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CHRISTOPHER COLUMBUS – CHRISTOPHE COLOMB -克里斯托弗·哥伦布- Cristoforo Colombo-VILLA BORGHESE – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
克里斯托弗·哥伦布
Christopher Columbus

LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

Armoirie de Rome

 Photo Villa Borghèse Jacky Lavauzelle

Ridolfo_Ghirlandaio_Columbus Christophe Colomb Cristoforo Colombo

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Les Bustes de la Villa Borghèse
贝佳斯别墅
I busti della villa Borghèse

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CHRISTOPHE COLOMB
Christopher Columbus
克里斯托弗·哥伦布
Cristoforo Colombo
1451-1506

Christophe Colomb Cristoforo Colombo artgitato Villa Borghese Rome Roma

 

LETTRE DE CHRISTOPHE COLOMB
SUR LA DECOUVERTE DU NOUVEAU MONDE

 Publiée d’après la rarissime version latine conservée à la Bibliothèque impériale

TRADUITE EN FRANÇAIS
COMMENTÉE ET ENRICHIE DE NOTES PUISÉES AUX SOURCES ORIGINALES par LUCIEN DE ROSNY

1865

Merveilleuse entreprise, l’Europe se trouvait sous l’émotion d’un fait plus important encore, et qui est devenu, non sans raison, le point de départ de l’ère des temps modernes. Une dernière invasion définitivement triomphante, effaçant de ce monde les vestiges de l’empire romain, avait assis le barbare aux portes de la civilisation. Depuis la prise de Constantinople, la chrétienté, menacée dans ses foyers, devait s’attendre à la continuité de l’état de guerre religieuse que le Coran impose à ses sectateurs ; dès lors plus d’expédition possible en Orient, plus de rapport facile avec les Échelles, l’Égypte, les Indes, possédées ou parcourues par le mahométan ; la navigation de la Méditerranée devenait des plus dangereuses, et le commerce, sinon la subsistance de l’Europe, était compromis. Un immense besoin d’expansion portait vers l’inconnu une activité, qui, en même temps qu’elle perdait ses anciens débouchés, se trouvait surexcitée par le travail intellectuel précurseur de la Renaissance.

On croyait bien alors que la terre était ronde ; mais, à défaut de moyens exacts d’appréciation, on était loin de se faire une idée de ses dimensions ; et, soit qu’on les réduisît outre mesure, soit qu’on s’exagérât la distance réelle des limites de l’extrême Orient, on s’imaginait retrouver les Indes au delà de l’océan Atlantique, sans se rendre compte de l’étendue possible des grandes mers, dont la Méditerranée n’est qu’une miniature.

Telles sont les pensées qui, après avoir guidé Chr. Colomb, l’ont constamment suivi dans sa carrière, et lui ont même longtemps survécu. Le but de l’amiral génois, c’est de substituer une nouvelle route à celle de l’Égypte et de la mer Rouge, c’est de prendre à revers le pays des épices et de remonter le Gange. Dès la première île qu’il découvre, il se croit aux Indes ; et il impose aux habitants du Nouveau-Monde un nom d’emprunt, qu’ils ne perdront jamais. Á Cuba, il se croit en Chine et s’étonne de ne pas y rencontrer le grand khan des Tartares ; et, quoique son expédition ne lui ait pas fait rencontrer les produits de l’extrême Orient qu’il était venu chercher, il se fait fort d’en envoyer au roi d’Espagne, autant qu’il plaira à ce souverain de lui en demander.

Il est donc bien certain que Colomb ne cherchait pas un nouveau monde, et que les préoccupations scientifiques n’entraient pour rien dans ses visées. Trois objets remplissent ses intentions : la conquête politique, qui s’effectue sans le moindre scrupule, au nom du droit du plus fort ; les relations commerciales et internationales que les gens de l’époque entendaient en vrais forbans, toutes les fois qu’une force suffisante ne les tenait pas en respect ; enfin, le prosélytisme religieux, d’autant plus redoutable qu’il était encore très-naïf. Ceux qui vinrent après Colomb, et qui furent, pour la plupart, des aventuriers de la pire espèce, n’eurent pas d’autres mobiles que ceux qui viennent d’être indiqués ; mais une cupidité sans frein et l’absence de tout sentiment d’humanité leur dictèrent une autre conduite : l’histoire n’aura pas assez d’exécrations pour la raconter.

Si les aventuriers envahisseurs de l’Amérique ne s’étaient montrés que cruels, on les aurait peut-être plus facilement oubliés ; mais ils furent inintelligents, et leur nom revient forcément à la pensée toutes les fois que l’on songe au passé de ce malheureux pays.

En effet, autant par suite de la disparition des monuments qu’on a détruits ou laissé perdre, que par suite de l’état d’ignorance et du défaut de traditions chez un grand nombre des peuples de cette immense contrée, l’Amérique n’a point d’histoire. Il y avait là cependant une civilisation propre, qui s’est malheureusement perdue elle-même, mais dont les vestiges ont été en partie retrouvés : réunir ces éléments, les coordonner, et en tirer les conclusions historiques qu’ils peuvent contenir, telle est la mission que s’est imposée le comité d’archéologie américaine. À peine constituée, cette réunion de savants a donné, dans la Revue américaine, des études pleines d’intérêt. Associée à la Société d’Ethnographie, elle espère former aussi une intéressante collection d’objets spéciaux à la science qu’elle cultive ; mais elle a compris en même temps que ce qu’il faut avant tout, dans un pareil ordre de recherches, c’est la multiplication des éléments de travail qui font généralement défaut. À cet effet, le comité compte entreprendre ou favoriser la publication des plus précieux documents qui seront à sa disposition.

On ne pouvait mieux commencer que par la lettre où Christophe Colomb rend compte des premiers rapports du monde ancien avec le monde nouveau. M. Lucien de Rosny, qui a bien voulu se charger de ce travail, l’a exécuté avec tout le soin et l’entente désirables : le texte, en certains points fautif ou douteux, a été comparé et autant que possible amendé ; tout en le serrant de près, la traduction n’y est pas asservie, on n’y oublie point les nécessités de la clarté et de l’intelligence ; enfin, des notes, aussi complètes qu’on peut les souhaiter, donnent non-seulement aux gens du monde, mais aux savants mêmes, des indications indispensables pour posséder complètement l’esprit de la situation. Ce petit ouvrage doit à de pareilles conditions un intérêt des plus vifs ; il sera la base de la collection de tout Américaniste.

ALPH. CASTAING,
Président du Comité.

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Christopher Columbus

MARCO POLO 马可波罗 VILLA BORGHESE – 贝佳斯别墅 – ROME – ROMA – 罗马

ROME – ROMA – 罗马
马可波罗

LA VILLA BORGHESE
贝佳斯别墅

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 Photos  Jacky Lavauzelle

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Les Bustes de la Villa Borghèse
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I busti della villa Borghèse

MARCO POLO
马可波罗
Venise 1254 – Venise 1324
威尼斯 Venice

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Marco Polo portrait Marco Polo Villa Borghese Artgitato Rome Roma

ETIENNE-JEAN DELECLUZE
Revue des Deux Mondes
1832 – tome 7
Marco Polo

Andréa Polo de Saint Felice, noble patricien de Venise, Dalmate d’origine, eut trois fils, nommés Marco, Maffio et Nicolo : ce dernier qui fut père de Marco Polo, le fameux voyageur, ainsi que Maffio son oncle, étaient marchands à Venise. Il parait même qu’ils étaient en société de commerce et que poussés par cet esprit entreprenant et aventureux qui animait alors tous les citoyens de cette république, ils combinèrent une expédition et s’embarquèrent ensemble pour Constantinople, qui alors était en relation habituelle et intime avec Venise. C’était à l’époque où l’empire grec avait été conquis par les armes da la France, réunies à celles de la république, et où l’ambassadeur de ce dernier gouvernement prenait, au moyen de son alliance avec Baudouin II [1], une très grande part à tout ce que faisait le gouvernement impérial.

Dans la plupart des manuscrits et des éditions imprimées du voyage de Marco Polo, il y a quelques différences de dates sur l’année où les deux premiers voyageurs, Marco et Maffio, arrivèrent à Constantinople. Mais la confrontation de ces livres donne lieu de croire que les voyageurs ne s’y trouvèrent pas plus tard qu’en 1254 ou 1255.

Après avoir vendu les marchandises qu’ils avaient apportées d’Italie, ils avisèrent au moyen de faire valoir leurs capitaux. Ayant entendu parler d’objets précieux à vendre parmi les Tartares occidentaux, ils résolurent d’aller au milieu de ces peuples. Ceux ci, après avoir ravagé plus leurs provinces de l’Asie et de l’Europe, s’étaient établis sur les bords du Wolga, avaient bâti des villes et y vivaient sous une espèce de gouvernement régulier.

Lorsqu’ils eurent fait des achats considérables de joyaux précieux, ils traversèrent la mer Noire, abordèrent en Crimée ; puis, continuant leur voyage par terre et par eau, ils arrivèrent enfin à la cour ou au camp de Barkah, frère ou fils de Batu, petit-fils de Tchingkis-Kan, qui faisait sa résidence tantôt à Saraï et tantôt à Bolghar, noms bien connus des géographes du moyen-âge.

Les voyageurs eurent à se louer de la bonne réception que leur fit ce prince, auquel ils offrirent tout ce qu’ils possédaient de précieux. Barkah accepta leur don, mais leur remit une somme double en valeur et y joignit encore des présens. Marco et Maffio restèrent un an environ dans ce pays.

Bientôt un différend s’éleva entre Barkah et Hulagu, son cousin, chef d’une horde voisine. Une guerre s’ensuivit, et Barkah ayant été vaincu, nos voyageurs dont le dessein était de retourner à Constantinople, sachant que toutes les routes étaient interceptées par les troupes victorieuses, furent contraints de chercher un chemin plus sûr en faisant de grands circuits. Ils arrivèrent jusqu’au haut de la mer Caspienne, traversèrent le Jaik et le Jaxartes, prenant cette dernière rivière pour l’une des quatre qui coulent dans le Paradis, et après avoir parcouru les déserts de Transoxiana, ils parvinrent à la grande cité de Bokhara.

Le hasard fit qu’au même moment où ils étaient arrêtés dans cette ville, un noble Tartare, envoyé par Hulagu à son frère Kublaï, y fit aussi une halte. Le messager, poussé par la curiosité de voir et d’entendre des Latins qu’il n’avait jamais eu l’occasion de rencontrer, fit connaissance avec les deux marchands vénitiens, prit plaisir à entendre leur langage et à profiter de leurs connaissances ; en telle sorte qu’il leur proposa de venir le rejoindre à la cour de l’empereur, ayant soin de les assurer qu’ils seraient protégés pendant leur voyage, et que le prince ne manquerait pas de leur faire une réception favorable. Nos voyageurs, fort incertains de pouvoir retourner à Constantinople, ou poussés plutôt par le goût des entreprises et l’espoir d’augmenter leurs richesses, acceptèrent la proposition. Après s’être recommandés à Dieu, ils poursuivirent leur voyage vers des contrées que, dans leur esprit, ils estimaient être les extrémités de l’Orient. Après avoir voyagé un an, ils arrivèrent à la résidence impériale.

La manière gracieuse dont ils furent reçus par le grand Kan, chef de tous les Tartares, leur donna bonne espérance. Ce prince leur adressa des questions sur toutes les parties occidentales du monde, sur l’empereur des Romains et sur tous les rois et princes de la chrétienté. Il s’informa de l’importance respective de ces souverains, de l’étendue de leurs possessions, de la manière dont la justice était administrée dans chaque état ; comment les princes faisaient la guerre, et par-dessus tout il multiplia les questions au sujet du pape, des affaires de l’église et de la doctrine et de la foi des chrétiens. Les voyageurs, dit la relation de Marco Polo, répondirent en gens sages et discrets, mesurant toutes leurs réponses d’après l’importance des matières et faisant usage du langage tartare (Moghul), ce qui augmenta singulièrement l’estime que le grand Kan avait conçue pour eux,

Ce passage fort curieux de Marco Polo où il règne une espèce de réserve diplomatique, a donné lieu de croire que l’intérêt que le grand Kan semble prendre à l’église et à la foi chrétienne, avait été exagéré par le zèle de ceux qui originairement tirèrent des copies de la relation de Marco Polo. Mais l’importance que les Tartares Moghuls mettaient à savoir quel était l’état des puissances chrétiennes de l’Occident, avec lesquelles elles faisaient alors cause commune contre les Sarrasins et les Mahométans, est assez connue pour que l’on s’explique avec quel intérêt et quelle curiosité bienveillante le prince mongol a dû écouter les renseignemens que lui donnèrent nos deux Vénitiens. Non-seulement cette alliance d’intérêt entre les Tartares et les chrétiens occidentaux existait, comme on n’en a jamais douté, mais on a acquis la certitude, depuis quelque temps, qu’il s’était établi non-seulement avec le pape, mais avec le roi de France et les successeurs de la race de Tchingkis-Kan, des relations diplomatiques dont les pièces originales en langue mongole existent dans les archives royales de France.

