Jean-Jacques Lefranc de Pompignan
(1709 à Montauban – 1784 à Pompignan)
Super flumina Babylonis, etc.
Psaume CXXXVI
Captifs chez un peuple inhumain,
Nous arrosions de pleurs les rives étrangères,
Et le souvenir du Jourdain,
À l’aspect de l’Euphrate, augmentait nos misères.
Aux arbres qui couvraient les eaux
Nos lyres tristement demeuraient suspendues,
Tandis que nos maîtres nouveaux
Fatiguaient de leurs cris nos tribus éperdues.
Chantes, nous disaient ces tyrans,
Les hymnes préparés pour vos fêtes publiques,
Chantez, et que vos conquérants
Admirent de Sion les sublimes cantiques.
Ah ! Dans ces climats odieux,
Arbitre des humains, peut-on chanter ta gloire !
Peut-on, dans ces funestes lieux
Des beaux jours de Sion célébrer la mémoire !
De nos aïeux sacré berceau,
Sainte Jérusalem, si jamais je t’oublie,
Si tu n’es jusqu’au tombeau
L’objet de mes désirs, et l’espoir de ma vie :
Rebelle aux efforts de mes doigts,
Que ma lyre se taise entre mes mains glacées !
Et que l’organe de ma voix
Ne prête plus de son à mes tristes pensées !
Rappelle toi ce jour affreux,
Seigneur, où d’Esaü la race criminelle
Contre ses frères malheureux
Animait du vainqueur la vengeance cruelle,
Egorgez ces peuples épars,
Consommez, criaient ils, les vengeances divines ;
Brûlez, abattez ces remparts,
Et de leurs fondements dispersez les ruines.
Malheur à tes peuples pervers,
Reine des nations, fille de Babylone ;
La foudre gronde dans les airs,
Le Seigneur n’est pas loin ; tremble, descends du trône.
Puissent tes palais embrasés
Eclairer de tes rois les tristes funérailles !
Et que sur la pierre, écrasés,
Tes enfants de leur sang arrosent les murailles !
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours – Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris – Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires – 1870)
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
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« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)