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PIERRE LOTI dans la correspondance d’EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

PIERRE LOTI 
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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ELECTION DE PIERRE LOTI
A
L’ACADEMIE FRANCAISE

Montauban, 25 mai 1891.

[Note : Le 21 mai 1891, Pierre Loti est élu à l’Académie française au fauteuil 13, au sixième tour de scrutin par 18 voix sur 35 votants contre Émile Zola en remplacement d’Octave Feuillet]

Chère Madame,
L’élection de Loti lui arrive à l’âge où il y a de l’agrément à porter les palmes vertes. Et sans les antichambres, sans les intrigues, sans le fiel et sans le sucre de la comédie académique, c’est tout à fait bien ainsi. Et quelle joie pour madame votre grand’mère ! J’ai vécu des heures de souvenir en pensant à elle et à tout son exquis entourage de Rochefort et de Marennes. Que tout cela est loin et que c’était délicieux ! Et c’est fini ! Je n’ai certes pas oublié Loti cependant, ni madame votre mère, ni vous, ni rien de mes impressions de ce temps-là, et Dieu sait le plaisir très vif que j’aurais à vous revoir les uns et les autres et à revoir Rochefort et Marennes et les villages de l’île et les jardins fleuris appuyés aux murs blancs, et même les averses sur les grandes routes. Mais je sais bien qu’avec la meilleure volonté du monde de part et d’autre, cela n’arrivera plus. Et qu’y faire ? C’est la mélancolie de la vie. Et ce n’est pas moi qui aurai la force d’y rien changer.
Excusez, je vous prie, cette philosophie d’homme grippé. Elle doit dissoner certainement avec votre entrain de jeune ménage et je prie aussi M. D… de ne pas trop prendre au sérieux tout ce pessimisme que j’aurai tôt fait d’oublier en sa compagnie. Vous êtes très aimables tous les deux de vous souvenir de moi. Et moi je serais si heureux de me retrouver auprès de vous !
Veuillez agréer tous les deux l’expression de mes sentiments les plus affectueusement dévoués.

PIERRE LOTI ET M. SEGOND

1895


Chère madame et amie,
Quelle joie d’avoir de vos nouvelles ! J’en avais eu il y a un mois à Paris où le hasard m’a fait rencontrer M. Segond et vous pensez de qui nous avons parlé tout de suite. Et déjà alors je voulais vous écrire. Et savez-vous ce qui m’a arrêté ? Les indications à mettre sur l’adresse. Voyez quel nigaud est votre ami. J’ai prié Loti de m’instruire, puis madame votre mère. Et voilà comment à ma honte et à votre gloire d’amie, c’est vous qui m’avez devancé. Donc vous êtes bien là-bas ; vous y avez la santé et le rêve, la joie de M. D… Et le rire de vos Tototes et la magie des couchans. Et votre séjour ne durera pas assez pour que vous connaissiez l’envers des choses, la monotonie des soleils, l’écrasement de l’ardeur extérieure et le hâle fâcheux et le bâillement des chères petites et la nostalgie des averses. Et nous aurons eu, nous, la révélation — surprise ne serait pas exact — du joli écrivain de nature que nous porte votre exquise lettre.

XX

Montauban
30 juillet 1896

J’ai pris une part bien vive à votre deuil et non pas seulement à cause de vous et de Loti, et de la grande affection que je vous porte ; ma vénération pour votre grand’mère aurait suffi et aussi ma reconnaissance pour son si affectueux accueil.

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LA CHARENTE-MARITIME dans la correspondance d’EMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

LA CHARENTE-MARITIME
dans la correspondance
d’EMILE POUVILLON 

Correspondances avec N.D. parues dans
La Revue des Deux Mondes 
Tome 58
1910

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LES JOURNEES DE LA LIMOISE
LA ROCHE-COURBON
SAINT-PORCHAIRE
ROCHEFORT

 

A N.D.
Paris, mai 1895.

