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STALKER de Tarkovski : L’ULTIME ESPOIR

 

Andreï TARKOSVI
Андрей Арсеньевич Тарковский

STALKER
Сталкер
1979

L’ULTIME ESPOIR

stalker Tarkoski artgitato

Des barbelés.
LA PARTIE VEGETATIVE
Des militaires. Les murs noirs de champignons. Et l’eau croupie, souillée stagne autant dehors que dedans, autant sur le sol que dans les êtres.
Une partie végétative des âmes.
Le temps est en suspens et les êtres dorment. Les yeux ouverts. Les hommes sont fatigués et dorment dans de grands lits humides. Seuls, les objets bougent et tremblent. Les objets sont animés. Ils ont une direction. Suivre la table. Tomber et se casser.

POUR L’ESPOIR QUI RESTE

Les gens s’enfoncent dans la pesanteur du réel sinistre.
Nulle légèreté et nulle évasion. Il n’y a plus d’espoir. « Il ne leur reste plus aucun espoir. »
La terre est dévastée. Il n’y a plus rien sur terre. Que de la misère et de la peine. Partout ? Non, un lieu résiste encore. Différent.
« C’est l’unique endroit où l’on peut venir lorsqu’il n’y a plus rien à espérer. »

VOTRE SOUHAIT LE PLUS CHER SERA EXAUCE !

Pensez à un lieu où « votre souhait le plus cher sera exaucé ». Une sorte de lampe d’Aladin à un coup. Un souhait, pas deux.
Il exige le « souhait le plus sincère. » Le plus vrai. Mais un souhait que l’on a réfléchi et pensé. Pour y arriver, un passeur est nécessaire. Il est celui qui guide. Il est le moyen.
C’est le Stalker.

J’EN PLEURE DE BONHEUR DE LES AIDER !
Il est celui qui guide. Qui va jusqu’à la porte mais qui ne rentre pas. Il est le vecteur. Il est « désintéressé ». Son seul bonheur est de donner du bonheur. De remplir les existences des autres, même si la sienne tombe en lambeau. « Je ne sais rien faire dans ce monde et je ne puis rien faire. Je n’ai rien pu donner à ma femme. Je n’ai pas d’amis et je ne puis en avoir. » Il n’a rien et ne possède rien. Il n’a qu’une chose : son métier de passeur. « Je conduis ici des gens comme moi, des malheureux. .J’en pleure de bonheur, de les aider ! »    

L’ABÎME COSMIQUE
Une Zone existe. Différente de tout ce qui existe. Dans un univers glaude et sordide, noir et suintant la putréfaction. Les êtres sont las et tristes. Abattus. Au milieu de ce marasme et cette déchéance, une chose différente. Une interrogation. L’homme n’en est peut-être pas la cause. Mais peut-être quand même. « Qu’est-ce que c’était ? La chute d’un météorite ? La visite des habitants de l’abîme cosmique ? Ça ou autre chose dans notre pays s’était produit, le miracle des miracles : la ZONE. On y envoya des troupes, elles ne revinrent pas. On encercla la Zone de cordons de police. Et on fit bien. Enfin, je n’en sais rien» souligne un prix Nobel dans un article paru sur la RAI.

UN ULCERE POUR N’IMPORTE QUELLE FRIPOUILLE
S’agit-il d’un Paradis ou d’un « ulcère pour n’importe quelle fripouille ? »
La question que pose le Stalker est la suivante : faut-il ou non la conserver ?
Cela peut rendre meilleur ou pire.
C’est selon ce que l’on fera dans la Zone. Faut-il la préserver, comme le souhaite notre passeur, notre Stalker, ou l’anéantir comme le veut, un instant, le Professeur ; ce dernier  l’affirme : « ce lieu n’apportera le bonheur à personne. Et si cet engin tombe entre de mauvaises mains…»

UN ÂMÔMETRE POUR ETUDIER L’ÂME
La Zone peut nous permettre de devenir meilleur ou pire. C’est selon. C’est selon l’âme qui recherche. Pour le savoir, le Stalker a un don. Il plonge dans les yeux des « clients ». Mais comme le dit un instant, sous forme de boutade, l’écrivain au professeur, ne faudrait-il pas « un appareil pour étudier l’âme, un « âmomètre » ! »

