DER HERBST HÖLDERLIN
LITTERATURE ALLEMANDE DeutschLiteratur
Friedrich Hölderlin
1770-1843
Traduction Jacky Lavauzelle
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DER HERBST
L’AUTOMNE
Die Sagen, die der Erde sich entfernen, Leslégendes, celles qui de la Terre s’éloignent, Vom Geiste, der gewesen ist und wiederkehret, Del’espritqui a été etqui est de retour, Sie kehren zu der Menschheit sich, und vieles lernen Reviennent vers l’humainet nous apprennent beaucoup Wir aus der Zeit, die eilends sich verzehret. Sur le Temps, lui-même si rapidement dévoré.
*
Die Bilder der Vergangenheit sind nicht verlassen Les imagesdu passéne quittent plus Von der Natur, als wie die Tag’ verblassen La Nature, par elle les jours se terminent Im hohen Sommer, kehrt der Herbst zur Erde nieder, En plein été, l’automne alors retourne à la terre, Der Geist der Schauer findet sich am Himmel wieder. L’espritdes averses occupe à nouveau le ciel.
*
In kurzer Zeit hat vieles sich geendet, En peu de tempsbeaucoup de choses se terminent, Der Landmann, der am Pfluge sich gezeiget, Lepaysan, quiregarde sa charrue, Er siehet, wie das Jahr sich frohem Ende neiget, Voit commentl’année finira joyeusement, In solchen Bildern ist des Menschen Tag vollendet. Dans cesimagesde l’homme se termine le jour.
*
Der Erde Rund mit Felsen ausgezieret
La Terre ronde avec des rochers décorés Ist wie die Wolke nicht, die Abends sich verlieret,
non pas avec les nuages mais avec le soir qui se perd, Es zeiget sich mit einem goldnen Tage, et qui annonce une journée radieuse, Und die Vollkommenheit ist ohne Klage. Etla perfection estsansaction.
******************** Traduction Jacky Lavauzelle ARTGITATO
******************* Der Herbst Hölderlin
Muß immer der Morgen wiederkommen? Le Matin doit-il toujours revenir ? Endet nie des Irrdischen Gewalt? Ne finira-t-elle jamais cette violence terrestre ? Unselige Geschäftigkeit verzehrt Le misérable affairisme doit-il consumer Den himmlischen Anflug der Nacht? Les divines aspirations de la Nuit ? Wird nie der Liebe geheimes Opfer
Les victimes secrètes de l’Amour devraient-elles jamais Ewig brennen? Éternellement s’embraser ? Zugemessen ward
Nous avons infliger Dem Lichte Seine Zeit
Son temps à la lumière Und dem Wachen ? Et des mesures ? Aber zeitlos ist der Nacht Herrschaft, Mais le règne de la nuit est intemporel, Ewig ist die Dauer des Schlafs. Eternelle est la durée du sommeil. Heiliger Schlaf! Sommeil sacré ! Beglücke zu selten nicht Trop rarement te réjouiras-tu Der Nacht Geweihte ? De la nuit sanctifiée In diesem irrdischen Tagwerck. Dans ce travail du jour terrestre. Nur die Thoren verkennen dich Seuls les insensés te reconnaissent Und wissen von keinem Schlafe Et ne connaissent pas de repos Als den Schatten Comme les ombres Den du mitleidig auf uns wirfst
Qui te comblent de plaisir In jener Dämmrung Dans ce crépuscule Der wahrhaben Nacht. Des disciples de la Nuit. Sie fühlen dich nicht Ils ne te perçoivent pas In der goldnen Flut der Trauben Dans le flot d’or des raisins In des Mandelbaums De l’amandier Wunderöl Dans l’huile merveilleuse Und dem braunen Safte des Mohns. Et dans le jus brun du pavot. Sie wissen nicht Ils ignorent Daß du es bist Que c’est toi Der des zarten Mädchens Qui de la jeune fille son tendre Busen umschwebt sein tu enveloppes Und zum Himmel den Schoos macht ? Et qu’un ciel par son cœur se fait ? Ahnden nicht Ils ne soupçonnent pas Daß aus alten Geschichten Que des contes anciens Du himmelöffnend entgegentrittst Tu t’approches de nous en ouvrant le ciel Und den Schlüssel trägst Et la clé que tu portes Zu den Wohnungen der Seligen,
Est celle des foyers des bienheureux, Unendlicher Geheimnisse Secrets infinis Schweigender Bote. Messager silencieux.