Chère amie,
C’est pourtant vrai que je suis en faute et ma honte s’aggrave de ma bonne santé qui ne me laisse aucune excuse. Mais cette vie de Paris est si secouante, si pressée ! Pas une heure de halte, de repos du matin au soir, et le soir où on rentre la tête vide, ahuri et las, hors, d’état de penser et d’écrire. Ah ! qu’il valait mieux le train paisible et bien ordonné des journées de la Limoise, les longues causeries encadrées de ce décor suggestif de l’autrefois et les promenades dans le beau pays lumineux et calme comme une mer silencieuse où les bois de chênes verts flottent pareils à des îles habitées par le mystère.
Tout de ces trop brèves journées m’a laissé une impression ineffaçable. Et La Roche-Courbon et Saint-Porchaire et mes joies à conquérir la nouveauté des paysages et le silence du retour, ce soir-là, sous les étoiles si éclatantes, vous en souvenez-vous ? Voilà les bonheurs pour lesquels je suis fait, ma chère amie, les seuls que je puisse goûter encore. Et je vous suis bien reconnaissant de me les avoir donnés. Pourquoi si courts ? Hélas ! ceci décolore cela, c’est-à-dire la vie, après, qui vous paraît inutile et plate et ne vous laisse que la ressource languissante un peu du souvenir et du rêve.
Encore si nous pouvions reprendre nos promenades à Capdeville, inaugurer ensemble de nouveaux paysages. Je ne peux pas renoncer à l’espérer. Je vous en reparlerai peut-être dans une quinzaine de jours, si je reviens par Rochefort. Il m’en coûte tant de vous dire un long et lointain au revoir !

UN ARRÊT A ROCHEFORT

CORRESPONDANCE
Capdeville
7 octobre 1898
à N.D.

Je vais essayer de me consoler dans le travail. Je suis horriblement en retard et trop mal en train pour me rattraper d’ici à longtemps. Cependant, il faudra bien, je pense, me décider à revoir Paris. Et ces voyages me sont devenus une corvée. Mais pas le prochain cependant. Car, cette fois, je m’arrangerai pour m’arrêter à Rochefort. Quand ? Je ne sais pas encore et cela tient à assez de choses qui ne sont pas toutes en mon pouvoir. Mais ce sera bientôt. Je vous dis un bien cordial au revoir. Ne m’oubliez pas, je vous prie, auprès des vôtres.

« AU JARDIN DE MARENNES AUX TRAITS AUTOMNALS »

 CORRESPONDANCE
Montauban, 1905.
à N.D.

Au revoir, ma bien chère amie, je vous écris à Montauban où j’ai pris mes quartiers d’hiver. Il fait triste en moi ou autour de moi. Des rayons jaunes effleurent les gazons humides ; un rouge-gorge chante ; chanson brisée à travers les feuillages meurtris. Et je pense au jardin de Marennes aux traits automnals, aux rainettes que nous regardions palpiter sur les feuilles. Je vous serre les mains affectueusement.

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L’AMITIÉ SACRÉE D’ÉMILE POUVILLON

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LITTÉRATURE FRANÇAISE

ÉMILE POUVILLON

né le 10 octobre 1840 à Montauban et mort le 7 octobre 1906 à Jacob-Bellecombette

Correspondance d’Emile Pouvillon

L’AMITIÉ SACRÉE D’ÉMILE POUVILLON

Par N. D.
Revue des Deux Mondes
Tome 58
1910

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Autrefois Loti avait l’aimable habitude de nous amener tous ses amis et c’est ainsi que nous avons connu Emile Pouvillon. Il vint pour la première fois chez mes parents à Marennes en juin 18…. Il pouvait avoir trente ans à ce moment-là, paraissait très jeune malgré des cheveux tout blancs, avec, dans son attitude, un mélange de timidité et de grande dignité ; ce qui charmait surtout, c’était le son de sa voix, sa manière de parler, sérieuse, grave, puis tout, à coup, des éclats de rire presque enfantins. Écoutant avec intérêt tout ce qu’on lui disait, semblant par sa bienveillance y donner un prix infini ; quand il parlait lui-même, c’était de l’air de s’excuser de ce qu’il pouvait bien vous apprendre. Mais les anecdotes de pays, les descriptions de paysage, donnaient à sa causerie un tour différent : celui de l’enthousiasme admiratif, qui fut toujours la marque caractéristique de son esprit. Il évoquait beaucoup les coutumes, les usages de son Midi, par comparaison avec ceux de notre Saintonge, toute nouvelle pour lui, et l’on sentait quelle valeur avaient dans son existence les choses qui en étaient le « cadre, » comme il disait : la plaine montalbanaise, la forêt de Grésigne, les pierrailles des Causses, les coulées de l’Aveyron entre les saules, avaient à ses yeux autant de prix que des personnes aimées.