Ce n’est pas le lieu qui pose problème mais l’homme.
Sa puissance de destruction et d’anéantissement. Son souhait de vouloir pour enlever aux autres. Vouloir, c’est se projeter dans l’avenir. Et c’est à ce moment que l’homme est dangereux. Car, comme le dit notre Stalker, «quand l’homme pense à son passé, il devient meilleur. »

LE MOMENT LE PLUS IMPORTANT DE SA VIE
Au cœur du pays, la Zone. Au cœur de la Zone, la chambre. Le Stalker le dit, c’est alors « le moment le plus important de sa vie. » On ne va pas dans la Zone comme ça ; il faut s’y préparer. Nous sommes au cœur de l’homme, au cœur de sa foi, de ses croyances, de ses espoirs. Nous sommes dans l’Être. Et tout peut arriver. « Le plus important, c’est d’avoir la foi…C’est de se concentrerQuel mal y a-t-il dans la prière ?  »

LA PERSEVERANCE DE L’ÊTRE
Ce qui assaille les visiteurs, c’est le doute. En arrivant si près du but, ils ne savent plus s’ils désirent ou non pénétrer dans l’enceinte. Le dernier pas est le plus compliqué. Le plus risqué. Il demande toute la persévérance de l’être.
La vérité de l’âme est-elle la plus forte. Cette vérité lumineuse qui permettra de résoudre les problèmes des hommes. « A moins que le secret de l’âme ne l’interdise… »

NE JAMAIS COMMETTRE D’ACTIONS IRREVERSIBLES
L’investigation ontologique est alors si puissante que la seule satisfaction d’un désir devient anecdotique. Nous rentrons dans le monde du questionnement. L’obscurité du monde peut-elle être changée par nos actions. Celles-ci sont-elles altruistes ou simplement égoïstes ? Le professeur l’entend. « Il existe certainement une loi : ne jamais commettre d’actions irréversibles. »

LES YEUX SONT VIDES !
L’accès à la chambre ne sera pas jamais atteint. Les hommes ne sont pas prêts pour la vérité. Et déjà le train se fait entendre au rythme de cette eau souillée qui lentement se noircit. Nos trois hommes se retrouvent au bar. Abattus et tristes. Ils ont échoué. « As-tu vu, les yeux sont vides ! » Fiévreux, le stalker se couche, aidé par sa femme.

« Comment peuvent-ils croire en quelque chose ? » demande le stalker. « Personne ne croit, pas seulement ces deux-là ! » C’est l’avenir même qui est en cause. A quoi bon, prendre des risques, risquer sa vie et celle de sa famille. « Qui vais-je emmener là-bas ? » Lui, ce « condamné à mort, prisonnier à vie» pour les autres, perd aussi ses dernières illusions et ses derniers rêves. Le noir peut tomber. Encore un peu plus sur les murs de la chambre.

« Un bonheur amer vaut mieux qu’une vie grise et maussade. » Passe le bonheur, reste le gris.

« Ainsi va la vie. Ainsi sommes-nous. »

Le degré extrême du vide est atteint. « Entre deux néants, un point d’interrogation » (Nietzsche)

Jacky Lavauzelle

LE STALKER
Alexandre Kaïdanovski
Александр Кайдановский

L’ECRIVAIN
Anatoli Solonitsyne
Анатолий Солоницын

LE SCIENTIFIQUE
Nikolaï Grinko
Николай Гринько

LA FEMME DE STALKER
Alisa Freindlich
Алиса Фрейндлих

TEMPO DI VIAGGIO (TARKOSKI & GUERRA) : LA JALOUSIE DE L’ART

Andreï Tarkovski
& Tonino Guerra
Tempo di Viaggio (1983)

LA JALOUSIE DE L’ART

 Le visage d’Andreï et la voix de Toni, Tonino Guerra. Ce visage qui se cache d’un soleil trop ardent quand la voix parle de voyages, de notes et de listes. Cette voix de Toni qui s’envole dans les airs et libère  ses mots dans la légèreté de l’été. Est-elle triste ? Oui et non. Est-elle belle ? Oui, elle est belle comme est splendide Sorrente qui s’offre sans se donner.

