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SUSANA La Perverses ou LA SEDUCTION DU DEMON (Buñuel)

Luis Buñuel

Susana la perverse Susana, demonio y carne
1951
LA SEDUCTION DU DEMON

Susana la perverse-Susana demonio y carne- Luis Bunuel Artgitato « Le serpent alors innocent, mais qui devait dans la suite devenir si odieux, comme si nuisible à notre nature, devait servir en son temps à nous rendre la séduction du démon plus odieuse ; et les autres qualités de cet animal étaient propres à nous figurer le juste supplice de cet esprit arrogant, atterré par la main de Dieu, et devenu si rampant par son orgueil. » (Bossuet, De la concupiscence)

 

Des premières images, les premiers plans sont les plus beaux du film. La musique de Raul Lavista gronde littéralement d’inquiétude lancinante en perdant la caméra dans les nuages. La caméra monte, monte. La pluie tombe alors. L’orage zèbre la nuit. Des lumières d’un édifice imposant. Plan sur la pancarte qui remplit l’écran : « REFORMATORIO DEL ESTADO », Maison de Correction d’Etat. Le déluge peut commencer.

« Alors le Seigneur fit tomber sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu, venant du Seigneur, du ciel. » (Genèse)

Des cellules de la maison de redressement sont dans le noir.

Des dames descendent avec une fille leur criant : « Soyez maudites ! » Elle crache, donne des coups de poings et des coups de pieds, elle  éructe comme un diablotin.

Le cas de Susanna s’aggrave ; « depuis deux ans, son état ne fait que s’empirer. » Elle a passé une partie de sa jeunesse dans cette institution. Elle est entre deux âges. Presqu’une femme.
Nous sommes dans le cœur du film. Le bien et le mal. Le Diable et Dieu. Mais ce qui est le plus intéressant, c’est que cette Susana que l’on emprisonne dans un cachot insalubre pour quinze jour afin de la calmer n’invoque ni Satan ni le Diable, mais Dieu.

Malgré son allure démoniaque, sa beauté rayonne. Elle illumine.

Elle reste terrorisée par une chauve-souris, des rats, une araignée., comme une fillette qui découvrirait pour la première fois la prison. La première personne qu’elle implore est Dieu : « Dieu ! Faites-moi sortir ! Je veux sortir… » Et c’est la croix qui illumine alors le centre du cachot.

Le Diable n’est pas là. Et Susana n’est pas effrayée par cette apparition qui la calme immédiatement. La musique s’adoucit de suite. Nous n’entendons plus l’orage.

Elle semble avoir perdu la raison. « Elle n’est pas plus heureuse en jouissant des plaisirs que ses sens lui offrent : au contraire elle s’appauvrit dans cette recherche, puisqu’en poursuivant le plaisir elle perd la raison. Le plaisir est un sentiment qui nous transporte, qui nous enivre, qui nous saisit indépendamment de la raison, et nous entraîne malgré ses lois. » (Bossuet, Sermon pour Madame de La Vallière, 4 juin 1675)

Susana continue dans le même registre. Elle ressemble alors à une sainte perdue dans ses prières. L’hystérique du début n’est plus du tout la même, mais le Dieu invoqué prend des couleurs moins évidentes : « Seigneur. Tu m’as fait comme je suis. Comme les scorpions, comme les rats… » Ce n’est donc pas le Seigneur qu’elle invoque : « Dieu des prisons, aie pitié de moi. Fais tomber les barreaux, les murs. Laisse-mois sentir l’air, le soleil. J’ai autant de droits qu’un serpent…ou que cette araignée ! … Dieu, accorde-moi un miracle si tu peux !…Sors-moi de là ! »

Déchaînée, les barreaux cèdent. Elle s’en servira d’échelle. Un rire diabolique sort de sa bouche.  Dehors le déluge continue au rythme de la musique qui s’accélère. Les orages rayent la toile. Elle tombe, rampe, glisse, comme un serpent dans la tourmente.

Cette partie est la plus ambigüe. Sa libération est un miracle en soi. Même si elle invoque le « Dieu des prisons », c’est la croix qui s’inscrit et c’est Dieu qu’elle invoque et qui semble répondre à sa prière.

« Au terme des mille ans, Satan déchaîné, s’évadera de sa prison pour séduire les nations aux quatre coins de la terre. » (L’Apoclypse de Jean, XX)

Le plan suivant présentera l’hacienda, sous les eaux et sous l’orage, de Don Guadalupe. Luis Buñuel nous la montre comme un havre de paix. Un havre que le malin cherchera à conquérir.

La jument préféré du maître des liuex est en train de mettre bas. La naissance se passe mal. Le poulain n’y résistera pas et le pronostic vital de la jument est engagé. La mort de cet animal innocent marque l’approche des forces diaboliques.

Les propos tournent dans le grand salon autour de superstitions, notamment de la part de la servante Felisa. Susana qui arrive détrempée, s’évanouie au seuil de la maison. Elle est accueillie par charité chrétienne. Dona Carmen, la femme de Don Guadalupe écoute la fausse histoire de Susana et la prend sous sa protection.

Susana cherchera à séduire les hommes qui lui permettront de rester dans l’hacienda. Jesus, le contremaître, qui lui tourne autour, apprendra vite qu’elle est recherchée par les autorités et cherchera à en tirer parti. Dans l’hacienda, c’est le mal qui triomphe, Susana prend possession des âmes et c’est le fils, doux et obéissant, étudiant invétéré, qui se retrouve dans une chambre avec des barreaux.

La fumée des batailles du cœur commence à se répandre. Elle se dissipera bientôt…mais pour mieux découvrir le lugubre spectacle des ruines.

En attendant, Susana séduira ensuite le fils et le père. La cellule familiale se décomposera tout au long du film, créant des jalousies, des rancœurs et des haines. Elle jouera constamment sur son image de jeune fille chaste et prude. Et ne découvre largement ses épaules que pour passer à l’offensive de la séduction, avec un geste de sa main dans ses cheveux.

Tout redeviendra plus calme avec l’arrivée des autorités conduite par Jesus, récemment licencié après avoir été surpris, par Don Guadalupe, avec Susana. Il était temps.

« Mais un feu descendit du ciel et les dévora. Le Diable, leur séducteur, fut jeté dans l’étang de feu et de soufre, auprès de la Bête et du faux prophète ; ils y seront tourmentés jour et nuit, pour les siècles des siècles. » (L’Apocalypse de Jean)

Le foyer se recomposera aussitôt. Le fils retrouvera sa gentillesse naturelle et le père son fauteuil de maître incontesté de l’hacienda. Dès le départ de Susana, nous apprendrons aussi que la jument que Don Guadalupe devait abattre, est, désormais, totalement guérie.

« Je vis alors un grand trône blanc et Celui qui siégeait dessus…Je vis alors un ciel nouveau et une terre nouvelle, puisque le premier ciel et la première terre s’en étaient allés… » (L’Apocalypse de Jean)

Jacky Lavauzelle

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LES PERSONNAGES

Fernando Soler (Don Guadalupe, le père) Matilde Palou (Dona Carmen, la mère) Luis López Somoza (Alberto, le fils)

Rosita Quintana (Susana) Víctor Manuel Mendoza (Jesus, l’intendant) María Gentil Arcos (Felisa, la servante-chef)