Les plus ordinaires phénomènes de la végétation lui étaient des sources de ravissement, il en parlait avec émotion : de la poussée hâtive des printemps méridionaux, des brûlants étés qui dorent les fruits mûrs et des douceurs automnales voilées de légers brouillards. Il connaissait aussi les plus petits détails et les plus humbles plantes, possédant par excellence le sens de la nature. Et avec bienveillance toujours, il s’intéressa à l’enfant timide, à la petite fille gauche que j’étais alors, causant avec moi de tous les riens de la vie champêtre qui étaient le fond de mon âme. Et je me sentais grandir à être ainsi comprise, à pouvoir admirer avec lui les mêmes choses, à les trouver belles de la même manière. Déjà ensemble nous admirions,… Et cette admiration commune de la nature fut, pendant les vingt-sept années que dura l’échange affectueux de nos pensées, comme l’accompagnement continuel de nos causeries et le refuge aux heures tristes. Pour lui ce sentiment magnifiait, transformait tout en une minute ; les spectacles les plus simples de la vie rurale, suivant le moment et l’heure, prenaient une forme, une importance inouïes : son imagination se passionnait, dramatisait, s’attendrissait. Je l’entends encore me dire : « Ah ! ma chère amie, que c’est beau ! De quoi sont privés ceux qui ne savent pas admirer ! » Et nous avons tant admiré ensemble, en effet, son pays et le mien, la montagne et la mer, les beaux couchants et les lumineux clairs de lune, les couleurs, les verdures, les horizons, puis aussi toutes les belles œuvres humaines !

L’amitié pour lui était sacrée, il la pratiquait d’une manière grande et noble, sans une dissonance ni une faute, mais toujours avec quelque cérémonie qui la rendait élégante.

Il me mêla ensuite aux affections de sa famille et les siens m’ont accueillie avec une amabilité touchante qui devint de l’affection. Je peux dire même que, depuis sa mort, ces relations se sont encore resserrées dans son cher souvenir. Quand sa mère mourut, comme j’étais accourue pour la pleurer avec lui, il désira aux obsèques me mettre au même rang que ses belles-filles. A lui également tous les miens ont été chers, mes parents, mon mari, mes filles ; plus tard, il fut le second parrain de mon fils.

Nous partagions beaucoup nos peines et nos joies ; en général la lecture des lettres en donne mal l’idée ; d’abord elles sont incomplètes : nous ne nous écrivions que quand nous ne pouvions pas nous voir et cependant nous avons souvent passé ensemble de longs mois que ses lettres ne paraissent pas attester. Mais les difficultés à nous rejoindre venaient le plus souvent d’un découragement subit de sa part, d’une inquiétude de sa santé. Emile Pouvillon, qui aimait tant la force de la vie, redoutait la faiblesse et la maladie. Peut-être sentait-il en soi-même les atteintes certaines du mal inexorable, mais cela se voyait tellement peu aux apparences, il était si jeune de tournure, de mouvement, de regard, que nous le grondions sans le plaindre ; nous le traitions de malade imaginaire, d’exagéré ; il l’était quelquefois, en effet, le cher ami, car, aux descriptions qu’il faisait de son état, on l’aurait cru devenu subitement infirme ou boiteux ; mais, ces crises passées, il faisait, suivant sa jolie expression, « la toilette de son âme, » et il refleurissait dans une nouvelle vigueur de jeunesse pour entreprendre de grandes marches dans la campagne, imaginer, s’enthousiasmer, s’attendrir sur la beauté des paysages et les admirer.

Il était d’une sensibilité extrême, ressentait d’une manière quelquefois cruelle la variation des saisons ; le froid, le chaud et la pluie étaient pour lui à certains jours de véritables souffrances. Parfois son inquiétude morale l’amenait à douter de lui-même, à craindre de ne plus sentir, de n’avoir plus de goût, de ne plus pouvoir écrire et créer. Et il s’en désespérait. Là est bien le tourment de tous les vrais artistes, le mal inhérent à tout talent réel. Or Émile Pouvillon était incapable de mensonges littéraires et son œuvre, comme sa vie intime, comme son cœur et son âme délicate, était sincères. Souvent aussi il était obsédé par la fin des choses visibles, l’impossibilité à se représenter les invisibles, et par le vilain passage noir précédé du cortège effrayant des maladies et des infirmités. Très jeune déjà, cette teinte triste fut sur sa vie, rembrunie encore par la crainte de l’amoindrissement, de la vieillesse et du non-être ; mais, comme il disait, « l’espoir passait… »

