Archives par mot-clé : satan

le syndrome de minuit – roman pataquès – jacky lavauzelle

Il s’agit du premier roman « pataquès », avec une narration sous influence qui peut se transformer en roman quand la nuit seulement le permet. L’intérieur et l’extérieur sont des protagonistes, comme la nuit, l’air, le chat du voisin, Satan, le sable, le temps, le poisson-rouge… Le roman pataquès n’est pas un livre ouvert (ni fermé), il est entrouvert comme une voiture accidenté après les manipulations d’usage des anges. »

… « J’ai brûlé tant de matins tristes que des ombres sont venues…Avant, j’admirais les étendues des légèretés des lieux. Avant les lèvres s’appelaient des lèvres et les fleurs se nommaient des fleurs. Maintenant les fleurs envahissent le dernier coin de mon monde où jamais aucun pas ne passe.
Quand nait la pluie, le thé servi attend froid sur la table froide. La belle se contemple et mêle son âme aux choses les plus laides qui soient. La toison à foison dans les fonds des tréfonds s’enfonce, mais les fleurs sont là qui poussent dans mes membres…Les gouttes pendues à sa jambe tendue se pendent après s’être pendues dix fois… toujours quand vient la nuit…Des fleurs ! encore des fleurs ! Les lanternes se fanent aussi vite que le cri qui dans le fond s’attarde. Les lumières rendues à un ciel fendu se rendent toujours les premières à l’ennemi ! Toujours !… »



« Je ne suis pas bien dans la présence du désordre des boutiques des centres villes…la vache des fronts de mer se perd tout le temps hors de son champ et je ne la comprends plus. Elle est malade, la vache, de ne plus voir son train, les sabots plantés dans la boue. J’y pense tout le temps. Je roule jusqu’à la plage, mais j’ai laissé passer tant de nuits difficiles… dans le train, les nuits. Malades aussi les nuits, comme sont malades les plages et les coquillages… Je n’ai jamais digéré les coquillages et les bulots ! Je n’ai jamais digéré la nuit et les étoiles, ni les poissons volants qui glacent les cormorans affairés dans leur pêche quotidienne… demain, j’achèterai une chèvre rose ! … Où tu vas chercher des trucs pareils, me crie Paul ! …Arrête de rêver ! ….Minuit repassera demain. Ce soir, il est pris ! Bonne chance !… J’ai décidé de ne plus jamais lire…ce qu’il y a de plus beau, dans un livre, ce sont les traces d’usure sur la couverture… lire, c’est tomber dans le vide, sans que personne ne vous donne la main… L’auteur restera toujours un traître… La main que l’auteur te tend est toujours une ruse ou un piège…la main de ton pire ennemi… en tout cas, cela n’obère rien de bon… Il te laisse à l’orée de la nuit, sans que tu ne puisses plus pénétrer dans la nuit, ni revenir dans la vie ! Avec un livre, tu restes toujours dans cet entre-deux, qui n’est rien! Même pas le simple vide… »

LES SORCIÈRES – III – ERIK AXEL KARLFELDT – HÄXORNA- BURIAN, URIEL, BEHEMOT & ISACHARUM

Photo Jacky Lavauzelle
L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.

Diktsamlingen Fridolins visor och andra dikter
karlfeldt dikter
Dikter av Erik Axel Karlfeldt

Traduction – Texte Bilingue
Erik Axel Karlfeldts dikter
Karlfeldt poet
Poesi
Poésie


LITTERATURE SUEDOISE
POESIE SUEDOISE

Svensk litteratur
svensk poesi –

Traduction Jacky Lavauzelle

Erik Axel Karlfeldt 1864 – 1931

översättning – Traduction

 

 

LES SORCIÈRES
HÄXORNA
III

Flore et Pomone
Flora och Pomona
(1906)

III.

