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LE JARDIN DES FINZI-CONTINI

Vittorio De Sica
LE JARDIN DES FINZI-CONTINI
1970

Dans le Jardin des Finzi Contini Vittorio de Sica Artgitato

La différence
des semblables

Comment trouver les couleurs du temps qui passe ?
Jacques Demy déjà avait filmé une couleur du temps, un temps bleu écrémé d’un nuage clair et mouvant, éblouissant notre Jean Marais royal. C’était le temps féérique, le temps rêvé.
C’était en 1970 aussi ! La première des robes que demande Catherine Deneuve, avant la robe couleur de lune, la robe couleur du soleil et la peau de l’Âne, c’est cette robe couleur du temps. Comme le dit Delphine Seyrig,« Une robe couleur du temps, c’est horriblement compliqué et très coûteux, jamais avec tout son pouvoir, il ne pourra vous l’obtenir».

DANS LE TEMPS DE LA MEMOIRE ET DU SOUVENIR

La couleur du temps dans Le Jardin de De Sica est beaucoup moins fantaisiste et plus automnale. Nous passons du conte à l’Histoire. Du bleu de Demy au noir des chemises dans les rues de Ferrare. Ennio Guarnieri (Ginger & Fred) à la photographie rend le passage et la lumière du temps réel sensibles. Nous sommes dans un autre temps, celui de la mémoire et du souvenir, dans le temps de l’histoire qui semble parfois s’immobiliser et s’affole souvent.

LA SOURCE EST DANS LE JARDIN. MAIS QUELLE SOURCE ?

Là, le temps s’inscrit dans les éléments du jardin. Pas dans le Jardin, dans ses parties.
Les couleurs du jardin : lumière et ombres, clair et flou, mise au point, le proche et le lointain, l’arrière-plan et gros plans, le plaisir du soleil sur la peau, le rayon de soleil de l’hiver, le rouge des feuilles au printemps, la lumière de l’hiver.
Les couleurs franches de l’été, les couleurs obliques au travers des feuilles diaphanes.

QUAND IL MANQUE LA JOIE DE VIVRE

On ne voit que de la lumière pour le moment.
Pour chaque lumière, une ombre toujours aux aguets. Pourtant toutes ces entités vivent ce passage et en sont affectées. Sauf le Jardin lui-même.
Lui seul dans son ensemble semble être hors du temps, tout comme la famille Finzi-Contini qui règne sur Ferrare. Une grande famille ferraraise dans sa ville tout en étant hors de la ville.
La famille elle-même, vieille famille juive italienne, ne semble pas vivre, subir, réagir aux évènements de ces années où le fascisme suit la tangente du régime nazi en promulguant des lois antisémites. Alberto (Helmut BERGER), le fils, est dans son refuge. Il vit dans l’air du Jardin. Il est beau et plein de vie sur le court de tennis au début du film. Mais, « chaque fois que je sors, je me sens épié, envié. Ici, je ne me sens jamais agressé.
Il me manque surement la joie de vivre. Qui peut me la donner ? ».

JE SUIS ATTACHE A TROP DE CHOSES

Il ne vit que par cet air.
Le jour où la pression extérieure deviendra plus forte, il étouffera, un dernier regard sur le platane gigantesque. Micol (Dominique SANDA), elle aussi ne peut vivre longtemps hors de cet espace. L’ami Bruno Malnate (Fabio TESTI) a le même jugement : « Micol, elle n’est bien que dans son jardin, comme son frère ». Gorgio (Lino CAPOLICCHIO), lui-même, amoureux de Micol, ne peut rester longtemps en France, « Je suis attaché à trop de choses, je ne peux pas tout abandonner ».
Le Jardin est le Refuge, qui, à force d’isolement et de séparation, d’attache devient prison. D’où cette tristesse ambiante, ces hauts murs presqu’infranchissables, ces bibliothèques fermées par de grosses portes à barreaux.

QUAND LA PRISON SE REFERME

Le cercle de l’emprisonnement commence pour chaque membre de cette famille, prisonnière des traditions, de sa caste, de cette ville. Une prison dans une autre prison, l’Italie des années 30.
Les enfants, eux-mêmes, « sont un peu prisonniers des grands », les grands, les adultes, des servitudes et des lois fascistes. Quand le père souligne que les juifs peuvent encore « profiter des droits fondamentaux », Gorgio s’offusque : « lesquels ? Il y en a toujours eu très peu pour tout le monde.  On n’a pas été persécutés en premier, oui. Mais on n’a rien dit quand notre tour est venu ».
Le silence tue aussi, plus imperceptiblement mais aussi plus sûrement.