Cependant l’espérance d’une vie autre semblait se préciser davantage en lui, à mesure que s’accentuaient dans son cœur la tendresse et la bienveillance, mêlées à une douce philosophie. La dernière journée que nous avons passée ensemble fut tout empreinte de cette tendresse. Cette fois, c’était le cadre ordinaire de notre salon parisien ; Emile Pouvillon était venu déjeuner avec nous et nous étions demeurés tous deux pour causer longuement. Les jeunes étaient partis à leurs affaires ; quelques personnes étaient venues dans l’après-midi et gaiement, spirituellement, il s’amusa de mes visiteurs, sans malveillance, sans malice, — il n’en était pas capable, — mais avec tant de finesse et de drôlerie. Et la nuit, hâtive encore à cette époque du printemps, tomba sur Paris : on alluma les lampes ; les gens partis, nous nous étions remis à causer dans le salon clos où les fleurs sentaient bon. Avec quelques cérémonies toujours (car cela n’avait pas été convenu), il accepta de rester dîner.

Hélas ! cette journée qui me laisse un si délicieux souvenir de tendre amitié fut la dernière.

Nous partions pour les vacances de Pâques deux jours après ; Emile Pouvillon, lui, restait à Paris pour ses affaires. Nous devions l’y retrouver, au moins il me le promettait, et nous nous sommes dit : au revoir, très confiants, avec de beaux projets en tête : nous devions retourner en pèlerinage dans les îles heureuses.

Quand nous sommes rentrés, il était reparti, pris d’une de ces crises d’angoisse nerveuse et violente auxquelles il était sujet : « J’ai eu peur d’être malade loin des miens et sans vous, ma chère amie (m’écrivait-il), ne m’en veuillez pas ; à cet été quand même, j’espère. » Peu de temps après, la grave maladie d’un de mes proches me rappelait en Saintonge et, redoutant une issue terrible, connaissant l’impressionnabilité de notre cher ami, je voulus lui épargner de partager mes inquiétudes et ne lui parlai pas de venir. Cérémonieux jusqu’à la fin, il n’osa pas me le demander, et les siens m’ont souvent répété, depuis, la déception qu’il avait éprouvée de ce revoir manqué. En septembre, avançant son voyage coutumier en Savoie, il partit pour Chambéry d’où il ne devait plus revenir, où d’autres de ses amis devaient recueillir pieusement son dernier soupir.

Emile Pouvillon mourut donc en face de la montagne au lieu de mourir au bord de la mer, comme cela eût été, s’il était venu chez moi, mais sa mort, conforme à sa vie, fut quand même devant la belle nature. Il l’admirait dans un dernier geste pour montrer l’horizon splendide ; la parole admiratrice s’arrêta sur ses lèvres sans qu’il pût la formuler ; puis, — nous est-il dit, — « sa chère tête blanche s’affaissa sur l’herbe. »

En harmonie complète avec son existence où la douceur et la beauté des choses champêtres ainsi que son affection pour les siens restèrent ses joies les plus fortes, Emile Pouvillon ne connut ni la haine ni l’envie ; il sut se garder de l’orgueil et ne rechercha point les gloires faciles. Il partit dans le rayonnement d’un beau soir, les yeux emplis des radieuses lueurs du soleil couchant et sans avoir éprouvé les terreurs tant redoutées et les affres de la mort.

On rapporta son corps au doux clair de lune, sur une charrette traînée par des bœufs. Lui-même n’eût rien imaginé de plus conforme à ses goûts que la simplicité de ces premières funérailles à travers des sentiers de montagne.

J’ai parlé de lui comme d’un ami cher et précieux, sans même une fois faire allusion à son œuvre ; mais il faudrait de longues pages pour en énumérer les mérites. Qu’on me pardonne donc si j’ai insisté sur le bonheur de l’avoir si bien connu et tant aimé. J’ai voulu ainsi expliquer ses Lettres, en essayant de faire revivre par elles un peu du charme de sa personne, de son âme délicate et droite, éprise de beauté, de justice et de lumière.

N. D.

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