William Butler Yeats
English literature English poetry Littérature Anglaise – Poésie Anglaise
YEATS
1865-1939
[The Wind Among The Reeds – 1899]
– THE FIDDLER OF DOONEY poem Le Violoniste de Dooney
[Poème]
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When I play on my fiddle in Dooney, Quand je jouede monviolonà Dooney, Folk dance like a wave of the sea; Les gens dansentcomme une vaguede la mer; My cousin is priest in Kilvarnet, Mon cousinestprêtre à Kilvarnet, My brother in Mocharabuiee. Mon frèreà Mocharabuiee.
I passed my brother and cousin: Je passai voir mon frèreet mon cousin : They read in their books of prayer; Ils lisaientdans leurs livresde prières ; I read in my book of songs Je lisais dansmon livrede chansons I bought at the Sligo fair. Que j’ai achetéà la foirede Sligo.
When we come at the end of time, Quand nous arriveronsà lafin des temps, To Peter sitting in state, Devant Pierre assis comme le veut son état, He will smile on the three old spirits, Ilsourira aux troisvieux esprits, But call me first through the gate; Maism’appellera le premier pour passer la porte ;
For the good are always the merry, Car les bons sonttoujoursjoyeux, Save by an evil chance, Sauf par un malheureux hasard, And the merry love the fiddle Et lesjoyeuxadorent le violon And the merry love to dance: Etles joyeux adorent danser :
And when the folk there spy me, Et quandles gens de là-basme guetterons, They will all come up to me, Ilsviendront tousà moi, With ‘Here is the fiddler of Dooney!’ Avec des «Voici le violonistedeDooney ! » And dance like a wave of the sea. Etdanseront commeune vague dela mer.
William Butler Yeats
English literature English poetry Littérature Anglaise – Poésie Anglaise
YEATS
1865-1939
[The Wind Among The Reeds – 1899]
– THE EVERLASTING VOICES poem Les Voix Eternelles
[Poème]
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O sweet everlasting Voices, be still; Ô douces voixéternelles, silence ! Go to the guards of the heavenly fold Allez vers les gardiens des troupeaux célestes And bid them obeying your will, Et conduisez ces pas errantsàvotreguise, Flame under flame, till Time be no more;
Flammes contre flammes,jusqu’à ce que le Temps ne soit plus ; Have you not heard that our hearts are old,
N’avez-vouspas entendu dire quenos cœurssont vieux, That you call in birds, in wind on the hill,
Vous qui appelez en chant d’oiseaux, dans le ventsur la colline, In shaken boughs, in tide on the shore? Dans les branchessecouées,dansla maréesur le rivage? O sweet everlasting Voices, be still.
Ô douces voixéternelles, silence !
William Butler Yeats
English literature English poetry Littérature Anglaise – Poésie Anglaise
YEATS
1865-1939
[The Wind Among The Reed – 1899]
– INTO THE TWILIGHT
poem Dans le Crépuscule
[Poème]
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Out -worn heart, in a time out-worn, Cœur délabré dans un temps délabré, Come clear of the nets of wrong and right;
Emancipe-toi des filets du bien et du mal ; Laugh heart again in the gray twilight,
Ris de nouveau, cœur, dans le crépuscule gris, Sigh, heart, again in the dew of the morn.
Soupire, coeur, à nouveau dans la rosée du matin.
Your mother Eire is always young,
Ta mère Eire est toujours jeune, Dew ever shining and twilight gray;
Rosée toujours brillante et gris crépuscule; Though hope fall from you and love decay,
Bien que l’espoir te quitte et l’amour s’étiole, Burning in fires of a slanderous tongue.
Brûlés dans les feux d’une langue diffamante.
Come, heart, where hill is heaped upon hill:
Viens, cœur, où la montagne s’ajoute à la montagne : For there the mystical brotherhood
Car la confrérie mystique Of sun and moon and hollow and wood
Du soleil et de la lune et des vallées et des bois And river and stream work out their will;
Et des rivières et des ruisseaux travaillent sur leur volonté ;
And God stands winding His lonely horn,
Et Dieu souffle dans Son cor solitaire, And time and the world are ever in flight;
Et le temps et le monde s’envolent pour toujours ; And love is less kind than the gray twilight,
Et l’amour est moins suave que le crépuscule gris, And hope is less dear than the dew of the morn.
Et l’espoir est moins nécessaire que la rosée du matin.