*****************



Dansen går på grobladsplan.
La danse se déroule sur un plan verdoyant.
« Dansa mot, herr Burian!
  « Dansez donc, Monsieur Burian !
Du är den gamla ärkedraken,
  Vous êtes le vieux dragon de l’arche,
häxornas bålde storsultan.
  le grand sultan bien-aimé des sorcières.
Dig har jag vigt mitt levnadslopp,
  Je vous ai voué ma vie,
allt se’n jag stod i min mörka knopp.
  tout ce que j’ai vu comme sombre bourgeon.
Genom paltorna ser du mig naken:
  A travers mes hardes, vous, vous me voyez nue :
svart är min själ och svart min kropp. »
  le noir est mon âme et le noir est mon corps.« 

*


« Luften är full av djur i kväll,
« L’air est plein d’animaux ce soir,
full av eld, herr Uriel.
  plein de feu, Monsieur Uriel.
Mellan ugglevingarna brinna
  Brûle entre les ailes du hibou
 
vintergatsormens blanka fjäll.
la peau du serpent de la voie lactée.
Tag mig i famn och städ mig till din,
  Prenez-moi dans vos bras et que je sois vôtre,
dansa mig yr i din lustgård in.
  portez-moi dans le vertige de votre cour.
Jag är en ung och lågande kvinna,
  Je suis une femme jeune et humble,
 
röd är min själ och vitt mitt skinn. »
le rouge est mon âme et le blanc est ma peau. »

*


« Stolt är din dans på bullig fot,
« Fier est votre danse, fier vous me guidez,
studsande mjuk, herr Behemot.
  bondissant agilement, Monsieur Behemot.
 
Sluten hårt i scharlakansdräkten,
Engoncé fortement dans votre costume écarlate,
välver din kropp sina svällda klot.
  votre corps cambre ses formes gonflées.
Är jag dig värd, min ädle patron?
  Puis-je vous accueillir, mon noble maître?
Har du ett fetare tjänstehjon?
  Avez-vous de plus grasse servante ?
 
Dansar en digrare fru i släkten,
Avez-vous une femme plus grosse dans la famille,
vaggande fostret med tunga ron? »
  Berçant son fœtus sur de généreuses cuisses ? »

*


« Spel hör jag gå ur lönnliga rum.
« J’entends des sons sortir de salles retirées.
Dansa mig död, Isacharum!
  Danse avec moi, jusqu’à la mort, Isacharum !
 
Yngling, främling, du är min like,
Jeune homme, étranger, tu es mon égal,
smäktande, längtande, blek och stum.
  nostalgique, langoureux, pâle et muet.
Glömt har jag allt, den grå kaplan,
  Tout, j’ai tout oublié, l’aumônier gris,
 
graven i blom under sorgsen gran,
le tombeau en fleur sous l’épinette triste,
drömmer jag flyr till ett fjärran rike
  Je rêve de fuir vers un royaume lointain
 
bort med dig som en svartnande svan.« 
loin avec toi, comme un cygne à la queue noire. »


*********

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est Symbole-Artgitato-6.jpg.

LE PLUS GRAND TOURMENT – Poésie de Miguel de Unamuno – ¿Sabéis cuál es el más fiero tormento?

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est image.png.

Littérature espagnole
Literatura española
Poésie espagnole
Poesía española

************************
TRADUCTION JACKY LAVAUZELLE
*************************

Miguel de Unamuno
29 septembre 1864 Bilbao – 31 décembre 1936 Salamanque, Salamanca

***************

Miguel de Unamuno en 1925

*****************

LE PLUS GRAND DES TOURMENTS
¿Sabéis cuál es el más fiero tormento?


*******************

Alexandre Kisseliov, La Mort d’Hyacinthe, musée national de Varsovie


******************

¿Sabéis cuál es el más fiero tormento?
Savez-vous quel est le tourment le plus féroce ?
Es el de un orador volverse mudo;
C’est celui d’un orateur qui devient muet ;
el de un pintor, supremo en el desnudo,
celui d’un peintre, suprême dans le nu,
temblón de mano; perder el talento
avoir une main tremblante ; perdre son talent …

*

LA POÉSIE DE MIGUEL DE UNAMUNO
LA POESÍA DE MIGUEL DE UNAMUNO

******************************

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est image.png.

Visão – VISION – Poème de Cruz e Sousa (Faróis-1900)

*

Traduction Jacky Lavauzelle João da Cruz e Sousa

João da Cruz e Sousa Traduction Jacky Lavauzelle Literatura Brasileira




Traduction du Brésilien Jacky Lavauzelle
João da Cruz e Sousa


João da Cruz e Sousa
poète brésilien

Dante Negro – Cisne Negro




 Obra Poética 





 

João da Cruz e Sousa
Visão
VISION

(Faróis – Phares – 1900)

 

Traduction Jacky Lavauzelle

 

******




*

Traduction Jacky Lavauzelle
Jérôme Bosch – Le Jardin des délices (détail Panneau droit)- Musée du Prado – Madrid

**

Noiva de Satanás, Arte maldita,
Epouse de Satan, Art maudit,
Mago Fruto letal e proibido,
Fruit mortel magique et interdit,
Sonâmbula do Além, do Indefinido
Somnambule de l’Au-delà et de l’Indéfini
 Das profundas paixões, Dor infinita.
Des passions profondes et de la Douleur infinie.