C’est au savant M. Abel Rémusat que l’on doit cette découverte sur laquelle il donne lui-même des détails qui serviront de commentaire à la partie de la relation de Marco Polo, où il parle du grand Kan Kublaï à la cour duquel il a été admis. « Je m’étais occupé, dit M. Abel Rémusat [2], de rechercher quelles avaient été l’origine et l’occasion des rapports que saint Louis et ses successeurs raient eus avec les princes de la race de Tchingkis-Kan. Des passages oubliés de nos vieilles chroniques, des particularités négligées par nos historiens, des monumens originaux ensevelis dans nos archives, m’avaient appris les motifs de ces négociations que Voltaire, Deguignes et plusieurs autres ont traitées de fabuleuses, parce qu’ils n’en avaient pas deviné l’objet et qu’ils n’en saisissaient pas l’enchaînement. « La terreur que l’irruption subite des Mongols avait inspirée depuis la Corée et le Japon jusqu’en Pologne et en Silésie, s’était propagée en Allemagne, en Italie et en France même. On voulut savoir quels étaient ces barbares nouveaux qui menaçaient d’envahir encore une fois l’Europe romaine, après avoir conquis et dévasté l’Asie. On hasarda de leur envoyer des ambassadeurs ; on brava leurs menaces, on dévora leurs mépris, et le résultat des courses lointaines et périlleuses entreprises par les envoyés de saint Louis et du pontife romain, fut d’ouvrir avec les généraux tartares devenus souverains de la Perse, de l’Arménie et de la Géorgie, des relations qu’on espérait faire tourner au profit du christianisme et de la cause des croisés. Tel fut l’état de ces négociations dans leur première période….

« La haine des nations musulmanes, commune aux Tartares et aux chrétiens, conduisit les uns et les autres à combiner leurs efforts. On fut d’autant plus disposé à agréer les propositions des Mongols, qu’ils passaient alors pour avoir une grande propension au christianisme. C’était presque être chrétien, dans ces siècles peu éclairés, que d’être ennemi des musulmans. Enfin les Tartares avaient été pris d’abord pour des démons incarnés, quand ils avaient attaqué les Hongrois et les Polonais ; peu s’en fallut qu’on ne les jugeât tout-à-fait convertis, quand on vit qu’ils faisaient avec acharnement la guerre aux Turcs et aux Sarrasins.

« Dans ce moment, la puissance des Francs, en Syrie, était sur son déclin ; elle ne tarda même pas à tomber sous les coups des sultans d’Egypte ; mais de nouvelles croisades pouvaient la relever en un instant. Les Mongols se mirent à en solliciter dans l’Occident. Ile joignirent leurs exhortations à celles des Géorgiens, des Arméniens, des Grecs, des croisés réfugiés en Chypre. Les premiers Tartares avaient débuté par des menaces et des injures. Les derniers en vinrent aux offres, et descendirent jusqu’aux prières. Des ambassadeurs furent envoyés par eux en Italie, en Espagne, en France, en Angleterre, et il ne tint pas a eux que le feu des guerres saintes ne se rallumât de nouveau et ne s’étendît encore sur l’Europe et sur l’Asie. On peut croire qu’ils avaient aisément fait entrer les papes dans leurs vues, et qu’ils trouvaient en eux de zélés auxiliaires ; mais, circonstance aussi singulière que peu remarquée, ce n’était plus de Rome ou, d’Avignon, c’était de la cour de ces rois idolâtres que partaient d’abord ces sollicitations pour engager les rois chrétiens à venir à la délivrance du Saint-Sépulcre ; et lorsque Clément y prêcha cette grande croisade qui devait mettre la Palestine entre les mains des Francs, c’est qu’il avait vu à Poitiers des envoyés mongols, qui lui avaient appris qu’une paix générale venait d’être conclue entre tous les princes de la Tartarie, depuis la grande muraille de la Chine jusqu’aux frontières du pays des Francs. Cette circonstance permettait au roi de Perse de mettre à la disposition de Philippe-le-Bel, pour une expédition en Syrie, deux cent mille chevaux, deux cent mille charges de blé et plus de cent mille cavaliers tartares que le prince s’offrait de conduire en personne. La lettre, en langue mongole, relative à ces dispositions, est un rouleau de dix-huit pouces de haut sur neuf pieds de longueur, lequel existe encore aujourd’hui dans les archives du royaume. »

C’est pendant le cours de ces relations diplomatiques que nos Vénitiens étaient à la cour du grand Kan. On peut supposer même qu’ils avaient reçu quelques commissions particulières de l’empereur Beaudoin II, dont la politique s’accordait alors avec celle de la république de Venise, ce qui motiverait la réserve avec laquelle ils rendent compte de leur réponse, et l’intérêt que le prince tartare leur témoigna sur tout ce qui touchait aux intérêts des chrétiens occidentaux.

Quoi qu’il en soit, ce que Marco Polo rapporte des questions qui lui furent adressées par Kublaï, joint à la découverte faite par M. Rémusat des relations officielles qui ont existé entre les princes tartares et les souverains de l’Occident, prouve qu’il y avait un fondement à ces discours vagues qui couraient dans toutes les bouches en Europe aux treizième, quatorzième et quinzième siècles. Il n’était question alors que d’un grand souverain dont les vastes états occupaient l’Asie centrale ; tous les auteurs écrivaient et chacun répétait que le grand Kan, attaché à la religion chrétienne, demandait instamment qu’on lui envoyât de Rome des missionnaires qui pussent instruire les peuples idolâtres dans la religion chrétienne. Les ambassades auxquelles les croisades donnèrent lieu, firent sans doute naître ces bruits qui prirent encore plus de consistance, lorsque, vers 1298, les copies de la relation de Marco Polo commencèrent à se répandre en Europe.

Maintenant que nous avons fait connaître de quelle nature et de quelle importance étaient les relations diplomatiques qui s’étaient établies entre les Tartares et les nations de l’Occident, revenons à l’histoire des deux marchands vénitiens qui, en rentrant dans leur patrie, donnèrent l’éveil sur ce grand événement et jetèrent en Europe les premières notions positives que l’on ait eues sur les nations de l’Asie.

Le grand Kan, satisfait de la précision des réponses de Maffio et de Nicolo Polo, ainsi que de l’habileté qu’ils montraient dans les affaires, résolut de les aider à retourner en Italie, en les faisant accompagner par un de ses officiers qu’il revêtit de la qualité d’ambassadeur auprès du saint siège de Rome. Cet envoyé était chargé de supplier sa Sainteté d’envoyer des missionnaires pour répandre l’instruction religieuse parmi les peuples de la Tartarie. Cependant, sans prétendre absolument que le grand Kan fût tout-à-fait indifférent à la foi chrétienne, il est permis de croire que les dispositions hostiles des chrétiens envers les musulmans qui étaient aussi ses ennemis, ont pu engager ce prince à flatter le pape d’un espoir sur lequel il comptait peu lui-même.

Cependant les deux Vénitiens partirent pour retourner dans leur pays, et vers le commencement du voyage, l’ambassadeur tartare qui les accompagnait, tomba malade, resta en arrière et ne les rattrapa plus . Toutefois les voyageurs européens, munis d’un firman du prince qui leur assurait aide, protection et respect partout où ils passaient, parvinrent, au bout de trois ans, jusqu’aux rives de la Méditerranée. Ce fut de Giazza ou Ayas dans le royaume de la Basse-Arménie qu’ils s’embarquèrent pour Acre, alors tombée au pouvoir des chrétiens, et où ils arrivèrent au mois d’avril 1269.

En mettant pied à terre, ils apprirent la nouvelle, de la mort du pape Clément IV ; elle avait eu lieu l’année précédente. Le légat qu’ils trouvèrent à Acre leur conseilla de ne pas parler de l’ambassade dont ils étaient chargés, avant l’élection d’un nouveau pape, ce qui décida les voyageurs à profiter de cet intervalle de temps pour aller revoir leur famille à Venise.

En arrivant dans leur patrie, Nicolo Polo apprit que sa femme, qu’il avait laissée enceinte, était morte en accouchant d’un fils auquel elle avait donné le nom de Marco, en mémoire du frère aîné de son mari. Ce fils, dit la relation, était près de toucher à l’âge viril, et d’après la confrontation des dates incertaines du départ avec celle du retour, 1269, on estime que Marco Polo le célèbre voyageur, fils de Nicolo et auteur de la relation qui nous occupe, était né en 1254, et avait seize ans lorsqu’il vit son père.

Le pape Clément IV était mort à Viterbe au mois de novembre 1268, et ce ne fut qu’au mois de septembre 1271 que Grégoire X, son successeur, fut élu. Pendant trois ans, le sacré collège resta assemblé dans Viterbe et même tenu enfermé par le Podesta de la ville sans pouvoir se réunir. Enfin, par le conseil de saint Bonaventure, présent et cardinal lui-même, il se détermina à faire un compromis entre les mains de six de ses membres, lesquels élurent tout d’une voix Thealde (Théobalde), qui n’était autre que ce légat du pape que les voyageurs vénitiens avaient trouvé à Acre, et qui leur avait conseillé de ne faire connaître l’objet de leur mission qu’après l’élection du pape.

Mais les Polo n’eurent pas la patience d’attendre la décision du sacré collège. Craignant donc d’encourir la disgrâce de leur protecteur asiatique, Maffio et Nicolo prirent la résolution d’aller retrouver le légat à Acre pour s’entendre avec lui et reprendre le chemin de l’Asie. Ce fut dans cette occasion que les deux voyageurs vénitiens emmenèrent avec eux le jeune Marco Polo, fils de Nicolo. Arrivés à Acre, ils se munirent de lettres que le légat leur donna pour remettre à l’empereur de Tartarie, et ils s’embarquèrent pour Ayas. Mais à peine avaient-ils mis à la voile, qu’ils reçurent avis que le légat Théobalde de Plaisance était nommé pape. Ce nouveau pontife ayant fait revenir vers lui les trois voyageurs, substitua aux premières instructions qu’il leur avait données, des lettres papales, écrites selon l’usage que sa nouvelle dignité lui faisait un devoir de suivre. Il leur donna ensuite sa bénédiction et leur confia deux frères prêcheurs, chargés de remettre de riches présens, de la part du pape, au grand Kan des Tartares.

Ces arrangemens et le départ de la famille eurent lieu vers la fin de l’an 1271. Alors la partie septentrionale de la Syrie avait été envahie par le soudan d’Egypte, et l’alarme que causait son approche vers les frontières de la basse Arménie était telle, que les deux frères prêcheurs, commissionnés par le nouveau pape, n’osèrent pas s’y enfoncer et retournèrent prudemment à la côte.

Quant à la famille Polo, sans être arrêtée par l’idée des dangers qu’ils pouvaient courir, ils poursuivirent leur voyage vers l’intérieur de l’Asie, en suivant la direction du nord-est. D’après la relation, il paraît qu’ils n’eurent à surmonter que des difficultés dont les causes étaient naturelles, car rien n’indique qu’ils aient jamais été arrêtés hostilement dans le cours de leur long voyage.

Ils traversèrent la Haute-Arménie, une partie de la Perse, le Khorassan, et arrivèrent dans le pays de Badaksan au milieu des sources de l’Oxus, où ils s’arrêtèrent un an.

Dans ces contrées, alors, comme il arrive aujourd’hui même encore, on ne voyageait qu’avec de grandes difficultés et beaucoup de lenteur. Les conquêtes des Tartares avaient détruit beaucoup de villes, et celles qui restaient étaient souvent à de grandes distances l’une de l’autre. Outre ces inconvéniens, la route que l’on voulait suivre était coupée par des fleuves, des marais, des montagnes et des déserts. Il fallait souvent attendre qu’un assez grand nombre de voyageurs, tendant vers le même but, fussent rassemblés pour former une caravane qui pût surmonter les obstacles qu’offriraient les lieux, et se défendre en cas d’attaque. Peut-être est-ce par des causes de cette nature, jointes aux opérations commerciales que les Polo faisaient en route, que l’on peut expliquer le séjour d’un an qu’ils firent près des sources de l’Oxus. Toutefois il paraît, d’après un passage de la relation (Liv. I, chap. 25), que Marco Polo a éprouvé là une longue indisposition dont il ne s’est rétabli qu’en faisant des excursions dans les montagnes environnantes, dont il vante les salutaires bienfaits.