Francisco Gómez de Quevedo
Villegas y Santibáñez Cevallos
Literaturaespañola – Littérature Espagnole Siècle d’or espagnol -Siglo de Oro
Francisco de Quevedo y Villegas
1580-1645
Sonetos Líricos
Huye sin percibirse, lento, el día,
Huye sin percibirse, lento, el día,
Le jour fuit sans s’en apercevoir, lentement,
Huye sin percibirse, lento, el día,
Le jour fuit sans s’en apercevoir, lentement, y la hora secreta y recatada
et l’heure secrète et habile con silencio se acerca, y, despreciada,
silencieusement s’approche, et, méprisante, lleva tras sí la edad lozana mía.
attire à elle la verdeur qui est mienne…
Francisco Gómez de Quevedo
Villegas y Santibáñez Cevallos
Literaturaespañola – Littérature Espagnole Siècle d’or espagnol -Siglo de Oro
Francisco de Quevedo y Villegas
1580-1645
Sonetos Líricos
Fue sueño ayer mañana será tierra
Fue sueño ayer mañana será tierra
Glace brûlante, feu gelé
Fue sueño ayer, mañana será tierra: Ce qui fut rêve hier, demain sera poussière : poco antes nada, y poco después humo;
rien peu de temps avant, et fumée peu de temps après ; y destino ambiciones y presumo,
et j’ai pourtant des projets ambitieux et orgueilleux, apenas junto al cerco que me cierra. à côté d’un siège qui m’emprisonne…
LA FRAGMENTATION DU MOI & LA DERIVE DU TEMPS et DES ÊTRES
1/ LES THEMES MAJEURS d’André Maurois
A l’image de Mme Fontanes qui a « démonté toutes les pièces du mécanisme intellectuel de son mari » (Les Roses de septembre), nous tenterons de démonter et de remonter une partie des rouages et des pièces de l’œuvre d’André Maurois.
Les thèmes majeurs dans l’œuvre de Maurois se dessinent évidemment : une fragmentation, une métamorphose, une dérive de l’être dans le temps, une description d’une société monadique, de castes, l’importance des femmes, de la nature ou encore l’importance de la musique, de la simple voix flûtée à la symphonie endiablée, dans de nombreux descriptifs, l’importance apportée aux paysages dans la structuration d’une pensée ou dans la naissance d’une émotion, dans l’amour de certains lieux qui reviennent en boucle : la Normandie, l’Angleterre ou l’Italie.
2/ DE LA SOUDAINE JEUNESSE AUX SOLEILS DEFUNTS
Un des thèmes revenant constamment dans son œuvre : le temps, la durée, la mémoire, en somme, l’être ou l’âme, le moi dans le temps, et sa transformation dans ce passé mystérieux.
Déjà la seule maîtrise de notre être présent semble complexe. Notre être présent, là, que nous voyons à travers le miroir, nous étonne, nous déstabilise et nous questionne. Nous rajeunissons, nous vieillissons parce que ce que nous vivons dans l’instant est gai ou douloureux. En une fulgurance, le temps se joue de nous : « Fontane, dans une glace accrochée au mur, aperçut leurs deux visages et fut frappé par la soudaine jeunesse du sien. Ses yeux brillaient et un air de sérénité semblait effacer les deux plis profonds de sa bouche. » (Les Roses de septembre)
Pour que, peu de temps après, Fontane retrouve son âge réel, peut-être même encore un peu plus vieux, avachi, cassé, déformé et abattu par la foudre des sentiments qui retombe : « En remontant l’escalier du Granada, Fontane sentit soudain qu’il était de nouveau un vieil homme. Son humeur avait changé brusquement, comme ces places de village qu’a transfigurées, un instant l’éblouissement d’une fête et qui se retrouvent, après les dernières fusées, sombres et pauvres, parmi les carcasses des soleils défunts. Il éprouvait de l’humiliation, de la honte et de la fureur. « La même phrase ! pensait-il, et sur le même ton…Ah ! Comédienne !… » (Les Roses de septembre)
3/ UNE RECOMPOSITION DES TRAITS ORIGINAUX DE MON MOI
Ce passé, ni imprévisible, ni aléatoire, puisque succession de moments vécus ou d’impressions, s’organise, se restructure et se recombine pour devenir autre, pour finir dans l’oubli, ou devenir obsessionnel. Cette recombinaison en tout cas bouleverse totalement notre moi, voire finalement le change, à devenir à terme un autre moi.
