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LA NOTTE BRAVA: LA BALADE DES OMBRES (MAURO BOLOGNINI 1959 LES GARCONS)

MAURO BOLOGNINI

 LES GARCONS
(LA NOTTE BRAVA 1959)

 LA BALADE DES OMBRES
Bolognini Artgitato La Balade des ombres la notte brava Les Garçons

La Notte brava. La nuit sauvage, animale. Les loups sont lâchés. Mais des bêtes blessées, abîmées. « Tous ces malheurs, maladies, vols, souffrances, morts… » (Scintillone -Jean-Claude Brialy).  Les êtres sont jeunes. Les corps pleins de soleil courent dans la ville. Les acteurs sont  nés entre 1930 et 1935. Ils sont tous dans la vingtaine triomphante. Ils se ressemblent même. Ils pourraient tous être frères et sœurs. Elsa Martinelli, Rosanna Schiaffino, Antonella Lualdi, Mylène Demongeot malgré sa blondeur, sont tellement semblables. Les garçons ont les mêmes coupes de cheveux, les mêmes manches remontées, la même veste sur l’épaule.

T’EN FAIS PAS, UNE AUTRE GUERRE VA ECLATER !

L’été est là. La chaleur aussi. La vie est là. Sans but. Ils ont tous grandi dans la même guerre et dans le manque. « T’en fais pas, une autre guerre va éclater ! » (Gino La Belle – Franco Interlenghi). Comme si celle-ci apportait des solutions et des espoirs qu’ils n’aperçoivent plus. L’horizon est bouché. L’avenir n’existe pas.

Ce sont les enfants de la guerre. Ils vivent au jour le jour. L’argent du jour sera dépensé le jour même. Alors ils courent et se battent, mais sans se battre réellement.  Ils volent mais sans voler véritablement. Ils vivent sans vivre. Tout le monde est sérieux. Personne ne l’est. « – Des gens sérieux ? (Rugeretto – Laurent Terzieff – Bien sûr ! (Gino la Belle)»

Et ils se volent entre eux. Ils se dépouillent à longueur de journée. Ils se tuent sans se tuer. « Je vais te tuer ! Croque-mort ! » (Scintillone à Gino La Belle) L’argent volé est dilapidé dans la soirée pour une danse, pour un repas dans un endroit chic. Ils se mêlent de tout. « Bravo ! Si t’en est pas capable, pourquoi tu t’en mêles ? (Rugerettp à Gino La Belle). Mais rien n’est réalisé.

DES ELECTRONS LIBRES HORS DE LA CITE

Ils courent à la périphérie de la ville, dans des prés, des rocades, des zones désaffectées, des HLM de banlieues. Ils n’entrent pas dans la ville, comme des électrons libres autour du noyau.  L’introjection n’existe pas. C’est ce  processus qui met en évidence le passage du dehors au dedans. Le centre n’est pas pour eux.

ON N’A PAS DE TEMPS A PERDRE ! VITE !

Alors, ils tournent dans la ville, comme ces atomes. Ils sont atomisés. Dans une fausse urgence. Celle de la journée. Comme ces papillons nycthémères qui mourront la nuit passé. « On n’a pas de temps à perdre ! » (Laurent Terzieff), « On a perdu du temps. On fait quoi, maintenant. » (Laurent Terzieff) « Dépêche-toi. Fais le plus vite possible. Vite – Calmez-vous, j’ai pas des ailes »  « Si ça rate, on vous jette à la mer ! »

C’EST DEVENU PLUS FACILE DE VOLER QUE DE VENDRE !

En boucle, ils passent et repassent aux mêmes endroits. Dans la nuit ou dans la journée. C’est une ronde où l’ennui règne. A quoi bon ? De menus larcins en menus larcins, le temps avance, en cercle, en boucle. Et la boucle se referme. « C’est devenu plus facile de voler que de vendre. » (Gino La Belle)

La première image et la dernière sont les mêmes, un billet froissé jeté dans la nature, dans une décharge.

LA LIBERTE : LA REGLE DU JEU

Les êtres se croient libres comme est libre la prostituée pour ses clients : « – Tu es libre ? Vive la liberté ! » … « Je travaille ici, crie une prostituée, et je vais avec qui je veux. C’est la règle du jeu. »

UN JOUR, ON ME METTRA DANS UNE BROUETTE

Ce monde est cette infinie décharge qui charrie des corps lascifs et insouciants. La mort ne fait pas peur. C’est une évidence. A la décharge, nous retournerons. « C’est la vie. Un jour ou l’autre, je viendrai te chercher. Ta mère me dira : « il est mort. » (Rugeretto) – Personne ne pleurera. (Scintillone) – Le jour où je mourrai, on me mettra dans une brouette. Même mort, je les emmerderai. En puant.  – Une croix de bois et terminé. Finis les tracas pour trouver du fric. – On va s’amuser, si on peut pas vendre la marchandise ! – je suis fauché. – Faut qu’ils raquent. » Le film commence par l’attente sur le trottoir des prostituées de la ville et par le combat de deux d’entre elles. Quelques minutes plus tard, elles seront les meilleures amies du monde. « On doit être là pour couvrir un truc louche. »

Comme une désespérance de corps magnifiés par le soleil de Rome. Les êtres ne se font pas confiance. Les jeunes hommes se trahissent tout au long de leur périple. Les femmes passent d’un homme à l’autre, l’argent aussi. Rien n’appartient à personne. Pas même leur corps.

Tout peut s’échanger, se changer. La nuit se prolonge magnifiée par le sésame du billet sur le piano. L’enfant chante contre quelques milliers de lires.

Des corps lascifs, fatigués. « –T’as rien à faire alors ? – Si, m’assommer ! » C’est l’ennui qui règne. Librement. La nuit est passée et l’aube arrive. Les bêtes vont pouvoir rentrer dormir dans leur tanière.

Jacky Lavauzelle