Ce fut là qu’ils recueillirent des renseignemens sur le royaume de Cachemire et sur d’autres provinces qui forment de ce côté les limites de l’Inde ; mais ils ne voyagèrent pas dans cette direction. Ils suivirent la route qui conduit à la vallée de Vokhan d’où ils montèrent dans les régions élevées de Pamer et de Belor et parvinrent à la ville de Khasghar qui faisait partie des vastes états du grand Kan. Après avoir dit quelques mots de Samarkand, situé à l’ouest de leur route, ils font aussi mention de Yerhen, et vont directement à Koten, ville célèbre. Enfin, après avoir traversé plus leurs villes moins importantes et peu connues aujourd’hui, ils arrivent au désert de Lop ou Kobi, dont ils donnent une description circonstanciée. (Chap. XXXV livre I, édit. Marsden). Après avoir employé trente jours à traverser ce désert, ils entrent dans le district de Tangut, coupent le pays que les Chinois nomment Si-Fan ou Tu-Fan, passent par la ville appelée Scha-Cheu, la Ville du Sable, et de là se dirigent vers l’extrémité ouest de la province de Shen-Si jusqu’à la cité de Kan-cheu.

En cet endroit, ils furent encore obligés de s’arrêter, mais Marco Polo ne donne pas précisément la cause de ce retard ; seulement, il indique que cette ville était une de celles où les voyageurs occidentaux avaient coutume de faire halte et de se reposer.

Il paraîtrait que nos voyageurs, ayant eu des désagrémens à essuyer de la part des autorités locales à Kan-cheu, trouvèrent moyen de faire savoir leur arrivée au grand Kan qui aurait alors ordonné que l’on protégeât au contraire ces voyageurs italiens.

Enfin, ils furent reçus par le grand Kan dans sa capitale nommée Tay-yuen-fu. L’accueil qu’ils reçurent de ce prince fut tout-à-fait favorable. Les voyageurs, après s’être prosternés selon l’usage en présentant leurs lettres, rendirent compte au grand Kan de leur mission et donnèrent les détails de tout ce qu’ils avaient fait en Europe. Le prince les écouta avec intérêt, les loua de leur zèle, accepta avec plaisir les présens qui lui étaient envoyés par le pape, et avec respect un vase rempli d’huile du saint sépulcre de Jésus-Christ, que l’on avait été chercher exprès à Jérusalem, ajoutant, en le recevant, que ses vertus devaient être grandes, si l’on en jugeait par l’importance et la valeur qu’y attachaient les chrétiens.

Le grand Kan remarqua le jeune Marco, notre auteur, et ayant su qu’il était le fils de Nicolo Polo, il l’honora d’un accueil particulier, le prit sous sa protection et lui donna un emploi dans sa maison. Cette position fournit à ce jeune homme les moyens de se distinguer par ses talens et de se faire respecter à la cour du prince tartare. Il adopta les manières du pays, et acquit la connaissance des quatre langues qui y étaient le plus en usage, le mongol, l’iey-ighur, le mantchou et le chinois. Bientôt il devint un favori utile pour son maître qui l’employa à des affaires importantes et délicates dans les parties les plus éloignées du siège de son empire. On voit par exemple au chapitre LXX du IIe livre (édition Marsden), que Marco Polo fut chargé, pendant trois ans, du gouvernement de la ville importante de Yan-gus, qui en comprenait vingt-sept autres dans sa juridiction.

Parmi les contrées dont la relation de Marco Polo révéla l’existence à l’Europe, et auxquelles elle donna une grande célébrité, il faut compter le royaume de Cathay, qui comprend la moitié septentrionale de la Chine, et l’île de Zipangu, que l’on a désignée depuis sous le nom de Japon.

L’île et le royaume de Zipangu ou japon fit naître à Kublaï, le grand Kan, l’idée de s’en rendre maître. Il équipa une flotte nombreuse, et par ce moyen y fit transporter une armée considérable. Mais les vents excitèrent une tempête terrible qui en submergea une partie, et dissipa le reste. Marco Polo, qui reporte cet événement à l’année 1264, était alors dans les états du grand Kan, mais ne dit pas s’il a été témoin de cette catastrophe, ou s’il en parle seulement d’après le rapport de ceux qui avaient fait partie de cette expédition.,

Quoi qu’il en soit, les trois circonstances des voyages de Marco Polo, qui firent impression en Europe lorsqu’il en publia la relation, furent les richesses immenses du grand Kan que l’on regardait comme disposé à se faire chrétien, l’existence du royaume de Cathay où l’or, les perles et toute espèce de richesses étaient en grande abondance, et enfin l’idée d’une grande île, celle de Zipangu (Japon), qui était située à l’extrémité orientale de l’Inde.

Marco Polo profita de ces différentes missions pour observer les mœurs, les usages des habitans, ainsi que les localités et les richesses des différens pays où il se trouvait. Il faisait des notes de toutes les choses remarquables, dans l’intention de satisfaire sur cet important sujet, l’extrême curiosité du grand Kan Kublaï. C’est à ces notes qu’il fît pour accomplir un devoir, que nous devons la relation de ses voyages dont il eut plus tard l’idée de donner connaissance à l’Europe. Au surplus, ce fut cette attention pour son maître qui augmenta la confiance que ce dernier avait en lui, et c’est après avoir présenté ce résultat de ses observations que Kublaï lui confia, pendant trois ans, la place de gouverneur d’un district.

Selon toute apparence, le père et l’oncle de Marco Polo conservèrent aussi la faveur du grand Kan, car peu après l’époque de leur arrivée chez ce prince, ils eurent l’occasion de lui rendre un service signalé. Le prince tartare faisait le siège d’une ville très importante de la Chine, Siang-yang-fu, qui résistait depuis trois ans à ses attaques. Nos deux Vénitiens firent connaître à Kublaï l’usage des catapultes au moyen desquels ils lancèrent tant de pierres dans la ville que les habitans se rendirent.

Il y avait dix-sept ans que nos voyageurs étaient dans ce pays, et jouissaient des plus brillans avantages à la cour du grand Kan, lorsqu’ils éprouvèrent le désir si naturel de revoir leur patrie. L’âge avancé et l’avenir tant soit peu incertain de leur protecteur leur firent faire des réflexions sérieuses sur leur propre sort : craignant que ce prince ne vînt à mourir, ce qui aurait pu faire naître des difficultés insurmontables pour leur retour en Europe, ils témoignèrent le désir de partir. Les efforts qu’ils firent pour obtenir le consentement de l’empereur furent d’abord non-seulement inutiles, mais leur attirèrent même des reproches de la part de Kublaï. Il leur fit entendre que, si la résolution de le quitter était causée par le désir et l’espérance qu’ils avaient d’augmenter leurs richesses, il était disposé à les combler de biens au-delà de tout ce qu’ils pourraient jamais souhaiter, mais que, quant à leur départ, ils ne devaient pas y penser. Au milieu des chagrins que leur causa cette espèce d’esclavage, leur bonne fortune permit qu’ils fussent tirés d’embarras par un événement tout-à-fait inattendu.

Il arriva vers ce temps, à la cour de Kublaï, des ambassadeurs qui lui étaient envoyés par un prince tartare-mongol, nommé Arghun, qui régnait en Perse : c’était le petit-fils de Houlagou, et par conséquent le petit-neveu du grand Kan. Cet Arghun, ayant perdu sa principale femme, issue du sang impérial, avait promis à cette épouse, lorsqu’elle était au lit de mort, de ne pas faire tort à sa mémoire, en formant une nouvelle alliance avec une autre femme inférieure à elle par la naissance. Pour accomplir ce vœu, et d’après les conseils de sa famille, il envoya donc une ambassade à son seigneur suzerain, pour obtenir de lui une femme de leur famille impériale. Cette demande fut aussitôt accueillie par le grand Kan, qui fit choix d’une princesse âgée de dix-sept ans parmi ses petites filles. Elle se nommait Kogatin, dit la relation, et elle était aussi aimable que belle. Les ambassadeurs, satisfaits des qualités de la jeune fiancée royale, se mirent en route, accompagnés d’une suite nombreuse, pour la conduire en Perse ; mais, après avoir voyagé quelques mois, car, ainsi qu’on l’a déjà fait observer, on ne marche pas vite dans ces contrées, la caravane n’osa plus avancer à cause des troubles qui avaient lieu dans différens états, à la suite des querelles fréquentes qui commençaient à s’élever entre les petits princes tartares. La crainte s’empara tellement des ambassadeurs chargés de conduire la jeune princesse, qu’ils prirent le parti de retourner à la capitale du grand Kan. Ce fut à ce moment et lorsque les envoyés de Perse étaient près de Kublaï, que Marco Polo y arriva aussi, revenant d’un grand voyage qu’il avait fait dans les îles voisines de la Chine. Il soumit à son souverain, selon sa coutume, les observations qu’il avait été à même de faire sur la navigation possible de ces mers. Ces renseignemens parvinrent jusqu’aux oreilles des ambassadeurs persans. Ils espérèrent trouver par cette nouvelle route un moyen plus sûr de regagner leur pays, et s’abouchèrent avec les voyageurs vénitiens. Rapprochées par un intérêt commun, l’ambassade persane et la famille vénitienne s’entendirent pour représenter au grand Kan que l’expérience des chrétiens dans les voyages par mer serait une raison pour qu’on les chargeât de conduire la jeune princesse et l’ambassade par la mer de l’Inde jusqu’au golfe Persique.

Quelque contrariété qu’occasionât cette demande à Kublaï, il ne put cependant, à cause de l’impossibilité où les Persans étaient de faire leur voyage par terre, la refuser. On fit donc des préparatifs extraordinaires pour cette expédition ; on équipa quatorze vaisseaux à quatre mâts, dont l’équipage de quelques-uns se montait à deux cent cinquante hommes, et l’on approvisionna cette flotte pour deux ans. Le grand Kan donna des passeports et des lettres de recommandation aux Vénitiens pour tous les lieux soumis à sa puissance ; puis, après leur avoir fait de riches présens en joyaux, il leur dit qu’il comptait sur leur retour et les autorisa à agir comme ses ambassadeurs auprès du pape, des rois de France et d’Espagne et de tous les princes chrétiens.

Cette expédition remarquable mit à la voile vers le commencement de l’an 1291, trois ans avant la mort de Kublaï, et quatre ans avant le retour de Maffio, Nicolo et Marco Polo, à Venise, en 1295. Depuis la rivière Pe-ho qui traverse le district de Pe-King et va se jeter dans la mer Jaune, voici la route que tint la flotte et que trace Marco Polo dans sa relation. Elle toucha d’abord au port de Zaitun dans la province de Fo-Kien, puis passa par l’île de Hai-nan et suivit la côte de Anan ou de la Cochinchine. Après avoir dépassé la côte de Kamboia, on se dirigea vers l’île de Bintan, située à la pointe méridionale de la péninsule Malaise (Malayan). Puis remontant vers le nord-ouest parle détroit que forment cette presqu’île et Sumatra, la flotte, après avoir été arrêtée pendant cinq mois pour attendre un vent favorable, passa près des îles Nicobar et Andamans, et traversa la baie du Bengale, en se dirigeant vers l’île de Ceylan, et de là à Olmuz dans le golfe Persique, où se termina cette grande navigation qui dura dix-huit mois.

A peine la jeune princesse, les ambassadeurs persans et nos Vénitiens étaient-ils débarqués, que l’on apprît qu’Arghun, ce roi mongol pour qui on avait amené une fiancée avec tant de peine, était mort depuis quelque temps (1291) ; que le pays était gouverné par un régent, un protecteur, qui passait pour être disposé à s’emparer de la souveraineté, et que le fils d’Arghun le dernier roi, Ghazan, qui par la suite s’est rendu célèbre en remontant sur le trône de son père, était à la tête d’une armée dans le Korasan, attendant l’occasion de faire valoir ses droits. Nos voyageurs, ainsi que la fiancée et les ambassadeurs, dirigèrent leurs marche vers ce prince, et lorsque les Vénitiens eurent remis entre les mains de Ghazan le dépôt royal qui leur avait été confié par Kublaï, ils allèrent à Tauris où ils se reposèrent des fatigues de leur long voyage, pendant neuf mois. De là ils atteignirent Trébizonde sur les bords de la mer Noire, où ils s’embarquèrent pour retourner à Venise, leur patrie. Ces trois célèbres voyageurs revirent leur pays en 1295, après une absence de vingt-quatre ans.

Au récit qui précède et qui est extrait de la relation même de Marco Polo, on ajoutera ce que les traditions vénitiennes ont conservé de la vie et des aventures de ces voyageurs, lorsqu’ils furent rentrés dans leur pays, en Europe. On prétend qu’à leur arrivée à Venise, on leur fit une réception à-peu-près semblable à celle qu’Ulysse éprouva en abordant à lthaque. Ils ne furent reconnus par personne, pas même par leurs plus proches parens ; car, pendant leur longue absence, on avait répandu le bruit de leur mort, et on la regardait généralement comme certaine. D’ailleurs les fatigues des voyages, les inquiétudes d’esprit qu’ils avaient éprouvées, et le changement que vingt-quatre années avaient apporté sur leurs visages, rendaient l’incrédulité de leurs compatriotes assez naturelle ; leur langage italien, corrompu par l’usage des langues de l’Asie ; leurs manières tant soit peu tartares et leur costume étranger, tout enfin contribuait à les faire méconnaître pour des Italiens.