A chaque moment, nous penserons à Proust. Cette dissolution et cette recomposition rapide de l’être, comme dans un Amour de Swann : « il suffisait que…mon sommeil fût profond et détendît entièrement mon esprit ; alors celui-ci lâchait le plan du lieu où je m’étais endormi et, quand je m’éveillais au milieu de la nuit, comme j’ignorais où je me trouvais, je ne savais pas au premier instant qui j’étais ; j’avais seulement…le sentiment de mon existence comme il peut frémir au fond d’un animal ; j’étais plus dénué que l’homme des cavernes ; mais alors le souvenir – non encore le lieu où j’étais, mais de quelques-uns de ceux que j’avais habités et où j’aurais pu être- venait à moi comme un secours d’en haut pour me tirer du néant d’où je n’aurais pu sortir tout seul ; je passais en une seconde par-dessus des siècles de civilisation, et l’image confusément entrevue de lampes à pétrole, puis de chemises à col rabattu, recomposaient peu à peu les traits originaux de mon moi» (A la Recherche du temps perdu, I).
UN PROUST CHIRURGIEN ET UN MAUROIS ARCHEOLOGUE
Dans Proust, le temps du changement est un temps court, celui d’une nuit, de la seconde. Proust opère en chirurgien. Maurois en observateur astronome, loin ; en regardant les grands bouleversements, tel un géologue. L’être, au fil du temps, se niche tout au long de sa vie écoulée, au fil d’un passé qui grandit, comme un arbre, cumulant ses cernes et ses anneaux ou comme une tortue portant une carapace de plus en plus lourde, il souhaite parfois vouloir s’en débarrasser. Heureux sont les homards…
« Voyez-vous, mon ami, nous sécrétons, en cinquante ou soixante ans, une carapace d’obligations, d’engagements, de contraintes si lourde que nous ne pouvons vraiment plus la porter…Moi, j’en suis accablé…Les homards, eux, se réfugient de temps à autre dans un trou du rocher et font cuirasse neuve. Sans doute est-ce d’une métamorphose, ou d’une mue dont j’aurais besoin… » (Les Roses de septembre)
4/ UN COMPOSITEUR MYSTERIEUX QUI ORCHESTRE NOTRE EXISTENCE
Les lignes, les cernes et les anneaux du temps ne sont, pour autant, ni linéaires ni égales dans leurs tailles. Les plus vieilles ne sont pas nécessairement les plus vite oubliées. Nos souvenirs et nos êtres sont entre les mains de ce « compositeur mystérieux qui orchestre notre existence »(Climats).
La densité du temps. Certaines secondes valent des années. Des existences se concentrent dans la force d’une émotion. Un temps qui se contracte ou se dilate, se remplit ou se vide comme une outre de tout ce qui l’entoure, comme le décrit Proust : « Une heure n’est pas une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. Ce que nous appelons la réalité est un certain rapport entre ces sensations et ces souvenirs qui nous entourent simultanément » (A la Recherche du temps perdu, III) ou encore « les mesures du temps lui-même peuvent être pour certaines personnes accélérées ou ralenties. » (III). Amnésie, hypermnésie, paramnésie,… fausse mémoire, vraie reconnaissance, distraction de l’être, cheminement :
DES JOURS QUI VALENT DES ANNEES
« En ces quelques semaines, j’ai plus vécu là-bas qu’en ma vie toute entière. Comment mesurer la longueur d’un temps aboli sinon par la quantité d’images laissés par lui en notre esprit ? Chacun des jours passés avec Dolorès vaut, dans ma mémoire, une année. » (Les Roses de septembre). Comme si le plaisir se détournait du temps, s’en soustrayait. Ce passage nous rappelle celui de la Recherche : « c’était peut-être bien des fragments d’existence soustraite au temps, mais cette contemplation, quoique d’éternité, était fugitive. Et pourtant, je sentais que le plaisir qu’elle m’avait…donné dans ma vie était le seul qui fût fécond et véritable » (A la Recherche du temps perdu, III)
5/ NOS EMOTIONS LES PLUS FORTES SONT-ELLES LES PLUS RESISTANTES ?
Nous sommes néanmoins aujourd’hui, la somme, plus ou moins, des expériences de notre passé. Pour ne plus être, il suffirait d’oublier dans sa totalité ce temps, peut-être en s’enfonçant dans le bleu d’un verger.