Tempo di Viaggio

DANS LE CREUX DES VERS

La réalité s’immisce dans le creux du vers, dans le velouté et les rondeurs des coteaux italiens, sur les rondeurs d’une fausse nonchalance du poème. Un poème qui renvoie Andreï à sa Russie et à son père, loin là-bas. Si loin ? Les mots de russe se mélangent à l’italien, sans se fracasser. A la limite des mots, s’ouvre le voyage. Ce sont les mots qui le permettent. Les mots s’envolent et circulent du fauteuil à la terrasse. Si bien que le livre peut bien se livrer nu, fragile et puissant, ouvrant son corps aux vents, clamant sa liberté au pied de la cage. Un vent léger fait basculer un luminaire. Ce sont les mots qui passent et repassent, se donnent et ne se rendent pas ; ils gardent une saveur unique et nous partons un peu plus bas. Nous revoyons les images du mystérieux Nostalghia et nous entrons par les portes entrebâillées du road movie.   

LA FORCE D’UN ULYSSE

Les impressions paraissent confuses, telle une brume en hiver, mais ce ne sont que des impressions. Fugaces et précaires. Elles ne se mettent jamais à vif, les impressions. Elles temporisent et donnent une couleur pastel à l’instant. Et ces sensations semblent altérer le temps et l’espace. Elles résistent au néant, au chaos, au rien. Elles font que demain, des souvenirs seront possibles, que les futurs s’ébaucheront et que les rencontres s’emballeront. Entre la beauté de Capri et la fusion de l’énergique Naples. Entre Naples et Pompéi, entre l’agitation chaude des rues et le calme de l’après catastrophe. Le temps se mélange enfin à l’espace, comme dans un point unique, qui pourrait être l’archipel Li Galli, repère des sirènes, où la vie s’arrête, brisée sur des rochers que portent les voix angéliques et diaboliques. La voix ici n’est pas neutre. C’est une voix qui dévore, qui ingère. Il faut la force d’un Ulysse ou le talent d’Andreï pour y échapper.

La chaleur encore se pose et Andreï ne l’aime pas, elle le transperce. Chaque rayon en aiguille, longue et pénétrante, se transforme. Ce n’est plus une superficialité

UNE ARCHITECTURE DECIDEMENT TROP BELLE

Des paysages qui parlent de lui. Telle la vallée des Truli qui lui rappelle la Russie. Une ligne de cet horizon et des vallées que l’on croit être des tas de farine. Le Quichotte voyait bien des moulins dans son pays ibérique. Dans ces espaces, les lignes se mélangent et s’interpénètrent, le temps s’amuse encore.

Tarkosvki Tempo di Viaggio

Andreï toujours, tel un animal apeuré par le soleil, se blottit contre le mur.

AMALFI ! ATRANI ! FURORE !

Nous longeons des  côtes, chaussées par les dieux, du golfe de Salerne, sages dans le soleil puissant et envoûtant, et découpées comme les oreilles du diable. Une côte amalfitaine belle, décidèment trop belle, trop photogénique,  trop touristique. Le temps du voyage n’est pas celui du farniente et des vacances. Le cœur n’est pas au travail, mais l’œil veille encore. Il ne faut pas perdre la boussole et tenir le cap. Amalfi, là où les marins pour la première fois utilisèrent cette boussole, à force, peut-être, de se perdre dans le dédale de ses rues anciennes ;  plonger des montagnes et courir sur Atrani où l’on aperçoit et la mer et la crique et l’église, ou la Furore, magnifique, plein de mystère où s’attardent Andreï et Toni à regarder les bateaux et à laisser partir la caméra là-bas, loin après que le vieux pont enjambe fièrement les deux rives escarpées.

D’AVANT DANTE !

Au soleil, Andreï fait la grimace. Décidément, il ne s’habitue pas. Et il est temps de ne pas parler de tout. Ce tout qui a envahi de ses beautés la tête des deux artistes.