Le beau palais de la famille Polo, habité par ceux des parens qui n’étaient point sortis de Venise, était situé dans la rue Saint-Jean Chrysostome. Quand nos voyageurs demandèrent à y être admis, ceux de leurs pareils qui occupaient la maison eurent toutes les peines du monde à se persuader que ces hommes si bizarrement vêtus, dont les manières leur paraissaient si étranges, et qu’enfin ils tenaient pour morts, fussent des leurs. Ils ne voulaient pas les reconnaître.

Placés dans cette situation fausse, et désirant se faire reconnaître, nos trois voyageurs eurent recours à un expédient assez singulier. Ils firent faire dans leur palais les apprêts d’une fête magnifique, à laquelle ils invitèrent tous leurs pareils et leurs anciennes connaissances. Lorsque l’heure de se mettre à table fut arrivée, Maffio, Nicolo et Marco Polo sortirent d’un appartement intérieur, vêtus de grandes simarres couleur de pourpre et traînant jusqu’à terre, telles qu’il était d’usage d’en porter alors dans les grandes cérémonies. Après que le lavement des mains fut terminé, comme chacun se mettait en devoir de prendre place à table, ils ôtèrent eux-mêmes ces vêtemens et en mirent d’autres semblables, mais en damas cramoisi. Les premiers habits ayant été déchirés en pièces, on en distribua les morceaux aux serviteurs. Après le premier service, ils se déshabillèrent encore, passèrent de nouvelles simarres de velours cramoisi, partagèrent de nouveau entre les domestiques celles qu’ils venaient de quitter. Enfin, quand le repas fut terminé, on distribua également les robes de velours cramoisi. Alors les trois hôtes parurent vêtus d’habillemens simples et semblables à tous ceux que portait la compagnie. Tous les assistans, fort étonnés de ce qu’ils avaient déjà vu, attendaient avec impatience ce qui allait s’ensuivre. Aussitôt donc que le repas fut terminé et que l’on eut donné l’ordre aux domestiques de se retirer, Marco Polo, comme le plus jeune, se leva de table, passa dans une pièce voisine d’où il revint bientôt, tenant les trois vêtemens sales et usés avec lesquels les trois voyageurs étaient arrivés d’abord dans le palais après leur débarquement. Les trois Polo prirent alors des couteaux et se mirent à découdre la doublure de leurs vieux haillons d’où ils tirèrent, au grand étonnement de la société, une grande quantité de pierreries, telles que rubis, saphirs, escarboucles, diamans, émeraudes etc..

En quittant la cour du grand Kan, ils avaient reçu des richesses immenses de ce prince. Mais comme le transport de si grandes sommes eût été impraticable pendant un aussi long voyage que celui qu’ils avaient à faire, ils avaient converti l’or en pierreries.

Cet amas de bijoux précieux qu’ils offrirent sur la table aux regards des assistans, jeta ces derniers dans la stupéfaction. Cependant, quand ils furent revenus de leur extase, ils commencèrent à croire que les trois voyageurs étaient en effet ces gentilshommes de la maison Polo qu’ils avaient cru morts depuis long-temps, et ils finirent par donner les témoignages du plus profond respect à leurs trois hôtes.

On ne donne pas ce fait comme avéré, mais en diminuant un peu l’exagération romanesque qui s’y trouve, on peut regarder cette anecdote traditionnelle comme fondée sur la vérité ; car de quelque manière que les trois Polo s’y soient pris pour se faire reconnaître à leur compatriotes et à leurs parens, après un voyage dans le fond de l’Inde, qui avait duré 24 ans, il est difficile de croire qu’ils y soient parvenus sans causer d’abord un grand étonnement.

Sitôt que le bruit du retour et du singulier voyage des Polo fut répandu à Venise, il n’y eut personne dans la ville qui ne voulût les voir et leur parler. Depuis les premiers seigneurs jusqu’aux artisans, tous recherchèrent leur conversation et eurent à se louer de leur complaisance. Enfin cette curiosité a laquelle se mêlait un intérêt réel, valut à Maffio, le frère aîné, un emploi important dans la magistrature. Quant au jeune Marco Polo, il était constamment entouré de la jeunesse vénitienne qui ne pouvait se lasser de faire des questions sur le grand Kan et sur le royaume de Cathay. Comme Marco avait, à ce qu’il paraît, une complaisance égale à la curiosité de ceux qui le questionnaient, il arriva qu’à force de répéter dans ses récits que les revenus du grand Kan montaient à dix ou quinze millions de ducats d’or, et d’évaluer toutes les richesses de ces contrées en employant fréquemment le mot million, l’on donna à Marco Polo le surnom de Marco Milione. En effet, ce surnom lui resta, mais il y a des auteurs qui prétendent qu’il lui fut donné seulement à cause des richesses que son oncle, son père et lui avaient rapportées de l’Inde.

Il était de la destinée de Marco Polo de mener une vie toujours agitée. A peine s’était-il écoulé quelques mois depuis son arrivée à Venise, que la république eut avis qu’une flotte génoise, commandée par Lampa Doria, s’était montrée vers l’île de Curzola, sur les côtes de la Dalmatie. Aussitôt les Vénitiens mirent à la mer une flotte composée de galères, en nombre supérieur à celui des ennemis. cette flotte fut confiée au commandement d’Andréa Dandolo, et Marco Polo, connu comme un excellent homme de mer, fut nommé capitaine d’une des galères. Les deux flottes ne tardèrent pas à se trouver en présence, et il y eut un engagement à la suite duquel celle des Vénitiens fut dispersée avec une grande perte. Parmi les prisonniers qui furent faits, outre A. Dandolo lui-même, se trouva aussi notre célèbre voyageur, qui, placé parmi les galères formant la division la plus avancée, se porta en avant avec une bravoure remarquable, et n’ayant point été soutenu, fut obligé de se rendre après avoir reçu une blessure grave.

On l’envoya à Gènes avec les autres prisonniers, ses compagnons d’infortune. Mais sa bravoure, ses qualités personnelles et le bruit qui se répandit de ses longs voyages et des récits qu’il en faisait, contribuèrent bientôt à adoucir les rigueurs de sa captivité. Il fut visité par toutes les personnes les plus distinguées de la ville de Gênes, et chacun se fit un point d’honneur de lui offrir, dans sa position, ce qui pouvait lui être nécessaire et même agréable : c’était à qui parviendrait à entendre parler Marco Polo, du royaume de Cathay et de la puissance du grand Kan Kublaï. Cette nécessité de répéter si souvent la même chose devint sans doute insupportable à Marco Polo, et c’est vraisemblablement à cette cause secondaire que nous sommes redevables de la relation de ses voyages, qu’il dicta pour contenter la curiosité de ses contemporains, et s’épargner de si fréquentes redites. Lorsqu’il prit ce parti, il fit venir de Venise toutes les notes qu’il avait faites en voyage, et que son père avait entre les mains. Avec ces documens, dont il parle plus d’une fois dans son livre, et aidé de sa mémoire, il dicta sa relation, qui fut écrite par un certain Rustighello ou Rustigiello, noble génois. Cet homme, par suite du vif désir qu’il avait de s’instruire dans la connaissance des différentes parties du monde, avait lié une amitié intime avec Marco Polo, et passait presque tout son temps avec lui dans l’endroit où il était retenu prisonnier. Cependant Apostolo Zeno pense, d’après l’autorité d’un des manuscrits de Marco, que le livre a été originairement écrit sous la dictée de l’auteur, par un Pisan prisonnier de guerre avec Marco. Quoi qu’il en soit de ces deux conjectures, le manuscrit a été terminé, et a commencé à circuler dans toute l’Italie et l’Europe en 1298.

Cependant Nicolo Polo, le père de notre auteur, avait formé des projets de mariage pour son fils ; mais la prolongation de sa captivité, dont la fin devenait toujours plus incertaine, lui fit renoncer à cette espérance. Après avoir fait des offres de rançon considérables, le tout sans succès, le vieux Nicolo, craignant de ne pas laisser son immense fortune à des héritiers directs, se décida à se remarier.

Il arriva qu’au bout de quatre ans de captivité, Marco Polo, par suite d’arrangemens entre les deux républiques, recouvra sa liberté. Il retourna donc à Venise et trouva son vieux père, qui était vert encore, entouré de trois fils en bas âge. Marco était un homme de sens et qui avait beaucoup vu ; il ne témoigna aucune humeur de cet accident et résolut de prendre femme aussi, ce qu’il fit. Il n’a point laissé de race masculine. On sait que son testament était daté de 1323, et que sa naissance a eu lieu vers 1254, d’où il suit que l’on peut évaluer la durée de son existence à soixante-dix ans.

Lorsque le livre de Marco Polo parut, on le lut avec une grande avidité, mais personne alors ne crut à la vérité de cette relation. Les poètes, les romanciers, s’emparèrent du personnage du grand Kan et du royaume de Cathay, pour embellir et égayer leurs récits. Cette machine poétique fut mise en usage jusqu’au temps de l’Arioste qui, comme l’on sait, parle souvent de la reine de Cathay. De la lecture du livre de Marco Polo résulta encore une opinion qui s’accrédita dans l’esprit de tous les peuples occidentaux : c’est qu’il y avait au milieu de l’Asie un grand monarque, que l’on désignait sous le nom de grand Kan, qui était chrétien, qui appelait vers lui, par ses vœux, tous ceux des chrétiens occidentaux qui voudraient entreprendre le voyage de Tartarie pour y propager la foi catholique et y instruire les peuples idolâtres dans la religion chrétienne. Les richesses immenses que possédait ce grand Kan n’étaient point oubliées. Dans tous ces désirs vagues que l’on formait pour aller convertir les païens, il se joignait toujours une espérance d’en être largement récompensé par les rubis, les émeraudes et l’or du grand Kan, du prêtre Jean ou du roi des Hassacis dont le vulgaire ne faisait qu’un seul personnage. Les croisades et les relations diplomatiques qui s’étaient établies entre saint Louis et les princes tartares, avaient commencé à répandre toutes ces idées en Europe ; la relation de Marco Polo les y fixa.

Outre ces résultats, ce livre eut encore celui de porter l’attention de quelques savans, et particulièrement celle de Christophe Colomb, sur les études géographiques. On ne peut douter, en lisant la relation originale du premier voyage que fit Christophe Colomb de 1492 à 1504, que toutes les études préliminaires, que toutes les spéculations qu’il avait faites sur l’étendue de la terre et la position relative des différentes contrées, ne fussent calculées d’après les renseignemens que lui avait fournis l’ouvrage de Marco Polo. Voici les propres paroles du fameux voyageur, qui, lorsqu’il venait de découvrir ce nouveau monde, portant aujourd’hui le nom d’Amérique, croyait avoir trouvé un chemin, en traversant la mer dans la direction du couchant, pour arriver à l’extrémité orientale de l’Inde et pénétrer par ce côté dans l’intérieur de ce vieux continent.

« Très hauts, très chrétiens, très excellens et très puissans princes, roi et reine des Espagnes et des îles de la mer, notre seigneur et notre souveraine, cette présente année 1492, après que vos altesses eurent mis fin à la guerre entre les Maures qui régnaient en Europe, et eurent terminé cette guerre dans la très grande cité de Grenade, où, cette présente année, le deuxième jour du mois de janvier, je vis arborer, par la force des armes, les bannières royales de vos altesses sur les tours de l’Alhambra, et où je vis le roi maure se rendre aux portes de la ville et y baiser les mains royales de vos altesses ; aussitôt dans ce présent mois et d’après les informations que j’avais données à vos altesses des terres de l’Inde et d’un prince qui est appelé grand Kan, ce qui veut dire en notre langue vulgaire roi des rois, et de ce que plus leurs fois lui et ses prédécesseurs avaient envoyé à Rome y demander des docteurs en notre sainte foi, pour qu’ils la lui enseignassent ; comme le Saint Père ne l’en avait jamais pourvu, et que tant de peuples se perdaient en croyant aux idolâtries et recevant en eux des sectes de perdition, vos altesses pensèrent, en leur qualité de catholiques chrétiens et de princes amis et propagateurs de la sainte foi chrétienne et ennemis de la secte de Mahomet et de toutes les idolâtries et hérésies, à envoyer moi, Christophe Colomb, auxdites contrées de l’Inde pour voir lesdits princes et les peuples, pour savoir de quelle manière on pourrait s’y prendre pour les convertir à notre sainte foi. Elles m’ordonnèrent de ne point aller par terre à l’Orient, mais de prendre, au contraire, la route de l’Occident, par laquelle nous ne savons pas, jusques aujourd’hui, d’une manière positive que personne ait jamais passé. » (Vol. II, pages 3 et 4.)