*

 Astro sombrio, luz amarga e aflita,
Sombre astre, lumière amère et en détresse,
 Das Ilusões tantálico gemido,
Des Illusions torturées gémissent,
Virgem da Noite, do luar dorido,
Vierge de la Nuit, du clair de lune meurtri,
Com toda a tua Dor oh! sê bendita!
Avec toute ta douleur  oh ! sois béni !

*

 Seja bendito esse clarão eterno
Bénie soit cette éternelle lumière.
De sol, de sangue, de veneno e inferno,
De soleil, de sang, de poison et d’enfer,
  De guerra e amor e ocasos de saudade…
De guerre et d’amour et de couchers de nostalgie …

*

 Sejam benditas, imortalizadas
Âmes immortalisées, soyez bénies !
As almas castamente amortalhadas
Vous, les âmes chastement enveloppées
    Na tua estranha e branca Majestade!
Dans ton étrange et blanche Majesté !

 

******

*

Traduction Jacky Lavauzelle João da Cruz e Sousa

João da Cruz e Sousa Traduction Jacky Lavauzelle Literatura Brasileira

Félicien ROPS : LE CHARME DEMONIAQUE DE LA LUXURE

Peinture & illustration

Félicien ROPS

1833-1898

 Le charme
démoniaque

de la luxure

Terminus esto triplex : medius majorque minorque. Le triptyque de Félicien Rops deviendra l’homme pour le minorque, la femme pour le medius et la mort et le démon comme majorque. Le sujet sera l’homme. L’homme dans sa faiblesse, dans sa condition ordinaire. Il sera le commencement. Il sera donc en bas, écrasé au fond de la toile, du dessin ou de l’illustration. Se protégeant de quelques malheureux livres, qui, malgré leur épaisseur et leur densité de propos, ne pourront rien devant l’image se donnant à leurs sens déboussolés.  La femme sera l’objet, l’objet du désir, l’objet qui existe en dehors de l’homme et qui est, pour lui, le but à atteindre, à posséder. Elle se tiendra au milieu de l’œuvre, en son centre. La mort, Satan, enfin, sera la conclusion, la fin dernière, la cause finale. Elle se tiendra tout en haut, dans les cieux assombris.

Félicien Rops Illustration Les Sataniques Paris Musée du Louvre


Sur un plan horizontal, le triptyque se déplacera de la façon suivante : l’homme, devenu à la longue gros cochon tenu en laisse, sera à gauche, la femme au centre et la mort à droite. Rops s’approprie le trio : l’homme, le Christ et Dieu. Dans le sien, l’homme ne veut pas atteindre le divin, il cherche à posséder la femme, marionnette du démon. La femme reste un subterfuge du Malin pour attraper l’humain dans ses filets maléfiques. Le Diable n’ayant pas de vérité en son sein, utilise le faux, le masque, la tromperie. La laideur du faux s’habille en femme dénudée et lascive. La femme se représente donc souvent avec ce masque, comme dans la Parodie humaine (vers 1880), ou avec Satan derrière son dos, dans Son altesse la femme de 1885, avec la présence d’une gargouille satanique à droite et d’un diable peint avec sa fourche à gauche.

Félicien Rops Illustration du livre d'Octave Uzanne Son altesse la femme 1885

Elle sera donc parée de magnifiques atours, ou tout simplement dévêtue, s’offrant à un homme qui ainsi perd toute lucidité, tout libre-arbitre. L’homme est celui des romantiques et d’Epicure. Il faut suivre ses passions et les vivre totalement. La volonté de la nature, de notre nature, est toute puissante. La liberté part en fumée et devient ruine de toute morale. Coup de foudre pour un coup du ciel, derrière lequel se cache un coup d’enfer. Il se porte sur l’objet du désir avec autant de fougue qu’il ne pourra, dans cette précipitation, que tomber dans le piège.

