Poquelin a beaucoup et tant appris. Les pages blanches n’ont qu’à bien se tenir ! Sa plume arrive, « car j’ai livré ce soir une rude bataille !… »

Jacky Lavauzelle

in La Petite Illustration n°84 du 11 février 1922