« J’ai l’impression que si nous nous enfoncions dans ce verger bleuâtre, vous et moi, nous y oublierions le passé et ne reviendrions jamais sur terre. Le Léthé doit couler tout près d’ici. » (Les Roses de septembre)
D’abord le naître et l’être ; un être puis un autre lié à la défragmentation du précédent, et ensuite un être différent, un plus d’être, jusqu’au plus d’être du tout dans un dernier final. Quel est notre moi fondamental ? Qu’est ce qui fait que nous sommes toujours un peu le même ? Le jeune homme que nous étions et l’homme que nous sommes sont-ils encore un peu les mêmes ?
« Or l’homme que vous rencontrez dix ans, vingt ans plus tard, est celui d’un temps M’, M’’ ; il n’y a plus en commun, avec l’auteur de votre livre bien-aimé, que des souvenirs d’enfance, et encore… » (Les Roses de septembre)
« Nos émotions les plus fortes meurent, ne trouvez-vous pas ? Et on regarde la femme qu’on était il y a trois ans avec la même curiosité et la même indifférence que si elle était une autre. » (Climats)
« Peut-être parce que je suis devenue, pour ma fille, trop différente de la femme que font renaître ces souvenirs… » (L’Instinct du bonheur)
6/ ET QUE MEUVENT NOS HUMEURS
Des êtres morcelés en puzzles irréguliers, donc inconstants et changeants, et infidèles. L’être qui parle qui pense n’est fidèle qu’à cet être là, le temps du présent. Comme le disait Montaigne : « Chaque jour nouvelle fantaisie et se meuvent nos humeurs avec les mouvements du temps »
« Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)
7/ UN MOI PRESENT ET UN MOI DISPARU
En fait, cette métamorphose engendre des actions qui ne sont, peut-être, plus les nôtres et donc rend possible le pardon de l’autre pour ses actions répréhensibles. Tout devient possible. « Supposez que demain, je chasse théâtralement de Preyssac Valentine que j’aime et qui m’aime, Valentine qui peut-être, il y a vingt ans, a été coupable et imprudente, mais qui n’est plus la même femme, qui se souvient à peine de ses actions de ce temps-là et de leurs causes réelles… » (L’Instinct du bonheur)
« L’homme qui regrette n’est plus l’homme qui a été coupable. Et ce n’est certes pas moi qui reprocherai à votre Moi présent et purifié les erreurs de votre Moi disparu. » (Ariel ou la vie de Shelley)
Le passé n’est plus. Il n’est déjà plus réel. Sans être encore un rien du tout. Il se réveille, comme dans la madeleine proustienne, où parfois-même se révèle dans une profondeur encore insoupçonné. Il suffit parfois de rencontrer un espace familier, une odeur particulière ; il nous renverra immédiatement dans un autre temps oublié, en rendant présent ce qui est, pour l’heure absent. Comment s’opère ce choix dans notre cerveau entre les images et les impressions qui resteront et les autres. Pourquoi des périodes entières meurent pour renaître et souvent meurent à jamais dans un total oubli. Rappelons-nous l’image proustienne des portes : « si nos souvenirs sont bien à nous, c’est à la façon de ces propriétés qui ont des petites portes cachées que nous-mêmes souvent ne connaissons pas. » (A la Recherche du temps perdu)
« Pourquoi certaines images demeurent-elles pour nous aussi nettes qu’au moment de la vision, alors que d’autres en apparence plus importantes, s’estompent puis s’effacent si vite ?» (Climats).
« Voyez mon cas : oui, il y a eu dans ma vie une affreuse tragédie, mais parce qu’elle est toujours restée muette, elle est maintenant comme étrangère…Et il faudrait la réveiller ? Commencer entre Valentine et moi, un dialogue douloureux qui ne finirait plus qu’avec notre mort ? » (L’Instinct du bonheur)
8/ « NOUS RECONNAISSONS LEUR VERITE PASSE A LA FORCE PRESENTE DE LEURS EFFETS«
Il n’y a pas, nous le savons bien, une chronologie des événements. Un autre ordonnancement s’opère, mystérieux, magique.
« Les souvenirs de l’enfance ne sont pas, comme ceux de l’âge mûr, classés dans le cadre du temps. Ce sont des images isolées, de tous côtés entourées d’oubli, et le personnage qui nous y représente est si différent de nous-mêmes que beaucoup d’entre elles nous paraissent étrangères à notre vie. Mais d’autres ont laissé sur notre caractère des traces à ce point ineffaçables que nous reconnaissons leur vérité passée à la force présente de leurs effets. » (Le Cercle de Famille).