Tout plein de cette idée pendant le cours de son voyage de découverte, Colomb, arrivé aux premières îles américaines, dit (vol. Ile, page 77) : « Je voulais remplir d’eau toutes les tonnés des vaisseaux, pour partir d’ici si le temps me le permettait, et faire le tour de cette île jusqu’à ce que j’eusse pu prendre langue avec ce roi et voir si je puis avoir de lui l’or qu’il porte, et partir après pour une autre très grande île, qui doit être, à ce que je crois, (ipango (Zipangu), d’après les renseignemens que me donnent mes Indiens, qui l’appellent Colba, (Cuba). »

Arrivé à l’île de Cuba, il pense qu’il y a la ville de ce nom ; que le pays est un grand continent s’étendant beaucoup au nord ; que le roi de cette contrée est en guerre avec le grand Kan. L’amiral (Colomb) se disposa à envoyer un présent au roi du pays. « Il ajoute qu’il faisait tous ses efforts pour se rendre auprès du grand Kan, qu’il pensait devoir habiter dans les environs ou dans la ville de Cathay, appartenant à ce prince qui est fort puissant, ainsi qu’on le lui assura avant son départ d’Espagne. » (Page 94.)

« On tirera aussi beaucoup de coton de ce pays, ajoute-t-il en parlant de Cuba ; et je crois qu’il s’y vendrait très bien sans qu’on eût besoin de le porter en Espagne, mais seulement dans les grandes villes du grand Kan que nous découvrirons sans doute, et dans plus leurs autres appartenant à d’autres grands seigneurs qui seraient heureux de servir vos altesses. » (Volume II, page 114)-

Plus d’une fois encore, il parle de l’île de Cipango (Zipangu) qu’il compte sans cesse trouver. Au surplus, l’illusion de ce navigateur à l’égard de l’Inde est complète ; et dans une lettre qu’il écrivit à l’intendant en chef du roi et de la reine catholiques, il dit : « Lorsque j’arrivai à l’île la Juana, j’en suivis la côte vers le couchant, et je la trouvai si grande, que je pensais que c’était la Terre-Ferme, LA PROVINCE DU CATHAY ! »

Colomb dans sa relation semble toujours être poussé par l’envie de trouver de l’or, des perles et toute sorte de richesses de cette nature. Quand on ne connaît pas le voyage de Marco Polo et la connexité qu’il a avec celui du Génois, on pourrait accuser ce dernier d’avoir été mu particulièrement par une cupidité tout–à-fait désagréable. Mais avec un peu de réflexion, on s’aperçoit que les notions qu’il avait recueillies en Europe sur l’Inde, sur le royaume du Cathay et du grand Kan, sur les richesses immenses qui s’y trouvaient, lui ont fait rechercher toutes ces matières précieuses comme un renseignement qui pouvait lui indiquer qu’il était effectivement dans le pays, dans cette Inde enfin qu’il cherchait.

En somme, c’est une chose assez remarquable que ce soit un simple négociant de Venise, qui le premier ait fait connaître à l’Europe l’extrémité orientale de l’Inde, et qu’un autre Italien, Colomb, ait découvert l’Amérique presque par hasard, et en voulant aller par mer où Marco Polo était parvenu par terre.

L’homme ne peut réellement s’enorgueillir de rien de ce qu’il fait. Les plus grands génies dans leurs plus grandes entreprises sont les instrumens de la Providence ou les dupes du destin ; car, enfin, sans vouloir diminuer en rien le mérite de Christophe Colomb, mérite immense, toutefois lorsqu’il était à Cuba et qu’il nommait cette île Cipango, il faisait une erreur de tout l’espace que couvre le golfe du Mexique, le continent américain et la mer Pacifique.

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DANTE ALIGHIERI
但丁·阿利吉耶里

 

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Les Italiens d’aujourd’hui
RENE BAZIN
REVUE DES DEUX MONDES
Tome 118, 1893

 Il m’apprit qu’il était de Pistole, venu à Sienne à cause de la modicité des prix, — vingt francs une chambre, soixante francs de pension, — tandis que Bologne et Padoue entraînaient à d’assez fortes dépenses ; qu’il avait un grand amour pour l’antique cité toscane, et pour l’histoire, et pour Dante. « Je suis un passionné des études dantesques, me dit-il. J’ai étudié le point de savoir si jamais Dante était venu à Sienne, comme certains le prétendent, à cause du passage sur Pietro Vanucci. On veut qu’il ait passé dans toutes les villes dont il a parlé. Mais je conclus à la négative, dans une brochure. — Et comment est né cet amour ? — Très jeune, j’ai lu, là-haut, dans nos montagnes de Pistole, les passages de la Divine comédie où il était question de ma ville. Cela m’a conduit à fouiller tout le poème. J’aime Dante à ce point, monsieur, que j’ai réuni chez moi, — a casa, — plus de deux cents volumes sur mon poète. J’ai vingt bustes et médailles qui le représentent. Je collectionne les gravures où sa belle figure est dessinée. Et je fais une thèse de doctorat sur ce sujet : le Droit dans la Divine comédie et dans la Somme de saint Thomas. »

Codice miniato raffigurante Brunetto Latini, Biblioteca Medicea-Laurenziana, Plut. 42.19, Brunetto Latino, Il Tesoro, fol. 72, secoli XIII-XIV Dante Alighieri Villa Borghese Rome Roma artgitato 2 Dante Alighieri Villa Borghese Rome Roma artgitato

manca dida
manca dida

Sandro Botticelli, Dante Alighieri, olio su tela, 1495, Ginevra, collezione privata

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Saint-René Taillandier
Dante Alighieri et la Littérature dantesque en Europe au xixe siècle, à propos d’un livre du roi de Saxe
REVUE DES DEUX MONDES
2e période, tome 6, 1856
pp. 473-520

Ce serait une curieuse histoire que celle des commentateurs de Dante ; on saisirait sans peine dans leurs explications l’esprit parti culier de chaque époque. Le XIVe siècle et le commencement du XVe produisent des gloses naïves où la biographie, la linguistique et la capricieuse recherche des allégories s’entremêlent au hasard. Au premier rang sont les commentateurs contemporains, les deux fils de Dante, Pietro et Jacopo, l’écrivain anonyme à qui l’on doit l’Ottimo Comento, le franciscain Accorso de Bonfantini, le chanoine Micchino da Mezzano, le carme Riccardo, et les six interprètes (deux théologiens, deux philosophes et deux lettrés de Florence), à qui Jean Visconti, archevêque et seigneur de Milan, demanda en 1350 l’explication de la trilogie dantesque. Tous ces commentaires ne pouvaient être connus que des lettrés ; mais voici l’heure où Dante va être expliqué au public italien dans les chaires des églises. Florence donne l’exemple de cette institution ; par un décret du 9 août 1373, elle accorde un traitement annuel de 100 ducats d’or au savant qui sera chargé de traduire, pour la foule les enseignemens de la Divine Comédie. Boccace, avec Pétrarque son maître, est le plus célèbre écrivain du XIVe siècle, c’est à lui que ce ministère est confié ; il hésite, mais bientôt, vaincu par les instances de la cité, il ouvre son cours le 3 octobre de cette même année dans l’église San-Stefano. Malheureusement Boccace n’était plus jeune, il avait plus de soixante ans, et sa santé était ébranlée par le travail ; il meurt deux ans après, n’ayant fait qu’un petit nombre de leçons et commenté que les dix-sept premiers chants de l’Enfer. Boccace mort, maints érudits se disputent l’honneur de continuer son œuvre. Il y a déjà sur pied toute une phalange de rapsodes. Dante appartient à l’Italie entière, et tandis que le chroniqueur Philippe Villani et plus tard le grand philologue Francesco Filelfo s’asseoient dans la chaire de Boccace, Bartolo da Buti à Pise, Gabriello Squaro à Venise, Philippe de Reggio à Plaisance, surtout Benvenuto d’Imola à Bologne, expliquent aussi devant la foule la poétique encyclopédie du Florentin. Ce mouvement d’études occupait tellement les esprits, que le bruit s’en répandit bientôt dans les autres contrées de l’Europe. Ce fut à l’occasion du concile de Constance, au commencement du siècle suivant. Deux évêques anglais qui siégeaient au concile, Nicole Bubwich et Robert Halm, demandèrent à Jean de Serravalle, évêque et prince de Fermo, de leur donner une traduction latine de la Divine Comédie avec des explications et des notes. L’évêque de Fermo se mit à l’œuvre, le 1er février 1416, et impatient de répondre au désir des deux prélats anglais, il eut tout terminé le 16 février de l’année suivante. Ne vous étonnez pas qu’il leur demande grâce pour tout ce qu’Il y a de rustique dans son latin et de maladroit dans sa traduction (de rusticana latinitate, incomptaque et inepta translatione) : le temps qui lui a été accordé, dit-il, ne suffisait guère à une telle tâche. La plupart des commentateurs de cette période auraient besoin de la même excuse. De Boccace à Serravalle l’intelligence du grand poème italien a-t-elle fait des progrès ? Non certes. Ce qu’Il y a de plus curieux chez tous ces commentateurs, ce sont les renseignemens biographiques : encore tout près de l’époque de Dante, ils ont pu recueillir la tradition, et leur témoignage est précieux sur maintes questions de détail. Quant à l’interprétation du poème, ce n’est guère autre chose qu’un amas de subtilités pédantesques. On peut répéter hardiment la phrase dédaigneuse de Tiraboschi, applicable aussi, il faut bien le dire, à plus d’un commentaire de Dante au XIXe siècle : E chi sa quanti pensieri hanno essi attribuiti à Dante, che a lui non erano mai passati pel capo !

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GIOVANNI PRATI
乔瓦尼·普拉蒂
1815 – 1884 Roma Rome
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Les Italiens d’aujourd’hui
RENE BAZIN
REVUE DES DEUX MONDES
Tome 118, 1893 

« Trente a Giovanni Prati ; Trieste possède Gazzoletti et Francesco dall’Ongaro,.. »

ed. Real Circolo Bellini 1878, vers de Giovanni Prati, Musique de Francesco Paolo Frontini

EROS

Nell’ora che un velo
Rabbruna gli obbietti,
Si parlano in cielo
Le stelle e l’amor.

Nell’ora che rade
La rondine i tetti,
Le fresche rugiade
Favellano ai fior.

Nell’ora che i balli
Del mondo son chiusi,
Le perle e i coralli
Si parlano in mar.

E noi, mia fanciulla,
Frementi e confusi
Col Tutto e col Nulla
Torniamci a baciar. —

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Ritratto di Baldassarre Peruzzi ne Le vite di Giorgio Vasari

BALDASSARRE PERUZZI
BALDASSARE PERUZZI
巴尔达萨雷·佩鲁齐
Sienne 1481 – Rome 1537
1481年-1536年

Baldassarre Peruzzi Villa Borghese Rome Roma artgitato

UNE EXPRESSION PURE DE LA RENAISSANCE SIENNOISE

LOUIS GILLET
L’Art siennois – À l’occasion d’une exposition récente
tome 23, 1904

Un seul homme, de bien moindre envergure que Sodoma, d’ailleurs beaucoup plus grand architecte que peintre, réussit, à force de mesure et de goût, à donner une expression pure de la Renaissance siennoise. C’est Baldassare Peruzzi, artiste froid mais élégant, ingénieux sans grandes pensées, et agréable sans profondeur. On trouve à l’Exposition une de ses rares toiles. Mais rien ne donne de lui une plus haute idée que ses fresques de la Farnésine où il a su tenir discrètement sa place à côté de Raphaël. Il ne manque pas ensuite de peintres nés à Sienne, mais c’en est fait depuis longtemps de la peinture siennoise. Désormais l’origine d’un artiste peut être regardée comme un hasard indifférent. A l’exception des peintres fortunés qui naîtront à Venise, l’artiste n’a plus de patrie, il n’a que son âge et sa date sur un état civil international. Rutilio Manetti, dont on voit plusieurs toiles excellentes à l’Exposition, est un homme qui fait honneur à sa ville natale. C’est un élève considérable de Caravage et de Spagnoletto. Mais il n’a pas reçu le baptême d’autrefois, où le génie de la cité tenait le nouveau-né sur les fonts, et où l’enfant avait pour marraines toutes les traditions d’une race.