La femme est déjà vidée par le Diable qui en a déjà pris possession. A moins qu’elle ne soit sa créature. « Parfois dans l’exorcisme d’une femme, le démon feint qu’elle se trouve malade, afin que l’Exorciste soit forcé de la toucher au visage, ou il feint de se blesser afin d’amener l’Exorciste à d’autres attouchements et le porter ainsi à des pensées voluptueuses. Il faut donc que l’Exorciste, autant des yeux que des mains et de ses autres mouvements, soit d’une extrême prudence et pudeur… » (Le livre secret des Exorcistes, Chapitre VII, De la nécessité de la pudeur, Ruses multiples du Démon)

Félicien Rops Parodie Humaine 1878 1881

Elle devient le tropisme de l’homme, le poussant à agir de manière Félicien ROPS Nu assis Négatif JLinconsciente, poussée par son désir, dans une fulgurance délirante. En quelques secondes, l’homme d’esprit deviendra un fieffé cochon, grouinant à peine, satisfait de son sort. Le tropisme deviendra psychotrope en neutralisant les fonctions cognitives avec en plus des phénomènes de dépendance et de toxicité, la mort se trouvant au bout du chemin. Dans la Bible, il est écrit (Jacques, 4, 7) « soumettez-vous donc à Dieu ; mais résistez au diable et il fuira loin de vous. »  Notre tropisme, lui, dirait en somme :  succombez donc au diable sans résister à la femme et vous fuirez loin de Dieu. 

La tentation de saint Antoine de Félicien Rops

L’ordre intellectuel ne vaut que par temps calme. Quand le vent se tient et que le soleil brille. Dès que les premières secousses arrivent, un genou, une nuque, l’ordre est balayé, oublié, lessivé. Les excitants physiques de l’ordre sensible prennent les manettes et dirigent les débris du cerveau émietté vers les récifs aiguisés de la luxure. Et le plus beau penseur se retrouve illico dans un bocal au 15, rue de l’Ecole de Médecine afin de compléter un peu plus les anatomies pathologiques du Musée Dupuytren.

La liberté de ton de  Rops s’insère dans un contexte favorable : sa nationalité belge, pays où règne depuis longtemps une laïcité philosophique reconnue et fleurissante, progrès de la rationalité en cette fin de XIXème siècle et montée du libéralisme et d’une certaine tolérance, y compris dans certains milieux catholiques.

La Fondation de la Libre-pensée à Bruxelles voit le jour en 1863. L’esprit est depuis longtemps irrévérencieux et espiègle. Rops, dans ses débuts, participe comme caricaturiste à la conception du Crocodile, « la plus ancienne gazette estudiantine belge ». Et bien avant notre Groland, les étudiants, les jeunes belges ont nommé le « Grand Alligator, ministre de notre Intérieur »  et propose par exemple dans leur Palais de Crocodilopolis, un «bal monstro-chico-pyramido-flambard. »

Félicien Rops Satan semant des graines vers 1872

Si la religion est aussi facilement attaquée, c’est que les rationalistes ont dans cette partie du siècle le vent en poupe : 1859, sortie de l’Origine des espèces, la thèse évolutionniste de Darwin, en 1863 parait la Vie de Jésus de Renan qui suscita de nombreuses réactions dans la chrétienté, en 1856 est découvert l’Homme de Neandertal, qui repousse un peu plus les origines de l’homme sur terre et  questionne à nouveau les données relatives à la venue de l’homme sur terre…

Rops participe de cette frénésie avec en plus un message sur la bourgeoisie et l’ordre établi. Le message est moins politique que sociologique. Les bourgeois ont l’argent, le temps et donc l’énergie pour fréquenter certains lieux. L’être humain est faible et faillible, qu’il soit riche ou ouvrier. Par son désir, il s’engage dans une action répréhensible et défendue par le religieux. Cet acte peccamineux fait mettre la main dans la machine infernale qui entraînera et le bras et tout le corps, jusqu’à l’âme tant désirée par Satan.

Félicien Rops Pornokrates la femme au cochon

La luxure dans laquelle notre bourgeois se plonge lui permet avant tout de lâcher prise, de se relâcher. Le relâchement des codes et des principes dans une société où tout est déjà contrôlé.  Il semble y trouver une autre liberté.  Devenu cochon, la faute devient péché de bestialité : « si vous ne vous repentez pas de vos péchés, si vous ne faites pas pénitence, Dieu vous enverra aux flammes de l’enfer, accouplé aux démons pour toute l’éternité. Il y aura là des pleurs et des grincements de dents. » (Mgr Claret, La Clé d’or offertes aux nouveaux confesseurs pour les aider à ouvrir le cœur fermé de leurs pénitents, chapitre VII)

Rops sensible aux charmes féminins se sert de ses dessins comme d’un exorcisme, afin d’éloigner le démon qui le titille au quotidien. Connaître son ennemi afin de lutter à arme égale.  Pour bien lutter, il faut bien connaître. Même si notre ennemi n’est peut-être pas si loin que ça : « notre ennemi ne nous quitte jamais, parce que notre ennemi, c’est nous-mêmes» (proverbe espagnol).

