Michael Leopold Lukas Willmann
(1630 -1706)
Jacob’s ladder – Snem Jakuba – лестница иакова
Jákobův žebřík – Die Jakobsleiter
L’échelle de Jacob (1691)
Ascension, élévation et transformation,
Du Profiteur
au Prophète
Que la route a dû être longue pour s’affaler ainsi. Que Jacob doit avoir l’esprit tranquille pour ainsi s’écraser contre terre. Nous sommes dans la forêt et le voyage de Jacob, la raison, est presque terminé. Ésaü, l’animalité, son frère et adversaire, amateur de chasse, fils préféré d’Isaac, aurait trouvé son plaisir et n’aurait pu que difficilement dormir au sein d’une probable prolifération de gibiers.
Jacob est, en est, arrivé là à cause de la confrontation, voire de la jalousie. Il a commencé sa vie en profitant de la naïveté de son frère par trois fois : à la naissance, en s’accrochant au talon de son frère, en lui subtilisant d’abord le droit d’aînesse et ensuite la bénédiction du père devenu aveugle.
Jacob, d’abord bon profiteur de toutes les bonnes occasions, n’a pas du tout, à cet instant, la stature du prophète et à encore tout à prouver. La route est pentue, longue et difficile. Le sommeil qui l’emporte s’ouvre sur des rêves où l’avenir se prépare long et périlleux, à l’image de l’échelle qui sort de ses songes.
« A regarder le ciel
de nombreuses décorations de lumières
A regarder le sol
Enveloppé dans la nuit
Noyé dans l’oubli du sommeil. »
(Nuit tranquille, Fray Luis de Leon)
Du ciel jaillit les images, la lumière et les anges ; les anges se dévoilent et s’affairent. Le calme règne dans les bruissements. Les bruissements des anges qui se frôlent, des branches entre elles, de l’eau qui, à ses côtés, s’écoule. Quand le ciel se dévoile, les éléments comme une diversité d’atomes se choquent et s’entrechoquent. La vie est là qui prépare le futur de Jacob. Comme s’il s’agissait d’un déménagement, comme s’il fallait changer le cerveau malade et gangréné de ce frère. Il en faut des anges pour faire ce travail, si long pour le nettoyer de toutes ses fautes et de toutes ses trahisons.

Jacob se repose pleinement, totalement. Tout est calme quand tout se passe au-dessus. La route a été longue et épuisante. La diagonale coupe le tableau en deux. En deux comme les deux peuples qu’engendrera Rachel, mère de Jacob. En deux, comme l’avant et l’après. L’avant Harran et ce qui va advenir. Elle scinde le temps tout en reliant le temporel au spirituel. Les frondaisons, déchiquetées, tristes et dépouillées à gauche, se changent, de l’autre côté de la diagonale de l’échelle, en une forêt dense, forte et vigoureuse. La nature change comme la nature de l’histoire de Jacob en fuite chez son oncle Laban à Harran. Il va devenir bientôt Israël, « celui qui a lutté avec dieu ». La transformation dans la vie de Jacob qui rencontrera Rachel. La transformation dans la vie de Michael Willmann qui s’est opérée quelques années auparavant avec sa conversion du calvinisme au catholicisme, quelques mois après son mariage avec Regina Lischka à Prague en 1662. Il ajoutera à son prénom Michael, ceux de Léopold, en l’honneur de l’Empereur, Léopold Ier du Saint-Empire, et Lukas, le saint patron des bouchers, des médecins, mais surtout des peintres. Transformation aussi de l’Europe avec la défaite des Turcs à Vienne en 1683 avec des milliers de soldats autrichiens, polonais, allemands et la reprise de territoires jusqu’en Croatie par les Habsbourg.
L’échelle de Jacob nous parle du rêve de Jacob, fils d’Isaac et de Rébecca, qu’il fait dans un lieu qu’il nommera Bethel, la maison de dieu, à proximité de Jérusalem, en Samarie (Genèse 28, 10-15), d’une échelle qui rejoindrait le ciel, où Dieu se trouve. Des anges montent et descendent. Et Dieu dit à Jacob : «Je suis Dieu, le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac ton père ; la terre sur laquelle tu reposes, je la donnerai à toi et à tes descendants ; et tes descendants seront comme la poussière de la terre, et ils s’établiront vers l’ouest et vers l’est, vers le nord et vers le sud ; et par toi et tes descendants, toutes les familles sur la terre seront bénies. Vois, je suis avec toi et te protégerai là où que tu ailles, et je te ramènerai à cette terre ; car je ne te laisserai pas tant que je n’aurai pas accompli tout ce dont je viens de te parler. » Jacob se réveilla alors de son sommeil et dit : « Sûrement Dieu est présent ici et je ne le sais pas. » et il était effrayé et dit : « Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel. »
L’échelle prend racine dans la terre, terre qui est irriguée par le divin avec ce flot d’anges. Il y a ce lien, cette liaison entre le terrestre et le céleste. Les anges qui volent n’utilisent pas leurs ailes. Ils restent dans l’ascension ou la descente périlleuse. La montée et la descente sont réalisées par pallier. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Pourquoi prendre le risque de tomber quand on a des ailes dans le dos. Pourquoi se croiser maladroitement quand le reste du ciel est offert ?
L’échelle figure la voie et la conduite à tenir. Pour monter, il faut gravir, lentement et seul et la voie est étroite. Rébecca n’est plus là pour le soutenir et le conseiller. Le moindre faux-pas et c’est la catastrophe. Surtout que la montée s’accompagne de l’aveuglément dû à la lumière divine. Les yeux alors ne servent plus à rien. C’est la foi qui guide car la raison est embuée, aveuglée.
Mais la voie est droite qui ne souffre même pas de la perspective. Nous ne sommes pas plus haut dans le ciel, ni plus loin. Nous sommes dans le présent, face à nous. Le flot tempétueux des anges se fait ici et maintenant dans ce présent de l’immédiateté et de la vie. Le Jacob qui va s’éveiller ne sera plus du tout le même. Ce n’est pas d’un sommeil qu’il s’agit mais bel et bien d’une naissance.
Jacky Lavauzelle