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La Gravure depuis son origine jusqu’à nos jours
III – École italienne – Marc-Antoine : le Jugement de Pâris, le Massacre des Innocens, le Parnasse, d’après Raphaël ; — Le Martyre de saint Laurent, d’après Baccio Bandinelli

L’art de la gravure, si puissamment développé par Marc-Antoine,. faisait en même temps des progrès d’un autre genre, grace aux procédés employés par Ugo da Carpi pour obtenir des épreuves en camaïeu ; c’est-à-dire à deux, trois ou quatre tons, et offrant à peu près l’aspect de dessins au lavis ; procédés dont il n’était pas l’inventeur, qu’il avait seulement améliorés, et que devaient perfectionner encore Baldassare Peruzzi, Antonio da Trenta et Andrea Andreani. Une grande quantité de pièces exécutées de la sorte, d’après Raphaël et le parmesan, attestent l’habileté d’Ugo, qui malheureusement se mit en tête d’introduire dans la peinture des innovations plus radicales encore. Il eut l’étrange idée de peindre tout un tableau en se servant du doigt, sans recourir une fois au pinceau, et, l’acte lui paraissant méritoire, il en consacra le souvenir dans quelques mots écrits avec orgueil au bas de la toile ; ce qui fit dire à Michel-Ange, à qui l’on montrait ce tableau comme une singularité remarquable, que « la seule chose singulière dans un pareil tour de force était la sottise de l’auteur. » Qu’aurait pensé le grand homme du Génois Luca Cambiaso, dont le talent consistait à peindre des deux mains à la fois ?

 

 

Apollo and Daphne – APOLLON ET DAPHNE – APOLLO E DAFNE – 阿波罗和达芙妮 – GALERIE BORGHESE – GALLERIA BORGHESE -博吉斯画廊

ROME – ROMA – 罗马
Apollo and Daphne
Bernini Apollon et Daphné
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LA GALERIE BORGHESE
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BERNINI
LE BERNIN

济安·贝尼尼
Gian Lorenzo Bernini
1598-1680

APOLLON ET DAPHNE
Apollo and Daphne
阿波罗和达芙妮
Apollo e Dafne
1622-1625

Marbre – Marmo statuario – marble – 大理石

Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (1)




Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (2) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (3) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (4) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (5) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (6) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (7) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (8)




Jean de La Fontaine
Daphné
Barbin et Thierry, 1682 (p. 132)

DAPHNÉ, ſe jetant à ſes genoux 
Faites-les arreſter.
Pouvez-vous bien me voir à vos pieds toute en larmes,
Sans vous laiſſer toucher le cœur ?

APOLLON
 Daphné, C’eſt contre vous que retournent ces armes.
La pitié redouble vos charmes ;
En combattant l’amour, elle le rend vainqueur.
Votre douleur vous nuit ; vous en eſtes plus belle.
Venez, venez eſtre immortelle :
Je l’obtiendrai du Sort, ou je jure vos yeux
Que les cieux
Regretteront noſtre préſence.
Zéphyrs, enlevez-la malgré ſa réſiſtance.




DAPHNÉ, s’enfuyant 
Ô dieux ! conſentez-vous à cette violence ?Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (9) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (10) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (11) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (12) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (13) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (14) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (15) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (16) Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (17)

 
OVIDE
Les Métamorphoses, livre I




Traduction par auteurs multiples.
Texte établi par Désiré Nisard, Firmin-Didot, 1850
pp. 251-268

Le premier objet de la tendresse d’Apollon fut Daphné, fille du fleuve Pénée. Cette passion ne fut point l’ouvrage de l’aveugle hasard, mais la vengeance de l’amour irrité : Le Dieu de Délos, dans l’orgueil de sa victoire, avait vu Cupidon qui tendait avec effort la corde de son arc : « Faible enfant, lui dit-il, que fais-tu de ces armes pesantes ? Ce carquois ne sied qu’à l’épaule du dieu qui peut porter des coups certains aux bêtes féroces comme à ses ennemis, et qui vient d’abattre, sous une grêle de traits, ce monstre dont le ventre, gonflé de tant de poisons, couvrait tant d’arpents de terre. Contente-toi d’allumer, avec ton flambeau, je ne sais quelles flammes amoureuses, et garde-toi bien de prétendre à mes triomphes ». Le fils de Vénus, répondit : « Apollon, rien n’échappe à tes traits, mais tu n’échapperas pas aux miens : autant tu l’emportes sur tous les animaux, autant ma gloire est au dessus de la tienne ». Il dit, et, frappant la terre de son aile rapide, il s’élève et s’arrête au sommet ombragé du Parnasse : il tire de son carquois deux flèches dont les effets sont bien différents ; l’une inspire l’amour, et l’autre le repousse : la première est dorée, sa pointe est aiguë et brillante, la seconde n’est armée que de plomb, et sa pointe est émoussée. C’est de ce dernier trait que le dieu atteint la fille de Pénée ; c’est de l’autre qu’il blesse Apollon et le perce jusqu’à la moelle des os. Apollon aime aussitôt, et Daphné hait jusqu’au nom de son amant ; émule de la chaste Diane, elle aime à s’égarer au fond des bois, à la poursuite des bêtes féroces, et à se parer de leurs dépouilles. Un seul bandeau rassemble négligemment ses cheveux épars. Mille amants lui ont offert leur hommage ; elle l’a rejeté, et pleine d’un dédain sauvage pour les hommes qu’elle ne connaît pas encore, elle parcourt les solitudes des forêts, heureuse d’ignorer et l’amour et l’hymen et ses nœuds. Souvent son père lui disait : « Ma fille, tu me dois un gendre ». Il lui répétait souvent : « Ma fille, tu me dois une postérité ». Mais Daphné, repoussant comme un crime la pensée d’allumer les flambeaux de l’hymen, rougissait, et la pudeur donnait un nouveau charme à sa beauté ; et suspendue au cou de son père qu’elle enlaçait de ses bras caressants : « Cher auteur de mes jours, disait-elle, permettez-moi de garder toujours ma virginité ; Jupiter accorda cette grâce à Diane ». Pénée cède aux désirs de sa fille. Inutile victoire ! tes grâces, ô Daphné, s’opposent à tes desseins, et ta beauté résiste à tes vœux. Cependant Phébus aime ; il a vu Daphné et veut s’unir à elle : il espère ce qu’il désire ; espérance vaine ! car son oracle le trompe lui-même. Comme on voit s’embraser le chaume léger après la moisson, comme la flamme consume une haie dont l’imprudent voyageur approche son flambeau, ou près de laquelle il le laisse aux premiers rayons du jour, ainsi s’embrase et se consume le cœur d’Apollon, ainsi il nourrit, en espérant, d’inutiles ardeurs. Il voit les cheveux de la nymphe flotter négligemment sur ses épaules. « Et que serait-ce, dit-il, si l’art les avait arrangés ? » Il voit ses yeux briller comme des astres : il voit sa bouche vermeille (c’est peu que de la voir) : il admire et ses doigts et ses mains, et ses bras plus que demi-nus ; et ce que le voile cache à ses yeux, son imagination l’embellit encore. Daphné fuit plus rapide que le vent, et c’est en vain qu’il cherche à la retenir par ses discours : « Nymphe du Pénée, je t’en conjure, arrête : ce n’est pas un ennemi qui te poursuit. Arrête, nymphe, arrête ! la brebis fuit le loup, la biche le lion, et devant l’aigle s’envole la tremblante colombe ; chacun se dérobe à son ennemi. Mais c’est l’amour qui me précipite sur tes traces. Malheureux que je suis ! Prends garde de tomber ! Que ces épines cruelles ne blessent pas tes pieds délicats ! Que je ne sois pas pour toi une cause de douleur ! Les sentiers où tu cours sont rudes et difficiles : Ah ! de grâce, modère ta vitesse, ralentis ta fuite, et je ralentirai moi-même mon ardeur à te suivre. Connais du moins celui qui t’aime : ce n’est point un sauvage habitant des montagnes, ni un pâtre hideux préposé à la garde des bœufs et des brebis : imprudente, tu ne sais pas qui tu fuis, tu ne le sais pas, et c’est pour cela que tu fuis : Delphes, Claros, Ténédos et Patare obéissent à mes lois. Jupiter est mon père : ma bouche dévoile aux mortels l’avenir, le passé, le présent : ils me doivent l’art d’unir aux accents de ia lyre les accents de la voix. Mes flèches sont sûres de leurs coups : hélas ! il en est une plus sûre encore qui m’a percé le cœur. Je suis l’inventeur de la médecine ; le monde m’honore comme un dieu secourable, et la vertu des plantes est sans mystères pour moi ; mais en est-il quelqu’une qui guérisse de l’amour ? Mon art, utile à tous les hommes, est, hélas ! impuissant pour moi-même ! » Il parlait ; mais, emportée par l’effroi, la fille de Pénée précipite sa fuite, et laisse bien loin derrière elle Apollon et ses discours inachevés. Elle fuit, et le dieu lui trouve encore des charmes : le souffle des vents soulevait à plis légers sa robe entr’ouverte ; Zéphire faisait flotter en arrière ses cheveux épars, et sa grâce s’embellissait de sa légèreté. Las de perdre dans les airs de vaines prières, et se laissant emporter par l’amour sur les traces de Daphné, le jeune dieu les suit d’un pas plus rapide. Lorsqu’un chien gaulois découvre un lièvre dans la plaine, on les voit déployer une égale vitesse, l’un pour sa proie, l’autre pour son salut : le chien vole, comme attaché aux pas du lièvre ; il croit déjà le tenir, et le cou tendu, allongé, semble mordre sa trace ; le lièvre, incertain s’il est pris, évite la gueule béante de son ennemi, et il échappe à la dent déjà prête à le saisir. Tels on voit Apollon et Daphné : l’espérance le rend léger, la peur la précipite. Mais, soutenu sur les ailes de l’amour, le dieu semble voler ; il poursuit la nymphe sans relâche, et, penché sur la fugitive, il est si près de l’atteindre, que le souffle de son haleine effleure ses cheveux flottants. Trahie par ses forces, elle pâlit enfin, et, succombant à la fatigue d’une course aussi rapide, elle tourne ses regards vers les eaux du Pénée. « S’il est vrai, s’écrie-t-elle, que les fleuves participent à la puissance des dieux, ô mon père, secourez-moi. Et toi, que j’ai rendue témoin du funeste pouvoir de mes charmes, terre, ouvre-moi ton sein, ou détruis, en me changeant, cette beauté qui cause mon injure ». À peine elle achevait cette prière, que ses membres s’engourdissent ; une écorce légère enveloppe son sein délicat ; ses cheveux verdissent en feuillage, ses bras s’allongent en rameaux ; ses pieds, naguère si rapides, prennent racine et s’attachent à la terre ; la cime d’un arbre couronne sa tête ; il ne reste plus d’elle-même que l’éclat de sa beauté passée. Apollon l’aime encore, et, pressant de sa main le nouvel arbre, il sent, sous l’écorce naissante, palpiter le cœur de Daphné. Il embrasse, au lieu de ses membres, de jeunes rameaux, et couvre l’arbre de baisers, que l’arbre semble repousser encore : « Ah ! dit-il, puisque tu ne peux devenir l’épouse d’Apollon, sois son arbre du moins : que désormais ton feuillage couronne et mes cheveux et ma lyre et mon carquois. Tu seras l’ornement des guerriers du Latium, lorsqu’au milieu des chants de victoire et d’allégresse, le Capitole verra s’avancer leur cortège triomphal. Garde fidèle du palais des Césars, tu couvriras de tes rameaux tutélaires le chêne qui s’élève à la porte de cette auguste demeure ; et de même que ma longue chevelure, symbole de jeunesse, sera toujours respectée et du fer et des ans, je veux aussi parer ton feuillage d’un printemps éternel ». Il dit, et le laurier, inclinant ses jeunes rameaux, agita doucement sa cime : c’était le signe de tête de Daphné, sensible aux faveurs d’Apollon.

Apollo and Daphne Apollon et Daphné Apollo e Dafne Galerie Borghese Galleria Borghese artgitato (18)

STEPHANE MALLARME
LES DIEUX ANTIQUES
J. Rothschild, éditeur, 1880
pp. 213-214

ARÉTHUSE, MYTHE GREC ET LATIN.
(Grec : Arèthouça.)

Aréthuse est une des Néréides, ou filles de Nérée ; elle tient vis-à-vis de Zeus la situation d’Hélios vis-à-vis de Phoïbos.



L’histoire qu’on raconte à son sujet est charmante. Le chasseur Alphée la poursuivit, comme Apollon, Daphné ; et, ainsi que Daphné, Aréthuse, pour échapper, se jeta dans le courant, les nymphes de la mer la portant jusqu’aux rives d’Ortygie. Alphée l’y suivit ; et poussée au désespoir, Aréthuse plongea dans la fontaine qui porte son nom. Alphée, impuissant à supporter cette perte, plongea aussi dans les eaux, au fond desquelles il obtint cet amour que la nymphe lui avait refusé pendant sa vie. Ce conte n’est pas sans quelque signification, ni sans rapport avec un autre. Voyez-y la séparation d’Héraclès et d’Iole, laquelle retrouve le dieu seulement quand ses labeurs sont finis. Le rivage où se rencontrent Aréthuse et Alphée est la terre des crépuscules du matin et du soir.