Cette jeunesse nous paraissais interminablement longue et monotone, souvent ennuyeuse ; et pourtant, il ne reste que quelques images, quelques photographies, rochers dans un océan immense informe.
« Quand je relis mon journal de jeune fille, j’ai l’impression de voler dans un avion très lent au-dessus d’un désert d’ennui. Il me semblait que je n’en finirais jamais d’avoir quinze ans, seize ans, dix-sept ans. « (Climats)
9/ CREER UN PASSE QUI NE FUT POINT
L’être du passé n’est plus, n’est pas, l’être présent. Rien n’interdit alors de faire de cet être, un être inventé, changeant, au gré des désirs et de notre volonté, ou d’une cristallisation amoureuse : « – Comme je suis bien ! dit-elle…Il me semble que je t’ai toujours connu…-L’amour, dit-il, créé, comme par magie, les souvenirs d’un passé merveilleux qui ne fut point. »(les Roses de septembre)
« Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)
Invention ou failles dans la mémoire, les failles sont parfois si nombreuses, que l’être sans trouve chamboulé. Qu’est ce qui est vrai ? Quelles sont les images, les sensations que nous possédons vraiment en les ayant vécus totalement. Quelle part pour le rêve ?
« Oublier le passé…Que cela paraît difficile, impossible, et que c’est facile si le décor de la vie change entièrement !…A partir de 1919, nous sommes venus vivre dans ce pays, où notre histoire était ignorée. Je vous assure que souvent, au cours de ces dernières années, je mes suis demandé si cette histoire était vraie. Qu’étais Martin-Buissière ? Un fantôme, le souvenir d’un rêve. » (L’Instinct du bonheur)
10/ AU MOINS UN AIR DE VERITE, JUSTE UN AIR
Cette lecture de notre mémoire n’est, bien entendu, pas nécessairement mytho-maniaque, mais en tout cas elle permet aussi d’éviter le vulgaire, le commun donc l’ennui :
« Elle disait : « Qu’est-ce que c’est que la vie ? Quarante années que nous passons sur une goutte de boue. Et vous voudriez qu’on perdît une seule minute à s’ennuyer inutilement » (Climats)
« Je vous ai dit qu’elle vivait surtout dans l’instant présent. Elle inventait le passé et l’avenir au moment où elle en avait besoin puis oubliait ce qu’elle avait inventé. Si elle avait cherché à tromper, elle se serait efforcée de coordonner ses propos, de leur donner au moins un air de vérité ; et je n’ai jamais vu qu’elle s’en donnât la peine. Elle se contredisait dans la même phrase » (Climats)
Tout s’opère, se mélange, le vrai, l’avoué, le passé décoré, les images qui s’imposent, et partent aussi rapidement, dans des rythmes différents. Mais au final, tout va si vite.
«En marchant, je vois passer ma vie, comme les personnages des films. Elle me semble une toute petite chose. Je pense que ma vraie jeunesse, celle où l’on croit encore à la réalité d’un univers féérique, est finie. Comme cela a été vite. » (Le Cercle de Famille).
« -Ah ! Monsieur Schmitt, vous autres incrédules, vous êtes comme les éphémères qui dansent au soleil et ne pensent pas qu’ils seront morts le soir ». (Le Cercle de Famille)
11/TIRER DE CHAQUE MOMENT CE QU’IL PEUT CONTENIR D’INTENSITE
Une possibilité pour stopper ces mouvements virevoltants du temps c’est s’ancrer très fort dans l’immédiateté du présent, sans imagination, ni création, presque dans une vie animale.