•LA RESSEMBLANCE DES DIFFERENCES
ET LA DIFFERENCE DES SEMBLABLES

Ceux qui sont les plus proches sont à l’opposé l’un des autres et ceux qui s’affrontent se retrouveront unis. Ici, le père de Gorgio (Romano VALLI) est un bourgeois de Ferrare juif et fasciste. Les deux termes ne s’opposent pas. Jusqu’au jour…où les fascistes mangeront leurs progénitures.
L’ennemi sera tué dans l’œuf, au cœur même du parti.

LES INFIMES VARIATIONS

La différence est dans le jardin.
Le temps brusquement va rattraper les Finzi-Contini qui sont comme immolés dans un formol temporel. Il faut d’abord y regarder de près. Les membres de la famille connaissent ces différences, ces infimes variations. Micol se promène avec Georgio au cœur du Jardin.
Elle est dans sa nature, lui, ne comprend pas la nature ; il la regarde simplement et ne voit que des arbres, « pour moi, ils sont tous pareils. » Micol lui répond : « Je déteste ceux qui n’aiment pas les arbres. Ce platane aurait pu être planté par Lucrèce Borgia ». Nous sommes dans le long temps de la Grande Histoire et des figures tutélaires.

EST-CE QUE DEUX GOUTTES D’EAU SE RESSEMBLENT ?

Micol ne peut pas être heureuse avec Giorgio parce qu’elle le juge trop semblable à elle : « l’amour, c’est pour ceux qui sont prêts à tout affronter. Nous on se ressemble comme deux gouttes d’eau, on ne pourra jamais vaincre tous les deux !
Faire l’amour avec toi, serait comme le faire avec mon frère, Alberto. Toi et moi, nous ne sommes pas normaux. Pour nous, plus que la possession des choses, ce qui compte, c’est le souvenir des choses. La mémoire des choses ». Mais quand Giorgio aborde sa tristesse de n’être pas aimé à son père, ce dernier souligne la différence entre eux, entre elle et lui, entre sa famille et la sienne : « La famille Finzi-Contini n’est pas comme nous. Ils sont différents. Ils n’ont même pas l’air juif. Micol te plaisait pour ça. Elle était supérieure à nous socialement ».
Et c’est ce père qui juge Micol si différente qui la prendra dans ses bras protecteur, lors de la déportation, comme sa propre fille.

•« MIEUX VAUT MOURIR JEUNE
QUAND ON A ENCORE DU TEMPS
DEVANT SOI POUR RESSUSCITER »

Le film comporte une scène absolument troublante et magnifique, même si ce mot en critique est galvaudé et utilisé pour le moindre petit frisson de jouvencelle (pourtant il ne devrait être utilisé telle de la nitroglycérine que dans les moments ultimes et intimes de nos histoires), entre un père et un fils.
La vérité passe avec ce père qui semblait arriviste, fasciste de la première heure, bourgeois soucieux de ses intérêts et de son prestige. Quand les lois raciales sont promulguées, il essaie encore de trouver du positif là-dedans. « C’est grave, d’accord…mais,…mais pour le reste…Mais tu dois admettre… ».

NOTRE GENERATION EN A TELLEMENT VU

Là, devant son fils, c’est l’homme qui parle, et surtout De Sica : « Je sais ce que tu éprouves en ce moment. Mais je t’envie un peu. Si on veut vraiment comprendre comment marche le monde, on doit mourir au moins une fois. Mieux vaut mourir jeunes quand on a encore du temps devant soi pour ressusciter. Comprendre trop tard est beaucoup plus difficile. Ça ne vous laisse pas le temps de tout recommencer. Et notre génération en a tellement vu ! Dans quelques mois, tu me donneras raison. Tu seras enfin heureux. Plus riche, plus mûr ».
C’est un des plus profonds testaments que le père peut laisser à un fils. Plus que son argent et ses relations. Il est trop tard pour lui, il le sait. Son fils, lui, a la possibilité, le devoir de repartir. De ressusciter avec la connaissance de toutes nos erreurs, enfin…

…Enfin, les poésies d’Enrico PANZACCHI… “E baciar la tua testa Qui fra l’ombre crescenti, Mentre vien la tempesta E fuor urlano i venti!” (Verso Sera)

Jacky Lavauzelle