 

Jacky Lavauzelle

**************

Camille Lemonnier
Félicien Rops, l’homme et l’artiste
H. Floury, 1908
Chapitre III Pages 11 à 16

Ce tragique visionnaire d’humanité débute par la farce. Il est dans sa destinée de préluder à sa descente aux cercles de l’enfer par des saturnales tintamaresques où son esprit luron de Wallon se donne carrière. C’est l’éveil du grand rire terrible qu’il garda jusque dans ses pires conjectures des perversions de la créature. Il fut une espèce de Juvénal mêlé d’Aristophane et de Rabelais. Il rit comme un Jérémie brâme, avec la volupté torturante d’être l’aboutissement de l’universelle contradiction des âmes et de la chair. Nul, d’une discipline plus mordante, trempée en des mixtures de fiel, de soufre et de sang, ne fouilla la plaie de cette humanité qui commence à l’ange et finit à la bête. Il lui mit le groin dans son ordure ; il la plongea et replongea au puits de ses salacités. Il recommença à sa manière, une manière noire, la rouge chute des damnés d’un Rubens, versés au gouffre où les appelle l’aboi des dragons, tandis que là-haut, dans les tonnerres et les éclairs, sonnent les trompettes célestes. Ce sera l’un des aspects de son satanisme, à lui, de souffler par-dessus la démence des hommes, dans le grand cuivre tordu par ses poings, un rire qui est de la démence et qui est aussi de la souffrance.

Donc, Rops débute par la farce. Il s’amuse de bouffonneries en attendant que l’empan de son aile s’élargisse à la mesure des hauts vols. Il débride la large bonne humeur d’un caricaturiste : il n’est encore qu’Ulenspiegel, c’est-à-dire le franc rire à pleine panse, lui qui se créera plus tard le rire tragique à bouche fermée !

Le Crocodile était un journal d’étudiants et paraissait à Bruxelles. Une gaîté juvénile et frondeuse s’y divertissait aux dépens du philistin. De bons jeunes gens qui allaient devenir de parfaits notaires ou de ponctuels avoués y affectaient des airs délurés. On y pelaudait Géronte ; on y gourmait Bridoison ; du bout de sa batte, Arlequin envoyait dans les cintres le chapeau en poils de lapin de M. Prudhomme qui, plus tard, pour Félicien Rops, devait devenir le chapeau de M. Homais.

Dans le milieu provincial du vieux Bruxelles, la bande estudiantine faisait sonner ses grelots, lirait les sonnettes et ameutait la police, sans qu’il en résultât, au surplus, grand danger pour la tranquillité publique. Sans doute le beau Fély, avec sa moustache effilée et ses cheveux lovés en ailes de pigeon, l’air flambard sous son complet quadrillé, tel que nous le montre un portrait de l’époque, y figurait avantageusement. Il avait les yeux vifs et acérés

d’un jeune homme qui regarde à hauteur de la tête : on soupçonne qu’il dut prendre les cœurs à la volée, comme il prenait la taille à la Muse, celle de Gavarni, et, à coups de rire et de verve, l’entraînait dans sa sarabande.

Il dessine sur pierre ; il sait son métier et il a du talent : ses dessins, très habiles, sont de toutes les mains en attendant qu’ils soient seulement de la sienne. Mais on est en 1856 et il n’a que vingt-trois ans. Ah ! qu’il aime se gausser des bonnes gens comme le fit son aïeul des Flandres, cet Ulenspiegel, fils de Claes, l’endiablé ménétrier des kermesses, le boute-en-train des parties de gueule et de couteau ! C’est un nom qu’il faut s’habituer à voir revenir souvent dans cette période de sa vie, comme si une véritable consanguinité l’unissait au légendaire luron, terreur des niquedouilles. Cette généalogie vaut bien l’autre, au surplus, celle du magyar Boleslaw que d’un aplomb de pince-sans-rire il colportait. Rops, avec sa goutte de sang Wallon, fut de Flandre comme lui : leur race à tous deux s’apparente à Blès, à Bosch et à Breughel… »

********