HERMAPHRODITE ENDORMI- ERMAFRODITO DORMIENTE – 雌雄同体- GALLERIA BORGHESE – GALLERIE BORGHESE- 博吉斯画廊

ROME – ROMA – 罗马
雌雄同体
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HERMAPHRODITE ENDORMI
雌雄同体
Ermafrodito Dormiente

 

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Ermafrodito dormiente con testa moderna
睡眠雌雄同体
Hermaphrodite dormant avec tête moderne
Colbre e cuscino di Andrea Bergondi
(post 1796)
Da originale bronzes di Policle
150 a.C. circa
150 avant J.-C. environ
Marmo di Paro
大理石
Marbre de Paros

 

HERMAPHRODITE DORMANT Ermafrodito dormiente artgitato Galleria Borghese Galerie Borghese 2

THEODORE DE BANVILLE
LES EXILES
Hermaphrodite

Dans les chemins foulés par la chasse maudite,
Un doux gazon fleuri caresse Hermaphrodite.
Tandis que, ralliant les meutes de la voix,
Artémis court auprès de ses guerrières, vois,
Le bel Être est assis auprès d’une fontaine.
Il tressaille à demi dans sa pose incertaine,
En écoutant au loin mourir le son du cor
D’ivoire. Quand le bruit cesse, il écoute encor.
Il songe tristement aux Nymphes et soupire,
Et, retenant un cri qui sur sa lèvre expire,
Se penche vers la source où dans un clair bassin
Son torse de jeune homme héroïque, et son sein
De vierge pâlissante au flot pur se reflète,
Et des pleurs font briller ses yeux de violette.

Mars 1858.

HERMAPHRODITE DORMANT Ermafrodito dormiente artgitato Galleria Borghese Galerie Borghese

AMOUR DE SALMACIS ET D’HERMAPHRODITE 

OVIDE
Les Métamorphoses, livre IV
Traduction par auteurs multiples.
Texte établi par Désiré Nisard , Firmin-Didot, 1850
pp. 306-324

Si tu l’as déjà choisie, qu’un doux larcin soit le prix de ma tendresse ; si ton choix n’est pas fait, puissé-je le fixer et partager avec toi la même couche ! » À ces mots, la Naïade se tait : l’enfant rougit ; il ignore ce que c’est que l’amour ; mais sa rougeur l’embellit encore. Elle rappelle les couleurs des fruits qui pendent aux rameaux du pommier abrité, ou celles de l’ivoire quand il est teint, ou la rougeur blanchâtre de la lune, lorsque l’airain, appelant en vain des secours, retentit dans les airs. La Nymphe implore au moins ces baisers que la sœur reçoit du frère, et déjà elle étendait les mains vers le cou d’albâtre du berger. « Cesse, ou je fuis, lui dit-il, et je te laisse seule en ces lieux ». Salmacis a frémi. « Etranger, sois libre et maître de cet asile », répondit-elle. À ces mots, elle feint de s’éloigner, et, reportant ses regards vers lui, elle se cache sous d’épaisses broussailles, fléchit le genou et s’arrête. L’enfant, avec toute l’ingénuité de son âge, persuadé qu’aucun œil ne l’observe en ces lieux solitaires, va et revient sur le gazon, plonge dans l’onde riante la plante de ses pieds, et les baigne jusqu’au talon. Bientôt, saisi par la douce tiédeur des eaux, il dépouille les voiles légers qui couvrent ses membres délicats. Salmacis tombe en extase ; la vue de tant de charmes allume dans son âme de brûlants désirs. Ses yeux étincellent, semblables aux rayons éclatants que reflète une glace ex posée aux feux du soleil. À peine peut-elle se contenir, à peine peut-elle différer son bonheur ; déjà elle brûle de voler dans ses bras, déjà elle ne maîtrise plus son délire. Le berger frappe légèrement son corps de ses mains, et s’élance dans les flots. Tandis que ses bras se déploient tour à tour, il apparaît à travers le cristal des eaux aussi brillant qu’une statue d’ivoire, ou que des lis d’une éclatante blancheur, placés sous le verre transparent. « Je triomphe, il est à moi », s’écrie la Naïade. Et, jetant au loin ses habits, elle s’élance au milieu des flots, saisit Hermaphrodite malgré sa résistance, lui ravit des baisers qu’il dispute, enlace ses bras dans les siens, presse sa poitrine rebelle, et peu à peu l’enveloppe tout entier de ses embrassements. Il lutte en vain pour se dérober à ses caresses ; elle l’enchaîne comme le serpent qui, emporté vers les cieux dans les serres du roi des oiseaux, embarrasse de ses anneaux et la tête et les pieds de son ennemi, qu’on dirait suspendu dans les airs, et replie sa queue autour de ses ailes étendues ; tel on voit le lierre s’entrelacer au tronc des grands arbres ; tel encore le polype saisit la proie qu’il a surprise au fond des eaux, et déploie ses mille bras pour l’envelopper. Le petit-fils d’Atlas résiste et refuse à la Nymphe le bonheur qu’elle attend ; elle le presse de tous ses membres ; et, s’attachant à lui par la plus vive étreinte : « Tu te débats en vain, cruel, s’écrie-t-elle, tu ne m’échapperas pas. Dieux, ordonnez que jamais rien ne puisse le séparer de moi, ni me séparer de lui ». Les dieux ont exaucé sa prière : leurs deux corps réunis n’en forment plus qu’un seul : comme on voit deux rameaux attachés l’un à l’autre croître sous la même écorce et grandir ensemble, ainsi la Nymphe et le berger, étroitement unis par leurs embrassements, ne sont plus deux corps distincts : sous une double forme, ils ne sont ni homme ni femme : ils semblent n’avoir aucun sexe et les avoir tous les deux. Voyant qu’au sein des eaux, où il est descendu homme, il est devenu moitié femme, et que ses membres ont perdu leur vigueur, Hermaphrodite lève ses mains au ciel, et s’écrie d’une voix qui n’a plus rien de mâle : « Accordez une grâce à votre fils, qui tire son nom de vous, ô mon père ! ô ma mère ! Que tout homme, après s’être baigné dans ces ondes, n’ait, quand il en sortira, que la moitié de son sexe : puissent-elles, en le touchant, détruire soudain sa vigueur ! » Les auteurs de ses jours furent sensibles à ce vœu : ils l’exaucèrent pour consoler leur fils de sa disgrâce, et répandirent sur ces eaux une essence inconnue ».

CICERO – CICERON – CICERONE- 西塞罗 – 提贝里乌斯 -GALLERIA BORGHESE – GALERIE BORGHESE – 博吉斯画廊

ROME – ROMA – 罗马
CICERONE – CICERON – CICERO -西塞罗
Bustes Romains – Busti Romani
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Cicéron – Cicerone
Marcus Tullius Cicero
西塞罗
106 – 43 av. J.-C.

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Buste de CICERON
Busto di CICERONE

CICERON
RHÉTORIQUE
ou
DE L’INVENTION ORATOIRE
LIVRE I
Rhétorique (Œuvres complètes)
Texte établi par Nisard, Didot, 1864, vol. 1 (pp. 88-126).

I. J’ai souvent examiné dans de longues méditations, si le talent de la parole et l’étude approfondie de l’éloquence ont été plus avantageux que nuisibles à l’homme et à la société. En effet, si je considère les maux qui ont déchiré notre patrie, si je me rappelle les catastrophes qui ont bouleversé autrefois les cités les plus florissantes, partout je vois la plus grande partie de ces malheurs causée par des hommes éloquents. Mais lorsque je veux, avec le secours de l’histoire, remonter à des époques plus reculées, je vois la sagesse, et plus encore l’éloquence, fonder des villes, éteindre les guerres, établir des alliances durables, et serrer les nœuds d’une sainte amitié. Ainsi, après un mûr examen, la raison elle-même me porte à croire que la sagesse sans l’éloquence est peu utile aux États, mais que l’éloquence sans la sagesse n’est souvent que trop funeste, et ne peut jamais être utile. Aussi l’homme qui, oubliant la sagesse et le devoir, s’écartera des sentiers de l’honneur et de la vertu, pour donner tous ses soins à l’étude de l’éloquence, ne peut être qu’un citoyen inutile à lui-même, et dangereux pour sa patrie ; mais s’armer de l’éloquence pour défendre, et non pour attaquer les intérêts de l’État, c’est se rendre aussi utile à soi-même qu’à son pays, et mériter l’amour de ses concitoyens.

Cicerone Ciceron Galleria Borghese Galerie Borghese artgitato

« Le genre démonstratif comporte toutes les richesses & toute la magnificence de l’art oratoire. Ciceron dit à cet égard que l’orateur, loin de cacher l’art, peut en faire parade, & en étaler toute la pompe ; mais il ajoute en même tems qu’on doit user de réserve & de retenue ; que les ornemens qui sont comme les fleurs & les brillans de la raison, ne doivent pas se montrer par-tout, mais seulement de distance en distance. Je veux, dit-il, que l’orateur place des jours & des lumieres dans son tableau ; mais j’exige aussi qu’il y mette des ombres & des enfoncemens, afin que les couleurs vives en sortent avec plus d’éclat. Habeat igitur illa in dicendo admiratio ac summa laus, umbram aliquam ac recessum, quo magis, id quod erit illuminatum, extare atque eminere videatur. Orat. n°. 38.  »
MALLER, MARMONTEL, BOUCHER D’ARGIS
L’ENCYCLOPEDIE – 1ère édition
Tome 4 – 1751

Gallerie Borghese Galleria Borghese la salle des bustes la sala dei busti romani artgitato

NERO-NERON-NERONE -尼禄- GALLERIA BORGHESE- GALERIE BORGHESE – 博吉斯画廊- ROME – ROMA- 罗马

ROME – ROMA – 罗马
NERON – NERONE – NERO – 尼禄
Bustes Romains – Busti Romani
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NERONE
NERON
NERO
尼禄
37-68
dernier empereur de la dynastie
Julio-Claudienne
Règne de 54 à 68 après J.-C.

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Buste de Néron
Busto di Nerone

Collin de Plancy
Dictionnaire infernal
Henri Plon, 1863
6e édition –  p. 491

Néron, empereur romain, dont le nom odieux est devenu la plus cruelle injure pour les mauvais princes. Il portait avec lui une petite statue ou mandragore qui lui prédisait l’avenir. On rapporte qu’en ordonnant aux magiciens de quitter l’Italie, il comprit sous le nom de magiciens les philosophes, parce que, disait-il, la philosophie favorisait l’art magique. Cependant il est certain, disent les démonomanes, qu’il évoqua lui-même les mânes de sa mère Agrippine.

Gallerie Borghese Galleria Borghese la salle des bustes la sala dei busti romani artgitato Nerone Neron Galleria Borghese Galerie Borghese artgitato

SUETONE
 Caius Suetonius Tranquillus
Vers 70 – Vers 122

VII

De vita duodecim Caesarum         libri VIII

CALIGULA

CHAPITRE VII

Vita Gai

Le mariage et les enfants de Germanicus

 Habuit in matrimonio Agrippinam, M. Agrippae et Iuliae filiam, et ex ea nouem liberos tulit:
Il avait pour femme Agrippine l’Aînée, fille de Marcus Vipsanius Agrippa et de Julia Caesaris filia, qui lui donna neuf enfants,
quorum duo infantes adhuc rapti, unus iam puerascens insigni festiuitate,
dont deux moururent très tôt, et un pendant son adolescence,
cuius effigiem habitu Cupidinis in aede Capitolinae Veneris Liuia dedicauit,
Livia mit son effigie sous la protection de Cupidon, et la consacra dans le temple de Vénus au Capitole,
Augustus in cubiculo suo positam, quotiensque introiret, exosculabatur;
 Auguste dans sa chambre la plaça, et, aussi souvent qu’il le pouvait, entrait lui témoigner son affection ;
 ceteri superstites patri fuerunt,
les autres enfants survécurent à leur père,
tres sexus feminini, Agrippina Drusilla Liuilla, continuo triennio natae;
trois filles, Julia Agrippina (Agrippine la Jeune) , Julia Drusilla et Julia Livilla, nées successivement tous les ans ;
totidem mares, Nero et Drusus et C. Caesar.
et trois garçons, Néron (Nero Iulius Caesar), Drusus (Drusus Iulius Caesar), et Caius César (Caligula).
 Neronem et Drusum senatus Tiberio criminante hostes iudicauit.
L‘accusation de Tibère poussa le sénat à déclarer Néron et Drusus ennemis publics.

