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TAXI DRIVER (SCORSESE)

MARTIN SCORSESE
TAXI DRIVER
1976

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AU COEUR DU MAL

ILNAÎT DES NAINS CONTINUELLEMENT

« La contrariété pour nous dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement…Je vous écris du bout du monde…On ne voit rien, que ce qu’il importe si peu de voir. Rien, et cependant on tremble. Pourquoi ? » (Henri Michaux, « Je vous écris d’un pays lointain »). De Niro-Travis aussi est resté loin. Il n’est pas encore là parmi nous. Il est passé du Vert dense brumeux des forêts du Vietnam au Gris enfumé des quartiers de New-York. Sa tête n’est pas là. Son corps, si, qui salue en Marines son futur employeur. Mais un corps décalé, déphasé, « je ne dors pas la nuit…Je passe la nuit dehors. En métro, en bus ».Il veut tout. Accepte tout. Il veut plonger dans ce monde totalement : « N’importe où. N’importe quand… Je veux faire la journée continue »  Peu importe l’heure, ou le secteur. Il veut oublier sa guerre, faire taire ses lancinants cauchemars. Pour refaire surface, il faut d’abord se noyer, toucher le fond. Des nains alors sont prêts à naître.
Continuellement.

LA PLUIE SALVATRICE

« Ici il n’y a pas la possibilité de faire le mal. Vous vivez dans le mal »dit l’Evêque au début du Balcon de Jean Genet. Il le découvre grand ouvert. Il rentre dans cette béance. La jungle n’est pas que là-bas. D’étranges animaux se battent, s’humilient, se dévorent. Il y a les dominants et les petits êtres déstructurés et soumis. « Y a toute une faune qui sort la nuit. Putes, chattes en chaleur, enculés, pédés, dealers, camés,…Le vice et le fric. Un jour viendra où une bonne pluie lavera les rues de toute cette racaille ». Et la pluie tombe, les bouches d’incendie giclent. Mais la saleté reste. La saleté remonte toujours à la surface. Le salut ne viendra pas dans ce baptême. Peut-être de l’ange…

PROTEGER LA LUMIERE DES TENEBRES

Il lui semble l’avoir trouvé, l’ange. Elle n’est pas plus belle que ça. Mais l’environnement la divinise, la féérise. Il faut protéger cette lumière des ténèbres : Elle avait l’air d’un ange sorti de cette pourriture infecte. Elle est seule. Ils…n’ont pas le droit…de la toucher ». Elle est sacrée. Elle est seule, elle est de son espèce. Il la suit et la guette. Il l’observe pendant des heures, fuyant dès qu’il se voit découvert. Il change de tactique. L’aborde franchement. La déstabilise. Elle rentre dans son filet. Avec la femme du sex-shop, Travis était gauche. Il n’avait pas les codes : « Je veux juste savoir votre nom – Fichez-moi la paix ! – Je vais pas vous manger. –Vous voulez que j’appelle le patron ? – ça va ! Ok ! D’accord. Je peux avoir de chocolats. »

JE VOUS PROTEGERAI

Là, il est juste. Il est charmeur. Le film pourrait s’arrêter là et une histoire d’amour commencer. Il frappe juste à chaque fois. Elle est conquise. Même le geste large de la main tombe juste : « Vous êtes la plus belle femme que j’aie jamais rencontré – Merci – Vous avez l’air très seul. Je passe souvent. Et je vous vois. Tous ces gens autour de vous… Mais c’est le vide. Et quand je suis entré. J’ai lu dans vos yeux, à votre façon de vous tenir… que vous n’étiez pas heureuse. Vous avez besoin de quelqu’un. Appelez ça un ami, si vous voulez…Je vous protégerai ». Il frappe au fond du cœur, à côté de l’âme. Les biceps, comme un gorille, qu’il gonfle devant tout le monde, pourraient tomber à côté, mais son sourire est là. Les deux -seuls au Monde – se sont rencontrés.

LES MAUX NE LE LÂCHENT PLUS

Avec elle, fragile sans armure, il dit oui au monde, oui à ses goûts musicaux, oui à sa politique. Il ne connaît rien de tout ça. Pourtant, il étonne même l’homme politique et entame un programme : « il faudra donner un coup de torchon. Ici, c’est un égout à ciel. C’est racaille et compagnie. Y a des moments, c’est pas supportable. Celui qui va devenir président, faudra qu’il passe la serpillière. Vous voyez ? Quand je sors, je renifle et j’ai des maux de tête tant c’est moche. Et ils me lâchent plus. Le président, il faudrait qu’il nettoie tout. Qu’il balaie toute cette merde. »

UN FILM Où VONT TOUS LES COUPLES

Il sait qu’il la veut. Il lui montre son monde aussi. Son désir brut. Et l’amène tel un enfant dans un ciné porno. Il n’a pas encore tous les codes. Il veut lui plaire, il croit bien faire : « C’est un film où vont des tas de couples. J’en vois entrer sans arrêt ». La biche prend peur, le quitte à jamais. Elle commet un crime en soufflant sur sa flamme. « Que tu mes fasses ramper après mon être de juge, coquine, tu as bien raison, mais si tu me le refusais définitivement, garce, ce serait criminel » (Jean Genet, Le Balcon, deuxième tableau)

LA REDEMPTION, DE LA THEORIE A LA PRATIQUE

C’est un être mortellement blessé qui erre désormais. Blessé, il va rendre coup sur coup. Blessé, armé, dans sa cage jaune de taxi. Glissent les insultes, les crachats, les jets des enfants. Tout s’écrase sur ou dans la voiture. Le sanctuaire est à côté du chauffeur. Rien de sale n’y vient ni se s’y pose. Seul, un billet de 20 $ souillé y est jeté. Longtemps il le regardera. Il le donnera pour rien à une ordure de tenancier de bordel. Le rédempteur va passer à l’acte et nettoyer tous les péchés du monde, politiciens véreux et maquereaux pourris, par une manière plus personnelle.

Jacky Lavauzelle