« Ce jour-là, pour Odile, la vie c’était une tasse de thé, des toasts bien beurrés, de la crème fraîche, c’est peut-être que les uns vivent surtout dans le passé et les autres seulement dans la minute présente » (Climats)
« Je ne comprends pas du tout qu’elle importance à la fidélité, avait-elle dit avec une diction martelée qui donnait toujours à ces idées un air abstrait et métallique. Il faut vivre dans le présent. Ce qui est important, c’est de tirer de chaque moment ce qu’il peut contenir d’intensité. On y arrive que de trois manières : par le pouvoir, le danger ou par le désir » (Climats)
L’être dans cette dérive du temps, de fait tout en se défaisant. Comme une petite pièce de notre présent qui pourrait à elle-seule transformer radicalement l’ensemble de notre être sur lequel elle se pose. Nous voguons dans le mystère des choses et,
O mysterio das cousas, onde esta elle ? Onde esta elle que nao aparece Pelo menos a mostrar-nos que é misterio? (Fernando Pessoa, Poèmes de Alberto Caeiro, XXXIX)
La Seconde
&
Les éternités
Ou
La dictature de l’instant
« La plupart des hommes emploient la meilleure partie de leur vie à rendre l’autre misérable » (La Bruyère -Les Caractères, De l’homme, 102). Cela pourrait s’appliquer sur Moncade, personnage central de L’Homme à Bonnes Fortunes, avec la nuance suivante : un homme qui emploie chaque seconde vécue à rendre misérable chaque seconde écoulée.
BIEN PARLER ET AVOIR DE L’ESPRIT
Ce n’est pas un homme solide et engagé que ce Moncade-là. D’ailleurs qui en voudrait d’un homme massif et vertueux ? L’esprit et la répartie sont bien plus loués : « c’est une grande misère de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler » (La Bruyère, Les Caractères, De la société et de la conversation, 18). Moncade, lui, est versatile, totalement. Le portrait de Marton, suivante de Lucinde, cette dernière amoureuse de Moncade, est justement brossé à la quatrième scène du premier acte : « un homme toujours inquiet, toujours bizarre, toujours content de lui, jamais content, amoureux aujourd’hui, demain perfide…n’aimez-vous pas Moncade ? C’est son portrait que je viens de faire. »
UN MONCADE PRÊT A SE DONNER AU DIABLE
Quand Moncade est amoureux, il l’est en effet réellement, totalement. Quand il doute, c’est aussi, bien entendu, complétement. Ce n’est pas un Don Juan, étudiant et planifiant des stratégies de conquête. Ce pourrait-être même un anti-Casanova. Il ne se moque pas quand il dit qu’il aime. « Je crois que je suis amoureux…oui, te dis-je, amoureux…Veux-tu que je me donne au diable pour te le faire croire. » (Acte I, scène 9). Et c’est à Pasquin qu’il livre ses pensées secrètes, son valet fidèle. Il ne ment pas. Du moins à l’instant où il s’émerveille. Et même si la seconde suivante contredit cet infernal engagement.
Moncade personnifie l’apparence et le dictat de la mode. Il est le jouet du temps présent. La Bruyère dans ses Caractères, qui sortira deux ans plus tard soulignait l’importance des « beaux traits et de la taille belle pour être adoré de bien des femmes. » (Les Caractères, Des femmes).Et Moncade a la taille belle …
…Il est beau, il porte haut cette prestance qui ne laisse pas insensible la gente féminine. Du moins le pense t-il : « il est si prévenu de son mérite, qu’il croit qu’on est forcé de l’aimer dès qu’on le voit. » (Marton, Acte III, scène 2)
LA VERITE, LE TEMPS D’UNE SECONDE
Mais Moncade vit dans l’instant. Sa pensée ne vaut que dans le moment où elle est prononcée. Dans ce fragment-là, elle est dite dans sa vérité entière, sans faux-fuyant ou déguisement. Le problème, c’est qu’à l’instant suivant tout est remis en cause.
Balloté dans le temps, il ne prendra jamais une seule décision qu’il sera en mesure d’honnorer. « Je ne sais ce que je ferai. J’ai bien envie de passer ma journée ici. Non, il faut que je sorte. » (Acte I, scène 8) « Rien ; se taire, et commencer dès à présent. » (Acte I, scène 10)
C’est en offrant ces moments d’intensité, qu’il foudroie le cœur de ces dames : « tant qu’il n’a eu dessein que de vous plaire, et d’être aimé de vous, le plus joli homme du monde était Moncade ; mais dès qu’il a vu que vous le vouliez toujours fidèle et toujours amoureux, a-t-il seulement pu se résoudre à conserver les moindres égards pour vous ? » (Marton -Acte I, scène 4)
LES FEMMES SONT EXTRÊMES
« Les femmes sont extrêmes : elles sont meilleures et pires que les hommes » et « la plupart des femmes n’ont guère de principes ; elles se conduisent par le cœur, et dépendent pour leurs mœurs de ceux qu’elles aiment » (La Bruyère, Les Caractères, 53 & 54). A aimer l’instant de la passion, elles ne supporteront plus d’être ballotées l’instant suivant et remisées, déposées. Les femmes souffriront alors terriblement de ces inconstances. Moncade en est conscient, même malheureux : « il y a des moments où je voudrais n’être point fait comme je suis, et où je donnerais toutes choses au monde pour être fait comme toi. » Moncade (Acte I, scène 8). Mais il suffit qu’il passe devant une dame, une coquette ou une marchande et son esprit prend une autre direction en oubliant tout ce qu’il vient de dire : « Je te le pardonne ; mais si de ta vie… Je vais passer un moment chez cette petite marchande, ici près, en attendant l’heure. » (Moncade- Acte IV, scène 10)
DE MON SANG S’IL LE FAUT !