Traduction Jacky Lavauzelle

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Ernest RENAN
L’ANTECHRIST
Michel Lévy, 1873 pp. 301-320

CHAPITRE XIII
MORT DE NÉRON

Dès la première apparition du printemps de l’an 68, Vespasien reprit la campagne. Son plan, nous l’avons déjà dit, était d’écraser le judaïsme pas à pas, en procédant du nord et de l’ouest vers le sud et l’est, de forcer les fugitifs à se renfermer à Jérusalem, et là d’égorger sans merci cet amas de séditieux. Il s’avança ainsi jusqu’à Emmaüs à sept lieues de Jérusalem, au pied de la grande montée qui mène de la plaine de Lydda à la ville sainte. Il ne jugea pas que le temps fût encore venu d’attaquer cette dernière ; il ravagea l’Idumée, puis la Samarie, et, le 3 juin, établit son quartier général à Jéricho, d’où il envoya massacrer les Juifs de la Pérée. Jérusalem était serrée de toutes parts ; un cercle d’extermination l’entourait. Vespasien revint à Césarée pour rassembler toutes ses forces. Là il apprit une nouvelle qui l’arrêta court, et dont l’effet fut de prolonger de deux ans la résistance et la révolution à Jérusalem.

Néron était mort le 9 juin. Pendant les grandes luttes de Judée que nous venons de raconter, il avait continué en Grèce sa vie d’artiste ; il ne rentra dans Rome que vers la fin de 67. Il n’avait jamais tant joui ; on fit coïncider pour lui tous les jeux, en une seule année ; toutes les villes lui envoyèrent les prix de leurs concours ; à chaque instant, des députations venaient le trouver pour le prier d’aller chanter chez elles. Le grand enfant, badaud (ou peut-être moqueur) comme on ne le fut jamais, était ravi de joie : « Les Grecs seuls savent écouter, disait-il ; les Grecs seuls sont dignes de moi et de mes efforts. » Il les combla de privilèges, proclama la liberté de la Grèce aux jeux Isthmiques, paya largement les oracles qui prophétisèrent à son gré, supprima ceux dont il ne fut pas content, fit, dit-on, étrangler un chanteur qui ne rabaissa pas sa voix comme il fallait pour faire valoir la sienne. Hélius, un des misérables à qui, lors de son départ, il avait laissé les pleins pouvoirs sur Rome et le sénat, le pressait de revenir ; les symptômes politiques les plus graves commençaient à se manifester ; Néron répondit qu’il se devait avant tout à sa réputation, obligé qu’il était de se ménager des ressources pour le temps où il n’aurait plus l’empire. Sa constante préoccupation était, en effet, que, si la fortune le réduisait jamais à l’état de particulier, il pourrait très-bien se suffire avec son art ; et quand on lui faisait remarquer qu’il se fatiguait trop, il disait que l’exercice qui n’était maintenant pour lui qu’un délassement de prince serait peut-être un jour son gagne-pain. Une des choses qui flattent le plus la vanité des gens du monde qui s’occupent un peu d’art ou de littérature est de s’imaginer que, s’ils étaient pauvres, ils vivraient de leur talent. Avec cela, il avait la voix faible et sourde, quoiqu’il observât pour la conserver les ridicules prescriptions de la médecine d’alors ; son phonasque ne le quittait pas, et lui commandait à chaque instant les précautions les plus puériles. On rougit de songer que la Grèce fut souillée par cette ignoble mascarade. Quelques villes cependant se tinrent assez bien ; le scélérat n’osa pas entrer dans Athènes ; il n’y fut pas invité.

Les nouvelles les plus alarmantes cependant lui arrivaient ; il y avait près d’un an qu’il avait quitté Rome ; il donna l’ordre de revenir. Ce retour fut à l’avenant du voyage. Dans chaque ville, on lui rendit les honneurs du triomphe ; on démolissait les murs pour le laisser entrer. À Rome, ce fut un carnaval inouï. Il montait le char sur lequel Auguste avait triomphé ; à côté de lui était assis le musicien Diodore ; sur la tête, il avait la couronne olympique ; dans sa droite, la couronne pythique ; devant lui, on portait les autres couronnes et, sur des écriteaux, l’indication de ses victoires, les noms de ceux qu’il avait vaincus, les titres des pièces où il avait joué ; les claqueurs, disciplinés aux trois genres de claque qu’il avait inventés, et les chevaliers d’Auguste suivaient ; on abattit l’arc du Grand Cirque pour le laisser entrer. On n’entendait que les cris ; « Vive l’olympionice ! le pythionice ! Auguste ! Auguste ! À Néron-Hercule ! À Néron-Apollon ! Seul périodonice ! seul qui l’ait jamais été ! Auguste ! Auguste ! O voix sacrée ! heureux qui peut t’entendre ! » Les mille huit cent huit couronnes qu’il avait remportées furent étalées dans le Grand Cirque et attachées à l’obélisque égyptien qu’Auguste y avait placé pour servir de meta.

Enfin la conscience des parties nobles du genre humain se souleva. L’Orient, à l’exception de la Judée, supportait sans rougir cette honteuse tyrannie, et s’en trouvait même assez bien ; mais le sentiment de l’honneur vivait encore dans l’Occident. C’est une des gloires de la Gaule que le renversement d’un pareil tyran ait été son ouvrage. Pendant que les soldats germains, pleins de haine contre les républicains et esclaves de leur principe de fidélité, jouaient auprès de Néron, comme auprès de tous les empereurs, le rôle de bons suisses et de gardes du corps, le cri de révolte fut poussé par un Aquitain, descendant des anciens rois du pays. Le mouvement fut vraiment gaulois ; sans en calculer les conséquences, les légions gallicanes se jetèrent dans la révolution avec entraînement. Le signal fut donné par Vindex aux environs du 15 mars 68. La nouvelle en arriva vite à Rome. Les murs furent bientôt charbonnés d’inscriptions injurieuses : « À force de chanter, dirent les mauvais plaisants, il a réveillé les coqs (gallos). » Néron ne fit d’abord qu’en rire ; il témoigna même être bien aise qu’on lui fournît l’occasion de s’enrichir du pillage des Gaules. Il continua de chanter et de se divertir jusqu’au moment où Vindex fit afficher des proclamations où on le traitait d’artiste pitoyable. L’histrion écrivit alors, de Naples, où il était, au sénat pour demander justice, et se mit en route pour Rome. Il affectait cependant de ne s’occuper que de certains instruments de musique, nouvellement inventés, et en particulier d’une espèce d’orgue hydraulique sur lequel il consulta sérieusement le sénat et les chevaliers.

La nouvelle de la défection de Galba (3 avril) et de la jonction de l’Espagne à la Gaule, qu’il reçut pendant son dîner, fut pour lui un coup de foudre. Il renversa la table où il mangeait, déchira la lettre, brisa de colère deux vases ciselés d’un grand prix, où il avait accoutumé de boire. Dans les préparatifs ridicules qu’il commença, son principal souci fut pour ses instruments, pour son bagage de théâtre, pour ses femmes, qu’il fit habiller en amazones, avec des peltes, des haches et des cheveux coupés ras. C’étaient des alternatives étranges d’abattement et de bouffonnerie lugubre, qu’on hésite également à, prendre au sérieux et à traiter de folie, tous les actes de Néron flottant entre la noire méchanceté d’un nigaud cruel et l’ironie d’un blasé. Il n’avait pas une idée qui ne fût puérile. Le prétendu monde d’art où il vivait l’avait rendu complètement niais. Parfois, il songeait moins à combattre qu’à aller pleurer sans armes devant ses ennemis, s’imaginant les toucher ; il composait déjà l’epinicium qu’il devait chanter avec eux le lendemain de la réconciliation ; d’autres fois, il voulait faire massacrer tout le sénat, brûler Rome une seconde fois, et pendant l’incendie lâcher les bêtes de l’amphithéâtre sur la ville. Les Gaulois surtout étaient l’objet de sa rage ; il parlait de faire égorger ceux qui étaient à Rome, comme fauteurs de leurs compatriotes et comme suspects de vouloir se joindre à eux. Par intervalles, il avait la pensée de changer le siège de son empire, de se retirer à Alexandrie ; il se rappelait que des prophètes lui avaient promis l’empire de l’Orient et en particulier le royaume de Jérusalem ; il songeait que son talent musical le ferait vivre, et cette possibilité, qui serait la meilleure preuve de son mérite, lui causait une secrète joie. Puis il se consolait par la littérature ; il faisait remarquer ce que sa situation avait de particulier : tout ce qui lui arrivait était inouï ; jamais prince n’avait perdu vivant un si grand empire. Même aux jours de la plus vive angoisse, il ne changea rien à ses habitudes ; il parlait plus de littérature que de l’affaire des Gaules ; il chantait, faisait de l’esprit, allait au théâtre incognito, écrivait sous main à un acteur qui lui plaisait : « Retenir un homme si occupé ! C’est mal. »

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ROME – ROMA – 罗马
CALIGULA – CALIGOLA – 卡利古拉
Bustes Romains – Busti Romani
LA VILLA BORGHESE
博吉斯画廊

Armoirie de Rome

 Photos  Jacky Lavauzelle

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Flag_of_Lazio


CALIGULA
CALIGOLA
卡利古拉
12 – 41
Empereur romain de 37 à 41
Succède à Tibère

LA GALERIE BORGHESE
GALLERIA BORGHESE
博吉斯画廊

Buste de Caligula
Busto di Caligola

Caligula Caligola Galleria Borghese Galerie Borghese artgitato Gallerie Borghese Galleria Borghese la salle des bustes la sala dei busti romani artgitato

De vita duodecim Caesarum         libri VIII

CALIGULA

CHAPITRE XII

Vita Gai

Les projets de Caligula contre Tibère

 Caligula Suetone Junia Claudilla 1ère épouse de Caligula

Non ita multo post Iuniam Claudillam M. Silani nobilissimi uiri f(iliam) duxit uxorem.
Peu après, Junia Claudilla, fille de Marcus Silanus, un homme de la grande noblesse devint sa femme.
Deinde augur in locum fratris sui Drusi destinatus,
Puis nommé augure, à la place de son frère Drusus,
prius quam inauguraretur ad pontificatum traductus est insigni testimonio pietatis atque indolis,
avant qu’il n’eût sa nomination, il eût le pontificat traduisant le témoignage de piété et de caractère,
cum deserta desolataque reliquis subsidiis aula, Seiano hoste suspecto mox et oppresso, ad spem successionis paulatim admoueretur.
quand la demeure impériale, déserte et privée de ses autres supports, Séjan, lui, avait été déjà soupçonné, était prête à s’éteindre peu à peu, lui faisant apparaître un espoir pour la succession.
Quam quo magis confirmaret, amissa Iunia ex partu Enniam Naeuiam, Macronis uxorem, qui tum praetorianis cohortibus praeerat, sollicitauit ad stuprum, pollicitus et matrimonium suum, si potitus imperio fuisset;
Pour qu’elle soit meilleure encore, après avoir perdu Junia pendant ses couches, avec Ennia, la femme de Macron, qui, à ce moment-là commandait la garde prétorienne, il commet l’adultère, lui promettant même de l’épouser s’il est devenait empereur,
deque ea re et iure iurando et chirographo cauit.
et à la fois par un serment, et par un acte, il s’engageât.
Per hanc insinuatus Macroni ueneno Tiberium adgressus est, ut quidam opinantur, spirantique adhuc detrahi anulum et,
 A travers les faveurs de Macron, il empoisonna Tibère, comme certains le pensent, et il ordonna que sa bague lui fut enlevé, alors même qu’il respirait encore,
quoniam suspicionem retinentis dabat, puluinum iussit inici atque etiam fauces manu sua oppressit,
et comme il pensait qu’il la retenait, il lui mit un oreiller sur la bouche de sa main,
liberto, qui ob atrocitatem facinoris exclamauerat, confestim in crucem acto. 
un affranchi qui alors cria à l’acte terrible, fut immédiatement crucifié.
Nec abhorret a ueritate,
Et cela est encore très loin de la vérité,
cum sint quidam auctores, ipsum postea etsi non de perfecto, at certe de cogitato quondam parricidio professum;
car quelques auteurs disent que plus tard, que même si ce parricide il n’avait pas réalisé, il l’aurait toutefois cogité ;
gloriatum enim assidue in commemoranda sua pietate, ad ulciscendam necem matris et fratrum introisse se cum pugione cubiculum Tiberi[i] dormientis et
car ils disent qu’il se vantait, en parlant de sa piété filiale, avec un poignard pour venger la mort de sa mère, d’être entré dans la chambre de Tibère qui dormait,
misericordia correptum abiecto ferro recessisse; 
et il fut tellement ému de compassion qu’il en jeta son épée et disparu ;
nec illum, quanquam sensisset, aut inquirere quicquam aut exequi ausum.
Tibère le savait mais, cependant, ne dit rien ni ne chercha à le poursuivre.

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Traduction Jacky Lavauzelle
Artgitato
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SPQR