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MANON de CLOUZOT : DES CRIS D’AMOUR EN PLEIN DESERT

Henri-Georges CLOUZOT
MANON
(1949)

Manon Clouzot Artgitato
Des Cris d’amour
en plein désert

Je suis obligé de faire remonter ce billet au temps de ma vie où je vis pour la première fois Manon, cette blanche noirceur. Ce fut une étrange émotion. Quoique je fusse ravi de voir cette blondeur ravissante et solaire, je me remplis d’un doute tenace sur les vrais sentiments de la belle.  Moins troublé que ne l’était Robert Desgrieux, clone imparfait du chevalier des Grieux de Manon Lescaut, je n’en éprouvais pas moins un malaise certain et indéfectible.

 Je revenais rapidement les jours suivants revoir ce maléfice. Je n’y vis aucun Tiberge pouvant secourir de ses mains bienveillantes le pauvre et naïf Desgrieux, pris dans les raies spectrales à la fois sombres et lumineuses de la maudite et perfide Aubry. Je fus surpris, en entrant dans cette œuvre de n’y point voir aussi le père aussi régulièrement. Son entrée fut courte quoique pleine d’un avertissement ultime. Il rentre et ne dit mot. Son regard seul suffit à remplir la pièce d’un silence détestable, voire embarrassant. Il ne reviendra plus. La discussion est close sans avoir pour autant commencée.

Le mal qui entrait, n’avait pas que Manon comme issue. Le frère, ce Méphistophélès  incarné,  paraissait dans la peau de Serge Reggiani, fumant du mal qu’il puisait à la source de l’Enfer. Je m’arrêtai un moment afin de voir ses cornes qu’il devait, je le crois, ronger ou alors cacher de sa fange nauséabonde. Ses pieds fourchus avaient tout autant de fortes raisons de rester cachés et demeurer invisibles. Vif sur le marché noir, facile pour tous les sales coups aventureux et malhonnêtes. Des exclamations d’une vieille firent sursauter la salle. Des canons, des obus éclataient à tout va, laissant une église somptueuse éventrée sur ces longues et infinies colonnes que nous retrouvâmes longtemps après dans le désert de Judée sous la forme de palmiers effrayants. Nous l’avons tirée de la salle. Je lui fis, de la main, comprendre qu’il valait mieux de ne plus revenir nous échauffer l’oreille. Et nous nous renfermâmes afin de nous replonger dans nos si mauvaises actions. Le noir se fit. Aubry revint. Ce fut le second jour.

Quelle ne fut pas l’horreur de voir la tête de Manon, dans ce village de fumée accompagner Desgrieux et se pencher souriante sur les fonts baptismaux. Voilà un sourire, ajouta mon voisin, à ma droite, qui pourrait nous instruire sur ses intentions véritables et la cause prochaine des mauvaises grâces de notre héros. Nous voulions crier dans la salle. Mais nous n’étions pas au Luxembourg, devant un Guignol en triste posture. Je me tournai vers le coin sombre de la salle n’y apercevant que des yeux hagards, bouches pendantes et écumantes de peur. D’autres ont eu l’insolence de crier, de pleurer, de taper des pieds comme des chevaux enragés. Ce regard de Manon me parut des plus offensants et pourtant un des plus diaboliques qui se puisse donner.

En regardant Manon dans sa blancheur virginale, je ne voyais qu’une image de Satan. Il était mis fort simplement dans ce petit corps fragile. Un haut bien ajusté, une petite poitrine plaisamment remontée. Mais on distinguait au premier coup d’œil, ce regard narquois qui ensevelissait Desgrieux. Lui se levait et la regardait, n’y voyant que les yeux charitables et bons de l’amour le plus sincère.

Ces yeux ensevelit par ce sable torride. Ce n’était point un asile assuré. Mais écoutez les hurlements du chacal apeuré et tremblant comme une feuille après sa triste découverte. Manon, tu peux dormir en paix.

Jacky Lavauzelle

(Libre reprise du texte de l’abbé Prévost)