Tarkoski et Tonino Guerra

Il faut désormais élaguer, éliminer. Il faut laissez tomber Lecce et son baroque, ses bizarreries. Laisser tomber seulement car oublier est impossible. Personne ne peut oublier la Basilica di Santa Croce, personne, son foisonnement, ses courbes et sa blancheur, l’imposante rosace de la façade. Personne. Mais Andreï vient en repérage pour un film et non pour un documentaire. Son œuvre à lui impose et s’impose. Tout le monde attendra de voir les magnifiques quarante-huit colonnes, celles qui datent d’avant Dante. Eh non ! Le cadre ne doit pas être grandiose, de peur qu’il phagocyte le film. Andreï impose son point de vue à Tino. Et la voiture roule vers Lecce, roule vers la basilique. Vers ces aigles de pierre sur la proue de la façade s’en allant conquérir les âmes.  Vers cette pierre de Lecce à la fois fragile et résistante. A la fois douce et tonique, et qui brille dans les feux de l’Europe depuis des siècles. Et au fond de cette montagne blanche murît un arbre longiligne, un arbre qui parle forcément à l’âme d’Andreï. Un arbre couché, mais plein de vie, sur lequel se développent, en mosaïques infinies, des personnages et des contes.

Et Andreï, petit short blanc improbable et jambes longilignes et blêmes, se protège au milieu de ce baroque foisonnant.

Nous traversons, côté Adriatique, pour nous retrouver dans les Pouilles. Nous quittons les lignes accidentées pour se calmer auprès des plaines de Tavoliere delle Puglie. Une route fuit à travers une musique populaire et des maisons blanches, au sein des murets de pierre, au seuil des champs à foison. L’entrée de Locorotondo sur son rocher, qui trône, dans toute sa largeur et sa hauteur. Sa limitation à 50 km/h et son interdiction de klaxonner, que personne, certainement ne respecte. La musique s’accélère et cesse d’un coup comme pour donner un volume, une structure à la ligne. Le calme d’un patio. Un oiseau factice dans la brise légère. D’autres oiseaux en bois dans une case.

L’ART EST JALOUX

La Madone del Parto, des reproductions, un rouge qui n’existe pas. La tension avec le mur.

Andreï a chaud, encore. Le soleil l’agresse, il cache son visage afin de protéger ses yeux. Toni est dans son élément. Sa main passe sur ses cheveux et attrape le cou. Andreï grimace en tournant les pages. Toni ne croit pas que la poésie puisse se traduire, que les tableaux puissent se reproduire sur des pages. L’art est jaloux. Mystères, formes et silences…

Andreï à l’ombre, assis par terre, lit. Toni lit des requêtes de jeunes personnes pour Andreï. Que lui ont-ils apporté ? Alexandre Dovjenko, la Terre, la poésie ;  l’ascétisme et la simplicité de Robert Bresson ; Antonioni, l’avventura, le sens de l’action pure ; la générosité de Fellini ; Mizoguchi et tous les autres. Ils sont nombreux qui irriguent chaque souffle d’Andreï.

L’IMAGINAIRE, TOUJOURS PLUS FORT

Quelle importance accorder à l’ensemble de ces beautés souveraines et éternelles. Andreï pense que l’essentiel, c’est le voyage qu’il fait en lui-même. C’est l’essentiel. En lui-même des projets aussi. Des films qui ne verront jamais le jour et qui resteront dans l’aube de l’âme. Les films qui sont restés à l’état de projet, ceux qui n’ont pas pu être réalisés, permettent au réalisateur de rester libre. Avoir des idées que l’on garde en réserve, même si on ne peut les filmer. Une fin à la Jeanne d’Arc. Un arbre, le feu, puis plus rien. Une mère morte et un fils à la recherche de la tombe. Un fils qui porte la pierre tombale comme d’autres portent leur croix. La quête impossible. Cette boucle qui ne se boucle pas. Et l’imaginaire toujours plus fort, toujours vainqueur. Celui qui plante la pierre sur une tombe au hasard et qui y croit dur comme fer.

Aller loin, au-delà, dans l’évidence. Ne pas se conformer ou s’enfermer dans le genre, dans un genre, n’importe lequel. Un film de science-fiction ne doit pas se servir des codes de ce genre. C’est pour cela qu’Andreï préfère Stalker à Solaris.

«  Pour moi, le cinéma est un art qui peut tout exprimer, le tragique, le comique, la tristesse ou la gaieté. C’est comme cela qu’il reflète la vie. Je m’applique à éliminer le moindre signe qui permettrait de l’assimiler à un genreIl faut apprendre à se mettre au service du cinéma, sans se sacrifier»

Jacky Lavauzelle