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L’autre jour sans inquiétude
Respirant la fraîcheur de l’air,
J’errais dans une solitude
Sur le rivage de la mer.
J’aperçus de loin des statues,
De vieux débris d’arcs triomphaux,
Et des colonnes abattues ;
J’approchai : je vis des tombeaux.
C’était d’abord le mausolée
D’un de ces conquérants vantés,
Par qui la terre désolée
Vit détruire champs et cités.
On y voyait trente batailles,
Des rois, des peuples mis aux fers,
Des triomphes, des funérailles,
Et les tribus de l’univers.
Au pied de deux cyprès antiques,
Un monument plus gracieux,
Par ses ornements symboliques,
Attirait l’œil du curieux.
C’était la tombe d’un poète
Admiré dans le monde entier.
Le luth, la lyre et la trompette
Pendaient aux branches d’un laurier.
Tout auprès en humble posture
Un pécheur était enterré ;
Un filet pour toute parure
Couvrait son cercueil délabré.
Ah ! dis-je, quel art déplorable !
Cet objet aux passants offert
Leur apprend que ce misérable
A moins vécu qu’il n’a souffert.
Et pourquoi ? reprit en colère
Un voyageur qui m’entendit.
La pêche avait l’art de lui plaire :
C’était son métier, il le fit.
Tu vois par là ce que nous sommes ;
Le poète fait des chansons,
Le guerrier massacre des hommes,
Et le pêcheur prend des poissons.
Élu en 1759 à l’Académie Française au fauteuil 8.
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« Didon, tragédie qu’il donna à l’âge de vingt-cinq ans, fit concevoir des espérances qu’il n’a pas réalisées, car une petite comédie en vers libres représentée l’année suivante (1735) et quelques opéras qui n’ont pas été joués sont les seuls ouvrages qu’il ait composés ensuite pour la scène. Reçu à l’Académie française, Lefranc, dans son discours de réception, attaqua sans aucun ménagement tous les philosophes. Cette déclaration de guerre lancée contre ceux aux suffrages desquels il devait l’honneur de siéger à l’Académie lui fut fatale : pendant deux années on lui fit expier par les plus amers chagrins sa malencontreuse attaque : ce fut contre lui comme une conspiration générale. On ne se contenta pas de faire la satire du poète, on fit encore celle de l’homme et du chrétien. On le représenta comme un hypocrite qui s’affublait du manteau de la religion dans des vues d’intérêt purement humain. Lefranc, forcé de quitter Paris où il n’osait plus se présenter nulle part, alla ensevelir ses jours au fond d’une campagne ; il tomba dans un tel état de tristesse qu’il devint fou. Il était âgé de soixante-quinze ans lorsqu’il mourut. Dans ses odes et ses poésies sacrées se trouve de l’élévation, une hardiesse souvent poétique, et quelquefois même cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions. La Harpe lui a rendu justice en disant que comme poète il méritait en plus d’un genre l’estime de postérité.
(Petits Poëtes Français depuis Malherbe jusqu’à nos jours –
Par Prosper Poitevin – Tome 1 – Paris –
Chez Firmin Didot Frères, fils et Cie, Libraires –
1870)