Car dans l’instant de la passion, son assurance est telle, qu’il se sent capable de donner toutes les preuves du monde, y compris en signant un pacte avec son propre sang, comme précédemment se livrer au diable. (Acte III, scène 3) : – Léonor : « Mais, Moncade, que me demandez-vous ? » Moncade : « Que vous m’aimiez, que vous le pensiez, et que vous le disiez sans cesse. » – Léonor : « Vous me trahirez ? » – Moncade : « Non, madame, jamais. » – Léonor : « Me le signerez-vous ? » – Moncade : « De mon sang s’il le faut. » – Léonor : « Vous n’aimez point Lucinde ; et vous vivrez éternellement pour moi : vous me le promettez, et votre main est prête, dites-vous, à m’en signer l’aveu ? » – Moncade : « A l’instant même : commandez. » Au dernier acte Moncade s’engage sur sa vie (Acte V, scène 8) : « Oui, j’aime, madame, et d’un amour qui ne finira qu’avec ma vie. » Le souci c’est que sa vie est multiple et que celle sur laquelle il s’engage ne compte que quelques secondes.
LES MORALITES M’ENDORMENT
Il n’est pas amoral ou immoral par goût. Il le dit même, il « aime les moralités », le souci, c’est qu’elles « l’endorment » (Acte I, scène 10). La moralité se déroule dans le temps, avec des lois et des principes. Rien que puisse retenir Moncade bien longtemps.
Un an après la représentation de L’Homme à Bonnes Fortunes paraîtra la pièce de Dancourt, en 1687, Le Chevalier à la Mode. Et c’est de cette mode dont parle Moncade. Il est le galant à la mode. Et de nombreuses femmes sont attirées par ce brillant qu’elles pensent pouvoir posséder et placer dans leur écrin. Lucinde l’aborde au deuxième acte (scène 11) : « Que sais-je ? Pour entasser conquête sur conquête, pour satisfaire une vanité ridicule dont tous les jeunes gens se piquent aujourd’hui. Les choses si aisées ne font point d’honneur, Moncade» ; ou encore Pasquin, dans ce même acte, scène 13 : «Toutes s’empressent à lui plaire, l’une par un véritablement entêtement, l’autre par jalousie de sa beauté ; celle-ci, pour se venger d’un amant qui l’aura quittée, celle-là, pour réveiller les ardeurs d’un amant languissant ; toutes enfin pour suivre la mode, car il y a de la mode, oui, en ceci comme en autre chose… »
SE DISTINGUER PAR DE VAINES CHOSES
L’apparence de Moncade est celle de son temps, de cette fin du XVIIème. Il est tel un habit étincelant, une magnifique monture. Comme la onzième scène du premier acte, où les propos de Marton, sont entrecoupés par l’habillement de Moncade : – « Mon justeaucorps ? … – Ma montre…- Mon épée… – Ma bourse… – Ma perruque…- Suis-je bien, Marton ? – Mes gants, mon chapeau. Adieu Marton.» Le tout sans l’écouter une seule fois. Il se fond dans cette attente et cette recherche. Il ne se résume plus qu’à ça.
Bossuet, huit ans après la pièce de Baron sortira son Traité de la Concupiscence (1694) où il critiquera cette légèreté et ces inconstances. Nous le lisons au regard du personnage de Moncade : « vous étalez vos riches habits… Comme vous voulez être regardé, vous voulez aussi regarder ; et rien ne vous touche, ni dans les autres, ni dans vous-même, que ce qui étale de la grandeur et ce qui distingue. Et tout cela, qu’est-ce autre chose qu’ostentation et désir de se distinguer par des choses vaines ? C’est donc là, au lieu de grandeur, ce qui vous marque en vous de la petitesse. »